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Bon après-midi à tous. Bienvenue à la 10
e réunion du Comité permanent de la condition féminine. La séance est ouverte.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le mardi 4 février, le Comité reprend son étude sur la violence entre partenaires intimes et la violence familiale au Canada.
[Français]
Compte tenu de la situation actuelle de pandémie et à la lumière des recommandations des autorités sanitaires ainsi que de la directive du Bureau de régie interne du 19 octobre 2021, pour rester en bonne santé et en sécurité, tous ceux qui participent à la réunion en personne ne doivent pas avoir de symptômes, ils doivent respecter une distance physique de deux mètres et ils doivent porter un masque non médical lorsqu'ils circulent dans la salle. Il leur est fortement recommandé de porter le masque à tout moment, y compris lorsqu'ils sont assis à leur place. Ils doivent maintenir une bonne hygiène des mains en utilisant le désinfectant fourni à l'entrée de la salle.
[Traduction]
Pour ceux qui participent virtuellement, j'aimerais souligner quelques règles à suivre. Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Des services d'interprétation sont à votre disposition. Au bas de votre écran, vous avez le choix entre le parquet, l'anglais ou le français. En cas d'interruption de l'interprétation, veuillez m'aviser immédiatement et nous verrons à rétablir le service avant de reprendre nos travaux.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour désactiver la sourdine. Si vous êtes dans la salle, votre micro sera contrôlé comme à l'habitude par l'agent des délibérations et de la vérification. Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être transmis par l'entremise de la présidence. Veuillez vous exprimer lentement et clairement — pas comme votre présidente —, et lorsque vous n'intervenez pas, votre micro doit être désactivé.
Avant d'accueillir nos témoins, j'aimerais vous faire cette mise en garde. Nous allons parler d'expériences liées à la violence et à des agressions. Cela peut constituer un élément déclencheur pour des personnes ayant vécu des expériences semblables. Si vous vous sentez bouleversé ou si vous avez besoin d'aide, veuillez en informer la greffière.
J'aimerais maintenant vous présenter notre premier groupe de témoins pour aujourd'hui. Nous accueillons, de la Maison Interval d'Ottawa, Keri Lewis, la directrice générale — merci de vous joindre à nous, Mme Lewis — et de Luke's Place Support and Resource Centre for Women and Children, Pamela Cross, la directrice juridique.
Vous avez droit à cinq minutes chacune pour nous présenter vos déclarations préliminaires. Lorsque vous me verrez faire signe de la main, veuillez commencer à conclure.
Je vais maintenant céder la parole à Mme Lewis pour une période de cinq minutes.
Madame Lewis, allez-y, je vous en prie.
Pour mettre fin à la violence contre les femmes et à la violence sexiste, il faut une communication et une collaboration entre les gouvernements, les ministères, le système judiciaire, les entreprises, les services sociaux et les survivantes. Il faut que toutes les politiques gouvernementales et intersectorielles soient envisagées dans une optique intersectionnelle et féministe. Chaque dirigeant, chaque fournisseur de services et chaque interaction où le pouvoir existe doit tenir compte de ces questions: Qui bénéficie? Qui est lésé? Qui est laissé pour compte par cette politique?
Lorsque nous commençons à poser ces questions, nous constatons l'immense ampleur des changements qui s'imposent pour prévenir la violence envers les femmes et y réagir de manière appropriée. Tandis que nous nous efforçons de créer les conditions nécessaires à un changement systémique qui permettra de prévenir la violence envers les femmes, il est important de se concentrer sur les facteurs essentiels qui peuvent apporter un changement immédiat et positif pour améliorer la sécurité des survivantes de la violence. Les survivantes se heurtent encore à des obstacles fondamentaux en matière de qualité de vie, qui les empêchent de réussir à s'extraire d'une situation de violence. L'accès à un revenu suffisant et l'accès à un logement sûr sont les deux obstacles que nous voyons tous les jours.
Aujourd'hui, je vais me concentrer sur le logement. La Maison Interval d'Ottawa et tous les autres refuges pour femmes victimes de violence à Ottawa fonctionnent au maximum de leur capacité depuis des décennies. La demande de refuges sécuritaires a augmenté, et les gens de notre collectivité n'ont nulle part où aller lorsqu'ils prennent la décision difficile de quitter la violence. En fin de compte, lorsqu'une famille peut enfin avoir accès à un espace, nous constatons que l'intensité de la violence est plus élevée que jamais.
À première vue, il peut sembler qu'il faille davantage de lits de refuge. Je soutiens qu'il n'en est rien, du moins pas si nous choisissons d'adopter une approche à long terme. Il s'agit plutôt d'un problème de pénurie de logements très abordables.
En janvier 2020, la ville d'Ottawa a déclaré l'état d'urgence en matière de logement et d'itinérance. À ce jour, la liste d'attente pour les logements subventionnés compte 13 000 ménages, et les familles doivent parfois attendre jusqu'à 10 ans avant d'obtenir un logement de la ville. Cette crise a un effet dévastateur sur les femmes et les familles d'Ottawa, en particulier celles qui ont survécu à la violence. Non seulement les refuges ont atteint leur capacité maximale, mais le manque de logements abordables est un obstacle important pour les survivantes qui veulent quitter une relation violente.
De plus, un effet de goulot d'étranglement est créé dans les refuges, car les femmes et leurs familles ont de la difficulté à quitter le refuge, les loyers continuant d'augmenter jusqu'à devenir inabordables. Il en résulte que les familles restent dans les refuges bien au-delà de ce qui est nécessaire pour répondre aux soucis immédiats sur le plan de la sécurité, et que les personnes victimes de violence dans leur foyer ne peuvent pas accéder à un refuge sûr en temps voulu.
Nous ne pouvons pas non plus ignorer que la COVID-19 a considérablement exacerbé le problème de la violence envers les femmes. La généralisation des mesures de confinement et des ordres de rester à la maison, bien que nécessaires du point de vue de la santé publique, emprisonnent les femmes et leurs familles à la maison avec leurs agresseurs. Cela crée des conditions difficiles et débilitantes qui peuvent conduire à des situations dangereuses aux issues tragiques.
Selon des données mondiales recueillies par les Nations Unies en 2021, 45 % des femmes ont déclaré qu'elles ou une femme qu'elles connaissent ont subi une forme de violence depuis le début de la pandémie. L'intensité et la fréquence croissantes de la violence envers les femmes pendant la COVID-19 en ont fait une pandémie à part entière, appelée « la pandémie de l'ombre ». Aujourd'hui, plus que jamais, les femmes ne se sentent pas en sécurité chez elles et n'ont que peu ou pas d'options d'évasion en raison des obstacles comme le manque d'espace d'hébergement et de logements abordables.
Il a été encourageant de voir et de recevoir le soutien de tous les ordres de gouvernement au cours des deux dernières années pour aider les refuges comme la Maison Interval d'Ottawa à continuer à fonctionner, et même à étendre les services pendant la pandémie de COVID. La vie commençant à revenir à une nouvelle normalité, il est essentiel que nous établissions un fondement de soutien des femmes qui ont été les plus touchées par la pandémie et qui subissent de plus en plus de violence. La première étape vers la sécurité est d'avoir un endroit sûr où s'installer. Sans cela, il est impossible de franchir les étapes subséquentes pour rebâtir sa vie après la violence.
Tous les Canadiens, mais particulièrement les survivantes de la violence, doivent avoir accès à un logement sûr et bien abordable. Le logement est un droit dont beaucoup sont privés. Ce n'est pas une question qui peut attendre. Les familles ne peuvent pas s'épanouir sans un logement sûr.
Je demande à ce gouvernement, et à tous les gouvernements de donner la priorité à l'augmentation accélérée du parc de logements. Grâce à des investissements adéquats et à des partenariats avec de nouveaux fournisseurs, tels que des refuges comme la Maison Interval, nous pouvons offrir un avenir plus sain et plus sûr aux survivantes de la violence et leurs personnes à charge.
Je suis très heureuse d'être des vôtres pour parler de ce sujet important. Je suis la directrice juridique de Luke's Place dans la région de Durham, en Ontario. Nous offrons des services directs aux femmes qui ont fui une relation de violence et qui sont engagées dans une procédure du droit de la famille. Nous travaillons également à l’échelle provinciale et nationale en faisant de la recherche, en créant des ressources, en offrant de la formation et en préconisant des changements systémiques.
Nous saluons le travail du Comité de la condition féminine qui étudie la violence entre partenaires intimes au Canada, ce qui, nous l'espérons, mènera à des initiatives gouvernementales permanentes visant à répondre à cette violence par des services appropriés et à des stratégies pour réduire et, en fin de compte, mettre fin à la violence au sein des familles dans ce pays.
Je vous encourage, si vous ne l'avez pas déjà fait, à lire le mémoire conjoint de Luke's Place et de l'ANFD, l'Association nationale Femmes et Droit, pour prendre connaissance de toutes nos recommandations au Comité.
