Bonsoir. Nous accusons un léger retard.
Conformément à l'ordre de référence du lundi 29 janvier 2018, le Comité poursuit son étude du projet de loi , Loi modifiant le Code canadien du travail (harcèlement et violence), la Loi sur les relations de travail au Parlement et la Loi no 1 d'exécution du budget 2017.
Aujourd'hui, le Comité entendra des témoignages concernant le milieu de travail et les ressources dont disposent les employés du Parlement du Canada. Nous accueillons, entre autres, Katherine Lippel, professeure, Chaire de recherche du Canada en droit de la santé et la sécurité du travail, Université d'Ottawa, qui témoignera à titre personnel.
Merci beaucoup d'être venue aujourd'hui.
De la Commission canadienne des droits de la personne, nous entendrons Marie-Claude Landry, présidente; et Fiona Keith, avocate-conseil principale.
Merci à toutes les deux d'être ici ce soir.
Nos témoins suivants ne sont pas encore ici, mais nous espérons qu'ils arriveront bientôt. Je vais simplement continuer. De Rubin Thomlinson LLP, nous recevons Christine Thomlinson, cofondatrice et coassociée directrice générale, ainsi que Jennifer White, enquêteure et formatrice.
Merci à toutes les deux d'être ici aujourd'hui.
Nous allons donner à chaque organisme sept minutes pour faire leurs présentations et salutations. Espérons que d'ici là, nos deux autres témoins seront arrivés. Ensuite, bien sûr, nous terminerons la soirée par une série de questions.
Nous entendrons d'abord le témoignage de Katherine Lippel, professeure, Chaire de recherche du Canada en droit de la santé et la sécurité du travail, Université d'Ottawa.
Les sept prochaines minutes sont à vous.
:
Merci beaucoup, et merci de m’avoir invitée. Il ne s’agit pas d’une initiative personnelle, mais bien d’une invitation, dont je me réjouis vraiment. Comme le président l’a dit, j’ai apporté un mémoire dans les deux langues officielles. La greffière pourra vous le distribuer.
Je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de la santé et de la sécurité du travail à l'Université d'Ottawa, et ce, depuis 2006. Je suis membre du Barreau du Québec depuis 1978 et j’ai été professeure de droit à l’Université du Québec à Montréal entre 1982 et 2006.
Ma participation aux efforts de l’Organisation internationale du Travail, qui tient actuellement des débats relatifs à une convention sur la violence au travail, est plus pertinente dans le contexte des travaux du présent comité. Le bureau chargé de l’égalité des genres à l’OIT m’a invitée à rédiger un document pour alimenter ses discussions — vous en avez la référence dans votre documentation. Il donne un survol de ce qui se passe, premièrement en ce qui touche les définitions de la violence au travail et, ensuite, en ce qui touche les différentes stratégies réglementaires dans le monde. Pendant mon allocution, je n'essaierai pas de vous en faire une synthèse mais, si vous êtes intéressés, vous avez le document de l’OIT qui est publié par l’organisation même.
J’ai sept points à soulever pendant mes sept minutes, et je n'aurai peut-être pas besoin d'autant de temps. Ils vous sont expliqués en détail dans le mémoire.
Premièrement, je tiens à applaudir à l’inclusion explicite, à l’article 122.1 du Code canadien du travail et dans la partie 1 du projet de loi , de la prévention des blessures et des maladies psychologiques. J'estime que c’est louable. Je ne pense pas fondamentalement que cela représente une modification de la loi, mais je crois que c’est très pédagogique, en ce sens que cela permettra d’éviter des litiges.
Je vous prierais de ne pas l’éliminer, car vous allez embaucher beaucoup d’avocats… J’adore former des avocats, mais si je pouvais les former à faire quelque chose de plus utile, il serait peut-être préférable que vous éliminiez cette ambiguïté. Je vous félicite de le faire dans ce projet de loi.
Deuxièmement, et je comprends complètement pourquoi il peut être intéressant de ne pas définir le harcèlement, mais l’absence d’une définition me préoccupe, et je vais vous dire pourquoi. Je pense qu’elle entraînera bien des litiges. La version actuelle du projet de loi pourrait rendre cette mesure législative plus vulnérable à une modification rapide si un règlement devait être pris contre le gré des parlementaires qui l’ont adoptée, car vous ne contrôlez pas ce qui arrive deux, trois ou quatre ans plus tard.
