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FAAE Rapport du Comité

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Aperçu régional

L’absence de vie politique crédible dans la plupart des pays de la région [Moyen-Orient et Afrique du Nord] ne débouche pas nécessairement sur la violence, mais elle se rattache intimement à une foule de problèmes qui influent sur leur stabilité à long terme :

  L’inefficacité de la représentation politique, de la participation populaire et de la réceptivité des gouvernements se traduit souvent par des moyens boiteux d’expression et de canalisation du mécontentement populaire, d’où le potentiel de protestations extra-institutionnelles. Celles-ci peuvent prendre des formes violentes, surtout lorsque l’évolution de la situation (sur le front israélo-palestinien et en Irak) polarise et radicalise l’opinion publique.
  À long terme, l’absence de responsabilité et de transparence gouvernementales nuit au développement économique. La responsabilité et la transparence ne garantissent en rien contre la corruption, mais, sans elles, la corruption est presque chose assurée. En outre, sans participation du public, les gouvernements tendent à accueillir plus favorablement les réformes économiques exigées par la communauté internationale que par leurs propres citoyens. Il s’ensuit que les décideurs risquent de négliger les répercussions sociales et politiques des mesures qu’ils prennent.
  Le peu de légitimité politique et le sous-développement économique minent l’aptitude des pays arabes à jouer un rôle efficace sur la scène régionale à un moment de crise où leur intervention constructive et créatrice est plus nécessaire que jamais.
  Le déficit de la représentation démocratique peut être une cause directe de conflit, comme en Algérie.

C’est aux gouvernements qu’il incombe de s’attaquer à ce problème, mais pas à eux seuls. Trop souvent, les partis d’opposition et la société civile se contentent de slogans creux et de propositions irréalistes qui ne trouvent pas d’écho dans la population et minent encore plus la crédibilité de l’action politique.

– International Crisis Group, séance d’information sur le Moyen-Orient156

Il y a une dizaine d’années, l’éminent défenseur égyptien des droits de la personne Saad Ibrahim, par la suite emprisonné et libéré sous la pression internationale, écrivait ce qui suit : «  Au cours des 25 dernières années, les pays arabes ont vécu de grandes crises qui ont érodé la légitimité de leurs élites dirigeantes [… et pourtant] la solidité des régimes autoritaires du monde arabe reste frappante157.  » À l’exception de la Turquie, la démocratie n’a guère progressé au Moyen-Orient arabo-musulman et la situation des droits de la personne est préoccupante dans presque tous les pays de la région. Les conséquences à long terme du renversement des régimes dictatoriaux en Afghanistan et en Irak par des forces militaires étrangères sont encore difficiles à juger. La menace du terrorisme plane sur la région comme aussi le danger de prolifération des armes de destruction massive. Les perspectives de règlement du long conflit israélo-palestinien semblent également au mieux incertaines. Un Moyen-Orient paisible, prospère et démocrate relève davantage de l’espérance que de la réalité.

Aux défis politiques et de sécurité se rattachent des problèmes fondamentaux de développement social. Deux rapports retentissants sur le monde arabe produits par des analystes arabes sous les auspices du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) dénoncent une double «  pauvreté en termes de potentialités et d’opportunités [qui] résulte de 3 manques : l’absence de liberté de choix, le défaut de promotion des femmes, et les carences de connaissances158  ». D’autres rapports font état des pressions qu’exercent à la fois la jeunesse des populations159, l’augmentation du chômage, la stagnation ou la diminution du revenu par habitant et le manque de progrès sur le front de la lutte contre la pauvreté en dépit de la concentration de richesses dans les pays exportateurs de pétrole160. Devant le Comité, le Secrétaire général de la Ligue arabe Amre Moussa a reconnu ces lacunes sociales et suggéré qu’on accorde à la pauvreté la même priorité qu’au terrorisme à l’ordre du jour international161.

Beaucoup de témoins conviendraient aussi avec les auteurs du Rapport sur le développement humain dans le monde arabe qu’une transition à la démocratie et à la responsabilité gouvernementale est essentielle au progrès de la région et à l’amélioration de ses relations extérieures. Voici ce qu’on peut lire dans une autre étude récente parrainée par l’ONU : «  La démocratisation fait partie intégrante de toute stratégie visant à libérer la région des fléaux de la guerre et de l’injustice ainsi que de l’interprétation et de la distorsion fortement politisées d’enseignements religieux qui, dans leur signification originelle, sont destinés non pas à miner, mais à bâtir des sociétés tolérantes, justes et inclusives162.  » Mais comment opérer et appuyer cette transition par des moyens qui responsabilisent les populations indigènes et qui soient durablement démocratiques? Voici un autre passage de la même étude : «  La transition à la démocratie peut être violente — plus violente que la violence structurelle omniprésente sous un régime autoritaire  ». Et l’auteur de conclure pourtant que seules «  les réformes graduelles réussiront au bout du compte163  ». La spécialiste canadienne du Moyen-Orient Janice Stein soutient également : «  Ceux qui brûlent de bâtir la démocratie dès maintenant risquent de faire tort à ceux auxquels ils souhaitent venir en aide et de compromettre les perspectives d’un changement politique «  fait maison  », condition préalable au développement et à la paix164  ».

La nature et le rythme de la transition démocratique souhaitable ainsi que l’efficacité des activités de promotion de la démocratie occidentale sont manifestement sujets à discussion. Les nombreux obstacles aux réformes politiques et autres dans la région crèvent cependant les yeux. Parmi les grands défis relevés dans le volume de l’ONU, il y a : «  Le fondamentalisme islamique, le rôle négatif de grandes puissances étrangères, le conflit israélo-palestinien, les séquelles d’une longue histoire de conflits violents et les heurts entre les normes et les valeurs politiques et spirituelles de l’Occident et celles de la région165.  » De nombreuses stratégies ont été proposées en vue de favoriser le développement démocratique. Par exemple, une étude américaine préconise les moyens suivants :

… exercer des pressions soutenues et de haut niveau sur les États arabes pour qu’ils respectent les droits politiques et civils et aménagent ou élargissent un espace politique véritable; exercer des pressions claires et constantes sur les États arabes pour qu’ils procèdent à des changements institutionnels, juridiques et constitutionnels favorables à la démocratie; accroître l’aide à la démocratisation qui encourage les militants pro-démocratiques, facilite véritablement la mise sur pied de partis politiques, appuie les efforts pour instaurer la règle du droit, épaule les défenseurs sérieux de réformes institutionnelles favorables à la démocratie et soutient un éventail croissant d’acteurs de la société civile, y compris les islamistes modérés166.

Les gouvernements occidentaux semblent être acquis à une politique de changement démocratique dans la région, du moins d’après leurs déclarations d’intention. Le plan stratégique du gouvernement britannique, cité dans la Partie I, prévoit «  de sérieux efforts pour appuyer des réformes politiques et sociales pacifiques dans le monde arabe167  ». Dans le discours qu’il a adressé au National Endowment for Democracy le 6 novembre 2003, le président Bush a déclaré : «  Pendant soixante ans, les pays occidentaux ont excusé et toléré le manque de liberté au Moyen-Orient sans que notre sécurité s’en trouve assurée […] C’est pourquoi les États-Unis ont adopté une nouvelle politique, une stratégie d’instauration de la liberté au Moyen-Orient168.  » À la partie I, nous faisons référence à un ambitieux projet de réformes démocratiques de «  l’ensemble du Moyen-Orient  », y compris dans des domaines comme les droits de la femme, que les États-Unis proposent comme sujet de discussion lors du Sommet du G8 en juin 2004169.

Tout en acceptant l’urgence des réformes politiques arabes et en applaudissant aux sentiments pro-démocratiques, beaucoup s’inquiètent de leur traduction dans les faits. Selon un commentateur : «  L’instauration d’un ordre libéral et démocratique dans le monde arabe est dans l’intérêt à long terme de l’Amérique. Mais il y a une distinction subtile — et un monde de différence — entre une politique qui préconise la démocratie et une politique qui vise à l’imposer. Outre qu’elle est contestable en principe […], toute tentative maladroite d’imposer la démocratie aux Arabes risque de se retourner contre ses auteurs170.  » Selon Michael Bell, ex-ambassadeur du Canada en Égypte et en Jordanie ainsi qu’en Israël et dans les territoires palestiniens, «  si nous voulons être efficaces, nous devons accepter que le Moyen-Orient est complexe et qu’il n’y aura pas de raccourcis171  ».

Quelle est la place du Canada dans cette conjoncture régionale en évolution? Les témoins entendus par le Comité sont unanimes à penser que le Canada projette une image positive dans la région et que cette bonne volonté, libre de tout bagage impérial, constitue un atout dont le potentiel reste inexploité. Mazen Chouaib du National Council on Canada-Arab Relations soutient que «  la porte du monde arabe est ouverte au Canada  », mais que nous semblons lents à répondre à l’intérêt des Arabes pour le Canada. Et d’ajouter : «  [Lors de mes fréquents voyages dans la région] on me demande pourquoi nous semblons ne pas être intéressés par des échanges commerciaux, politiques et culturels plus approfondis. On m’interroge aussi sur notre aptitude à gérer notre relation avec les États-Unis. Par-dessus tout, mes interlocuteurs cherchent à comprendre les modèles de gouvernance canadiens qui, à leur avis, expliquent le succès de notre multiculturalisme, auquel ils aspirent. […] Nous avons la capacité, le talent, les connaissances et la vaste expérience nécessaires pour transmettre ce modèle de monde meilleur172  ».

M. Chouaib signale les lacunes qui, par rapport aux autres pays occidentaux, entravent le rayonnement du Canada dans la région :

Au Canada, très peu d’établissements universitaires et de recherche s’intéressent à la région et à sa complexité. Quand c’est le cas, ils se soucient plus de survie économique que d’excellence de la recherche. […] Il faut investir de l’argent dans la recherche et ouvrir des services diplomatiques et consulaires dans les pays arabes au lieu d’obtenir l’information d’agences et d’institutions étrangères. Par exemple, la France, la Grande-Bretagne et d’autres pays européens ont des centres culturels dans presque tous les pays de la région. Grâce à ces institutions, ils ont l’avantage de comprendre les courants, les tendances et les évolutions sociales. Ces centres servent aussi à mieux les faire connaître au peuple d’accueil. Les centres culturels français sont bien connus pour leurs cours de français, leurs bourses, leurs films et les autres outils pédagogiques qu’ils utilisent pour encourager les relations entre les peuples. C’est un outil pragmatique qui permet d’améliorer les relations et la compréhension mutuelle. La promotion de la culture et des valeurs canadiennes est un élément clé de la politique étrangère du Canada, et pourtant on fait peu de progrès importants dans ce domaine en dépit de toutes les ouvertures qui se présentent173.