Dans mes remarques cet après-midi, j'aborderai plusieurs thèmes clés.
Premièrement, toute mesure visant à régler le problème de la violence qui se produit au sein des familles doit appliquer une analyse intersectionnelle et sexospécifique. Bien que des personnes de tous les sexes puissent être victimes ou auteurs de violence entre partenaires intimes, la recherche montre clairement que les personnes qui s'identifient en tant que femmes sont touchées de manière disproportionnée, en particulier dans les cas de contrôle coercitif ou d'homicide. Lorsque les tentatives de lutte contre la violence entre partenaires intimes ne reflètent pas cette réalité sexospécifique, elles sont inutiles et, dans certains cas, causent même encore plus de mal.
Deuxièmement, toute mesure éventuelle doit tenir compte des voix des survivantes, ainsi que des défenseurs et des experts communautaires qui ont des décennies de connaissances accumulées et d'expérience en la matière.
Troisièmement, lorsque l'on envisage de nouvelles lois ou politiques, il faut prendre le temps de consulter comme il se doit tous ceux et celles qui seront éventuellement touchés — victimes, survivantes, prestataires de services, intervenants du système judiciaire, etc. —, afin d'inclure le plus grand nombre possible de perspectives. Il faut également tenir compte de ce que nous appelons les « conséquences négatives imprévues ». Agir trop rapidement peut donner lieu à une loi ou à une politique qui fait encore plus de mal aux personnes qu'elle est censée protéger.
Quatrièmement, lorsque l'on cherche des moyens de régler le problème de la violence entre partenaires intimes, il faut que tous les ordres de gouvernement s'engagent à travailler ensemble. Par exemple, une cohésion et une cohérence accrues dans les lois sur la famille et leur application dans tout le pays seraient d'une grande aide pour les survivantes de violence entre partenaires intimes.
Cinquièmement, aussi importante que soit l'éducation de tous ceux qui interviennent dans les situations de violence entre partenaires intimes, il est maintenant temps de mettre en place des systèmes de responsabilisation pour s'assurer que ce qui a été appris est appliqué. Il est crucial de veiller à ce que tous les membres du système judiciaire reçoivent une formation sur la violence entre partenaires intimes, afin que soient améliorés les mécanismes juridiques.
Sixièmement, il est essentiel d'améliorer l'accès à la justice pour les survivantes. Cela comprend, entre autres, l'accès à une représentation juridique efficace, que la survivante soit en mesure de payer le coût ou pas, l'expansion dans tout le pays de programmes comme le programme des travailleurs de soutien des tribunaux de la famille de l'Ontario, et une révision profonde des mécanismes du droit pénal, y compris les approches actuelles en matière de libération sous caution, d'inculpation obligatoire et de politiques de poursuites vigoureuses.
Enfin, parmi de nombreuses autres idées, l'introduction de la loi de Clare, l'utilisation de systèmes de surveillance électronique et la criminalisation du contrôle coercitif dans les cas de violence entre partenaires intimes sont toutes des orientations éventuelles intéressantes en matière de politique publique, mais elles doivent faire l'objet de prudence. Chacune de ces idées présente des avantages et des inconvénients. Nous avons besoin d'une approche prudente qui s'accompagne d'un examen attentif et d'une consultation approfondie.
J'encourage le Comité à examiner les recommandations contenues dans le rapport d'Hébergement Femmes Canada intitulé « A Report to Guide the Implementation of a National Action Plan on Violence Against Women and Gender-Based Violence » pour consulter les suggestions supplémentaires en détail.
Je vous remercie beaucoup du temps que vous m'avez accordé cet après-midi. Je vous invite à poser vos questions ou à formuler vos observations.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Je suis toujours un peu éberluée quand j'entends des témoins nous dire à quel point la violence faite aux femmes en particulier est si marquée et si marquante. Nous sommes tellement sensibilisés à la question aujourd'hui que cela me dépasse.
Je remercie nos deux témoins d'être ici encore une fois pour nous parler de ce qu'elles voient et constatent sur le terrain.
Madame Lewis, vous avez parlé des barrières qui font en sorte que les femmes sont prises dans un carcan, qu'elles ne sont pas capables de voler de leurs propres ailes et de sortir d'une situation toxique. Vous avez dit notamment qu'elles éprouvaient de la difficulté à trouver un logement décent et abordable.
Votre organisation offre-t-elle des logements temporaires ou une autre solution en ce moment pour venir en aide à ces femmes?
Quand elles sont dans une situation de crise, elles se rendent dans un refuge, mais vous est-il possible de les accueillir et de les loger dans des logements temporaires, étant donné la crise du logement à Ottawa?
C'est un plaisir de vous revoir, madame Lewis. Je sais que dans votre rôle précédent, nous avons travaillé ensemble pour la construction d'un nouveau refuge pour femmes, Nelson House, dans ma circonscription.
C'est d'ailleurs la nature de ma première question. Nous savons que lorsque les femmes fuient la violence de leur partenaire intime, elles ont souvent des enfants, comme vous l'avez mentionné, mais certaines d'entre elles ont aussi des handicaps. Avec Nelson House, nous avons pu créer des logements modulaires qui peuvent être agrandis pour accueillir différents membres de la famille, pour différents nombres d'enfants, en donnant à la mère un peu d'intimité, mais aussi une accessibilité pour une personne en fauteuil roulant ou ayant d'autres besoins d'accessibilité physique.
Pouvez-vous me parler du double défi que doivent relever les personnes qui fuient une situation chez elles et qui ont une famille nombreuse, avec plusieurs enfants, ou les personnes handicapées?
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Je vous remercie de cette question.
Je vais commencer par l'accessibilité. Les refuges sont des mouvements populaires. Ils ont commencé il y a 30 ou 40 ans. Il s'agissait souvent de groupes de femmes qui se réunissaient dans des collectivités et trouvaient des maisons plus anciennes et abordables, qui souvent n'étaient pas choisies en fonction de l'accessibilité. Elles étaient choisies en fonction du coût et de la durabilité. De nombreux refuges se trouvent encore dans ces vieilles maisons ou tentent maintenant de les améliorer. Il est difficile de construire ou de transformer des refuges pour les rendre plus accessibles.
Je pense que nous sommes dans un processus depuis plusieurs années où nous essayons de construire des refuges spécialement conçus pour répondre à ces besoins d'accessibilité. Sur le plan de l'accessibilité, je crois que nous avons un long chemin à parcourir en tant que secteur avant de pouvoir créer une accessibilité totale pour toutes les personnes qui ont besoin de nos services. Cela signifie que la tâche est plus difficile pour les personnes qui ont de tels besoins d'accessibilité.
Pour ce qui est des familles nombreuses, c'est la même chose. Tous les refuges ne sont pas forcément construits pour cela. Il est donc plus difficile pour les familles qui comptent cinq ou six enfants de trouver un endroit qui peut les accueillir tous. Il n'est pas facile pour les mamans de se retrouver dans un espace, souvent d'une seule chambre ou parfois de deux, avec cinq, six, sept ou huit enfants. C'est certainement un défi.
Il est donc d'autant plus important pour nous de trouver des moyens de faciliter et d'accélérer le chemin vers un logement sûr, abordable et permanent pour les personnes que nous servons.
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Nous examinons l'aspect juridique des choses, et c'est la perspective que j'apporte à cette conversation. Nous avons certainement quelques gains éventuels à court terme. Les récents changements apportés à la Loi sur le divorce ont été suivis en Ontario par des changements à la Loi portant réforme du droit de l'enfance. Il serait formidable que de changements analogues soient apportés dans tout le pays, afin que les tribunaux suivent une démarche normalisée pour l'examen des ententes parentales lorsque la famille a des antécédents de violence.
Il faut entreprendre rapidement des conversations sur ce qu'il faut faire au sujet des comportements de contrôle coercitif. J'estime qu'il s'agit d'un problème à court et à moyen terme. Nous pouvons entamer la conversation tout de suite, mais j'espère qu'il s'agit d'une conversation suffisamment importante pour que tout résultat soit à moyen terme plutôt qu'à long terme.
À plus long terme, en ce qui concerne la loi, j'aimerais vraiment que nous envisagions une manière complètement différente de traiter la question de la violence entre partenaires intimes. Les systèmes du droit pénal et du droit de la famille perpétuent vraiment les systèmes qui maintiennent cette violence.
J'ai encore beaucoup de choses à dire à ce sujet, mais la présidente me dit qu'il est temps d'arrêter, alors peut-être que je pourrai avoir une autre question à ce sujet.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Je remercie nos deux témoins de ce premier groupe d'être avec nous aujourd'hui.
Madame Lewis et madame Cross, vos témoignages vont nous aider à réfléchir sur la question de la violence entre partenaires intimes.
Madame Cross, selon le site Internet de votre organisme, le contrôle coercitif est une question importante à prendre en compte dans la violence conjugale. De nombreuses femmes décrivent la violence non physique dans les relations intimes comme étant pire que la violence physique, parce qu'il est difficile de faire comprendre aux gens à quel point elle est grave. On mentionne également dans cet article que le Canada envisage la possibilité de suivre l'exemple de certains pays et de criminaliser les comportements coercitifs.