Je ne vais pas vous donner de définition, bien que je sois ravie de répondre à des questions à ce sujet. Je dirais simplement que, au minimum, vous devriez pouvoir assurer que le projet de loi contienne une définition générale et ouverte qui englobe explicitement le harcèlement psychologique, le harcèlement sexuel ainsi que d’autres types de harcèlement discriminatoire.
Je sais aussi que la cyberintimidation est une question clé mais, si vous avez une définition ouverte, vous n’avez pas à en parler. Je pense que ces trois éléments au moins sont absolument essentiels dans le projet de loi en tant que tel. Le concept de la violence englobe toutes ces catégories de jargon du travail dans le rapport que j’ai rédigé pour l’OIT et dans les discussions de l’OIT. Cependant, je comprends que la pratique réglementaire ici est de ne pas les englober, et c’est bien.
Troisièmement, pour être plus efficace, le projet de loi devrait mentionner explicitement la nécessité de prêter attention aux risques psychosociaux qui sous-tendent la violence au travail. Je l’explique en détail dans le mémoire, et nous en discutons dans le document de l’OIT. Les risques psychosociaux engendrent des types de violence comme le harcèlement psychologique, le harcèlement sexuel et la violence physique au travail. La non-prévention des risques psychosociaux compliquera énormément la prévention de la violence.
Quatrièmement, l’article 5 du projet de loi C-65 propose un nouveau paragraphe 127.1(1), et suggère que nous dirigions toutes les plaintes vers le superviseur. J’ai expliqué pourquoi j’estime que c’est une mauvaise idée. Nous disposons de données de recherche, tant du fédéral que d’EQCOTESST, qui est une étude représentative de la population des travailleurs du Québec, et il en ressort très clairement que dans la majorité des cas au Canada, c’est le superviseur qui est à l’origine du harcèlement.
À la partie 2, il est judicieux d’informer le superviseur d’une fuite d’eau ou de gaz au travail — il vous faut le faire immédiatement — mais lorsqu’il est question de violence, il pourrait ne pas l’être autant de commencer par lui. Vous devez avoir de la marge de manoeuvre dans les cas où le superviseur est responsable de la violence ou du harcèlement.
Cinquièmement, l’article 6, qui modifie l’article 134.1 du Code canadien du travail et des dispositions qui s’y rapportent — et elles sont nombreuses, comme vous le savez — exclut les comités d’orientation et les représentants du syndicat des processus relatifs au harcèlement et à la violence. Sauf votre respect, j’estime que c’est une erreur.
J’avais une doctorante, Rachel Cox, qui est maintenant professeure. Elle a fait sa recherche doctorale sur l’application de la législation québécoise régissant le harcèlement psychologique dans les milieux de travail syndiqués au Québec. Elle a relevé des preuves claires qui montrent que les syndicats peuvent être des alliés à cet égard. Je pense qu’il est important d’avoir de la latitude pour faire en sorte que les cas de harcèlement ne soient pas gérés que par le comité de santé et de sécurité. Il pourrait être préférable de mettre en place un comité spécialisé, mais dans lequel les membres jouissent des mêmes protections réglementaires que leurs homologues du comité de santé et de sécurité.
J’espère que c’est clair: autrement dit, protégez-les des représailles, mais tout le monde ne veut pas entendre parler de harcèlement. Il vous faut choisir les personnes qui s’y intéressent, tant du côté du patronat que du syndicat.
En rédigeant la mesure législative, les législateurs devraient garder à l’esprit que les enjeux de genre et d’équité sous-tendent souvent les situations de violence et de harcèlement au travail. J’aborde cet aspect dans le mémoire. Si vous avez un comité spécialisé, vous pourriez souhaiter pouvoir l’adapter aux besoins précis de la population qui est touchée de façon disproportionnée par la violence et le harcèlement, y compris le harcèlement discriminatoire.
Je termine en disant qu’une mesure législative efficace devrait être élaborée pour appuyer la cible du harcèlement. J’essaie d’éviter de dire « victime », mais le but est de soutenir la victime de violence ou la cible du harcèlement, et j’estime que la mesure législative ne devrait pas chercher à réglementer la punition du harceleur. Les employeurs peuvent déjà punir les auteurs du harcèlement. Je trouve que lorsqu’une mesure législative est punitive, toutes les personnes concernées font rapidement appel à des avocats, et la victime est à nouveau victimisée. J’ai formulé des suggestions dans le mémoire sur la façon de faire en sorte que pareil projet de loi tienne davantage compte des victimes.
Merci beaucoup.
