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FAAE Rapport du Comité

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Même si le cœur de l’islam est à la Mecque, à Médine et dans le monde arabe, le cœur démographique de l’islam est en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est334.

M.J. Akbar

Le Canada est le seul pays anglophone avec lequel les musulmans de cette région du monde veulent avoir des rapports, qu’il s’agisse d’éducation ou d’aide extérieure. Et je le répète, il s’agit là de l’Asie du Sud-Est et du Sud, notamment de la Malaisie et de l’Indonésie où l’on trouve au moins 250 millions de musulmans. Le Canada y est perçu comme une puissance moyenne avec une conscience économique, morale et sociale. Nous avons donc là une occasion à saisir, mais cette image merveilleuse que nous avons, à juste titre à mon avis, est aussi lourde de responsabilités. Il est temps d’agir335.

Uner Turgay

Plus de la moitié des musulmans dans le monde vivent en Asie du Sud et Asie du Sud-Est. Ces sous-régions englobent l’Indonésie, le pays où l’on trouve la plus forte population musulmane du monde; l’Inde, le pays comptant la plus importante minorité musulmane; et le Pakistan, le seul pays expressément fondé pour les musulmans, et également une démocratie336. La Malaisie, autre État important dans la région, accueillait le 10e Sommet de l’OCI lors de la visite du Comité en octobre 2003. Bien qu’il n’existe pas de facteur qui puisse expliquer à lui seul le dynamisme d’un continent aussi large, varié et important que l’Asie, l’examiner dans la perspective de l’islam est utile pour deux raisons. D’une part, cela nous permet de comprendre un facteur clé de la dynamique d’une grande partie de l’Asie, particulièrement dans les grandes sous-régions de l’Asie du Sud et de l’Asie du Sud-Est. D’autre part, et fait tout aussi important compte tenu des priorités actuelles de la communauté internationale, cela révèle à quel point les opinions les plus répandues en Occident à propos du monde musulman — comme la présumée incompatibilité de l’islam et de la démocratie, et la subordination des femmes pour des motifs religieux — sont issues du monde arabe, beaucoup moins important sur le plan démographique. En fait, dans l’ensemble, les pays de l’Asie du Sud et de l’Asie du Sud-Est, notamment ceux à majorité musulmane, sont beaucoup plus démocratiques que les pays du monde arabe. De plus, même si les femmes font toujours l’objet de discrimination dans le monde, ces mêmes pays ont porté plus de femmes au pouvoir que les pays occidentaux. Alors qu’il s’en trouve pour dire qu’elles ont pris le pouvoir grâce à des liens familiaux, The Economist a souligné en décembre 2003 qu’il s’agit d’une pratique généralisée dans le monde et que «  dans une grande partie de l’Asie, la politique dynastique prend la forme d’un transfert masculin-féminin, pratique qui s’assimile à la tendance américaine où les veuves succèdent à leur mari. En Asie, par contre, un coup d’État ou un assassinat, voire les deux, servent souvent de prétexte pour accélérer la succession337.

À Londres, M. Bavna Dave, de la faculté des études orientales et africaines à l’Université de Londres, a également souligné l’importance des cinq États à majorité musulmane de l’Asie centrale, surtout depuis les événements de septembre 2001, et a recommandé que le Canada leur accorde une plus grande attention. Le Comité abonde dans son sens, ayant visité trois de ces États en 2000 et déposé, en juin 2001, un rapport dans lequel il signalait les dangers que faisait courir, d’un point de vue géopolitique, la lenteur des réformes socioéconomiques et de celles touchant les droits démocratiques et les droits de la personne, de même que les problèmes que pose l’islamisme militant en Asie centrale, une région qui borde l’Afghanistan (à l’époque encore sous la coupe des Talibans), le Pakistan et l’Iran.

Dans son rapport, le Comité recommandait que le gouvernement du Canada élabore des politiques spécifiques à l’Asie centrale sur plusieurs des thèmes que nous avons abordés dans le contexte de la présente étude des relations du Canada avec les pays du monde musulman. En particulier, le Comité prônait un renforcement des relations dans les secteurs suivants :

  la stabilité régionale et la consolidation de la paix;
  les relations économiques au sens large et à long terme et le développement durable;
  les réformes de la démocratisation, les droits de la personne et le soutien de la société civile;
  les ressources humaines, l’éducation et la culture338.

Convenant avec le Comité de l’importance de cette région, le gouvernement a cependant indiqué dans sa réponse au rapport déposée en octobre 2001 que « nous continuerons à disposer de peu de ressources : l’assistance technique canadienne demeurera modeste et il en ira de même pour notre représentation dans ces pays ». Il y a donc eu peu de changements en profondeur. Compte tenu de l’évolution de la situation dans la région depuis 2001, il serait utile que le gouvernement revienne sur les recommandations antérieures du Comité lors de la préparation de sa réponse au présent rapport.

RECOMMANDATION 21

Vu l’importance des États d’Asie centrale et l’évolution de la situation dans cette région depuis septembre 2001, le gouvernement du Canada devrait revoir les recommandations contenues dans le rapport de 2001 du Comité intitulé Développer les objectifs que poursuit le Canada en matière de politique étrangère dans le Caucase méridional et en Asie centrale dans le contexte de l’examen des relations du Canada avec les pays du monde musulman.

De manière plus générale, bien que l’intérêt que portent le milieu des affaires et le gouvernement du Canada à l’Asie se soit amoindri après les crises économiques de la fin des années 1990, il y aurait maintenant de bonnes raisons de le raviver339. L’argument économique est le plus évident : la croissance économique de la Chine et des «  tigres asiatiques  » est impressionnante depuis plusieurs décennies, tout comme l’est la réduction de la pauvreté malgré les inégalités. Le revenu de l’Asie, qui compte aujourd’hui pour environ 40 p. 100 du revenu mondial, devrait compter pour presque 60 p. 100 d’ici 2025340. Outre l’aspect économique, toutefois, l’Asie demeure importante pour la sécurité internationale. C’est également la source de la majorité des nouveaux Canadiens. La tendance traditionnelle, qui consiste à cibler presque exclusivement les grandes puissances asiatiques que sont la Chine, le Japon et l’Inde, ne rend pas justice à la complexité de l’Asie ni à la diversité de nos intérêts et nos valeurs dans la région.

Comprendre le rôle de l’islam en Asie

Les témoins entendus à Ottawa et ailleurs dans le monde musulman ont à maintes reprises déclaré que la violence extrémiste qui fait parler d’elle est le fait d’une petite minorité de musulmans, car la vaste majorité est modérée et silencieuse. Cet argument a été défendu encore plus énergiquement en Asie, car, comme l’ont affirmé plusieurs témoins, ce sont essentiellement les commerçants qui ont introduit l’islam en Asie et non — ou, dans le cas de l’Inde, et pas seulement — les conquérants. L’islam en Asie a une longue tradition de tolérance. Parallèlement, la renaissance politique de l’islam dans le monde au cours des deux dernières décennies s’est fait sentir aussi dans la région, où elle joue un rôle de plus en plus important dans les affaires nationales et internationales, tant dans les démocraties établies comme la Malaisie que dans les nouvelles comme l’Indonésie. Comme l’a précisé M. Uner Turgay :

Les plans élaborés par les théoriciens et les économistes occidentaux et vendus ou plus exactement imposés aux pays musulmans par le biais de la diplomatie et des pressions internationales partent du principe que la modernisation affaiblit les traditions religieuses puisqu’elle nourrit le processus de sécularisation. Or, cela n’a pas été le cas. En réalité, dans les pays où je suis allé récemment, l’Indonésie, la Malaisie, Brunéi, Darussalam et le Pakistan, la question n’est pas de savoir si l’islam est compatible avec le développement politique, mais plutôt de savoir dans quelle mesure et sous quelle forme l’islam est compatible et même nécessaire au développement politique. On pose la même question au sujet des politiques économiques.

Puis, il a ajouté que «  De nos jours, les islamistes de l’Asie du Sud et [de l’Asie] du Sud-Est […] sont plus forts qu’au cours de toute autre période de l’histoire récente  »341.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international estime que l’islam joue un rôle clé dans l’évolution de l’Asie et qu’il faut en tenir compte pour formuler des politiques canadiennes constructives. Il a donc amorcé un dialogue avec des universitaires et d’autres interlocuteurs en vue de mieux comprendre la région, de tisser des relations — notamment avec une nouvelle génération de dirigeants — et de déterminer la ligne de conduite à suivre. On se dit vivement intéressés dans la région à poursuivre le dialogue sur la coopération et le développement économique ainsi que sur les valeurs canadiennes comme le pluralisme et le multiculturalisme. Le type de démocratie qui est en train d’émerger dans les États à majorité musulmane et ailleurs en Asie ne sera sans doute pas identique au nôtre du fait de l’influence de l’islam, mais aussi d’autres forces qui s’exercent à l’échelle de l’Asie. Interrogé au sujet de la part des choses entre les droits collectifs et les droits individuels, M. Noah Feldman a répondu : «  C’est le genre de système qu’on retrouve déjà dans un pays comme la Corée du Sud, par exemple, que tout le monde le reconnaît comme une démocratie, mais ses valeurs politiques sont plus communautaires que celles des États-Unis par exemple, qui se trouvent à l’autre extrémité de la gamme342.  »

Ayant entendu des témoins à Ottawa et visité les principaux États de l’Asie du Sud et de l’Asie du Sud-Est, le Comité convient de la nécessité de poursuivre des politiques à long terme, comme celles qu’il a décrites à la Partie II, en insistant sur le dialogue, l’éducation et le soutien de la société civile, et en mettant à profit tous les instruments de la politique étrangère du Canada. Il tient compte également des propos de M. Noah Feldman :

… je pense qu’on a faussement l’impression — impression que l’on retrouve en grande partie aux États-Unis aussi — que la solution aux problèmes que pose la promotion de la démocratie, du droit des femmes et des droits de l’homme dans la région, c’est d’accorder plus d’argent. L’argent est utile, mais dans des pays qui sont relativement pauvres — c’est certainement vrai des pays de l’Asie du Sud-Est et de l’Asie du Sud — un peu d’argent peut permettre de réaliser bien des choses s’il est dépensé judicieusement. Pour ce qui est, par exemple, de la promotion de l’éducation, il ne sert parfois à rien de financer tout le programme scolaire ou la construction d’une école; il suffit parfois d’offrir des repas dans quelques écoles pour encourager les parents à y envoyer leurs enfants, ne serait-ce que pour qu’ils puissent y manger gratuitement. De simples gestes comme celui-ci peuvent augmenter très efficacement la fréquentation scolaire343.

Asie du Sud-Est : Aperçu régional

L’Asie du Sud-Est est composée de huit pays — Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Inde, les Maldives, Népal, Pakistan et Sri Lanka — qui occupent un bloc continental de la moitié de la taille de la Chine et qui sont le domicile du quart de l’humanité. On y trouve les trois États comptant le plus grand nombre de musulmans après l’Indonésie, soit le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh, où vivent au moins 400 millions de musulmans. Les pays de l’Asie du Sud sont confrontés à d’énormes défis de développement et de démocratisation. Or, depuis plusieurs années, l’attention internationale se concentre sur les nombreux problèmes de sécurité dans la région. En plus de perturber le processus de développement et de démocratisation, ces problèmes de sécurité sont parfois perçus comme étant en quelque sorte liés à l’islam — depuis la présence continue d’éléments s’autoproclamant du Djihad islamique en Afghanistan et au Pakistan aux tensions de longue date entre l’Inde et le Pakistan, deux États nucléarisés rivaux (principalement à propos du sort de la majorité musulmane au Cachemire) aux craintes suscitées par la prolifération possible du nucléaire vu que le Pakistan possède ce que d’aucuns ont appelé l’unique «  bombe islamique  » au monde.

Le président pakistanais, Pervez Moucharraf, a nié toute participation de son pays à la prolifération nucléaire lorsqu’il a rencontré un groupe de parlementaires à Ottawa en septembre 2003. Cependant, M. Abdul Qadeer Khan, père du programme nucléaire du Pakistan, a admis, en février 2004, avoir vendu des renseignements et du matériel nucléaires à d’autres pays; le général Moucharraf lui a rapidement accordé un pardon.

Réaliser la sécurité

La guerre internationale au terrorisme a surtout été menée en Asie du Sud. La région a donné naissance au nouveau djihadisme international au moment où les États-Unis et leurs alliés, l’Arabie saoudite et le Pakistan entre autres, finançaient et entraînaient des moudjahiddin («  combattants de la guerre sainte  ») pour exécuter ce que le journaliste indien M. J. Akbar a décrit au Comité comme étant essentiellement des missions suicides contre l’Union soviétique en Afghanistan344. Ce «  djihad  » a été couronné de succès, mais le vide laissé par le retrait soviétique de l’Afghanistan a eu tôt fait d’être comblé par les forces talibanes (étudiants en théologie), qui ont offert abri et soutien à Al-Qaïda. Malgré le renversement du régime taliban en 2002, la sécurité en Afghanistan demeure un problème très grave à l’extérieur de Kaboul, et menace de faire dérailler le processus de stabilisation et de reconstruction du pays. Comme l’ont indiqué des analystes du ministère de la Défense nationale au milieu de 2003, «  ensemble, l’Afghanistan et le Pakistan présentent la plus forte concentration de djihadistes qui soit, et c’est pourquoi les États-Unis et les autres gouvernements — dont le Canada — continueront de participer aux efforts déployés pour rendre ces pays moins attrayants pour les djihadistes à la recherche de refuges où recruter et entraîner des combattants. D’un côté, cela signifie qu’il faut affermir l’autorité du gouvernement provisoire afghan et gommer les groupes de guérilla islamiste en Afghanistan. De l’autre, il faut subtilement savoir récompenser la campagne du Pakistan contre Al-Qaïda, tout en évitant de cautionner l’appui occulte de ce pays aux groupes djihadistes au Cachemire345.  »

Le Canada a joué un rôle majeur dans les efforts internationaux déployés en vue de stabiliser l’Afghanistan, militairement sur le plan de la reconstruction et du développement, ainsi que diplomatiquement. Entre autres, en effet, l’armée canadienne a assumé le leadership de la Force internationale d’assistance à la sécurité de l’OTAN; elle en a aussi payé un très lourd tribut, la vie de Canadiens. Le Canada a également répondu de façon substantielle aux besoins d’aide humanitaire et autres de l’Afghanistan en engageant 250 millions de dollars en mars 2003, la plus importante somme jamais accordée par l’ACDI à un même pays. Enfin, le Canada a joué un rôle diplomatique important des points de vue multilatéral et bilatéral en ouvrant, pour la première fois, une ambassade en Afghanistan346.

M. Noah Feldman a fait remarquer au Comité que la nouvelle constitution afghane, rendue publique récemment,

… est un document vraiment fascinant parce que, d’une part, il précise […] qu’il s’agira d’une république islamique, et d’autre part, dans la phrase suivante, que ce gouvernement devra être démocratique […] que la liberté de culte sera garantie aux non-Musulmans, que la liberté d’expression est un droit inviolable, que les hommes et les femmes sont égaux et que l’Afghanistan s’engage à respecter les conventions internationales dont il est signataire, ce qui inclut les conventions qui garantissent l’égalité pour tous. […] À bien des égards, cette constitution est un progrès, mais il s’agit également d’une constitution profondément islamique.

Il a ajouté toutefois : «  C’est dans le détail que, bien souvent, les choses pèchent […] Nous verrons le temps venu comment les choses se passeront347  ». Salim Mansur a soutenu que «  … le problème, c’est que l’Afghanistan a été une partie du monde que nous appelions un État tampon, lors du grand jeu. Cette société ne va pas changer suivant les attentes que nous avons dans l’Ouest, en quelques mois ou en quelques années, pour devenir une démocratie de style Jefferson. Nous devons savoir attendre patiemment, étant donné la façon dont l’histoire évolue. Je n’ai pas d’illusion, je suis certain qu’il faudra du temps et de la détermination. La question est de savoir si nous avons ce temps et cette détermination348  ».

L’Asie du Sud est le théâtre de nombreux conflits de longue date, y compris une guerre civile qui dure depuis des décennies au Sri Lanka; les belligérants ont toutefois amorcé des discussions de paix qui, il faut l’espérer, déboucheront sur une solution politique, sans doute fondée sur le fédéralisme. Le plus ancien défi pour la sécurité en Asie du Sud — et le plus dangereux tant pour le nombre de morts jusqu’ici et les millions de morts possibles — est la rivalité entre l’Inde et le Pakistan qui remonte à plus d’un demi-siècle et qui est à l’origine de trois grandes guerres et d’une impasse nucléaire. La source de cette tension est la décision de la Grande-Bretagne, lors de son retrait en 1947, de diviser le sous-continent en deux États, soit l’Inde, majoritairement hindoue mais laïque en principe, et le Pakistan (occidental et oriental) musulman, où les musulmans pourraient vivre et pratiquer librement leur religion. Cette partition s’est accompagnée d’émeutes graves et d’un déplacement de population qui ont fait des centaines de milliers de victimes en Inde et au Pakistan. Le sort réservé à l’ancien État princier autonome du Cachemire au moment de la division en août 1947 a soulevé la controverse, et des activistes ont soutenu que la majorité musulmane du Cachemire avait droit à sa patrie au même titre que les musulmans du nouveau Pakistan. Le souverain (hindou) du Cachemire a finalement décidé de s’unir à l’Inde en octobre 1947, ce qui a déclenché la première guerre indo-pakistanaise à l’issue de laquelle l’Inde contrôlait les deux tiers du Cachemire et le Pakistan l’autre tiers. Les Nations Unies ont recommandé de tenir un référendum à propos du Cachemire, mais celui-ci n’a jamais eu lieu. En 1965, une deuxième guerre a éclaté à propos du Cachemire et, en 1971, l’Inde a profité d’une guerre civile au Pakistan pour envahir le Pakistan oriental et appuyer la création d’un État indépendant, le Bangladesh.

Dès 1974, l’Inde avait acquis le potentiel de produire ce qu’elle a appelé une «  explosion nucléaire pacifique  » — en détournant, du moins en partie, la technologie nucléaire canadienne. Alors que l’Inde cherchait sans aucun doute à se protéger de la Chine, le Pakistan, pour sa part, militairement plus faible, s’est senti obligé de l’imiter. Jusqu’à récemment, le Pakistan a également continué d’appuyer les extrémistes cachemiris dans leur campagne de terrorisme contre l’Inde, marquée notamment par une attaque contre le parlement indien en décembre 2001. Le général Hamid Gul, islamiste avoué et ancien chef de la principale agence du renseignement du Pakistan, Inter Service Intelligence, aurait déclaré récemment «  il faut les comprendre s’ils encouragent les Cachemiris. Le peuple cachemiri s’est soulevé conformément à la Charte des Nations Unies, et le Pakistan se doit de l’aider à obtenir sa libération. L’Inde est tellement immense et impitoyable. Si les djihadistes cherchent à la contenir en immobilisant leur armée chez eux, pour une cause légitime, pourquoi ne devrions-nous pas les appuyer?349  ». M. Noah Feldman a soutenu que le conflit à propos du Cachemire était devenu «  un règlement de compte quasi mythique où les deux adversaires possèdent des armes nucléaires350  ». Mme Ann Thomson a soutenu que «  certains problèmes clés non résolus perpétuent un sentiment généralisé d’injustice et de conflit au sein des communautés musulmanes. Le problème israélo-palestinien en est un exemple évident aux yeux des musulmans du monde entier. Le conflit entre l’Inde et le Pakistan au Cachemire est un autre exemple351  ».

La rivalité entre l’Inde et le Pakistan était d’autant plus dangereuse qu’il était présumé depuis longtemps que les deux États possédaient des armes nucléaires, bien qu’ils ne l’aient jamais admis. En 1998, l’Inde a procédé à des essais nucléaires, et le Pakistan s’est empressé d’en faire autant. Le Canada et le reste de la communauté internationale ont énergiquement condamné ces essais, et le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la Résolution 1172 demandant aux deux pays de signer immédiatement et sans conditions le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICEN) et le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Cela ne s’est pas produit et, en septembre 2003, lors d’une réunion de l’Agence internationale de l’énergie atomique, le Canada a déclaré qu’il :

… entretient toujours des inquiétudes parce que l’Inde, Israël et le Pakistan, trois États membres de l’AIEA n’ont toujours pas adhéré au TNP, pièce maîtresse du régime international de désarmement nucléaire et de non-prolifération. Nous exhortons ces pays à adhérer à ce traité en qualité d’États non nucléarisés, sans conditions ni retards. Il s’agit là d’une exigence essentielle à la durabilité du cadre complexe qui appuie le régime multilatéral de non-prolifération et d’une obligation fondamentale pour être pleinement membre de la communauté internationale352.

Le Canada a également exhorté l’Inde et le Pakistan à ne pas procéder à des essais de missiles balistiques.

Les tensions entre les deux pays ont atteint un point culminant en 2002, et la crise n’a été désamorcée que grâce au concours d’une intense diplomatie internationale. Les tensions s’étaient considérablement résorbées lors de la visite du Comité en Asie du Sud en octobre 2003, toutefois, et nous avons été témoins durant les mois qui ont suivi d’une percée attendue depuis longtemps. En janvier 2004, les dirigeants de l’Inde et du Pakistan se sont rencontrés en marge du sommet de l’Association pour la coopération régionale de l’Asie du Sud et ils ont émis une déclaration dans laquelle ils s’engagent à poursuivre le dialogue à propos du Cachemire et d’autres questions clés qui les divisent.