Selon vous, est-ce que le Canada devrait criminaliser le contrôle coercitif?
Pouvez-vous nous parler de l'expérience d'autres pays qui ont légiféré sur cette question?
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Nous sommes d'avis, à Luke's Place, que bien du travail reste à faire avant de savoir si la criminalisation du contrôle coercitif est la bonne voie à suivre.
Vos premières observations sont vraiment importantes. Le contrôle coercitif est une forme cachée de violence dans les familles. Souvent, il n'inclut aucune violence physique. Il est compréhensible que, lorsque la personne type qui ne travaille pas dans ce domaine pense à la violence familiale ou à la violence entre partenaires intimes, elle pense à la gifle, au coup de pied, au coup de poing, à la poussée dans les escaliers. Souvent, le contrôle coercitif disparaît. Les gens le voient comme le va-et-vient normal et les disputes normales que les personnes dans une relation ont entre elles, et le contrôle coercitif est tout sauf cela.
Mme Lewis a dû en voir beaucoup dans son refuge et je suis sûre qu'elle a des histoires semblables à ce que je vais vous décrire.
Dans une relation de contrôle coercitif, la femme perd son sens d'identité, son agentivité. Elle a très peu d'autonomie, car l'agresseur a créé un climat de peur tel qu'elle sait devoir faire ce qu'il attend d'elle, sinon il y aura de graves conséquences. Souvent, les enfants sont amenés à participer à ce contrôle coercitif en tant qu'armes, sans le vouloir, bien sûr. Ils n'ont aucune idée du rôle qu'ils jouent, mais l'agresseur peut menacer la femme: « Je prendrai les enfants si tu me quittes » ou « Je ferai ceci aux enfants si tu ne fais pas ce que je veux ». Il y a des menaces de nuire aux animaux domestiques, de contrôle financier et d'isolement social. La liste est longue, et je suis sûre que beaucoup d'entre vous la connaissent.
Il est très difficile de savoir ce que nous devons faire au sujet du contrôle coercitif. Des femmes ont dit — et j'ai eu des clientes qui me l'ont dit — « Pourquoi n'y a-t-il pas une loi contre cela? J'appelle la police et ils me disent qu'ils ne peuvent rien faire parce qu'il ne m'a pas frappée. Il ne m'a pas kidnappée. Il ne m'a pas enfermée à la maison ». Ils ont un argument très fort. D'un autre côté, criminaliser le contrôle coercitif signifie que les femmes — des femmes qui sont des victimes — pourraient se retrouver dans la situation d'être incorrectement accusées de cela à cause d'un conjoint manipulateur.
Les politiques d'inculpation obligatoire dans ce pays ont conduit justement à ce genre de résultats. Les politiques qui étaient destinées à protéger les femmes ont fini par être utilisées contre elles, alors quand nous pensons au contrôle coercitif, nous disons qu'il doit y avoir un débat national à ce sujet. Parlons aux survivantes, aux victimes, aux travailleurs de première ligne, aux policiers, aux procureurs de la Couronne, aux avocats en droit de la famille, aux juges et aux représentants de la Société d'aide à l'enfance. Ayons une conversation complète afin d'entendre de nombreuses perspectives avant de penser qu'un résultat particulier est le bon.
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Madame Cross, je comprends bien ce que vous dites. Vous n'avez pas seulement parlé de l'importance de criminaliser ces actes, vous avez aussi souligné que d'autres mesures pouvaient être considérées.
Par exemple, le ministre de la Justice, à Québec, a fait ce matin une annonce sur le tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale, qui permettrait d'accompagner davantage les victimes. Vous avez également mentionné le contrôle électronique. Comme on le sait, le bracelet électronique fait l'objet de discussions. Cela fait partie du rapport québécois intitulé « Rebâtir la confiance ». Il s'agit d'un rapport non partisan dans le cadre duquel tous les partis se sont penchés sur cette question.
Vous avez parlé d'approches prudentes. Pouvez-vous nous faire part des avantages et des inconvénients du contrôle électronique?
Pouvez-vous aussi nous parler du tribunal spécialisé et de l'importance de voir Ottawa suivre l'exemple du Québec à cet égard?
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Merci à nos deux témoins de participer à nos travaux.
Mes premières questions seront pour Mme Keri Lewis.
Vous avez parlé de l'importance du logement. Je suis d'accord avec vous. Je considère que les investissements dans ce domaine ont été nettement insuffisants jusqu'ici, notamment dans des endroits comme ma circonscription de Winnipeg-Centre. Après des dizaines d'années sans financement, la crise du logement a atteint des proportions alarmantes. Non seulement la disette a entraîné une pénurie de logements, mais elle a aussi compromis gravement l'accès à des options d'hébergement peu contraignantes pour les femmes et les personnes de diverses identités de genre. Il manque encore ce genre de logements, et même de logements provisoires dans notre ville.
Pourriez-vous nous expliquer pourquoi il est important d'avoir des refuges et des logements offrant un cadre peu restrictif?
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J'ai vu les résultats des programmes en place actuellement. Je dirais qu'il faut laisser le temps faire son œuvre. Je peux toutefois vous affirmer que certains projets soi-disant de « logement abordable » ne sont pas conçus pour les personnes qui viennent chez nous.
Cela dit, les nouvelles mesures de financement annoncées pour la création de places dans les refuges et les logements de transition m'apparaissent très prometteuses. C'est à mon avis une excellente idée. Il existe des solutions pour améliorer les programmes de financement et faire en sorte, comme je l'ai déjà dit, que des services comme ceux offerts par la Maison Interval d'Ottawa et d'autres refuges fassent partie de la solution. Nous avons de l'expérience. Nous connaissons les obstacles que les gens doivent surmonter. Nous connaissons les types de programmes et de services dont ils ont besoin en lien avec le logement.
Des progrès ont été faits mais, quand il est question de financement pour la création rapide de logements ou la réalisation rapide des projets, l'important est de bien choisir les fournisseurs de services et de bien répartir le financement. Certains de ces fournisseurs sont de petits organismes qui ne peuvent pas assumer le même niveau de risque que les grands promoteurs.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie également nos formidables témoins.
Chaque fois que je participe aux travaux du Comité, je répète que six minutes sont insuffisantes pour approfondir plusieurs des sujets dont nous traitons.
Je vais m'adresser à vous en premier, madame Lewis. Vous faites un travail remarquable et je vous en remercie. C'est immensément triste d'entendre que 500 femmes ont dû être refusées. Cela me rend malade, pour être franche. C'est assurément un enjeu important auquel nous devons nous attaquer dans nos politiques. Si les personnes qui finissent par trouver le courage de demander de l'aide ou de fuir n'ont nulle part où aller, quel est l'intérêt pour elles de partir? Nous devons absolument nous pencher sur ce problème très grave.
Pour revenir à ce que vous avez dit… Je vais me concentrer sur la question du logement. Vous avez tout à fait raison quand vous dites que le logement doit être à la base de toute mesure d'aide.
Ce matin, comme par hasard, j'ai eu une rencontre avec des entrepreneurs en construction de ma circonscription. Nous avons parlé de l'offre et de la demande, mais pas du tout dans le domaine du logement abordable. Ils ne font pas vraiment partie de votre clientèle, mais ils ont néanmoins soulevé un point que j'ai trouvé extrêmement intéressant. Selon eux, si l'offre et la demande sont élargies et s'ils peuvent bâtir plus de maisons, il y aura forcément plus de logements abordables sur le marché, qui pourraient être utilisés comme logements de transition, notamment pour les femmes qui fuient la violence.
Je suis curieuse d'entendre ce que vous en pensez. Seriez-vous favorable à une politique qui allégerait le fardeau administratif à l'échelon fédéral et qui accélérerait le traitement des demandes d'aménagement à l'échelon municipal afin d'accroître l'offre de logements? Si plus de logements sont construits, le prix des loyers baissera.
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Je crois que les politiques sur le logement sont très importantes. Dans certains cas, je crois qu'il faut aussi accélérer les processus d'aménagement.
Je vais m'en tenir à la Maison Interval d'Ottawa. Nous étudions actuellement un projet de construction d'un ensemble de 10 logements de transition. Pour soutenir la concurrence dans le processus de demande, l'étape de l'avant-projet doit être assez avancée, c'est-à-dire que nous devons être prêts à entreprendre les travaux sur le terrain et à lever la première pelletée de terre. C'est loin d'être facile parce que les processus municipaux sont complexes et prennent des mois.
Sur le plan des politiques, les organismes de services sociaux comme le nôtre auraient besoin qu'on mette en priorité ou qu'on accélère les processus quand ils proposent de construire des logements vraiment abordables, dont nos communautés ont grandement besoin. Je ne sais pas si cette approche devrait aussi s'appliquer à la construction de logements qui ne sont pas vraiment abordables puisque ces projets ne répondent pas du tout aux besoins que nous observons dans notre communauté.