:
Bonsoir. Je vous remercie d'avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à participer à votre étude sur le projet de loi . Comme l'a mentionné le président, je suis accompagnée de Mme Fiona Keith, conseillère principale et avocate à la Commission.
Ce projet de loi est une étape positive vers la prévention du harcèlement sous toutes ses formes. Cependant, le projet de loi n'est qu'un élément dans le traitement de cet enjeu profondément ancré dans notre société. Bien que nous appuyions la création d'une réglementation proactive comme une étape importante du changement de la culture au sein de tous les milieux de travail fédéraux, nous avons des inquiétudes au sujet du processus tel qu'il est proposé.
Nous avons trois messages principaux.
Premièrement, pour mettre fin au harcèlement, et en particulier au harcèlement sexuel, les victimes doivent absolument se sentir en sécurité, habilitées et soutenues. C'est ainsi qu'elles avanceront. Toutefois, le projet de loi ne va pas assez loin à cet égard.
Deuxièmement, il faut plus de clarté. Nous sommes d'avis que trop de choses ont été laissées à la réglementation.
Troisièmement, afin de remédier au harcèlement et de permettre aux victimes d'y faire face, ces dernières doivent avoir accès aux mesures de redressement prévues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Tout nouveau processus doit être un complément, et il ne doit pas limiter ou retarder l'accès à la protection de la Loi canadienne sur les droits de la personne, une loi quasi constitutionnelle.
Peu importe le régime de divulgation proactive, là où il y a des dynamiques de pouvoir, il y aura des déséquilibres de pouvoir. Là où il y a déséquilibre, il y aura souvent harcèlement.
La Commission a plus de 40 ans d'expérience en matière de droits de la personne et de plaintes de harcèlement. Nous avons entendu maintes et maintes fois que les victimes de toutes les formes de harcèlement, notamment le harcèlement sexuel, doivent se sentir en sécurité, habilitées et soutenues. Quand il y a des déséquilibres de pouvoir en milieu de travail, tout processus peut être intimidant. Si c'est compliqué, intimidant, gênant, les victimes devront tolérer l'intolérable, et elles refuseront d'aller de l'avant.
Nous encourageons le Comité à s'assurer que le projet de loi reflète une approche où les victimes ne frappent jamais à la mauvaise porte. Il devrait être modifié pour que la loi établisse clairement qu'une victime ne sera pas obligée de s'adresser à son superviseur, comme le disait ma collègue.
La réalité est que le harcèlement implique souvent des personnes dans des postes de supervision et de gestion. Nous devons donner aux victimes de harcèlement le pouvoir de choisir où et à qui se confier. De plus, lorsqu'elles font ce choix, elles doivent savoir sans l'ombre d'u doute que leur emploi est protégé.
Il faut se demander comment la victime se sentira dans le processus proposé. Se sentira-t-elle en sécurité? Se sentira-t-elle soutenue? Se sentira-t-elle protégée? Est-ce que ce processus lui permettra de mettre en avant une plainte, malgré le déséquilibre de pouvoir qui est à la source du harcèlement?
Comment le processus traitera-t-il les cas où plusieurs motifs de discrimination sont en cause? Comment aidera-t-il les victimes confrontées à de multiples formes de discrimination ou qui font face à une discrimination systémique dans un environnement de travail hostile ou toxique?
Nous avons aussi des questions sur la façon dont ce projet de loi s'appliquera aux petits employeurs, y compris aux bureaux de député, aux petites entreprises de camionnage, aux stations de radio locales et à certains employeurs des Premières Nations. Quel soutien supplémentaire sera mis à leur disposition pour assurer qu'ils respectent la loi?
[Traduction]
Nous appuyons l’instauration d’un régime réglementaire proactif qui imposera aux employeurs l’obligation positive de favoriser un milieu de travail qui soit respectueux, inclusif et sécuritaire.
Dans les cas de harcèlement, une victime a besoin d’un processus clair, impartial et flexible qui soit efficace. Pour faire en sorte qu’elle l’ait, nous suggérons qu’on modifie ce projet de loi pour qu’il affirme clairement que le droit à un milieu de travail sans risques comprend le droit à un milieu de travail libre de harcèlement, comme le prévoit déjà la partie III du Code canadien du travail. Une maladie ou une blessure ne devrait pas être nécessaire pour déposer plainte pour harcèlement.
