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J'avais deux choses à mentionner.
Je parlerai d'abord de notre horaire. Nous avons jusqu'à environ 16 h 26 avant que la sonnerie se fasse entendre de nouveau. Nous devons voter à 16 h 56. Ce vote prendra entre 8 et 12 minutes. Cela retardera la sonnerie qui se serait faite entendre à 17 h 30 pour le vote régulier, auquel nous aurions procédé, alors nous pourrons revenir à ce moment-là, probablement pendant trois quarts d'heure — une heure. Ensuite, si nous n'avons pas terminé, cela voudrait dire qu'après les quatre votes que nous avons ce soir, nous reviendrions ici pour terminer l'étude article par article.
Quelqu'un a posé une question et je lui en sais gré. J'ai revérifié pour voir si j'avais la bonne réponse, et je l'ai. Contrairement à un projet de loi d'initiative parlementaire dont on fait automatiquement rapport à la Chambre le lendemain si aucun changement n'y est apporté, il n'y a pas de délai pour les lois du gouvernement.
Comme nous le savons, nous avons un délai, alors nous devons essayer de terminer l'étude article par article aujourd'hui. Il est possible qu'après la prochaine pause, nous serons en mesure de la terminer avant de devoir revenir après les votes, mais cela dépendra du comité.
En ce moment, nous n'avons qu'un seul témoin avec nous. Malheureusement, on a dit à l'autre...
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Pouvons-nous formuler des commentaires?
Le président: Des commentaires au sujet de la motion? Oui.
Mme Françoise Boivin: Je vais faire un commentaire bref, car je tiens à entendre notre témoin. Je veux simplement dire que nous ne nous opposerons pas à la motion, mais j'aimerais insister une fois de plus sur un point.
[Français]
Je m'en voudrais de ne pas réitérer que c'est quand même le gouvernement qui, en ayant déposé ce projet de loi en février, nous a imposé un échéancier très serré. Cela nous fait faire de la gymnastique intellectuelle qui n'est pas nécessairement toujours facile. Il s'agit d'un projet de loi très important, dont le sujet a même entraîné une décision de la Cour suprême.
Je voulais faire valoir ce point. Néanmoins, je suis consciente que, vu les contraintes de temps, on le fait ou on ne le fait pas. Et comme on va le faire, on va le faire bien, comme dirait ma mère.
Je m'appelle Michael Spratt. Je suis criminaliste et je pratique ici à Ottawa. Je traite uniquement les dossiers de défense criminelle et, par conséquent, j'ai une longue expérience des communications interceptées. Je suis ici comme représentant de la Criminal Lawyers' Association, ou CLA.
La Criminal Lawyers' Association est une association de criminalistes professionnels. Elle vise à instruire, promouvoir et représenter nos membres sur des questions se rapportant au droit pénal et constitutionnel de façon à respecter et à mettre en valeur les libertés civiles.
Il est à noter que la CLA a obtenu le statut d'intervenant dans l'affaire R. c. Tse, qui nous amène ici aujourd'hui. Dans le cadre de son mandat, la CLA est régulièrement consultée par des comités parlementaires comme le vôtre, et ses représentants sont toujours ravis de témoigner.
Je suis désolé de ne pas avoir de prise de position détaillée par écrit, mais je serai heureux de répondre à vos questions. Je sais que vous disposez tous d'un délai assez court pour vous mettre à jour dans ce dossier.
Je vais commencer en disant que la CLA est favorable à ce projet de loi. Elle appuie généralement les lois modestes, justes et constitutionnelles, et le projet de loi intègre admirablement bien les commentaires de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Tse. Cependant, il y a des parties sur lesquelles le comité souhaitera peut-être s'attarder.
Le début de mon argument porte sur la tension qui existe entre le besoin d'intervenir en temps opportun dans des situations graves et urgentes, d'agir rapidement pour éviter les préjudices. Et bien entendu, cela entre en conflit avec le respect de la vie privée des citoyens et leur droit d'être protégés contre les intrusions sans mandat des policiers dans des aspects très personnels de leur vie.
