Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bienvenue à la 104e réunion du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes. La réunion d'aujourd'hui se déroule sous une forme hybride, conformément au Règlement.
J'aimerais faire quelques observations à l'intention des membres. Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro et veuillez vous mettre en sourdine lorsque vous ne parlez pas. En ce qui concerne l'interprétation, les personnes qui sont sur Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Les personnes qui se trouvent dans la salle peuvent utiliser l'écouteur et choisir le canal voulu. À titre de rappel, tous les commentaires devraient être adressés par l'entremise de la présidence. De plus, il n'est pas permis de prendre des saisies d'écran ou des photos de votre écran.
Conformément à notre motion de régie interne, j'informe le Comité que tous les participants à distance ont effectué les tests de connexion nécessaires préalables.
La réunion d'aujourd'hui porte sur l'épidémie d'opioïdes et la crise des drogues toxiques au Canada. Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 8 novembre 2023, le Comité reprend cette étude.
J'aimerais accueillir notre premier groupe de témoins. Nous recevons à titre personnel le Dr Rob Tanguay, psychiatre en toxicomanie, par vidéoconférence. Nous accueillons Louis Letellier de St‑Just, président du conseil d'administration de l'Association des intervenants en dépendance du Québec. Nous accueillons la Dre Andrea Sereda, médecin responsable du Programme d'approvisionnement plus sûr en opioïdes, du Centre de santé intercommunautaire de London. Par vidéoconférence, nous recevons Maria Hudspith, directrice exécutive de Pain BC.
Merci de prendre le temps de comparaître aujourd'hui. Vous aurez chacun jusqu'à cinq minutes pour présenter votre déclaration liminaire. Je lèverai ce carton lorsqu'il vous restera une minute. Nous cherchons le bon ordre et la discipline ici aujourd'hui.
Sur ce, docteur Tanguay, vous avez la parole pour cinq minutes, s'il vous plaît.
Merci. Je vais essayer de m'en tenir à cinq minutes, puisque vous m'y obligerez de toute façon.
Je tiens à reconnaître que je viens des territoires traditionnels des peuples de la région visée par le Traité no 7 ici, à Calgary, dans la région 3 de la Nation métisse de l'Alberta.
Je tiens également à reconnaître que je suis à la fois un médecin et une personne ayant une expérience vécue. Le 10 avril 2023, j'ai perdu mon frère à cause d'une dépendance. Il a été trouvé mort sur le plancher de sa salle de bain. Le 2 septembre 2021, j'ai perdu mon meilleur ami, Tom, à cause d'une dépendance. Il a été retrouvé seul dans sa cuisine. Le 3 avril 2021, j'ai perdu un de mes meilleurs amis d'enfance, Brent, à cause d'une dépendance. Il a été retrouvé dans le sous-sol d'une maison après une fête.
C'est pourquoi je suis ici. Je pense que nous savons tous pourquoi nous sommes ici. C'est parce que nous perdons chaque jour des gens; selon le dernier dénombrement, ce chiffre s'élevait à 20 par jour. Ces pertes de vie sont évitables. Nous sommes tous ici pour essayer de réfléchir ensemble à une solution.
Je veux m'assurer que nous établissons une distinction entre la dépendance et les personnes qui consomment des drogues. Nous consommons tous des drogues. Je bois en ce moment un café. La civilisation humaine est bien connue pour consommer des drogues. Je suis ici parce que je suis spécialiste des toxicomanies, et non pas spécialiste des personnes qui consomment des drogues. La toxicomanie est une maladie. Nora Volkow et bon nombre d'entre nous préconisons ce modèle depuis de nombreuses années. C'est une maladie du cerveau, en rien différente de la maladie de Parkinson, de la schizophrénie, de la dépression et de l'anxiété. C'est une maladie, et elle devrait être traitée comme telle, avec des mesures de santé appropriées.
Bon nombre de nos personnes les plus vulnérables sont touchées encore plus par cette maladie. En ce moment, nous observons un changement en Alberta où, à mesure que nous accélérons le traitement, nous constatons un nombre de plus en plus élevé de pertes parmi ces personnes qui vivent sans domicile. La majorité des décès survient dans la rue, plutôt que dans des résidences privées et dans d'autres endroits. Nous devons reconnaître que nos personnes les plus vulnérables sont souvent celles qui vivent sans abri. Cela représente des milliers et des milliers de gens d'un bout à l'autre de notre pays.
Lorsque nous commençons à examiner ces personnes, nous comprenons qu'environ la moitié aura eu un traumatisme cérébral au cours de sa vie, et environ une sur quatre ou sur cinq présente des lésions cérébrales modérées ou graves, ce qui exigerait normalement de vivre dans une maison avec des mesures de soutien supplémentaires. Ces personnes sont assez résilientes pour survivre dans nos rues. Il y a une augmentation importante de troubles liés à la consommation de substances, de la douleur chronique et de la maladie mentale chez les personnes qui vivent sans domicile, surtout celles qui sont sans-abri et ne sont pas en mesure d'entrer dans les refuges. Selon de récentes données de la Colombie-Britannique, deux personnes sur trois signalent des problèmes graves de santé mentale.
Nous savons que ces personnes ont besoin de notre soutien. Nous savons qu'elles ont besoin d'aide. Comme avec tout problème de santé, le fait de débattre pour savoir si nous devrions ou non traiter cette affection est non seulement choquant, mais aussi discriminatoire et raciste, et cela constitue de la stigmatisation. Nous ne débattrions jamais pour savoir si nous allons ou non traiter le cancer ou la maladie cardiaque d'une personne, mais nous le faisons pour déterminer si nous traiterons ou non la toxicomanie d'une personne.
Lorsque nous examinons les meilleures données probantes concernant la réduction des décès parmi les personnes souffrant d'un trouble lié à l'utilisation d'opioïdes, les données sont assez claires: ce sont les médicaments, notamment la buprénorphine et la méthadone. Dans une étude réalisée en 2020 à Boston — l'une des mecques — nous avons constaté une réduction de 90 % des décès en ajoutant au traitement des médicaments pour les troubles liés à l'utilisation d'opioïdes. Nous savons que nous pouvons réduire les surdoses de plus de 90 % avec des molécules comme la buprénorphine. Nous savons que nous pouvons réduire les hospitalisations encore davantage.
S'il y a une chose que je peux vous faire comprendre aujourd'hui, c'est que nous avons besoin d'accéder à un traitement pour tous les Canadiens, plutôt que de stigmatiser ces personnes et de croire qu'elles ne le méritent pas. Comme nous tous, elles méritent les meilleurs soins de santé que nous sommes en mesure de fournir.
Je pourrais continuer pendant des heures, mais je vais m'arrêter ici pour m'en tenir à mes cinq minutes et céder la parole au prochain intervenant.
Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité à participer à votre étude. Cette dernière porte sur un sujet qui mérite toute votre attention et toute la nôtre.
J'interviens aujourd'hui auprès de vous à titre de président du conseil d'administration de l'Association des intervenants en dépendance du Québec, l'AIDQ, dont l'expertise embrasse l'ensemble des problèmes de dépendance, la prévention, le traitement, la réinsertion sociale et la réduction des méfaits, bien évidemment. Depuis plusieurs années, nous portons aussi une attention très particulière à l'évolution des politiques concernant les drogues.
Je suis avocat en droit de la santé depuis plus de 40 ans et je suis le cofondateur de CACTUS Montréal, le premier programme d'échange de seringues en Amérique du Nord, qui a été créé en 1989. De plus, je donne le cours « Toxicomanie, politiques publiques, intervention » à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke. J'enseigne auprès d'intervenants en dépendance.
Mon propos sera partisan, mais partisan du ferme maintien et de l'amélioration d'une politique sur les drogues qui mise sur une approche de santé publique, de respect des droits de la personne, particulièrement celui du droit à la dignité des personnes qui font usage de drogues, et du droit à l'accès aux services de santé. Je m'exprime en faveur de la reconnaissance des données probantes, qui rendent beaucoup plus objectifs nos propos et nos discussions. Cela nous permet aussi de rester critiques quant aux mesures qui sont parfois prises.
Je vais maintenant parler des mesures qui ont été prises depuis 2015‑2016, mais, avant, j'aimerais faire le commentaire suivant: la crise existait bien avant 2015. Je ne vous apprends rien en disant que le dossier de l'encadrement des drogues est éminemment politique. Les orientations prises par les gouvernements à ce sujet au cours des 50 dernières années ont emprunté la voie de la répression et de la criminalisation. Au Canada, les politiques répressives mises en avant entre 2005 et 2015 ont assurément pavé la voie à la crise que l'on connaît aujourd'hui. Rien n'est parfait, bien entendu. Toutefois, on ne se défait pas sans effort de décennies de stigmatisation, de non-reconnaissance des données probantes et de discrimination. Il faut se donner le temps.
Le constat de l'AIDQ sur les mesures prises jusqu'à maintenant révèle que nous avons une appréciation fort positive de l'ensemble des mesures prises. Je vais en nommer quelques-unes. Lors de la révision de la Stratégie canadienne sur les drogues et autres substances, on a réintégré la réduction des risques, qui avait malheureusement été retirée en 2005‑2006 — ce retrait était une catastrophe. On a révisé les quatre piliers pour les rendre beaucoup plus adéquats en fonction d'une approche contemporaine. On a aussi élargi l'accès à la naloxone. Bravo! Il fallait le faire. On a adopté la Loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdose, qui permet d'exempter de toute accusation criminelle une personne qui demande de l'aide pour une personne en détresse. Ici, il y a peut-être un petit hic: il faut voir si les policiers de partout au Canada ont tous bien compris quelles sont les modalités d'application de la loi sur les bons samaritains.
La révision des modalités d'octroi d'exemption pour les sites de consommation supervisée, les sites de prévention, était la chose à faire. Aujourd'hui, nous avons plus d'une quarantaine de sites de ce genre. Comme on le mentionnait tout à l'heure, et comme vous le savez tous très bien, ce sont des services qui permettent de sauver des vies. D'ailleurs, je vous invite tous à visiter les sites de consommation supervisée situés dans votre circonscription, s'il y en a, ou ailleurs. Ici, à Ottawa, il y en a. Je vous invite à aller voir comment ils fonctionnent.
L'adoption du projet de loi C‑5 a mené à la déjudiciarisation, ce qui est une excellente initiative. Par contre, en raison de la décriminalisation en Colombie‑Britannique depuis janvier 2023, on se demande dans quel système on existe, ici, au Canada. On est donc un peu bipolaire au Canada. Assurons-nous au moins de réussir les deux, c'est-à-dire à la fois le projet en Colombie‑Britannique et la déjudiciarisation partout au pays.
Je vous dirais une chose en matière de modalités pour l'avenir. D'une part, je vous demande de permettre un accès accru à l'approvisionnement sécuritaire et à l'analyse de drogues. D'autre part, je vous dirais de ne pas céder aux critiques négatives que l'on entend depuis quelques années, et surtout récemment, relativement au projet de décriminalisation en Colombie‑Britannique, parce que ça ne fait qu'une seule année qu'il a été mis sur pied.
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Donnons-nous le temps, car ces projets sont nécessaires. Surtout, attaquons-nous au problème de l'emprise des groupes criminels sur le marché illégal. La recette est là, et je vous invite même à vous lancer dans une réflexion large sur la question de la légalisation.
Je suis la Dre Andrea Sereda et je travaille au Centre de santé intercommunautaire de London. Cela fait 14 ans que je fournis des soins de santé primaires de première ligne à environ 2 000 personnes qui vivent dans l'itinérance et consomment des drogues.
En tant qu'urgentologue, j'ai ressuscité des patients qui étaient morts d'une surdose et j'ai traité des infections débilitantes liées à l'approvisionnement en drogues toxiques.
Je suis aussi la médecin responsable du programme d'approvisionnement sécuritaire le plus ancien du Canada, qui est actif à London depuis 2016.
Il existe de nombreux modèles d'approvisionnement sécuritaire différents, mais aujourd'hui, je vais vous parler d'un approvisionnement sécuritaire médicalisé et prescrit. Le but de l'approvisionnement sécuritaire prescrit est de convertir les doses de fentanyl non réglementée, illicite et offerte dans la rue que consomment diverses personnes en opioïde de rechange réglementé, légal et prescrit, dont la dose et la pureté sont connues.
Il est important de comprendre cet objectif dans nos discussions, parce que la raison pour laquelle le fentanyl non réglementé est si mortel ne tient pas au simple fait que la molécule du fentanyl soit très puissante. Nous utilisons du fentanyl pharmaceutique très puissant en toute sécurité dans les salles d'urgence, les unités de soins intensifs et les salles d'opération partout au pays, chaque jour. Le fentanyl illicite est très mortel, parce que sa composition et sa puissance sont vraiment imprévisibles. Les personnes qui consomment des drogues ne savent pas si la dose de fentanyl qu'elles possèdent est constituée à 5 % ou à 70 % de fentanyl. C'est cette variabilité imprévisible dans le fentanyl illicite qui cause la crise de surdoses dévastatrice que nous connaissons au Canada.
J'explique à mes patients le problème de la variabilité du fentanyl en utilisant une métaphore qui compare des lots de fentanyl à un lot de pâte à biscuits au chocolat. Si vous ne mélangez pas assez bien la pâte à biscuits, vous vous retrouvez avec un biscuit qui a deux pépites de chocolat ou avec un biscuit qui en a vingt. Ces biscuits de ma métaphore proviennent du même lot, mais ils contiennent des puissances en chocolat très différentes quand vous les croquez. Le problème avec le fentanyl illicite, c'est de ne pas savoir si vous avez deux ou vingt pépites de chocolat au fentanyl.
Lorsqu'on fournit aux gens un approvisionnement sécuritaire prescrit d'un opioïde dont la dose et la pureté sont connues, ceux‑ci reçoivent toujours le même approvisionnement sécuritaire et standard de biscuits contenant 10 pépites de chocolat. Les gens savent exactement quelle dose d'opioïde ils reçoivent. Ils sont donc beaucoup plus en sécurité lorsqu'ils les consomment.
Les médecins comme moi qui offrent un approvisionnement sécuritaire considèrent l'approvisionnement sécuritaire comme une partie d'un ensemble de solutions à la crise du fentanyl. Les cliniciens qui offrent un approvisionnement sécuritaire aident leurs patients dans l'ensemble du continuum de traitement, de l'abstinence jusqu'à la prescription de médicaments comme la buprénorphine et Sublocade, en passant par le traitement en établissement, si c'est ce que la personne souhaite. Dans les programmes d'approvisionnement sécuritaire prescrit, nous fournissons toute la gamme de traitements aux gens souffrant d'un trouble lié à l'utilisation d'opioïdes.
L'approvisionnement sécuritaire n'est pas le Far West de la surprescription, comme certains l'ont décrit. Nous prescrivons l'approvisionnement sécuritaire avec beaucoup de prudence à un groupe de personnes présentant des besoins médicaux et sociaux très complexes qui n'ont pas été comblés dans d'autres modèles de traitement de la toxicomanie.
Pour être admissibles à l'approvisionnement sécuritaire prescrit en premier lieu, les gens doivent avoir vécu...