En outre, les victimes devraient avoir le choix de demander réparation immédiatement auprès de la Commission canadienne des droits de la personne avant ou à tout moment pendant le processus interne relatif aux plaintes au sein de leurs organisations respectives.
Le fardeau qui pèse sur la victime devrait être minimisé le plus possible. Par exemple, si une plainte parallèle relative aux droits de la personne est déposée, la personne chargée du dossier devrait transmettre son rapport à la Commission canadienne des droits de la personne pour que la victime n’ait pas à tout reprendre du début et à raconter son histoire à répétition.
La Commission ne croit pas qu’il faille ajouter une définition de harcèlement dans le Code canadien du travail, mais s’il fallait le faire, elle devrait être non exhaustive, inclusive et conforme à la loi sur les droits de la personne.
En outre, le projet de loi doit indiquer clairement que le programme du travail et les employés ont l’obligation de rendre compte de l’efficacité du processus, y compris de faire rapport de données concernant les droits de la personne.
Enfin, les droits de la personne sont non seulement une priorité, mais ils représentent aussi des obligations légales quasi constitutionnelles auxquelles tout le monde doit pouvoir accéder équitablement. Ils constituent la pierre angulaire de l’accès à la justice.
Toute proposition législative devrait servir de complément aux protections ouvrant droit à des recours que garantit la Loi canadienne sur les droits de la personne. Bien que des processus parallèles qui appliquent cette loi, comme la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, soient habilités à offrir des recours au titre de cette mesure législative, ce n’est pas le cas du projet de loi .
En raison de cela, toute victime qui cherche à obtenir un dédommagement — par exemple pour le salaire perdu, la douleur et la souffrance ou un comportement délibéré et inconsidéré — pourra choisir de suivre deux processus simultanément, soit celui de la Loi canadienne sur les droits de la personne et le processus interne proposé. On doit clairement signifier aux gens que chaque système a un objectif qui lui est propre. Le centre d’information et la ligne sans frais proposés doivent offrir des renseignements qui expliquent toutes les options, y compris le droit de déposer une plainte au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
[Français]
En conclusion, il faut s'attaquer à l'omniprésence du harcèlement et du harcèlement sexuel en milieu de travail créée par les dynamiques malsaines du pouvoir. Cela signifie que les victimes de ces dynamiques malsaines doivent se sentir confiantes, outillées et soutenues.
Il est impératif que le Comité s'assure que ce processus ne limite pas la protection des droits de la personne, mais qu'il devient plutôt un complément à ces protections garanties à tous les Canadiens et à toutes les Canadiennes dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.
La Commission entend présenter au cours des prochains jours un mémoire décrivant son mandat, son processus de traitement des plaintes et ses recommandations d'amendements techniques. Nous serons évidemment très heureux d'appuyer le Comité pendant la poursuite de ce travail extrêmement important pour la société canadienne.
Ma collègue Me Keith et moi-même nous ferons un plaisir de répondre à toutes vos questions.
:
Bonsoir, et merci beaucoup de nous donner l’occasion de parler du projet de loi au nom de l’Association nationale Femmes et Droit.
L’Association nationale Femmes et Droit, l’ANFD, est un organisme féministe sans but lucratif incorporé qui fait la promotion des droits des femmes à l’égalité au Canada par le truchement de l’éducation juridique, de la recherche et de la réforme du droit.
Nous voulons commencer notre intervention ce soir en félicitant le gouvernement pour avoir priorisé les mesures visant à améliorer la prévention de la violence et du harcèlement — y compris du harcèlement sexuel — dans les milieux de travail sous réglementation fédérale et sur la Colline du Parlement, et les mesures visant à y répondre. Ces mesures sont conformes à l’obligation constitutionnelle du gouvernement fédéral prévue aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi qu’aux obligations nationales et internationales du Canada en matière de droits de la personne.
Nous apprécions aussi beaucoup le soutien qu’ont accordé tous les partis à la question et le fait qu’on convient généralement que la lutte contre le harcèlement sexuel constitue un élément important de tout programme d’égalité entre les sexes.
La décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Janzen c. Platy en 1989 a confirmé que le harcèlement sexuel est un type de discrimination fondée sur le sexe. En termes simples, le harcèlement sexuel est illégal et il viole les droits des femmes. Cependant, près de 30 ans plus tard, au Canada comme ailleurs, les femmes continuent d’être en très grande majorité la cible du harcèlement sexuel tandis que les hommes sont, en très grande majorité, les harceleurs.