Le Canada mène des programmes d’aide au développement dans la région, notamment en Égypte, en Jordanie et dans les territoires palestiniens, où il s’occupe également des réfugiés. L’Agence canadienne de développement international (ACDI) et ses partenaires offrent leur assistance dans des domaines comme la réduction de la pauvreté, l’enseignement de base, le développement des ressources humaines, le renforcement des capacités institutionnelles, la protection des enfants, l’égalité des sexes, le micro-crédit et la création de petites entreprises. Paul Hunt de la Direction de l’Afrique et du Moyen-Orient de l’ACDI a parlé des divers partenariats canadiens avec la société civile et les intervenants gouvernementaux dans toute la région :

Le Centre de recherches pour le développement international, par exemple, a offert du soutien en matière de recherche et de renforcement des capacités dans l’épineux dossier des réfugiés palestiniens. La Fédération canadienne des municipalités a offert de l’aide en vue de conclure des partenariats entre des municipalités canadiennes et palestiniennes et de renforcer la gouvernance locale, ce qui touche les citoyens au niveau local et communautaire. Oxfam et Oxfam-Québec se sont engagés en profondeur et à long terme à aider les collectivités palestiniennes vulnérables. Enfin, le ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick a effectué des travaux novateurs sur l’apprentissage et l’éducation en ligne, dans les deux langues officielles, de concert avec le gouvernement de la Jordanie174.

L’aide au développement et l’assistance humanitaire du Canada «  a fait de l’ACDI une institution reconnaissable pour les Arabes et les musulmans  », selon Raja Khouri de la Fédération Canado-Arabe. «  Toutes ces interventions font mieux comprendre les valeurs, les politiques et l’identité nationale du Canada aux Arabes et aux musulmans ordinaires.  » M. Khouri souhaite qu’on multiplie les initiatives d’éducation et de dialogue, qu’on utilise les leviers commerciaux et économiques pour favoriser les réformes démocratiques et qu’on finance et soutienne davantage «  les organisations non gouvernementales et les organismes des Nations Unies qui oeuvrent dans les domaines de l’alphabétisation, du développement social et démocratique et de l’enseignement dans les sociétés arabes et musulmanes … Le radicalisme et l’attrait pour les doctrines religieuses réactionnaires proviennent souvent de l’ignorance, de la pauvreté et de l’absence de perspectives et de développement social175  ».

Bien entendu, l’un des facteurs qui compromettent les efforts de développement au Moyen-Orient est le tragique conflit israélo-palestinien, qui ne montre aucun signe d’amélioration. De nombreux témoins tant au Canada qu’à l’étranger estiment que le développement paisible, démocratique et durable de la région passe obligatoirement par la résolution de ce conflit. Nous traiterons plus loin dans le présent rapport du processus de paix du Moyen-Orient. Mais nous tenons dès maintenant à préciser qu’il ne saurait être question d’utiliser ce conflit pour détourner l’attention de ce qui peut et devrait être fait pour favoriser le développement et la démocratisation dans les autres pays de la région. Noah Feldman a bien fait ressortir ce point en évoquant les luttes plus larges en faveur de la démocratie.

Les pays musulmans se disent souvent sincèrement préoccupés par le sort des Palestiniens. Je pense moi-même que rien ne serait plus souhaitable que le règlement juste et rapide du conflit israélo-palestinien au moyen d’une solution faisant appel à deux États dans des conditions de sécurité physique et matérielle garantissant la sécurité et la justice pour les deux peuples. Cependant, et c’est important, il est également vrai que de façon systématique les politiciens du monde musulman utilisent le conflit israélo-palestinien pour détourner l’attention des problèmes qui se passent chez eux. Bien sûr, les musulmans sur place qui s’opposent à leur gouvernement dans la région peuvent effectivement utiliser la question israélo-palestinienne comme moyen détourné de parler de leur mécontentement face à leurs propres gouvernements. Quand ils reprochent aux gouvernements occidentaux de tolérer les conditions qui leur sont faites, ils reprochent implicitement à leurs propres gouvernements d’être de mèche, à leurs yeux, avec les gouvernements occidentaux qui sont responsables de la situation. Souvent c’est la seule façon politiquement acceptable d’exprimer une critique à l’endroit de leurs propres gouvernements176.

La voie à suivre

En envisageant une approche régionale, le Comité reconnaît la diversité des pays qu’il a visités et des points de vue qu’il a entendus. Il est difficile de résumer de telles constatations et nous ne croyons pas qu’il existe une solution unique ou simple applicable à toutes les circonstances. Néanmoins, certains thèmes sont constamment revenus sur le tapis pendant nos discussions. Ce sont manifestement des questions auxquelles les musulmans ordinaires partout dans la région attachent de l’importance et dont il faut par conséquent tenir compte en élaborant la politique étrangère du Canada.

  Il importe de lutter contre les stéréotypes négatifs de l’islam (dans les médias, les hypothèses sur le «  choc  » des civilisations, etc.) et contre la stigmatisation de la grande majorité des musulmans qui rejettent l’extrémisme et le terrorisme. Une meilleure connaissance des sociétés musulmanes, le renforcement de la diplomatie publique régionale et des réformes médiatiques et éducationnelles sont nécessaires à l’engagement d’un dialogue capable de mettre fin aux préjugés et aux distorsions de part et d’autre177.
  Le Canada améliore sa réputation et son aptitude à jouer les intermédiaires impartiaux lorsqu’il conduit une politique étrangère indépendante qui reflète son identité propre et son propre discours, notamment à l’égard des politiques américaines dans la région. L’image du Canada comme pays modéré, multiculturel et multilatéraliste est un précieux atout diplomatique.
  La pacification de la région exige un règlement juste et durable du conflit israélo-palestinien.
  Des réformes gouvernementales et d’autres réformes politiques et sociales sont nécessaires dans les pays musulmans, y compris en matière d’enseignement religieux. Cependant, ces réformes ont peu de chances de réussir si elles sont imposées de l’extérieur ou par l’intervention de grandes puissances. Les gouvernements étrangers doivent faire preuve d’intelligence, de sensibilité et de subtilité lorsqu’ils apportent un soutien aux agents de changement internes.
  Une augmentation des contacts avec le Canada est bienvenue à plusieurs niveaux, notamment des échanges éducationnels et culturels, mais aussi les liens avec la société civile et le secteur privé.
  Pour consolider les relations, il faudrait multiplier les occasions de dialogue, notamment sous forme de contacts entre parlementaires et de discussions franches dans les dossiers où il peut y avoir de sérieuses tensions bilatérales. Dans toute la région, il y a une volonté sincère d’entretenir de bonnes relations avec le Canada et de collaborer avec lui à l’échelle bilatérale, régionale et mondiale.

Turquie

La Turquie est le principal État successeur à avoir émergé des décombres de l’empire ottoman après la Première Guerre mondiale. Mustafa Kemal a créé la république moderne de Turquie en 1923 en tant qu’État séculier et unitaire. Il a aboli le Califat islamiste et adopté une constitution d’inspiration occidentale. Sous Kemal, qui a ultérieurement pris le nom d’«  Ataturk  » ou «  père des Turcs  », la Turquie est devenue un État à parti unique moderne. Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale (au cours de laquelle la Turquie est demeurée neutre) que les Turcs ont connu des élections multipartites. Durant la Guerre froide, le pays s’est allié à l’Occident, devenant le premier et unique État musulman à siéger à l’OTAN. La démocratie émergente a cependant été interrompue par des coups d’État militaires durant les années 1960, 1970 et 1980.

Depuis la fin du dernier régime militaire en 1983, des partis aux tendances islamistes ont gagné du terrain malgré un establishment militaire résolument laïc qui se considère comme le gardien de la constitution kémaliste. Cette tendance a connu son apogée avec la victoire électorale éclatante, en novembre 2002, du Parti de la justice et du développement (AKP) de Recip Erdogan, qui a remporté 35 p. 100 des suffrages et 363 des 550 sièges du Parlement unicaméral. Le fait qu’aucun des anciens partis n’ait en fin de compte obtenu le minimum requis de 10 p. 100 des suffrages pour être représentés au Parlement est révélateur du degré de désillusion de la population à leur égard. Un décret interdisant à Erdogan de se porter candidat aux élections à cause d’un discours islamiste prononcé plusieurs années auparavant a subséquemment été aboli, et il est devenu le premier ministre de la Turquie en mars 2003.

Les quelque 70 millions de citoyens de la Turquie sont majoritairement des musulmans sunnites178. Même si la république est légalement et constitutionnellement laïque, comme le professeur turc de droit islamique, M. Osman Tastan, l’a expliqué au Comité, ce que «  la Turquie partage avec d’autres pays musulmans, c’est une sensibilité à l’égard de l’identité musulmane  ». Il existe quand même d’importantes différences par rapport aux États arabes de confession musulmane, notamment les restrictions concernant l’enseignement religieux et une interprétation plus individualiste de l’islam. Comme M. Tastan l’a fait remarquer : «  Les madrassas [écoles islamistes] ont été bannies au début du XXe siècle en Turquie. Ainsi, il y a des professeurs religieux, mais nous ne pouvons plus dire que ce sont des leaders religieux qui pourraient mobiliser les masses en Turquie. […] la Turquie est davantage en contact avec l’islam par l’intermédiaire du soufisme, dans le sens populaire, dans la culture populaire. Il s’agit beaucoup d’un attachement silencieux aux pratiques de l’islam au niveau personnel, privé, etc. Cela est différent d’une connaissance textuelle et claire de l’islam […]179  ».

Avec l’arrivée au pouvoir d’un parti islamiste modéré, il faut se poser la question de savoir si la Turquie demeure une anomalie dans le monde musulman ou si elle peut servir de «  modèle  » en quelque sorte pour l’essor de la démocratie. M. Noah Feldman s’est montré sceptique quant à cette possibilité :

Pour ce qui est de promouvoir efficacement la démocratie dans un pays musulman, je ne crois pas qu’il existe un modèle unique. La Turquie est un pays où la démocratie est en train de se développer avec un certain succès, où un gouvernement à tendance islamique se comporte de façon très démocratique, respecte les droits — pas parfaitement tout le temps, mais fait du très bon travail, du meilleur travail je dois avouer que le gouvernement laïc précédent —, mais il est impossible de reproduire le processus puisqu’il est le résultat du règne de 75 ans d’un gouvernement relativement autocratique, qui a réprimé la religion d’une façon incompatible avec la liberté fondamentale de la pratique religieuse. Il est difficile de donner l’exemple d’un pays où ce genre de modèle fonctionne automatiquement180.

Il existe néanmoins un optimisme prudent, comme l’indique le commentaire ci-dessus, du fait que la Turquie s’est engagée sur une voie prometteuse et que l’AKP, par son approche populiste de l’islam, s’est montré pragmatique et conciliant jusqu’à maintenant. En effet, on peut croire que la victoire de l’AKP a constitué un dénouement heureux en vue de concilier l’islam et les réformes qui rapprochent la Turquie de l’Europe. Comme l’a dit un analyste après les élections : «  La Turquie n’est pas au seuil d’une révolution islamique, le tiers d’électeurs qui ont voté pour le parti démo-musulman justice et développement ne le souhaitent pas; les dirigeants de ce parti ne l’envisagent pas […] Avec les démo-musulmans au pouvoir, l’occidentalisation deviendra un consensus plus légitime : des islamistes qui restaient à la marge de la démocratie vont être incorporés dans celle-ci à la manière dont la démocratie chrétienne en Europe réussit, au début du XXe siècle, à réconcilier les chrétiens avec la République181.  »

Vu la situation inhabituelle de la Turquie à titre d’alliée musulmane de l’OTAN (Istanbul sera l’hôte du prochain sommet de l’OTAN en juin 2004) qui a traditionnellement entretenu des relations étroites avec Israël ainsi qu’avec les États-Unis, les capitales occidentales suivent de près les progrès du gouvernement de l’AKP182. En dépit des complications créées par la guerre en Irak183, extrêmement impopulaire auprès des Turcs — la Turquie a résisté aux pressions exercées pour qu’elle appuie l’invasion et a retiré son offre d’envoyer des troupes dans l’Irak occupé — le gouvernement d’Erdogan semble avoir adroitement manœuvré dans un certain nombre de secteurs clés tout en tenant les soupçons d’un establishment militaire puissant en échec.