Comme je le disais, l'approvisionnement sécuritaire n'est pas le Far West de la surprescription, comme certains l'ont décrit dans les médias. Nous prescrivons l'approvisionnement sécuritaire avec beaucoup de prudence à un groupe de personnes présentant des besoins médicaux et sociaux très complexes qui n'ont pas été comblés dans d'autres modèles de traitement de la toxicomanie. Pour être admissibles à un approvisionnement sécuritaire prescrit en premier lieu, les gens doivent avoir vécu des problèmes de santé très graves dus à leur consommation de drogues, comme des cas de VIH ou de sida non traités, des surdoses fréquentes ou des antécédents d'infections graves.
Les patients qui bénéficient d'un approvisionnement sécuritaire ont essayé de nombreuses options de traitement précédentes, comme la méthadone, les Alcooliques anonymes et le traitement en établissement, souvent des dizaines de fois, et ces traitements n'ont tout simplement pas fonctionné pour eux. L'approvisionnement sécuritaire prescrit est un autre des outils offerts à ces personnes, et il a permis de stabiliser un groupe de personnes ayant d'énormes besoins en matière de soins de santé.
Malgré les efforts des critiques de l'approvisionnement sécuritaire qui disent que nous ne disposons d'aucune donnée probante, il existe une base de recherche scientifique solide et croissante de recherches de haute qualité sur l'approvisionnement sécuritaire. Notre équipe a publié une évaluation exhaustive des programmes, qui a révélé que les patients bénéficiant de l'approvisionnement sécuritaire connaissent une diminution importante de leur nombre de surdoses et de leur consommation de fentanyl. Cette diminution rapide des surdoses chez les patients bénéficiant de l'approvisionnement sécuritaire en Ontario n'est pas unique. Une étude récente publiée par le British Medical Journal a révélé que, pour les personnes de la Colombie-Britannique qui s'étaient vu prescrire un seul jour de médicaments en approvisionnement sécuritaire, la probabilité de décès la semaine suivante diminuait de 61 %. Si les gens recevaient quatre jours de médicaments dans le cadre d'un approvisionnement sécuritaire, la probabilité de décès diminuait de 91 %.
Notre équipe a publié ses résultats dans le Journal de l'Association médicale canadienne en 2022. Nous avons utilisé les données de l'administration de santé de l'Ontario pour comparer les admissions au service d'urgence de l'hôpital et le nombre d'infections dans l'année précédant leur réception de médicaments dans le cadre d'un approvisionnement sécuritaire avec l'année suivant leur réception de médicaments prescrits dans le cadre d'un approvisionnement sécuritaire. Ces données ont montré une diminution de 50 % des visites en salle d'urgence et des hospitalisations chez les patients bénéficiant de médicaments prescrits dans le cadre d'un approvisionnement sécuritaire, ce qui se traduit par une réduction de 50 % des coûts de santé chez les personnes s'étant vu prescrire des médicaments par cette méthode.
Mesdames et messieurs, mon travail consiste à garder mes patients en sécurité, et les données probantes montrent que l'approvisionnement sécuritaire permet de le faire.
Je vais terminer mes commentaires ici, et je suis impatiente de répondre à vos questions.
Merci de m'avoir invitée à vous parler aujourd'hui.
Je m'appelle Maria Hudspith. Je suis directrice exécutive de Pain BC, un organisme de bienfaisance collaboratif qui envisage un avenir où personne n'est abandonné avec sa douleur.
Je me joins à vous aujourd'hui depuis les territoires traditionnels ancestraux et non cédés des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.
En plus de mon rôle auprès de Pain BC, j'ai été coprésidente du Groupe de travail canadien sur la douleur, mis sur pied par l'ancienne ministre de la Santé Ginette Petitpas Taylor à la suite du sommet sur les opioïdes de 2018.
J'ai été invitée ici aujourd'hui pour vous parler du rôle de la douleur chronique dans la crise des surdoses.
Que savons-nous au sujet de la douleur chronique? Très rapidement, la douleur chronique se définit comme une douleur qui perdure au‑delà de trois mois. Elle peut être causée par d'autres maladies, blessures ou interventions chirurgicales, et elle peut exister sans cause connue. Il s'agit d'une affection fréquente, coûteuse et souvent invisible. Une personne sur cinq au Canada connaîtra une douleur chronique au cours de sa vie. Les personnes marginalisées sont touchées de manière disproportionnée par la douleur chronique, y compris les Autochtones, les personnes incarcérées, les vétérans, les sans-abri et d'autres. Les meilleures pratiques de traitement comprennent ce que nous appelons les trois P: le traitement pharmacologique, le soutien psychologique et les approches physiques.
Quelles sont les conséquences de la douleur chronique? Nous savons que, en 2019, elle a coûté au Canada entre 38,3 et 40,4 milliards de dollars en coûts directs et indirects. Nous savons que les personnes qui vivent dans la douleur sont quatre fois plus susceptibles de souffrir d'une dépression et d'anxiété, et deux fois plus susceptibles de mourir par suicide. Nous savons que la douleur non traitée est un facteur important dans la consommation de substances et la crise des surdoses. Les estimations varient, mais une constante demeure: entre 45 et 65 % des personnes aux prises avec un trouble lié à l'utilisation de substances disent souffrir de douleur chronique. La douleur chronique nuit à notre capacité de travailler et de gagner notre vie, de fréquenter l'école, d'être un proche aidant et de participer à nos communautés. Malgré la prévalence, les répercussions et le coût énorme sur les plans financier et humain, le Canada a tardé à traiter la douleur comme une priorité dans le système de santé, et les approches à l'égard de la douleur n'ont pas été intégrées dans la réponse à la crise des surdoses.
Quel est le lien entre la douleur et la crise de surdoses? Eh bien, nous savons que la douleur non traitée est un principal facteur dans ce problème. Les personnes qui consomment des substances, ainsi que leur famille, attirent l'attention sur le manque de soins pour la douleur comme facteur qui contribue à la consommation de substances et obstacle à un traitement et à une guérison réussis. Un exemple est une étude portant sur les patients obtenant des soins primaires qui consommaient des substances illégales, qui a révélé que 87 % souffraient de douleur chronique et 51 % signalaient avoir consommé des drogues illégales pour soulager la douleur. En Colombie-Britannique, les données du coroner montrent que près de la moitié des personnes décédées de surdose avaient demandé des soins pour la douleur dans l'année précédant leur décès.
À partir de 2016, nous avons commencé à observer un mouvement de balancier: on s'éloignait de la prescription d'opioïdes pour la douleur chronique. Le changement a été rapide, motivé par de nouvelles données probantes, les discours publics et divers leviers réglementaires et stratégiques. Malheureusement, ces changements ont eu d'importantes conséquences imprévues, car l'accès aux opioïdes pour la douleur a été réduit sans que des solutions de rechange accessibles et abordables ne soient offertes. De nombreux Canadiens qui utilisaient des opioïdes pour traiter la douleur ont dû être sevrés ou cesser de prendre leurs médicaments. Nous savons, grâce aux recherches et aux histoires de personnes ayant une expérience vécue, que cela a amené les gens à se tourner vers l'approvisionnement en drogues toxiques, ce qui a entraîné des résultats dévastateurs et parfois mortels. Bien que les gouvernements aient noté ces conséquences imprévues des lignes directrices révisées sur la prescription de médicaments, nous n'avons pas observé de changement dans la pratique ni de réduction du nombre de surdoses. Certaines personnes qui vivent avec la douleur ont dénoncé l'ironie de l'approvisionnement sécuritaire, car, d'une part, on annule la prescription d'opioïdes pour la douleur, et, d'autre part, on prescrit des opioïdes pour la toxicomanie.
En tant qu'organisation, nous nous soucions de toutes les personnes qui vivent avec la douleur, et cette distinction entre les patients « légitimes » souffrant de douleur, comme on l'a parfois noté — c'est‑à‑dire les gens qui ne vivent pas avec des dépendances — et les gens qui vivent avec une douleur et des dépendances concomitantes... Pour nous, tout le monde qui vit avec la douleur mérite des soins.
La crise des surdoses s'est poursuivie sans relâche, malgré d'énormes investissements dans la prévention, la réduction des méfaits et le traitement. Là où on n'a pas investi, c'est dans le traitement de la douleur comme élément essentiel de notre système de santé et de notre réponse aux surdoses.
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Le Groupe de travail canadien sur la douleur a été chargé d'évaluer la situation de la douleur chronique au Canada, afin de fournir des conseils sur les pratiques exemplaires et de formuler des recommandations stratégiques précises sous forme d'un plan d'action national. Ce plan d'action a été publié par Santé Canada en avril 2021, et la mise en œuvre se poursuit au moyen d'approches descendantes et ascendantes.
Madame Hudspith, je vais devoir vous arrêter ici. Vos cinq minutes sont écoulées.
Mme Maria Hudspith: D'accord, merci.
Le vice-président (M. Stephen Ellis): Merci.
Nous savons tous très bien que notre comité a une convention. Si quelqu'un pose une question, nous suggérons que la réponse soit de la même durée que la question, et le député aura l'occasion de vous interrompre, s'il le souhaite, pour cette même durée. Nous nous en tiendrons à la convention du président habituel.
Sur ce, passons maintenant à la première série de questions. Nous allons commencer par Mme Goodridge.
Merci, monsieur le président. C'est formidable de vous voir occuper ce fauteuil.
Merci à tous les témoins d'avoir pris le temps d'être ici aujourd'hui tandis que nous étudions ce sujet très important.
Je vais commencer par ma première question, qui s'adresse à vous, docteure Sereda.
De nouveaux renseignements qui viennent d'être publiés corroborent les rapports précédents selon lesquels un détournement important de l'approvisionnement sécuritaire s'est produit près de la pharmacie Chapman située à proximité de votre clinique. Êtes-vous au courant de ce détournement près de la pharmacie Chapman?
En tant que cliniciens offrant un approvisionnement sécuritaire, nous nous fondons sur de bonnes recherches et des données probantes publiées, et non pas sur des anecdotes et des gazouillis publiés sur la plateforme de médias sociaux Twitter ou X, donc...
M. Zivo est chroniqueur au National Post et il se penche sur la question depuis huit ou neuf mois. Certes, dès qu'il a commencé à écrire sur l'approvisionnement sécuritaire, il a exprimé son désir de brûler tout le système. Je ne suis pas certaine qu'il soit une source très crédible d'information sur laquelle nous voulons nous fonder au Comité.
De plus, M. Zivo a visité le Centre de santé intercommunautaire, où il s'est révélé être une présence très intimidante pour mes patients. Il y a une barrière juste à l'extérieur de ma clinique, à trois pieds de la porte de ma clinique...
Je suis désolé, docteure Sereda. Je pense que je vous ai très clairement informée de la convention que nous avons au Comité. Je vous demande de bien vouloir la respecter. Je l'ai fait par respect pour Mme Goodridge.
Encore une fois, soyons tous respectueux aujourd'hui. Je vous remercie.
Je pense que le discours entourant le détournement qui est soulevé dans les médias est plus important encore que le détournement. Le détournement est...
Merci. J'ai un temps très limité, alors j'ai posé des questions très brèves et simples, et je voulais des réponses simples et brèves.
La Colombie-Britannique a récemment élaboré quelques protocoles qui permettent de prescrire à des enfants du fentanyl à usage récréatif sous le couvert de l'approvisionnement sécuritaire. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
Je pense que le British Columbia Centre on Substance Use a consulté très sérieusement des experts qui fournissent des soins de lutte contre la toxicomanie, des soins pour la réduction des méfaits et des soins aux enfants aux prises avec des troubles liés à l'utilisation de substances. À ce jour, je n'ai pas entendu dire que des enfants ont eu accès à ce protocole, mais si vous le lisez, vous verrez que c'est la même chose que tout autre type de soins de santé compliqués pour les enfants au Canada, où deux experts doivent s'entendre et où la personne doit faire l'objet d'une évaluation prudente de son risque et de tout avantage du traitement. En ce qui concerne les enfants qui dépendent de l'approvisionnement de fentanyl toxique et illicite dans la rue, les médecins qui s'occupent d'eux peuvent prendre des décisions expertes sur ce dont ils ont besoin pour leurs soins de santé.
Je pense que si les enfants risquent de mourir à cause d'un approvisionnement toxique dans la rue, ce qui, nous le savons, représente plus de 90 % des décès chez les jeunes, c'est‑à‑dire le fentanyl illicite...
Je me demande si vous pourriez nous en dire plus à ce sujet. Que pensez-vous de la prescription de fentanyl à usage récréatif aux enfants, comme la Colombie-Britannique l'a suggéré?
Encore une fois, je crois que nous devrions nous concentrer sur le traitement et sur le processus du traitement. En fin de compte, le fait de prescrire à qui que ce soit et sans algorithme de traitement des substances à usage récréatif peut être problématique, et il n'y a vraiment pas de recherches, de données probantes ou de documentation évaluée par les pairs qui donnent à penser le contraire.
Cela dit, s'il s'agit d'une molécule qui a stabilisé une personne, sous prétexte d'aider quelqu'un à se remettre d'une dépendance grave, alors je suis favorable à tout ce que peut être cette molécule. Tout revient à la question de savoir si nous nous concentrons sur le traitement et sur ce à quoi cet algorithme pourrait ressembler.
Une des questions importantes auxquelles nous avons été confrontés en étudiant ce sujet est l'idée de ce à quoi un traitement pourrait ressembler. Pouvez-vous décrire comment vous abordez les médicaments pour la toxicomanie et le traitement de la toxicomanie, et ce à quoi cela peut ressembler dans votre pratique?
Je travaille dans le programme d'accès rapide pour le traitement de la toxicomanie que j'ai cofondé. Il s'agit du plus grand programme de traitement de la toxicomanie de l'Alberta. Il s'agit de rencontrer les gens là où ils sont, et d'utiliser des techniques d'entrevue motivationnelle, c'est‑à‑dire d'être gentil avec les gens. Il s'agit d'écouter les personnes et de les aider à se rendre là où elles veulent aller et à faire ce qu'elles veulent faire, soit se rétablir d'une dépendance, d'une maladie mentale, de l'itinérance, du commerce du sexe ou de ce dont elles souhaitent sortir. Souvent, ces éléments sont interreliés.
Le traitement consiste vraiment à trouver une voie d'accès...
Ils peuvent se présenter sans rendez-vous ou spontanément. Nous recevons des aiguillages de services d'urgence, de groupes de patients ambulatoires, de médecins de soins primaires, de conseillers et de psychologues. C'est ouvert à tous.
Nous offrons un accès rapide complet et absolu à tout le monde à Calgary.
Maître Letellier de St‑Just, merci de participer à la réunion du Comité aujourd'hui.
Le lien qui nous unit est l'Université de Sherbrooke, car je suis députée de Sherbrooke. Lors de votre allocution d'ouverture, vous avez mentionné que, de 2005 à 2015, un gouvernement précédent avait pris la voie de la répression et de la criminalisation et que, maintenant, grâce aux mesures prises depuis 2015 et à la reconnaissance des données probantes, une approche contemporaine a été adoptée, pour reprendre vos mots.