Une analyse féministe intersectionnelle révèle aussi que la violence et le harcèlement — dont le harcèlement sexuel — ne sont pas vécus de la même façon par toutes les femmes, et que les femmes racialisées, autochtones et handicapées sont particulièrement à risque. En conséquence, les approches visant à prévenir le harcèlement sexuel et à y répondre doivent tenir compte de ces réalités.
Bien que les bonnes intentions du projet de loi soient claires, nous avons cerné quelques endroits clés auxquels des éléments cruciaux n’ont pas encore été ajoutés ou dans lesquels ils sont ouverts à une gamme d’interprétations. En raison des particularités et de l’omniprésence des dynamiques de pouvoir sexospécifiques en politique, nos commentaires de ce soir porteront sur certains des aspects du projet de loi qui sont particulièrement importants pour prévenir le harcèlement sexuel sur la Colline du Parlement et y répondre. Ils comprennent notamment les points qui suivent.
L’intention du législateur d’atteindre l’égalité des genres et d’assurer la sécurité dans les milieux de travail pourrait faire l’objet d’une référence explicite dans le projet de loi . La loi, et non le règlement qui en découlera, devrait comprendre les définitions de la violence, y compris de la violence sexospécifique, dans toutes ses formes dans le contexte du harcèlement et du harcèlement sexuel qui se produisent en milieu de travail, que le projet de loi C-65 cherche à cibler.
Les approches sur mesure pour composer avec les causes uniques de différents types de violence, y compris la violence sexospécifique, le harcèlement sexuel et d’autres formes de harcèlement, sont nécessaires, puisque le droit international en matière de droits de la personne et la Charte canadienne imposent au Canada l’obligation d’éradiquer toute forme de discrimination à l’égard des femmes. Cependant, dans sa forme actuelle, il n’existe aucune distinction entre le harcèlement sexuel et d’autres types de harcèlement et de violence au travail.
L’accent mis dans le projet de loi sur le renforcement des approches en matière de santé et de sécurité devrait être un mécanisme supplémentaire auquel ont accès les personnes ayant survécu à du harcèlement sexuel, y compris sur la Colline, et ne pas être perçu comme un prérequis obligatoire à d’autres mécanismes ou un substitut.
Le processus de traitement des plaintes prévu dans le projet de loi ne devrait pas nuire à la capacité du plaignant d’accéder à d’autres mécanismes, y compris au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne et des conventions collectives, ou de signaler des crimes commis en milieu de travail par l’intermédiaire du système de justice pénale. Il ne devrait pas non plus occasionner de retards. On clarifierait ce point en ajoutant un article qui confirme que la loi ne contient aucun élément qui empêche un recours au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il est particulièrement important de s’assurer que le projet de loi facilite l’accès des femmes à la justice au lieu de l'entraver, compte tenu de la gamme de recours dont dispose un plaignant dans le cadre d’autres processus qui ne sont pas prévus dans le projet de loi C-65 — et nous venons d’entendre certains des mêmes commentaires.
Le projet de loi ne comporte pas de détails concernant le processus d’enquête dont on se servira. Il n’est pas encore possible de déterminer si le processus proposé sera approprié et efficace sur la Colline du Parlement. La question de savoir qui sera nommé pour entreprendre les enquêtes en matière de harcèlement sexuel et faire des déterminations est incroyablement importante. L’indépendance, l’expertise et la discrétion des enquêteurs seront encore plus importantes dans un milieu explicitement politique comme la Colline du Parlement. Si on veut que les femmes aient foi dans le système et qu’elles portent plainte, il ne peut y avoir la moindre perception de conflit d’intérêts potentiel chez la personne compétente nommée ou toute partie participant à l’enquête ou au processus décisionnel.
Pour assurer l’indépendance de l’enquête, éliminer les préjugés et la partisanerie dont tout parti pourrait faire preuve et réduire au minimum la possibilité que des conflits d’intérêts interviennent dans des cas de harcèlement sexuel, en particulier s’ils mettent en cause du personnel parlementaire ou politique, de bonnes options comprendraient l’établissement d’un organisme indépendant régissant les enquêtes ou d’une liste d’enquêteurs externes indépendants possédant des compétences particulières dans le domaine des droits de la personne, du harcèlement sexuel, de la violence fondée sur le sexe et de toute forme de harcèlement ou violence en milieu de travail.