On a même rapporté en janvier 2004 que l’armée turque aurait convenu d’une solution unifiée pour Chypre, dont la partie qrecque adhèrera à l’Union européenne le 1er mai prochain. Le 13 février, grâce à l’intervention du secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a été conclue une ébauche d’accord historique, qui pourrait aboutir à la réunification de l’île avant son entrée dans l’Union européenne184, levant ainsi un obstacle de taille aux espoirs que nourrit la Turquie d’accéder à l’UE. La demande d’adhésion de cette dernière sera étudiée au sommet de l’UE de décembre 2004. On attribue à l’AKP l’adoption de réformes et la poursuite d’une politique fortement pro-européenne. Et le gouvernement semble déterminé à établir de meilleures relations avec les États-Unis, selon les déclarations du premier ministre Erdogan lors de sa rencontre avec le président Bush à Washington en janvier 2004185.

Il est peu probable que les terribles attentats terroristes commis à Istanbul en novembre 2003, plusieurs semaines après la visite du Comité, affaibliront les liens entre la Turquie et l’Occident; ils pourraient en fait avoir l’effet contraire. Un éminent universitaire turc a soutenu que : «  Les actes de terrorisme renforceront la détermination d’une population pro-UE qui s’affirme de plus en plus  »186. Cela dit, l’accès de terrorisme islamiste en Turquie après une absence de quelques années constitue un autre obstacle important pour le gouvernement en place qui préconise une approche islamiste modérée vers la démocratie187.

Témoignages entendus en Turquie

Durant les réunions du Comité en Turquie, il a beaucoup été question de l’influence islamiste grandissante dans la société et l’administration. Le journaliste indépendant et commentateur à la télévision, M. Rusen Cakir, spécialiste des mouvements extrémistes comme l’Hezbollah turc, a fait valoir que le rôle de l’islam devait être examiné dans son contexte et sans exagération. Pour lui, la mobilisation islamiste est d’abord culturelle et socio-économique avant d’être politique. Malheureusement, les médias occidentaux ne semblent cependant pas très soucieux de voir le bon côté de la renaissance islamiste. Selon lui, l’islamisme en tant qu’idéologie politique militante n’a aucun attrait pour la majorité des musulmans en Turquie. Il n’existe aucun risque qu’un mouvement armé prenne le pouvoir même si le pays a vécu des périodes de terrorisme intérieur (avec ingérence étrangère, notamment de l’Iran). Diverses couches de la société turque s’identifient de plus en plus à l’islam en réaction aux pressions exercées en vue d’un changement, et l’élection de l’AKP peut en fait contribuer à désamorcer ces pressions.

Analysant les sources de l’attrait de l’AKP, Mustafa Karaalioglu, chef de bureau d’un grand quotidien d’Ankara, a convenu avec M. Cakir qu’il n’y a pas réellement de risque que le mouvement radical islamiste prenne le contrôle. Il a fait remarquer que les chefs religieux musulmans ont vertement condamné la violence terroriste. Comme ailleurs dans le monde musulman, il y a en Turquie un ressentiment considérable envers les politiques des États-Unis et d’Israël au Moyen-Orient. Les observateurs devraient, toutefois, se garder de considérer les mouvements extrémistes comme représentatifs de la communauté musulmane. M. Karaalioglu a expliqué que l’AKP a ses racines dans les mouvements favorables aux ONG, à la justice sociale et aux réformes, dont l’élément religieux est compatible avec l’État laïc turc moderne. L’héritage kémaliste, voire celui plus ancien d’une société ottomane polyglotte qui tolérait la diversité, ne risque pas d’être remplacé par une islamisation extrême de la société.

D’autres témoins ont convenu que l’accession de l’AKP au pouvoir pourrait être considérée comme ayant des effets de libéralisation et de démocratisation. Le professeur Baskin Oran de l’Université d’Ankara a fait remarquer que l’AKP a en fait pu progresser plus rapidement que les gouvernements antérieurs dans le dossier de l’adhésion à l’UE en proposant, dans des domaines comme les droits de la personne, des réformes qui s’harmonisent avec les critères de négociation de son accession à l’UE. Il était confiant que «  la Turquie allait faire [ce qu’il fallait]  » afin de pouvoir se joindre à l’UE. Fait paradoxal, la «  sous-identité  » islamique de l’AKP lui confère davantage de crédibilité en Turquie pour négocier la place de la Turquie dans la grande «  supra-identité  » européenne. M. Ahmet Yasar Ocak, historien à l’Université Hacetteppe, a soutenu que l’AKP concilie de manière civilisée modernité et islam et qu’on devrait lui donner sa chance, car il pourrait «  mener vers une véritable démocratie  ».

Pour ce qui est de la plus grande prise de conscience religieuse de la société turque et de l’intérêt accru pour l’éducation religieuse, M. Hadi Adanali de la faculté de théologie de l’Université d’Ankara croit que cela peut être perçu favorablement pourvu que l’enseignement religieux fasse l’objet d’un examen critique permanent de manière à constituer un ferment de coexistence pacifique, de tolérance et de justice188. La désaffection pour les idéologies favorables au nationalisme laïc a donné aux mouvements politiques à caractère islamiste l’occasion de s’épanouir et de devenir une force de démocratisation. Tout comme la laïcisation de l’État a été un processus propre à la Turquie sous Ataturk, il faudra que la Turquie détermine elle-même la place qu’elle donnera à l’influence islamique dans son régime politique compte tenu des conséquences de la mondialisation actuelle. On craint que le processus n’entraîne une diminution des droits laïcs acquis, plus particulièrement ceux des femmes. Pourtant, comme l’a souligné le professeur Adanali, beaucoup de musulmans voient les restrictions de l’État telles qu’interdire aux femmes de porter le foulard dans les universités comme un déni des droits religieux. (En effet, l’emprisonnement des femmes qui portent le foulard a été condamné par l’UE, qui accuse le gouvernement turc de violer ainsi la liberté de religion189.)

Les vues opposées de deux porte-parole éminentes des ONG illustrent les difficultés du débat. Mme Sema Kendirci, présidente de l’Union des femmes turques, a insisté sur le maintien d’une séparation stricte de l’Église et de l’État, ce qui suppose des règles civiques laïques comportant notamment l’octroi aux femmes de tous les droits politiques. Elle a souligné les progrès législatifs récents dans ce sens. Les divergences relatives au foulard remontent au moment où «  il a commencé à être utilisé comme symbole politique  ». (À Ottawa, le professeur Turgay a dit au Comité : «  En Turquie, une femme voilée représente un message politique. C’est pour cela qu’ils font très attention à ce sujet190.  » M. Tastan a également mentionné que l’on craignait l’influence de la révolution iranienne191.)

Mme Fatma Botsan Unsal, de la Plate-forme des femmes de la capitale, a reconnu avoir décidé de porter le foulard lorsqu’elle a commencé à participer à la vie politique comme membre fondatrice du parti au pouvoir, l’AKP (elle ne peut poser sa candidature pour une charge parlementaire parce qu’il lui serait alors interdit de porter le foulard au parlement 192). Elle refuse d’entrer dans un moule, qu’il soit «  occidentaliste  » ou «  islamiste  », faisant valoir qu’il s’agit d’une question de libre choix pour les femmes, peu importe si elles décident de porter le foulard pour des raisons «  politiques  » ou «  culturelles  ». D’après elle, la majorité de la population est en faveur de l’abolition de l’interdiction, mais le gouvernement de l’AKP, faisant preuve de prudence, n’a pas encore pris de décision en ce sens. Les opinions sont partagées quant à savoir si le maintien de l’interdiction est de nature à refréner le radicalisme islamique ou à y contribuer193.

Naturellement, les préoccupations de ceux qui luttent pour les droits de la personne ne se résument pas à une question vestimentaire. Mme Kendirci a fait remarquer que son organisation avait tenté de former un parti politique en vue de lutter pour les droits des femmes, mais qu’il n’avait pu être reconnu officiellement. La lutte se poursuit sur le plan de la mobilisation sociale et elle s’articule autour des droits à l’éducation, de la protection contre la violence conjugale, de la prévention des meurtres «  d’honneur  » et d’autres priorités.

M. Yilmaz Ensaroglu, président du Maszlum-Der (Organisation des droits de la personne et de la solidarité avec les peuples opprimés), la plus grande ONG islamique vouée à la défense des droits de la personne, a dressé un constat plutôt dur de la situation globale des droits de la personne. Selon lui : «  les droits de la personne sont violés sur une grande échelle en Turquie  » et «  le système juridique en place ne peut protéger les droits de la personne  ». Il s’agit notamment de la liberté de religion et du droit à l’éducation, en particulier dans la minorité kurde dont on a interdit l’identité et la langue. Même si la Turquie a ratifié d’importantes conventions internationales sur les droits de la personne et que les pressions découlant des critères d’accession à l’Europe sont bienvenues — quoique pas toujours efficaces — , dans la pratique, rien ne change, et les parlementaires attachent une attention inégale à la question. On s’inquiète toujours du contrôle descendant du processus politique, de l’autonomie du pouvoir judiciaire, des restrictions imposées aux ONG, des droits de la personne et de la liberté des médias194, des conditions de détention et du recours à la torture, entre autres abus195.

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

Depuis la visite du Comité en Turquie, un événement symbolique concernant le Canada a permis de faire le point sur les libertés fondamentales et l’ouverture démocratique; il s’agit de la controverse soulevée par la projection du film «  Ararat  » du réalisateur torontois, Atom Egoyan. Le film traite du «  génocide  » du peuple arménien durant la Première Guerre mondiale, sujet extrêmement délicat encore aujourd’hui en Turquie (qui n’en a jamais accepté la responsabilité), comme l’a confirmé le professeur Tastan lors de son témoignage à Ottawa196. Le ministre turc de la Culture et du Tourisme a approuvé le film à la fin de 2003 en disant que cette décision témoignait de la maturité démocratique du pays. Toutefois, sa diffusion prévue pour janvier 2004 a été reportée indéfiniment à cause de menaces proférées par des groupes extrémistes du pays d’attaquer les cinémas qui le diffuseraient197. Ce comportement, bien que circonscrit, est révélateur du travail qu’il reste encore à faire en Turquie au chapitre de la démocratie libérale, laquelle a toutefois progressé sous l’actuel gouvernement islamiste modéré.

Par ailleurs, comme l’a fait remarquer l’ambassadeur du Canada, M. Michael Leir, la Turquie est certainement un pays qui a toujours eu une importance stratégique dans le monde musulman, non seulement parce qu’il se situe à la croisée de l’Occident et de l’Orient, mais également pour son expérience d’État musulman laïc cherchant à embrasser l’islam de façon démocratique. Il est possible de faire plus pour améliorer les relations bilatérales, déjà bonnes, avec le Canada. L’ambassadeur Leir a mentionné par exemple la création d’un conseil commercial Canada-Turquie. Le plus important pour le Canada aux fins de la présente étude consiste à appuyer les réformes en cours en Turquie sans s’immiscer de façon manifeste dans les conflits internes portant sur des questions comme le port du foulard. Le Canada devrait encourager la Turquie à respecter ses engagements internationaux en matière de droits de la personne, à poursuivre ses démarches en vue d’accéder à l’UE et à négocier la solution tant attendue de la question de Chypre — pays auquel le Canada s’intéresse particulièrement vu la présence depuis plusieurs décennies de troupes de maintien de la paix.