Comme l'a reconnu le juge La Forest dans l'affaire Duarte, la surveillance électronique et l'intrusion de l'État dans la vie privée des particuliers représentent un danger immense. Il l'a décrit comme un danger insidieux inévitable lorsque l'on donne à l'État le pouvoir discrétionnaire absolu d'enregistrer et de diffuser nos paroles. Le projet de loi est une mesure législative positive, car il cherche à mieux mettre en balance la protection du public et la protection de la vie privée du public.
Maintenant, ce qui compte le plus de notre point de vue, c'est que le projet de loi importe la notion et ajoute une disposition relative à l'avis dans la loi en vigueur, à l'article 184.4. La Cour suprême du Canada s'est dit d'accord avec les arguments de mon organisme au paragraphe 83 de sa décision, lorsqu'elle a affirmé qu'« il ne faut pas minimiser l’importance ni la pertinence de l’avis donné après coup pour l’application de l’art. 8 de la Charte. À cet égard, nous retenons les observations suivantes de l’intervenante la Criminal Lawyers Association ». Je ne la lirai pas, car tout le monde peut le faire. Après avoir fait cette déclaration, les juges ont cité notre point de vue.
Alors la disposition relative à l'avis est une démarche positive et conforme aux exigences de la Constitution comme l'a ordonné la Cour suprême du Canada.
Un autre aspect positif de ce projet de loi se rapporte à l'article 3. La CLA est favorable à l'applicabilité plus étroite de l'article 184.4 aux infractions inscrites à l'article 183. Cette mesure va au-delà de ce que la Cour suprême a énoncé. Elle a pu en donner une interprétation plus générale. Cela étant dit, j'ai du mal à imaginer une infraction qui ne serait pas visée à l'article 183. Cependant, la CLA estime que la loi devrait être aussi modeste et restreinte que possible et que le gouvernement mérite des félicitations pour avoir pris ces mesures.
Je vais parler d'un autre aspect positif de ce projet de loi, soit l'article 2. Il y est question de la distinction entre « agent de la paix » et « policier ». Même si ce point n'a pas été soumis à l'examen de la Cour suprême en tant que tel, au paragraphe 57, elle a exprimé des réserves quant au terme « agent de la paix ». Bien entendu, il s'agit d'un terme très vaste. Maintenant, l'article 2 remplace « agent de la paix » par « policier », et cet amendement est louable. Cependant, il y a toujours lieu de s'inquiéter et de raffiner le libellé lorsque l'on voit que le terme « policier » a été défini de façon plutôt générale pour s'entendre « d’un officier ou d’un agent de police ou de toute autre personne chargée du maintien de la paix publique ».
Cela montre qu'il est possible que la définition soit trop générale, et c'est important, compte tenu de la nature exceptionnelle de cet article. Il s'agit d'une interception sans mandat de nos communications privées, et la CLA estime qu'il ne devrait y avoir aucune ambiguïté quant à la portée de cet article et à la question de savoir qui pourrait l'invoquer. Cela devrait être clair.
Nous estimons que cet article devrait donner une définition plus claire qui se limiterait à l'idée que nous nous faisons habituellement des policiers. En outre, il y aurait lieu d'envisager de limiter davantage ce pouvoir très exceptionnel pour ne l'accorder qu'aux officiers superviseurs ou hauts gradés. Ces mesures, que l'on le voit dans certaines parties de la loi, rehausseraient les mesures de protection tout en respectant l'objectif de l'article 184.4.
L'article 5, qui concerne la présentation de rapports, est aussi un ajout très positif. La Cour suprême n'a pas exigé cette présentation de rapports à proprement parler pour que cet article soit conforme aux exigences de la Constitution, mais elle a dit très clairement qu'une exigence de présentation de rapports comme celle qui se trouve à l'article 195 constitue une mesure de responsabilité. Bien entendu, il s'agit de rendre des comptes au Parlement quant à la manière dont ce pouvoir est utilisé et aux mécanismes qui permettent à la police de le faire.
Même si nous sommes favorables à l'importation des exigences de présentation de rapports à l'article 195, nous estimons que, compte tenu de la distinction qu'il y a entre l'article 184.4 et les autres dispositions concernant les interceptions, le comité pourrait envisager des mesures plus strictes que l'exigence prévue à l'article 195. Les autres articles qui portent sur les communications interceptées s'intéressent à celles qui le sont en application d'une autorisation judiciaire. Il y a déjà eu ce niveau de surveillance. L'article 184.4 porte sur l'interception des communications sans mandat.