Le modèle choisi devrait être doté d'un cadre fondé sur les droits de la personne et être financé adéquatement afin qu’il puisse soutenir les victimes ou les survivants d’une façon appropriée et permettre de déterminer rapidement la nature des plaintes. Au moins la moitié des personnes compétentes ou des enquêteurs devraient être des femmes, et la liste des personnes auxquelles on peut faire appel pour mener des enquêtes devrait être représentative de la population et comprendre des femmes et des hommes autochtones, des femmes et des hommes handicapés, des femmes et des hommes appartenant à des minorités raciales et des membres de la communauté LGBTQ2. Des rôles d’appui pourraient être confiés au personnel du ministère du Travail et aux comités tripartites de santé et sécurité au travail. Par exemple, on pourrait leur attribuer la tâche d’examiner et d’approuver la liste d’experts externes qui peuvent être nommés à ces postes.
Dans le projet de loi , on a veillé attentivement à garantir l’anonymat des plaignants, ce qui est essentiel. Toutefois, il serait peut-être utile d’apporter certaines précisions pour s’assurer que l’approche en matière de confidentialité n’aide pas, par mégarde, les harceleurs et ne porte pas préjudice aux femmes. Pour garantir l’équité de la procédure et pour respecter une approche axée sur la victime ou le survivant, le plaignant doit recevoir une copie du rapport complet des personnes compétentes et de leurs recommandations. C’est une modification indispensable qui devrait être apportée au projet de loi .
L’ANFD appuie l’appel en faveur de l’ajout d’une disposition au projet de loi qui oblige tous les lieux de travail sous réglementation fédérale et les personnes sur la Colline du Parlement qui sont également assujetties aux dispositions du Code canadien du travail à publier annuellement des statistiques sur le nombre de cas d’inconduite sexuelle qui leur sont signalés, sur les résultats de chaque plainte et sur tout règlement financier versé.
Enfin, il importe que toutes les mesures gouvernementales visant à lutter contre le harcèlement sexuel et la violence soient aussi efficaces que possible. L’ANFD recommande donc qu'en vertu du projet de loi , le nouveau régime fédéral fasse l’objet d’un examen dans les trois ans qui suivront sa mise en oeuvre. Étant donné que les lois et les règlements régissant le harcèlement sexuel au sein des assemblées législatives ont commencé à être adoptés au Canada et ailleurs seulement récemment, il serait utile d’intégrer dans l’examen une étude plus approfondie des approches fondées sur les droits de la personne et de l’efficacité des mesures adoptées par d’autres ordres de gouvernement et d’autres pays pour prévenir et réprimer le harcèlement sexuel dans leur assemblée législative.
Je vais m’arrêter ici. Ma collègue, Mme Martha Jackman, qui est coprésidente du comité directeur national de l’ANFD, et moi avons hâte de répondre à toutes vos questions.
Merci.
:
Je vous remercie de nous avoir invités à formuler des observations sur le projet de loi .
Notre allocution est fondée sur notre expérience en tant que cabinet d’avocats spécialisé dans les enquêtes et la formation liées à l’inconduite d’employés sur le lieu de travail. Dans la très grande majorité des cas, des allégations de harcèlement sont en cause. Notre cabinet mène ses activités dans ce domaine depuis 15 ans, et nous nous ferons un plaisir de vous faire profiter de l’expérience collective de notre équipe de 11 enquêteurs qui exercent ce travail à temps plein, dans toutes les régions du pays.
Ayant examiné le projet de loi à fond, nous aimerions mettre l’accent sur quatre éléments pendant la brève période dont nous disposons aujourd’hui. Ils comprennent les définitions, à propos desquelles nous avons déjà entendu quelques observations, les politiques et la formation, la confidentialité et la mécanique des enquêtes. J’aborderai chacune de ces questions successivement.
Commençons par les définitions. Nous avons déjà entendu dire aujourd’hui que le projet de loi ne définit pas les termes « violence » ni « harcèlement », l’intention étant d’inclure ces définitions dans le Règlement. Notre travail nous a appris que les définitions étaient essentielles. Elles sont essentielles à l’établissement d’une norme de comportement attendue au travail afin que les gens comprennent la façon dont on s’attend qu’ils se comportent. Les définitions sont également essentielles du point de vue de l’enquêteur, car nous en avons besoin pour étayer les conclusions que nous tirons. Nous craignons que le fait d’omettre ces définitions essentielles jusqu’à l’élaboration du Règlement ne réduise la force du message que vous voulez envoyer aux gens qui seront visés par la mesure législative.