La Turquie moderne n’est peut-être pas un «  modèle  » que le reste du monde musulman peut imiter, mais son approche modérée pour ce qui est d’édifier une démocratie ayant des caractéristiques islamiques peut avoir un important effet d’émulation. Selon un compte rendu de la rencontre du premier ministre Erdogan avec le président Bush au début de 2004 :

Malgré leurs racines islamistes, le premier ministre turc et son Parti de la justice et du développement, se révèlent, au pouvoir, de tendance libérale, en croyant aux forces du libre marché et à la démocratie laïque. Pour que la démocratie fasse des progrès dans le monde musulman, plus particulièrement dans les pays arabes, il est crucial d’encourager l’exemple turc198.

De plus, en tant que cible du terrorisme des islamistes extrémistes, la Turquie peut également jouer un rôle important dans le monde musulman en trouvant des moyens efficaces de lutter contre le terrorisme. Le Canada et d’autres pays doivent par ailleurs exercer des pressions auprès d’elle pour qu’elle améliore son bilan en matière de droits de la personne.

RECOMMANDATION 4

Le Canada devrait encourager le gouvernement turc à se faire le promoteur de la démocratie et de la modération au sein du monde musulman et à continuer de procéder aux réformes, en matière de développement démocratique et de respect des droits de la personne, notamment ceux de sa minorité kurde, que dictent à la Turquie ses obligations internationales et sa volonté d’adhérer à l’Union européenne.

RECOMMANDATION 5

Le gouvernement du Canada devrait chercher comment multiplier les contacts avec la Turquie tant au niveau des relations officielles qu’au niveau du secteur privé, de la société civile, du monde de l’enseignement et du milieu culturel. Il devrait envisager d’inviter le premier ministre, M. Recep Erdogan, à venir au Canada et à prononcer une allocution au Parlement qui pourrait entre autres, porter sur le renforcement de liens avec les pays du monde musulman.

Iran

L’Iran, dont la population croît très rapidement pour se rapprocher des 70 millions d’habitants (dont 50 p. 100 ont moins de 20 ans) est l’autre grand pays non arabe du Moyen-Orient musulman. La société iranienne, à majorité chiite, est fière de son héritage perse pré-islamique et regroupe diverses minorités ethniques et religieuses non musulmanes. Depuis la révolution khomeyniste de 1979, le pays renvoie une image liée à la prévalence d’une idéologie politique islamiste férocement opposée à l’Occident. La République islamique d’Iran est la seule théocratie officielle au monde. Elle s’est dotée d’un parlement élu de 290 membres (l’Assemblée consultative islamique, appelée Majlis), mais le Conseil des gardiens de la Constitution (constitué de 12 membres, qui ne répondent qu’au chef spirituel, détenteur du pouvoir suprême) peut opposer son veto aux lois. Ce dernier (actuellement l’Ayatollah Ali Khamenei) peut aussi destituer le président élu et chef d’État (poste occupé actuellement par Mohammed Khatami, élu en 1997 pour la première fois avec 70 p. 100 des voix, puis réélu en 2001 par une forte majorité réformiste).

Comme l’ambassadeur Philip MacKinnon l’a fait remarquer aux membres du Comité qui se trouvaient à Téhéran, l’Iran est un pays de contradictions derrière une apparence de pays peuplé de jeunes rebelles menés par un clergé âgé. L’Iran est loin d’être une démocratie, mais le pays n’en affiche pas moins une dynamique sociale et politique complexe à laquelle participe une population féminine instruite qui s’affirme. D’aucuns diraient que, dans une bonne partie du monde arabe, les chiites sont plus ouverts aux interprétations modernes que les sunnites traditionnels. Selon le professeur Turgay, de l’Université McGill, les chefs religieux iraniens ont eux aussi donné «  une interprétation très conservatrice de l’islam  ». Le professeur a également fait référence à «  une forte corruption aux sommets de la hiérarchie des mollahs199  ».

La grande question à laquelle doit répondre le pays, 25 ans après la révolution, semble être de savoir si le régime islamique actuel peut se transformer suffisamment pour résoudre les énormes pressions démographiques et socio-économiques qui se sont accumulées200 et qui se sont manifestées par une désillusion croissante de la part du public à l’égard de la capacité du gouvernement et de la majorité parlementaire élue favorable aux réformes d’amorcer un changement201.

Même avant la dernière confrontation entre les «  conservateurs  » religieux et les «  réformateurs  » politiques, beaucoup ont dit craindre un très faible taux de participation aux élections législatives prévues pour le 20 février 2004202, ce qui signifierait la victoire par défaut de l’establishment conservateur. Depuis la visite du Comité, un autre élément de la Constitution islamique contraire à la démocratie a mené à une impasse avec les réformateurs, marquée par le conservatisme : c’est la capacité du Conseil des gardiens de juger de l’admissibilité des candidats aux élections.

Le 11 janvier 2004, le Conseil a disqualifié 4 000 candidats aux élections de février, dont 80 députés sortants — et plusieurs membres éminents du Majlis que le Comité avait rencontrés —, dans le but apparent d’assurer une majorité conservatrice203. Les parlementaires favorables à la réforme se sont élevés contre cette mesure, occupant le Majlis et adoptant un projet de loi, le 25 janvier, visant à annuler ces disqualifications. Le Conseil des gardiens a opposé son veto législatif, comme il en a le droit, forçant les réformateurs — dont le frère du président Khatami, l’un des députés disqualifiés et chef du plus important groupe réformateur, le Front de participation islamique — à appeler au boycott ou à la suspension des élections204. La situation s’est encore dégradée le 1er février lorsque plus de 100 membres du Parlement ont présenté leur démission en signe de protestation, et de nouveau le 15, les députés réformateurs ayant envoyé une lettre de protestation véhémente à l’Ayatollah Khameney205. Le Prix Nobel, Shirin Ebada comptait parmi les personnalités iraniennes à se joindre au boycott.

S’il ne peut renverser la disqualification des députés ou reporter les élections, décisions incombant au chef suprême et au Conseil des gardiens, le gouvernement Khatami pourrait démissionner206. Lorsque l’Ayatollah Khameney a refusé de reporter les élections, il a semblé une fois encore accepter des élections faussées, dominées par les conservateurs207. Ce qui est plus éloquent, c’est le commentaire suivant : «  L’intérêt public dans la bataille électorale est passé sous silence. Près de sept ans après la victoire sans conteste de Khatami, la plupart des Iraniens ne croient plus à la capacité des réformateurs de surmonter la féroce opposition à la réforme 208  ». La manipulation des résultats des élections du 20 février pour assurer aux Majlis un contrôle conservateur a miné davantage la crédibilité du régime au pays et à l’étranger209. La participation électorale a été la plus faible depuis la révolution — à peine 50 % dans l’ensemble du pays et moins de 30 % à Téhéran.

Sauf si l’on peut mettre un terme à la crise politique, la pire des 20 dernières années, qui coïncide avec le vingt-cinquième anniversaire de la révolution, la survie et la crédibilité du régime pourraient être remises en question. Pour certains, la faiblesse patente du mouvement réformateur interne signifie que le moment est venu d’exercer des pressions externes plus fortes. Ce type de pression semble avoir eu un effet à la fin de l’an dernier lorsque l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et la communauté internationale se sont opposées au non-respect par l’Iran de ses obligations de non-prolifération des armes nucléaires. Devant la menace d’un renvoi devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui aurait pu imposer des sanctions, l’Iran a semblé corriger la situation fin octobre 2003, en promettant de suspendre ses activités illicites d’enrichissement de l’uranium et en permettant à l’AIEA de mener d’autres inspections visant à suivre et à vérifier le respect de ses obligations210. Les activités nucléaires clandestines de l’Iran ont suscité d’autres préoccupations en février 2004211. Après que l’AIEA a resserré la censure en mars 2004, l’Iran a remis à plus tard la présence d’inspecteurs sur son territoire212.

Au-delà des préoccupations qu’entretiennent le Canada et d’autres pays à propos de la démocratie, des droits de la personne et de la prolifération nucléaire en Iran, le décès, survenu le 10 juillet 2003, alors qu’elle se trouvait en détention à Téhéran, de la photo-journaliste montréalaise Zahra Kazemi, qui détenait la double citoyenneté, a durci nos relations avec l’Iran. Nous analyserons la question plus en détail ci-après. Mécontent de la réponse du gouvernement iranien aux accusations de complicité officielle dans la mort de Mme Kazemi et à la demande de rapatriement de la dépouille au Canada, le Canada a rappelé son ambassadeur. Celui-ci est retourné à Téhéran après plusieurs mois, mais ce n’est que peu avant son départ que le Comité a pu obtenir des visas, malgré l’invitation de plusieurs hauts fonctionnaires iraniens s’étant présentés devant lui en 2002213. Nous espérons que nos rencontres auront permis d’encourager en temps opportun les courageux Iraniens que nous avons rencontrés et qui ont compris les préoccupations de notre pays et dont les efforts continus en vue d’une réforme doivent être appuyés si l’on veut que l’Iran ait un avenir démocratique et pacifique.

Témoignages entendus en Iran

Le Comité n’a pas rencontré de partisans de la ligne religieuse pure et dure, dont nous n’aurions assurément pu rejeter le pouvoir et l’influence. Nous avons par contre été impressionnés par l’éloquence et la sincérité des représentants officiels que nous avons rencontrés, tant pour ce qui est de leur désir de voir se réaliser les réformes et de mieux dialoguer avec des pays comme le Canada que de leur apparente détermination à tirer l’affaire Kazemi au clair. Nos interlocuteurs étaient très instruits, certains ayant étudié dans des universités occidentales prestigieuses, et s’y connaissaient fort bien en politique et politique étrangère occidentale.

M. Mohsen Mirdamadi, président de la Commission de la sécurité nationale et des relations étrangères du Majlis — et disqualifié aux élections de février 2004 — faisait partie des étudiants ayant dirigé la révolution de 1979 que nous avons rencontrés. Il a expliqué que l’élan révolutionnaire de 1979 visait à renverser le despotisme et à affirmer une révolution des valeurs dans le but de créer une forme islamique de république. Il a rejeté l’idée que religion, liberté et démocratie étaient incompatibles, tout en admettant que la forme iranienne de démocratie islamique devait évoluer, sans que les réformes libérales ne nuisent aux croyances de la population. Le but est d’en arriver à une interprétation de la démocratie qui demeure fidèle à l’islam.

M. Mirdamadi a reconnu les contradictions dans les interprétations et les pratiques des différents pays musulmans et concédé que la voie vers la démocratie est un défi de taille pour les sociétés islamiques. Il a aussi convenu que l’intérêt général pouvait primer par rapport à certaines obligations religieuses en cas de conflit. À propos du droit de veto législatif du Conseil des gardiens (par exemple pour l’adhésion à la CEDAW214), M. Mirdamadi a fait observer que la société iranienne était en transition. Elle peut tirer des enseignements de l’expérience européenne et occidentale et adapter ces enseignements aux valeurs et à la culture iranienne. Il a mis les membres du Comité en garde contre les comparaisons simplistes.