J'aimerais vous inviter à nous donner un peu plus de détails. Sommes-nous sur la bonne voie? Dans le fond, l'objectif de tous, aujourd'hui, est de sauver des vies et de faire que cette crise cesse ou diminue.
Bien sûr que nous sommes sur la bonne voie, je l'ai mentionné tout à l'heure. L'inquiétude qu'on peut avoir, c'est que certains veuillent retourner en arrière et ce serait une erreur magistrale. Imaginez où on en serait si ces politiques répressives avaient été maintenues après 2015: la crise serait encore plus incontrôlable qu'elle ne l'est maintenant.
Il y a aussi une chose à clarifier. Il ne faut pas comprendre la décriminalisation comme étant une avenue qui va régler la question de l'accès aux drogues illégales. Ce n'est pas l'objectif. L'objectif de la décriminalisation, c'est de donner accès à des services. Le Dr Tanguay et la Dre Sereda l'ont mentionné, nous sommes là pour donner accès à des services et sauver des vies. Tout ce qui se fait en matière d'application de la loi, de lutte au blanchiment d'argent, d'aide aux services frontaliers, tout cela est essentiel, mais nous devons nécessairement, aujourd'hui, nous dire que ni la décriminalisation qui a cours en Colombie-Britannique ni la déjudiciarisation en soi ne sont à elles seules des solutions pour venir enrayer l'emprise du marché noir et des groupes criminels.
Pour cela, il va falloir aller un peu plus loin. C'est pour cela que je vous invitais à réfléchir. Il faut le faire. Je sais que le mot « légalisation » fait peur à bien des gens. Or, on l'a fait pour le cannabis et nous avions tout récemment un bilan des cinq dernières années, qui est très positif. Pourquoi ne pas envisager d'aller plus loin avec certaines drogues, ou peut-être même l'ensemble des drogues?
Je reviens à peine d'une conférence à Amsterdam, où la mairesse de la ville a convoqué des représentants des grandes villes du monde pour discuter de leurs objectifs vis-à-vis l'emprise du crime organisé. Nous sommes sous l'emprise du crime organisé au Canada. Ne nous faisons pas d'autres idées. Peut-être que c'est moins violent qu'en Europe d'une certaine façon, mais nous sommes sous l'emprise des groupes criminels. Il faut agir à cet égard, mais il faut maintenir le cap avec l'ensemble des mesures que nous avons mises de l'avant depuis 2015.
En effet, ces quatre volets, ces quatre piliers de la Stratégie canadienne sur les drogues et autres substances sont importants. Heureusement, cette stratégie a été remodelée et mise à jour. C'est ce modèle que l'on doit suivre.
Docteure Sereda, dans vos remarques, vous avez mentionné également que vous étiez là pour assurer la sécurité de vos patients. J'aimerais vous entendre commenter un peu plus les effets positifs de l'approvisionnement sécuritaire sur vos patients.
C'est une très bonne question. Merci de l'avoir posée.
Mon travail est entièrement axé sur mes patients. J'aimerais vous raconter deux ou trois anecdotes, si j'en ai le temps.
Je vais commencer par vous raconter l'histoire d'une femme qui avait reçu un diagnostic de sida et qui aurait eu besoin de soins palliatifs. Elle vivait dans la rue. Elle ne recevait aucun soin. Elle se présentait toujours à l'hôpital en disant qu'elle éprouvait de la douleur, et elle était toujours renvoyée sous prétexte que tout ce qu'elle voulait, c'était de la drogue, c'est‑à‑dire des médicaments.
On a fini par découvrir que le VIH était la cause de sa douleur, et que ses infections étaient liées au sida. On l'a donc admise. À ce moment‑là, on lui a dit qu'on ne pouvait plus rien faire pour elle, que seuls des soins palliatifs pouvaient lui être offerts. Elle a reçu son congé, et la voilà de retour dans la rue, sans médicament ni soutien, avec un diagnostic de sida en phase palliative.
C'est à ce moment‑là que mon équipe a pu intervenir. Nous lui avons offert des soins. Nous lui avons prescrit son approvisionnement sécuritaire, et elle a complètement cessé de consommer du fentanyl. Aujourd'hui, elle a un toit. Elle ne souffre plus du sida: elle est atteinte du VIH, mais sa charge virale est contrôlée, et elle est bien traitée. Elle fait aujourd'hui du bénévolat dans le programme de réduction des méfaits.
Ce dont elle avait besoin pour s'éloigner des substances toxiques, c'était de ce genre de soutien, qui l'aidait également à se concentrer sur ses problèmes de santé. Elle cuisine d'excellents petits gâteaux, d'ailleurs.
Est‑ce que j'ai le temps pour une autre histoire?
C'est l'histoire d'une femme qui était aussi en phase palliative. On pensait qu'elle en était à la phase palliative parce qu'elle avait une endocardite, une grave infection du cœur. Elle était hospitalisée et elle avait besoin d'une opération chirurgicale. Elle avait besoin de deux nouvelles valves cardiaques pour survivre. À ce moment‑là, l'équipe de chirurgie ne considérait pas qu'elle était une bonne candidate, puisqu'elle était toxicomane; elle s'était infligé cela, et elle allait se l'infliger encore.
Encore une fois, c'est à ce moment‑là que notre équipe est intervenue, et il nous a fallu discuter chaudement...
Nous sommes donc intervenus auprès de cette femme. Nous avons défendu ses droits, et nous lui avons prescrit encore une fois un approvisionnement sécuritaire. Elle a cessé de consommer du fentanyl. Et elle a pu recevoir deux nouvelles valves.
Elle avait seulement 21 ans lorsqu'on lui a dit qu'elle allait mourir de son endocardite. Cela fait plus de quatre ans. Elle est aujourd'hui âgée de 25 ans, et elle ne consomme plus de fentanyl. Elle a toujours accès à un approvisionnement sécuritaire. Elle a un logement. Elle fait elle aussi du bénévolat avec nous, elle est retournée à ses études collégiales. Elle aime vraiment beaucoup chanter, danser et faire du tricot, dans notre clinique.
Évidemment, en réaction aux surdoses, à la crise des opioïdes et à la contamination par le fentanyl, on s'est tourné vers l'approvisionnement sécuritaire et vers des sites de consommation supervisée.
Or, voilà qu'on se retrouve avec un problème quant à l'approvisionnement sécuritaire: celui du détournement des prescriptions. J'aimerais vous laisser l'occasion de nous dire ce que vous pensez de ce problème. J'aimerais que vous puissiez nous en parler et nous dire s'il faut le contourner, d'après ce que vous constatez depuis un an. Que devons-nous faire avec cela? Parlez-nous de ce phénomène.
Docteure Sereda, je vous invite à répondre en premier à la question, puisque vous n'avez pas eu l'occasion tout à l'heure de terminer vos commentaires là-dessus.
Monsieur Letellier de Saint-Just, vous pourrez compléter la réponse par la suite.
Il ne faut surtout pas oublier que l'approvisionnement sécuritaire est une question politisée, tout comme les sites de consommation supervisée dont vous avez parlé. L'échange des seringues était illégal, à l'époque du VIH. L'approvisionnement sécuritaire déclenche la même panique morale et la même désinformation.
Vous parlez des besoins et vous parlez des inquiétudes touchant le détournement. Laissez-moi vous raconter une autre histoire. Mais ce ne sera pas facile pour moi de la raconter.
L'an passé, dans le cadre d'un événement communautaire, un père m'a abordée...
J'aimerais vraiment que vous nous parliez du détournement. Je n'ai pas beaucoup de temps et j'aimerais que vous m'indiquiez ce que vous en pensez et ce que vous voyez sur le terrain. Est-ce très répandu? Comment peut-on contrer ça? C'est important.
L'histoire que je vais vous raconter concerne directement le détournement.
Dans une communauté, un père m'a abordée, et m'a raconté que son fils était mort d'une surdose de fentanyl l'année précédente. Il m'a expliqué que, quand son fils est mort, il était inscrit sur une liste d'attente et voulait obtenir un approvisionnement sécuritaire; quand il est mort, il voulait me voir, il espérait que je puisse lui sauver la vie. Je pensais que ce père serait en colère contre moi. Je n'avais pas pu voir son fils. Mais il n'était pas en colère, et ce qu'il m'a dit ensuite m'a encore plus surprise. Je parle maintenant du détournement.
Il m'a dit que son fils était resté vivant plus longtemps qu'il ne s'y attendait parce qu'il avait accès à des comprimés d'hydromorphone venant de l'approvisionnement sécuritaire d'un ami avec qui il demeurait et qui était prêt à partager cet approvisionnement avec lui. Il ne supportait pas de le voir plongé dans un état de sevrage du fentanyl. Il voulait l'aider. Mais cet ami a fini par cesser de lui donner ces comprimés d'hydromorphone, et le fils a recommencé à consommer du fentanyl, et il en est rapidement mort.
C'est moi qui rédige les ordonnances, et je ne tolère aucune sorte de détournement des médicaments. Je m'attends à ce que mes patients prennent les médicaments que je leur prescris; toutefois, il ne faut pas oublier que, si on parle de détournement de médicaments, c'est parce qu'on ne répond pas aux besoins de la collectivité.
Il y a à peine 6 000 personnes, dans tout le pays, qui ont accès à un approvisionnement sécuritaire, et il y a pourtant des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes qui consomment de la drogue. Nous avons appris, dans toute la littérature qui porte sur la méthadone, que, la plupart du temps, les gens qui « détournent » des médicaments aident en fait les gens de leur collectivité à voir un autre jour se lever.
Des gens prétendent qu'on vend de cette drogue à des enfants. Avez-vous perçu ce phénomène? Est-ce qu'il existe? S'il existe, comment faire pour enrayer ça?
Peut-être que la Dre Sereda pourra compléter, mais est-ce qu'on doit être surpris qu'il y ait un détournement des prescriptions? Non, je ne pense pas que ça doit être une surprise, il ne faut pas en être étonné. C'est malheureux, bien sûr. Cependant, je pense que la responsabilité appartient au prescripteur, donc au médecin, de bien rappeler à ses patients le danger qu'ils risquent de faire subir à ceux à qui ils vendent. Si ce sont des enfants, ils souffriront, bien sûr. Nous n'avons pas de statistiques à ce sujet.
La Dre Sereda a certainement des éléments de réponse. Je pense aussi à la Dre Marie‑Ève Goyer et à la Dre Marie‑Ève Morin, chez nous au Québec. Ce sont deux médecins très impliquées dans leurs communautés et qui connaissent cette réalité. Je sais qu'elles font très bien leur travail, mais il appartient aussi au collège des médecins de chaque province de bien rappeler les obligations de leurs membres dans des contextes comme celui-là.
À ma connaissance, le Collège des médecins du Québec vient tout récemment de prendre position avec un guide qui encadre la prescription d'opioïdes par ses membres. Je pense que c'est une responsabilité accrue et les collèges des médecins doivent, dès à présent, être beaucoup plus vigilants, et faire un suivi des prescripteurs d'opioïdes au pays.
J'ai bien écouté, dans les écouteurs, mais si j'ai mal compris la question, corrigez-moi.
Vous parlez des jeunes et vous vous demandez si les médicaments provenant d'un approvisionnement sécuritaire sont détournés vers les jeunes. Je trouve pathétique que l'on utilise les jeunes Canadiens dans ce débat polarisé au sujet des répercussions potentielles de l'approvisionnement sécuritaire; je crois sincèrement qu'on les utilise.
Les coroners de la Colombie-Britannique et de l'Ontario font un suivi serré des morts par surdose. Il n'y a absolument aucune donnée indiquant que des enfants ont accès à de l'hydromorphone et qu'ils en meurent. En fait, si des enfants meurent d'une surdose, c'est bien trop souvent lié à l'approvisionnement illicite de fentanyl, une drogue toxique.
J'ai moi-même un jeune enfant. Est‑ce que je voudrais qu'elle puisse un jour avoir accès à des opioïdes? Non, vraiment pas. Tous les cliniciens qui sont favorables à un approvisionnement sûr sont du même avis, et nous prenons toutes les précautions possibles pour nous assurer que ce sont nos patients qui prennent nos médicaments.
Est‑ce un monde parfait? Il n'est pas parfait, et vous me donnerez peut-être l'occasion de vous parler de nos protocoles en matière de détournement, qui sont très solides. Je le répète, le débat que vous voyez dans les médias, tout ce que disent les critiques de l'approvisionnement sécuritaire, à propos des enfants... Je trouve révoltant que l'on utilise de cette façon les enfants du Canada, parce que ces affirmations ne sont fondées sur aucune donnée.
Docteure Sereda, vous avez parlé d'anecdotes, de gazouillis, qui orientaient les programmes et les discours politiques. Pourriez-vous nous parler de leurs répercussions, c'est‑à‑dire sur la crise, sur le personnel de première ligne et sur les patients, sur les gens avec qui vous travaillez?
Oui. Quand les politiciens font circuler de fausses informations, des gens meurent, et les gens meurent pour de nombreuses raisons. Cela retarde les mesures d'intervention d'urgence dont nous aurions cruellement besoin, en pleine crise. Il ne faut pas oublier que plus de 42 000 personnes sont mortes d'une surdose, et les fausses informations qui circulent actuellement et qui nous empêchent d'intervenir rapidement pour sauver 42 000 autres vies sont vraiment frustrantes.
J'aimerais bien voir ceux qui font circuler ces fausses informations — les politiciens, les médias, les critiques — appeler les mères des personnes décédées. Selon moi, si c'était leur responsabilité et non pas la mienne, ils s'occuperaient beaucoup plus de ce qui se passe aujourd'hui, des données réelles que nous avons recueillies au sujet de l'approvisionnement sécuritaire et des autres interventions de réduction des méfaits. Je pense que ce serait beaucoup plus difficile de s'adonner à de la politicaillerie quand la vie de personnes est en jeu.
Vous avez parlé du coût des retards. Il est évident que le gouvernement a décidé d'y aller progressivement. J'imagine que cette approche freine énormément les interventions. Pourriez-vous nous parler des répercussions, disons, des retards dans le financement du programme sur l'usage et les dépendances aux substances, le PUDS, pour les organismes et les cliniques comme les vôtres, sur les patients et sur les équipes dont on a besoin pour que les gens puissent avoir accès à ces médicaments qui leur sauvent la vie?
Je crois que nous sommes tous assis sur le bout de notre chaise et que nous attendons de savoir si le financement du PUDS va être renouvelé ou prolongé. Nous sommes inquiets, et nos patients eux aussi sont inquiets. Mes patients sont si marginalisés qu'on a l'impression qu'ils ne font même pas partie de la collectivité; pourtant, ils en font partie, et ils se tiennent au courant des nouvelles. Mes patients sont inquiets. Ils me demandent tous les jours depuis à peu près six mois s'ils vont toujours avoir une ordonnance, s'ils devront retourner à la vie qu'ils menaient avant, s'ils vont perdre leurs liens avec leur famille, perdre leur logement. Si ces programmes prennent fin et qu'ils doivent se tourner de nouveau vers un approvisionnement toxique, ils me demandent s'ils vont mourir, et je ne sais pas quoi leur répondre, parce que je ne sais pas si le financement va être reconduit.