Alors je signalerais que le fait d'importer l'exigence prévue à l'article 195 ne reconnaît pas la distinction qu'il y a entre les interceptions autorisées par un juge et celles qui sont faites en application de l'article 184.4. Comme je l'ai mentionné, d'un point de vue constitutionnel, cela pourrait ne pas être fatal pour le projet de loi, mais du point de vue d'un citoyen qui lit le rapport et du Parlement auquel, au bout du compte, les forces policières sont légalement tenues de rendre des comptes, cela permettrait une bonne surveillance, surtout étant donné la nature très exceptionnelle de cette disposition.
Par exemple, l'article 5 pourrait être modifié pour faire en sorte que le Parlement reçoive des renseignements clairs non seulement au sujet du nombre d'arrestations, de poursuites ou de crimes qui ont été découverts grâce à l'article 184.4; le rapport pourrait faite état du nombre de fois qu'il n'y a eu aucune arrestation pu aucune infraction, et des raisons pour expliquer l'urgence de l'article 184.4. Pourquoi était-il urgent dans ces situations? Quel préjudice essayait-on de prévenir? Pourquoi ne pouvait-on pas invoquer d'autres articles?
Le fait d'employer des termes plus fermes pour décrire la responsabilité rehausserait la responsabilité et la surveillance, et finirait par donner au Parlement et aux citoyens canadiens les statistiques de référence pour évaluer l'utilité de l'article, la mesure dans laquelle il est utilisé, les renseignements qui sont vraiment nécessaires, lorsque l'on envisage de mettre en balance cette intrusion exceptionnelle dans ce qui, autrement, ne serait pas légal et les préjudices que l'on cherche à éviter par le truchement de ces situations urgentes très inhabituelles.
Cela dit, il est agréable de témoigner devant le comité. Je me retrouve souvent ici à manifester le désaccord de la CLA avec une mesure législative. C'est bien de voir un projet de loi que l'on peut appuyer et de constater que les recommandations de la Cour suprême du Canada y sont intégrées. C'est dommage que cela se fasse 20 ans après son adoption, mais je suis très heureux de pouvoir dire que nous appuyons en grande partie ce projet de loi.
Monsieur Spratt, merci d'être ici aujourd'hui, d'autant plus que la demande a été faite à la dernière minute. Merci également à votre organisme d'avoir pu nous éclairer.
Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire le rapport du Barreau canadien, mais plusieurs éléments que vous avez mentionnés ressemblent beaucoup à ce qu'on peut y retrouver. Juste pour être bien certaine que j'ai bien compris ce que vous avez dit, j'ai quelques questions à vous poser.
Essentiellement, pour ce qui est de la définition de « policier », qui est restreinte, même si la Cour ne s'est pas prononcée à ce sujet, vous dites qu'il reste peut-être quelques petites interrogations. Le libellé n'indique pas clairement que cela pourrait ne pas s'appliquer à certaines personnes. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de voir le témoignage du ministre et des représentants du ministère de la Justice, mais ils ont mentionné que cela ne s'appliquait pas à des gardiens de sécurité, par exemple. N'empêche qu'il y aurait moyen de restreindre la définition.
Par contre, si elle était acceptée telle quelle, y verriez-vous un problème majeur? En tant qu'avocat de la défense, croyez-vous que l'adoption de la définition telle quelle voudrait dire qu'on risquerait de se retrouver devant les tribunaux pour défendre des cas où ce serait utilisé par quelqu'un qui ne serait pas un policier au sens d'employé de l'État sur le plan public?
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J'ai quelques réserves. Au paragraphe 5(3), le paragraphe 195(2.1) proposé prévoit à l'alinéa
a) que l'on signale le nombre d’interceptions qui ont été effectuées; on propose ensuite un paragraphe où l'on exige que soit signalé le nombre de personnes contre qui des procédures ont été entamées. Maintenant, je suppose qu'à partir de ces renseignements, du nombre de personnes accusées et du nombre d'interceptions faites, il est possible de déterminer, en faisait une simple soustraction, qu'il y a eu dix interceptions et que l'on a traité sept affaires. Il y en a donc eu trois qui n'ont pas été traitées.