La question a été posée : La population sera-t-elle assez patiente pour attendre une plus grande démocratisation? Après avoir indiqué que le climat est plutôt au contentement et que le président Khatami symbolise la réforme, M. Mirdamadi a admis que, s’il était toujours étudiant, il voudrait probablement que les réformes se produisent plus rapidement. (Il est probable qu’il est actuellement moins satisfait de la situation et désire plus fortement un changement que lorsque nous l’avons rencontré. Lors d’observations qui ont été diffusées à la radio d’État pendant la crise entre le Parlement et le Conseil des gardiens avant les élections, il a déclaré : «  Ils veulent couvrir l’horrible corps de la dictature du beau manteau de la démocratie. Nous n’avons d’autre choix que de démissionner215  »).

Autre ancienne chef des étudiants de 1979, Mme Massoumeh Ebtekar, vice-présidente de la République islamique et ministre de l’Environnement, a décrit la motivation première des étudiants par le mot «  dignité  ». Il y allait de l’indépendance du pays et le droit international n’aurait pu empêcher un coup d’État qui aurait pu tuer dans l’œuf la révolution islamique et l’objectif de démocratie islamique pour lequel certains avaient donné leur vie. La révolution a établi, d’après elle, un «  paradigme islamique totalement nouveau  » et une «  République islamique  » (pas simplement un État islamique) approuvés par référendum populaire. Ceci est toutefois tout à fait nouveau. Ce que le processus de la réforme indique, c’est que la «  dimension démocratique  » est toujours bien vivante malgré les nombreuses difficultés et les grands défis. Mme Ebtekar a fait référence à un «  vaste échantillon de points de vue dans la société iranienne  ». Personne ne désire une démocratie où ce sont les plus puissants qui ont le dernier mot. Il faut une «  politique éthique  » qui accepte la diversité tout en respectant les valeurs culturelles et religieuses de la majorité. Pour ce qui est du «  paradigme de l’avancement des femmes  », il faut rechercher l’égalité des sexes tout en respectant le rôle crucial de la famille. Globalement : «  Le processus de réforme fait face à des difficultés tout à fait particulières en Iran, mais avance. J’envisage l’avenir avec optimisme.  » En décrivant une interaction complexe de facteurs religieux et démocratiques, elle a admis qu’il était difficile de trouver un équilibre, mais a déclaré que l’Iran pourrait devenir un exemple s’il parvient à ses fins. Le monde veut qu’il y ait amélioration sur le plan des droits de la personne et «  ceci est naturel  ».

Les membres de la faction féminine du Majlis que le Comité a rencontrées étaient très actives sur le plan des droits de la personne, et faisaient des pressions pour que justice soit faite dans l’enquête sur le meurtre de Zahra Kazemi perpétré alors que celle-ci était en garde à vue. Mme Elaheh Koolaee (autre députée disqualifiée) a fait observer que, même si elles sont peu nombreuses au Parlement, les femmes ont un rôle important sur le plan des activités menées et ont des droits politiques égaux à ceux des hommes (elles sont passées de 4 à 13 membres au Majlis). Ce témoin a précisé que plus de 60 p. 100 des étudiants inscrits à l’université sont des femmes et que la société iranienne croit fermement en la valeur des études supérieures216. À propos du rôle des femmes dans la société iranienne, de l’effet de l’octroi du prix Nobel à Shirin Ebadi et de sa déclaration que la discrimination n’était pas attribuable à l’islam, mais plutôt à des cultures patriarcales, les députées ont déclaré que les femmes avaient joué un rôle de premier plan dans l’histoire iranienne récente — dans la révolution, pendant la guerre contre l’Irak et aujourd’hui au sein du mouvement réformateur. Bien qu’il y ait encore beaucoup à surmonter traditionnellement et que la condition des femmes fasse toujours l’objet d’un débat, elles estiment que l’islam est compatible avec un rôle à part entière des femmes dans tous les domaines. Elles ont fait remarquer que le nombre d’ONG féminines avaient connu une croissance remarquable au cours des six dernières années. Il y a de nouveaux centres d’études et les femmes y occupent une place plus importante. Mme Ebadi a joué un rôle actif dans une ONG vouée aux droits des enfants et peut être perçue comme un modèle. Les réformateurs tirent fierté du fait qu’elle a reçu le prix Nobel, prix vu comme une manifestation de l’intérêt que porte le monde à l’évolution pluraliste de la société iranienne dans un contexte islamique.

Au fil des discussions avec des membres du Majlis représentant des groupes minoritaires religieux et ethniques officiels, il a été possible de discerner un certain progrès, quoique insuffisant, sur des dossiers allant des droits religieux, éducatifs et culturels à la discrimination socio-économique. On nous a dit que les minorités étaient en mesure d’exercer leurs droits politiques. Il existe un comité parlementaire spécial des minorités religieuses et l’on nous a dit que le ministère de l’Éducation iranien emploie 700 non-musulmans. Ces porte-parole ont accueilli volontiers les possibilités de contacts et d’échanges avec les Canadiens, tout comme les Iraniens que nous avons rencontrés. L’une de ces personnes, qui a de la famille au Canada, le député Khosrow Dabestani représentant la communauté zoroastrienne, s’est présenté comme dirigeant un groupe d’amitié parlementaire avec le Canada. Dans le même temps, ils espéraient qu’en bâtissant des passerelles avec le monde musulman, le Canada s’éloignerait de l’approche «  néo-conservatrice  » américaine.

Il n’est pas surprenant que les Iraniens soient en quête de nouvelles approches de la part de l’Occident et envers ce dernier, le président Bush les ayant inclus dans «  l’axe du mal  » et les relations diplomatiques avec les États-Unis étant interrompues depuis près de 25 ans. Cette quête a été très manifeste lors d’une table ronde à laquelle participaient les membres de l’Institut d’études politiques et internationales, organe de recherche lié au ministère des Affaires étrangères. À propos de la situation de l’Irak d’après-guerre, le directeur général de l’Institut, M. Seyed Kazem Sajjadpour a estimé que toute théorie des dominos appliquée à l’instauration de la démocratie se révèle utopique. Parallèlement, il était «  très heureux que Saddam ait été capturé … et que son idéologie anti-iranienne se soit effondrée  ». L’Iran a été le premier à reconnaître le Conseil du gouvernement irakien et a cherché la collaboration avec ce dernier, malgré les critiques de certains États de la Ligue arabe. D’après lui, le problème réside dans la mentalité des néo-conservateurs de Bush (avec leur étiquette d’ « axe du mal  » et des expressions comme «  chaos créateur  »). Selon lui, il est dans l’intérêt de l’Iran que l’Irak se stabilise. Mais l’Iran ne peut appuyer une occupation étrangère. La stabilisation d’une situation très difficile ne peut se faire sans légitimité.

Pour améliorer les relations avec le monde musulman, le Canada devrait veiller à garder son caractère distinctif, car trop s’identifier avec la politique étrangère américaine ne serait pas constructif. M. Sajjadpour a fait observer qu’il y a même aux États-Unis des observateurs qui décèlent des failles dans cette dernière et estiment nécessaire de s’attaquer aux dossiers épineux, notamment le conflit israélo-palestinien. Selon un autre témoin, ancien ambassadeur, les Occidentaux ne devraient pas chercher les racines du problème en Iran, comme si l’islam était l’un de ces problèmes. Les différences religieuses sont souvent exagérées. Ce qui s’est produit, c’est que le prisme politico-idéologique résultant des événements du 11 septembre a conduit à une fixation sur les éléments menaçants au sein de l’islam. Ce dont les Iraniens se souviennent, toutefois, c’est que les États-Unis ont longtemps soutenu les dictateurs (notamment le régime taliban). Les Iraniens ne croient pas que la démocratie peut être donnée comme l’aumône à des pauvres. Ils «  n’ont aucune confiance  » dans les intentions des États-Unis. Aussi M. Sajjadpour espère-t-il d’autres approches des pays occidentaux.

Les participants à la table ronde ont fait observer qu’il y a tout un éventail d’interprétations démocratiques et autoritaires de l’islam. Les partisans de la ligne dure tant du côté musulman que du côté occidental sont ceux qui conduiront au conflit; il incombe donc aux modérés de chaque camp de trouver un règlement pacifique. D’après le député Reza Yousefian217, «  il n’y a aucun conflit entre l’islam et la démocratie et le respect des droits de la personne  ». M. Sajjadpour, rappelant que c’est l’Iran qui a inventé les échecs, a appelé à une compréhension des complexités de la situation et à un rejet des stéréotypes grossiers. Il a précisé que l’Iran avait été le premier État du Moyen-Orient à mener une révolution démocratique (en 1906). «  Ce désir se trouve dans la population  », a-t-il dit, et «  la démocratie est un processus qui concerne tout le monde  ».

Outre ces paroles empreintes de courage, le Comité a entendu de nouveaux témoignages critiques sur l’Iran, sur les plans de la démocratie et des droits de l’homme et sur les risques que les libres penseurs et les défenseurs de ces droits prennent. L’ayatollah Seyed Mostafa Mohaghegh Damad, haut commissaire de la Commission islamique des droits de la personne de l’Iran et professeur de droit coranique, a fait observer que : «  le problème fondamental, c’est que les gens ne connaissent pas leurs droits  ». Il faut donc procéder à une sensibilisation et à une promotion des droits. La population est habituée à obéir et croit qu’elle doit demander au gouvernement le respect de ses droits. M. Mohammad Hassan Ziaiefar, secrétaire général de la Commission, a noté que l’Iran était habitué aux dictatures, rappelant une déclaration du grand metteur en scène iranien, Mohsen Makhmalbaf, selon lequel il y a une «  mentalité de la dictature  » chez les Iraniens. Travailler à la démocratie dans un contexte qui manque de précédents ou de préparation exige que l’on s’emploie à inculquer les valeurs et les habitudes démocratiques dans la population. Il a décrit le processus permettant de relever les défis post-révolutionnaires de l’Iran comme un triangle : politiciens établis, forces politiques externes et société, notamment les ONG avec lesquelles établir des liens plus étroits.

M. Ziaiefar croit honnêtement que le respect des droits de la personne, et même sa propre sécurité, sont toujours menacés en Iran : «  Je dois dire honnêtement que la situation est mauvaise  ». Les mouvements réformistes attirent pourtant l’attention sur les violations des droits de la personne, et un nombre croissant de défenseurs de ces droits n’abandonneront pas la lutte. M. Ziaiefar estime toujours que «  la force du peuple prévaudra …  Aujourd’hui, ceux qui violent les droits de la personne sont identifiés, isolés et rejetés  ». Il a ajouté que «  la démocratie n’est pas un cadeau à nous donner de l’extérieur mais doit venir de la société  », et devient ainsi une force irrépressible. M. Damad est tout aussi direct : «  sans démocratie, il n’y a pas de droits de la personne  ». (À ce propos, il a qualifié d’absurdité la tenue récente d’une conférence sur les droits de la personne en Arabie saoudite et a également critiqué l’Occident pour avoir ciblé l’Iran alors que ce pays est plus ouvert à propos de l’islam que l’Arabie saoudite.) Ce qui est positif, c’est que la population désire la démocratie et voudrait voir la corruption stoppée. En tant que mullah, il estime personnellement qu’un gouvernement musulman convient à un peuple musulman, mais ne devrait pas être un gouvernement religieux «  idéologique  » ni une «  théocratie  » niant les droits de la personne.