Avant que ne surviennent ces derniers développements, Mme Ann Thomson avait déclaré : «  Je pense que le Cachemire est une région où le Canada pourrait jouer un rôle réellement utile. On souhaite la participation du Canada dans son rôle de courtier honnête. Je pense que les deux parties seraient disposées à ce que le Canada fasse la promotion du dialogue. Il faudra que les parlementaires qui se rendent dans la région se demandent si l’autodétermination est réaliste en ce qui concerne le Cachemire et quel rôle le Canada pourrait éventuellement y jouer353  ». Que ce soit le cas ou non, le gouvernement du Canada se réjouit du dénouement récent et, de l’avis du Comité, il devrait appuyer le processus dans toute la mesure du possible.

RECOMMANDATION 22

Le gouvernement du Canada devrait encourager l’Inde et le Pakistan à poursuivre leurs pourparlers et se tenir prêt, avec le reste de la communauté internationale, à contribuer, comme il conviendra, à la résolution des conflits qui perdurent, en particulier celui concernant le Cachemire.

RECOMMANDATION 23

Le gouvernement du Canada devrait continuer d’encourager les gouvernements du Pakistan et de l’Inde à collaborer en vue de réduire le risque d’escalade nucléaire en Asie du Sud et, suite aux récentes révélations, à redoubler d’efforts pour prévenir la prolifération nucléaire.

Poursuivre le développement et la démocratisation

Outre les défis traditionnels posés par la sécurité, Mme Ann Thomson de la Société asiatique des partenaires Canada a souligné que les défis sous-jacents en Asie du Sud demeurent le développement et la démocratisation. Malgré l’importante croissance économique que connaît l’Inde depuis dix ans, une multitude de personnes dans ce pays et dans des pays comme le Pakistan et le Bangladesh sont toujours pauvres, analphabètes et, par conséquent, vulnérables à l’exploitation. La démocratisation au Pakistan pose des défis uniques. Même les pays où la démocratisation a connu plus de succès, comme le Bangladesh, considéré par M. Noah Feldman comme «  une démocratie remarquablement libre  »354, subissent les contrecoups d’institutions fragiles et de la corruption, ce qui multiplie les obstacles à l’édification d’une solide culture de la démocratie et des droits de la personne. Conjuguée à la pauvreté et à un système d’éducation inadéquat, l’absence d’une telle culture rend les habitants de la région vulnérables aux attraits de l’extrémisme, particulièrement l’importante population de jeunes. Le développement en Asie du Sud a permis de remporter d’importants succès au fil des années : la famine a été éliminée, et l’espérance de vie ainsi que l’alphabétisme sont plus élevés. Il reste que des pays comme le Bangladesh et l’Afghanistan comptent toujours parmi les plus pauvres au monde, et il y a encore beaucoup de travail à faire, particulièrement dans le domaine de l’éducation.

Vu l’absence de système d’éducation adéquat, les parents au Pakistan et ailleurs n’ont souvent d’autre choix que d’envoyer leurs enfants à la madrassa (l’école confessionnelle gratuite). Comme le journaliste indien et musulman M.J. Akbar l’a soutenu devant le Comité, «  … la madrassa, c’est une institution dont la tradition est ancienne et honorable, et je crois que vous devez reconnaître cela. À partir de quel moment la madrassa est-elle devenue un problème plutôt qu’une solution? La madrassa est l’ONG la plus importante du monde, et il faut en être conscient. Les musulmans les plus pauvres d’aujourd’hui qui ne sont pas protégés par l’État, qui n’obtiennent rien de lui, ou qui n’ont pas de foyer, d’école ou de quoi manger sont recrutés par les madrassas.  » Il a ajouté qu’au début des années 1980, il a eu l’occasion d’interviewer un dirigeant extrémiste au Cachemire qui lui a dit :

«  … Ah, vous les Indiens, vous croyez que vous avez réglé le problème du Cachemire. Mais, le saviez-vous, vos enfants ne vont plus dans les écoles publiques? » Je ne comprenais pas très bien ce qu’il voulait dire. Il a expliqué : « Vos enfants n’y vont plus parce que les écoles publiques sont en ruine. Les enfants pauvres allaient autrefois à l’école publique pour y prendre le déjeuner ou aller aux toilettes, parce qu’ils n’en avaient pas chez eux. Mais ils viennent maintenant dans mes madrassas. Quand ils en sortiront dans 15 ans, croyez-vous qu’ils demeureront loyaux envers votre Inde? » Ses propos étaient très clairs, et je l’ai cité.355

La majorité des madrassas fournissent un service nécessaire en répondant aux besoins physiques quotidiens des élèves. Elles sont peu nombreuses à prêcher l’extrémisme; pourtant leurs programmes d’études préparent rarement les étudiants à autre chose qu’une charge religieuse. Très peu de madrassas préparent vraiment les jeunes pour l’avenir.

Mme Ann Thomson de la Société asiatique des partenaires Canada a expliqué les grandes lignes du travail effectué à la base par cette coalition de 24 organisations canadiennes et de leurs partenaires dans la région. L’accent est surtout sur la gouvernance et la démocratie, la paix et la sécurité ainsi que sur les sources de revenu durables. Elle a réitéré qu’il fallait regarder du côté de la société civile et l’appuyer :

… en Asie du Sud, les attitudes et les pratiques des musulmans appartenant aux communautés tant majoritaires que minoritaires sont les mêmes que celles des musulmans du Canada et du reste du monde. Notre expérience nous a appris que la vaste majorité des gens souhaitent mener une vie paisible et productive, en harmonie avec les autres membres de leur communauté, peu importent leur religion ou leurs autres différences. Nos partenaires et nos collègues nous disent et nous démontrent que la grande majorité des musulmans souhaitent être capables de pratiquer leur religion; ils veulent que celle-ci soit respectée par les autres et sont tout à fait disposés à respecter les autres. Les différences religieuses ne sont pas une source de problèmes. Les causes des conflits sont la pauvreté, l’inégalité des niveaux de vie, le traitement injuste devant la loi, le manque d’accès aux services et aux possibilités.

Elle a précisé, «  … puisque la majorité des musulmans vivent dans des pays en développement et dans la pauvreté, il s’impose d’améliorer leur niveau de vie si l’on veut bâtir des sociétés justes et équitables. Un bon moyen de promouvoir les relations et d’éliminer les facteurs qui conduisent à un extrémisme désespéré comme le terrorisme international consiste à réduire les inégalités entre ces pays et les riches pays occidentaux356  ».

Renforcer le rôle du Canada

Le Canada entretient de bonnes relations avec tous les pays de l’Asie du Sud et possède une longue histoire d’engagement depuis ses relations avec les pays du Commonwealth jusqu’à sa coopération au développement remontant au début des années 1950. À une question au sujet de savoir à quel point les populations musulmanes font la distinction entre le Canada et «  l’Occident  », Gwynne Dyer a répondu que c’est dans le sous-continent que la distinction est la plus forte. En effet, c’est ce que le Comité a constaté lui-même. Presque tous les témoins ont établi une nette distinction entre les politiques canadiennes et celles d’autres pays occidentaux comme les États-Unis et le Royaume-Uni, particulièrement depuis l’invasion de l’Irak.

Aucun pays de l’extérieur de la région n’a pu régler le problème de la sécurité en Asie du Sud. Le développement connaît toutefois plus de succès. Mme Thomson a déclaré au Comité qu’au «  cours des huit années que j’ai passées au Bangladesh et en Indonésie et des nombreuses autres années que j’ai passées à voyager en Asie du Sud, j’ai été témoin à de multiples occasions de réussites semblables, même en plein conflit. L’aide canadienne est sous-jacente à chacune de ces histoires …357  ». Elle a ajouté que :

nous ne devons ménager aucun effort pour éliminer la pauvreté, améliorer le niveau de vie et les conditions sociales, promouvoir l’égalité des sexes et les pratiques démocratiques. Pour cela, il est important de renforcer la société civile dans les autres pays et de procurer des moyens d’action aux organisations, institutions, groupes communautaires, associations et réseaux afin de favoriser le changement de l’intérieur …358

De nombreux témoins ont parlé de la nécessité d’appuyer le système d’éducation en Asie du Sud et ailleurs. M. M.J. Akbar a dit au Comité:

J’aimerais vous proposer une réflexion radicale : pourquoi ne pas donner cette aide aux madrassas? Actuellement, les madrassas ont une seule source de financement, et cette source détermine le contenu des programmes scolaires. Si quelqu’un décidait de rendre les ordinateurs obligatoires dans les madrassas, les répercussions internes seraient radicales. On ne peut pas les faire disparaître, mais on peut espérer les faire évoluer. Il suffit de leur apporter des ordinateurs. Ces enfants méritent de recevoir une éducation. On ne peut pas leur retirer ce droit. Mais qu’on modifie cette éducation pour en faire des citoyens responsables359.

Outre la question du développement, les témoins entendus dans la région ont demandé l’adoption de lignes de conduite comme celles décrites à la Partie II, allant du dialogue avec des universitaires et d’autres intervenants au soutien du système d’éducation et à la multiplication des programmes d’échanges étudiants et autres. Les participants à la conférence de septembre 2003 sur le Canada et l’islam en Asie au 21e siècle ont déclaré que «  [l]es programmes d’éducation régionaux et ruraux sont indispensables au progrès de nombreux pays musulmans. Le Canada peut jouer un rôle de premier plan dans l’élaboration de ces programmes.  » Un des participants, M. Fazli Ilhai de l’Institut islamique de technologie du Bangladesh, qui relève de l’Organisation de la conférence islamique, a ajouté qu’à «  l’ère de la privatisation, le financement gouvernemental de l’amélioration de l’infrastructure pédagogique ne suffit pas. Nous ne devrions pas décourager le secteur privé de participer au développement des collectivités en proposant des occasions d’apprentissage, mais il faut mettre en place des règlements gouvernementaux équilibrés et transparents convenables360  ».

Dans l’ensemble, malgré l’accent mis par son organisation sur l’Asie du Sud, Mme Thomson a insisté sur un thème global :

Pour renforcer ses relations avec les musulmans du monde entier, le Canada doit soutenir leurs efforts visant à régler les problèmes qui sont leur lot quotidien : la salubrité de l’eau, les services de santé, une bonne éducation, l’égalité des femmes, des emplois sûrs, la paix et la sécurité et bien d’autres encore. En travaillant en solide partenariat avec les musulmans du monde entier, en donnant l’occasion de s’exprimer à ceux qui sans cela ne seraient pas écoutés et en édifiant des relations fondées sur le respect plutôt que sur la méfiance, le Canada favorisera le dialogue, instaurera une confiance mutuelle et réduira la pauvreté qui constitue un obstacle de taille à la création de sociétés durables et tolérantes361.

Le Pakistan

Le Pakistan a été expressément conçu à la fois comme un État pour les musulmans et comme une démocratie, le premier et seul État de ce type […] Il occupe une place unique dans le monde musulman à maints égards : par ses problèmes, par son importance et par les espoirs qu’il représente …362

Noah Feldman

Le Pakistan a ceci de remarquable que sa population ne cesse d’exiger la démocratie alors que cette quête s’est toujours soldée par des déceptions. Malgré une armée arrogante et une pauvreté extrême, malgré les féroces rivalités ethniques et la crainte de l’Inde que ses généraux savent si bien exploiter, les chefs militaires ne réussissent jamais à résister très longtemps à cette exigence. Dans d’autres pays, des militaires ont pu se maintenir au pouvoir pendant 25 ou 30 ans — Moubarak en Égypte, Assad en Syrie, Suharto en Indonésie — mais aucun dictateur militaire pakistanais n’a gardé les rênes plus de dix ans363.

Gwynne Dyer

Le Pakistan doit relever un nombre impressionnant de défis interreliés, comme la pauvreté chronique et croissante, l’absence de démocratie, la faiblesse des institutions, la corruption et — peut-être inévitablement — l’extrémisme. Le pouvoir militaire dans la société demeure également problématique; à ce sujet, un de nos interlocuteurs en Asie du Sud nous a confié que, pour plaisanter, on dit souvent que, si la plupart des pays ont une armée, au Pakistan c’est l’armée qui a un pays. L’actuel président du Pakistan, le général Pervez Moucharraf, s’est emparé du pouvoir sans heurts en 1999, coup d’État immédiatement condamné par la communauté internationale, notamment le Canada. Le Commonwealth a temporairement exclu le Pakistan de ses conseils et y a dépêché une délégation de ministres des Affaires étrangères, menée par le ministre canadien de l’époque, M. Lloyd Axworthy. Ce dernier a écrit par la suite :

Avec le recul, il aurait été souhaitable de disposer de davantage de temps pour décoder les signes et les présages manifestes au Pakistan, ou d’y être plus disposés. C’était une société soumise à d’énormes tensions : extrêmes de pauvreté et de richesse dans une région d’instabilité, de sécheresse et d’intrigue; endettement insoutenable; dépenses militaires énormes; dépenses en éducation ou en santé minuscules; montée de l’extrémisme islamique infiltrant l’armée et le renseignement; conflits menaçants aux frontières avec l’Inde rendus encore plus traîtres par une course aux armements nucléaires. Prodiguer des conseils et condamner le coup d’état militaire étaient trop timides. [Le Groupe d’action ministériel du Commonwealth aurait dû discuter d’un plan d’action plus vaste avec les Pakistanais] 364.

La décision du général Moucharraf d’accéder aux exigences des États-Unis et de se joindre aux forces luttant contre le terrorisme en septembre 2001 a fait du Pakistan un allié clé des États-Unis et d’autres gouvernements occidentaux dans la région. Le pays a ainsi obtenu de nouveaux fonds et la levée d’un grand nombre des sanctions qui lui avaient été imposées après ses essais nucléaires de 1998.

Lors de sa rencontre avec des parlementaires à Ottawa en septembre 2003, le président Moucharraf a déclaré que :

Le Pakistan est tout à fait déterminé à combattre le terrorisme dans tous ses aspects où que ce soit dans le monde. Je sais que notre pays est calomnié, surtout plus à l’Ouest, et que nous sommes accusés de renâcler, de nous désintéresser de la situation. Rien ne pourrait être plus faux. Le Pakistan lutte contre le terrorisme sous ses trois formes, Al-Qaïda, les talibans et l’extrémisme sectaire et religieux. Si le combat contre Al-Qaïda et les talibans vise le court terme, à plus long terme, il s’agit de combattre l’extrémisme religieux … Nous combattons le terrorisme dans l’intérêt du Pakistan, car il se répercute dans nos villes; il n’y a donc aucune raison d’imaginer que le Pakistan montre peu d’empressement, parce qu’il y va de notre propre intérêt.

Pour le président pakistanais, le défi qui se pose actuellement en matière de sécurité est d’ordre tactique, puisqu’il s’agit de coordonner des services de renseignement de pointe et des forces d’intervention rapide dans le but d’attaquer de petits groupes de talibans et autres extrémistes se dissimulant dans les montagnes du Pakistan, région tribale à la frontière de l’Afghanistan. Tant que cette situation se maintiendra, le temps jouera en faveur du Pakistan et la menace d’ordre stratégique plus importante que représentent ensemble les talibans, Al-Qaïda et les seigneurs de la guerre ne se concrétisera pas.

Dans le même temps toutefois, pour un nombre croissant d’observateurs, le Pakistan est, au mieux, un allié hésitant dans la guerre contre le terrorisme et la source de bien des problèmes patents en Asie du Sud, plutôt que la solution à ces problèmes. Par exemple, un écrivain américain a récemment écrit que «  le Pakistan est au cœur de la tourmente qui secoue la région, ce qui est peut-être la séquelle la plus douloureuse de la décolonisation britannique. Le Pakistan est l’archétype de la communauté imaginée, issue d’une partition précipitée. Ses frontières sont poreuses, sa population polyglotte exceptionnellement diverse. Sa principale prétention à l’unité c’est l’islam, sur lequel les dirigeants autoritaires se sont appuyés de façon peu ordinaire. Cela a contribué à trois guerres et à une confrontation nucléaire avec l’Inde, issue essentiellement d’un différend non résolu relatif au Cachemire ainsi qu’à la naissance (par césarienne) du Bangladesh en 1971365  ». Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait du fondamentalisme en Afghanistan, M. Salim Mansur a expliqué :

… le pays voisin de l’Afghanistan, le Pakistan, avec une population de plus de 150 millions de personnes, est une société qui est devenue totalement talibanisée, et cette société talibanisée, qui est née de l’interaction avec l’Afghanistan pendant une période de 20 à 25 ans dans une guerre contre l’Union soviétique et ensuite au cours d’une guerre intérieure, alimente maintenant le processus. Allons-nous être prêts à élargir la discussion et à parler du Pakistan? Sommes-nous prêts à parler des différentes façons dont ce processus a incubé et a étendu ses tentacules? Sommes-nous prêts à discuter des dangers d’une situation où une société talibanisée comme le Pakistan est maintenant vue comme un État de première ligne des États-Unis pour s’attaquer au problème du fondamentalisme, alors que le pays lui-même est l’incubateur du fondamentalisme? Et c’est maintenant un pays qui a l’arme nucléaire, qui va tourner son attention vers le Cachemire, comme il l’a déjà fait, pour provoquer, peut-être, une guerre régionale qui pourrait avoir des conséquences absolument catastrophiques366.

Il y a beaucoup de vrai dans ces observations. Pourtant, les membres du Comité qui se sont rendus au Pakistan ont découvert un pays beaucoup plus nuancé, ayant à relever des défis énormes sur le plan de la gouvernance et du développement que le Canada et les autres pays peuvent, et doivent, contribuer à régler dans leur propre intérêt et dans celui de millions de gens d’Asie du Sud.

Le rôle de l’islam au Pakistan

Ce qui complique la recherche de solutions aux multiples problèmes du Pakistan sur le plan de la gouvernance, du développement et de la sécurité c’est le débat de longue date entre radicaux et modernistes sur le rôle de l’islam dans l’État. En août 1947, année de création du Pakistan, le père de la Nation Mohammed Ali Jinnah a déclaré à l’assemblée constituante du Pakistan : «  Vous êtes libres : vous êtes libres d’aller à vos temples, libres d’aller à vos mosquées et à tout autre lieu de culte dans cet État du Pakistan. Vous avez le droit d’appartenir à toute religion, caste ou race — cela ne concerne pas l’État […] Nous partons de ce principe fondamental que nous sommes tous citoyens et citoyens égaux d’un État unique367  ».

Pourtant, selon le journaliste britannique Owen Bennett Jones, qui a expliqué son point de vue dans une étude récente du Pakistan considérée comme excellente :

Depuis sa création, le Pakistan s’est interrogé sur le rôle que devait jouer l’islam dans l’État. Lorsqu’il a appelé à la création du Pakistan, Mohammed Ali Jinnah a rappelé la théorie des deux nations, selon laquelle musulmans et hindous ne peuvent co-exister. D’après certains Pakistanais, si l’on interprète au pied de la lettre cette théorie, il faut en conclure que le pays a toujours été perçu comme un État islamique. D’autres — et à mon avis la majorité — sont d’avis contraire. Ils estiment que M. Jinnah tentait de créer un pays dans lequel les musulmans pouvaient vivre en toute sécurité, libres de la domination des hindous. La plupart des Pakistanais ne veulent pas vivre dans une théocratie : ils veulent que leur pays soit modéré, moderne, tolérant et stable.

Au cours des années 80, cette vision du Pakistan a nettement reculé. Le général Zia ul-Haq — peut-être le seul des quatre dirigeants militaires pakistanais à mériter le titre de dictateur — a constamment fait progresser la cause de l’islam radical. On sent toujours aujourd’hui les effets de sa campagne d’islamisation. Les groupes militants restent bien organisés, bien armés et bien financés. L’actuel dirigeant militaire, le général Moucharraf, cherche à démanteler cet héritage. Ses tentatives visant à diminuer le rôle de la religion dans l’État attaquent directement les intérêts des éléments bien établis et hautement motivés de la société pakistanaise. Sa réussite ou son échec aura des répercussions importantes non seulement pour le Pakistan mais aussi pour la région et le système de sécurité international dans son ensemble368.

Les témoins entendus à Ottawa et au Pakistan ont confirmé cette analyse. M. Uner Turgay a indiqué aux membres du Comité que :

Au Pakistan, l’islamisation légale au cours des années qui ont immédiatement suivi le régime de Zia ul-Haq — plus exactement sa mort — illustre l’importance politique de l’islam. Le pays poursuit encore une certaine forme d’islamisation juridique et sociale et même, dans une certaine mesure, politique. De nombreux débats au Pakistan portent sur le contenu et la méthode de l’islamisation, et non sur une forme raisonnable de retour à la sécularisation. Les résultats des dernières élections montrent clairement que l’islam est au cœur de la politique au Pakistan et va continuer de dominer toutes les questions nationales. Pour de nombreux intellectuels, le succès du groupe religieux Muttahida Majlis-E-Amal, le MMA, une coalition floue de partis religieux de toutes nuances, qui, avec 60 sièges, est devenue la troisième force politique du Parlement, n’a pas été une surprise369.

Tout en convenant que rares sont les Pakistanais qui désirent un État séculier, Noah Feldman souligne que la principale difficulté demeure l’établissement de la démocratie. Selon lui, le Pakistan peut devenir un meneur dans le mouvement vers une démocratie islamique, si seulement il pouvait s’orienter dans la voie de la démocratie par lui-même. La difficulté ne réside pas tant dans la coexistence de la démocratie et de l’islam; après des années de discussion, les Pakistanais s’entendent généralement pour dire que ces notions peuvent et devraient être compatibles. Ce qui empêche la démocratie islamique ce n’est pas l’islam, mais les forces antidémocratiques au sein du gouvernement pakistanais et dans la société. Le défi est de faire en sorte que la transition vers la démocratie s’opère cette fois-ci370.