Par ailleurs, l’exercice de notre profession nous donne un point de vue unique, en ce sens que nous rencontrons beaucoup de définitions différentes de ces termes. Chaque enquête que nous menons a lieu dans un milieu de travail différent dont les politiques et les définitions varient habituellement. Nous avons observé des définitions qui fonctionnaient très bien et d’autres, beaucoup moins.
Par exemple, nous voyons des définitions du harcèlement selon lesquelles ce comportement doit viser des individus, c'est-à-dire des définitions que nous n’appuierions pas. Nous voyons des définitions selon lesquelles le comportement doit être motivé par l’intention d’offenser, ce que tous considèrent comme des définitions inappropriées, à mon avis. Nous voyons des définitions selon lesquelles la personne touchée par le comportement doit subir un préjudice psychologique ou physique appréciable, c'est-à-dire des définitions à propos desquelles nous avons déjà entendu des commentaires.
Nous avons vraiment la conviction que vous avez en ce moment l’occasion de réfléchir mûrement à la manière appropriée de définir ces concepts et d’établir d’emblée une norme dont on ne pourra pas s’écarter plus tard.
Nous souhaitions également aborder la question des politiques et de la formation, parce que nous remarquons que le libellé du projet de loi traite d’organisations qui prennent des mesures pour prévenir et réprimer le harcèlement et la violence dans le lieu de travail. Nous estimons certainement que ces mesures sont essentielles, mais nous craignons que cela ne laisse beaucoup trop de discrétion aux organismes quant à la façon dont ils choisissent de satisfaire à cette exigence.
Nos années d’expérience — et nous pouvons utiliser l’expérience que nous avons acquise en Ontario étant donné qu’une mesure législative semblable y est en vigueur depuis assez longtemps — nous ont appris que, lorsque les organisations ontariennes ont été tenues de déployer des efforts pour prévenir ou réprimer le harcèlement et la violence, bon nombre d’entre elles ont réagi en demandant : « Quel est le strict minimum à faire pour respecter cette exigence législative? ». Ce n’est pas du tout le but de la mesure législative. Elle vise plutôt à mettre en oeuvre des mesures qui contribueront à remédier à ce problème au travail. En l’absence de directives législatives supplémentaires, nous craignons que vous laissiez la même chose se produire à l’échelle fédérale.
Dans le cadre de notre travail, nous avons eu l’occasion de parler à des centaines, voire des milliers, d’employés du harcèlement qu’ils ont vécu sur leur lieu de travail, et ils sont nombreux à nous dire pourquoi ils ont hésité à signaler ces comportements. Un des thèmes récurrents est l’absence de politiques, ou le fait que les employés ignoraient l’existence de politiques. On nous dit également que, même quand les employés savent que ces politiques existent, ils ne les comprennent pas ni la manière dont fonctionne leur mécanisme de signalement.
À notre avis, il faudrait que le projet de loi précise explicitement que les employeurs doivent se doter de politiques qui luttent directement contre le harcèlement et la violence en milieu de travail — c’est le cas en Ontario et, à notre avis, cette exigence a donné d'excellents résultats — et donner une formation efficace sur ces politiques. Je mentionne encore une fois qu’en dépit de l’exigence en matière de formation qui existe en Ontario, de nombreux employeurs ont pris très peu de mesures pour enseigner à leur personnel en quoi consiste le harcèlement et comment on peut y remédier sur le lieu de travail.
Comme certains des témoins ont déjà formulé ce soir des observations sur la question de la confidentialité, nous nous contenterons de faire deux commentaires à cet égard.
Premièrement, nous comprenons que certaines dispositions ont été ajoutées à la mesure législative afin de gérer cet aspect, et elles ont trait à la confidentialité que les comités et les représentants de la santé et de la sécurité au travail doivent garantir en vertu du projet de loi.
Nous craignons ici que le libellé soit trop restrictif, en ce sens qu'il n'y a pas que les comités et les représentants en matière de santé et de sécurité qui ne doivent pas avoir accès aux renseignements confidentiels. Il y a un autre aspect qui n'a peut-être pas été envisagé. Il se peut très bien qu'il y ait des gens au sein de ces comités, parmi ces représentants, qui doivent jouer un rôle dans l'enquête. Qu'en est-il si l'intimé fait partie d'un comité? Chose certaine, ils doivent pouvoir participer au processus. Et s'ils doivent agir à titre de témoin? Dans cette optique, nous portons à votre attention une disposition qui a été insérée dans la loi de l'Ontario afin de préserver la confidentialité. La disposition se lit comme suit:
[...] les renseignements obtenus au sujet d'un incident ou une plainte de harcèlement au travail, y compris les renseignements identificatoires au sujet des particuliers impliqués, demeureront confidentiels, si leur divulgation est nécessaire pour enquêter ou prendre des mesures correctives à l'égard de l'incident ou de la plainte, ou encore si elle est exigée par la loi;
Vous pouvez constater que cette disposition est beaucoup plus générale, mais elle assure également une meilleure protection.
