Passer au contenu

CIIT Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

OPINION DISSIDENTE

PETER JULIAN, DÉPUTÉ – PORTE-PAROLE DU NPD EN MATIÈRE DE COMMERCE – 5 décembre 2007

            Dans la négociation d’accords commerciaux et la recherche de nouvelles relations commerciales avec d’autres pays, le Canada ne peut dissocier les droits de la personne, les droits des travailleurs et l’environnement des questions commerciales. Hélas, le rapport du Comité permanent du commerce international fait totalement fi de l’inévitable enchevêtrement de ces quatre enjeux. Le NPD croit qu’il est de la plus haute importance de diversifier les échanges commerciaux du Canada, mais déplore que le gouvernement resserre nos liens commerciaux avec des pays qui ne respectent ni les droits de la personne ni la démocratie.

            Depuis la mise en application de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis en 1989, les Canadiens qui gagnent moins de 60 400 $ par année, soit les deux tiers des ménages canadiens, voient leur revenu réel diminuer. La part du revenu total des 20 p. 100 les plus riches de la population approche maintenant 50 p. 100, ce qui laisse une part de plus en plus petite à leurs concitoyens. Il ne fait aucun doute que le libre-échange n’a profité qu’aux mieux nantis. Depuis la signature de l’Accord et de l’ALENA, les Canadiens les plus pauvres ont vu leur revenu diminuer au point de perdre l’équivalent d’un mois et demi de salaire. La plupart des Canadiens doivent travailler plus longtemps pour dégager un salaire net plus faible. En tout, depuis 1991, le nombre de Canadiens qui font des heures supplémentaires a augmenté de 48 p. 100, et ils font maintenant 22 p. 100 de plus d’heures supplémentaires.

            Le NPD a déjà déposé, en mars 2007, une opinion dissidente dans laquelle il décrivait sa conception d’une politique commerciale canadienne équitable[1]. Aujourd'hui, il la réitère.

            Le porte-parole du NPD en matière de commerce international, Peter Julian, a aussi déposé la motion M-308, qui incorpore les principes du commerce équitable :

M-308 — 16 octobre 2007 — M. Julian (Burnaby—New Westminster) — Que, de l'avis de la Chambre, le gouvernement devrait voir à ce que tous les traités commerciaux internationaux, les accords et les politiques d’investissement qu’il met au point et propose : a) respectent les principes éthiques de la justice et de l'équité économiques; b) garantissent et respectent les droits internationaux des travailleurs, y compris le droit à un salaire raisonnable, à des avantages sociaux de base et à la négociation collective; c) favorisent l'avancement de la cause des femmes au niveau du développement social et économique; d) défendent les principes démocratiques, l’égalité pour tous, le développement humain durable et la réduction de la pauvreté; e) protègent l’environnement naturel de la Terre et respectent les droits et responsabilités des gens à l’égard de la protection du patrimoine naturel mondial grâce à l’utilisation durable de leurs ressources locales et traditionnelles; f) fassent l’objet d’une analyse basée sur les répercussions pouvant être entraînées sur les personnes les plus vulnérables; g) prévoient la participation active des intervenants les plus vulnérables; h) respectent le rôle légitime du gouvernement de mettre au point, en collaboration avec la société civile, des politiques sur le développement et le bien-être de sa population.

            Le NPD convient que, en ce qui concerne les relations du Canada avec l’Union européenne, il est tout à fait sensé de chercher à accroître le commerce du Canada avec ce groupe de nations. Ces nations ayant un poids commercial comparable au sien et étant dotées de régimes politiques semblables au régime canadien, elles sont parfaitement conformes à ses objectifs commerciaux.

            Dans son rapport, le Comité fait quelques autres recommandations techniques valables sur la façon d’élargir nos liens économiques avec les autres pays, et le NPD a insisté pour qu’il reconnaisse que le Canada doit investir beaucoup plus d’énergie dans la promotion de son commerce, un poste de dépense que le gouvernement actuel néglige. Dans l’ensemble, toutefois, le rapport majoritaire trahit un manque de vision consternant, une indifférence à l'égard des droits de la personne et une foi aveugle dans les accords de libre-échange.