Pour nous, les cliniciens qui offrons ces soins, c'est la panique. Nous savons que les gens qui n'ont plus d'ordonnance pour des opioïdes — un des témoins vient d'en parler aujourd'hui — vont se tourner vers le marché noir. Cela fait des décennies que nous recueillons des données sur la crise des opioïdes, depuis le début des années 2000, et les données montrent que le non-renouvellement des ordonnances mène à la mort de façon prévisible.
Les cliniciens sont dans une mauvaise position, puisque la plupart des cliniques qui assurent un approvisionnement sécuritaire ne seront financées que pour un seul mois encore, et nous ne savons pas si le financement sera maintenu. Les cliniciens font face à un dilemme. Devront-ils demander à leurs patients de se sevrer, alors que, selon les données, bon nombre d'entre eux en mourront? Devront-ils leur proposer des traitements de désintoxication plus conventionnels, comme le traitement par agonistes opioïdes, la méthadone, le buprénorphine, sachant que ces patients ont connu de nombreux échecs lorsqu'ils passaient à ces autres médicaments, et que c'est d'ailleurs parce qu'ils ont connu ces échecs qu'ils ont pu s'inscrire, en premier lieu, à un programme d'approvisionnement sécuritaire? Les cliniciens ne savent plus quoi faire. S'ils paniquent, c'est que les gens qu'ils ont réussi à garder en vie depuis trois ou quatre ans, grâce à ces programmes, des gens qu'ils ont soignés, à qui ils ont offert du soutien et de l'affection, vont peut-être mourir dans un mois.
Oui, merci. Il en va de même pour nous lorsque nous entendons des critiques négatives. On peut critiquer, avoir des réserves ou des craintes à l'égard des services que nous offrons, que ce soit l'approvisionnement sécuritaire ou un site de consommation supervisé, mais il reste que tout cela se fait dans un contexte vraiment très réglementaire…
Je m'excuse de vous interrompre, monsieur Letellier de Saint‑Just, mais ce tour de questions est maintenant terminé.
[Traduction]
Vous n'avez plus de temps. Je suis désolé.
J'aimerais que ce soit clair pour tout le monde: pour la prochaine série de questions, le Parti conservateur et le Parti libéral auront cinq minutes. Toutefois, le Bloc et le NPD n'auront que deux minutes et demie. Faites attention à vos réponses. Merci beaucoup.
Monsieur Doherty, vous avez la parole pour cinq minutes.
Docteure Sereda, je crois que vous n'avez pas pu répondre à la question que ma collègue a posée plus tôt. Savez-vous si l'approvisionnement sécuritaire fait l'objet d'un trafic autour de la pharmacie Chapman, en face de votre bureau, oui ou non?
Seriez-vous d'accord pour dire qu'il est possible que des gens qui n'ont pas d'ordonnance, voire des enfants, mettent la main sur des opioïdes par des voies détournées?
Nous avons une relation de nature professionnelle, puisque comme cette pharmacie est proche de notre clinique, la plupart de nos patients la fréquentent; nous sommes donc presque toujours en communication avec elle sur la façon de mieux servir nos patients et d'améliorer les résultats en santé.
Croyez-vous que les médecins qui prescrivent un approvisionnement sécuritaire sont moralement ou légalement responsables du détournement de l'approvisionnement sécuritaire, quand l'ordonnance porte leur nom?
Je suis moralement responsable de garder mes patients en vie. Je suis moralement responsable de prendre soin de ma collectivité. Laisser entendre que les médecins qui prescrivent un approvisionnement sécuritaire ne se soucient pas de la collectivité dans son ensemble c'est, franchement, extrêmement insultant.
Ce n'est pas ce que j'ai dit, en fait. Je vous ai simplement demandé si, à votre avis, les médecins qui prescrivent un approvisionnement sécuritaire sont moralement ou légalement responsables.
Un travailleur de la santé a acheté des milliers de comprimés d'hydromorphone prescrits par votre clinique; sa dépendance a empiré, et cela a causé de graves préjudices à lui-même et à sa famille. Que pourriez-vous leur dire, à lui, à son épouse et à ses enfants?
Je ne vous demande pas d'où vous tenez vos anecdotes. Encore une fois, je pose les questions. C'est mon tour.
Docteure Sereda, combien de fois des membres de votre collectivité, y compris des membres de la famille de vos patients, ont-ils essayé de communiquer avec vous pour vous parler de leurs préoccupations au sujet du détournement des médicaments sécuritaires provenant de votre clinique?
Il n'y a pas de mesure de traçabilité pour les autres médicaments. Pourquoi devrions-nous stigmatiser les gens qui consomment de la drogue? Pourquoi devrions-nous supposer que les gens qui consomment de la drogue nourrissent des intentions malveillantes quand il s'agit de leurs médicaments? Nous savons que plus de 90 %...
Ne voudriez-vous pas vous assurer...? Ne pourrions-nous pas nous entendre sur le fait qu'il y a une foule d'outils et une foule d'opinions différentes, ici, autour de la table, mais que nous devrions faire tout en notre pouvoir pour assurer la sécurité des gens?
Non, pas du tout. Je crois que cela amènerait les gens à éviter d'utiliser les programmes de réduction des méfaits, car il s'agit d'un groupe de personnes qui ont été criminalisées pendant des décennies... ou plutôt, depuis un siècle. Ce sont des personnes qui... Dans notre programme, il y a 30 % d'Autochtones, et nous savons que c'est le cas dans la plupart des programmes d'approvisionnement sécuritaire. Je ne crois pas qu'une personne qui a eu des relations empreintes de violence avec les structures médicales et gouvernementales voudrait que l'on puisse la suivre d'une façon ou d'une autre; cela se traduira donc par des décès, car les gens ne voudront pas suivre un traitement.
Avez-vous reçu un montant de 1,5 million de dollars de l'initiative de la communauté de pratique nationale sur l'approvisionnement plus sécuritaire, pour qui le détournement est une forme de soin de santé de compassion?
Je n'ai pas reçu cet argent. Mais il est certain que la communauté de pratique nationale sur l'approvisionnement sécuritaire a reçu la somme.
Je sais de quel document sur le détournement vous parlez. Il a été rédigé par des cliniciens experts, qui se sont fondés sur les données et les conseils de gens qui consomment de la drogue.
Je pense que vous parlez du financement de la communauté de pratique nationale sur l'approvisionnement plus sécuritaire. Le financement ne lui sert pas à défendre le détournement. Le financement lui sert à aider les gens de tout le pays à se renseigner sur l'approvisionnement sécuritaire, à leur donner un soutien pratique et à diffuser l'information.
Je tiens à remercier chacun d'entre vous de votre présence, de votre dévouement envers la pratique et cette crise particulière.
Docteure Sereda, je vais vous laisser poursuivre quelques instants, mais j'aurai aussi des questions pour au moins trois d'entre vous. Vous avez documenté de façon vraiment éloquente les avantages d'un approvisionnement sécuritaire. J'aimerais que cette étude aille bien au‑delà de cet argument bancal sur l'approvisionnement sécuritaire et son rôle dans les soins de santé. Est‑ce que les politiciens devraient faire des recommandations touchant le traitement?
Absolument pas. Je ne connais aucun autre problème de santé, au Canada, à propos duquel les politiciens ont un mot à dire sur le traitement. Quand les soins concernent le diabète, les opérations chirurgicales ou l'hypertension, les politiciens s'en remettent aux cliniciens experts et aux chercheurs des domaines pertinents, parce qu'ils savent que ce sont eux les experts, qu'ils veulent ce qu'il y a de mieux pour leurs patients et qu'ils vont leur offrir les traitements qui leur seront bénéfiques. Ce n'est que dans ce débat rhétorique extrêmement politisé touchant la réduction des méfaits que les politiciens ont l'air de croire qu'ils en savent plus que les experts et les gens qui prennent soin de ces patients tous les jours, qui ont une responsabilité fiduciaire de s'assurer que ces gens restent en vie et qu'ils s'en sortent bien, au chapitre tant de la santé que des résultats sociaux.
Merci, docteure Sereda. Merci de votre réponse, mais je dois passer à un autre sujet.
Docteur Tanguay, vos premiers mots étaient très émouvants. Je suis vraiment désolé que vous ayez perdu des proches, et je crois que cela a touché tous ceux parmi nous qui ont aussi perdu des proches, des membres de leur famille ou de leur collectivité, au pays.
J'ai également été très encouragé par la façon dont vous avez répondu à la question sur le fentanyl sur ordonnance. Premièrement, vous faites une mise en garde en disant qu'il ne faut pas offrir un traitement sans un plan de traitement ou sans un diagnostic — et je crois que tous ceux qui s'occupent des troubles liés à l'utilisation des opioïdes seront d'accord —, et vous avez aussi dit que vous êtes d'accord pour utiliser toute molécule qui aiderait à stabiliser une personne qui suit un plan de traitement, si je puis paraphraser vos propos. À mon avis, cela accrédite et valide l'approche en quatre volets qui comprend le traitement et le rétablissement.
Vous avez beaucoup parlé des divers volets du traitement. Vous avez mentionné le rôle important de la réduction des méfaits, mais vous avez souligné que la réduction des méfaits doit englober des services de santé mentale et de traitement de la toxicomanie et être mieux rattachée aux programmes communautaires et aux programmes de traitement en établissement. Selon vous, dans quelles conditions la consommation supervisée, l'approvisionnement sécuritaire et les autres mesures de réduction des méfaits devraient-ils se dérouler en Alberta, et au Canada, d'ailleurs?
Je crois, en fin de compte, qu'il faut d'abord et avant tout créer un système logique, qui serait interrelié plutôt que cloisonné. La réduction des méfaits, les services axés sur le rétablissement et les soins de santé mentale existent chacun de leur côté, mais en réalité, l'accès à ces services est déficient, et c'est cela, notre plus gros problème. Nous sommes ici en train de parler d'un nouvel algorithme de traitement, qui est en fait une expérience — et qui permet de réunir des données probantes, bien sûr —, mais il n'y a pas d'accès, concrètement, aux traitements de première ligne. La plupart des gens, au Canada, n'ont pas accès à un traitement de première ligne, à un traitement en santé mentale ou à des soutiens.
Ces services de consommation supervisée devraient être le point d'accès à un traitement, car ils sont probablement l'un des meilleurs points d'entrée à un traitement que l'on puisse offrir aux personnes les plus vulnérables. Le seul fait de rencontrer les gens à cet endroit est important, mais nous ne pouvons pas les laisser ensuite en plan, et nous ne pouvons pas les aider...
Merci. Si vous le voulez bien, je vais vous interrompre. J'aimerais parler quelques secondes avec Mme Hudspith.
Madame Hudspith, merci beaucoup de comparaître ici aujourd'hui. Dans mes anciennes fonctions, j'ai eu le plaisir de pouvoir tirer parti de l'expertise de votre organisation, quand nous avons commencé à étudier les principales lacunes des soins contre la douleur sur le territoire du Yukon. Que devons-nous améliorer, dans le système de soins de santé public, pour gérer la douleur? Pourriez-vous aussi nous parler brièvement de la façon dont nous soutenons l'autogestion de la douleur? Je sais que vous êtes des chefs de file dans ce domaine.
Nous avons fait de grandes avancées du côté de l'autogestion et nous offrons de manière virtuelle des soins et des mesures de soutien pour aider les gens à les utiliser. C'est une chose de créer un site Web, et on peut y trouver de formidables ressources, mais les gens ont souvent besoin qu'on leur tienne la main lorsqu'ils y naviguent et lorsqu'ils essaient de mettre les apprentissages en pratique.
Monsieur Letellier de Saint‑Just, dans un document fort intéressant mis à jour en date du 9 février 2024, vous indiquez que la décriminalisation ne garantit pas un approvisionnement sécuritaire. On en parle depuis tantôt. Vous ciblez aussi le crime organisé.
Il y a quatre piliers. Considérez-vous qu'on en fait assez sur le plan de l'application de la loi et de la lutte contre le crime organisé? Je pose la question parce que c'est vraiment la loi de la jungle, en ce moment. C'est vraiment n'importe quoi, ce qui se passe. Quand l'État est obligé de prendre soin du monde et de mettre sur pied des sites d'injection supervisée parce qu'on fait n'importe quoi sur le marché noir, on a un problème.
En fait-on assez? Sinon, que pourrait-on faire de plus?
À Amsterdam, un policier qui travaillait dans le monde interlope et qui infiltrait des groupes criminels nous a dit qu'on passait des mois à préparer un grand coup pour arrêter les têtes dirigeantes et saisir des quantités énormes de drogues, mais que cela n'avait un effet que pendant deux heures. C'est pour le moins étourdissant, estomaquant, parce qu'on voit que les forces ne se battent pas à armes égales. Les moyens dont disposent les groupes criminels sont largement supérieurs à ceux dont disposent nos forces de l'ordre.
Alors, est-ce qu'on en fait assez? On en fait déjà beaucoup plus. Il faut s'attaquer au blanchiment d'argent et aux entrées dans les grands ports, que ce soit à Vancouver, à Halifax ou à Montréal. Il faut faire l'effort nécessaire, mais en sachant très bien qu'on ne se bat pas à armes égales, à l'heure actuelle.
La seule façon de faire du progrès serait de se tourner vers la réglementation de certaines drogues. En Europe, par exemple, on parle de la réglementation de la cocaïne et de la MDMA. Il faut donc suivre ce genre de piste ou, à tout le moins, y réfléchir.
Premièrement, docteur Tanguay, toutes mes condoléances à vous et à votre famille pour vos pertes.
Docteur Tanguay, vous avez participé à la rédaction d'un rapport commandé par le Parti conservateur uni de l'Alberta, en 2020, qui portait sur les sites de consommation supervisée de votre province natale. Cette étude a été largement critiquée parce que sa méthode scientifique laissait à désirer, mais pourtant elle a justifié la fermeture du site de consommation supervisée de Lethbridge, et, depuis sa fermeture, on a rapporté un nombre record de surdoses mortelles.
En outre, selon un article publié ce mois‑ci dans The Lancet, on enregistre une réduction de 67 % du nombre de morts par surdose dans un rayon de 500 mètres des sites de consommation supervisée, après leur ouverture. Cela prouve que ces sites sont importants et qu'ils permettent de sauver des vies.
Est‑ce que votre opinion a changé depuis que le rapport commandé par le gouvernement a été utilisé pour justifier la fermeture des sites de consommation supervisée en Alberta?
J'aimerais préciser une chose: le site de consommation de Lethbridge, qui était auparavant exploité par un organisme sans but lucratif, relève désormais des services de santé de l'Alberta. Il fonctionne toujours, et jamais personne ne s'en est vu refuser l'entrée.
On rapporte des surdoses à tous les endroits, qu'il y ait ou non un site de consommation supervisée, que des traitements soient offerts ou non. Je ne crois pas qu'on peut isoler un seul petit morceau et dire « voici la réponse »; ce n'est jamais la solution la plus facile.