La démocratisation et la bonne gouvernance

Les séances que le Comité a tenues au Pakistan ont essentiellement porté sur la démocratisation, les droits de la personne et le développement. Les membres ont pu y déceler une société civile vibrante qui, au fil des années, s’est révélée plus fiable que les gouvernements pakistanais, et une presse qui est prudente tout en étant ouverte et critique. M. Gwynne Dyer, commentateur canadien, a d’ailleurs déclaré que, depuis sa création en 1947, le Pakistan avait été dirigé par des généraux la moitié du temps, mais que ces derniers avaient toujours eu un problème de légitimité. Malgré tous leurs efforts, ils ne peuvent empêcher le Pakistanais moyen de croire que la démocratie est la norme. Le pays finit toujours par rechercher la démocratie — même s’il a été desservi par ses chefs politiques civils à un point presque unique dans l’histoire371  ». Tout compte fait, les politiciens de tout l’échiquier politique et les représentants de la société civile ont critiqué de nombreux aspects de la situation actuelle au Pakistan, mais ils n’envisageaient pas l’avenir avec pessimisme, surtout si le Canada et d’autres pays développés aident le Pakistan à finalement instaurer une démocratie viable et à relever ses défis concernant le développement, notamment.

À Ottawa, le président Moucharraf a dit à un groupe de parlementaires que, même s’il s’est emparé du pouvoir par des moyens qui ne sont peut-être pas démocratiques, son gouvernement a fait en sorte de créer une démocratie viable au Pakistan, notamment par une décentralisation, par l’attribution de pouvoirs aux femmes — notamment en établissant des quotas pour en accroître la représentation au Parlement — et aux pauvres et par la mise en place de freins et contrepoids au niveau exécutif. Il a ajouté qu’il fallait voir la démocratie du point de vue des Pakistanais; qu’il n’y a pas de formule toute faite pour cette dernière; qu’elle doit être adaptée aux contextes locaux et que c’est exactement ce qu’ils ont fait. Le président a déclaré qu’ils avaient adapté la démocratie à leur situation propre et qu’ils croyaient fermement que c’était le seul moyen durable. Que la démocratie ne pouvait plus faillir.

En fait, le général Moucharraf a essentiellement suivi la décision de la Cour suprême voulant que la démocratie soit rétablie au Pakistan au plus tard en octobre 2002. Il a commencé par tenir des élections générales libres et justes à l’échelon local, puis un référendum national, visant à prolonger son règne, lequel a été largement contesté. En octobre 2002 ont eu lieu des élections nationales très soigneusement encadrées. Enfin, en décembre 2003, après de longues négociations, le président Moucharraf a convenu d’abandonner le poste de chef du personnel militaire d’ici la fin 2004, en échange de quoi il pourrait prolonger son mandat de président jusqu’en 2007, assurant ainsi l’approbation par le Parlement d’une série d’importants changements constitutionnels contenus dans l’Ordonnance sur le cadre juridique. Pourtant, si le général Moucharraf a démontré autant, voire plus, de vision que tous ses prédécesseurs militaires ou civils, ses actions n’ont toujours pas démontré de véritable gouvernance démocratique, comme le diraient la plupart des observateurs. Qui plus est, en veillant à ce que les deux partis politiques d’opposition les plus importants demeurent sur la touche alors que le Pakistan intervenait contre les talibans et, dans une moindre mesure, contre les autres radicaux islamiques — mesure qui a accru le sentiment anti-américain et anti-Moucharraf — le président a permis directement ou indirectement à la coalition religieuse constituée de six partis, la Muttahida Majlis-i-Amal (MMA) de s’assurer un nombre de voix sans précédent aux élections d’octobre 2002. La MMA dirige ainsi désormais l’une des provinces du Pakistan et participe au gouvernement de coalition d’une autre.

Dans un rapport important daté de janvier 2004, le International Crisis Group explique que, malgré ses discours, le général Moucharraf n’a pas réglé jusqu’ici la question de l’extrémisme au Pakistan :

L’échec de Moucharraf tient moins à la difficulté d’appliquer les réformes qu’à un manque de bonne volonté du gouvernement militaire. De fait, le général suit l’exemple des dirigeants militaires qui l’ont précédé en cooptant les extrémistes religieux pour qu’ils appuient le programme de son gouvernement et ainsi neutralisent l’opposition politique laïque. Au lieu de le combattre, le gouvernement militaire a encouragé l’extrémisme par ses politiques électorales et son incapacité à appliquer des réformes efficaces. Les mesures adoptées jusqu’ici contre l’extrémisme ont été essentiellement cosmétiques et ont visé à alléger les pressions internationales372.

 … L’entente de Moucharraf avec la MMA à propos du dix-septième amendement, intervenue fin décembre 2003 et donnant une légitimité constitutionnelle à l’Ordonnance sur le cadre juridique, a officialisé l’alliance des militaires et des mollahs. Face à l’opposition concertée de tous les grands partis politiques modérés et laïcs, Moucharraf dépend encore plus des mollahs pour la survie de son régime373.

Sur le plan des droits de la personne, le gouvernement du Pakistan a conclu d’importantes conventions internationales et pris des mesures visant à régler les violations les plus flagrantes. Malheureusement, globalement et en particulier dans le cas des femmes et des minorités, les droits de la personne ne sont pas toujours respectés dans le pays. Le gouvernement n’a encore rien fait à propos d’un certain nombre de lois discriminatoires et ne s’est pas suffisamment opposé aux pratiques illégales comme les «  crimes d’honneur  » et les brûlures, que l’Occident associe souvent à l’islam, mais qui sont en fait motivées par des coutumes plus tribales et culturelles.

Au-delà des problèmes de démocratisation et de gouvernance, les défis qui se posent au Pakistan en matière de développement sont colossaux. Les indicateurs du développement humain y sont bien inférieurs aux normes acceptables pour des pays de développement analogues, et certains sont même inférieurs à ceux de pays plus pauvres de l’Asie du Sud. Après avoir reculé jusqu’en 1990, le taux de pauvreté a augmenté de façon alarmante, passant de 20 à 33 p. 100, phénomène aggravé par un analphabétisme important. Le gouvernement dépense trop peu en développement. L’enseignement est toujours préoccupant, le manque d’écoles publiques augmentant la dépendance vis-à-vis du système d’écoles religieuses (les madrassas) que le gouvernement n’a pas encore décidé de réglementer efficacement — 1,5 million d’écoliers fréquentent des madrassas non réglementées — bien qu’il en ait pris l’engagement il y a plus de deux ans. Or, comme l’a indiqué le International Crisis Group, «  le gouvernement avait promis :

  d’enregistrer toutes les madrassas afin d’établir clairement quels groupes dirigent quelles écoles;
  de réglementer les programmes d’étude de telle manière que toutes les madrassas adoptent un programme d’étude établi par le gouvernement d’ici la fin de 2002;
  de mettre un terme à l’utilisation des madrassas et des mosquées pour la diffusion de propos et de publications politiques ou religieux incendiaires;
  d’instituer des madrassas modèles offrant une instruction moderne exempte de tout extrémisme374  ».

Le vice-président de l’ACDI pour l’Asie, Hau Sing Tse, a déclaré aux membres du Comité que le général Moucharraf avait tenté de mettre en place des réformes, notamment sur le plan de la décentralisation mais que «  les indicateurs sociaux du pays demeurent très déprimants. Ils présentent en effet les caractéristiques d’un État très fragile  ». Et de poursuivre :

L’ACDI, comme d’autres donateurs, a pris certains risques en vue d’aider à la décentralisation. Nous ciblons maintenant la décentralisation au profit des administrations locales, et nous contribuons à renforcer les capacités locales en matière d’autorité et de prise de décisions. Nous mettons l’accent sur la prestation des services de santé et d’éducation à l’échelle locale. Enfin, vu la situation pitoyable des femmes, nous nous efforçons d’améliorer leur sort, en particulier chez les pauvres en milieu rural375.

En 2001-2002, le Canada a versé au Pakistan 62,5 millions de dollars au titre de l’aide publique au développement, sur lesquels 44,8 millions s’inscrivaient dans les dépenses des institutions financières internationales, des Nations Unies et du Commonwealth, 17 millions représentaient une aide bilatérale et un million était octroyé aux ONG et à d’autres partenaires travaillant au Pakistan.

Témoignages entendus au Pakistan

Comme nous l’avons déjà dit, après les rencontres qu’il a eues avec des représentants officiels, des parlementaires de tous les partis politiques et des porte-parole de diverses ONG, le Comité est désormais convaincu que la démocratisation est encore l’élément déterminant de la stabilité et de la prospérité à venir du Pakistan. Certains témoins étaient peu enthousiasmés par les progrès accomplis sur la voie de la démocratie, doutant de la volonté du général Moucharraf ou de l’armée d’abandonner le pouvoir, et ont estimé que le gouvernement du Pakistan présente un visage à l’Occident et un autre chez lui.

À propos du développement, le président de l’Université Aga Khan, M. Shamsh Kassim-Lakha, a fait savoir qu’il n’y avait pas une voie sacrée pour le développement et qu’il faut toujours s’interroger sur ce qui motive un changement d’attitude et de perspective. Il a expliqué que le Pakistan a ceci d’intéressant qu’on y trouve de nombreuses cultures, ethnies et religions, et que c’est un pays marqué par une grande modération dont la population désire voir mener des activités de développement. Il a ajouté que le Pakistan avait beaucoup progressé sur plusieurs fronts, comme la mortalité infantile, et que le développement s’accélère à mesure qu’il est implanté. M. Akbar Ali Pesnani, président du Ismaili Council for Pakistan, a indiqué que la pauvreté croissante du pays était due en grande partie à l’analphabétisme et à un manque d’instruction. Selon lui, l’analphabétisme rend la démocratie inutile puisqu’elle n’est pas comprise.

M. Shamsh Kassim-Lakha, devenu membre du cabinet à la demande du président Moucharraf alors qu’il présidait une Commission directrice sur les études supérieures chargée de la réforme des universités publiques, a précisé que le plus grand défi qui se pose au Pakistan, c’est l’éducation. «  Il existe, a-t-il expliqué, plus de 10 000 madrassas au pays, qui assurent aux enfants des familles pauvres le gîte et le couvert ainsi qu’une éducation religieuse, mais qui ne sont pas censées être myopes, et le gouvernement tente aujourd’hui d’en réformer le programme éducatif  ». M. Mahmood Ghazi, ancien ministre des Affaires religieuses et actuel vice-président des études à l’Université islamique d’Islamabad, a repris les mêmes arguments en faveur de l’éducation. À titre de ministre, il a prévenu le président Moucharraf qu’il n’y avait pas de moyens faciles de réformer les madrassas.

Le Pakistan a certes augmenté son budget de l’éducation, mais ce dernier restera insuffisant pendant des décennies. M. Ghazi a laissé entendre que le Canada, entre autres, pourrait contribuer à la cause sous forme financière ou sous forme de bourses ou d’aide en nature, surtout au niveau des études supérieures, où les intéressés sont suffisamment mûrs pour comprendre le concept de droits de la personne. Il a toutefois précisé qu’il faudrait contraindre les étudiants pakistanais qui étudient à l’étranger à revenir chez eux pour obtenir leur diplôme afin de stopper l’exode des cerveaux. D’autres représentants de la société civile ont convenu que le plus utile serait de fournir une aide en matière d’éducation. Un interlocuteur a suggéré que ce type d’aide pourrait être octroyée aux ONG et aux fondations oeuvrant dans le domaine de l’éducation dans les secteurs bénévole et privé. Selon un parlementaire, l’aide pourrait également être accordée aux enseignants et aux écoles professionnelles.

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

Comme nous l’avons déjà mentionné, les liens qui unissent le Canada et le Pakistan remontent loin dans le passé et concernent le Commonwealth et l’aide au développement depuis les années 1950. Depuis que le Pakistan a décidé d’appuyer la guerre contre le terrorisme, le Canada a atténué les sanctions qu’il lui avait imposées après les essais nucléaires — excepté celles visant les ventes d’équipement militaire — et poursuit depuis une politique d’engagement constructif dans le but d’encourager et d’appuyer les réformes démocratiques et autres réformes nécessaires. Compte tenu des défis qui se posent au Pakistan en matière de développement, le Canada a proposé au pays de convertir  448 millions de dollars de prêts en souffrance en nouvelles dépenses du gouvernement pakistanais au titre de l’éducation. À Ottawa, le président Moucharraf a indiqué à un groupe de parlementaires que «  le peuple pakistanais n’oubliera jamais ce geste, car le Canada a été le premier pays à convertir une dette en programme d’éducation  ». Vu l’importance de cette mesure, on s’assure, par des négociations minutieuses et la diligence voulue, que cet argent servira directement à améliorer l’éducation au Pakistan. Après avoir remercié le Canada de son aide passée et prédit une coopération future, M. Salim Saifullah Khan, secrétaire général de la Ligue musulmane pakistanaise (unifiée), parti au pouvoir, a soulevé la question de l’arrestation de quelque 19 Pakistanais au Canada au cours de l’automne 2003. Plusieurs de ces personnes avaient enfreint les règles en matière d’immigration, mais le gouvernement canadien avait qualifié certains des accusés de terroristes, ce qui d’après le secrétaire général était du harcèlement et de l’intimidation abusive, surtout que le Pakistan combat le terrorisme.

Le Comité estime que, dans l’ensemble, même si l’engagement constructif du gouvernement est approprié, compte tenu de l’importance du Pakistan et de l’ampleur de ses défis, le Canada devrait jouer un rôle plus important.

RECOMMANDATION 24

Le gouvernement du Canada devrait continuer de réclamer le rétablissement et la consolidation de la démocratie au Pakistan, ainsi qu’un plus grand respect des droits de la personne et une intervention plus rapide pour réduire la pauvreté et atteindre d’autres objectifs de développement, et devrait poursuivre ces objectifs par la voie d’une politique d’engagement constructif.

RECOMMANDATION 25

Compte tenu de l’importance critique d’un élargissement de l’accès à un enseignement adéquat et inclusif au Pakistan, le gouvernement du Canada devrait imposer des conditions strictes pour que la conversion de la dette du Pakistan envers le Canada en dépenses au titre de l’éducation se traduise par des progrès tangibles à ce chapitre, augmenter les bourses d’études et les autres formes d’échanges universitaires avec ce pays et encourager le gouvernement du Pakistan à enregistrer toutes les madrassas et de réglementer leur programme de cours comme il s’y est engagé.

Inde

La gloire que l’Inde connaît — transfert régulier, pacifique et démocratique de pouvoir par des partis régissant un pays pauvre de plus d’un milliard d’habitants — n’est pas sans péril. Par exemple, en raison d’un programme très chargé du fait d’élections dans les États et d’élections nationales, il y a eu report d’une réforme douloureuse, mais nécessaire, pour ne pas mécontenter les électeurs. Autre exemple, certains politiciens sont tentés par un populisme grossier, notamment en entretenant les tensions communautaires. En 2004, année d’élections générales, l’Inde est menacée sur les deux fronts376.

Réengagement avec l’Inde

L’Inde est unique à de nombreux égards : elle occupe le deuxième rang au monde sur le plan démographique, avec plus d’un milliard d’habitants, dont le tiers ont moins de 15 ans. C’est également la démocratie la plus populeuse. Après dix années de croissance économique vigoureuse, l’Inde est devenue la onzième économie au monde, et est en quatrième place pour ce qui est de la parité du pouvoir d’achat. Son secteur de la technologie de l’information et certaines autres branches précises sont les meilleurs au monde, et l’on parle d’envoyer un homme dans l’espace. Pourtant, le pays est toujours en proie à des difficultés sociales, économiques et écologiques énormes : 44 p. 100 de sa population dispose de moins de un dollar américain par jour; les taux de malnutrition et de mortalité périnatale sont élevés, de même que les taux de natalité; plus de quatre millions d’Indiens sont séropositifs et la pollution menace la santé et les moyens de subsistance de la moitié de la population.

Plus de quatre-vingt pour cent de la population pratique l’hindouisme, tandis que 12 p. 100 est musulmane, ce qui signifie que la minorité islamique pourrait compter entre 130 et 140 millions de personnes, ce qui en fait l’une des plus importantes communautés musulmanes du monde. Le Comité a décidé de se rendre en Inde pour voir par lui-même le site de la plus importante minorité musulmane du monde et pour discuter des questions plus vastes de sécurité et de développement en Asie du Sud et ailleurs. Si l’intérêt de la communauté internationale pour l’Inde a surtout porté récemment sur le fondamentalisme islamique, peut-être aussi sur le Cachemire, la question primordiale en Inde semble être la montée du militantisme hindou depuis dix ans et l’incidence de cette montée sur la communauté musulmane et sur les principes nationaux de laïcité et de démocratie.

Malgré des liens historiques entre nos deux pays, dans le cadre notamment du Commonwealth, les relations entre le Canada et l’Inde ont été suspendues pendant plusieurs années, cette dernière ayant mené des tests nucléaires en 1998, à la suite de quoi le Canada lui a imposé des sanctions. En mars 2001, le Canada annonçait une politique de réengagement avec l’Inde et les visites officielles de ministres se sont poursuivies des deux côtés — notamment celle du premier ministre canadien en Inde quelques jours après celle du Comité. (En fait, l’Inde est considérée comme l’un des quatre pays, autres que ceux du G-8, avec lesquels le Canada entretient des relations prioritaires.) Les membres du Comité qui se sont rendus en Inde ont senti chez tous leurs interlocuteurs un grand empressement à faire connaître leur point de vue et à aider à dégager les thèmes et à proposer des suggestions dans le domaine de la coopération.

Préserver le modèle laïc

On dit souvent de l’Inde qu’elle est la «  plus importante démocratie au monde  ». La laïcité est depuis des décennies un des éléments clés de son régime démocratique. Les fondateurs de la nation, comme Jawaharlal Nehru, ont insisté sur l’importance du respect et de la tolérance de toutes les religions et collectivités dans cette société pluraliste377. Pourtant, malgré des garanties constitutionnelles et des programmes d’action positive institutionnalisés, la discrimination officieuse à l’encontre des minorités religieuses et autres perdure, de même que les conflits ethniques et interconfessionnels. Même s’ils sont relativement peu nombreux au regard de l’énorme population de l’Inde, ces conflits ont toujours eu des répercussions politiques, qui s’amplifient d’ailleurs. En outre, d’après le grand journaliste indien Khushwant Singh, un sikh qui a été avocat, diplomate au Canada et au Royaume-Uni puis député, des commissions d’enquête ont établi sans équivoque que, dans toutes les émeutes survenues en Inde depuis l’indépendance, plus de 75 p. 100 des victimes (sur le plan humain ou matériel) étaient musulmanes378.

Depuis dix ans, le parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party (BJP), a remplacé le Indian National Congress au pouvoir — bien que ce soit au sein d’une coalition — et la question des relations communautaires occupe désormais le premier plan. Si le premier ministre Atal Bihari Vajpayee est généralement considéré comme relativement modéré au sein du BJP, d’autres le sont moins et ont été accusés soit d’encourager le chauvinisme, soit simplement d’en profiter lorsqu’il est attisé par des groupes extrémistes hindous, comme le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS). C’est un militant de ce parti qui a assassiné Mohandas Gandhi en 1948; au moment de son procès, il avait déclaré qu’il n’avait eu d’autre choix, étant donné que Gandhi avait «  constamment encouragé et favorisé les musulmans379  ». Il est vrai que des musulmans, comme d’autres groupes aussi, ont également incité à la violence et au chauvinisme, mais ils se perçoivent en général comme une minorité opprimée.

La question de la violence communautaire a atteint un paroxysme en décembre 1992, lorsque des extrémistes hindous ont démoli une mosquée du XVe siècle à Ayodhya dans l’État de Uttar Pradesh, prétendant que cette mosquée avait été construite sur les ruines d’un ancien temple érigé sur le lieu de naissance du dieu Ram et voulant y rebâtir un temple. Les violences qui ont fait rage après cet épisode ont causé la mort de 3 000 personnes dans tout le pays, pour la plupart des musulmans. En 2002, les révoltes ont réapparu dans le Gujarat, sous domination BJP, à un moment de vives tensions religieuses : des fanatiques musulmans ont attaqué et brûlé un train ramenant des hindous de Ayodhya, faisant 59 morts; les émeutes qui se sont produites par la suite ont fait entre 1 000 et 2 000 victimes, essentiellement des musulmans380. Ayodhya demeure un dossier épineux dans la politique indienne. Lors de la visite du Comité en Inde, des élections nationales étaient imminentes, et beaucoup craignaient que les partis politiques n’exploitent cette question à des fins électorales.

À Ottawa, M. Karim Karim a expliqué au Comité que l’exploitation par les partis politiques des différences entre «  hindous, musulmans et chrétiens est révoltante. C’est malheureusement ce à quoi aboutissent parfois les régimes démocratiques. Ce qui se passe à l’échelle nationale avec le BJP n’est pas particulièrement admirable non plus381  ». Les groupes de défense des droits de la personne et les musulmans indiens se sont plaints que plus d’une centaine de musulmans ont été arrêtés pour la première attaque du train à Gujarat en 2002 mais qu’aucun hindou n’avait été arrêté à l’issue des émeutes bien plus importantes qui ont suivi. Tant la Commission nationale des droits de l’homme que la Cour suprême de l’Inde en ont convenu, exigeant que les affaires soient de nouveau ouvertes par le Central Bureau of Investigation plutôt que par la police locale : en janvier 2004, 12 personnes étaient arrêtées et accusées de meurtre et de viol382. Ceci démontre le principe clé dégagé lors de la visite du Comité en Inde : de fortes institutions démocratiques sont déterminantes pour la gouvernance en général et pour garantir aux minorités qu’elles seront protégées, ce qui décourage par le fait même l’extrémisme.