Les employeurs de l'Ontario sont assujettis à cette disposition depuis qu'elle a été adoptée dans le cadre du projet de loi 132, en septembre 2016, et nous avons remarqué qu'ils font preuve de beaucoup plus de soin et de réflexion qu'avant en ce qui a trait au traitement des renseignements confidentiels dans le cadre d'enquêtes.
En terminant, j'aimerais vous parler des enquêtes, et je vais revenir sur les préoccupations des autres témoins concernant le fait que les employés doivent porter plainte auprès de leur superviseur. Dans la réalité, il arrive souvent que le superviseur soit l'auteur du harcèlement. Par conséquent, le fait de ne pas avoir un autre mécanisme de signalement est extrêmement problématique. Nous vous encourageons donc à vous inspirer de l'Ontario, où les politiques et les procédures exigent qu'on fournisse des moyens supplémentaires aux employés de déposer une plainte. Même si le superviseur n'est pas la personne visée par la plainte, il n'est pas toujours bien formé pour traiter les plaintes de harcèlement ou n'en sait pas suffisamment au sujet du harcèlement pour être en mesure de repérer les situations potentielles lorsqu'on les porte à son attention, particulièrement le harcèlement psychologique, qui n'est pas évident aux yeux de tout le monde.
Compte tenu de cette lacune dans le projet de loi actuel, nous croyons qu'un très grand nombre de plaintes resteront non résolues entre les employés et leur superviseur, ce qui signifie qu'elles seront adressées au ministre, qui devra donc s'en occuper. Nous sommes d'avis qu'il en résultera une pression indue sur les ressources d'enquête du ministère.
Enfin, dans le projet de loi actuel, il est question d'enquêter sur tous les incidents de harcèlement en milieu de travail. Bien qu'il s'agisse d'un objectif louable, nous avons relevé un aspect unique dans la loi de l'Ontario qui renferme la même exigence. En Ontario, les employeurs sont tenus par la loi de mener une enquête « appropriée dans les circonstances » sur les incidents ou les plaintes de harcèlement au travail. Ce ne sont pas tous les incidents ni toutes les plaintes de harcèlement qui doivent faire l'objet d'une enquête complète. Nous avons vu des employeurs interpréter ce libellé de façon créative pour régler des problèmes sans nécessairement mener une enquête complète. Cela dit, nous craignons que si la loi fédérale ne comporte pas une souplesse équivalente, la situation devienne rapidement impossible à gérer pour le ministère.
Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de vous livrer nos réflexions sur cette question importante et, comme mes collègues vous l'ont dit, nous répondrons volontiers à vos questions.
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Dans la rédaction d'une loi, les législateurs et les légistes doivent garder à l'esprit les enjeux de genre et d'équité.
En voici une illustration. J'ai dit que les syndicats devraient être impliqués. Je pense qu'il devrait y avoir un comité paritaire voué au silence et qui respecte la confidentialité, mais spécialisé. J'entends par là que les gens choisiraient de siéger à ce comité parce qu'ils seraient intéressés par la protection de la santé mentale des travailleurs et des travailleuses.
Au Québec, la Dre Rachel Cox a donné les meilleurs exemples. Des groupes paritaires réglaient les dossiers en amont avant même qu'une plainte soit déposée. Les gens qui siégeaient à ces comités, notamment du côté syndical, intervenaient de façon préventive dès qu'ils voyaient un problème, avant qu'une plainte soit déposée.
Un tel comité devient spécialisé dans les risques psychosociaux. Souvent, il est composé de femmes, de personnes de minorités visibles et d'Autochtones. Il est composé de gens intéressés par les questions d'équité. Ce sont eux, y compris les membres du côté patronal, qui choisissent d'aller chercher une formation et une spécialisation. Ces membres ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui s'intéressent à l'explosion de la fournaise.
Quant à moi, il faut un comité paritaire, dont les membres seraient protégés d'un congédiement, de menaces et de choses semblables. Les membres seraient vraiment choisis pour mieux entendre les plaintes.