            Par exemple, lorsqu’il a comparu devant le Comité, le ministre du Commerce international a fait état du volume des échanges entre le Chili et le Canada, qui s’est accru depuis l’entrée en application d’un accord de libre-échange conclu en 1997. Or, le déficit commercial entre les deux pays augmente lui aussi, mais en faveur du Chili. Le ministre a quand même parlé uniquement des nouvelles possibilités d’investissement que l’accord représente pour les sociétés canadiennes au Chili, écartant complètement le déficit commercial, comme s’il n’était ni important ni pertinent. La politique du gouvernement conservateur est donc claire : du moment que les sociétés canadiennes peuvent invoquer les dispositions de l’accord sur la protection des investissements pour acquérir des actifs dans d’autres pays et maximiser leurs profits, il leur importe peu que des centaines de milliers d’emplois bien rémunérés soient perdus dans le secteur manufacturier canadien. 

            Peut-on faire du commerce international sans se soucier des droits de la personne?

            La position du Comité à l'égard de la péninsule d’Arabie n’est pas recevable. En prônant des liens économiques plus forts avec le Conseil de coopération du Golfe, dont le membre le plus influent est l’Arabie saoudite, le Comité sanctionne et légitime un régime qui réprime durement les droits de la personne et surtout ceux des femmes. L’Arabie saoudite offre des perspectives économiques considérables, mais ses atteintes aux droits de la personne sont tellement graves qu’un accroissement du commerce ne se justifie plus. 

            Récemment, une Saoudienne de 19 ans que sept hommes avaient sauvagement agressée sexuellement a été condamnée à six ans de prison et à 200 coups de fouet parce qu’elle avait simplement été vue en public en compagnie d’un homme avant l’agression. Fermer les yeux sur des atteintes pareilles à la dignité humaine est en soi criminel. Il est inconvenant et contraire à l’éthique de négocier des accords commerciaux privilégiés avec des régimes aussi répressifs que l’Arabie saoudite, et pourtant, c’est exactement ce que la majorité des membres du Comité recommande de faire.

            Le Comité recommande aussi au gouvernement de s’efforcer de resserrer nos liens économiques avec l’ANASE, un groupe de pays asiatiques dont fait partie la Birmanie, pays sous la coupe d’un régime extrêmement brutal sur lequel le gouvernement conservateur prétend exercer des pressions. C’est de l’hypocrisie. Élargir davantage notre commerce avec la Birmanie réduit à néant toutes les pressions même symboliques que le Canada peut exercer sur la junte militaire au pouvoir en Birmanie.   

            C’est avant tout avec les démocraties asiatiques que le gouvernement devrait chercher à diversifier le commerce international du Canada. Notre pays jouit d’une riche diversité ethnique qui compte dans ses rangs beaucoup de gens ayant des liens culturels et économiques avec l’Asie, des liens que nous pourrions mettre à profit pour étendre notre commerce. Il ne manque pas de nations ayant une feuille de route parfaite dans les dossiers de la démocratie et des droits de la personne et avec lesquelles le Canada pourrait nouer des liens commerciaux plus forts.

            Quelle sorte de message le Canada tient-il à diffuser sur la scène internationale, au fait? Il est trop facile de prêcher la démocratie et le respect des droits de la personne et de continuer de faire des affaires avec des régimes parmi les plus tyranniques de la planète. Que faisons-nous des valeurs – égalité, justice sociale et démocratie – qui définissent si souvent le Canada à l’étranger? Elles ne figurent malheureusement nulle part dans les objectifs de notre commerce international ni dans le rapport du Comité.

            Le gouvernement a appuyé la table ronde mise sur pied par le Comité des affaires étrangères sur la responsabilité sociale et celle des entreprises, qui a recommandé la mise en application d’un dispositif permettant d’obliger les sociétés canadiennes à rendre compte des actes de ce qu’elles font dans les pays en développement. Le rapport de notre comité ignore purement et simplement l’esprit et la teneur de ces recommandations.