Jamais il n'a été dit dans ce rapport qu'il fallait fermer un service ou un autre. Jamais il n'a été écrit dans ce rapport qu'il fallait fermer un site offrant des services de consommation supervisée; au contraire, il disait que ces services devaient être accompagnés de traitements médicaux, je pense à la buprénorphine, à la méthadone, aux traitements en santé mentale, aux traitements des plaies et aux soins primaires. Le soutien offert pour ces processus ne devrait pas se limiter à la réduction des méfaits, il devrait englober l'ensemble des soins de santé. C'est une chose qui...
Docteur Tanguay, croyez-vous qu'il faudrait davantage de sites de consommation supervisée, et qu'il faudrait aussi garder et améliorer celui de Red Deer, par exemple?
Je crois que les services de consommation supervisée s'inscrivent dans un processus de traitement et que, comme tous les services de réduction des méfaits, ils devraient faire partie de l'algorithme de traitement.
Je crois que le principal problème, c'est que nous nous arrêtons à un seul petit morceau, en pensant que c'est tout ce dont nous avons besoin; mais ce n'est pas la réponse
Docteure Sereda, en janvier 2022, vous avez publié un rapport où vous prétendiez que votre programme était efficace puisqu'il affichait un taux de rétention de 94 %, et il est surprenant de constater que les personnes qui ont des problèmes de dépendance reviendront s'approvisionner gratuitement en médicaments fournis par le gouvernement. Ce n'est que plus tard, pendant une émission diffusée sur le Web, que l'on vous a demandé directement ce qu'il était advenu de l'autre tranche de 6 % qui avait cessé de participer; vous avez alors admis qu'une partie de ces 16 personnes avait fait une surdose mortelle de fentanyl ou avait succombé à une infection liée à l'utilisation de drogues injectables. Votre étude ne faisait non plus aucune analyse sur l'incidence du détournement des médicaments.
Comment pouvez-vous prétendre que votre programme d'hydromorphone fonctionne?
Je crois qu'il faut toujours se demander si c'est l'approvisionnement sécuritaire qui fait que les personnes s'en sortent bien. Ce que nous devons savoir, c'est que les résultats que nous observons... Nous avons fait des comparaisons avec des groupes témoins et des gens qui n'avaient pas accès à un approvisionnement sécuritaire, et nous n'avons tout simplement pas observé les résultats au chapitre de la santé et les résultats sociaux positifs que nous observons quand les gens ont accès facilement à des médicaments détournés, comme certains membres du Comité l'ont laissé entendre.
Les gens que nous avons perdus, cette tranche de 6 %, étaient incarcérés ou hospitalisés pour une longue période, et oui, les infections et les surdoses ont tragiquement pris la vie de certaines autres personnes. Ce que nous savons, cependant, c'est que, parmi les gens qui n'utilisent que de l'hydromorphone sécuritaire, comme le confirment les analyses d'urine, il n'y a eu absolument aucun décès. Ce sont les gens qui continuent de consommer du fentanyl toxique vendu illégalement sur la rue qui succombent à une surdose. Proportionnellement, nous savons que nous en avons perdu vraiment beaucoup moins.
C'est intéressant de vous l'entendre dire, parce que vous connaissez la Dre Sharon Koivu. Elle est cheffe du centre des sciences de la santé de London et était auparavant médecin-hygiéniste par intérim. Elle a publié avec Allison Mackinley, une infirmière praticienne — je suis certain que vous êtes au courant — une étude qui examinait les dossiers de plus de 200 patients qui avaient été dirigés vers le service de consultation en toxicomanie de l'Hôpital Victoria entre janvier et juin 2023. L'étude montre que votre programme d'approvisionnement sécuritaire en hydromorphone cause du tort, par exemple des infections graves et de nouvelles dépendances.
En fait, cela fait à peu près trois mois, peut-être un peu plus, que je discute avec la Dre Koivu des données dont vous parlez, et j'essaie de savoir quelle était sa méthodologie, quels étaient ses critères d'inclusion et d'exclusion...
Quand j'ai pris contact avec elle, elle m'a dit qu'elle ne pouvait pas, en fait, discuter de cela avec moi. Pourtant, même si elle ne peut pas discuter des résultats de ses recherches ou m'expliquer sa méthodologie, comme le font tous les bons chercheurs, elle peut en parler à Adam Zivo, du National Post, et elle peut en parler sur les médias sociaux.
Tout cela n'a pas de sens, et, si vous regardez le dénominateur...
La Dre Koivu affirme aussi que certains de ses patients qui ont accès à un approvisionnement sécuritaire en hydromorphone, grâce à votre propre programme, et qui ont un logement préfèrent dormir dans des tentes, devant la pharmacie Chapman, afin d'être les premiers à faire remplir leur ordonnance, le matin, et ils vont souvent vendre leurs médicaments afin de pouvoir acheter du fentanyl illicite.
Certains de ces patients sont des femmes vulnérables que l'on contraint à obtenir le plus grand volume possible d'hydromorphone, pour que leurs époux ou leurs proxénètes puissent s'en emparer et la revendre. Ces patients affirment aussi que les criminels attendent à l'extérieur de la pharmacie et intimident les gens vulnérables afin qu'ils leur remettent les comprimés d'hydromorphone.
Ce que je dis, c'est que, selon mon expérience, ce qu'elle raconte n'est pas exact. La Dre Koivu a aussi déclaré que l'approvisionnement sécuritaire entraîne en cinq ans un taux de mortalité de 100 %; pourtant, elle travaille auprès d'une collectivité qui a accès depuis huit ans à un approvisionnement sécuritaire, et qui compte 300 patients vivants.
Je crois qu'il faut prendre ces rapports avec un gros grain de sel.
La Dre Koivu affirme aussi que les comprimés d'hydromorphone provenant de votre programme d'approvisionnement sécuritaire circulaient à London avant même qu'il n'existe un marché du fentanyl illicite et que ces comprimés d'hydromorphone de votre programme ont alimenté les gangs vendant du fentanyl et les nouvelles dépendances.
Je crois vraiment que cela témoigne du manque d'expérience de la Dre Koivu auprès de cette population, parce que ce n'est pas vrai. Le fentanyl est présent à London, Ontario, depuis 2012. Il a commencé à circuler davantage de 2013 à 2015, et c'est pourquoi, en fait, nous avons mis ce programme sur pied en 2016, parce que, à ce moment‑là, le fentanyl dominait le marché des ventes d'opioïdes dans les rues de London. C'est pour cela qu'un changement était nécessaire, à ce moment‑là.
Le Dr Samuel Weiss, des Instituts de recherche en santé du Canada, a déclaré devant notre comité, le 4 décembre dernier, que, selon une étude portant sur 11 programmes d'approvisionnement sécuritaire, les mesures de soutien global sont indissociables de tout prétendu avantage de ce type de programme.
Puisque votre programme offre des mesures de soutien global, comment pouvez-vous prétendre de façon crédible qu'un approvisionnement sécuritaire en hydromorphone procure un bénéfice quelconque?
Je trouve assez amusant que l'on critique les programmes d'approvisionnement sécuritaire en disant qu'ils offrent d'excellents soins et d'excellentes mesures de soutien global, mais qu'en même temps, les données publiées dans le Journal de l'Association médicale canadienne, dont je vous ai parlé, datent d'avant le moment où nous avons reçu le financement du PUDS pour ces mesures de soutien global. Les données dont je vous ai fait part, concernant une réduction de 50 % des admissions aux urgences et des infections, et une réduction de 50 % des coûts, concernent uniquement l'approvisionnement sécuritaire en médicaments d'ordonnance. À ce moment‑là, nous n'avions pas de mesures de soutien global. Cela montre clairement...
J'aime bien M. Johns, ici présent. C'est un homme très passionné. Il a beaucoup de bonnes idées.
En fait, ma fille travaille auprès de la collectivité des sans-abri de Vancouver, et elle défend haut et fort le programme d'approvisionnement sécuritaire. Elle a des problèmes avec son père. Je ne suis pas seulement politicien. J'ai travaillé pendant près de 40 ans en soins actifs, y compris 20 ans dans une urgence de Thunder Bay, et j'ai vu ma part de surdoses.
Nous avons entendu des anecdotes des uns et des autres, mais j'aimerais avoir votre opinion sur une étude en médecine interne publiée récemment dans le JAMA, en janvier 2024, qui portait sur la politique de la Colombie-Britannique touchant l'approvisionnement sécuritaire en opioïdes et sur ses résultats au chapitre de la consommation d'opioïdes. L'étude a établi que, après que la Colombie-Britannique a autorisé l'approvisionnement sécuritaire, le taux d'hospitalisation pour empoisonnement lié aux opioïdes avait augmenté de 3,2 par tranche de 100 000 personnes, ce qui est statistiquement significatif, la valeur P étant de 0,01. Les décès liés à des opioïdes toxiques n'avaient pas augmenté de façon significative. Mais ils ont augmenté, la valeur P étant de 0,26.
Les auteurs de l'article, sur la question de savoir pourquoi ces chiffres avaient augmenté, se posent les questions suivantes:
Qu'est‑ce qui pourrait expliquer l'augmentation du taux d'hospitalisation après l'entrée en vigueur de la politique? Une raison possible, c'est que les participants au programme d'approvisionnement sécuritaire en opioïdes de la Colombie-Britannique ont détourné les opioïdes ainsi obtenus pour diverses raisons, y compris pour acheter du fentanyl non réglementé. Il est aussi possible que l'augmentation de l'approvisionnement en opioïdes sur ordonnance a entraîné une augmentation des mauvaises utilisations des opioïdes d'ordonnance, ce qui, par ricochet, pourrait augmenter les risques d'hospitalisation.
L'approvisionnement sécuritaire ne semble donc pas vraiment positif. Pourriez-vous commenter cet article, s'il vous plaît?
Les auteurs de cet article du JAMA semblent ne pas différencier la corrélation et la causalité. Nous savons qu'environ 4 500 personnes ont accès à un approvisionnement sécuritaire, en Colombie-Britannique, mais nous savons aussi que plus de 225 000 personnes ont reçu un diagnostic de trouble lié à la consommation d'opioïdes et utilisent du fentanyl acheté sur la rue. Penser que 5 000 personnes peuvent entraîner un effet sur la population, lorsque le dénominateur est de 225 000 personnes, ce n'est pas raisonnable. L'approvisionnement sécuritaire n'équivaut pas à un volume suffisant pour que l'on puisse obtenir cet effet. Il ne faut pas non plus oublier que plus de 90 % des ordonnances d'hydromorphone, en Colombie-Britannique, visent des patients qui ont une douleur chronique, non pas des patients du programme d'approvisionnement sécuritaire. Ces derniers représentent moins de 10 %.
Si les surdoses mortelles ont tant augmenté, en Colombie-Britannique, c'est en fait parce que la variabilité de l'approvisionnement a augmenté. Pendant la période visée, des benzodiazépines et de la xylazine se sont ajoutées aux drogues toxiques. Si les gens meurent, c'est que le fentanyl qu'ils consomment est plus dangereux.
Permettez-moi toutefois de souligner que, dans cette étude, ils ont aussi comparé les taux de mortalité de la Colombie-Britannique et du Manitoba et d'autres provinces — la Nouvelle-Écosse, je crois, et la Saskatchewan — et de divers autres endroits où il n'y a pas de programmes d'approvisionnement sécuritaire. Ils ont examiné les taux pour une même période en se demandant si cela avait un lien avec une offre de fentanyl moins sécuritaire. Pourtant, c'est en Colombie-Britannique que le taux a le plus augmenté. Bien sûr, on ne peut pas prouver le lien de causalité, mais cela signale certainement qu'il y a un problème, ce que les auteurs ont bien sûr souligné.
Auriez-vous l'obligeance de me transmettre ces données? Vous dites qu'il y a beaucoup de données sur le recours à un approvisionnement sécuritaire et sur l'utilité de celui‑ci.
Voilà les données dont je dispose, je les ai toutes sous les yeux. Je les ai étudiées.
Un des meilleurs articles, selon moi, a été publié par le journal de médecine britannique, le BMJ, en 2023, et il est signé Slaunwhite. Je pourrais vous en parler davantage. Je crois pouvoir relever certains problèmes dans cet article.
Il y a aussi un article publié en 2022 par le Journal de l'Association médicale canadienne et qui porte sur London. Comme il a déjà été souligné, il ne s'agit pas seulement d'offrir un accès à un approvisionnement sécuritaire. Il faut en parallèle offrir un soutien social et en santé global.
J'ai consulté les autres études qui fournissent des « données probantes ». On y trouve surtout un ramassis d'anecdotes. Les auteurs ont discuté avec des gens qui avaient accès à un approvisionnement sécuritaire et qui disaient: « Oui, je me sens mieux avec un approvisionnement sécuritaire. » Mais il ne s'agit pas là de bonnes données probantes, pas exactement. Une bonne partie des autres études — l'étude andalouse et toutes les études sur le traitement à l'aide d'héroïne supposaient toutes des traitements sous observation directe, c'est‑à‑dire dont les patients ne rentraient pas chez eux les poches pleines de narcotiques.
Si vous le pouvez, envoyez-moi s'il vous plaît ces données probantes.
Enfin, s'il me reste encore du temps, j'aimerais avoir vos commentaires. Nous avons reçu ici le président de la Commission Stanford-Lancet, qui s'opposait à l'approvisionnement sécuritaire. Son raisonnement est le suivant: pourquoi faisons-nous face à ce problème, pour commencer? C'est parce que nous, les médecins, avons trop prescrit de narcotiques. Et selon les données recueillies, la personne qui se voit prescrire ces médicaments n'est pas toujours la personne qui va les consommer; il s'agit souvent de quelqu'un d'autre, d'un autre membre de sa famille, de quelqu'un qui l'achète sur la rue. Voilà la source. Que répondez-vous à cette affirmation, selon laquelle nous ne ferons que refaire la même chose en donnant accès à un approvisionnement sécuritaire?
Monsieur Powlowski, je suis bien heureux de vous entendre parler de science avec vous-même. Toutefois, nous n'avons malheureusement plus de temps. Peut-être que votre collègue, Mme Sidhu, pourrait poser cette question en votre nom. Je suis désolé.
Madame Goodridge, vous avez la parole pour cinq minutes, s'il vous plaît.
Tout à fait. Il y a beaucoup à dire. Je vais faire de mon mieux pour me souvenir de tous les sujets qui ont été abordés.
Je crois que vous avez parlé pour commencer de l'étude du JAMA. Vous avez parlé d'une comparaison entre la Colombie-Britannique et le Manitoba et la Saskatchewan. L'offre de drogues illicites varie énormément. En Ontario, les comprimés de fentanyl comprennent en moyenne 5 % de fentanyl. En Colombie-Britannique, la teneur est de 16 à 20 %, ce qui fait que la situation en Colombie-Britannique est unique. Les groupes de patients ne sont pas directement comparables puisque le fentanyl vendu en Colombie-Britannique est au moins quatre fois plus puissant que ce que consomment les gens au Manitoba et en Saskatchewan. Je crois qu'il est facile de comprendre que, si un produit est plus toxique dans une province donnée, il y aura une plus grande proportion de décès dans cette province que si le produit était moins toxique.