Malheureusement, si vous examinez les rapports qui ont déjà été générés sous le régime de l'article 195, il est impossible de le faire, car une interception peut avoir donné lieu à de multiples procédures et à de multiples accusations. Lorsque l'on analyse les chiffres, ils ne s'additionnent pas si bien.
Par exemple, en 2011, l'on peut voir qu'un total de 116 autorisations ont été données en application des alinéas 195(2)a) et 195(2)b) concernant l'obligation de présenter des rapports. Ensuite, si vous passez aux exigences de présentation de rapports à l'alinéa 195(2)d), 146 personnes ont en fait été identifiées, ce qui est supérieur au nombre d'autorisations accordées. Il est donc difficile de faire des calculs lorsque l'on examine les rapports. Voilà pourquoi la CLA et moi estimons que, surtout lorsque vous avez affaire à ce très... L'article sera rarement invoqué, mais il le sera dans des affaires importantes, des affaires graves, et ce n'est pas autorisé par un juge. Il s'agit d'une plus grande intrusion dans la vie privée, pour laquelle nous préférerions voir une ventilation des statistiques qui soit meilleure et plus claire pour que le public et le Parlement puissent déterminer si ce pouvoir est utilisé, la mesure dans laquelle il est efficace et s'il y a lieu d'apporter des modifications et de vraiment mieux offrir ces renseignements que le fait actuellement l'article 195, qui porte sur les autorisations qui sont déjà contrôlées par le truchement d'autorisations judiciaires.
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Ma dernière question concerne l’idée de circonscrire la définition du mot policier — qui, dans le cas présent, est habilité à invoquer l’article 184.4 — de manière à la limiter aux superviseurs. Je ne connais pas cette partie du système de justice pénale et son fonctionnement. En fait, vous dites qu’il faudrait de toute façon qu’un superviseur intervienne dans à peu près toutes les circonstances.
Est-il possible que, dans un très petit nombre de cas, cette exigence ralentisse le processus? Certaines personnes ont laissé entendre que le recours à l’article 184.4 devrait nécessiter quelques formalités administratives de plus, afin qu’on puisse tenir des registres et, par conséquent, être en mesure de déterminer après coup si tout a été fait dans les règles de l’art ou si la mise sur écoute était justifiée.
Si je ne me trompe, la cour a déclaré qu’il n’était pas bon d’obliger le policier à tenir trop de registres pendant qu’il mettait en oeuvre l’article 184.4, parce que cela ralentirait simplement le processus et que, le but de cet article, était de lui permettre d’intervenir rapidement dans des situations d’urgence.
Je me demande s’il se peut qu’en limitant la définition à des superviseurs, on engendre des problèmes et on ralentisse le processus dans certaines situations.
En fait, j’ignore comment les services de police fonctionnent. J’imagine que tous les policiers — et non les seuls superviseurs — ont suivi une formation relative aux techniques d’écoute électronique. Quoi qu’il en soit, j’ai pensé que vous pourriez peut-être me dire ce que vous en pensez.
Bonjour. Je m’appelle Raji Mangat. Je suis avocate à l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. L’ALCCB est une organisation non partisane à but non lucratif établie à Vancouver. Je suis heureuse d'être parmi vous aujourd'hui, et je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de parler du projet de loi avec vous. L’ALCCB appuie les efforts que le comité déploie pour encadrer soigneusement et étroitement le processus d'utilisation des pouvoirs extraordinaires qui sont débattus aujourd'hui. De plus, nous approuvons bon nombre des amendements.
Sous réserve des préoccupations soulevées par M. Spratt au cours de son exposé, l’ALCCB est heureuse de constater que le projet de loi restreindra l'application de l'article 184.4 aux policiers. C’est, à notre avis, un amendement sensé et nécessaire qui appuie la logique sous-tendant la disposition, afin de fournir aux organismes d'application de la loi un moyen de prévenir, de toute urgence, des préjudices imminents et graves.