            Le NPD a toujours insisté pour que le Canada trouve une formule de rechange à son actuelle politique commerciale. Le 28 mars 2007, il a présenté au Comité une autre opinion dissidente décriant l’absence de commerce équitable au Canada et dans laquelle il recommandait au gouvernement de faire de la dimension commerce / droits de la personne un élément important de toute politique commerciale :

Pour favoriser des pratiques commerciales loyales, notre politique commerciale doit promouvoir les droits des travailleurs, des conditions de travail décentes et le respect des enfants et de l’environnement par nos partenaires commerciaux. On associe trop souvent commerce et croissance de façon systématique alors qu’en fait, les pratiques commerciales déloyales nuisent à la concurrence et favorisent l’enrichissement d’une très petite minorité au détriment de la très grande majorité des citoyens[2].

            Dès 1985, pendant  que le gouvernement progressiste-conservateur de l’époque négociait l’Accord de libre-échange avec les États-Unis, le NPD produisait déjà un rapport intitulé « Une stratégie de rechange : commerce équitable vs libre-échange »  dans lequel il réclamait un commerce équitable plutôt que le libre-échange. Cela devait faire partie d’un ensemble de mécanismes susceptibles d’encourager un commerce durable à l'étranger et l’autonomie au Canada. Mais vingt-deux ans après, le gouvernement n’a toujours pas amené le Canada à adopter les principes du commerce équitable et persiste à  préférer faire du commerce avec des gouvernements coupables de violations flagrantes des droits de la personne.

            Le NPD s’inquiète aussi du soutien aveugle que le Comité apporte à la politique de bilatéralisme en vertu de laquelle le gouvernement conservateur tente de négocier des accords commerciaux inspirés de l’ALENA aussi nombreux que possible avec le plus grand nombre possible de pays. Le NPD reconnaît l’urgence de réformer le système multilatéral en général et surtout l’OMC, et il est intimement convaincu que renoncer à la coopération internationale est une erreur.

            Pourquoi le commerce équitable est-il une solution de rechange durable?

            Les Néo-démocrates croient que le commerce équitable constitue une formule de rechange sérieuse offrant des possibilités économiques et sociales considérables. Dans un contexte multilatéral, le Canada pourrait devenir un leader en élargissant son commerce avec d’autres nations démocratiques et en mettant à profit sa grande diversité et ses liens culturels avec le monde entier. La pierre d’angle d’une bonne politique de commerce équitable consiste à accroître notre commerce avec des nations qui ont une démocratie vivante et forte et où les industries respectent les droits de leurs travailleurs et favorisent le développement.

            La justice sociale fait partie intégrante des pratiques commerciales équitables. Le commerce équitable repose sur des entreprises locales qui investissent dans leur communauté et contribuent à y maintenir la vie économique et sociale. Les droits des travailleurs et les droits environnementaux comptent parmi les valeurs fondamentales de ces entreprises, et grâce à eux, les travailleurs et les consommateurs peuvent faire des choix garants d’une plus grande pérennité socioéconomique et environnementale.

            Le commerce équitable constitue un choix économique qui se justifie. Il produit des emplois stables qui contribuent à combattre la pauvreté, ce qui permet aux nations démocratiques de prospérer et de se doter d’économies durables. Par exemple, au Québec, en 2000, 64 p. 100 des coopératives faisaient encore des affaires cinq ans après leur fondation, comparativement à 36 p. 100 seulement des entreprises privées[3].

            Diversifier le portefeuille commercial du Canada aurait l’avantage supplémentaire de réduire la dépendance quasi exclusive du Canada à l'égard du marché américain, un état de choses qui montre à quel point il est nécessaire de créer des liens commerciaux équitables avec d’autres pays, comme en font foi certains effets secondaires néfastes de l’ALENA, tels le règlement sur le bois d’œuvre.

            Le NPD recommande au Canada, lorsqu’il négociera des accords commerciaux avec d’autres nations, d’exiger une évaluation clairement définie des effets de ces accords sur les droits de la personne. Si le gouvernement étudiait une seule recommandation, il faudrait que ce soit celle-là.

            Pourquoi le gouvernement va-t-il dans la mauvaise direction?