Une chose me fait vraiment peur, en tant que mère et en tant que citoyenne d'une collectivité touchée par la toxicomanie — comme tant de personnes parmi nous —, c'est que, quand les gens entendent l'expression « approvisionnement sécuritaire », ils pensent que c'est sécuritaire, d'une façon ou d'une autre, ce qui me ramène à ce que M. Powlowski a dit sur le fait que cela découle en bonne partie de la surprescription des opioïdes. C'est aujourd'hui un outil de marketing, un terme de marketing, cette étiquette de « approvisionnement sécuritaire ». Auriez-vous une autre expression à proposer?
L'expression « approvisionnement sécuritaire » vient en fait de la collectivité des consommateurs de drogues, et c'est en reconnaissance de leur participation que nous utilisons l'expression qu'ils veulent qu'on utilise.
De toute façon, peu importe qu'on utilise les mots « sécuritaire », « plus sécuritaire » ou « gestion des opioïdes », tous les gens qui ont accès à un approvisionnement sécuritaire en médicaments d'ordonnance reçoivent des conseils exhaustifs sur les avantages, les préjudices potentiels et les risques potentiels. Cela fait partie de la procédure normale de consentement, et nous...
Les études censées attester les bienfaits de l'approvisionnement sécuritaire sont fondées sur des questionnaires remplis par des patients à qui on a prescrit un approvisionnement sécuritaire. Ne diriez-vous pas que ces études sont anecdotiques?
Ce ne sont pas des études anecdotiques; ce sont des études qualitatives, et elles sont très répandues en science et en médecine; elles ne sont certainement pas uniques aux enquêtes sur l'approvisionnement sécuritaire.
Une chose que je trouve, disons, ironique, c'est que même si cela fait huit ans que les libéraux sont au pouvoir et huit ans que votre clinique a ouvert ses portes, il semble que la seule chose dont le prix ait baissé au Canada, ce sont les comprimés d'hydromorphone. D'ailleurs, la Dre Sharon Koivu a même dit que le prix d'un comprimé d'hydromorphone était passé d'environ 20 $ à London à 2 $ par comprimé. Ne diriez-vous pas que cela montre qu'il y a clairement un détournement qui se produit en masse à London?
Peut-être, ou peut-être pas. Le prix du fentanyl a aussi chuté considérablement.
En 2016, quand nous avons ouvert, un dixième de gramme de fentanyl se vendait entre 40 et 50 $. Aujourd'hui, cela vaut peut-être 10 $ et souvent moins. Vous pouvez acheter du fentanyl en gros, comme au Costco où les gens ont de meilleurs prix quand ils achètent en plus grande quantité. En réalité, le prix de toutes les drogues de rue a baissé.
Dites-nous pourquoi votre clinique ne fait pas plus d'efforts pour prévenir les détournements? Il y a tant de... Je sais que vous allez dire que ce sont des anecdotes, mais il y a tant d'histoires que j'ai lues, spécifiquement à propos de votre clinique, dans lesquelles on vous nommait, au sujet de flacons de pilules remplis d'hydromorphone qui sont vendus, et les gens croient que c'est sécuritaire.
Peut-être que les pilules proviennent d'ailleurs. Elles proviennent peut-être d'un grand méchant cartel, qui les fabrique et qui les met ensuite dans vos flacons. Cela n'a pas d'importance. On en trouve dans les rues de London, et votre nom est écrit dessus, et c'est ensuite vendu aux enfants.
Oui, mais je n'en suis pas la cause. Ce n'est pas ma responsabilité.
Toutes les personnes qu'on reçoit, à la clinique d'approvisionnement sécuritaire, subissent une analyse toxicologique de l'urine à chaque visite. Nous surveillons les gens de très près. Est‑ce que le système est parfait? Non, il ne l'est pas — tout comme l'analyse toxicologique de l'urine pour savoir si la personne a pris de la méthadone n'est pas un système parfait non plus —, mais nous intervenons chaque fois qu'il y a des preuves objectives montrant qu'il y a eu détournement. Nous rencontrons les patients et nous les renvoyons aux modèles d'observation, quand nous avons des preuves objectives, et nous soutenons les gens à travers tout cela.
Dans votre modèle d'observation, disons que l'analyse de l'urine d'une personne montre qu'elle a pris une autre drogue que de l'hydromorphone, quel genre de discussion aurez-vous avec elle?
À dire vrai, nos patients sont très reconnaissants quand nous leur donnons les résultats, parce qu'en fait, nous leur résumons leur analyse toxicologique de l'urine. Quand les gens fournissent un échantillon d'urine, ils savent qu'ils vont fournir de l'information à leur collectivité à propos de ce qui est présent dans les drogues en circulation. Cela nous aide à savoir quels analogues ces gens ont pris.
Si vous voulez savoir si ces personnes continuent de recevoir un approvisionnement sécuritaire, la réponse est bien sûr. Nos interventions visent à réduire ou à cesser la consommation.
Docteure Sereda, pouvez-vous me dire comment nous pouvons garder les Canadiens et les Canadiennes en sécurité et pouvez-vous nous parler de l'importance de mener des études et d'adopter une approche fondée sur les données, pour éviter de se fonder sur de la mésinformation? Pouvez-vous nous parler davantage de cela?
Je pense que si j'avais la réponse à votre question, cela couperait court à la moitié de la discussion que nous avons aujourd'hui.
Comment empêcher la mésinformation? Je l'ignore. C'est tellement plus facile de répandre de la mésinformation et de la désinformation que de les réfuter avec la vérité. C'est très facile d'inventer quoi que ce soit, mais c'est réellement plus difficile de faire le travail et de montrer, à l'aide d'études, quelle est la réalité dans le vrai monde.
Notre groupe et les cliniciens des programmes d'approvisionnement sécuritaire travaillent, de manière robuste et continue, à générer des données et des études. Il y a de multiples études en cours sur le détournement, parce que nous savons que c'est une préoccupation qui est soulevée, et nous étudions effectivement ce problème, mais il faut laisser du temps à la science. Il faut plus que quelques semaines ou mois pour produire des études de bonne qualité, mais ces études sont en cours. C'est l'une des raisons pour lesquelles c'est difficile d'avoir toujours une longueur d'avance sur les campagnes de mésinformation.
Je le répète: je pourrais inventer n'importe quoi et envoyer un gazouillis ou le publier dans les médias. Cela ne me prendrait que 10 minutes ou une demi-heure. Combien de temps faut‑il pour inventer quelque chose? Mais lorsqu'il s'agit de faire de vraies études, de montrer la vérité sur le terrain, cela prend du temps, de l'expertise et de la détermination, mais tous les cliniciens des programmes d'approvisionnement sécuritaire, y compris mon programme et moi, se sont engagés à le faire.
Vous avez parlé de stigmatisation. La stigmatisation est un facteur très réel. À l'égard du débat en cours et aussi en réaction à la crise, comment devrions-nous, selon vous, combattre la stigmatisation? Pouvez-vous nous donner quelques exemples pour nous montrer comment la divulgation de ce problème peut augmenter la stigmatisation des gens qui souffrent déjà dans la collectivité?
Dans les deux histoires de patientes que j'ai racontées au début de la réunion, j'ai parlé de deux femmes, l'une qui avait le VIH et ce qui était considéré comme le sida en phase palliative, et on a refusé à l'autre le remplacement d'une valve cardiaque parce qu'elle consommait de la drogue. Ce sont des exemples de stigmatisation en action. Le système médical tenait pour acquis que ces deux femmes allaient mourir, que c'était leur destin. Cependant, quand nous leur avons offert une intervention pour stabiliser leur consommation de substance — dans leur cas, l'approvisionnement sécuritaire —, ces femmes ont survécu. Elles ont subi des opérations et ont pris des médicaments pour le sida, et maintenant elles s'épanouissent; elles vont très bien.
Ce sont des exemples où la stigmatisation a presque tué ces femmes. La stigmatisation tue beaucoup plus de personnes dont notre équipe n'entend jamais parler, auprès de qui nous ne pouvons pas intervenir et dont nous ne sommes pas au courant. C'est le genre d'histoire qui me brise le cœur, parce que nos patients nous racontent chaque jour qu'ils ont eu des amis qui ont traversé ces épreuves, mais qui n'avaient pas d'équipe pour les soutenir.
On a beaucoup parlé du détournement, aujourd'hui. C'est un enjeu crucial, et nous l'abordons, mais la prémisse sous-jacente à bon nombre des questions qui sont posées est que les consommateurs de drogue ne sont pas dignes de confiance; qu'ils sont de dangereux criminels qui cherchent à vendre leurs médicaments à des enfants ou à d'autres, et qui veulent faire du profit avec les médicaments qu'ils reçoivent.
Lorsque ces suppositions sont le point de départ des discussions, c'est aussi de la stigmatisation en action. La stigmatisation qui vient de nos suppositions à propos des toxicomanes limite notre capacité de réagir à la crise rapidement. Cela limite aussi notre capacité de réagir à la crise avec de l'information fondée sur des études. Pour répondre à votre première question, nous passons tant de temps à répondre aux campagnes de désinformation que cela mine notre capacité de donner des soins cliniques directement et de réaliser les études dont nous avons besoin pour sauver des vies.
Pouvez-vous nous parler davantage de l'importance d'adopter un modèle de soin intégré et global, qui tient compte des déterminants sociaux? Comment ce modèle, spécifiquement, mobilise‑t‑il davantage de gens qui sont prêts à la réadaptation?
Je pense qu'on a mentionné deux ou trois fois l'article paru dans le Journal de l'Association médicale canadienne. J'aimerais réitérer que la conclusion de l'article était une réduction de 50 % des résultats médicaux défavorables et une réduction de 50 % des coûts, simplement grâce à une prescription d'approvisionnement sécuritaire.
Depuis, nous avons été capables d'ajouter des soins complets. D'après mon expérience, nous voyons que les gens s'en sortent beaucoup mieux. Il y a un plafond de verre, qui limite à quel point je peux aider les gens quand ils sont sans-abri. Nous les aidons à trouver un logement. Il y a un plafond de verre quand les gens dépendent de l'aide sociale et n'ont pas assez d'argent pour se nourrir. Nous donnons aux gens une sécurité alimentaire. Je pourrais continuer ainsi longtemps.
Nous prévoyons refaire l'étude pour examiner les effets des soins complets sur les gens qui ont accès à un approvisionnement sécuritaire — pas seulement une prescription, mais tout le programme —, et nous nous attendons à ce que l'étude démontre des résultats encore meilleurs, parce que c'est ce que nous voyons chaque jour, chez les gens que nous servons.
Dans votre présentation, maître Letellier de St‑Just, vous avez indiqué que la période allant de 2005 jusqu'à la mise en œuvre des programmes avait pavé la voie à la crise d'aujourd'hui. Pouvez-vous nous en dire un peu plus là-dessus?
En fait, c'était très clair. On ne peut pas accuser le gouvernement de l'époque d'avoir menti à la population. Ça faisait partie de son programme électoral, qui voulait justement resserrer les règles du droit criminel et de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances pour imposer des sentences minimales pour les causes reliées aux drogues.
Je me souviens très bien de la cause Insite, en 2011, à Vancouver, qui a abouti ici, à la Cour suprême du Canada. J'étais un des procureurs d'une coalition internationale devant la Cour suprême. On refusait de renouveler l'exemption du centre d’injection supervisée Insite qui était, à l'époque, le seul site de consommation supervisée. Aujourd'hui, nous en avons trente.
Des politiques de ce genre ont donc exacerbé la crise en retirant la réduction des risques de la Stratégie canadienne sur les drogues et autres substances. C'est la lacune majeure et c'est la raison principale de l'aggravation. En misant d'abord et avant tout sur l'application de la loi, on a resserré les peines d'emprisonnement et on a rempli nos prisons. La loi découlant du projet de loi C‑5, qui a été adopté en novembre 2022, confirme qu'il y a une surreprésentation de personnes autochtones et racisées dans nos milieux carcéraux. La raison en est qu'on a enfermé, emprisonné et sanctionné des gens pour des infractions mineures qui, pour la majorité d'entre elles, n'avaient aucun impact sur la sécurité publique.
Cette attitude est une attitude archaïque, et c'est une interprétation fausse des conventions internationales. Quand vous avez l'Organisation mondiale de la santé, quand vous avez le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, quand vous avez l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime qui viennent nous dire qu'il faut aller vers la décriminalisation, qu'il faut respecter une approche de santé publique, et respecter les droits de la personne, c'est assez clair. C'est le mouvement actuel.
Il est clair qu'en resserrant les règles autour de l'application sévère de la loi entre 2005 et 2015, on a raté notre coup. Est-ce qu'il faut revenir à ça? De grâce, n'allez pas là.
Je suis très content d'entendre tout le monde assis à la table dire qu'il n'y a aucune solution unique pour lutter contre ce problème. Nous savons que c'est un enjeu complexe, et que nous aurons besoin d'une action complète.
J'aimerais revenir aux allégations faites relativement à l'approvisionnement sécuritaire, parce que nous savons que le taux de décès liés aux surdoses en Colombie-Britannique a augmenté de 5 %. C'est terrible. En Ontario, c'est 6,8 %. Il s'agit des deux provinces qui offrent des programmes d'approvisionnement sécuritaire. Mais nous avons vu les taux de décès en Alberta bondir de 23 %. Cela avait diminué en Saskatchewan, avant de bondir à nouveau de 32 % l'année dernière. Dans 30 États des États-Unis selon les données que nous avons, les taux ont doublé de 2019 à 2021. Le taux de décès à Baltimore est quatre fois plus élevé que celui à Vancouver. Le taux a doublé à Philadelphie. Il est aussi plus élevé à Washington et à Milwaukee. Tous ces endroits n'offrent pas d'approvisionnement sécuritaire.
Docteure Sereda, quand vous entendez des gens dire que l'approvisionnement sécuritaire est la cause de la crise et que c'est à cause de cela que les taux de décès ont augmenté, mais qu'ensuite vous entendez les chiffres dans les endroits où il n'y a pas d'approvisionnement sécuritaire... Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ce n'est pas fondé sur des faits et comment ces commentaires anecdotiques portent préjudice aux collectivités? Vous avez une minute et 20 secondes, et vous pouvez ajouter tout ce que vous désirez.
Oui, cela me fâche un peu, pour être complètement honnête, parce que c'est tout simplement impossible que ce soit l'approvisionnement sécuritaire qui soit la cause de ces décès. C'est impossible, vu le nombre de gens qui en reçoivent, en comparaison du nombre de gens qui consomment de la drogue et du nombre de décès.
Vous avez tout à fait raison de dire que, dans les provinces canadiennes qui offrent des programmes robustes de réduction des méfaits — pas juste l'approvisionnement sécuritaire, mais des programmes robustes de réduction des méfaits —, il y a moins de décès, comme nous l'avons constaté dans les provinces qui ont adopté tout le continuum d'approches de traitement, comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire.