Relever les défis que pose le développement

Quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse, les Indiens ont des défis de taille à relever, à plus forte raison lorsqu’ils sont musulmans : 35 p. 100 environ des hindous vivent sous le seuil de pauvreté contre 50 p. 100 environ des musulmans. Plus de la moitié des musulmans sont analphabètes et leurs enfants fréquentent en grand nombre des madrassas au lieu des écoles publiques (qui sont certes toutes pauvres). Les femmes et les jeunes filles musulmanes souffrent encore plus à bien des égards, et probablement pour des raisons socio-économiques plutôt que religieuses. Elles sont désavantagées parce qu’elles sont des femmes, pauvres et membres d’une minorité. Le taux d’analphabétisme des femmes musulmanes indiennes serait d’environ 60 p. 100.

S’il est important de reconnaître les multiples défis que doivent relever les divers groupes présents en Inde sur le plan du développement, cela ne peut pas dire pour autant qu’il faut créer des programmes distincts d’aide, comme l’a expliqué Ann Thomson, de la Société asiatique des partenaires Canada (SAP) :

Un des organismes membres de SAP Canada, l’International Development and Relief Foundation (IDRF) s’efforce d’améliorer le niveau de vie des habitants des bidonvilles de l’État indien du Jharkand. Dans ces quartiers, les communautés musulmanes et hindoues vivent côte-à-côte et connaissent des problèmes similaires. Comme la pauvreté et les problèmes qui y sont liés sont les mêmes pour tous les pauvres de la région, les projets doivent s’adresser à l’ensemble des habitants.

En collaboration avec ses partenaires, l’IDRF prodigue aux enfants de trois bidonvilles un enseignement informel afin qu’ils puissent intégrer les réseaux scolaires officiels. Les femmes forment des groupes d’auto-assistance afin de faire des économies pour établir un fonds de micro-crédit renouvelable. Les jeunes filles ont accès à une formation professionnelle et vendent leurs produits. Des infirmières visiteuses se rendent également dans la communauté dans le cadre du projet. Au bout de trois ans, ce projet a donné les résultats suivants : meilleur accès à l’éducation pour les filles, mobilisation des communautés, production de revenus et meilleurs soins de santé. Les responsables du projet veulent maintenant sensibiliser les résidents à un sujet tabou en Inde : le VIH et le sida. En conjuguant ses efforts, cette communauté a non seulement amélioré le niveau de vie des habitants, mais elle a en outre acquis une certaine notoriété et un certain respect dans la société383.

Pour sa part, M. Salim Mansur a déclaré : «  L’histoire la plus retentissante dans le cas de ce pays n’a rien à voir avec l’ACDI ou avec une autre organisation de développement dans le monde. C’est l’histoire de l’entreprise privée et du développement de la technologie de l’information, de la transformation du sud de l’Inde en une silicon valley qui exporte maintenant de la main-d’œuvre vers l’Europe et l’Amérique. Les exemples de réussite dans les économies du tiers monde qui ont décollé, dans les pays d’Asie et dans certaines parties de l’Inde, ne doivent pas grand-chose à l’ACDI ou à la Banque mondiale384  ». M. Hau Sing Tse de l’ACDI a mentionné la vigueur économique récente de l’Inde, précisant que : «  [n]os programmes actuels soutiennent la réforme économique, le développement social et la gestion de l’environnement  ». Il a ajouté : «  Le gouvernement de l’Inde a récemment annoncé sa politique d’aide étrangère, selon laquelle les plus petits donateurs bilatéraux, comme le Canada, coopéreront dorénavant seulement avec la société civile plutôt que directement avec le gouvernement385  ». Le Canada a donc décidé de suspendre son aide bilatérale à l’Inde en 2005-2006, mais les programmes multilatéraux et les partenariats continueront. Cela signifie, compte tenu des niveaux actuels, que les concours chuteront de 60 millions à 30 millions de dollars par an environ.

Témoignages entendus en Inde

Nous avons entendu en Inde tout un éventail d’opinions sur les défis qui se posent à l’Inde et en Asie du Sud notamment sur les plans de la gouvernance et du développement. Les témoins ont dans leur grande majorité convenu toutefois que l’atout principal du système indien résidait dans ses institutions démocratiques et laïques.

M. Syed Shahabuddin, ancien diplomate et politicien, actuel président du All India Muslim Majlis-e-Mushawrat apolitique et rédacteur en chef de Mushawrat, revue sur les musulmans, remercie les membres du Comité d’avoir inclus l’Inde dans leur étude. C’est là un point important, étant donné la taille de la minorité musulmane en Inde et le fait que quelque 40 p. 100 des musulmans du monde constituent des minorités. À son avis, les musulmans cherchent avant tout à rester libres de conserver leur identité religieuse et recherchent aussi la sécurité, la dignité, l’égalité des chances et l’absence de discrimination. Si les événements de Gujarat ont été abominables, ils auraient pu, à son avis, être pires et l’on peut encore limiter les dégâts. Le journaliste Saeed Naqvi estime, pour sa part, que, même s’il y a toujours des défis à relever sur le plan du développement, l’expérience indienne est caractérisée par l’existence harmonieuse d’une large minorité musulmane dans un pays démocratique. Si la bataille a semblé perdue après les terribles émeutes de Gujarat, la décision de réouvrir les affaires signifie que la démocratie triomphe en Inde. Selon lui, le monde a tout à gagner à ce que cette démocratie laïque fonctionne. De son côté, le Pakistan préférerait que l’expérience échoue, puisque sa raison d’être est, à bien des égards, d’être dans l’opposition; si la situation du Cachemire se règle, il devra trouver une autre pomme de discorde.

La célèbre commentatrice politique Neerja Chowdury a indiqué que le conflit entre hindous et musulmans tient davantage au processus politique du pays qu’à la religion et que c’est la politique, et l’utilisation qu’on y fait des symboles religieux, qui est problématique en Inde, et non la religion. Selon elle, la situation s’est malheureusement polarisée entre fondamentalistes religieux et fondamentalistes laïcs. C’est la santé des institutions, ainsi que la liberté de la presse et la société civile qui maintiennent le pays en état de fonctionnement. Pour elle, l’Inde ne peut abandonner le Cachemire, car cela signifierait accepter que les groupes religieux ne peuvent coexister. Elle estime que toutes les nations qui croient dans le multiculturalisme sont concernées par la situation au Cachemire et ont intérêt à trouver une solution pacifique. (Au sujet du référendum organisé par les Nations Unies au Cachemire, Mme Chowdury a précisé que les élections libres et démocratiques de l’automne 2002 constituaient en effet des référendums.)

Mme Krishna Bose, présidente du Comité permanent des affaires étrangères de Lok Sabha, a commencé la réunion tenue avec les membres de cette commission et d’autres parlementaires en soulignant que la visite du Comité s’inscrivait dans le récent réengagement entre l’Inde et le Canada. À des questions qu’on leur posait les parlementaires indiens ont répondu en disant qu’ils étaient conscients d’avoir la responsabilité de protéger les droits des minorités. Même s’il y a des aberrations, les politiciens indiens savent que jouer la carte du racisme c’est jouer avec le feu.

M. Ram Madhav, principal porte-parole du RSS, a affirmé aux membres du Comité que l’Inde doit progresser en tenant compte de son propre contexte culturel, qu’il qualifie de globalement hindou dans un sens non religieux. Si le RSS est un organisme de bénévoles non lié au gouvernement, beaucoup de ses membres appartiennent au BJP au pouvoir. M. Madhav a déclaré que le RSS estime que les événements survenus à Gujarat étaient une aberration et que le groupe participait à un dialogue afin de trouver un compromis et de tenter de régler les questions sociales. D’autres témoins ont toutefois prétendu que le RSS avait des tendances fascistes et que le BJP était l’aile politique d’un ensemble de groupes culturels et religieux qui englobaient le RSS. Un député canadien a dit à M. Madhav, en toute franchise, que le RSS était perçu comme intolérant et menaçant pour les minorités.

Pour ce qui est du développement, les témoins ont convenu en général que les musulmans en Inde étaient plus pauvres et moins instruits et qu’il était prioritaire d’améliorer l’éducation des musulmans, surtout des filles. Mme Neerja Chowdury a convenu que la situation des femmes musulmanes en Inde n’était pas ce qu’elle devrait être et qu’à son avis la plus importante question de droits de la personne était l’éducation des filles musulmanes. Par contre, selon elle, cette situation est essentiellement attribuable aux dirigeants de la communauté musulmane, puisque depuis plusieurs années cette communauté utilise les «  banques de votes  » des musulmans à d’autres fins. M. Abad Ahamad, président de la Fondation Aga Khan d’Inde, a dit qu’il était nécessaire de se concentrer sur l’éducation et la croissance économique, que l’éducation des filles était primordiale, et que le développement des compétences était important.

D’autres représentants de cette fondation ont décrit le travail effectué par cette dernière en collaboration avec d’autres donateurs et des ONG, précisant qu’il ne s’agissait pas exclusivement de musulmans. Ils ont signalé que la quasi totalité des infrastructures en Inde appartiennent au gouvernement, mais que des services comme l’électricité et l’eau sont insuffisants : pas une seule ville, pas même Delhi, n’a d’eau courante 24 heures par jour. Les partenariats entre le secteur public et le secteur privé comme ceux élaborés en Grande-Bretagne, où le gouvernement emploie le secteur privé pour fournir certains services, constituent un très bon modèle. Loin de retirer des responsabilités au secteur public, ce type d’arrangement ne fait que reconnaître que les gouvernements ne peuvent toujours offrir des services efficacement — surtout dans les pays de grande taille. Un tel modèle pourrait également fonctionner dans le domaine de l’éducation, les pouvoirs publics gardant la responsabilité des enseignants et du programme, le secteur privé fournissant l’infrastructure. Il a malheureusement été très difficile de persuader le gouvernement indien de poursuivre ce type de modèle.

Pour les questions ayant plus particulièrement trait aux relations entre le monde musulman et le Canada, M. Shahabuddin a déclaré que les civilisations ne se heurtent pas, se mélangent plutôt, comme c’est le cas en Inde. Pour lui, tous les musulmans, notamment ceux qui vivent en Inde, s’inquiètent de la situation en Palestine, notamment sous les angles du colonialisme, de la force militaire, des préoccupations humanitaires et du manque d’uniformité dans les relations internationales. Maulana Wahiduddin Khan a félicité le Canada pour son multiculturalisme, ajoutant que le Canada était bien vu des pays musulmans. M. Zafarul-Islam Khan a précisé pour sa part que le Canada n’a pas de contentieux et peut être écouté. M. Shahabuddin a renchéri en disant que le Canada est admiré de tous dans le monde musulman et dans le monde en développement, en raison de ses deux langues officielles, de la liberté qu’il accorde aux minorités religieuses et de sa politique étrangère indépendante. À son avis, les relations qu’entretient le Canada avec le monde musulman dépendront de la position qu’aura le Canada à l’égard de la Palestine, de la manière dont il traitera sa minorité musulmane et de son indépendance à l’égard des États-Unis.

M. Naqvi a critiqué la «  guerre contre le terrorisme  », expliquant que, paradoxalement, elle «  exacerbe le terrorisme  ». Dans le cas de l’Asie du Sud, les États-Unis avaient besoin de l’appui du Pakistan, qui, de l’avis de M. Naqvi, prétend collaborer et continue de s’attaquer à l’harmonie indienne. Pour lui, le Canada devrait contribuer à consolider la démocratie en Inde et se faire entendre lorsque son point de vue diffère de celui des États-Unis. D’après lui, le rôle des médias a été très important, surtout que le BBC World Service a gagné en importance peu après la fin de la première guerre du Golfe et que al Jazeera a été créé par des journalistes arabes pour donner une autre version des faits au moment de la seconde Intifada. M. Naqvi appelle le Canada à envisager d’établir un organe médiatique par satellite — moins onéreux que ce que l’on peut penser — et un circuit de conférences dans le cadre duquel des étrangers pourraient venir au Canada pour discuter de ces questions. Mme Neera Chowdury a convenu que le Canada était bien placé pour encourager le dialogue et que des mécanismes comme des conférences internationales et un programme de conférenciers seraient utiles.

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

Globalement, l’Inde a une importance à la fois régionale et mondiale sur de nombreux fronts. Le pays a beaucoup fait pour s’attaquer à ses défis sur le plan du développement, notamment, depuis plusieurs dizaines d’années, mais il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine ainsi que dans celui des relations avec le Pakistan et les relations intercommunautaires386. Comme le Canada a décidé de mettre un terme à l’aide au développement bilatérale en 2005-2006 à la demande de l’Inde, le Comité estime qu’il est très important de faire en sorte que des fonds suffisants demeurent à la disposition des Indiens de toute religion et de toute ethnie pour les aider à relever les défis auxquels ils sont aux prises. Le Comité n’aurait pas la présomption de donner des leçons à l’Inde sur la démocratie, mais il note simplement qu’il est d’accord avec ceux qui estiment que, en tant que pays multi-ethnique et multiculturel, le Canada a toujours intérêt à ce que l’expérience indienne de démocratie séculaire réussisse.

RECOMMANDATION 26

Le gouvernement du Canada devrait poursuivre sa politique actuelle de réengagement avec l’Inde et, dans la mesure du possible, appuyer les efforts du gouvernement indien pour fournir une éducation convenable aux plus démunis. Il devrait appuyer aussi les efforts déployés en vue d’atténuer les tensions intercommunautaires.

Relations avec les pays de l’Asie du Sud-Est

L’apparition d’un islam politique constitue un défi pour l’ensemble des gouvernements de l’Asie du Sud-Est. Si l’idée d’un renouveau de la société et d’un renforcement de ses fondements moraux constitue dans ces pays, dont certains souffrent depuis longtemps de la corruption de leur gouvernement, une évolution positive, l’apparition d’un islam radical va à l’encontre de cette dernière. Dans cette région, les difficiles défis du développement et les systèmes politique souvent rigides ont nourri le mécontentement de la jeunesse, des travailleurs et des intellectuels […] la question cruciale demeure de savoir comme trouver un nouvel équilibre qui, dans le monde de l’après-11 septembre, permettra à l’islam de jouer un rôle non violent387.

Scott B. MacDonald et Jonathan Lemco

À long terme, la question cruciale, pour des pays à majorité musulmane tels que l’Indonésie et la Malaisie, demeure de savoir si c’est la version modérée ou bien la version militante de l’islam politique qui va l’emporter388 … 

Le défi, pour l’Occident, consiste, en Asie du Sud-Est, à aider le rétablissement d’États démocratiques viables […] et à renforcer ses liens avec ce qu’on appelle «  l’islam civil  », à savoir ces groupes de la société civile musulmane qui prêchent la modération et la modernité389.

Angel M. Rabasa

Si l’islam de l’Asie du Sud-Est est traditionnellement très tolérant, l’émergence mondiale d’un islam politique au cours du dernier quart de siècle, et plus particulièrement au cours de ces dernières années, avec l’effondrement de l’économie asiatique à la fin des années 1990 et la guerre au terrorisme, a eu des répercussions sur le débat politique public dans de nombreux pays de la région, et ce, que ce soit dans des démocraties établies de longue date telles que la Malaisie ou dans des pays venant d’accéder à la démocratie tels que l’Indonésie. En marge, elle a également amené quelques extrémistes à basculer dans le terrorisme.

Les visites que des membres du Comité ont entreprises en Indonésie et en Malaisie ont convaincu ces derniers de l’importance du dynamisme de cette région, de même que du caractère modéré de l’islam qui y est pratiqué. Ces visites ont également permis au Comité de mieux comprendre la complexité du débat interne sur le rôle de l’islam, qui occupe actuellement dans ces pays des musulmans soucieux d’assurer le développement et la sécurité ainsi que de consolider la démocratie, et les répercussions que peut avoir ce débat dans l’ensemble du monde musulman et au-delà.

Aperçu de la région

L’Asie du Sud-Est est composée des pays de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (ANASE), soit de Brunéi, de la Birmanie, du Cambodge, de l’Indonésie, du Laos, de la Malaisie, des Philippines, de Singapour, de la Thaïlande et du Vietnam, ainsi que du Timor-Leste. Ces pays partagent, de façon générale, des similarités telles que la présence de la descendance et de la culture malaises, un passé colonial (à l’exception de la Thaïlande), et la coexistence d’un grand nombre de cultures. Bien que la région compte un certain nombre de grandes religions autres que l’islam, elle abrite plus de 200 millions de musulmans qui constituent la majorité de la population de l’Indonésie, de la Malaisie et de Brunéi, ainsi que des minorités à Singapour, aux Philippines, en Thaïlande et au Cambodge. Du point de vue des relations de l’Occident avec le monde musulman, l’importance de la région ne réside pas seulement dans la taille de sa population musulmane, mais aussi dans l’existence d’une importante majorité de musulmans modérés dans des pays tels que l’Indonésie et la Malaisie.

L’Asie du Sud-Est a connu, tout au long des années 1990, une croissance économique exceptionnelle qui a entraîné un accroissement de ses échanges économiques avec le reste du monde et lui a permis de réduire la pauvreté. L’effondrement de l’économie asiatique, en 1997-1998, a durement touché tous ces États, et plus particulièrement l’Indonésie, non seulement en raison des difficultés économiques rencontrées, mais aussi en raison de l’apparition de problèmes de gouvernance, et autres, que la croissance économique avait dissimulés. En 2004, la plupart des pays de la région sont désormais sortis de la crise économique. (En fait, l’Asie du Sud-Est est la seule région, en dehors de l’Amérique du Nord, à destination de laquelle les exportations canadiennes ont connu une augmentation en 2002.) Les économies et les niveaux de vie, dans la région, atteignent des sommets dans des nations marchandes telles que Singapour ou la Malaisie, se maintiennent dans des pays tels que la Thaïlande, l’Indonésie et les Philippines, qui avaient connu une croissance importante avant l’effondrement économique, pour sombrer dans une Birmanie qui demeure isolée, tant politiquement qu’économiquement, sous la coupe d’un régime militaire répressif.

À l’automne 2003, M. Yuen Pau Woo, de la Fondation Asie Pacifique du Canada, a déclaré que «  l’Asie du Sud-Est connaît actuellement une crise d’identité. Ayant en grande partie pansé les blessures de la crise asiatique, elle se trouve désormais en concurrence avec la Chine pour ce qui est de s’attirer les faveurs des investisseurs mondiaux, et ce, tout en ayant à se dédouaner de l’image peu séduisante que la sous-région s’est acquise en tant que “second front de la guerre contre le terrorisme390”.

La démocratisation continue également de constituer un défi. Si la situation en Birmanie est pire, il n’en reste pas moins que le Vietnam demeure un État communiste à parti unique où la tolérance envers la dissidence est faible. La transition vers la démocratie, au Cambodge, demeure difficile. Les Philippines, la Thaïlande et l’Indonésie sont considérées comme des démocraties, en raison du suffrage universel et de la liberté de la presse, mais elles n’en ont pas moins besoin de se doter d’institutions démocratiques non partisanes plus fortes afin de garantir le processus démocratique. Pour finir, Singapour et la Malaisie, quoique des démocraties, sont toutes deux dominées par des partis puissants qui faussent le processus politique. Néanmoins, les États de l’ANASE ont récemment fait un pas dans la bonne direction et, abandonnant pour la première fois le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures, ont critiqué la Birmanie pour la détention de Mme Aung San Suu Kyi, qui est à la tête du mouvement de lutte pour la démocratie.

La majorité des États de l’Asie du Sud-Est sont confrontés à des problèmes de nationalisme ethnique qui ont donné le jour à des conflits territoriaux et à des mouvements sécessionnistes dans différentes parties de l’Indonésie, de même qu’aux Philippines et dans le sud de la Thaïlande. Comme l’a écrit M. Amitav Acharya : «  Avant le 11 septembre 2001, la majorité des défis auxquels étaient confrontés les pays de l’Asie du Sud-Est, dans le domaine de la sécurité, découlaient de différends internes à l’ANASE et de problèmes d’instabilité intérieure. […] Depuis le 11 septembre 2001, un nouveau défi, celui du terrorisme transnational, domine, en matière de sécurité, les préoccupations et l’ordre du jour des gouvernements du Sud-Est asiatique. L’Asie du Sud-Est a été qualifiée par certains analystes de «  second front  » de la guerre mondiale contre le terrorisme  ». Il a cependant nuancé sa pensée en ajoutant qu’«  … il existe d’importantes différences dans la nature et dans les objectifs des groupes terroristes de l’Asie du Sud-Est  ». Si certains groupes régionaux, tels que la Jemaah Islamiyah (Communauté musulmane), cherchent à instaurer un État pan-islamique englobant l’ensemble de la région et ont des liens avec Al-Qaïda, d’autres groupes ont des objectifs différents, tels que s’en prendre à des ethnies rivales, défier un gouvernement qu’ils jugent corrompu ou non démocratique, ou bien encore obtenir l’indépendance ou l’autonomie. De façon générale, ajoute-t-il :

Le terrorisme, en Asie du Sud-Est, n’est ni vraiment mondial, ni purement local. Il est les deux à la fois. Il est né de causes locales, mais survit grâce à des ressources extérieures. Des problèmes, tels que la question palestinienne et le ressentiment contre la domination mondiale des États-Unis, donnent une certaine légitimité aux causes des terroristes. Bien que de nombreux groupes terroristes aient des racines religieuses, leurs motivations sont essentiellement politiques, leur principal objectif étant de s’emparer du pouvoir dans leurs pays ou dans leur région respective391.