Cela étant dit, l’ALCCB est également heureuse que le projet de loi limite les mises sur écoute sans mandat à des circonstances dans lesquelles on vise à prévenir la perpétration d'une infraction. L'ajout d'une exigence en matière d'avis, à l'intention des personnes qui ont fait l'objet d'une interception non autorisée par un tribunal, harmonise l'article 184.4 avec les autres dispositions du Code criminel. L'exigence en matière d’avis assure la transparence et sert de mécanisme de contrôle essentiel de ce pouvoir exceptionnel d'intercepter les communications sans autorisation judiciaire.
L'obligation de faire rapport prévue par le projet de loi est aussi une modification bienvenue, car elle accroîtra la responsabilité des services de police. Ensemble, les exigences en matière d’avis et de rapports renforceront la responsabilité et la surveillance dans l’utilisation d’interceptions sans autorisation judiciaire. De plus, l’ALCCB appuie les amendements qui visent à recueillir des données supplémentaires.
Cependant, je comparais devant vous aujourd’hui pour vous signaler que, par inadvertance, les rédacteurs de l’amendement ont oublié de préciser un élément important dans celui-ci et que cet oubli pourrait avoir des conséquences imprévues. En l’absence de délais clairs visant à limiter la mise sur écoute sans autorisation judiciaire, on risque vraiment que cette disposition soit utilisée pour éroder le régime normal d’écoute électronique. Comme le comité avait l’intention d’utiliser ces amendements pour donner aux policiers un moyen temporaire de prévenir de graves préjudices, dans des situations d’urgence, et non pour créer une façon de contourner le régime normal d’écoute électronique, le comité comprendra clairement qu’il est nécessaire de préciser dans la disposition une limite de temps pour la mise sur écoute sans autorisation judiciaire.
L’article 184.4 est unique en son genre. C’est l’un des deux seuls articles du Code criminel qui permettent d’intercepter des communications privées, sans préciser de limite de temps ou exiger une autorisation judiciaire. L’autre disposition qui autorise cette mesure, c’est-à-dire l’article 184.1, le fait seulement avec le consentement d’une personne, afin d’éviter à celle-ci des préjudices physiques. Par conséquent, l’article 184.4 est vraiment exceptionnel. Il permet d’intercepter des communications privées sans autorisation judiciaire, à l’entière discrétion des policiers, avant qu’une infraction ou un acte illégal ait été perpétré.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi accorde aux policiers le vaste pouvoir invasif d’intercepter des communications personnelles privées pendant une période indéterminée. De plus, il n’indique nullement aux policiers pendant combien de temps ils sont autorisés à exercer ce pouvoir extraordinaire.
Le genre de situations d’urgence envisagées ici, à savoir des situations tellement urgentes que les policiers n’ont pas le temps de considérer d’autres formes d’interception autorisée — même pas une autorisation judiciaire par téléphone en vertu de l’article 184.3 —, doivent nécessairement être brèves. Si ce pouvoir est vraiment censé être exercé dans des situations d’urgence, alors, de par sa nature, il devrait forcément être de courte durée. Comme aucune limite de temps ne restreint l’application de l’article 184.4, l’interception pourrait durer indéfiniment et être toujours jugée légale.
Si l’on accorde un pouvoir d’interception, qui est censé être exercé seulement dans des situations d’extrême urgence, mais dont la durée n’est pas limitée, cela érodera par inadvertance le régime normal d’écoute électronique déjà mis en oeuvre par le Code criminel. De par sa nature, une écoute électronique n’est pas sélective. Elle enregistre dans le dispositif toutes les communications qui ont lieu, y compris les communications privées, personnelles et, peut-être même, privilégiées ou confidentielles, des communications qui pourraient n’avoir rien à voir avec les préjudices graves qu’on cherche à prévenir, des communications avec des tiers qui pourraient ne pas avoir conscience qu’une infraction risque d’être commise. Et pourtant, ces gens ont encore tout intérêt à ce que leur vie privée soit protégée.