Les personnes à qui nous fournissons des services et que nous hébergeons ne sont pas les seules à avoir ces besoins. Une bonne partie des résidents d'Ottawa sont concernés. Même les personnes qui ont un revenu moyen de 70 000, 80 000 ou 90 000 $ par année n'ont pas les moyens de payer les loyers des logements à Ottawa, et certainement pas d'acheter une maison.
Je crois qu'il faut établir des priorités et créer des processus plus simples et plus rapides pour les projets de logements vraiment abordables. Je crois que c'est moins nécessaire pour les projets de logements dont le loyer est au prix du marché ou même inférieur puisque ces options ne sont pas accessibles pour la plupart des membres de notre communauté.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je suis absolument ravie de participer à cette réunion du comité de la condition féminine et d'accueillir des témoins de cette qualité. Merci à toutes les deux pour votre travail.
Madame Cross, votre réputation n'est plus à faire, et le travail que vous faites avec des personnes de ma connaissance est très apprécié.
Vous avez parlé de la formation des juges dans vos remarques liminaires. Je voudrais discuter avec vous de la loi de Keira. Même si sa mère, Jennifer, avait été victime de violence familiale, et même si les tribunaux l'ont reconnu et ont reconnu que son ex-mari avait menti à la Cour, ils ont quand même accepté que la petite Keira passe du temps avec lui. Cette décision a conduit au meurtre d'une fillette de quatre ans qui avait toute la vie devant elle, suivi du suicide du père.
Dans ma région, nous avons eu le cas de Darian Henderson-Bellman. Je sais que vous en avez entendu parler. L'homme qui l'a tuée avait déjà manqué à ses conditions de mise en liberté à quatre reprises. La dernière fois qu'un juge l'avait mis en liberté à des conditions équivalant à une assignation à résidence, il avait été trouvé en possession d'une arme à feu chargée et de drogues.
Le projet de loi d'initiative parlementaire sera présenté bientôt. La loi de Keira y est incluse, de même que des dispositions sur la formation des juges sur les questions de violence familiale et de contrôle coercitif. Pouvez-vous nous toucher quelques mots de l'importance de cette formation et des lacunes à combler?
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D'emblée, je peux vous dire que les lacunes sont énormes et qu'il y en a partout.
Un des grands principes constitutionnels du Canada tient à l'autonomie et à l'indépendance des juges. Je crois que c'est ce qui explique en partie l'absence de progrès dans la formation des juges sur les questions touchant les politiques sociales comme la violence entre partenaires intimes ou la violence sexuelle, par exemple. Il faut trouver un moyen de surmonter cet obstacle. C'est urgent.
Quand nous allons chez le dentiste, jamais il ne nous viendrait à l'esprit que cette personne n'a pas reçu une formation et une éducation de pointe, ou qu'elle n'a pas accès à toute l'information voulue pour examiner notre bouche. C'est la même chose quand nous allons à l'hôpital. Nous nous attendons à ce que les professionnels que nous consultons aient toutes les connaissances requises pour bien faire leur travail. Pourquoi, dans les cas de violence entre partenaires intimes, les femmes qui se retrouvent devant un tribunal de la famille ou un tribunal criminel ne pourraient-elles pas s'attendre au même niveau d'expertise? Il arrive que les avocats qui les représentent n'aient pas cette expertise parce qu'il y a très peu de formation sur la violence entre partenaires intimes dans les facultés de droit.
C'est pour cette raison qu'il faut former les juges. L'idée n'est pas de leur inculquer des partis-pris, mais de leur faire réaliser que c'est une réalité qui touche de très nombreuses familles au Canada. Les avocats doivent avoir un accès continu à des possibilités de perfectionnement professionnel et ce perfectionnement doit être obligatoire. C'est essentiel. Il faut intégrer cette formation aux programmes des facultés de droit pour nous assurer que quiconque veut devenir un avocat reçoit au moins une formation de base et est sensibilisé à cette réalité.
Cela dit, comme je l'ai dit d'entrée de jeu, il faut aller plus loin. Je donne beaucoup de formations et je fais beaucoup d'éducation mais, pour être honnête avec vous, je ne suis pas certaine si les personnes qui se trouvent dans la salle m'écoutent vraiment ou si elles sont en train de faire leur liste d'épicerie, de penser à ce qu'elles feront une fois à la maison ou, de nos jours, de jouer à Wordle. Je n'ai aucun moyen de m'assurer que ces personnes retiennent ce que je dis. En plus de l'éducation et de la formation, nous devons établir des systèmes de reddition de comptes et exiger qu'une fois dans leur milieu de travail, l'évaluation périodique des participants aux séances comprenne un examen visant à établir s'ils mettent en application ce qu'ils ont appris.
Tant que les intervenants des systèmes de justice criminelle et de droit de la famille ne saisiront pas complètement la réalité de la violence familiale et à quel point elle est répandue, et tant qu'ils ne comprendront pas qu'elle ne se termine pas avec la séparation, que beaucoup de pères comme celui de Keira utilisent leurs enfants et en font des armes pour s'en prendre à leurs partenaires, les refuges continueront de refuser chaque année 500 femmes et leurs enfants, et ces femmes et leurs enfants continueront de mourir dans notre pays.
Cela semble évident, du moins aux yeux de toutes les personnes qui participent à cette réunion, mais nous devons nous mobiliser et trouver un moyen pour que les professionnels comprennent bien de quoi ils parlent.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Permettez-moi d'abord de saluer mes collègues qui sont ici aujourd'hui. C'est un privilège pour moi de remplacer ma collègue au Comité permanent de la condition féminine. C'est aussi un privilège d'aborder les sujets très délicats et très importants qui sont à l'étude aujourd'hui.
Madame Cross, vous avez très bien évoqué l'importance de la notion de contrôle coercitif dans la violence conjugale. J'aimerais revenir sur la criminalisation du contrôle coercitif qui est, à notre avis, un outil très important. Cette mesure devrait nécessairement être accompagnée d'un éventail d'outils, notamment la formation des acteurs du système judiciaire et la prévention auprès de la population générale.
Croyez-vous que ces mesures permettraient de faciliter l'accompagnement et que nous pourrons éventuellement criminaliser le contrôle coercitif?
Permettraient-elles aussi d'atténuer les répercussions négatives que pourrait avoir cette criminalisation?
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Merci beaucoup. Je remercie nos témoins.
Ma question s'adresse à Pamela Cross.
Je sais que vous avez présidé le groupe de travail sur les systèmes judiciaires et juridiques. Ce groupe de travail a recommandé notamment une amélioration des voies d'immigration pour protéger les immigrants vulnérables, et surtout les femmes, qui risquent de se retrouver dans des conditions de vie précaires et d'être victimes de l'exploitation et de la violence, en accordant un statut à tous.
Je suis très favorable à l'octroi d'un statut d'immigrant à tous. Je crois surtout qu'il est prioritaire d'accorder la résidence permanente aux personnes survivantes de la violence fondée sur le genre au Canada. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le rôle que jouerait l'octroi d'un statut à tous dans la lutte contre la violence fondée sur le genre?
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Si le Comité le permet, j'aurais quelques questions à poser aux témoins.
Des députés: D'accord.
La présidente: Merci. Il nous reste quelques minutes, et plutôt que d'entamer un autre tour de questions complet…
Je vous remercie sincèrement, toutes les deux, de participer à nos travaux. C'est très important d'avoir ce genre de discussions.
Je vais m'adresser à Mme Cross en premier, si vous me le permettez.
Nous avons parlé entre autres des traumatismes intergénérationnels. Je suis convaincue qu'il faut agir le plus rapidement possible, et je vais donc me concentrer sur les jeunes. Pouvez-vous nous parler de certaines interventions qui selon vous ont été très bénéfiques, que ce soit en matière d'éducation ou dans le cadre de programmes particuliers, dans la lutte contre la violence à l'endroit des femmes? Quels types de programmes faudrait-il mettre en place pour détourner les jeunes de ce genre de comportements violents?
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Je suis d'accord avec tout ce que Mme Cross a dit.
Cela revient à l'idée que, pour prévenir la violence et y réagir de façon appropriée, il faut que tous les systèmes comprennent la dynamique de la violence et de la maltraitance. Je pense que des progrès ont été réalisés dans les programmes d'études. On trouve de brèves sections sur les relations toxiques, mais comme Mme Cross l'a dit, cela commence plus tard, dans les quatre premières années du secondaire.
Je pense que nous pourrions aborder le sujet avec des enfants plus jeunes, de niveau préscolaire, et les munir des compétences nécessaires pour parler de leurs sentiments: leur donner les mots dont ils ont besoin pour décrire la colère et ce qu'il faut faire avec cette colère et les options possibles, et leur enseigner les concepts du pouvoir et du privilège dans les relations. Ce sont toutes des choses que les enfants peuvent comprendre. J'ai moi-même quatre enfants et nous en parlons depuis qu'ils sont jeunes. Ils comprennent. Ils sont si intelligents. Ils devraient être ici pour vous parler.