La menace posée par le terrorisme international dans le Sud-Est asiatique est devenue une réalité avec les attentats qui, en octobre 2002, ont fait, dans deux boîtes de nuits de Bali, 202 morts et 300 blessés, dont de nombreux touristes australiens, puis, en août 2003, avec l’attentat ayant pris pour cible l’hôtel J.W. Marriott de Djakarta et ayant fait 13 morts et 149 blessés, pour la plupart des travailleurs indonésiens. Les pays de l’Asie du Sud-Est se sont désormais engagés à renforcer l’échange de renseignements, et d’autres formes de coopération, dans ce domaine. Selon une étude entreprise, à la mi-2003, par M. Angel Rabasa, analyste au RAND : «  Si les mesures collectives contre le terrorisme s’opposent à des obstacles formidables, tels que des frontières perméables et mal surveillées, des organismes de renseignement et d’application de la loi déficients, et, parfois, une certaine réticence des gouvernements à admettre le sérieux de la menace, des efforts accrus, en matière de partage des renseignements, ont donné des résultats non négligeables392  ».

L’islam dans l’Asie du Sud-Est

De nombreux témoins, en Asie, ont formulé des commentaires similaires à ceux de M. Rabasa, à savoir que «  l’islam a été importé en Asie du Sud-Est par des marchands arabes, persans et indiens et s’est largement diffusé par la conversion des élites : ainsi l’islam s’y est-il développé dans des conditions différentes de celles des régions du monde musulman où il fut instauré par les conquêtes arabes ou turques. Dans le Sud-Est asiatique, le fait que les élites existantes se soient maintenues après l’instauration de la nouvelle religion a permis la préservation de nombreux éléments pré-islamiques forts  ». M. Rabasa ajoute que, par ailleurs, «  l’islam, en Asie du Sud-Est, n’est pas seulement dispersé de par sa répartition géographique, mais aussi de par son extraordinaire diversité interne393  ».

Malgré cette tradition de tolérance, et en raison d’événements mondiaux allant de la révolution iranienne à la défaite de l’Union soviétique en Afghanistan, en passant par la guerre au terrorisme et peut-être, même, le financement continu d’organismes de charité par l’Arabie saoudite, l’islam politique a connu, au cours des deux dernières décennies, un regain d’intérêt accru dans la région. Lors de son témoignage devant le Comité à Ottawa, M. Uner Turgay a declaré :

De nos jours, les islamistes de l’Asie du Sud et du Sud-Est, […] sont plus forts qu’au cours de toute autre période de l’histoire récente. En Malaisie, Kota Baharu, la capitale du Kelantan, est l’épicentre du mouvement islamique et du parti islamique de Malaisie, qui gagne du terrain. En Indonésie, le vice-président Hamzah Haz a plusieurs fois manifesté sa sympathie pour les islamistes de ce pays. Toutefois, la grande diversité de la population d’Asie du Sud-Est, avec son pouvoir économique considérable, est manifestement un facteur de modération pour l’intégrisme islamique394.

Si le débat politique entre musulmans est, dans la région, une question intérieure, M. Rabasa est d’avis qu’il peut se traduire, pour les nations occidentales, par deux types de répercussions, à savoir, dans les cas extrêmes, par des actes de terrorisme international, ou bien par la déstabilisation des gouvernements modérés de la région par les mouvements extrémistes islamiques395.

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

En raison de l’importance de l’islam en Asie et du rythme des événements récents, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a chargé M. Uner Turgay, de l’Institut des études islamiques de l’Université McGill, d’entreprendre, en février et en mars 2003, une série de voyages d’étude dans un certain nombre de pays clés de l’Asie du Sud et du Sud-Est. M. Turgay a par la suite déclaré devant le Comité :

Je crois que le Canada est à un carrefour et qu’il est confronté à des occasions historiques. C’est le seul pays anglophone qui soit actuellement respecté par les pays musulmans d’Asie du Sud-Est. La présence militaire, économique et souvent politique écrasante des États-Unis, et pas seulement la présence, mais parfois le contrôle qu’ils exercent, est honnie par les musulmans de cette région du monde. L’appui servile et inconditionnel de l’Angleterre aux États-Unis y est aussi honni. L’Australie n’est plus considérée par les Indonésiens, les Malais, ou les musulmans de Thaïlande comme une nation de l’Asie-Pacifique; elle est perçue comme une branche militaire de l’Occident. Pourquoi? À cause de son appui zélé aux politiques américaines au Moyen-Orient et, naturellement, de sa participation — et à juste titre à cet égard — aux événements du Timor oriental. Les Australiens sont devenus les policiers de l’Occident dans cette région du monde. Le Canada est le seul pays anglophone avec lequel les musulmans de cette région du monde veulent avoir des rapports, qu’il s’agisse d’éducation ou d’aide extérieure396.

Bien que ne travaillant pas spécifiquement sur les relations avec les pays à majorité musulmane, un diplomate canadien, M. Daryl Copeland, a développé un argument similaire en faveur d’un rapprochement avec les pays asiatiques. Comme il l’écrit lui-même :

… le Canada est arrivé à un point stratégique, et peut-être même crucial, pour l’avenir de ses projets pacifiques. La décision de ne pas participer à la guerre en Irak a renforcé la crédibilité et la légitimité du Canada en tant qu’acteur indépendant et a ouvert, ce faisant, une fenêtre stratégique. L’antipathie généralisée, et croissante, à l’égard de la politique étrangère des États-Unis, une tendance tout particulièrement marquée dans les mondes arabe et musulman, rend plus crucial que jamais le besoin d’affirmer, sur la scène mondiale, une identité distinctement canadienne. Cette fenêtre, qui nous est offerte, ne demeurera cependant pas éternellement ouverte397.

Outre le fait qu’elle compte, avec l’Indonésie, le pays musulman le plus peuplé du monde, l’Asie du Sud-Est est aussi appelée à jouer, de par l’importance dans cette région des États musulmans modérés, un rôle clé dans le dialogue en cours sur les relations entre les Occidentaux et le monde musulman. En janvier 2004, le journaliste Christopher Hitchens a déclaré que l’Indonésie «  va nous permettre de savoir si nous connaissons un conflit des civilisations ou bien un conflit au sujet de la civilisation, à savoir un conflit où les musulmans se trouvent des deux côtés et où les barbares ont déjà créé les conditions de leur propre disparition 398  ». Ce qui est vrai de l’Indonésie l’est aussi de l’Asie du Sud-Est en général. En appliquant les principes précédemment décrits dans la Partie II, le Canada peut contribuer à renforcer les États relativement faibles de la région et, plus important encore, leurs sociétés civiles, qui continuent de se battre pour surmonter les nombreux défis qui leurs sont propres ainsi que pour renforcer leur démocratie.

Indonésie

Les complexités de la politique indonésienne, et celles de son passage de l’autocratie à la démocratie, sont telles que quiconque n’a pas passé sa vie à étudier l’Indonésie devrait les aborder avec la plus grande prudence. On peut cependant déclarer que les organisations islamiques, en Indonésie, ont joué un rôle important dans la démocratisation du pays et que les partis musulmans continuent de participer à la vie politique indonésienne, le plus souvent pacifiquement. L’Indonésie se bat aujourd’hui pour être reconnue comme une démocratie à part entière et le fait avec le concours des 180 millions de musulmans que compte sa population. L’Indonésie n’est pas un État islamique, mais elle démontre qu’un islam souple peut contribuer à la démocratisation d’un pays et participer à un débat politique démocratique. Elle démontre également que la population peut choisir un gouvernement laïc après avoir voté pour des partis islamiques. Aussi atypiques que soient l’Indonésie et l’islam indonésien, ils démontrent la fausseté de certains mythes sur la démocratie islamique et révèlent que les possibilités, en la matière, sont très larges399.

Noah Feldman

Si l’Indonésie réussit à consolider sa démocratie pluraliste, elle deviendra, par sa population, la troisième plus importante démocratie au monde, et la première du monde musulman. Un islam modéré pourrait constituer, en tant que force politique dans une démocratie indonésienne pluraliste, un antidote aux idéologies et aux principes théocratiques d’un État islamique intolérant et exclusif400.

Angel Rabasa

L’Indonésie domine l’Asie du Sud-Est sur bien des plans. Géographiquement, elle est composée de quelque 17 000 îles d’un archipel, le plus grand du monde, dont la longueur est égale à la distance de Halifax à Vancouver. Démographiquement, elle compte plus de 300 ethnies et groupes linguistiques et pas moins de 230 millions d’habitants, dont la plus grande population musulmane du monde. Comme l’a souligné au Comité M. Uner Turgay, l’Indonésie est plus peuplée que les trois plus gros pays du Moyen-Orient, à savoir la Turquie, l’Iran et l’Égypte, réunis.

L’Indonésie ayant été le premier pays visité par les membres du Comité durant leur voyage d’étude en Asie, les questions posées par ces derniers y ont porté, plus qu’ailleurs, sur la nature de l’islam en Asie. Bien que, comme les en avait averti M. M.J. Akbar, de telles questions aient pu susciter, du moins en partie, une réaction «  défensive401  », les relations du Comité avec tout un éventail de dirigeants et d’érudits religieux, d’universitaires et d’autres interlocuteurs indonésiens, ont confirmé la nature tolérante de l’islam, non seulement en Indonésie, mais plus généralement dans l’ensemble du Sud-Est asiatique. Elles ont également confirmé les nombreux défis, en matière de démocratie ou autre, que le pays se doit de relever, ainsi que le désir qu’ont les Indonésiens de renforcer leur coopération avec le Canada.

Comme l’ambassadeur du Canada, M. Randolph Mank, l’a déclaré à Djakarta aux membres du Comité, l’Indonésie demeure, à bien des égards, une frontière, un immense État, confronté à d’important problèmes d’unité nationale, qui se retrouve en première ligne dans la guerre contre le terrorisme. Un autre défi de poids consiste pour ce pays à assurer la coexistence de l’islam et d’une démocratie pluraliste. L’Indonésie n’est pas officiellement un État islamique et l’islam dominant y est modéré, laïc, tolérant, pluraliste et séculier. Si les Indonésiens ne se soucient pas de leur religion, ils se préoccupent par contre de la façon dont on en parle et se révèlent très susceptibles à la moindre mention d’un éventuel lien entre le terrorisme et l’islam en général, ou bien même l’islam fondamentalisme en particulier.

Consolidation de la démocratie

L’Indonésie a connu ces dernières années d’énormes changements, tout particulièrement avec la fin d’une dictature vieille de plusieurs décennies et l’émergence d’une nouvelle démocratie. Elle a malheureusement connu, durant la même période, d’importants problèmes dans le domaine de l’économie, de la gouvernance et de la sécurité, qui ont compliqué la consolidation de cette démocratie. L’effondrement de l’économie asiatique a durement touché l’Indonésie, qui avait connu une forte croissance économique durant des décennies, et a entraîné le doublement de la pauvreté : 60 p. 100 de la population survit désormais avec un revenu inférieur à deux dollars par jour. De même, le régime centralisé du président Suharto avait maintenu, dans ce pays vaste et varié, un contrôle sévère sur les conflits, ethniques ou autres, ou tout au moins un monopole de la violence, tandis que la nouvelle ouverture a donné lieu à une augmentation des violences, ethniques ou autres, dans diverses régions, dont le Timor oriental où le vote des résidents en faveur de l’indépendance a entraîné le déchaînement de milices soutenues par l’armée indonésienne.

Les Indonésiens vont être appelés, en 2004, à participer à deux, voire trois élections nationales qui devraient mettre un terme à la présence officielle de l’armée et de la police aux assemblées nationales et locales. Malheureusement, comme l’a sobrement constaté l’International Crisis Group en décembre 2003 :

Les Indonésiens ont peu à peu perdu leur enthousiasme pour la démocratie depuis les élections générales de juin 1999 qui étaient les premières dans le pays depuis la fin du régime autoritaire […] Cela ne signifie pas cependant que rien n’ait changé depuis la chute du président Suharto en 1998. Les Indonésiens jouissent désormais de libertés politiques étendues, telles que la liberté de former des partis politiques ou des associations et la liberté de la presse. L’État autoritaire, extrêmement centralisé, a été remplacé par un gouvernement fortement décentralisé. L’armée, qui continue de jouer un rôle politique, n’exerce plus sa mainmise sur les autres groupes politiques, mais la population a dû réviser ses aspirations à la baisse. Elle n’espère ainsi plus que des élections libres puissent mener à un gouvernement efficace et responsable. Au contraire, le cynisme à l’égard de la nouvelle élite politique des élus est devenu quasi généralisé402.

La démocratie constituait, en 1949, l’une des priorités de l’Indonésie nouvellement indépendante et ses dirigeants se préparaient à l’élection d’une assemblée constituante qui aurait pour mission de rédiger une constitution et d’instituer un gouvernement démocratique. Un certain nombre de partis, dont deux partis représentant respectivement les musulmans traditionalistes et les musulmans modernistes, participèrent aux élections libres de 1955403. Cette division générale de la population musulmane indonésienne s’est perpétuée au cours des décennies sous la forme de deux grandes organisations socio-religieuses. Plus de 40 millions de musulmans indonésiens appartiennent à l’heure actuelle à la Nahdlatatul Ulama (NU), rurale et traditionnelle, qui se consacre à accroître et à protéger le bien-être de la communauté musulmane traditionnelle. Parallèlement, plus de 35 millions de musulmans appartiennent à la Muhammadiyah, plus urbaine et plus moderne, qui se soucie principalement d’éducation.

Cependant, l’avènement de la démocratie en Indonésie fut malheureusement retardé par des décennies de dictatures : tout d’abord sous le régime socialiste laïc du président Sukarno (1958-1965), puis, après une terrible période de transition où des centaines de milliers de personnes suspectées de communisme et d’autres furent tuées au cours de violences organisées par l’État, sous le régime anti-communiste du président Suharto (1967-1998). Vers la fin de son règne, le président Suharto s’était rapproché à la fois des musulmans laïcs et des islamistes afin d’obtenir leur soutien à son régime. En 1998, cependant, ayant même fini par perdre le soutien de l’armée, il dut démissionner après des manifestations et des émeutes qui firent au moins 500 victimes. Le président Suharto fut remplacé par son vice-président et les premières élections libres à être tenues en Indonésie depuis plus de 40 ans se déroulèrent en 1999. Ces élections n’ayant pas donné lieu à une majorité, l’Assemblée consultative populaire décida de choisir comme premier président de l’Indonésie élu librement un célèbre membre du clergé musulman, M. Abdurrahman Wahid, leader de longue date de la Nahdlatatul Ulama.

Bien que membre du clergé musulman, M. Wahid était représentatif de la tradition de tolérance de l’islam indonésien et se posait en défenseur d’une Indonésie qui soit un État pluraliste plutôt qu’un État islamique. Il s’était rendu en Israël et avait accepté l’idée de relations entre Israël et les États musulmans404. Malheureusement, M. Wahid s’est révélé, pour des raisons de santé entre autres, inefficace dans son rôle de président et a été remplacé deux ans plus tard par Mme Megawati Sukarnoputri, fille du président Sukarno, qui, ayant reçu le plus grand nombre de suffrages lors de l’élection de 1999, avait été nommée vice-présidente du président Wahid afin d’essayer d’apaiser les tensions.

Comme d’autres pays musulmans, l’Indonésie a connu, au cours de la dernière décennie, une montée tant de la conscience islamique que de l’islamisme politique. M. M.J. Akbar a déclaré devant le Comité que ce phénomène constituait un renversement pour une Indonésie qui était auparavant une société confortable, mais qui «  … s’était vraiment détachée405  ». À New York, Mme Isobel Coleman, du Council on Foreign Relations, a souligné que les sondages, en Indonésie, indiquaient un changement de position sur la question de la Palestine depuis l’effondrement financier de la fin des années 1990, dont beaucoup font porter la responsabilité au financier «  George Soros, le Juif  ». Certains ont établi un lien entre la montée de l’islamisme et le financement continu par l’Arabie saoudite d’organismes de charité indonésiens. Selon M. Jamhari Makruf de l’Université islamique d’État : «  Ils viennent dans les quartiers pauvres […] disent qu’ils y construiront une mosquée en autant qu’on les laisse choisir l’imam, et essayent ainsi d’imposer la doctrine wahhabite406  ». Néanmoins, les témoins rencontrés en Indonésie se rallient à la majorité qui, comme M. Angel Rabasa, pense que «  l’Indonésie ne se révèle pas être un terreau fertile pour le wahhabisme407  ».

Politiquement, le nouveau gouvernement démocratique de l’Indonésie est bien entendu sensible à l’opinion de ses électeurs et à la nécessité d’éviter de prendre des mesures qui pourraient être critiquées comme étant contre l’islam. Mme Sidney Jones, directrice pour l’Asie du Sud-Est de l’International Crisis Group, a déclaré en août 2003 que, afin de résoudre efficacement le problème du terrorisme, les dirigeants politiques indonésiens devraient publiquement déclarer que la Jemaah Islamiyah est l’organisation responsable des attentats de Bali et d’ailleurs qui on fait des centaines de victimes. Elle a ajouté : «  Les officiels sont prêts à condamner le terrorisme, la violence et le crime, mais, de peur d’offenser les leaders musulmans pour qui l’expression Jemaah Islamiyah désigne l’ensemble de la communauté musulmane, ils se refusent, à de rares exceptions, à reconnaître publiquement l’existence d’une telle organisation408  ».

En Indonésie, certains ont également demandé, sans succès, que la charia soit adoptée comme loi ou que, du moins, le premier principe de la philosophie nationale, ou Pancasila, soit modifié afin que «  la croyance en un dieu unique  » soit remplacée par «  la croyance en un seul dieu dont le nom est Allah409  ». Cependant, comme M. Uner Turgay l’a indiqué au Comité, si les Indonésiens se disent solidaires des Palestiniens, : «  [d]ans les pays que j’ai visité, l’Indonésie, la Malaisie, c’est préoccupant, mais ce n’est pas un problème qui va affecter leurs politiques à l’égard de l’Occident410  ». Globalement, l’influence de ces divers courants s’est probablement moins fait sentir en Indonésie que dans de nombreux autres pays musulmans, tant en raison de la tradition syncrétique et tolérante de l’islam indonésien que de l’opposition active des principaux leaders musulmans au fondamentalisme et à l’extrémisme.

Comme l’a fait remarquer M. Angel Rabasa : «  Le danger est que, faute d’une campagne d’éducation politique efficace menée par les musulmans modérés, les radicaux, bien que minoritaires, puissent être à même d’établir les paramètres du débat politique.  » Il a ajouté qu’«  … il semble que les Indonésiens modérés soient en train d’entreprendre une telle mobilisation  ». Et de poursuivre :

Les dirigeants de la Nahdlatul Ulama et de la Muhammadiyah sont apparus côte à côte en public afin de rappeler que l’islam ne prône pas le recours à la violence et de lancer une mise en garde contre un détournement de la religion. Un nombre croissant d’érudits musulmans cherchent à séparer l’islam de la politique, suivant en cela la «  Nouvelle théologie islamique de la politique  » lancée dans les années 1980 par M. Nurcholish Madjid. Cette école de pensée affirme que les musulmans n’ont pas à voter pour les partis islamiques et son mot d’ordre est «  L’islam, oui. Les partis islamiques, non  ». Elle cherche également à améliorer l’éducation offerte aux musulmans afin qu’ils puissent participer à l’économie mondiale. Certains dirigeants musulmans indonésiens, tels que l’ancien président Wahid, le président de la Muhammadiyah, Ahmad Syafii Maarif, et une nouvelle génération de dirigeants font partis des porte-parole de cette école de la «  Nouvelle pensée musulmane411  ».

Lors d’une entrevue publiée en janvier 2004, M. Nurcholish Madjid a déclaré que «  … les musulmans du monde arabe et de l’Inde ont un grand passé, mais nous avons un grand avenir. Nous devons apprendre à distinguer l’islam de l’arabisme, et mettre un terme à ce monopole412  ».

Islam et éducation

Un important moyen de consolider la tradition tolérante et modérée de l’islam indonésien est l’éducation religieuse. M. Fu’ad Jabali, de l’Institut national islamique de Djakarta, qui a obtenu son doctorat à l’Institut des études islamiques de l’Université McGill et que le Comité a rencontré en Indonésie, avait déclaré en 2000 que :

Au cours des deux dernières décennies, un islam prônant la tolérance et l’inclusion s’est établi comme l’islam dominant en Indonésie. Parmi les principaux facteurs de cette évolution, on trouve la modification du rôle des institutions musulmanes rurales, la modernisation continue de l’éducation islamique et la réorientation des organisations musulmanes populaires qui, se transformant en forces politiques et sociales, ont pris la tête du mouvement de réforme.

Les quatorze instituts nationaux islamiques de l’Indonésie (IAIN) […], dans les grands centres urbains, et trente-trois […] collèges islamiques, dans des villes moyennes, ont joué un rôle majeur dans la transformation de l’islam indonésien. Ce rôle tient surtout à l’approche qu’ont ces IAIN de l’islam. Cette approche met l’accent sur la pensée critique et l’étude objective; sur des échanges avec les autres religions fondés sur la tolérance, la compréhension et le respect; sur une conception participative, démocratique et inclusive du gouvernement et du développement; ainsi que sur le respect de la tradition d’humanisme, de tolérance, d’égalité et d’ouverture de l’islam classique413.

L’Université McGill a établi, depuis plus de quarante ans, des relations étroites avec les instituts islamiques indonésiens, les aidant à renforcer leurs compétences par des échanges et par d’autres modes de coopération. En Indonésie, les membres du Comité se sont vus de nombreuses fois répéter la valeur accordée au programme de McGill, tenu en haute estime par tous et, en particulier, par le gouvernement indonésien. Les intérêts indonésiens sont très nombreux dans ce programme qui constitue une priorité pour le gouvernement indonésien dans le cadre d’une coopération renouvelée. Ce programme, outre qu’il permette d’établir des liens avec le Canada, répond à des besoins plus larges en renforçant la capacité même des érudits indonésiens à moderniser l’éducation religieuse et à consolider les valeurs d’un islam modéré414.