Cela me fend le cœur de voir ce qui se passe dans ces autres villes, parce que cela veut dire qu'il y a quatre fois plus de familles qui perdent des êtres chers. Cela veut dire qu'il y a quatre ou cinq ou huit fois plus d'enfants sans leurs parents ou de parents sans leurs enfants.
Selon vous, qu'est‑ce qui doit être fait? Nous entendons dire que 1,8 % des gens qui consomment quotidiennement en Colombie-Britannique — 225 000 personnes — ont accès à l'approvisionnement sécuritaire. Quelles sont les interventions nécessaires, devant cette crise de santé?
Juste pour que ce soit clair, il n'y a pas 225 000 personnes qui reçoivent l'approvisionnement sécuritaire. C'est 4 500 personnes sur 225 000 qui y ont accès.
Pour ce qui est de contrôler la crise... Ce n'est pas seulement que la situation nous a échappé; nous avons énormément de retard, et nous essayons simplement de rattraper le temps perdu. Nous avons besoin...
J'ai cependant de bonnes nouvelles pour vous, monsieur Johns — parce que je suis un président bienveillant —, il y aura deux autres tours pour les conservateurs, deux autres pour les libéraux et un de plus pour chacun de vous; de bonnes nouvelles.
C'est maintenant au tour de Mme Goodridge, qui aura la parole pour cinq minutes.
Docteure Sereda, une série de lettres a été publiée récemment, de la part de certains des plus éminents médecins du Canada spécialisés en dépendance, dans lesquelles ils exprimaient leurs préoccupations à l'égard de l'approvisionnement sécuritaire. Ne prenez-vous pas ce qu'ils disent au sérieux?
Tout d'abord, ces médecins se décrivent eux-mêmes comme d'éminents spécialistes de la dépendance. Il y a 30 personnes qui ont signé cette lettre.
Il y a une autre lettre qui a été signée par 130 experts en toxicomanie, pour appuyer l'approvisionnement sécuritaire. Cette lettre a beaucoup moins attiré l'attention, mais nous devons la prendre au sérieux.
C'est quelque chose qui me frustre. Je pense aussi que cette information est extrêmement préjudiciable. La crise de la dépendance est quelque chose d'incroyablement troublant. Dans ma province natale, il y a chaque jour cinq morts liées à la dépendance. Ce n'est pas rien. Ce n'est pas quelque chose que je prends à la légère.
Je ne pense pas qu'offrir plus de drogues va d'une façon ou d'une autre régler le problème. Si c'était le cas, plus personne ne mourrait d'alcoolisme, et pourtant, l'alcoolisme est l'une des premières causes de décès au pays.
Je vais poser ma question au Dr Rob Tanguay.
Vous avez donné, dans votre déclaration préliminaire, quelques exemples de traitement par agonistes opioïdes. Je me demandais seulement si vous pouviez expliquer davantage au Comité, avec un peu plus de détails, en quoi consiste le traitement par agonistes opioïdes et comment l'Alberta offre un accès rapide aux prescriptions de traitements par agonistes opioïdes pour les gens qui ont des problèmes de dépendance.
Je pense que, lorsque nous examinons le TAO, ou traitement par agonistes opioïdes — on appelle cela aussi traitement pour les troubles liés à l'utilisation d'opioïde — nous avons des directives fondées sur des tonnes d'études. Selon les directives, le traitement de première ligne A, c'est la buprénorphine ou la naloxone, et le traitement de première ligne B, la norme de référence, c'est la méthadone. Ces produits ne sont pas accessibles à un grand nombre de Canadiens partout au pays, ce qui est très malheureux. L'accès, c'est ce qui est le plus important. Avoir accès à ces médicaments est primordial. Encore une fois, il est très important que cela soit jumelé à des services de soutien globaux.
Une molécule, ce n'est pas un traitement. C'est un stabilisateur. C'est un début de traitement. C'est une distinction très importante. Lorsque l'on parle de traitement pour les troubles liés à l'utilisation d'opioïdes, on parle de l'utilisation de la buprénorphine, de la méthadone, de la morphine à libération lente prise par voie orale ou de n'importe quelle molécule que nous avons. L'objectif, c'est de stabiliser la personne afin de pouvoir comprendre pourquoi elle est toxicomane. Cela pourrait être notamment dû à un problème mental ou à un traumatisme. Beaucoup de raisons sont possibles. La douleur chronique en est une.
Je suis chanceux de travailler sur plusieurs dossiers avec Mme Hudspith en tant que coprésident de la stratégie de la gestion de la douleur de l'Alberta. Il faut souligner que notre programme virtuel de gestion de la douleur va de pair avec notre programme virtuel destiné aux troubles liés à l'utilisation d'opioïdes pour composer avec ces problèmes.
Encore une fois, dans le domaine médical, on veut qualifier la dépendance de trouble de santé; ce n'est pas une question de défense ou d'autre chose. En réalité, on ne semble pas se concentrer sur les données ici.
Franchement, je suis politicienne. Je ne pense pas que ce soit à moi d'établir la politique liée à ces traitements. Je crois que nous devons nous fonder sur ce que disent les preuves médicales et les données examinées par les pairs.
À la fin de notre étude, nous présenterons un rapport au Parlement. Que recommanderiez-vous en ce qui concerne les traitements par agonistes opioïdes et peut-être la possibilité d'y accéder davantage?
Oui, eh bien, vous avez mis le doigt dessus: les traitements devraient être plus accessibles.
Nous avons parlé de la crise des opioïdes et de la façon dont nous en sommes arrivés là: c'est parce qu'il y a eu un détournement des ordonnances d'opioïdes. Nous en avons trop prescrit. Le problème n'a jamais été les gens qui recevaient une ordonnance d'opioïdes et qui les prenaient. C'était plutôt — et cela a été mentionné — les membres de la famille et des amis, ou, des gens qui, pour d'autres raisons, détournaient leur utilisation. C'est ça qui a entraîné des problèmes.
Nous avons entendu parler de la corrélation par rapport à la causalité. Le coefficient de corrélation — qui a été publié — entre le nombre d'ordonnances d'opioïdes et la mort est de 0,99. Une corrélation parfaite qui peut entraîner une causalité est 1. Nous savons que plus nous prescrivons ces substances, ou plus nous donnons accès à une substance qui peut causer des torts, plus cette substance est dangereuse. C'est un simple fait connu de la santé publique. Quiconque travaille dans ce domaine le sait. C'est pourquoi un grand nombre de mes collègues s'insurgent. Ce n'est pas une question de molécule. Ça tient au fait que nous ne prenons pas le temps de nous assurer que la molécule n'est pas détournée et qu'elle n'est pas dangereuse.
Merci, docteur Tanguay. Je prends note de votre intervention.
Madame Goodridge, merci.
À des fins de clarté, j'aimerais préciser que ce sera au tour de M. Jowhari, puis à celui de M. Thériault et à M. Johns, et nous reviendrons aux conservateurs, avant de terminer avec les libéraux pour être équitables.
Monsieur Jowhari, c'est à vous; vous disposez de cinq minutes. Allez‑y.
J'aimerais remercier tous les témoins d'être si bien préparés et d'accomplir le travail qu'ils font.
Docteure Serada, j'aimerais commencer par vous.
Vous avez dit quelque chose — j'espère que je l'ai bien noté — et j'aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet. Vous avez dit que le détournement est un symptôme de besoins non comblés dans la communauté. Puis, en répondant à une autre question, vous avez parlé de cela et dit que vous aimeriez vraiment avoir l'occasion de parler de certains protocoles de prévention du détournement que vous appliquez dans votre pratique.
Pouvez-vous préciser ce que vous voulez dire par « besoins non comblés dans la communauté », dans la mesure où j'ai bien compris?
Oui, il y a un besoin non comblé. Comme il y a un nombre de places limitées dans nos programmes d'approvisionnement sécuritaire, cela fait en sorte qu'il y a beaucoup de mouvement entre le nombre de personnes qui peuvent bénéficier du programme, et ceux qui ne peuvent pas, si je peux m'exprimer ainsi. La littérature nous a appris que la méthadone est aussi détournée partout en raison de ce besoin auquel on ne répond pas. Quand on lit cette recherche sur la méthadone, on apprend que les gens distribuent ce produit à leurs amis et aux membres de leur famille qui sont en sevrage, qui viennent peut-être juste de faire une surdose ou qui tentent seulement d'arrêter de consommer du fentanyl. La recherche est très claire à ce sujet.
C'est ce que nous voyons dans les rues: les gens se servent aussi de l'approvisionnement sécuritaire. Ils « détourneront » — et j'aimerais mettre cela entre guillemets — le produit en le donnant à leur conjoint qui est gravement en manque ou à leur colocataire qui vient de faire une surdose. Les gens agissent ainsi par amour et compassion, donc je crois que c'est très important de faire attention à l'aspect de « moralité » qui connote le mot « détournement ». Lorsque je parle de « moralité », cela veut‑il dire que les gens ne vendent pas le produit? Ce n'est pas ce que je dis ici. Je dis seulement que nous ne regardons pas le problème dans tout son contexte parce que nous stigmatisons les gens qui se droguent. Nous présumons toujours qu'ils font quelque chose de mal, alors que les recherches montrent en fait qu'ils ont un geste d'amour envers les personnes qui les entourent.
Vous m'avez demandé d'en dire plus sur les protocoles de prévention du détournement, et j'ai effectivement parlé de cela à Mme Goodridge. Comme je l'ai dit, chaque personne qui suit mon programme se soumet à des analyses toxicologiques de l'urine tous les jours qu'elle vient me voir, ce qui veut dire que, pour la plupart de mes patients, c'est une fois par semaine. Nous surveillons ces analyses toxicologiques et nous les faisons toujours de façon séquentielle parce que nous savons qu'il peut y avoir des faux négatifs. Si nous voyons que des gens n'ont pas d'hydromorphone dans leur urine, la première étape, à nos yeux, c'est en fait de parler avec les patients parce que nous avons une relation à long terme. Dans cette discussion, nous demandons: avez-vous assez de nourriture? Avez-vous un partenaire qui prend ces médicaments? Êtes-vous exposé à un risque de violence? — à l'extérieur d'une pharmacie, comme l'ont mentionné les députés conservateurs ici. Nous leur parlons des problèmes qu'ils vivent et nous tentons de les régler.
Comme je l'ai dit, nous offrons de la sécurité alimentaire et nous pouvons offrir de la planification sécuritaire. Nous aidons les femmes à quitter leur partenaire lorsque c'est nécessaire. La plupart du temps, cela règle le problème que nous appelons « détournement ». Lorsque ce n'est pas le cas...
J'aimerais aussi offrir mes condoléances. Perdre tant d'êtres chers — des amis intimes et des membres de la famille — ce doit être très dur pour vous, donc merci de continuer de défendre la cause comme vous le faites.
Docteur Tanguay, est‑ce que je comprends bien lorsque vous dites que l'ordonnance provenant d'un approvisionnement sécuritaire devrait être utilisée pour stabiliser le patient jusqu'à ce que ses autres besoins puissent être comblés dans le cadre du traitement? Est‑ce que je comprends bien?
Oui, vous avez bien compris. Toutes les ordonnances que nous prescrivons lorsqu'il y a une dépendance visent à stabiliser la personne afin de pouvoir poursuivre avec le traitement.
En tant que médecins, lorsque nous prescrivons des médicaments, nous nous assurons aussi qu'aucun préjudice n'est infligé à la communauté ou à d'autres personnes. Par exemple, l'analyse d'urine dans le cadre d'un traitement à la méthadone est quelque chose d'habituel, mais nous ne vérifions pas la présence de méthadone. Nous vérifions si le patient utilise des substances illicites. Si ce n'est pas le cas, il peut alors commencer à prendre de la méthadone chez lui, non pas juste la ramasser à la pharmacie... pas le contraire en pensant que tout le monde est parfait.
J'aimerais vous poser une autre question. À quoi ressemblerait ce traitement? En fin de compte, nous tentons de formuler des recommandations quant à la façon de gérer l'approvisionnement sécuritaire et de le compléter. Dans le peu de temps qu'il vous reste, pouvez-vous nous parler du traitement et de ce à quoi il pourrait ressembler?
C'est une approche progressive. Je pourrais faire ça toute la journée.
Tout d'abord, on stabilise les composantes biologiques de la personne puis on commence un traitement psychosocial. On traiterait entre autres les problèmes de santé mentale sous-jacents et le traumatisme, tout en incluant aussi de la formation en milieu de travail et en envisageant une façon de l'aider à retourner au travail ou à se trouver une maison et lui montrer à quoi cela pourrait ressembler. Un grand nombre de nos patients n'ont jamais vécu dans un foyer stable et n'ont jamais réalisé qu'ils pouvaient en avoir un.
L'objectif du traitement est simple: l'espoir. Notre travail est de créer...
Excusez-moi, docteur Tanguay. Je dois vous arrêter là. Excusez-moi. Comme vous l'avez dit, vous pourriez peut-être en parler toute la journée, mais nous, nous n'avons pas toute la journée.
[Français]
Monsieur Thériault, vous avez la parole pour deux minutes et demie.
Docteur Tanguay, je vais poursuivre sur cette lancée.
Quelque chose dans votre présentation, plus tôt, m'a interpellé. Vous avez parlé de la prise en charge de la personne souffrante, aux prises avec son problème de toxicomanie. Dans les faits, comment effectuez-vous cette prise en charge? Les gens ne peuvent pas simplement entreprendre une cure de désintoxication; ils doivent être très déterminés. On ne peut tout de même pas les enfermer. J'aimerais donc que vous nous parliez de votre expérience et de vos réussites.
Je peux parler de nombreux patients qui s'en sont sorti. Je ne voulais pas vraiment parler de cela.
Je pense que le concept... J'ai des patients qui ont été réembauchés à leur travail, qui se sont remis en couple avec leur partenaire. Le plus important, c'est quand vous aidez les gens à récupérer la garde de leurs enfants. Il n'y a rien de mieux que d'atteindre cet objectif dans mon travail — lorsque quelqu'un arrive et vous présente ses enfants parce que vous l'avez aidé à se rétablir.
Nous avons parlé du fait que nous devions appeler les gens. J'ai fait beaucoup de ces appels terribles. J'avais les larmes aux yeux pendant que j'étais au téléphone avec des mères et des pères, des frères et des sœurs. J'ai aussi versé des larmes de joie et été embrassé quand nous donnions le congé à des gens qui avaient réussi à s'en sortir; ils étaient avec nous depuis des années et ils nous montrent qu'ils peuvent s'en sortir et qu'ils le font.
Il faut donner de l'espoir. Il faut croire que vous pouvez — si vous le voulez — vous en sortir et régler vos troubles de santé mentale pour pouvoir reprendre votre vie en main et que vous le méritez.
C'est en partie une question d'acceptation; accepter que certaines décisions et certains aspects d'un trouble de la santé, comme la dépendance, ont aussi entraîné des problèmes et que vous devez composer avec eux.
Je crois aussi que les gens se sortent de leur dépendance puis rechutent parce que c'est une maladie chronique et complexe. Ainsi, nous devons avoir accès à du soutien et nous avons besoin de collectivités qui prendront soin des gens, de leur santé et de leur bien-être. Cela prend du temps. Il n'y a pas de réponse facile à cela.