M. Damad a fait observer qu’il est très important pour les gouvernements occidentaux d’aborder la question des droits de la personne en Iran du point de vue des avantages pour la population iranienne. Si la motivation occidentale est perçue comme intéressée, ou fondée sur des impératifs de sécurité ou la crainte du terrorisme, l’intérêt de l’Occident sera jugé comme une attaque et non une aide. Les motifs des États-Unis ne trompent personne. Comment la guerre en Irak peut-elle être une question de droits de la personne quand les dirigeants des États-Unis et de la France, qui connaissaient les atrocités commises sur le plan des droits de la personne depuis des années n’ont rien fait? Les témoins soulignent qu’il faut défendre les droits de la personne partout au monde pour que les Iraniens ne supposent pas que les Canadiens ne s’intéressent qu’à l’affaire Kazemi. Du point de vue de M. Damad, il faut que l’Occident comprenne mieux les différents courants de la pensée islamique en matière de droits de la personne. Et «  la société civile dans tous les pays musulmans a besoin d’aide  ». Mais pour que cette aide soit authentique, il faut qu’elle soit uniforme, contrairement à ce qui s’est fait par le passé, et il faut éviter tout programme politique intéressé de manière à pouvoir établir des partenariats d’appui à long terme tenant compte de la situation et des préoccupations des Iraniens.

L’affaire Zahra Kazemi et les droits de la personne en Iran

La photo-journaliste canado-iranienne Zahra Kazemi, domiciliée à Montréal, a été arrêtée le 23 juin 2003 alors qu’elle prenait des photos à l’extérieur de la prison Evin de Téhéran où sont détenus de nombreux prisonniers politiques. Elle était entrée dans le pays à l’aide de son passeport iranien (comme de nombreux autres pays, l’Iran ne reconnaît pas la double citoyenneté) et avait une accréditation de journaliste iranienne. Mme Kazemi a été emprisonnée sans accusation formelle, mise au secret et a subi au cours des interrogatoires des journées suivantes des blessures physiques mettant sa vie en danger, signes de torture. Hospitalisée le 27 juin, elle est décédée de ses blessures le 10 juillet et a été enterrée en Iran le 22, alors que son fils avait souhaité que la dépouille soit rapatriée au Canada. Un certain nombre d’organismes canadiens ont exhorté le gouvernement canadien à prendre des mesures en vue d’exiger des réponses du gouvernement iranien et de demander justice pour les tortures infligées à un citoyen canadien et un meurtre perpétré pendant une garde à vue.

Au moment de la réunion du Comité à Téhéran vers la mi-octobre 2003, se déroulait le procès de l’agent du renseignement accusé d’avoir battu à mort Mme Kazemi. Le Canada a demandé puis obtenu un troisième siège de représentant non-officiel au tribunal. De l’avis de beaucoup, il y a eu camouflage malgré les poursuites judiciaires, car ces dernières étaient supervisées par le procureur en chef, Saeed Mortazavi, que beaucoup soupçonnent d’être en fait responsable du décès de Mme Kazemi.

Le Comité a également appris que le Parlement iranien se démenait pour découvrir la vérité et faire justice. Même les Iraniens qui estimaient qu’il s’agissait d’un cas isolé malheureux ont voulu manifester leur préoccupation à cet égard. Lors de la première réunion du Comité, M. Mirdamadi a précisé que les circonstances du meurtre avaient provoqué l’un des plus longs débats au Majlis. Parmi les orateurs les plus virulents se trouvait le vice-président du Majlis, M. Mohsen Armin (un autre député disqualifié) avec lequel les membres du Comité se sont entretenus séparément sur le travail de la commission parlementaire chargée de l’article 90, qui étudie les atteintes aux droits légaux et constitutionnels des citoyens. La députée Jamileh Kadivar de la faction féministe, qui siège à cette commission (et s’est présentée aux élections du 20 février), a été en mesure de donner au Comité des détails sur l’enquête à partir de l’arrestation de Mme Kazemi, et de préciser qu’un rapport de 19 pages avait été approuvé à la majorité sans être lu en Chambre, en raison de manœuvres procédurières douteuses. Elle espérait bien que ces difficultés seraient surmontées et c’est en effet elle qui a été chargée de lire ce rapport très critique au Majlis le 28 octobre, rapport qui accusait directement le procureur en chef Mortazavi et son bureau. Mme Kadivar a fait savoir que les membres de la Commission chargée de l’article 90 demanderaient un procès indépendant des responsables218. Les chefs de la Commission des droits de la personne avec lesquels nous nous sommes entretenus ont également reconnu les lacunes des structures judiciaires iraniennes et fait savoir qu’elles appelaient à l’établissement d’une commission d’enquête indépendante afin de rétablir la confiance de la population iranienne.

Le Comité prend bonne note de ces efforts faits de bonne foi. Nous comprenons également qu’il importe de transmettre les préoccupations des Canadiens de manière à appuyer les Iraniens qui travaillent à des réformes au sein de la société et dans les institutions politiques. Le gouvernement iranien doit néanmoins être tenu responsable du fait que justice n’a pas encore été faite ni semble avoir été faite pour Zahra Kazemi et sa famille. Il faut régler cette situation. Or, les poursuites judiciaires ont été brusquement interrompues, sans qu’aucune explication ne soit fournie, en octobre 2003. Un deuxième suspect aurait été arrêté en février 2004, mais rien n’indique officiellement qu’il y a eu un nouveau procès219. Ce même mois, la gravité de l’affaire Kazemi et ce qui semble être un camouflage officiel ont également été mentionnés dans un rapport extrêmement critique sur les violations des droits en Iran émanant du rapporteur spécial Ambeyi Ligabo de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies220. D’autre part, la discorde entourant les élections de février 2004 est extrêmement inquiétante pour ce qui est du respect des droits de l’homme et des réformes en vue d’une démocratisation au sein de l’Iran.

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

Le Comité reconnaît qu’il est possible d’accroître les relations avec l’Iran, pays chiite le plus important au monde. Il s’agit d’une question qui intéresse directement bien des Canadiens, puisque quelque 2 000 d’entre eux vivent en Iran et que vivent au Canada 300 000 Canadiens d’origine iranienne. La population du Canada a été choquée du meurtre de Zahra Kazemi. Mais elle a répondu généreusement aux appels à l’aide des victimes du tremblement de terre qui a dévasté la région de Bam, dans le sud-est de l’Iran en décembre dernier. Le Comité prend bonne note de l’annonce du 23 janvier 2004 de la ministre de la Coopération internationale Aileen Carroll — membre du Comité qui s’est rendu à Téhéran — selon laquelle l’aide officielle du pays aux victimes du séisme s’élèvera à plus de 1,5 million de dollars.

Le Comité comprend bien ce qu’il a appris sur la perception positive qu’ont les Iraniens du Canada, sur la volonté de poursuivre un dialogue sur les plans politique et culturel, sur la demande de visas d’étudiant au Canada et d’échanges plus importants d’étudiants, et même sur la possibilité d’étendre les relations économiques et commerciales comme tremplin vers les marchés du Moyen-Orient. Mais tout dépendra de la volonté de l’Iran de donner suite à ses engagements de non-prolifération nucléaire, de sa dissociation du terrorisme islamiste et de la capacité des autorités iraniennes de procéder à de grandes réformes juridiques et politiques. Les événements récents ne sont pas de bon augure pour ce dernier aspect.

Le Comité est très inquiet de la disqualification des parlementaires iraniens partisans des réformes qui exigeaient un processus électoral juste et démocratique. Il applaudit par ailleurs les efforts déployés par le Canada aux Nations Unies pour que l’on s’inquiète davantage de la situation des droits de la personne en Iran221. Ces efforts devraient être poursuivis plus vigoureusement compte tenu des conclusions critiques qu’a formulées récemment le rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies en Iran.

Le International Crisis Group, dont le rapport a déjà été mentionné, a signalé que : «  Un grand nombre d’Iraniens placent désormais beaucoup d’espoir dans les tentatives venant de l’étranger pressant l’Iran de procéder à des réformes sur le plan des droits de la personne et sur le plan politique …  Les Iraniens ont également indiqué clairement que les contacts de peuple à peuple et les échanges économiques seraient également un moyen d’accroître les libertés personnelles  ». En d’autres termes, il serait peu efficace d’adopter une politique visant à isoler ou à punir l’Iran. Comme ce rapport le conclut :

La désaffection du peuple et les paradoxes du régime iranien sont tels que l’on peut véritablement douter que ce dernier puisse se maintenir longtemps dans sa forme actuelle. Des contacts culturels et économiques accrus avec le monde extérieur, combinés à une insistance internationale continue en vue de réformes politiques et d’un respect plus grand des droits de la personne fortifieront la société civile naissante en Iran au lieu de l’affaiblir et dilueront le pouvoir des conservateurs au lieu de le consolider222.

M. Noah Feldman, expert américain de la démocratie islamique qui a témoigné lors de nos réunions tenues à Téhéran, a présenté une analyse qui va dans le même sens, sans sous-estimer les incertitudes et les défis qui se posent à l’Iran et à ses partenaires.

Pour ce qui est de l’Iran, quelqu’un a dit que l’espoir de ce pays, c’est son peuple; en gros, je suis d’accord. À deux reprises, 70 p. 100 des gens ont voté pour le seul réformateur inscrit sur le bulletin de vote, et ils ont opté massivement pour une assemblée législative qui préconisait la réforme. […] ces élections semblent n’avoir rien donné dans la pratique, et les Iraniens sont très mécontents de la situation. La liberté de parole n’existe pas, les leaders élus n’ont pas la possibilité de gouverner. La situation en Iran est telle qu’un grand nombre d’Iraniens veulent un changement, mais ils ont été témoins d’une révolution violente dans les dernières années. Ils savent le prix qu’une société doit payer en cas de révolution violente : ils savent qu’une génération sera perdue, ils savent combien mourront inutilement, et ils craignent de la provoquer. Ce que nous pouvons faire, c’est démontrer de façon aussi claire que possible aux Iraniens, soit en faisant appel à leur gouvernement, ce qui est parfois la bonne chose à faire, soit en nous dissociant de lui, ce qui est aussi parfois la chose à faire, que nous appuyons les aspirations de ces 70 p. 100 d’Iraniens qui veulent un changement, à n’en pas douter. Je pense que c’est la meilleure façon pour nous de les aider, et je crois que ces gens finiront par l’emporter. Mais il faudra du temps, et pour l’instant il n’y a pas de solution immédiate qui soit évidente223.

En bref, c’est un moment crucial pour les relations avec l’Iran qui appellent à une diplomatie précautionneuse et habile de la part du Canada.

RECOMMANDATION 6

Le Canada devrait protester énergiquement contre le processus électoral de février 2004 qui disqualifie des parlementaires sortants et exhorter le régime iranien à mener des élections démocratiques transparentes et justes. Le Canada devrait aussi continuer de travailler étroitement avec d’autres pays au sein de tribunes multilatérales et avec les forces démocratiques en Iran, y compris si possible par les voies parlementaires et politiques en place, dans le but d’y améliorer le respect des droits de la personne.