Si le programme de McGill et d’autres programmes d’assistance similaires se préoccupent surtout de l’éducation supérieure, ces programmes ont des «  retombées  », car les IAIN forment près de 80 p. 100 des enseignants du système éducatif islamique qui est particulièrement important dans les zones pauvres et rurales et compte des établissements élémentaires, intermédiaires et secondaires. Bien que réglementés par le gouvernement, ces établissements n’en demeurent pas moins sous-financés. Parallèlement, une éducation beaucoup plus sommaire est dispensée dans plus de 14 000 pensionnats religieux traditionnels appelés pesantrens. Bien que techniquement distinctes des madrassas, qui existent également en Indonésie, ces pesantrens, du fait qu’elles assument une fonction d’aide sociale dont de nombreux parents ne peuvent se passer, qu’un certain nombre d’entre elles prêchent l’extrémisme, et que leurs programmes sont souvent mal adaptés et non réglementés par l’État, soulèvent certaines inquiétudes suscitées ailleurs par les madrassas. L’International Crisis Group a affirmé cependant que, bien qu’une «  fraction minime  » des pesantrens ait été utilisée par des membres de la Jemaah Islamiyah pour entraîner une nouvelle génération de membres de leurs familles, «  le système d’éducation religieux de l’Indonésie ne doit pas être stigmatisé415  ».

Durant leur séjour en Indonésie, les membres du Comité ont visité, près de Djakarta, une pesantren gérée par l’ONU, la Pesantren Asshiddiqiah Kedoya, où ils ont été chaleureusement accueillis par près de 4 000 élèves enthousiastes, âgés de 7 à 19 ans, avec lesquels ils ont eu l’occasion de discuter. Tout le monde s’entend à reconnaître que les pesantrens d’Indonésie sont d’une tradition plus modérée que les madrassas du Pakistan et d’ailleurs. Tout le monde s’accorde également sur le fait que, outre des services d’aide sociale, elles offrent une éducation à laquelle beaucoup de jeunes, et plus particulièrement les filles des milieux pauvres et ruraux, ne pourraient pas avoir accès autrement.

Néanmoins, le gouvernement indonésien a reconnu qu’il fallait s’assurer que les programmes des pesantrens soient modernisés et que le secteur de l’éducation islamique dispose d’enseignants qualifiés et d’installations adéquates. Des évaluateurs externes ont récemment achevé une évaluation majeure du secteur indonésien de l’éducation, et plus particulièrement de l’éducation islamique. Bien qu’il ne soit pas encore publié, ce rapport semble recommander de placer l’ensemble de l’éducation primaire sous la responsabilité du ministère de l’Éducation, et d’en écarter le ministère des Affaires religieuses qui se charge actuellement de l’éducation religieuse, une mesure qui risque de prendre un certain temps à mettre en œuvre.

Garantir la sécurité

L’Indonésie, où le groupe terroriste régional Jemaah Islamiyah a sa principale base, continue d’être une cible importante du terrorisme international. Comme nous l’avions déjà mentionné, certains ont qualifié de faible la réponse de ce pays à la menace terroriste régionale, qu’il s’agisse de coordonner des actions ou de lutter contre la corruption ou, plus important encore, d’avoir la volonté politique de dénoncer publiquement les responsables. Toutefois, en Indonésie, les membres du Comité se sont fait dire par des Canadiens et par d’autres que le gouvernement indonésien avait raffermi sa position à cet égard, mais qu’il restait beaucoup à faire.

La guerre au terrorisme a fait monter l’antiaméricanisme en Indonésie, rendant ainsi la coopération plus complexe dans cette région. Le président américain, George Bush, a visité l’Indonésie quelques jours après la visite du Comité, et les chefs religieux qu’il a rencontrés auraient critiqué certains aspects de la politique étrangère américaine, qu’il s’agisse de la guerre au terrorisme ou ce qu’ils perçoivent comme deux poids deux mesures au Moyen-Orient. Comme le titrait la une d’un grand quotidien indonésien la veille d’une visite, «  nous avons tout un stock de problèmes : la pauvreté, la corruption, la dette étrangère, la crédibilité de notre système judiciaire et une difficile transition vers la démocratie. Ces problèmes ne reçoivent pas une attention suffisante car l’essentiel de notre énergie est dirigé vers le terrorisme, et le terrorisme, au bout du compte, est nourri par l’attitude arrogante de l’Amérique elle-même416  ».

Ironiquement, quand John Ashcroft, secrétaire américain à la Justice, était en visite en Indonésie en février 2004 pour souligner la nécessité de poursuivre la coopération dans la guerre au terrorisme, il a de nouveau rejeté la demande de l’Indonésie d’obtenir un accès immédiat à Hambali, un dirigeant de la Jemaah Islamiyah accusé d’avoir organisé les attentats de Bali et capturé par la CIA en Thaïlande en août 2003, au motif de monter un dossier contre d’autres présumés terroristes417.

Épargnée par le terrorisme international, l’Indonésie a cependant été confrontée à un autre type de violence extrême qui a causé des milliers de morts depuis quelques années et qui a contribué au mépris des droits de la personne. Des émeutes ont eu lieu au sein de la communauté : entre Dayaks, Madourais et d’autres groupes nomades dans l’ouest et le centre du Kalimantan; entre chrétiens et musulmans dans les îles Moluques et Célèbes; et entre Javanais et la minorité sino-indonésienne plus aisée à Java. Dans la foulée de l’indépendance du Timor oriental, l’Indonésie a aussi été confrontée à un nouvel accès de violence de la part des mouvements sécessionnistes de longue date en Aceh et en Nouvelle-Guinée. Sur une note d’espoir, Mme Ann Thomson de la Société asiatique des partenaires Canada, qui a vécu et travaillé en Indonésie pendant plusieurs années, a dit au Comité que «  la violence réciproque qui régnait en Indonésie […] est de notoriété publique. En fait, l’Indonésie a fait une tentative maladroite et non dirigée pour faire la transition vers un régime gouvernemental plus représentatif418  ». Peut-être, mais des parlementaires australiens en visite à Ottawa en 2003 ont confié aux membres du Comité que la violence persistante et d’autres événements dans le pays inquiétaient beaucoup de pays voisins de l’Indonésie.

Témoignages entendus en Indonésie

M. H.A. Syafi’i Ma’arif, président de la Muhammadiyah et un des dirigeants musulmans les plus importants en Indonésie — membre de la petite délégation de dirigeants indonésiens qui devait rencontrer le président américain Bush quelques jours plus tard — a expliqué aux membres du Comité que le libre arbitre et le libre choix font partie de l’islam et que, même si certains Indonésiens musulmans sont «  engagés  » et certains ne le sont que «  de nom  », l’harmonie règne dans le pays. Il a soutenu que le mouvement de radicalisation en Indonésie a débuté il y a une décennie, en grande partie à cause d’influences extérieures, telle une présence accrue de gens ayant reçu une formation militaire en Afghanistan. Il a ajouté que, même si ces éléments font beaucoup de bruit, ils ne sont pas profondément enracinés en Indonésie et ils ont le courage de faire face à la mort, mais non à la vie.

Après une visite de la mosquée Mesjid Istiqlal, la plus grande du Sud-Est asiatique, le professeur H. Umar Shihab, président du Conseil des oulémas (savants religieux), et d’autres hommes et femmes membres du Conseil ont rappelé au Comité les traditions de modération, de tolérance et d’inclusion de l’islam indonésien. M. Shihab a soutenu que la plupart des conflits en Indonésie portaient sur des questions économiques, sociales, de ressources et autres plutôt que sur la religion, même si cette dernière peut être et a été utilisée comme outil de propagande. Il a expliqué que la loi islamique était limitée à certains domaines comme le commerce, les questions sociales et l’éducation, et que l’Assemblée consultative du peuple s’était prononcée contre l’adoption de la charia. Il a ajouté que les relations interconfessionnelles sont constructives et pacifiques, y compris entre musulmans et juifs même s’ils ne s’entendent pas sur la question de la Palestine.

M. Tarmizi Taher, ancien ministre des Affaires religieuses, a soutenu que l’Indonésie se considère comme une nation ni laïque ni religieuse, mais plutôt pro-religion. La plupart des Indonésiens sont musulmans, mais ce ne sont pas des arabes et, en fait, comme ils sont bien loin du Moyen-Orient, ils sont relativement peu arabisés. Concernant le financement saoudien, M. Fu’ad Jabali de l’Université islamique d’État (IAIN) a affirmé que le phénomène est vraiment apparu après la révolution iranienne dans le contexte d’un effort visant à restreindre l’influence de l’islam chiite. Certes, les Saoudiens ont essayé d’imposer des conditions au financement des œuvres de bienfaisance, mais d’après lui, la société indonésienne a un effet modérateur sur les idées qui arrivent de l’étranger.

M. Sumargono, vice-président du Parti du croissant étoilé et membre de l’Assemblée consultative du peuple, a souligné que traditionalistes et modernistes se côtoient en Indonésie : certains veulent que la culture islamique demeure une affaire personnelle et refusent de participer à la vie politique, alors que d’autres veulent que les partis politiques s’inspirent d’une structure islamique. Selon un représentant du Nahdlatatul Ulama (NU), l’Indonésie poursuit sa transition vers la démocratie, ce qui devrait prendre encore cinq à six ans. En réponse à une question concernant les droits collectifs et les droits individuels, celui-ci a indiqué qu’on cherchait en Asie à concilier les deux. M. Ibrahim Ambong, président du puissant 1er Comité du Parlement indonésien, a ajouté que les Indonésiens aimeraient savoir en particulier comment concilier droits de la personne et sécurité. Il a ajouté que les conflits avec les minorités sont parfois causés par des questions économiques.

Concernant l’éducation, M. Fu’ad Jabali a fait observer que les Canadiens ne sont pas vraiment des étrangers à l’Université islamique d’État, étant donné la présence d’un si grand nombre de diplômés de McGill. Comme la plupart des Indonésiens sont pauvres, ils ne peuvent envoyer leurs enfants que dans des madrassas ou des pesantrens — on accorde beaucoup d’importance à l’éducation — et de nombreux diplômés de l’IAIN enseignent dans ces écoles en Indonésie. La plupart des livres utilisés dans les pesantrens ont toutefois été rédigés il y a des années et n’abordent pas des notions telles que les droits de la personne. Par conséquent, les spécialistes de l’IAIN essaient de faire le pont avec le monde moderne, notamment en élaborant un nouveau vocabulaire. Seuls quelques pesantrens prônent l’extrémisme, alors que des organismes tels que le NU ou la Muhammadiyah prônent la tolérance, le renforcement de la société civile et la démocratie dans les madrassas et les pesantrens.

Des représentants du ministère des Affaires religieuses ont précisé que le Ministère ne s’intéresse pas à la vie spirituelle des communautés religieuses d’Indonésie, mais plutôt à leur interaction. Le Ministère fournit de l’aide financière pour répondre aux besoins de ces groupes et pour favoriser l’harmonie, en particulier l’harmonie entre les groupes religieux, au sein des groupes religieux, et entre les groupes religieux et le gouvernement. M. H.M. Atho Mudzhar, directeur de la recherche, du développement et des affaires religieuses du Ministère, a dit que l’unité nationale est étroitement liée, en particulier, à l’harmonie religieuse en Indonésie. Le ministère de l’Éducation est responsable de l’éducation en général au pays, mais le ministère des Affaires religieuses soutient l’éducation religieuse dans les madrassas, notamment en cherchant à adapter les programmes à la réalité contemporaine. Les représentants du Ministère ont soutenu que le travail consistait à développer un islam culturel plutôt que politique. La question du wahhabisme n’est pas nouvelle et est davantage une affaire théologique que politique. Avant les élections de 1999, les chefs religieux s’étaient engagés à ne pas utiliser de symboles religieux à des fins politiques, mais la question a refait surface à l’approche de nouvelles élections.

Concernant le terrorisme, M. Ali Alatas, ex-ministre indonésien des Affaires étrangères, a expliqué que l’Indonésie n’avait jamais eu de divergences d’opinion avec les États-Unis et d’autres pays quant à la nécessité de la lutte contre le terrorisme, mais que ses vues divergeaient parfois des leurs sur les moyens à employer. Les États-Unis affirment ne pas s’en prendre à l’islam dans la guerre au terrorisme, mais selon M. Alatas, il faut s’attaquer aux racines du problème, notamment au sentiment d’injustice et d’aliénation dont l’expression la plus manifeste est le conflit palestinien qui perdure. Pour lui, il est important de discuter davantage du terrorisme et du «  choc des civilisations  », car sa longue expérience des affaires étrangères lui a appris que, une fois bien ancrés, les préjugés sont très difficiles à extirper. Le gouvernement indonésien est prêt à lutter contre l’image d’endroit dangereux qui colle à l’Indonésie et espère que ses alliés sont aussi disposés à lutter contre ces préjugés et d’autres. Le dialogue est nécessaire, mais il ne peut être limité aux seuls convertis.

Sidney Jones de l’International Crisis Group a abordé la question du terrorisme et de la violence, soutenant que le facteur critique qui pousse les Indonésiens au terrorisme, ce n’est ni le conflit au Moyen-Orient ni la pauvreté, ajoutant que cette violence n’est pas inculquée dans le réseau des écoles islamiques. Elle a fait remarquer que la majorité des personnes déjà arrêtées étaient des rebelles de troisième génération et que le facteur critique, ce sont les liens de filiation, alimentés par d’autres facteurs. Selon elle, le terrorisme n’est pas un club ouvert à tous. Non seulement le réseau terroriste Jemaah Islamiyah ne prend pas de l’expansion, il a plutôt tendance à diminuer à cause des arrestations. Elle a ajouté que nous ne devrions pas traiter de la question des écoles islamiques en termes de contre-terrorisme. Enfin, certains Indonésiens préconisent l’adoption de la charia, mais ils sont prêts à poursuivre cet objectif dans un cadre pacifique et démocratique, et même les radicaux qui préconisent la création d’un État islamique répugnent à recourir à la violence.

Au chapitre de la coopération canadienne, des représentants du ministère des Affaires religieuses ont affirmé que la coopération du Canada, notamment celle de l’Université McGill, était importante pour l’Indonésie et qu’il serait utile d’accroître ce type de coopération, notamment pour promouvoir un «  islam inclusif  ». Des représentants de la Nahdlatatul Ulama ont dit au Comité que l’organisme avait envoyé plusieurs étudiants au Canada au fil des ans et qu’il aimerait développer davantage une telle coopération dans l’avenir. Il souhaiterait aussi inviter des spécialistes canadiens, notamment des professeurs de langue, à venir en Indonésie pour enseigner et vivre dans des pesantrens, qui sont très différents des madrassas du Moyen-Orient. Mme Clara Joewono du Centre d’études stratégiques et internationales (Indonésie) a ajouté que le Canada pourrait faire davantage pour promouvoir l’égalité des sexes, notamment par l’éducation des femmes.

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

Le Canada et l’Indonésie ont célébré 50 ans de relations diplomatiques en 2002-2003, et les rapports entre les deux pays sont étroits et constructifs. Sur le plan économique, l’Indonésie est à la fois le troisième marché d’exportation du Canada dans la région et la troisième destination des investissements canadiens en Asie. Globalement, la priorité du Canada dans ses relations avec l’Indonésie est de soutenir le développement démocratique de ce pays.

L’aide du Canada au développement de l’Indonésie a débuté en 1954 et les efforts, axés au début sur le soutien des grands programmes publics d’infrastructure, se sont progressivement orientés davantage vers la gouvernance. Comme M. Hau Sing Tse de l’ACDI l’a expliqué à Ottawa :

La liberté politique a également entraîné une croissance explosive des organisations de la société civile qui était auparavant réduite au silence. Le programme de l’ACDI en Indonésie a évolué en fonction des besoins du pays. Depuis 1997, l’Agence s’est surtout consacrée à y encourager la bonne gouvernance, les droits de la personne et le développement démocratique à l’échelle centrale et locale, à stimuler la croissance des petites et moyennes entreprises qui créent des emplois pour les pauvres et à améliorer le bien-être des collectivités grâce à une gestion plus durable des ressources naturelles et de l’environnement419.

L’aide offerte par l’ACDI à l’Indonésie a atteint un sommet de quelque 75 millions de dollars en 1985-1986, mais elle s’élève actuellement à quelque 23 millions de dollars par année. Quant à l’aide à la réforme de l’éducation, comme le programme de l’Université McGill, la contribution de l’ACDI a été répartie dans trois grands projets depuis le début des années 1980, le plus récent faisant l’objet d’une aide de l’ACDI de 8 millions de dollars, assortie d’une subvention de 5 millions de dollars du gouvernement indonésien.

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’Indonésie occupe une place importante autant dans le Sud-Est asiatique que dans le dossier plus général des relations avec le monde musulman. Selon Uner Turgay et d’autres, le Canada inspire un certain respect dans la région depuis la guerre d’Irak, ce qui lui ouvre des possibilités uniques. Par ailleurs, la visite du Comité a convaincu ses membres que le Canada peut faire œuvre utile en maintenant, voire en augmentant, son aide à l’Indonésie en matière de démocratisation et de réforme de la gouvernance, ainsi qu’en matière d’éducation, de soutien de la société civile et de règlement des conflits.

Entre temps, en tant qu’allié dans la campagne internationale contre le terrorisme qui n’a pas participé à l’invasion de l’Irak, le Canada peut aussi aider l’Indonésie dans des secteurs critiques tels que le contre-terrorisme, tout en montrant que, contrairement aux idées reçues, les efforts dans ce sens ne sont pas uniquement les fait des États-Unis ou fondamentalement dirigés contre les musulmans. Comme Daryl Copeland l’a affirmé de façon convaincante au sujet de l’Asie en général, le Canada pourrait occuper une niche dans l’architecture mondiale de la sécurité de l’après 11 septembre, en renforçant ses liens avec les pays islamiques démocratiques modérés, tels l’Indonésie, la Malaysie, le Bangladesh, afin de cultiver de nouvelles approches novatrices axées sur une plus grande sécurité internationale et sur la lutte au terrorisme. Par ses relations politiques bilatérales exceptionnelles, le Canada a un avantage comparatif dans la région et pourrait faire la preuve qu’il y a un lien entre la diplomatie et la sécurité, ce que ne peuvent faire ni les Américains ni les Européens420.

RECOMMANDATION 27

Compte tenu des progrès récents de l’Indonésie en matière de démocratie, notamment par l’adoption du pluralisme, et du rôle potentiel de ce pays comme modèle pour le reste du monde musulman, le gouvernement du Canada devrait continuer d’encourager et d’aider le gouvernement de l’Indonésie à faire du pluralisme un élément clé de sa démocratie.

RECOMMANDATION 28

Le gouvernement du Canada devrait continuer de renforcer sa coopération bilatérale avec l’Indonésie dans les domaines de la démocratie et de la gouvernance, de soutenir les groupes de la société civile qui contribuent à réduire les tensions ethniques et autres et d’appuyer la réforme de l’éducation, se fondant en cela sur le modèle exemplaire des programmes de l’Université McGill.

RECOMMANDATION 29

Le Canada devrait aussi continuer d’accroître sa coopération avec le gouvernement de l’Indonésie en matière de contre-terrorisme et de sécurité, notamment en vue de la résolution pacifique des conflits ethniques et autres.

Malaisie

En réponse aux exigences du PAS (parti islamique d’opposition) qui réclame un État islamique, les dirigeants de l’UMNO (le parti au pouvoir) affirment que la Malaisie est déjà un pays islamique (et même un pays islamique «  fondamentaliste  » du simple fait de son adhésion aux «  principes fondamentaux  » de l’islam) […] Quoi qu’il en soit, la campagne d’islamisation du gouvernement Mahathir n’a rien changé à la structure fondamentale du système juridique, politique et administratif du pays, lequel repose sur le modèle britannique et reflète dans une large mesure la tradition politique occidentale …421.

C’est la façon dont l’UNMO réussira à trouver un nouvel équilibre entre les attentes des électeurs malais et les impératifs de la gouvernance d’une société moderne pluriethnique qui déterminera si le type d’islamisme politique du PAS restera le projet politique d’une minorité au sein de la société musulmane malaise ou s’il risque de menacer le modèle malaisien de compromis politique et de coexistence des divers groupes qui composent le pays422.

Angel Rabasa

Contrairement à l’Indonésie, qui compte une population très majoritairement musulmane et qui s’efforce encore de consolider la démocratie, la Malaisie est un État pluriethnique prospère où vit une population majoritairement musulmane, mais de peu, et qui jouit d’une démocratie depuis déjà plusieurs dizaines d’années. Pourtant, la Malaisie présente un paradoxe apparent. Elle est considérée par beaucoup comme un État islamiste modéré, alors que son gouvernement poursuit depuis longtemps un programme officiel d’islamisation et décrit le pays comme un État islamique non pas modéré, mais fondamentaliste. Elle se fait par ailleurs aussi le champion des musulmans sur la scène internationale et dénonce les injustices dont elle les estime victimes.

On explique en général cette situation par le fait que M. Mahathir Mohamad, depuis très longtemps premier ministre de la Malaisie, exploite à la fois la rhétorique et la réalité de l’islamisation pour contrer les attaques du parti islamique d’opposition, le Parti Islam Semalaysia (PAS), un parti véritablement fondamentaliste qui réclame l’instauration d’un État fondé sur la charia en Malaisie. Comme Gwynne Dyer l’a dit dans un article d’octobre dans lequel il qualifiait M. Mahathir de «  vieux fou  » pour des propos controversés que celui-ci avait tenus ce mois-là, «  M. Mahathir n’est pas un extrémiste religieux. Il a consacré sa longue carrière politique (qui prend fin avec sa retraite ce mois-ci) à trouver des moyens d’unir les collectivités ethniques et religieuses particulièrement variées du pays en bâtissant une société prospère et pacifique, avec des résultats remarquables423  ».