Les enfants sont étonnants. Je pense qu'il est vraiment important que nous accordions une partie de notre attention à ce travail de prévention et que nous amenions les enfants à comprendre ces questions et ces concepts à un plus jeune âge.
Merci à vous deux d'avoir pris le temps de répondre à mes questions également. Au nom du Comité de la condition féminine, je tiens à vous remercier toutes les deux d'être venues témoigner. Nous vous souhaitons bonne chance.
Si vous pouvez nous envoyer des renseignements ou des documents supplémentaires qui pourraient nous être utiles... Vous pourriez voir un programme vraiment bénéfique et vous dire: « Eh, je pense que les membres du Comité de la condition féminine doivent voir ça ». Si vous pouvez nous faire parvenir quelque chose, ce serait merveilleux.
Nous allons suspendre les travaux du Comité quelques minutes et reprendre à 14 h avec le deuxième groupe.
Encore une fois, madame Lewis et madame Cross, merci beaucoup d'avoir participé à cette importante étude.
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Nous sommes de retour avec notre deuxième groupe.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos invités d'aujourd'hui pour notre deuxième groupe de témoins dans le cadre de notre importante étude sur la violence entre partenaires intimes.
De Moose Hide Campaign, nous accueillons David Stevenson, son président-directeur général et Paul Lacerte, qui essaie encore de se brancher, cofondateur et ambassadeur national. WoodGreen Services communautaires, nous accueillons Yordanka Petrova, directrice principale du Programme Homeward Bound.
Bienvenue à tous.
Pour les déclarations liminaires, vous disposez chacun de cinq minutes. Lorsque vous me verrez commencer à agiter le bras, si vous pouviez commencer à conclure, ce serait merveilleux.
Je vais donner la parole à David Stevenson.
Monsieur Stevenson, vous avez cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire.
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Merci. Je ne sais pas si Paul va se joindre à nous, mais s'il le fait, vous l'entendrez également.
Je suis David Stevenson. Je vous appelle du territoire du peuple de langue lekwungen ici sur l'Île de Vancouver. C'est un honneur d'être ici.
Sekoh à tous et merci de nous avoir invités à vous dire quelques mots. Je suis le PDG de la Moose Hide Campaign, une campagne qui a débuté le long de la Route des larmes en 2011. Paul, qui va se joindre à nous dans une minute, et sa fille Raven chassaient le long de cette route. C'est leur territoire ancestral. Leurs ancêtres y chassaient depuis des milliers d'années et lorsqu'ils ont attrapé un orignal, comme ils l'ont fait chaque année, ils ont eu l'idée de prendre sa peau, de la tanner, de la découper et de l'offrir aux amis et aux parents de leur communauté qui accepteraient, s'ils portaient la peau, de promettre de ne pas user de violence contre des femmes et des enfants de leur communauté et d'honorer, de respecter et de protéger toutes les femmes dans leur vie et dans leurs réseaux.
Bien sûr, cela se passait avant la réelle prise de conscience des problèmes des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées avec lesquels le Canada est aux prises. C'était avant le mouvement #moiaussi et vraiment avant que la Commission de vérité et réconciliation et les tentatives de réconciliation ne soient lancées.
J'aimerais souligner que c'est un moment auquel le Canada doit s'arrêter et réfléchir. Voici un père autochtone qui transmet son savoir et sa sagesse ainsi que ses traditions et sa langue à sa fille, et c'est exactement le moment que les réseaux de pensionnats ont été conçus pour perturber et éradiquer, ce moment de transition de la culture d'une génération à l'autre.
C'est aussi un moment où nous voyons le pouvoir de la culture et de l'utilisation de notre capacité collective à nous rassembler dans des cultures, à concevoir des cultures, à maintenir des cultures en vie et à en créer de nouvelles, et c'est ce dont il est question dans la campagne. Il s'agit essentiellement de mettre l'accent sur l'utilisation d'une médecine ancestrale, comme nous nous plaisons à l'appeler, pour le bien de tous les Canadiens et plus particulièrement pour guérir une maladie sociale et spirituelle très profonde et troublante dont souffrent les Canadiens. Il s'agit de la maladie de la confusion selon laquelle la violence est en quelque sorte un moyen de réaliser un quelconque objectif.
Les hommes sont élevés dans une culture au Canada, et dans de nombreux endroits dans le monde, dans laquelle il n'est pas évident que vous ne vous en prenez pas physiquement à des femmes et des enfants. En fait, beaucoup d'hommes sont élevés dans l'idée que c'est l'un des outils accrochés à leur ceinture qui leur permet d'avancer dans la vie et d'obtenir ce qu'ils cherchent à obtenir.
La Moose Hide Campaign a été lancée à ce moment-là, comme un appel à l'action pour que tous les Canadiens s'unissent et tracent une ligne à ne pas franchir. Il fut un temps au Canada où conduire en état d'ébriété n'était pas vraiment répréhensible. Ce n'était pas une idée géniale, mais c'était toléré. Nous ne nous en inquiétions pas trop et il y avait une grande zone grise, et si vous vous faisiez arrêter, on pouvait vous renvoyer chez vous ou quelque chose du genre. Puis, le Canada a décidé que non, c'était hors-jeu.
Nous n'allons pas y parvenir avec les outils actuels du gouvernement. Aucune loi ou politique que quelqu'un rédigerait ne va soudainement mettre fin à la violence faite aux femmes et aux enfants dans ce pays. Ce qu'il faut, c'est un leadership moral.
Voilà ce que nous demandons dans nos échanges avec le gouvernement et tous les Canadiens. Ce ne sont pas forcément les outils du gouvernement, mais le leadership du gouvernement pour dire que c'est un enjeu prioritaire pour nous. C'est un enjeu sur lequel nous voulons nous concentrer et prendre position, de façon visible. Nous pensons que c'est un problème, comme tous les problèmes psychologiques lourds, qui ne peut être laissé dans l'ombre. Nous espérons que cette campagne braquera les projecteurs sur cette obscurité et que nous créerons la connectivité sociale et l'attente sociale pour que chaque homme se tienne et que tous les hommes se tiennent mutuellement responsables d'une norme d'interaction qu'ils aimeraient voir avec leurs propres filles, leurs propres mères, leurs propres soeurs et eux-mêmes.
C'est le résultat de beaucoup de confusion et d'attentes qui n'ont pas encore été établies, alors nous étions heureux d'entendre les gens parler de la jeunesse. Nous avons notre Journée de la campagne des peaux d'orignal, une célébration virtuelle. Elle aura lieu le 12 mai cette année. Nous invitons chacun d'entre vous, et tous vos réseaux, à participer à cet événement. Environ 250 000 personnes sont inscrites. Près de 200 000 d'entre elles sont dans le réseau de la maternelle à la fin du secondaire et nous les invitons à venir assister à cette journée. La gouverneure générale et Murray Sinclair vont dire quelques mots.
Notre objectif, c'est de placer cet enjeu au-dessus des autres enjeux. Ce n'est pas seulement un enjeu parmi d'autres. Ce n'est pas seulement une bonne idée de travailler ensemble pour mettre fin à la violence faite aux femmes et aux enfants. La violence faite aux femmes et aux enfants est totalement évitable. Il y a une expérience et un ensemble de valeurs que nous devons modeler.
Nous organisons cette journée comme un jour de cérémonie. Nous invitons les hommes et les garçons à jeûner avec nous pendant cette journée, afin de dépasser le stade du « C'est une bonne idée » et du « Oui, je pense que c'est la bonne chose à faire » pour arriver au stade du « Oh, je dois en fait approfondir mon vécu et mon engagement personnel pour prendre position ». Nous pensons que c'est un muscle qui s'est atrophié, si même il a déjà existé, et c'est un muscle que nous pouvons entraîner ensemble.
Ce n'est pas tout. Cela ne résoudra pas tous les problèmes, mais c'est suffisant pour dire que nous sommes collectivement solidaires sur cette question. Il ne s'agit pas d'un simple symbole virtuel ni d'un insigne d'honneur. C'est un insigne de notre incapacité collective à offrir un pays sûr à tous les Canadiens.
C'est le travail de la campagne et je serais ravi de parler de tout autre aspect de la campagne qui pourrait vous intéresser.
Je vous remercie.
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Merci, madame la présidente.
Je m'appelle Yordanka Petrova, la directrice principale du Programme Homeward Bound de WoodGreen Services Communautaires.
Bonjour à tous et merci au Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes de m'avoir invitée à prendre la parole dans le cadre de votre étude.
WoodGreen Services Communautaires est l'un des plus grands organismes de services sociaux de Toronto qui sert 37 000 personnes chaque année, dans 40 endroits.