Tout d'abord, j'aimerais remercier tous les témoins de l'important travail qu'ils font en servant nos collectivités.
Je vais m'adresser à vous, docteure Sereda. On vous a coupé la parole à quelques occasions lorsque vous avez répondu à des questions fermées. Je vais vous donner les deux prochaines minutes et demie pour que vous puissiez finir de répondre aux questions et ajouter quelque chose si vous le voulez.
J'ai pensé longtemps à ce que je voulais dire à votre comité.
Dans notre programme, en tant que cliniciens dispensant un approvisionnement sécuritaire, nous sommes témoins de tant de décès de gens qui ne peuvent pas accéder à un approvisionnement sécuritaire. Nous les connaissions, et ils nous tiennent encore à cœur. Lorsque ces gens meurent, monsieur Johns, nous devons identifier leur corps. Comme je l'ai dit, nous téléphonons à leur mère. Nous planifions leur commémoration et nous perdons le sommeil parce que nous ne savons pas qui va mourir le lendemain. Le lendemain, nous sortons du lit. Nous essuyons nos larmes et sortons de nouveau à l'extérieur. Nous nous agenouillons sur le sol sale et effectuons les manœuvres de réanimation cardiorespiratoire encore et encore. Nous faisons cela depuis huit ans.
Excusez-moi. Je conservais une liste des décès sur le mur de mon bureau parce que je ne voulais pas les oublier, mais je n'ai plus assez de place sur mon mur pour afficher tous ces papiers. Je n'ai peut-être plus assez de force pour voir cela tous les jours. J'ai enlevé la liste et l'ai rangée parce que c'était trop dur. Cependant, même cet espace vide sur le mur me parle. Il me parle des gens que nous n'avons pas pu sauver. Nous ne pouvons pas les oublier. Nous ne pouvons pas les oublier dans ces discussions rhétoriques qui se tiennent et dans la mésinformation. Ces gens sont morts, et ils ne reviendront pas. Nous avons 42 000 morts. Nous avons perdu 44 000 Canadiens pendant la Deuxième Guerre mondiale. En moins d'un an, nous allons perdre plus de Canadiens que nous n'en avons perdu au cours de toute la Deuxième Guerre mondiale.
Cette crise entraîne des tonnes de morts, et cela traumatise leurs soignants, leurs êtres chers, leur famille et leur collectivité pour toujours. Les travailleurs de la santé de première ligne travaillent sans relâche pour sauver le plus de vies possible.
Si nous ne pouvions dire qu'une chose à votre comité c'est ceci: appuyez-vous sur les preuves scientifiques et les données d'experts réelles qui vous sont présentées, et non pas sur les médias, la mésinformation, les anecdotes et les discours stigmatisants.
Je veux que vous imaginiez tous cet espace libre sur le mur de mon bureau et les noms que je ne suis plus en mesure de voir.
Merci à tous d'être présents. C'est très apprécié.
Vous savez, c'est intéressant. Ce n'est pas anecdotique que nous posions des questions ici aujourd'hui. Nous posons des questions parce que les Canadiens qui regardent veulent des réponses, puisque ce qui se passe n'aide pas les choses. Ils veulent leurs enfants à la maison, comme l'a mentionné le Dr Tanguay. Ils veulent être en mesure de voir leurs enfants. Ils veulent être capables de voir les membres de leur famille et que ceux‑ci redeviennent comme ils étaient. C'est l'information que nous entendons de nos électeurs qui ne cessent de nous le faire comprendre. Si anecdotique que cela vous paraisse, ce sont nos électeurs autour de la table qui nous donnent ces informations.
Docteur Tanguay, vous avez fait certains commentaires excellents. J'ai un certain nombre de questions pour vous.
Vous avez mentionné la prévalence des traumatismes cérébraux au cours de la vie, ce qui laisse entendre que la consommation de drogue augmente à cause de ces traumatismes. Pouvez-vous nous en dire plus à cet égard, s'il vous plaît?
Je suis désolé. Pour être clair, il s'agit de la prévalence au cours de la vie pour ce qui est des personnes vivant sans domicile... le taux de traumatismes cérébraux est très élevé.
Si on regarde la catégorie modérée à grave... 10 % des traumatismes cérébraux sont dus à des surdoses qui se sont produites dans les rues. C'est ce qui a été publié dans la littérature évaluée par les pairs. Il s'agit purement des données qui ont été publiées et examinées. Ces données révèlent à quel point ces populations sont vulnérables.
Je comprends, parce que je connais un garçon de 16 ans qui a été victime d'un délit de fuite. Sa tête a percuté le pare-brise d'un véhicule et de la matière cérébrale coulait de son oreille gauche. Il est sourd de l'oreille gauche, il a subi de multiples fractures, de nombreuses blessures au visage, etc., et il s'est assurément inquiété à de nombreuses occasions au cours de sa vie de ce qui pourrait lui arriver.
Cette situation m'est arrivée à moi. Je suis ce garçon. Cela s'est produit il y a 50 ans en mai. Heureusement, de nombreuses personnes m'ont aidé dans ces épreuves, au bout du compte.
J'aimerais parler à Mme Hudspith.
Vous avez parlé du groupe de travail canadien sur la douleur. Heureusement, au cours de ma carrière, j'ai suivi des études et j'ai pratiqué des sports pour me rendre là où je suis aujourd'hui. Quand je travaillais au Royal University Hospital à Saskatoon, j'étais avec le professeur émérite Gordon Wyant. Il était anesthésiste et a créé la clinique de la douleur à l'Université de Saskatchewan. L'une des choses dont il m'a parlé était exactement ce que vous avez soulevé, les trois points, à savoir: les dimensions pharmaceutique, psychologique et physique, et tous leurs aspects.
Je me demande si vous pouvez élaborer davantage à ce sujet.
Selon moi, il s'agit de l'un des éléments. Comme le Dr Tanguay le disait, l'approvisionnement sécuritaire doit inclure tous ces autres éléments. Fournir la médication est une chose. Nous savons que les gens ont besoin des autres aspects de la maîtrise de la douleur.
Nous avons beaucoup parlé de la question de la prescription excessive d'opioïdes pour la douleur, ce qui nous a amenés ici. Nous savons que nous ne pouvons pas nous limiter à prescrire des médicaments pour régler ce problème. Nous devons fournir des services de soutien global, des services de santé mentale, des services de lutte contre la dépendance et des services de lutte contre la douleur pour les gens qui sont à risque de faire une surdose.
Je suis particulièrement préoccupée à propos de la population de gens qui prennent des opioïdes pour gérer la douleur à long terme, puis à qui on cesse de prescrire ces médicaments et qui sont susceptibles de faire une surdose. Ils ne satisfont pas aux critères régissant l'approvisionnement sécuritaire.
Au bout du compte, ce que nous voyons et ce à quoi je faisais allusion plus tôt, c'est que les gens qui nous regardent aujourd'hui ne sont pas les toxicomanes. Les toxicomanes ne sont pas ceux qui regardent ce qui se passe. Ce sont les parents. Ce sont les familles qui nous regardent, selon les conversations que nous avons eues.
En fait, j'ai eu une discussion il y a deux jours à peine avec une de mes électrices qui parlait de son fils toxicomane. Il a été arrêté, et la police l'a vraiment aidée, mais son fils ne peut obtenir le traitement. Il ne peut pas avoir ce dont il a besoin parce qu'il ne peut pas aller dans les centres de traitement. Il a finalement reconnu qu'il avait besoin de cet aspect, au point où, quand nous avions notre discussion, il m'a crié dessus au téléphone en raison de ce qui se passait et de la démarche de sa mère. Il s'agit d'enjeux énormes.
Comment faire en sorte que les gens...? Voilà les mesures dont nous avons besoin. Je pense que vous y faites allusion, mais nous devons d'abord fournir des soins de santé à nos mandants dès le début.
Docteur Tanguay, je me demandais si vous aviez des propositions. Que pouvons-nous faire différemment pour améliorer la situation?
Nous devons bien examiner la Loi canadienne sur la santé. La Loi canadienne sur la santé ne finance pas et n'inclut pas les soins interdisciplinaires pour ceux qui en ont le plus besoin. Elle n'inclut pas les soins pour les maladies chroniques et complexes. Elle n'inclut pas la physiothérapie. Ni la psychologie. Pas plus que l'ergothérapie. Elle n'inclut pas tous les services paramédicaux. Les provinces s'en occupent en prenant leurs propres décisions et de leur propre chef. Ce n'est pas couvert par la Loi canadienne sur la santé.
Tout simplement, tout ce que nous voulons accomplir, nous ne le pouvons pas parce que notre loi sur la santé ne nous le permet pas.
Merci encore à vous tous de vos contributions très précieuses.
Je vais tenter d'être bref pour chacun de vous.
Madame Hudspith, je ne vais probablement pas vous poser de question, mais nous avons laissé une question sans réponse. Je me demandais si vous pouviez soumettre quelques observations écrites concernant le rôle des soins de traitement de la douleur au sein du système de santé public, et le rôle de l'autogestion ainsi que le travail que vous avez accompli à cet égard.
Docteur Tanguay, encore une fois, merci beaucoup. Votre témoignage a été très utile.
Je sais que ce n'est pas une question rapide, mais je vais faire en sorte qu'elle le soit. Il s'agit d'offrir le traitement par agonistes opioïdes aux communautés rurales. En 30 secondes ou moins pouvez-vous nous parler de l'importance de cette démarche et de la manière dont nous pouvons en profiter le plus?
Les soins virtuels sont tout à fait primordiaux à cet égard. Nous vivons au Canada. Nous savons qu'il existe des disparités en matière de santé. Nous savons qu'une partie des disparités en matière de santé tiennent à la région habitée. Si vous vivez dans une région rurale — comme d'où je viens, un milieu rural, dans une petite ville du Sud de l'Alberta, et auparavant, du Nord de l'Alberta — où vous devez conduire des heures simplement pour voir un médecin, les soins de santé virtuels sont sans aucun doute une manière de combler cet écart et de simplifier les choses.
Bien sûr, il faut travailler avec les pharmacies. Quand j'ai commencé le traitement, le fentanyl était dispensé sous forme d'un petit comprimé vert, un « 80 louche » ou un faux comprimé d'oxycodone 80. Ce n'était jamais autre chose. C'est là qu'on comprend mieux l'analogie du biscuit. Il n'était pas possible d'obtenir d'un pharmacien qu'il prescrive de la suboxone sauf sous une forme très spécifique. Aujourd'hui vous pouvez aller chez Safeway, chez Superstore. Je vais avoir des ennuis si je cite des noms de sociétés, mais vous pouvez aller n'importe où.
Je vais vous interrompre, docteur Tanguay, mais tout ce que vous pouvez nous fournir par écrit serait grandement apprécié.
Puisque nous nous concentrons sur la réponse du gouvernement fédéral, pouvez-vous me dire une chose que nous devrions faire davantage et que nous pouvons faire davantage en tant que gouvernement fédéral pour régler l'ampleur de cette crise?
Oui. il est temps pour nous de vraiment intervenir et de décider si nous allons prendre soin de nos personnes plus vulnérables ou non. Cela signifie qu'il faut nous pencher sur la Loi canadienne sur la santé et décider si nous allons couvrir les soins interdisciplinaires ou non. Il est vraiment temps d'examiner cet aspect. Si nous allons couvrir les soins interdisciplinaires, cela veut dire prendre soin des personnes les plus vulnérables avec leurs maladies complexes et difficiles, ensuite arrêter la manière dont nous allons le faire, de sorte qu'ils n'aient pas besoin d'accéder à de petits centres d'excellence qui sont presque complètement inaccessibles.
Docteure Sereda, je vais vous poser la question. Selon moi, ce que j'ai entendu, c'est qu'il existe bien plus de points communs entre le témoignage que nous avons entendu de tous les témoins au sujet du spectre d'approches dont nous avons besoin... Nous savons aussi qu'en raison du nombre de Canadiens qui meurent chaque jour, nous devons faire beaucoup plus.
En tant que pays, réagissons-nous à l'échelle nécessaire? Vous avez mentionné l'attente des approbations liées au Programme sur l'usage et les dépendances aux substances, mais quoi d'autre? Quelles sont les autres mesures concrètes que nous pouvons et devrions prendre en tant que gouvernement fédéral?
Vous avez mentionné l'accord. À mon avis, il est important que nous augmentions rapidement et de toute urgence la portée du spectre de toutes les interventions dont les gens ont besoin pour survivre à la crise. On m'a posé beaucoup de questions concernant l'approvisionnement sécuritaire aujourd'hui. Évidemment, je crois que de nombreux Canadiens pourraient rester en vie grâce à cette approche, mais nous avons également besoin d'augmenter rapidement l'accès à des médicaments traditionnels de lutte contre la dépendance comme la méthadone et la buprénorphine. Nous devons améliorer l'accès au traitement sur demande au moyen de traitements en établissement, si c'est ce que les gens souhaitent.
En tant que pays, que devons-nous faire maintenant? Nous devons arrêter de blâmer les personnes qui meurent du fait qu'ils sont en train de mourir. Nous devons cesser de stigmatiser les gens qui consomment de la drogue, parce que cela nuit directement à toute forme de réponse que nous pourrions avoir en cas d'urgence. Nous devons mettre fin à toute cette stigmatisation et cette marginalisation et nous concentrer à sauver des vies.
Je dispose de quelques secondes de plus. Pouvez-vous brièvement faire la distinction pour nous entre l'anecdote et la recherche qualitative? Vous avez souligné cela brièvement.
La recherche qualitative est effectuée par des universitaires et des chercheurs chevronnés qui ont été formés à utiliser des méthodologies qualitatives. Ces choses passent par des comités chargés d'examiner les aspects déontologiques. Les méthodologies sont examinées et font l'objet d'un suivi étroit.
L'anecdote est différente. L'anecdote consiste à demander à une personne ce qui est arrivé sans la soumettre à la moindre forme d'évaluation critique. Il n'y a pas la moindre évaluation éthique pour déterminer l'impact des informations que vous recherchez sur la collectivité d'une personne. Elle ne fait pas l'objet d'une évaluation par les pairs, ce qui est le cas de toutes les recherches qualitatives.
L'anecdote s'en tient simplement à la déclaration d'une personne. La recherche qualitative a une longue histoire en ce qui concerne la qualité et la description des expériences des personnes en matière de soins de santé.
Je remercie tous les témoins d'avoir pris le temps de comparaître et de partager des informations aussi précieuses avec nous aujourd'hui. Je sais qu'elles seront importantes pour nos analyses au moment où nous élaborerons un rapport pour le public canadien à l'avenir.
Chers membres, notre prochaine réunion se tiendra le jeudi 29 février; nous continuerons d'aborder l'épidémie des opioïdes et la crise des drogues toxiques au Canada. Ce n'est qu'un aperçu.
Puisque nous avons commencé tard, nous avons eu un peu de temps supplémentaire. Le Comité souhaite‑t‑il lever la séance?
Des députés: D'accord.
Le vice-président (M. Stephen Ellis): La séance est levée.