Cependant, plusieurs personnes rencontrées en Malaisie ont dit au Comité que vingt ans d’islamisation avaient — c’était peut-être inévitable — abouti à une société multiculturelle plus conservatrice et moins intégrée. Sur le front international, David Dewitt a dit au Comité que les dirigeants politiques de la Malaisie avaient décidé de considérer le conflit israélo-palestinien comme une «  force mobilisatrice  » essentiellement pour des raisons de politique intérieure. Selon lui, «  … cela lui [le gouvernement] permet donc, tout en demeurant très éloigné du conflit, d’adopter ce qui est considéré comme une position respectable au sein de la communauté islamique, ce qui est très bon pour sa réputation d’intégrité, sa crédibilité et son prestige politique, sans qu’il lui en coûte quoi que ce soit. Dès que la question israélo-palestinienne sera réglée, le gouvernement passera à autre chose. Ce n’est pas un problème brûlant pour lui. Pour le moment, c’est un contentieux commode qui peut lui être utile.  » Par contre, il a indiqué que cette stratégie pouvait se retourner contre le gouvernement, parce que «  du fait que ce conflit est maintenant gravé dans le système éducatif et les médias […] même si la classe politique pourra passer à autre chose très rapidement le jour où il y aura une solution négociée débouchant sur un accord israélo-palestinien, nombreux sont les gens ordinaires qui auront beaucoup plus de mal à accepter cela424  ». 

L’exemple de la Malaisie présente des leçons importantes sur la manière de composer avec des collectivités ethniques et religieuses très variées en Asie du Sud-Est et sur l’influence grandissante de l’islam dans la politique et la société d’un des États les plus importants de la région. Avec la démission du premier ministre Mahathir à l’automne de 2003, quelques semaines à peine après la visite du Comité en Malaisie, il sera intéressant de voir ce que le gouvernement du nouveau premier ministre Abdullah Badawi fera des politiques amorcées sous Mahathir, et ce qu’il en découlera pour la Malaisie et pour ses relations avec le Canada et avec les autres États occidentaux.

Une démocratie pluriethnique

La Malaisie est une fédération composée de deux régions séparées par plus de 1 000 kilomètres de mer de Chine méridionale425. Sa population, de quelque 25 millions d’habitants, est composée de Malais, légèrement majoritaires (58 p. 100), de Chinois (26 p. 100), d’Indiens (7 p. 100) et d’autres minorités (9 p. 100). La diversité géographique, ethnique et culturelle de la Malaisie a joué un grand rôle dans l’évolution politique du pays, dont les partis politiques sont basés essentiellement sur l’appartenance ethnique, la localité ou la religion. Les relations entre les groupes ethniques jouent un rôle particulièrement crucial depuis l’indépendance en 1957, et quand Singapour, où la population est principalement d’origine chinoise, s’est retiré de la Fédération de Malaisie en 1965, le pouvoir politique est passé aux mains des Malais.

Les tensions entre la majorité malaise et la riche minorité chinoise ont culminé quand le parti au pouvoir, l’Organisation nationale des Malais unis (UNMO), a perdu des sièges lors des élections générales de 1969 et que des émeutes antichinoises ont éclaté à Kuala Lumpur, faisant presque 1 000 victimes. (Les Malaisiens d’origine chinoise ont de nouveau écopé durant la crise asiatique en 1997-1998.) Le gouvernement parlementaire a alors été suspendu pendant 21 mois et un gouvernement de coalition plus vaste a mis en œuvre ultérieurement des mesures d’action positive en faveur des bumiputeras («  fils de la terre  », des Malaisiens d’origine malaise et d’autres populations indigènes qui ensemble représentent ensemble environ 63 p. 100 de la population) conçues pour améliorer leur poids économique et atténuer les tensions interraciales. Ces mesures, combinées à l’interdiction de l’immigration en provenance de la Chine ont abouti : en 2003, la population d’origine malaise avait augmenté tandis que la population chinoise avait diminué.

La Malaisie a connu un essor économique impressionnant dans les années 1970 qui lui a permis, durant les décennies qui ont suivi, d’éliminer pratiquement la pauvreté et d’atténuer éventuellement les critiques formulées par les minorités à l’endroit des politiques favorables aux bumiputeras. Le crash de l’économie asiatique de la fin des années 1990 a entraîné la région dans une crise, mais celle-ci a été moins prononcée en Malaisie que dans les autres États en grande partie parce que le gouvernement Mahathir a refusé de suivre les prescriptions du Fonds monétaire international et d’autres. Hors de la Malaisie, Mahathir a été abondamment critiqué à l’époque pour avoir imputé la crise aux actions du financier américain George Soros.

En dépit de scrutins libres réguliers depuis l’indépendance, la domination d’un parti politique unique continue de brimer le processus démocratique en Malaisie. Comme l’a fait remarquer Noah Feldman :

 … il y a des élections régulières et essentiellement libres tous les cinq ans depuis l’indépendance en 1957. C’est essentiellement la même coalition qui gouverne depuis, mais les partis islamiques participent aux élections et les idées politiques islamiques ont fait leur chemin […] mais la stabilité et l’extraordinaire essor économique de la Malaisie ne se sont pas accompagnés de gains du même ordre sur le plan des libertés civiles fondamentales, au contraire. Ces dernières années, la liberté de parole et la liberté d’association, qui n’ont jamais joui d’une grande protection, s’effritent426.

Le gouvernement de la Malaisie a pris un tour plus autoritaire en 1987, quand M. Mahathir a failli perdre le pouvoir. Il a réagi à cette secousse en consolidant son pouvoir à l’intérieur de son parti, puis, l’année suivante, a pris des mesures pour intimider l’appareil judiciaire et réduire ses pouvoirs, modifier la constitution et réduire les freins et contrepoids du gouvernement427. Feldman poursuit en disant :

L’emprisonnement des dissidents aux termes de la loi draconienne sur la sécurité intérieure a culminé avec l’arrestation et le procès de pure forme d’Anwar Ibrahim, ancien vice-premier ministre et protégé du premier ministre Mahathir Mohamad. Homme politique d’appartenance islamiste-moderne et ancien leader de mouvements jeunesse qui s’est élevé rapidement grâce à la volonté du gouvernement de coopter les islamistes durant la période de croissance économique, Ibrahim a exprimé publiquement son désaccord avec son mentor au sujet de sa politique budgétaire lorsque la Malaisie a traversé une période de difficultés économiques. Quand Ibrahim a commencé à prendre la stature d’un rival potentiel, l’accolade de Mahathir s’est muée en strangulation. Mahathir s’est débrouillé pour faire condamner Ibrahim pour sodomie et le faire jeter en prison, où il est encore428.

L’islamisation et l’héritage de Mahathir

L’islam est la religion officielle de la Malaisie, bien que le pays ait été déclaré État laïc lors de l’indépendance429 et que la libre pratique des autres religions y soit garantie. Plus inquiétant encore pour certains, la population majoritairement malaise est définie comme musulmane dans la constitution du pays, ce qui revient à établir un lien entre groupe ethnique et religion.

Le Parti islamique d’opposition (PAS) a été établi en 1951 et a contesté toutes les élections parlementaires depuis 1957. Il contrôle une province, le Kelantan, depuis 1959. Cependant, peu après l’accession au pouvoir de M. Mahathir Mohammad en 1981, l’opposition islamique s’est renforcée et Mahathir y a réagi en partie en cooptant Anwar Ibrahim et en promettant et en réalisant sa propre campagne d’islamisation par la suite. Ce faisant, disent certains, il a légitimisé le programme du PAS tout en s’engageant dans une course à l’islamisation qu’il ne pouvait pas gagner.

La façon dont le gouvernement a traité Anwar Ibrahim a fait perdre des appuis au gouvernement au pouvoir lors des élections de novembre 1999 et contribué à améliorer des résultats du PAS, lequel a repris le contrôle dans un État et enregistré des gains dans certains autres. Les attentats terroristes du 11 septembre ont jeté le discrédit sur l’extrémisme islamiste, ce que le premier ministre Mahathir n’a pas manqué d’exploiter. Au PAS qui s’était engagé à instituer un «  État islamique  » s’il remportait les prochaines élections générales, il a répondu que la Malaisie était déjà un État islamiste — en fait, un État «  fondamentaliste430  » — et promis une plus grande islamisation encore.

La Malaisie est un important (et discret) partenaire de la lutte contre le terrorisme. On y a entre autres arrêté une centaine de personnes soupçonnées d’extrémisme aux termes de la loi sur la sécurité intérieure, laquelle permet la détention de suspects sans procès — un héritage de l’administration coloniale britannique. En novembre 2003, la Malaisie s’est dotée de nouvelles lois contre le terrorisme dont Human Rights Watch a dit à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies qu’elles étaient vivement critiquées par les groupes locaux de protection des droits de la personne, lesquels les trouvent trop vagues et d’application excessivement vaste, ce qui menace les droits fondamentaux à la liberté d’expression, d’association et de réunion431.

Anwar Ibrahim — un observateur certainement informé même s’il n’est sans doute pas neutre — affirme du fond de sa prison que la lutte contre le terrorisme a fait reculer la démocratie en Asie du Sud-Est. Pour lui, la cause de ce recul n’est pas le terrorisme en soi, mais la lutte contre le terrorisme menée au nom de la liberté et de la démocratie, laquelle, au lieu d’exploiter l’énergie démocratique dans la région, fait le jeu de l’autoritarisme. Il a ajouté :

Ragaillardis, les régimes autoritaires pavoisent. Pressés par les États-Unis, ils resserrent l’étau sur les dissidents en les qualifiant de terroristes ou de Talibans. Cependant, pour se concilier les populations locales, ils font étalage d’un anti-américanisme de bon aloi et accusent l’administration Bush d’hypocrisie et de duplicité. Leur machine à propagande parle de visées impérialistes, cloue les Américains au pilori pour la façon dont ils traitent les terroristes présumés et les accusent de violer les droits de la personne — tout en feignant de ne pas sentir les effluves putrides qui montent de leur propre cour432.

Tout en coopérant à la lutte contre le terrorisme, Mahathir voudrait que la communauté internationale s’attaque aux «  causes profondes  » du terrorisme et il a vivement critiqué l’invasion de l’Irak. Sa dernière tribune internationale lui a été fournie par le sommet de l’OCI qui a eu lieu en Malaisie au moment de la visite du Comité. Dans le discours qu’il a prononcé en tant qu’hôte du sommet, M. Mahathir a fait valoir la nécessité pour le monde musulman de conjuguer ses énergies et d’exploiter ses forces. L’attention internationale s’est cependant concentrée sur les éléments beaucoup plus controversés de son allocution, où il a parlé d’ennemis et a dit entre autres : «  Les Européens ont tué six millions de juifs sur douze. Pourtant, aujourd’hui, les juifs dominent le monde par procuration, en s’arrangeant pour que d’autres luttent et meurent pour eux433.  » Le discours a été bien reçu au sommet, mais a suscité de vives critiques de la part de la communauté internationale outrée que Mahathir ait choisi de pointer du doigt les juifs et non la politique du gouvernement israélien.

Mahathir Mohamad a souvent suscité la controverse dans les pays occidentaux et ce, durant plus de 20 ans, mais on lui reconnaît néanmoins le mérite d’avoir préservé croissance et stabilité dans son pays tout en y instituant une démocratie musulmane modérée. David Dewitt a dit au Comité que «  … certains aspects de sa politique et de ses politiques sont répugnants, par exemple la publicité qu’il continue à donner aux sinistres protocoles des aînés de Zion, ou l’utilisation des identités et des relations islamiques au profit d’intérêts sectoriels étroits. En revanche, d’autres aspects de son gouvernement sont dignes d’admiration, notamment sur le plan du développement national, de l’éducation et du progrès des droits des femmes434  ».

Les tenants de la thèse selon laquelle Mahathir a fait siennes la rhétorique et les politiques islamistes pour endiguer la popularité du PAS ont été confortés quand, peu de temps après avoir annoncé son intention de quitter la scène politique, Mahathir a proposé une série de mesures dans le domaine de l’éducation. Selon Angel Rabasa, celles-ci étaient conçues pour relâcher l’emprise de l’islam militant sur l’éducation en Malaisie et prévoyaient la réglementation des écoles islamiques privées. Rabasa conclut que ces nouvelles mesures marquent le terme de la politique d’islamisation sur laquelle a reposé la philosophie de l’UMNO depuis le début des années 1980435. Pour lui, la Malaisie ne risque pas vraiment de devenir un État fondé sur la charia pour plusieurs raisons, notamment les suivantes : le dualisme de la société — où les malais représentent une faible majorité globalement et ne sont majoritaires dans aucune des régions importantes —, les divergences de vues entre Malais sur le genre d’islam auquel ils aspirent et la vigueur des institutions laïques qui constituent le cadre de la vie politique et économique de la Malaisie436.

Si la visite du Comité en Malaisie a confirmé que ce pays joue un rôle positif et modérateur sur le plan des relations entre le monde musulman et l’Occident, elle a cependant aussi mis en lumière un certain nombre de préoccupations relativement à la situation intérieure de ce pays. C’est aux Malaisiens de juger la politique de discrimination positive du gouvernement en faveur des bumiputeras et d’islamisation accrue du pays, mais le fait est que ces mesures semblent avoir abouti à une société qui, si elle demeure moderne et modérée, est néanmoins devenue progressivement plus intolérante, ce qui a des conséquences sur la majorité malaise et sur les minorités ethniques. Certains de nos interlocuteurs nous ont parlé de cette intolérance, mentionnant notamment les lois interdisant aux couples de se prendre par la main en public et l’impression générale que les membres de groupes ethniques et religieux différents se mêlent moins qu’avant sur le plan des rapports sociaux437. Parallèlement, nos interlocuteurs sont convaincus que le Canada et les autres États peuvent peut-être aider les groupes de la société civile de la Malaisie qui cherchent à renforcer les institutions de gouvernance et réclament des changements, mais qu’il serait sans doute plus nuisible qu’autre chose qu’ils tentent d’intervenir dans des secteurs comme l’égalité des hommes et des femmes.

Après une vingtaine d’années dominées par le régime d’une seule personne, le nouveau gouvernement d’Abdullah Badawi mérite la chance de faire sa marque sur la Malaisie. À cet égard, plusieurs ont été surpris lorsque, au lieu de l’hommage à Mahathir que beaucoup attendaient, le premier discours du nouveau premier ministre au Parlement a laissé entrevoir un style de gouvernement plus ouvert et plus tolérant que le précédent438. Érudit islamique qui n’a pas été éclaboussé par des affaires de corruption, Abdullah Badawi était bien placé pour défendre la version laïque de l’islam du gouvernement de la Malaisie, mais certains estimaient que si le PAS réalisait de nouveau des gains lors des élections de 2004, le premier ministre pourrait voir son leadership contesté. Il se trouve que la coalition au pouvoir a remporté une victoire écrasante lors des élections législatives de mars 2004, décrochant 195 sièges sur 219 au Parlement fédéral et reprenant le contrôle de l’État dominé par le PAS en 1999439.

Témoignages entendus en Malaisie

Tan Sri Dato’ Noordin Sopiee, président-directeur général d’un des plus grands groupes de réflexion du pays, le Institute of Strategic and International Studies (ISIS), considère que la Malaisie est unique à maints égards et qu’elle peut être un modèle utile pour faire éclater les stéréotypes défavorables répandus en Occident. Entre autres, nous a-t-il dit, la Malaisie est une nation commerçante très occidentalisée et prospère dont la majorité musulmane a l’habitude de cohabiter avec d’autres. «  Musulman engagé  », il a répété que l’islam présent en Asie du Sud-Est était de type modéré, ajoutant que, les Malaisiens valorisant la modération et le pragmatisme, ils s’étaient donné une forme d’islam modérée et équilibrée. Le fait que le PAS ait eu la liberté de contester les élections a permis d’éviter des expressions de violence. Il a ajouté que «  dans certains pays même les modérés sont extrémistes, alors que dans son pays, même les extrémistes sont modérés  ».

Lui-même longtemps journaliste et rédacteur en chef, il a répondu à des questions sur l’indépendance des médias en affirmant que tous les gouvernements s’efforcent de contrôler la presse, ajoutant qu’en Malaisie, au moins, cela est fait très ouvertement par l’achat, par les partis, de divers journaux. Sur la question des droits individuels et des droits collectifs, il dit que les lois interdisent certes beaucoup de choses, mais qu’elles ne sont pas appliquées rigoureusement. Pour ce qui est des droits des minorités, pour lui, le fait qu’il a fallu au gouvernement l’appui de plus d’un groupe pour remporter les élections est gage d’équilibre. Il dit qu’il y a certes un «  conflit  » dans le monde d’aujourd’hui, mais il oppose les traditionalistes et les modernistes.

Le directeur général de l’ISIS, Dato’ Mohamed Jawhar Hassan, un ancien haut fonctionnaire spécialiste des questions de sécurité nationale a parlé du terrorisme, disant qu’il peut être employé par des organes de l’État comme par d’autres organes. Citant l’exemple du Congrès national africain de l’Afrique du Sud, il dit qu’il faut distinguer les méthodes des causes, et a ajouté que les Palestiniens doivent être considérés dans ce contexte. Il a rappelé que le terrorisme ne date pas d’hier, certainement pas du 11 septembre 2001, mais que les attentats visant les États-Unis en avaient fait du jour au lendemain une priorité internationale. En fait, a-t-il dit, si le terrorisme moderne exploite les technologies modernes et la multiplication des déplacements, le «  terrorisme international  » est souvent considéré comme un euphémisme pour le terrorisme anti-américain.

Suivant les définitions retenues, on peut, nous a-t-il dit, considérer que la menace terroriste est moindre qu’avant en Asie du Sud-Est. La Jemaah Islamiyah a certes retenu l’attention internationale avec les attentats de Bali et de Djakarta, mais ses visées «  intérieures  » — l’établissement d’un califat régional — rallient peu d’appuis. La Malaisie collabore étroitement avec les autres États à la lutte contre le terrorisme et applique une politique de «  tolérance zéro  » à cet égard. Au niveau régional, l’Indonésie est confrontée à d’énormes difficultés à ce sujet, car cet État, très étendu, est difficile à contrôler, et l’islam y est une puissante force politique. M. Hassan pense que la lutte contre le terrorisme doit être politique et non militaire, car elle se joue surtout sur le plan des idées, et qu’il faut trouver le moyen de miner l’appui populaire aux actions terroristes. Il a ajouté qu’il faut comprendre la nature de l’ennemi et s’attaquer aux causes profondes du mal et non en ajouter de nouvelles; pour cette raison, a-t-il dit, la campagne actuelle que mène la communauté internationale contre le terrorisme international est vouée à l’échec.

M. Chandra Muzaffar, ancien vice-président d’un parti d’opposition et directeur du Centre for Civilizational Dialogue à l’Université de Malaya, a expliqué les travaux du International Movement for a Just World (JUST), dont il est le président. Sous la houlette d’un conseil consultatif où l’on trouve notamment Noam Chomsky, un intellectuel et activiste américain, JUST cherche à promouvoir la compréhension entre les cultures et la résolution pacifique des conflits et à contrer ce qu’il considère comme les inégalités sociales et économiques inhérentes au processus de la mondialisation.

Sur le front intérieur, la Malaisie, a-t-il dit, a un bel avenir comparativement à ses voisins grâce à la stabilité de son régime politique et à une économie saine, mais elle ne pourra pas compter éternellement sur un pouvoir centralisé et a besoin de renforcer ses institutions de gouvernance. Pour ce qui est de l’impression que le pays s’islamise de plus en plus, M. Chandra Muzaffar, lui-même converti à l’islam, pense que cette analyse est teintée de nostalgie. Certes, a-t-il dit, l’islam a toujours occupé une place très importante dans le pays, mais si les villes ont pendant longtemps été dominées par des non-Malais et des non-musulmans, l’évolution démographique a rendu les Malais plus conscients de leur identité. Ce changement s’inscrit dans une évolution, et les choses pourraient donc encore changer, a-t-il précisé.

M. Chandra Muzaffar nous a dit que la protection des minorités présentait de réels problèmes et que l’on observait une progression insidieuse de l’intolérance au niveau local, qu’il faut réprimer. Pour ce qui est de la séparation de l’Église et de l’État, il faut étudier chaque société dans son contexte, pense-t-il. Les valeurs éthiques doivent faire partie de la sphère publique, et une société modérée doit avoir des valeurs qui transcendent la religion, a-t-il dit. Le problème réside dans l’interprétation de la religion. Il a convenu qu’il était bon que le PAS participe aux élections, donnant ainsi au gouvernement la possibilité de le défaire. Quand on lui a demandé si les pays occidentaux étaient perçus comme arrogants lorsqu’ils discutent de droits de la personne avec des États à majorité musulmane et d’autres pays, il a répondu que non, puisque ces droits étaient universels.

Au sujet des relations internationales, M. Chandra Muzaffar estime que la question la plus importante dans le monde musulman est sans contredit celle de la Palestine qui mobilise beaucoup les esprits du fait qu’elle est vue comme une tentative d’appropriation de territoires dans une partie du monde arabe et musulmane. Cela n’a au demeurant rien à voir avec les rapports entre Arabes et juifs, estime-t-il, puisque ceux-ci ont déjà cohabité pacifiquement dans le passé. De ce point de vue, M. Chandra Muzaffar estime que M. Mahathir aurait dû incriminer les «  sionisme politique  » et non les «  juifs  » dans son récent discours controversé. La politique étrangère est un mélange de pragmatisme et de théorie et, comme toutes les politiques, elle doit refléter l’opinion des électeurs, a-t-il dit. Comme la majorité des Malaisiens sont musulmans, cela doit se refléter dans la politique étrangère, en particulier sur des questions clés comme la Palestine et l’Irak.