RECOMMANDATION 7

Le gouvernement du Canada devrait poursuivre activement les efforts qu’il déploie pour que le gouvernement iranien rende compte de façon complète de la détention illégale, de la torture et du meurtre de la journaliste canadienne Zahra Kazemi, et il devrait rechercher tous les moyens possibles pouvant aboutir à une résolution juste et satisfaisante.

RECOMMANDATION 8

Le Canada devrait parallèlement chercher des moyens d’accroître les contacts constructifs avec la société civile iranienne par la voie d’échanges dans les secteurs de l’éducation, de la culture et d’autres secteurs et des liens avec le secteur privé et les ONG.

RECOMMANDATION 9

Le Canada devrait continuer d’exercer des pressions sur l’Iran pour que ce pays respecte toutes les obligations qu’il a contractées dans le cadre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et, plus particulièrement, honore les engagements qu’il a pris auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique après avoir admis, en octobre 2003, qu’il avait contrevenu aux règles.

Arabie saoudite

L’Arabie saoudite est en proie à une crise sévère. L’économie n’arrive pas à suivre la croissance démographique, l’État-providence se détériore rapidement, et les rancunes régionales et sectaires occupent de plus en plus l’avant-scène. Ces problèmes ont été exacerbés par une recrudescence de l’activisme islamique radical. Beaucoup s’accordent sur le fait que le système politique saoudien se doit d’évoluer, mais une grave schizophrénie culturelle empêche l’élite du pays de s’entendre sur les modalités d’une réforme.

– Michael Scott Doran, «  The Saudi Paradox224  »

Le Royaume d’Arabie saoudite, qui est le plus grand et le plus peuplé des États de la Péninsule arabique, constitue, comme l’a rappelé l’ambassadeur du Canada Roderick Bell, «  l’épicentre de l’islam  ». Le monarque régnant, le roi Fahd Ben Abdel Aziz Al-Saoud, détient le titre de «  gardien des deux mosquées sacrées  » (celle de La Mecque et de Médine). La société saoudienne est probablement plus imprégnée du respect strict de la foi islamique que tout autre pays des mondes arabe ou musulman. Tout y est jugé en termes de religion et il y existe même une «  police religieuse  » chargée de la faire respecter par la population. Bien que le pays compte une importante minorité chiite (représentant environ 10 p. 100 de la population), la grande majorité des 24 millions d’habitants appartient à l’islam sunnite. De plus, l’idéologie dominante des dirigeants religieux et politiques est celle d’une école puritaine de l’islam sunnite connue sous le nom de «  wahhabisme225  ». Comme le résume succinctement M. Michael Doran, «  le wahhabisme est le fondement de tout le système politique et il ne faut donc pas s’étonner de voir quiconque a intérêt au maintien du statu quo s’y rallier face au changement226  ».

L’État saoudien actuel a à peine plus de 70 ans. À la suite de la chute de l’Empire ottoman, le chef d’une dynastie tribale, connu sous le non d’Ibn Saoud, a progressivement pris le contrôle de la plus grande partie de la Péninsule arabique. Le Royaume a été fondé en 1932 (du pétrole y a été découvert peu d’années après, en 1938) et la «  Maison des Saoud  », une famille royale qui compte aujourd’hui près de 7 000 princes et ne cesse de croître, occupe le pouvoir depuis lors. Afin de consolider la monarchie, la famille des Saoud a conclu avec le wahhabisme une alliance, un mariage de raison politico-religieux, qui, comme indiqué plus haut, est toujours en vigueur aujourd’hui et empêche ainsi le régime de s’adapter aux pressions en faveur du changement227.

Ces pressions se font plus fortes et des tensions sont apparues, tout particulièrement depuis les événements du 11 septembre 2001, où 15 des 19 terroristes se sont révélés être des citoyens saoudiens, et plus encore depuis les attentats terroristes qui ont été perpétrés, en mai et en novembre 2003, sur le territoire saoudien et qui avaient clairement pour cible le régime en place228. Les attentats à la bombe de Riyad, le 12 mai dernier, ont constitué un signal d’alarme que les autorités saoudiennes n’ont pas pu ignorer et qui les a contraintes à prendre de réelles mesures contre le terrorisme à l’intérieur du pays. Le pays doit également faire face à un dilemme existentiel, car le développement politique, intellectuel et socioculturel n’a pas suivi la croissance économique alimentée par le pétrole229. Cette société inégale et non démocratique en crise, tiraillée entre le traditionalisme religieux d’une part, et l’argent et les technologies de l’Occident d’autre part, subit à la fois les pressions progressistes des fournisseurs de la culture du téléphone portable230 et les pressions rétrogrades des farouches défenseurs de la vertu wahhabite.

L’Arabie saoudite ne prétend pas être une démocratie — il ne s’y tient jamais d’élection — mais, abstraction faite de l’incarcération de plusieurs réformistes connus en mars 2004231, elle donne, en réponse aux pressions, des signes, certes minimes et hésitants, d’une certaine évolution sociale et politique. On notera, entre autres :

  l’examen de la question de la succession et du besoin de sang neuf au sein de la gérontocratie au pouvoir;
  la reconnaissance du grand problème socio-démographique que pose l’arrivée des jeunes sur le marché du travail dans un contexte où le revenu par habitant est en baisse ainsi que la nécessité de réduire la dépendance envers la main-d’œuvre étrangère232;
  la réforme de l’éducation et, notamment, de l’éducation religieuse233;
  le fait que les femmes saoudiennes peuvent désormais obtenir une carte d’identité et constituent un pouvoir, sinon politique, du moins économique (on compte, par exemple, 4 000 femmes d’affaires à Djedda, dont les avoirs bancaires atteignent un total de 11,5 milliards de dollars)234;
  l’existence, dans la presse, d’une critique qui se fait de plus en plus entendre235 et la récente tenue d’une conférence sur les droits de la personne236;
  la présence moins visible de la police religieuse («  moutawa  ») depuis l’attaque terroriste du 12 mai 2003;
  en octobre 2003, la première manifestation publique organisée depuis de nombreuses années (malgré le grand nombre d’arrestations);
  des ballons d’essai laissant envisager la possibilité d’élections locales et peut-être, ultérieurement, du Conseil consultatif du Royaume, ou «  Majlis Al-Choura  », composé de 120 membres, tous de sexe masculin;
  une évolution de la composition du Conseil, ou Choura, au profit des élites séculières diplômées (à l’heure actuelle, seuls 10 p. 100 possèdent un diplôme en études religieuses; 65 p. 100 possèdent un doctorat ou une maîtrise et 87 p. 100 ont fréquenté des universités occidentales).

Malgré ces gestes hésitants, l’Arabie saoudite souffre en Occident d’une image de plus en plus négative, non seulement dans les médias populaires, mais aussi dans les publications universitaires. Le conservatisme social et religieux de l’Arabie saoudite, de même que l’extrême restriction des droits civils qui règne dans le pays, surtout pour les femmes, en font une cible de choix. Fait plus inquiétant encore, le Royaume est accusé de représenter pour les pays occidentaux un danger plutôt qu’un allié bienveillant. L’une des accusations fréquemment formulées est que l’argent du pétrole saoudien a été utilisé pour disséminer le wahhabisme à travers le monde et même pour soutenir ce militantisme politique islamiste qui constitue non seulement une menace pour les «  infidèles  » non musulmans, mais risque bien aussi, par un effet pervers, d’amener la chute même du régime wahhabite237.

Le Comité a entendu des déclarations en ce sens lors des témoignages qui ont précédé sa visite en Arabie saoudite. M. Salim Mansour, par exemple, a affirmé que «  … l’argent que l’Arabie saoudite a donné pour construire des mosquées a servi à véhiculer le bacille de ce que j’appelle la forme de néo-fascisme du monde musulman dans le réseau des mosquées. […] Partout au Canada, les imams des mosquées sont tous financés par l’Arabie saoudite238  ». M. Uner Turgay a déclaré que, «  … depuis 20 ans, […] l’Arabie saoudite répand l’islam wahhabite dans tout le pays à coups de millions et de milliards de dollars : elle a fait construire des centaines de mosquées et elle diffuse des milliers de brochures et de bulletins d’information sur le wahhabisme. Les Saoudiens ont infléchi l’interprétation de l’islam dans tout le monde musulman239  ».

Pour ce qui est des perspectives d’un «  changement de régime  » conduisant à une libéralisation et à une démocratisation réelles de l’Arabie saoudite, M. Noah Feldman, interrogé sur la question après le retour du Comité des audiences tenues dans ce pays, a répondu que :

… les Saoudiens eux-mêmes savent qu’il faut améliorer leur gouvernance, mais ne seront favorables à une plus grande démocratisation que si nous formulons les choses de façon plus précise en disant: «  Prenez les moyens que vous voulez, mais commencez à déléguer du pouvoir à la population  ». […] Le seul espoir pour la famille royale saoudienne de demeurer une monarchie constitutionnelle à long terme et de ne pas devenir une institution anachronique vouée au même sort que d’autres monarchies intransigeantes de la région, comme celle du Shah d’Iran par exemple, réside dans la constatation qu’elle doit établir un lien direct entre elle-même et ses citoyens, sans qu’intervienne l’influence du clergé. Tant que le clergé servira d’intermédiaire entre la famille royale et la population, la famille royale sera paralysée et ne pourra pas améliorer la situation240.

M. Feldman a également expliqué qu’un gouvernement disposant d’une richesse pétrolière telle que celle de l’Arabie saoudite n’optera «  certainement pas pour la démocratie simplement en raison de pressions internes, parce [qu’il sera] toujours en mesure d’acheter  » ceux qui s’opposent à lui. Les récents signes d’une certaine ouverture aux réformes sont «  plutôt une forme de réaction aux pressions exercées par les autres pays. Et ce genre de pression peut être exercé surtout à huis clos, reconnaissons-le, pas par des gens qui frappent très fort sur la table241  ».

Pour le Canada, la question de savoir comment conduire l’Arabie saoudite sur un chemin pouvant raisonnablement mener à des réformes en matière de droits politiques et de la personne a été sérieusement compliquée, comme dans le cas de l’Iran, par des tensions bilatérales dues au traitement subi par un citoyen canadien détenu dans le pays. Le fait est que la condamnation à mort de M. William Sampson (qui a témoigné devant le Comité le même jour que M. Feldman) et ses allégations répétées au sujet de tortures que lui auraient infligées les autorités saoudiennes ont probablement plus attiré l’attention des médias canadiens que tout autre aspect des relations canadiennes avec les mondes arabe et musulman au cours des dernières années. Nous reviendrons plus en détail sur cette affaire un peu plus loin. Ce qu’il importe de noter ici, c’est que, bien que M. Sampson soit sorti des prisons saoudiennes au début d’août 2003, la possibilité, pour le Canada, d’entamer un dialogue constructif avec l’Arabie saoudite, et réciproquement, demeure compromise par les allégations non résolues d’injustice et de mauvais traitement qui entourent ce cas.