En tant que chef de file de l'innovation sociale, nous comprenons l'objet de votre étude. La violence entre partenaires intimes et la violence familiale sont des problèmes sociaux dont les racines sont structurelles, comme l'inégalité entre les sexes, la peur de représailles et l'acceptation de la violence émotionnelle, psychologique et physique par le partenaire en raison de la normalisation de la supériorité masculine par notre société.
Les voies d'accès à l'indépendance économique par la promotion de l'éducation des femmes sont souvent compliquées par des problèmes tels que le manque de logement abordable, la faible disponibilité et l'abordabilité des services de garde d'enfants et la nécessité d'obtenir des prêts pour payer des études postsecondaires, ce qui entraîne automatiquement l'endettement.
La violence entre partenaires intimes et familiale subie par les femmes et les filles est attribuée à une vaste gamme d'obstacles structurels financiers et sociaux. Il faut donc coordonner les efforts en mettant l'accent sur les lacunes à combler entre les systèmes cloisonnés.
Le Programme Homeward Bound de WoodGreen Services Communautaires est un modèle de programme qui élimine les obstacles empêchant les femmes de quitter un milieu dangereux. Lancé en 2004, il est le premier du genre au Canada. Le Programme Homeward Bound permet à des mères célibataires sans abri ou mal logées, dont environ 80 % ont été victimes de violence, d'avoir accès à quatre années de logement de transition, à des services de garde d'enfants, à des services de santé mentale et de consultation familiale, aux études postsecondaires et à un emploi durable, avec l'aide de notre conseil de l'industrie.
Issues de milieux et d'expériences très divers, les femmes que nous aidons sont unies dans l'espoir d'un avenir meilleur. Elles travaillent d'arrache-pied pour se frayer un chemin vers un emploi durable, un logement permanent et un avenir positif et sans violence pour elles-mêmes et leurs enfants.
Nous avons inclus dans notre documentation une référence à une étude externe qui décrit l'incidence du Programme Homeward Bound en chiffres, notamment sur le rendement social de l'investissement: pour chaque dollar investi dans Homeward Bound, environ six dollars de valeur sociale et économique sont créés. De plus, 94 % des diplômées du programme sont logées en toute sécurité à la fin du programme. Le taux d'emploi passe de 6 % à l'entrée à 87 % dans les cinq ans suivant la sortie du programme.
WoodGreen diffuse ce modèle par l'entremise de partenariats affiliés avec Peterborough, la région de Halton ainsi que Brantford. Nous avons aussi collaboré avec la Fédération des centres d'amitié autochtones de l'Ontario pour diffuser la formation et l'adapter à des considérations culturelles autochtones. WoodGreen Services Communautaires soutient les politiques, les partenariats et les initiatives qui visent à renforcer l'autonomie des femmes vulnérables et à lutter contre la violence familiale au Canada.
Sur la base de notre vaste expérience auprès de femmes et d'enfants traumatisés, nous aimerions formuler quelques recommandations: un financement de base et de fonctionnement pour soutenir des programmes à plus long terme offrant des services de soutien englobants, axés sur l'élimination des obstacles structurels financiers et sociaux de nature systémique auxquels se heurtent les femmes et les filles qui fuient la violence familiale; une aide financière pour des possibilités de logement abordable et indépendant à plus long terme offertes aux femmes et aux filles qui fuient la violence familiale plutôt que des solutions temporaires, souvent par l'entremise du réseau de refuges; des améliorations procédurales dans le système des tribunaux de la famille en cas de litiges en matière de divorce, de garde d'enfants, de droit de visite, de pension alimentaire pour enfants et conjoint, en mettant l'accent sur l'octroi de ressources suffisantes pour une représentation juridique plus efficace afin d'éviter un nouveau traumatisme et d'autres abus; à titre de mesure préventive, se concentrer davantage sur les auteurs de violence plutôt que sur leurs victimes et soutenir la recherche, les recommandations et les approches fondées sur des données probantes en matière de pratiques d'éducation et d'intervention.
Je vous remercie beaucoup de votre attention et de l'occasion qui m'est donnée de m'adresser à vous.
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Fantastique. Merci de cette précision. Je reviendrai à vous dans une seconde.
Je veux m'adresser à M. Stevenson, si vous me le permettez.
Je trouve que ce que vous faites est vraiment intéressant. Vous soulignez qu'il ne s'agit pas de vertu ostentatoire. Comme le dit l'une de mes citations préférées de M. Rogers: « Tout ce qui peut être exprimé peut être plus facile à gérer ». Quand on commence à en parler, l'éducation égale sensibilisation égale changement.
Cependant, je suis curieuse de connaître les prochaines étapes. J'aime que vous entamiez ce dialogue et cette conversation. Si vous pouviez le préciser à nouveau, par quel groupe d'âge commencez-vous? Vous avez déclaré que vous vous adressiez surtout aux hommes et aux garçons. C'est exact?
Je pense que ce qui est intéressant... Je suis curieuse de savoir comment vous intégrez cela, si vous avez des personnes ayant une expérience vécue. J'aime ce que vous avez dit au début que dans certaines familles, c'est la normalité. J'aime comment vous avez utilisé l'exemple de l'alcool au volant. Dans certaines régions, notamment les régions rurales ou isolées de notre pays, c'est peut-être la norme sociale. C'est la façon de composer avec la situation.
Je suis curieuse de savoir où vous orientez les hommes. Parfois, lorsque nous lançons ces conversations, elles peuvent ouvrir une blessure. Ils peuvent se dire: « Wow, je suis réellement l'une de ces personnes qui contribuent à ce problème. Je n'avais pas réalisé à quel point mon comportement est nuisible. Je faisais juste ce qu'on m'a appris ». Où les orientez-vous? De quelles ressources disposez-vous pour les aider à entreprendre un voyage pour corriger et désapprendre ce comportement?
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C'est une excellente question.
Je pense que vous auriez pu demander... ou je vais répondre à une question que vous avez peut-être ou peut-être pas posée, puis répondre directement à celle-ci. Nous avons un conseil des tantes sages, composé de femmes dont la plupart ont vécu des expériences très marquantes… Pour ainsi dire, elles possèdent une grande profondeur d'expérience dans ce domaine. Elles nous guideront et veilleront à ce que nous restions…
Nous disons très consciemment qu'il s'agit d'un enjeu pour lequel les hommes doivent se mobiliser et apporter leur soutien, et non pas se mettre au premier plan. Nous devons être très prudents et nous assurer de favoriser une conversation plus large à travers le Canada.
En ce qui concerne les ressources destinées aux hommes, notre approche consiste explicitement à essayer de travailler avec de grandes organisations si nous pouvons. Nous déployons nos efforts en ce sens. Nous demandons à cette organisation, par exemple au gouvernement fédéral, de quels mécanismes de soutien elle dispose en tant qu'institution, avant de commencer à lui demander de soulever cet enjeu et de présenter le profil exécutif...
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Merci, madame la présidente.
J'aimerais remercier tous nos témoins de leur présence pour répondre à certaines de nos questions sur ce sujet vraiment important.
Je vais m'adresser d'abord à Mme Petrova.
Vous avez beaucoup parlé des obstacles financiers et sociaux qui empêchent les femmes d'échapper à la violence dans leur foyer. Vous avez aussi évoqué quelques recommandations sur lesquelles vous souhaitez que notre gouvernement se penche, et c'est l'endroit idéal pour le faire, car nous voulons des recommandations.
Je vais vous donner l'occasion de préciser un peu les quatre recommandations que vous avez citées, qu'il s'agisse de s'attaquer aux obstacles financiers systémiques... Pourriez-vous nous en dire plus sur la façon dont nous pouvons y parvenir?
À la fin, vous avez dit qu'il fallait se concentrer sur l'agresseur plutôt que sur la victime, alors vous pourriez nous donner aussi un peu plus de détails à ce sujet.
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Bien sûr. Je vous remercie de votre question.
En fait, je suis ici pour présenter le Programme Homeward Bound comme un très bon exemple d'un modèle qui s'attaque aux obstacles structurels tant sociaux que financiers. Je pense que des témoins précédents ont reconnu que le problème de la violence entre conjoints n'est jamais un problème unidimensionnel. Les femmes et les filles qui fuient ces situations de violence sont confrontées à plusieurs problèmes. Si, dans la communauté, il n'existe pas d'outils vers lesquels elles peuvent se tourner et auxquels elles peuvent faire confiance pour fuir la violence et se sentir en sécurité, elles ne quitteront pas la relation ou le milieu dans lequel elles se trouvent.
En général, si vous êtes une femme maltraitée et vous souhaitez changer de vie, souvent, il ne s'agit pas seulement de violence psychologique. Il s'agit aussi de violence économique et parfois physique. Les femmes subissent différents types de violence. Si elles sont dépendantes du point de vue financier, la première chose qu'elles doivent envisager pour mettre fin à la relation est de trouver un logement abordable.