Les interceptions en vertu de l’article 184.4 sont de nature préventive et, par conséquent, elles sont fondées, en un certain sens, sur des hypothèses. Nous ne devons pas oublier qu’elles sont entreprises sans autorisation judiciaire et qu’elles sont censées être utilisées dans des circonstances très circonscrites, à savoir lorsque les policiers doivent agir immédiatement, sans perdre une minute. Du point de vue de l’autorisation, ces circonstances sont l’équivalent d’un policier qui s’introduit dans un domicile dans un cas de poursuite immédiate. Toutefois, contrairement aux cas de poursuite immédiate, les interceptions ne sont nullement limitées dans le temps, et elles risquent de saisir toutes sortes de renseignements extrêmement personnels et privés.
Pour garantir les droits à la protection de la vie privée, il est nécessaire de limiter le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 184.4. Pour appuyer la vision que le comité a d’un processus d’utilisation de ces pouvoirs extraordinaires qui est façonné soigneusement et étroitement, on doit formuler clairement dans le libellé une période qui limite l’application de cette disposition. Les autres dispositions du code portant sur l’écoute électronique, comme les paragraphes 184.3(6) et 188(2) qui exigent tous deux une autorisation judiciaire préalable, limitent les interceptions à une durée maximale de 36 heures. Lors de son témoignage devant un tribunal inférieur dans l’affaire R c. Tse, la division « E » de la GRC a déclaré avoir pour politique de limiter ces interceptions sans autorisation judiciaire à un maximum de 24 heures.
Une interception sans autorisation judiciaire devrait durer moins longtemps qu’une interception pour laquelle il a fallu obtenir une autorisation préalable auprès d’un tribunal. Dans les cas où il n’y a pas d’autorisation judiciaire, il est encore plus impératif que le pouvoir ne soit pas exercé indéfiniment. En l’absence d’une limite de temps dans la mesure législative, deux régimes d’écoute électronique pourraient, de fait, être utilisés en parallèle: un pour lequel il faut obtenir une autorisation préalable auprès d’un tribunal, et un pour lequel la nécessité d’obtenir une telle autorisation est annulée dans des situations d’urgence.
Comme le comité en a conscience, le Code criminel prévoit déjà un régime rigoureux qui régit l’interception des communications privées. En précisant un délai dans la disposition relative aux interceptions sans autorisation judiciaire, on indiquerait clairement qu’après avoir été autorisés, comme il se doit, à exercer ce pouvoir spécial dans des situations d’urgence, les policiers sont tenus d’adhérer de nouveau au régime normal, s’ils souhaitent poursuivre la mise sur écoute.
L’ALCCB demande instamment au comité de limiter explicitement l’utilisation des interceptions sans autorisation judiciaire à un maximum de 24 heures, car cela appuiera les efforts qu’il déploie pour concevoir une mesure législative qui autorise, comme il se doit, les policiers à exercer ces pouvoirs uniquement dans des situations d’urgence, situations pour lesquelles ils ont été accordés. Cela devrait suffire à garantir les droits des Canadiens à la protection de leur vie privée.
Je vous remercie d’avoir pris le temps de m’écouter.
:
Ma prochaine question s'adresse à Mme Mangat.
Merci beaucoup de votre patience. C'est une de ces journées de fou sur la Colline, et nous devons terminer l'étude du projet de loi aujourd'hui.
[Français]
Je comprends les points que vous soulevez par rapport à l'interception sans autorisation en vertu de l'article 184.4. Par contre, on peut regarder le projet de loi comme étant une réponse à la décision de la Cour suprême dans l'affaire R. c. Tse. Or, le principal reproche de la Cour suprême est le suivant:
À moins qu’une poursuite criminelle ne soit intentée, les cibles de l’interception risquent de n’être jamais informées de l’opération et ne pourront pas contester l’exercice de ce pouvoir par les policiers. Aucune autre disposition du Code ne permet la surveillance de l’exercice du pouvoir conféré à l’art. 184.4. [...] Dans sa forme actuelle, cette disposition ne satisfait pas aux normes constitutionnelles minimales qui en assureraient la conformité avec l’art. 8 de la Charte.
Le projet de loi C-55 prévoit justement que les gens soient informés qu'ils faisaient l'objet d'une écoute ou que leurs conversations étaient interceptées. On ne réglera peut-être pas tous les problèmes en matière d'interceptions et d'écoute électronique. On va se concentrer sur le projet de loi C-55. Dans ce contexte, cela ne répond-il pas au problème soulevé par la Cour suprême?