            La réaction du gouvernement conservateur aux craintes graves que nous avons formulées au sujet du commerce international et des droits de la personne a de quoi ternir sa réputation. Le secrétaire parlementaire du ministre du Commerce international a répondu à la Chambre à une question du NPD sur les négociations du gouvernement avec la Colombie, pays avec lequel il veut conclure un accord de libre-échange, ce qui montre bien l’indifférence dangereuse qui caractérise le gouvernement actuel à l'égard du respect des droits de la personne dans le commerce international.

            Le secrétaire parlementaire, comme les membres conservateurs du Comité et le ministre du Commerce international, ont tous avancé le même argument :

Nous pouvons favoriser le respect des droits de la personne dans d'autres pays en donnant à ces derniers la possibilité de s'engager dans des relations commerciales. […] [E]n ouvrant nos portes au commerce avec l'étranger, nous contribuons à faire avancer la cause des droits de la personne, et c'est ce que nous continuerons de faire[4].

            En somme, le gouvernement conservateur croit que le respect des droits de la personne résulte «d’un effet de ruissellement » , c'est-à-dire que les pays vont commencer spontanément à respecter les droits dès que nous aurons des liens commerciaux avec eux.

            Le principe à la base de cet argument est défectueux. Le commerce privilégié avec d’autres pays ne fait pas progresser la cause des droits de la personne ni de la démocratie, et l’histoire ne manque pas d’exemples qui le démontrent. Par exemple, le gouvernement conservateur aurait-il négocié un accord de libre-échange avec l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid, avec le Chili de Pinochet ou avec l’Iraq de Saddam Hussein pour mettre un terme aux brutalités de ces régimes tyranniques?

            Le gouvernement conservateur oserait-il dire que nos relations commerciales avec la Chine amèneront le gouvernement chinois à accorder plus de droits démocratiques aux citoyens du pays? Le massacre de la place Tiananmen remonte à dix‑huit ans. Depuis, le commerce du Canada avec la Chine a explosé, mais la démocratie n’est encore qu’un rêve illusoire pour le peuple chinois.

            Le gouvernement conservateur se plaît à répéter qu’il lutte vigoureusement contre la criminalité; or, il est bien certain que dans des pays comme la Colombie, avec laquelle il tente de négocier un accord de libre-échange, les entreprises au comportement criminel ne seront pas inquiétées.

            Lorsque le Canada fait du commerce avec un gouvernement qui viole les droits de la personne, il légitime le régime et ses exactions. Pire, quand il tente de négocier des accords privilégiés avec ces gouvernements, comme le Comité le recommande, il soutient directement ces régimes brutaux et tyranniques.

           Il est moralement irresponsable de commercer avec des nations « politiquement stables » – pour citer le Comité –, mais où il n’y a ni démocratie ni liberté. Le NPD reconnaît fort heureusement qu’il y a d’autres options. S’il élaborait une nouvelle politique commerciale basée sur le commerce multilatéral équitable, le Canada deviendrait un leader sur la scène internationale. Nous aurions ainsi une chance de mettre de nouveau en chantier un projet d’un genre typiquement canadien : la reconnaissance du lien crucial qu’il y a entre la justice sociale et toutes les sphères du gouvernement.


[1] Julian, Peter. « Opinion dissidente – Nouveau parti démocratique », Vers une meilleure politique commerciale – Dix étapes, Rapport du Comité permanent du commerce international, avril 2007. 30e législature, 1re session.

[2]   Julian, Peter. « Opinion dissidente – Nouveau parti démocratique », Vers une meilleure politique commerciale – Dix étapes, Rapport du Comité permanent du commerce international, avril 2007. 30e législature, 1re session ».

[3] McLeod, Greg, « 'The Business of Relationships »', in Cooperatives and Local Development: Theory and Applications for the 21st Century, sous la direction de Chritopher D. Merrett et Norman Walzer (New York : M.E. Sharpe, 2004), p. 309.

[4] Débats de la Chambre des communes, Chambre des communes. 39e législature, 2e session. Volume 142, numéro 23, 23 novembre 2007.