Des témoins précédents ont parlé de la difficulté de trouver un logement abordable de nos jours. Voilà pourquoi, dans le programme, nous essayons de nous attaquer à ces enjeux. L'une des recommandations, si je peux l'aborder et la développer un peu plus, est un financement de base pour ces programmes types complets qui ne se contentent pas de fournir un refuge immédiat pour fuir une situation d'exploitation et de violence, mais qui offrent aussi des possibilités pour que cette personne puisse s'attaquer aux obstacles et parfaire son éducation, avoir un logement plus permanent pour elle-même, surtout lorsque des enfants sont en jeu, et avoir des possibilités d'emploi, pas seulement des emplois de survie, mais des possibilités qui lui permettront d'atteindre l'autosuffisance financière.
Vraiment, c'est la recommandation. Il s'agit d'examiner la situation dans son ensemble. Ces femmes ne sont généralement pas confrontées à un seul obstacle. Ce n'est pas un problème cloisonné.
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J'ai une autre question. Je ne suis pas sûre que vous puissiez répondre. Si vous le pouvez, dites-le-moi.
Nous avons entendu du groupe de témoins précédent que de nombreuses femmes sont souvent refoulées lorsqu'elles demandent de l'aide. Lorsqu'elles se présentent à un refuge, il manque de places. Cela peut être très dangereux pour ces femmes. Elles courent déjà un risque énorme en partant. Selon la situation, cela peut être très dangereux. Il pourrait s'agir d'une question de vie ou de mort. Souvent, elles sont refoulées sans avoir nulle part où aller.
Cela a également beaucoup à voir avec le contrôle coercitif. Beaucoup de choses ne peuvent pas forcément être prouvées dans ces situations. Lorsqu'il ne s'agit pas de violence physique et qu'il n'y a pas d'ecchymoses sur le corps, ou qu'il n'y a aucun moyen de prouver la violence, il est souvent très difficile pour une femme d'aller chercher de l'aide auprès de la police ou de quiconque.
Avez-vous des réflexions à ce sujet? Avez-vous des recommandations sur la façon dont nous pouvons faire en sorte de donner du pouvoir aux femmes pour qu'elles soient crues et qu'on leur donne des outils qui ne se retournent pas contre elles, au bout du compte?
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Permettez-moi tout d'abord de remercier les témoins qui se joignent à nous cet après-midi.
Ma première question s'adressera à MM. Stevenson et Lacerte. Monsieur Stevenson, je vous remercie de votre allocution d'ouverture.
Selon l'Institut national de santé publique du Québec, « [l]es femmes autochtones ont un risque plus élevé d'être victimes de violence conjugale et subissent des formes plus graves de violence que les femmes non autochtones ». De plus, celles-ci « sont surreprésentées en tant que victimes d'homicide aux mains d'un partenaire amoureux ».
Messieurs Stevenson et Lacerte, pourquoi les violences faites aux femmes autochtones sont-elles plus fréquentes et plus graves que dans le cas des femmes non autochtones?
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Salutations. Je vous présente mes sincères excuses pour mon retard en raison de problèmes techniques avec mon système. Je n'ai pas voulu vous manquer de respect. Toutes mes excuses et merci au personnel pour son soutien.
Tout d'abord, je dirais en tant que père de quatre femmes visiblement autochtones et en tant qu'homme des Premières Nations ayant grandi le long de la Route des larmes — la Route des larmes traverse le territoire de notre Première Nation Carrier — que l'affirmation et les statistiques que vous citez correspondent au vécu des femmes autochtones dans ce pays. Pour ceux d'entre nous dont la famille compte des femmes visiblement autochtones, nous savons que ces statistiques ne s'appliquent pas seulement aux femmes autochtones qui sont vulnérables ou qui ont un mode de vie à haut risque.
La question que vous soulevez, le « pourquoi », a des racines profondes à l'échelle institutionnelle dans ce pays. L'existence du racisme systémique et du racisme législatif a touché et directement déplacé les femmes autochtones et perturbé nos anciens régimes matriarcaux. L'effet persiste dans tous les systèmes. Comme vous le savez, par exemple, au mois de janvier, le pourcentage de femmes autochtones incarcérées au Canada a dépassé 50 % pour la première fois. Nous avons donc des indicateurs qui montrent que nous allons dans la mauvaise direction en ce qui concerne l'incroyable marginalisation, l'insécurité et le manque de soutien des femmes autochtones par rapport aux autres femmes et certainement par rapport aux Canadiens en général.
Ces défis qui font que nos femmes sont assassinées, enlevées et portées disparues sont intergénérationnels. Ils sont systémiques. Ils sont législatifs et réglementaires. L'une de mes dernières recommandations à propos des obstacles systémiques au sein de nos systèmes de maintien de l'ordre, y compris au sein de la GRC, est de faire en sorte que les femmes autochtones soient perçues sous l'angle du respect et de l'égalité et non dans cette idée qu'elles sont inférieures ou souvent intoxiquées ou qu'on ne peut leur faire confiance et les croire sur parole, comme l'intervenante précédente l'a dit.
Une partie de notre théorie du changement dans ces contextes généraux est simple. C'est d'insister sur le caractère cérémonial de quelque manière que ce soit qui a un sens pour ces systèmes, et de faire intervenir...
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Ma première question s'adresse à Paul Lacerte.
Vous avez évoqué l'incidence des politiques coloniales, en ce qui concerne l'effet qu'elles ont eu sur la violence faite aux femmes, aux filles et, je dirais, aux personnes de genre différent. La Loi sur les Indiens a notamment usurpé le rôle traditionnel des femmes en tant que matriarches, mais elle a eu également une incidence sur la compréhension des rôles traditionnels des hommes, qui devaient être les protecteurs des femmes, en déformant ce rôle et cette responsabilité sacrés. Je pense que c'est quelque chose que la Moose Hide Campaign essaie de défendre, de rétablir.
J'affirmerais aussi, comme vous l'avez mentionné, qu'une partie du problème lorsque l'on parle des femmes autochtones tient à la violence et à l'hypersexualisation normalisées à l'endroit des femmes et des filles autochtones, ainsi qu'à une sorte de vision romancée des femmes autochtones tel qu'elles sont représentées dans les médias. C'est certainement ce que fait Disney dans sa représentation de Pocahontas et de sa merveilleuse histoire d'amour avec John Smith, sans oublier qu'il s'agissait d'une jeune fille de 13 ans qui a été mariée à un vieil homme sale.
Il suffit de penser au mois d'octobre et à l'Halloween — où l'on voit des choses comme des costumes appelés « la squaw sexy » — pour vraiment comprendre à quel point cette normalisation de l'hypersexualisation et de la violence est ignoble et profondément ancrée.
Comment la Moose Hide Campaign contribue-t-elle à remédier à cette situation?
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C'est une question très complexe.
J'attirerai l'attention sur deux points. Le premier, c'est notre effort dans l'espace de la décolonisation et de la reculturisation dans le cadre duquel nous mobilisons la collectivité et concevons une stratégie. La cérémonie du passage à l'âge adulte est un très bon exemple de pratique écartée. Ce que nous encourageons notamment au niveau communautaire — et M. Stevenson en a peut-être parlé à propos de notre processus de la maternelle à la 12e année —, ce sont les possibilités d'intervenir tôt à l'adolescence, moment où les jeunes peuvent être reprogrammés le long du continuum des genres, masculin et féminin, et pour comprendre les effets sur eux-mêmes des traumatismes de la petite enfance.
Nous sommes dans une situation où il est très courant dans nos collectivités que les traumatismes de la petite enfance ne soient pas guéris. Pour ce qui est d'appliquer cette optique culturelle et une optique cérémonielle, un bon exemple par rapport à cette question très générale est de soutenir la pratique des cérémonies de passage à l'âge adulte. Le code de conduite que vous avez quand vous êtes un homme et les comptes que vous devez rendre aux hommes de la collectivité, ce renforcement communautaire intégrateur, prennent toute leur place quand nous renouons avec ce genre de pratiques.
Il n'existe pas de panacée dans cet espace. C'est une question de changement culturel et il s'agit de changer notre raisonnement générationnel, afin que les effets dévastateurs de ces attitudes et de ces perceptions des femmes autochtones accentuées par Hollywood, mais aussi par les attitudes dominantes dans les institutions canadiennes, dans l'appareil judiciaire, dans le système policier, etc.
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Notre temps étant limité, je dirai juste que ce type de comportement de la part des hommes est même constaté au sein de nos institutions, y compris à la Chambre des communes.
Vous avez parlé de changement de culture. Diriez-vous que la réappropriation de la culture, s'agissant des rôles et responsabilités traditionnels des hommes, aide à faire changer le discours sur la violence, notamment chez les jeunes hommes autochtones?
Je pense à ma collectivité où de jeunes Autochtones organisent des cercles et veillent mutuellement à ce que chacun d'entre eux dise qu'il veut mettre fin à la misogynie. Ils veulent reprendre leur rôle et leurs responsabilités sacrés.
Pensez-vous que la réappropriation de la culture soit, en fait, la meilleure stratégie pour atténuer la crise de violence?