M. Chandra Muzaffar est convaincu que les États-Unis ne souhaitent pas l’instauration de vraies démocraties dans les États producteurs de pétrole comme l’Arabie saoudite (ou le Nigeria) et a précisé que, en dépit de la richesse procurée par les pétrodollars, l’Arabie saoudite avait très peu fait pour les femmes. M. Chandra Muzaffar considère les groupes comme le Jemaah Islamiyah comme marginaux et il ne pense pas que les États de la région risquent de graviter vers des politiques extrémistes compte tenu de leur caractère multiracial et de leur niveau d’instruction relativement élevé. Notant l’existence de deux grandes organisations musulmanes modérées en Indonésie, Muhammadiyah et Nahdlatul Ulama, il met en garde contre la tentation d’appliquer des stéréotypes à ce pays.

Dans l’ensemble, nous a-t-il dit, il n’y a pas de «  choc des civilisations  », mais un choc de certains fondamentalismes du monde musulman et de certains fondamentalismes de l’Occident. Selon lui, le débat oppose en fait ceux qui font une lecture très littérale des textes et ceux qui les interprètent en fonction des valeurs sous-jacentes et du contexte. Le Canada a bonne réputation dans le monde musulman, et M. Chandra Muzaffar recommande qu’il s’exprime davantage sur la scène internationale. En ce qui concerne les relations bilatérales, il a noté la valeur du programme de McGill en Indonésie et est d’avis que la multiplication des échanges à tous les niveaux de la société serait productive.

M. Syed Serajul Islam, un professeur canadien de science politique à l’Université Lakehead et spécialiste de l’Asie du Sud et de l’Asie du Sud-Est qui enseigne actuellement en Malaisie, a résumé son mémoire au Comité et répondu à des questions. Il a signalé entre autres que c’est une minorité en Malaisie qui s’oppose aux valeurs libérales et a fait remarquer que l’islam peut s’épanouir dans une société libérale multiculturelle comme la société canadienne, par exemple. Les Malaisiens font la distinction entre le Canada et les États-Unis, et il est d’avis que le Canada doit conserver une politique étrangère indépendante centrée sur les Nations Unies. Il pense aussi que le Canada doit continuer d’offrir de l’aide dans des domaines comme le développement démocratique — nécessaire, entre autres, pour éliminer le terrorisme — y compris dans les pays relativement aisés.

Un canadien bien informé et qui a une longue expérience de la région conteste l’idée que les fonds accordés par l’Arabie saoudite ont peu d’impact en Malaisie et en Asie en général. Bien au contraire, il est convaincu que, par l’apport constant de fonds d’Arabie saoudite depuis le début des années 1970, la culture de l’islam de la Malaisie a été accaparée par les Arabes, en particulier les Wahhabites. Pour lui, la clé est l’éducation; il recommande que l’ACDI mette désormais l’accent sur l’assistance à l’instruction primaire, à la condition qu’elle repose sur un programme scolaire laïc. Il pense aussi que le Canada devrait établir dans la région une agence de renseignement étranger et une présence par télévision satellitaire.

Pour se renseigner sur le rôle des femmes en Malaisie et, de façon plus générale, dans le monde musulman, le Comité a rencontré Y.B. Dato’ Seri Shahrizat binti Abdul Jalil, la ministre des Affaires de la femme et du Développement de la famille de la Malaisie. Les membres du Comité ont argumenté avec la Ministre à quelques reprises, mais ils étaient heureux de pouvoir discuter de ses vues avec elle afin de mieux comprendre la société malaisienne.

La Ministre a donné un aperçu du travail de son ministère, institué en 2000 et dont la mission consiste à «  promouvoir l’égalité des sexes et la stabilité de la famille  ». Il reste des obstacles à surmonter et les questions féminines demeurent encore marginales, mais la Ministre estime que la clé pour les femmes en Malaisie comme dans les autres pays à majorité musulmane consiste à «  travailler avec intelligence  ». Avocate et ancien juge, la Ministre a affirmé que les femmes avaient les mêmes droits que les hommes dans l’islam et que les problèmes surgissent quand la religion est mal interprétée. De toute façon, a-t-elle dit, les problèmes concernant le rôle des femmes sont le plus souvent d’ordre culturel et non religieux. Elle pense que la plupart des femmes d’Arabie saoudite sont sans doute bien contentes dans le fond de ne pas avoir à conduire, mais que si elles veulent se sortir de ce bourbier, elles le feront. Cependant, compte tenu de la culture arabe, elle ne pense pas que la Malaisie peut faire grand chose pour améliorer la condition féminine au Moyen-Orient. Elle a dit aussi avoir été outrée que les femmes aient été séparées des hommes lors d’un dîner officiel donné à l’occasion du sommet de l’OCI. Elle a précisé que cela n’était pas l’habitude en Malaisie et a dit soupçonner un excès de zèle d’un fonctionnaire ou du secrétariat de l’OCI.

Le principal problème que pose la charia est l’interprétation — en particulier de la part des juges âgés — et l’application. Les lois ont leur importance, mais elles peuvent être modifiées. Les mentalités, par contre, évoluent moins facilement. Elle admet que les femmes qui suivent les préceptes du Coran par exemple en matière vestimentaire ne sont pas toujours totalement «  libres  » suivant les normes occidentales, mais affirme que la religion confère de la force. De même, les questions comme celles du port du voile ne sont pas vraiment importantes, car la religion se porte dans le cœur. Elle estime que l’opposition islamiste de Malaisie de rend pas justice aux femmes, mais elle conteste le diagnostic d’un «  fondamentalisme  » larvé en Malaisie — convenant avec le premier ministre Mahathir que le pays était déjà fondamentaliste pour commencer — ajoutant que ce qu’il faut craindre, c’est l’extrémisme. Dans l’ensemble, la démocratie pratiquée en Malaisie est réaliste. La Ministre précise que rien n’est interdit à la femme musulmane en tant que personne, mais qu’il importe de tenir compte de la culture et du pays.

Le Comité a aussi rencontré, dans un cadre officiel ou lors de rencontres libres, des représentants d’ONG et d’organisations de la société civile, notamment des porte-parole de groupes féminins et de mouvements jeunesse, de même que des parlementaires et des universitaires. Ces interlocuteurs n’ont pas tous eu l’occasion de présenter leurs vues en détail; ces rencontres ont cependant renforcé l’impression favorable du Comité, mais fait ressortir aussi les difficultés que présente, pour les femmes et d’autres groupes, le courant de conservatisme qui marque actuellement la société malaisienne.

Comme on l’a constaté dans les autres pays dans lesquels le Comité s’est rendu, ce n’est pas l’islam en soi qui fait problème, mais peut-être l’interprétation conservatrice qu’en font certains, conjuguée à des facteurs culturels et d’autres facteurs comme le patriarcat. Cependant, aucune des personnes que le Comité a rencontrées en Malaisie n’était prête à déclarer forfait au niveau de ses principes démocratiques ou de sa religion. À cet égard, elles seraient plutôt d’accord avec Sheema Khan du Council on American — Islamic Relations Canada qui, parlant des femmes musulmanes du monde, a dit que «  la foi en Dieu est le fondement de l’autonomisation440  ». La sénatrice Mobina Jaffer fait un raisonnement du même ordre : «  Je crois que c’est uniquement lorsque les femmes seront instruites qu’elles auront la possibilité de faire des choix qui leur permettront d’interpréter le Coran, ce qui leur donnera alors le moyen d’atteindre l’égalité441  ».

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

Le Canada et la Malaisie entretiennent de bonnes relations depuis des dizaines d’années, tant sur le plan bilatéral que sur celui de la coopération au sein des organisations multilatérales comme l’ONU, le Commonwealth, l’APEC et le Forum régional de l’ANASE. Le Canada estime que la Malaisie, pays modéré à la population multiraciale majoritairement musulmane, exerce une influence positive en tant que président du Mouvement des pays non alignés et de l’Organisation de la Conférence islamique. La Malaisie est aussi un important partenaire dans la lutte contre le terrorisme en Asie du Sud-Est.

Cela étant, le Canada éprouve néanmoins des réserves au sujet de certains aspects du régime démocratique malaisien. Par exemple, les relations entre le Canada et la Malaisie se sont tendues quand le Canada a exprimé ses préoccupations au sujet de l’arrestation et du jugement d’Anwar Ibrahim pour des motifs purement politiques. Quand il était en Malaisie, le Comité a été saisi des inquiétudes de certains quant au recours toujours présent à la détention sans procès, à l’indépendance de l’appareil judiciaire et des médias et à la manière dont la Malaisie traite certaines personnes qui revendiquent le statut de réfugié.

L’aide au développement canadienne au profit de la Malaisie a commencé en 1950. Ce type d’aide est fondé sur les besoins; or, la forte croissance économique de la Malaisie depuis quelques dizaines d’années a considérablement réduit ceux-ci. Comme l’a dit au Comité Hau Sing Tse de l’ACDI à Ottawa :

Au cours des dernières années, l’ACDI a aidé la Malaisie à changer la situation, passant de pays bénéficiaire d’aide au statut de premier partenaire commercial du Canada en Asie du Sud-Est. On parle de 2,5 milliards de dollars en 2002, grâce à des programmes qui ont mis l’accent sur les politiques économiques ainsi que sur la coopération entre les institutions et les entreprises canadiennes et malaisiennes, y compris la formation en gestion et en entrepreneuriat pour les femmes malaisiennes. Compte tenu des impressionnantes réalisations de la Malaisie en matière de développement, nos activités d’aide au développement dans ce pays sont maintenant très réduites442.

En fait, le Canada a décidé à la fin des années 1990 de supprimer progressivement l’aide bilatérale à la Malaisie. À toutes fins pratiques, la Malaisie sera affranchie de la majeure partie de l’aide bilatérale et des programmes de partenariat canadiens en 2004. D’un côté, cette décision est justifiée compte tenu de la priorité de l’ACDI, à savoir réduire la pauvreté, car celle-ci a pratiquement disparu de la Malaisie. D’un autre côté cependant, en dépit du rôle généralement positif et modérateur de la Malaisie dans la région, le Comité estime important de veiller à ce que des ressources suffisantes demeurent pour aider à renforcer les instruments de gouvernance dans ce pays et soutenir les groupes de la société civile.

RECOMMANDATION 30

Étant donné que le gros de l’aide au développement du Canada à la Malaisie prendra fin en 2004, le gouvernement du Canada devrait veiller à ce que des ressources suffisantes demeurent disponibles pour qu’il puisse continuer de collaborer avec d’autres pays et des groupes modérés de la société civile — particulièrement des groupes de femmes — au renforcement des institutions de gouvernance et au soutien de la démocratie, du pluralisme et des droits des minorités et autres droits de la personne en Malaisie.

 


334Témoignages, réunion n45 (1145).
335Témoignages, réunion n35 (1630).
336Noah Feldman, After Jihad: America and the Struggle for Islamic Democracy, Farrar, Strauss and Giroux, 2003 p. 119.
337«  Born to Rule: Is Politics in the Blood, or in the Genes?  » The Economist, 20 décembre 2003, p. 41.
338Voir CPAECI, Développer les objectifs que poursuit le Canada en matière de politique étrangère dans le Caucase méridional et en Asie centrale, juin 2001, recommandation 5.
339Voir par exemple, Daryl Copeland, «  Diversifying Canada’s Dependence: Look East  », Asian Perspective, volume 27, no 4, 2003.
340Ibid. En novembre 2003, le Comité a déposé le rapport de son Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux Donner un nouveau souffle aux relations économiques entre le Canada et l’Asie-Pacifique.
341Témoignages, réunion no 35 (1545).
342Témoignages, réunion no 57 (1205).
343Ibid. (1140).
344Pour plus de détails, voir Steve Coll, Ghost Wars: The Secret History of the CIA, Afghanistan, and Bin Laden, From the Soviet Invasion to September 10, 2001, The Penguin Press, New York, 2004.
345Tony Kellett et Elizabeth Speed, «  Le sort du terrorisme djihadiste  », dans Évaluation stratégique 2003, Ottawa, ministère de la Défense nationale, Direction des analyses stratégiques, Ottawa, septembre 2003, p. 110.
346Voir Scott Gilmore, «  Canadian Foreign Policy and Afghanistan  », 11e Conférence annuelle du Consortium canadien sur la sécurité en Asie-Pacifique (CONCSAP), 6 décembre 2003, Calgary (Alberta). Au-delà de l’importance de l’Afghanistan en soi, M. Gilmore, un fonctionnaire du MAECI, a également précisé, compte tenu de la réaction «  sans précédent  » du Canada et des «  3D  », «  qu’il y a une importante leçon à tirer de l’Afghanistan et que les répercussions sont significatives pour le Canada lorsqu’il sera appelé à intervenir dans des crises semblables à l’avenir  ».
347Témoignages, réunion no 57 (1235).
348Témoignages, réunion no 31 (1010).
349Voir William Dalrymple, «  Murder in Karachi  », The New York Review of Books, vol. 50, n19, 4 décembre 2003.
350Feldman, p. 128. Pour une série de rapports intéressants sur la question du Cachemire du point de vue de l’Inde et du Pakistan, voir le International Crisis Group, Kashmir: The View From Islamabad, Asia Report No. 68, 4 décembre 2003, Kashmir: The View From New Delhi, Asia Report No. 69, 4 décembre 2003, et Kashmir: Learning From the Past, Asia Report No. 70, 4 décembre 2003.
351Témoignages, réunion no 49 (1115).
352«  Déclaration du Canada  », 47e Conférence générale de l’Agence internationale d’énergie atomique, 17 septembre 2003.
353Témoignages, réunion no 49 (1255).
354Feldman, p. 114.
355Témoignages, réunion no 45 (1230).
356Témoignages, réunion no 49 (1115-25).
357Ibid. (1120).
358Ibid. (1125)
359Témoignages, réunion no 45 (1255).
360«  Canada and Islam in Asia in the 21st Century: A Narrative Report  », 24, 25 et 26 septembre 2003, p. 7-8.
361Témoignages, réunion no 49 (1125).
362Feldman, p. 129
363Gwynne Dyer, « Pakistan: The Persistence of Democracy », 8 octobre 2002, voir :
http://www.gwynnedyer.net.
364Lloyd Axworthy, Navigating a New World: Canada’s Global Future, Alfred A. Knopf Canada, Toronto, 2003, p. 230.
365Karl E. Meyer, The Dust of Empire: The Race for Mastery in the Asian Heartland, Public Affairs Books, New York, 2003, p. 88.
366Témoignages, réunion no 31 (1010).
367Cité dans Owen Bennett Jones, Pakistan: Eye of the Storm, Yale University Press, New Haven and London, 2002, p. 12.
368Ibid., p. xv.
369Témoignages, réunion no 35 (1545).
370Feldman, p. 129.
371Dyer (2002).
372Unfulfilled Promises: Pakistan’s Failure to Tackle Extremism, International Crisis Group, Rapport sur l’Asie no 73, Islamabad/Bruxelles, 16 janvier 2004, p. ii.
373Ibid., p. 2.
374Unfulfilled Promises, p. i.
375Témoignages, réunion no 49 (1105).
376 Simon Long, " The Billion Person Question ", The Economist, The World in 2004, automne 2003, p. 71.
377New Priorities in South Asia: U.S. Policy Toward India, Pakistan and Afghanistan, rapport des présidents d'un groupe de travail indépendant coparrainé par le Council on Foreign Relations and the Asia Society, 2003, p. 32.
378Khushwant Singh, The End of India, Penguin Books India, p. 90.
379Pankaj Mishra, «  The Other Face of Fanaticism  », The New York Times Magazine, 2 février 2003.
380Selon l’éminent International Institute for Strategic Studies (IISS), il y aurait eu entre 1 000 et 5 000 victimes musulmanes. Voir International Institute for Strategic Studies, Strategic Survey 2002/3, Oxford University Press, Londres, mai 2003, p. 206.
381Témoignages, réunion no 49 (1250).
382Voir Sanjoy Majumder, «  Gujarat and the Judges’ Anger  », BBC britannique (en ligne), 12 septembre 2003 et «  Arrests Over Gujurat Riots Case  », BBC britannique (en ligne), 22 janvier 2004.
383Témoignages, réunion no 49 (1120).
384Témoignages, réunion no 31 (1045).
385Témoignages, réunion no 50 (1105).
386Selon un rapport récent publié par des experts américains, l’Inde, dit-on parfois, est comme un paquebot géant qui avance lentement mais régulièrement à un rythme que l’on peut généralement prévoir et qui ne change de direction que très graduellement. Voir New Priorities in South Asia: U.S, Policy Toward India, Pakistan and Afghanistan (2003), p. 36.
387Scott B. MacDonald et Jonathan Lemco, «  Political Islam in Southeast Asia  », Current History, novembre 2002, p. 392.
388Angel M. Rabasa, «  Political Islam in Southeast Asia: Moderates, Radicals and Terrorists  », Adelphi Papers, vol. 358, no 1, juillet 2003, International Institute for Strategic Studies, Londres, 2003, p. 68.
389Ibid., p. 72.
390Yuen Pau Woo, cité dans Amitav Acharya, «  Southeast Asian Security After September 11  », Foreign Policy Dialogue Series 2003-8, Fondation Asie Pacifique du Canada, novembre 2003, p. 2.
391Acharya, p. 3-5.
392Rabasa, p. 66.
393Ibid., p. 13-14.
394Témoignages, réunion no 35 (1545).
395Rabasa, p. 68.
396Témoignages, réunion no 35 (1630).
397Copeland, p. 292.
398Christopher Hitchens, «  A Prayer For Indonesia  », Vanity Fair, janvier 2004, p. 53.
399Feldman, p. 118.
400Rabasa, p. 72.
401Témoignages, réunion no 45 (1140).
402Indonesia Backgrounder: A Guide to the 2004 Elections, International Crisis Group, Asia Report No. 71, 18 décembre 2003, p. 1.
403Feldman, p. 116.
404Ibid., p. 117.
405Témoignages, réunion no 45 (1225).
406Hitchens, p. 51.
407Rabasa, p. 16.
408Sidney Jones, «  Indonesia Faces More Terror  », International Herald Tribune, 29 août 2003.
409Voir Ivar Hellberg, RUSI Newsbrief, Royal United Services Institute, vol. 24, no 1, janvier 2004, p. 8.
410Témoignages, réunion no 35 (1630).
411Rabasa, p. 69.
412Hitchens, p. 52.
413Fu’ad Jabali et al., «  Impact on the Development and Modernization of Islam in Indonesia  », Impact Study: Cooperation Between IAIN and McGill University, Final Report, 17 mai 2000, sommaire.
414Ibid.
415Jemaah Islamiyah in South East Asia: Damaged But Still Dangerous, International Crisis Group, Asia Report No. 63, 26 août 2003, p. 31.
416Tiré de Sidney Jones, «  Why Indonesian Distrust the U.S.,  » Far Eastern Economic Review, 13 novembre 2003.
417Jane Perlez, «  Ashcroft Asks Asians to Help on Terror (They Want Help, Too),  » New York Times, (en direct), 5 février 2004.
418Témoignages, réunion no 49 (1255).
419Témoignages, réunion no 50 (1105).
420Copeland, p. 290.
421Rabasa , p. 41.
422Ibid., p. 45-46.
423Gwynne Dyer, «  Two Fanatics and an Old Fool  », 19 octobre 2003, article accessible à l’adresse http://www.gwynnedyer.net.
424Témoignages, réunion no 45 (1230).
425Le texte qui suit repose sur un document du Economist Intelligence Unit : Malaysia Country Profile 2003.
426Feldman, p. 114.
427Malaysia Country Profile 2003, Economist Intelligence Unit, p. 7.
428Feldman, p. 114.
429Economist Intelligence Unit, p. 8.
430" Mahathir: Malaysia is Fundamentalist State ", CNN.com, 18 juin 2002, http://edition.cnn.com/2002/WORLD/asiapcf/southeast/06/18/malaysia.mahathir/.
431Human Rights Watch, «  Human Rights and Counter-Terrorism  », Briefing to the 60th session of the UN Commission on Human Rights, janvier 2004.
432Anwar Ibrahim, «  A Passion For Freedom  », The Economist, The World in 2004, 2003, p. 79.
433Allocution du premier ministre de la Malaisie, l’hon. Dato Seri Dr. Mahathir Mohamad, à l’ouverture du dixième sommet de l’Organisation de la Conférence islamique, 16 octobre 2003.
434Témoignages, réunion no 45 (1110).
435Rabasa, p. 45.
436Ibid., p. 70.
437Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait de lois qui interdisent aux couples de se tenir par la main en public, Noah Feldman a répondu : «  bien que je croie moi-même qu’il s’agisse d’un comportement qui devrait être permis dans n’importe quelle société dans laquelle je voudrais vivre, je pense qu’il s’agit tout de même d’un comportement qui peut être réglementé par les gouvernements dans les endroits publics. Lorsque les normes culturelles exigent le respect d’un certain code vestimentaire ou l’interdiction de certains comportements à l’égard de personnes du sexe opposé en public, je crois que les gouvernements peuvent en tenir compte tout en respectant les libertés individuelles.  » Témoignages, réunion no 58 (1155).
438Jonathan Kent, «  Malaysia’s PM Pledges Openness  », BBC News (Online), 3 novembre 2003.
439«  Abdullah Sworn in as Malaysian PM  », BBC News (en ligne), 22 mars 2004.
440Sheema Khan, «  Don’t Misread the Koran  », Globe and Mail, 14 février 2003, p. A17.
441Témoignages, réunion no 47 (1145).
442Témoignages, réunion no 50 (1105).