Il faut être conscient que cela touche des cas bien précis. Il y a des conditions à respecter, selon le libellé.
[Traduction]
« Le policier peut intercepter, au moyen d'un dispositif » — un dispositif quelconque — « (a) l'urgence... ». Si quelqu'un fait l'objet d'une poursuite, le policier devra prouver, à un moment donné en cour, que:
(a) l'urgence de la situation est telle qu'une autorisation ne peut, avec toute la diligence raisonnable, être obtenue
Le policier doit prouver qu'il ne pouvait pas obtenir la soi-disant autorisation et que:
(b) une interception immédiate est nécessaire pour empêcher une infraction qui causerait des dommages sérieux à une personne ou un bien;
Il y a donc des limites. Ai-je raison? La personne en sera également avisée. Alors, si à un moment donné, elle pense que c'était
[Français]
contraire aux droits fondamentaux en vertu de la Charte, il pourra y avoir des contestations.
Le projet de loi ne répond-il pas, justement, aux préoccupations de la Cour suprême et à sa demande de correction?
:
C'est ça, et j'accepte votre argument. Je vis, moi aussi, en milieu urbain, et c'est presque inconcevable que la police ne puisse pas obtenir une autorisation, ne serait-ce qu'en appelant quelqu'un pour obtenir un télémandat.
Dans l'affaire Tse, la Cour suprême a bel et bien indiqué que, dans pareilles circonstances, on n'aurait pas besoin de déposer un affidavit et qu'on pourrait le faire de vive voix, c'est-à-dire en parlant avec le policier.
Selon moi, si on crée une limite de 24 heures et qu'on dit à la police qu'après cette période, elle doit obtenir une autorisation lorsqu'elle estime qu'il y a un danger imminent et qu'elle doit intercepter les communications pendant plus longtemps, on rétablit alors un pouvoir extraordinaire dans le régime normal des écoutes électroniques. Ce pouvoir existe dans le Code criminel depuis longtemps et il est utilisé partout au pays de façon, semble-t-il, très efficace.
Ce qui importe pour moi, c'est d'essayer d'instaurer ce pouvoir dans le régime régulier le plus tôt possible et de fournir un certain encadrement aux policiers pour qu'ils sachent que c'est la durée maximale pour ce type d'interception.
:
Non, je pense que je vais le faire demain matin à 10 heures, si vous tenez vraiment à vous présenter.
Le comité ordonne-t-il la réimpression du projet de loi modifié pour l'usage de la Chambre? Oh, je suis désolé. Il n'y a aucun amendement; il n'est donc pas nécessaire de le réimprimer. J'ai simplement pensé que nous abattrions quelques arbres, mais je suppose que nous ne le ferons pas.
Très bien. C'est tout pour aujourd'hui. Je tiens à remercier tout le monde d'être venu.
Pour votre gouverne, nous avions invité le ministre à venir le 18 pour parler du Budget supplémentaire des dépenses (C), dans lequel il y a une ligne qui concerne le ministère de la Justice. Le ministre ne peut se présenter à ce moment. Je crois comprendre qu'il y a une réunion du Cabinet ou un événement quelconque au Cabinet.
À la suite de notre discussion, nous avons convenu d'étudier le projet de loi de M. Parm Gill, le projet de loi . Ce sera pendant la première heure et il y aura des témoins. Ensuite, nous accueillerons des témoins pendant une autre heure, mercredi, puis nous passerons à l'étude article par article.
Dans le cas du budget et du Budget supplémentaire des dépenses (C) ou de tout autre Budget supplémentaire des dépenses, ce qu'il faut savoir, c'est qu'ils doivent être présentés à la Chambre dans les trois jours suivant le dernier jour désigné, ce qui peut tout de même avoir lieu avant cela; nous verrons. Je ne connais pas précisément les dates des jours désignés, qui sont déterminées par le leader à la Chambre.
C'est ce que nous ferons le 18. Le Budget principal des dépenses devra être envoyé à la Chambre avant la fin mai. Je pense donc que nous devrions fixer une ou plusieurs dates pour parler du Budget principal des dépenses et pour donner au ministre un long préavis concernant la date à laquelle nous aimerions qu'il vienne comparaître pour en discuter.