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Je vous remercie. Je sais que ma collègue poserait des questions très intéressantes. Je vais donc souhaiter qu'elle m'inspire dans mes propres questions.
Chers témoins, vous êtes formidables. J'apprends beaucoup de choses, pour tout dire.
Je vais revenir à Mme Petrova.
J'aimerais beaucoup que vous en disiez plus sur le programme Homeward Bound. Je m'en fais très volontiers l'ambassadrice ici, dans ma circonscription de Peterborough-Kawartha. J'ai vu comme il transforme la vie de femmes.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il donne des résultats, selon vous, et nous dire si vous voudriez qu'il devienne un programme national standard offert à l'échelle fédérale?
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Je vous remercie infiniment de l'occasion extraordinaire que vous me donnez d'en parler.
Je parle toujours passionnément du programme Homeward Bound. J'y travaille depuis 2008. J'ai été témoin de l'incroyable transformation de femmes qui sont passées par le programme. Comme je l'ai dit, la majorité d'entre elles venaient du système des refuges. Lorsqu'elles quittent le programme, nous avons leur remise de diplôme qui est quelque chose de très officiel où les majors de promotion prennent la parole.
J'en ai la chair de poule. C'est ce qui continue de me motiver.
Pour le programme Homeward Bound, nous avons la chance à WoodGreen d'avoir tellement de services au même endroit, avec des aides au logement et à l'emploi, en plus de centres de garderie. L'organisme en compte six, dont un réservé aux participantes du programme Homeward Bound.
L'éducation et l'emploi sont réellement les objectifs du programme. Nous finançons des études collégiales qui mènent à un diplôme en deux ans, de sorte qu'elles acquièrent une formation dans un des collèges communautaires de Toronto.
Ce ne sont pas des programmes au hasard. Ils sont reliés au marché du travail. Notre atout est d'avoir établi des relations avec des entreprises partenaires. Nous en avons un certain nombre sur notre liste. Elles proposent des stages et encouragent l'emploi.
Nous ne parlons pas d'emplois de survie, mais d'emplois qui mènent à des carrières, et...
Certainement. Nous travaillons à rebours, en quelque sorte. Nous étudions les débouchés sur le marché du travail. Tous les programmes que nous finançons sont consultés par nos partenaires du conseil de l'industrie, c'est-à-dire les employeurs qui offriront les stages et l'emploi.
Comme je l'ai dit, nous travaillons principalement avec des entreprises partenaires, ce qui fait que les possibilités sont nombreuses. D'après une étude — que nous joindrons aux notes que nous vous enverrons —, 8 % des femmes qui sont logées peuvent se permettre d'acheter un logement dans les cinq ans, ce qui me semble fantastique. À mon avis, c'est incroyable.
Je n'en ai pas parlé, mais nous travaillons aussi en étroite collaboration avec des constructeurs pour offrir des possibilités de logement abordable à la sortie du programme. Nous avons deux possibilités. Il y a trois ans, il y avait 10 logements, et nous avons réussi à en obtenir 35 dans un gros immeuble avec des contrats de location mixtes pour les participantes qui ont terminé le programme. Le nombre d'appels que nous recevions quand nous...
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Je vous remercie de m'en donner l'occasion.
Je donnerai rapidement quelques chiffres. En tout, 46 % des participantes au programme viennent du système des refuges et 94 % ont un logement stable à la sortie du programme. J'ai mentionné que 8 % sont propriétaires.
En tout, 64 % des participantes avaient une 12e année de scolarité ou moins, et à la sortie du programme 100 % d'entre elles ont fait des études postsecondaires, des études collégiales. Quand elles arrivent dans le programme, 94 % sont sans emploi et 88 % ont un emploi à leur sortie du programme. Quelque 90 % étaient inscrites à L’Ontario au travail, avec un revenu de 1 100 $ ou 600 et quelques dollars. Le salaire moyen à la sortie du programme est de 43 000 $.
Les avantages du programme ne sont pas seulement un logement stable, une meilleure formation et de meilleures perspectives d'emploi, mais aussi des avantages indirects pour leurs enfants. Ils voient leur maman se donner à fond dans sa formation. Elles participent à des programmes de mentorat et sont de modèles positifs pour eux... Les retombées sont multiples et elles ne sont pas toutes immédiates.
Le programme est long, nous le savons. C'est aussi pour cela qu'il donne d'aussi bons résultats. Il donne aux femmes le temps de se ressaisir et de travailler sur tout problème qu'elles ont, tout en suivant des études et en acquérant de l'expérience dans le cadre de stages et d'emplois.
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Volontiers. Je vous remercie de la question.
Vous avez raison. Nous avons un programme de parcours d'apprentissage pour les jeunes. Il comporte différentes étapes pour différents âges. De la maternelle à la 12e année, il y a trois ou quatre niveaux qui sont fonction de l'âge de l'enfant.
Nous nous appuyons beaucoup sur le soutien par les pairs et sur le mentorat, et nous utilisons aussi des TikTokeurs célèbres, par exemple, pour faire passer le message sur la participation et l'affirmation de soi. Nous encourageons la créativité dans l'espace. Nous avons des concours artistiques et des concours de vidéo, ce qui est un aspect très ludique du programme, de même qu'une occasion de participer à des échanges.
Nous organisons des ateliers en ligne. En fait, nous allons trouver les enseignants et nous proposons des ateliers en ligne d'une heure avec différentes personnes, ce qui peut se faire à l'école, puis nous faisons le lien avec notre journée de la Moose Head Campaign.
Le jour même de la Moose Head Campaign, il y aura une assemblée plénière des jeunes. Encore une fois, la gouverneure générale dira quelques mots, puis des TikTokeurs célèbres interviendront. Il s'agit, au fond, d'encourager à discuter du sujet, à parler du fait qu'il faut se montrer respectueux et bienveillant dans cet espace.
Évidemment, cela dépend de l'âge des enfants. On ne parle pas de la même manière à un élève du secondaire qu'à un élève du primaire. Nous avons deux enseignants des Premières Nations autochtones qui conçoivent l'activité et l'utilisent. Je ne parlerai pas de « programme scolaire » parce qu'un programme scolaire, c'est quelque chose de particulier, mais il s'agit certainement d'un parcours d'apprentissage, et il est destiné à aider les jeunes à avancer dans la vie.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Je remercie les témoins de la deuxième heure de leurs témoignages, soit M. Stevenson, M. Lacerte et Mme Petrova.
Mes questions s'adresseront aux trois témoins.
J'aimerais aller un peu plus loin. Plusieurs témoins ayant comparu devant le Comité dans le cadre de cette étude ont mis en avant des propositions pour résoudre certains problèmes de violence conjugale ou, du moins, pour améliorer la situation. On a notamment proposé d'améliorer l'accès aux ressources d'aide, d'augmenter le financement des ressources et de faire plus de prévention. Ce sont des outils parmi bien d'autres.
Au Québec, par exemple, on a mis en place un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale. Cela vient toucher à la question de la sensibilisation de tout le monde.
Croyez-vous que l'on devrait intervenir sur ce plan?
Par ailleurs, il est aussi question d'instaurer des bracelets antirapprochement pour les agresseurs.
Que pensez-vous de ces solutions législatives qui pourraient accompagner des mesures de sensibilisation du public?
Le gouvernement fédéral pourrait-il mettre en place des mesures semblables à ce qui se fait au Québec, mais qui viseraient l'ensemble du pays?
Mes dernières questions sont pour Yordanka Petrova.
Avant de me lancer en politique, j'ai longtemps enseigné à la faculté d'éducation de l'Université de Winnipeg, dans le programme d'accès à l'éducation. Ce programme avait ceci de formidable qu'il était holistique. Les étudiants recevaient des soutiens en santé mentale, des bourses d'études et des cours particuliers, si nécessaire. Beaucoup étaient des apprenants non séquentiels, et le programme permettait aux étudiants qui avaient besoin d'autres soutiens d'accéder à l'éducation en étant capables de réussir.
Je constatais souvent que ces étudiants étaient meilleurs que ceux que j'avais sur le campus principal. C'est maintenant dans le hansard, mais c'est vrai. C'étaient mes meilleurs étudiants. Ils produisaient le meilleur travail.
En ce qui concerne le financement de programmes éducatifs dans le cadre de transferts fédéraux, diriez-vous que nous devons changer des choses et pas prendre seulement en considération les parties enseignement, mais aussi l'étudiant dans sa globalité?
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Je tiens à tous vous remercier.
Merci beaucoup, monsieur Stevenson, monsieur Lacerte et madame Petrova. Vos témoignages étaient très intéressants. Au nom du comité, si vous avez de la documentation par ailleurs ou quelque chose que vous souhaiteriez nous envoyer, n'hésitez pas.
Je vous rappelle à toutes que mardi, nous aurons Simon Lapierre, Sakeenah Homes, le Women's Centre for Social Justice, l'Ogijiita Pimatiswin Kinamatawin et le YWCA de Peterborough Haliburton.
Je vous remercie toutes et tous.
La séance est levée.