Témoignages entendus en Arabie saoudite

Le Comité a entamé ses audiences dans le grand port de Djedda, sur la mer Rouge, à proximité de la ville sainte de La Mecque, au siège de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI). Le moment était propice, puisque les audiences suivaient de peu le 10e sommet de l’OCI qui venait de se conclure à Kuala Lumpur, en Malaisie242. Les discussions avec le secrétaire général adjoint aux Affaires politiques, l’ambassadeur Ezzat Mufti, le conseiller principal du secrétaire général, l’ambassadeur Sa’adouddin Al Tayeb, et d’autres hauts dignitaires, ont permis un échange de vues sur les problèmes internationaux qui touchent actuellement les pays musulmans. En tête de la liste de leurs préoccupations figuraient les contrecoups du terrorisme, l’occupation de l’Irak et le conflit israélo-palestinien, pour lequel l’ambassadeur Mufti a rejeté, sans surprise, la plus grande partie de la responsabilité sur le gouvernement israélien actuel dont les politiques font que «  la paix devient inaccessible  ». L’ambassadeur Mufti a soutenu que l’OIC avait adopté une position claire contre le terrorisme, qui est contraire aux préceptes de l’islam, et a demandé qu’une conférence soit organisée afin de définir la signification exacte du terme terrorisme. Il a toutefois pris soin de distinguer ce dernier de la résistance nationale justifiée des Palestiniens à l’occupation. Il a également critiqué la couverture négative de l’islam dans la presse occidentale, une plainte récurrente au cours de ces audiences, et tout particulièrement dans le cas d’organismes caritatifs musulmans accusés à tort de soutenir le terrorisme. Pour ce qui est de l’Irak, il a rappelé l’opposition unanime de l’OCI à la guerre et, par la suite, à la présence militaire d’un État membre (à savoir de la Turquie) en Irak.

Sur un plan plus positif, l’ambassadeur Mufti insisté sur le désir qu’a l’OCI de jouer un rôle international plus important en vue de promouvoir de meilleures relations entre pays musulmans, ainsi qu’entre ces derniers et les autres pays, et ce, en vue de favoriser le dialogue. Il a indiqué que le Canada «  est respecté pour son équité par les membres de l’OCI  », apprécié pour sa position modérée, «  équilibrée et visionnaire  » et qu’il peut être amené à jouer un rôle en tant que voisin des États-Unis. Il a également recommandé d’envisager des initiatives telles que des échanges constructifs ou des groupes de travail sur les relations avec le monde musulman.

À Djedda, le Comité a également eu l’occasion de rencontrer des femmes d’affaires saoudiennes de la Chambre de commerce de Djedda et, à un autre moment, d’éminents hommes d’affaires. La délégation de huit femmes était menée par la sous-secrétaire générale de la Chambre de commerce, Mme Fatin Bandaggi, fondatrice et directrice du Centre des femmes d’affaires saoudiennes243. Les femmes continuent de subir de nombreuses restrictions dans toutes les sphères de la vie et, notamment, dans le monde des affaires. Dans le débat croissant qui entoure les réformes, la question se pose dès lors de savoir si ces contraintes résultent de devoirs islamiques ou de la culture et des traditions saoudiennes244. À ce sujet, ces femmes d’affaires ont déclaré «  qu’il faut distinguer la tradition de la religion  », rappelant les grandes différences existant entre les sociétés islamiques et insistant sur le fait que l’islam accorde les pleins droits aux deux sexes. Selon elles, les Saoudiennes sont «  en mouvement  » et commencent par exemple à siéger aux comités de développement local. Pourtant, leurs interventions reflétaient une certaine ambivalence au regard du chemin à suivre : «  Nous avons besoin de tant d’éducation [… , mais] nous ne voulons rien avoir à faire avec la politique  » a déclaré l’une d’elles. Elles seraient heureuses d’être représentées à la «  Choura  » (Conseil consultatif nommé par le roi), mais ce n’est pas, à l’heure actuelle, une priorité.

Une Américaine convertie à l’islam et résidant désormais en Arabie saoudite, Mme Maria Arena, consultante et conférencière en communications, a parlé de son arrivée dans ce pays comme musulmane, mais sans posséder le moindre «  bagage culturel  » en matière de culture arabe. Pour elle, le port du foulard islamique a été une décision personnelle «  libératrice  », même si d’autres ont pu trouver cela étrange. L’islam, selon elle, a donné des droits aux femmes et ce qu’il faut, c’est qu’elles les connaissent et les exercent. Elle a découvert, en Arabie saoudite, «  cachée sous la surface, une société de femmes vraiment dynamique  » et a pressé les étrangers de ne pas ignorer cette réalité. Une autre membre de la délégation a déclaré que les femmes font plus preuve de franc parler que les hommes dans les médias, et a manifesté sa ferme volonté de faire pression en vue d’obtenir des réformes en déclarant : «  N’attendez pas que cela se produise. Faites en sorte que cela se produise  ».

D’autres membres de la délégation se sont inquiétées de la façon négative dont l’Arabie saoudite est perçue à l’étranger. Après avoir souligné l’importance de la «  culture d’éthique et de patrimoine  » de l’islam, Mme Bandaggi a déclaré, sur le ton de la provocation : «  À mon avis, les femmes souffrent davantage en Occident qu’en Orient  ». Elle a pourtant reconnu, comme les autres, que les femmes d’affaires doivent relever un certain nombre de défis, car «  beaucoup d’obstacles  » se présentent sur leur chemin. Elles ont accueilli avec plaisir des signes de changement générationnel, tels que l’ouverture de certaines professions aux femmes, ainsi que d’autres signaux d’évolution, notamment le fait que les femmes sont désormais présentes dans les tribunes économiques annuelles et prennent de plus en plus la parole, ou exercent des pressions, en leur nom propre. Les femmes, ont-elles soutenu, doivent protester contre l’exploitation de l’islam en rejetant ce qui freine leur plus grande participation. Pour surmonter les pratiques tribales ou sociales rétrogrades, il est «  très important d’informer d’abord les femmes de leurs droits dans l’islam  ».

La délégation d’hommes d’affaires comptait plusieurs personnalités importantes, ayant souvent des liens avec l’Amérique du Nord (études ou affaires), dont certaines se sont prononcées clairement dans les médias saoudiens contre l’influence du radicalisme religieux et en faveur des réformes libéralisatrices. Au cours des conversations, ils ont également précisé que le Canada avait bien amélioré son image en décidant de ne pas participer la guerre en Irak, et se sont déclarés en faveur d’une plus grande présence canadienne, dans un rôle différent de celui des États-Unis, insistant sur le besoin d’accroître les échanges dans les domaines éducatifs et professionnels. M. Amr Khashoggi, président-directeur général du groupe Amkest, a déclaré que le Canada s’en tirait plutôt bien par comparaison aux États-Unis, dont l’approche est celle d’«  un éléphant dans un magasin de porcelaine  », ajoutant que «  les entreprises canadiennes disposent désormais de plus de débouchés dans son pays et que c’est une occasion que le Canada se doit de saisir  ».

Les participants ont dit craindre que toute la société ne pâtisse lorsque des terroristes exploitent la religion à leurs fins personnelles. Ils ont déploré les «  conflits  » idéologiques, de même que les stéréotypes négatifs véhiculés par les médias et dit se méfier des politiques et des motifs américains. M. Fahed Almougairin, président de Saudi Masar (société de marketing de produits de haute technologie), qui a vécu quelques années aux États-Unis, s’est plaint qu’«  [u]n nouvel empire dise maintenant vouloir démocratiser le monde  ». Il a déclaré que, à son avis, même si la majorité des musulmans sont très tolérants, il était moins optimiste qu’il y a dix ans. M. Oussama El Khereidji, comptable agréé chez Polaris International (dont un fils étudie à l’Université de Trent au Canada), s’est inquiété de l’impression que donne la politique du «  deux poids, deux mesures  » (déni des droits des détenus de Guantanamo), car, «  à défaut d’une justice pour tous, […] Ben Laden est un phénomène qui continuera de se reproduire  ». À son avis, «  les musulmans ont été les grandes victimes des événements du 11 septembre  ». Oui, il existe peut-être un problème dans les mosquées, mais les mosquées se comptent par centaines de milliers. Pourquoi prendre l’Arabie saoudite comme cible, mais fermer les yeux sur la politique de «  deux poids, deux mesures  » appliquée par les États-Unis? D’après lui, le «  blocage psychologique américain  » au sujet du conflit israélo-palestinien est «  l’une des causes du 11 septembre  ». Pour aller de l’avant, il faut «  trouver un moyen d’accroître les échanges  », de s’opposer aux mécanismes de sécurité de plus en plus nombreux qui coupent les canaux de communication, et consolider le système de l’ONU, plutôt que de s’en remettre à l’État le plus puissant.

Le groupe a reconnu les problèmes internes que connaît le pays. Le problème actuel, a déclaré M. Khashoggi, est un problème de «  ressources humaines  » : «  Nous n’avons pas beaucoup eu l’occasion de perfectionner nos ressources humaines, […] nous sommes conscients de ces problèmes et souhaitons y trouver des solutions, mais ces solutions doivent être élaborées par des gens d’ici et mises place selon un rythme qui soit acceptable pour la population (laissant ainsi entendre que le peuple pourrait être plus conservateur que ses dirigeants). M. Fahed Almougairin a également parlé «  d’une grande pauvreté sur laquelle nous avons fermé les yeux  » et du besoin de «  combattre l’extrémisme intérieur en remédiant à ces problèmes  ». Les témoins ont convenu que la participation de Saoudiens aux attaques terroristes a réveillé une société qui avait été jusque-là trop tolérante face aux manifestations violentes de l’islamisme. Ils se sont inquiétés du fait que les différences ont été exagérées par les extrémistes de tous bords. Comme l’a déclaré M. Khashoggi : «  Sommes-nous capables de respecter nos différences mutuelles?  »

Dans la capitale, Riyad, le Comité a eu plusieurs rencontres de haut niveau avec des membres des commissions du Majlis Al-Choura chargées des affaires étrangères et des affaires islamiques, avec le président de la Choura et avec le ministre des Affaires étrangères, le prince Saoud Al-Fayçal. M. Saleh Al-Malik a résumé l’évolution du Conseil depuis sa création en 1994, expliquant l’accroissement du nombre de ses membres et l’évolution de ses fonctions et de ses pouvoirs245. Il a été question, durant le séjour du Comité, de réformes du Conseil et, notamment, de l’élection d’un certain nombre de ses membres, de pouvoirs accrus au regard des finances de l’État, de la nomination de membres de sexe féminin et de la diffusion de certains débats à la télévision.

Les membres de la Choura étaient soucieux de mettre un terme aux récentes difficultés bilatérales causées par l’affaire Sampson (voir plus bas) et de renouer la coopération avec le Canada. Le Canada est considéré comme ayant gardé les mains propres, contrairement à d’autres grandes nations. Et, comme l’a déclaré M. Abdallah Ben Saleh Al-Obeid (ancien secrétaire général de la Ligue mondiale islamique) : «  Nous apprécions grandement votre position indépendante sur les questions arabes et internationales  ». Comme les gens d’affaires, ils étaient préoccupés par la réaction suscitée par le terrorisme, et M. Al-Obeid a fait remarquer que l’Arabie saoudite avait souffert «  plus que tout autre pays  ». Celui-ci, comme d’autres, a rejeté l’idée de tout lien entre les terroristes saoudiens et l’islam ou le régime. Les terroristes du 11 septembre «  étaient opposés au Royaume bien avant d’être opposés aux lois internationales, […] le roi ne peut être tenu responsable de ce qu’ils ont fait  ». Non seulement le 11 septembre fut-il «  un désastre pour tous  », a déclaré M. Abel Aziz Ben Ibrahim Al-Faiz, mais «  … nous avons été la cible d’une campagne médiatique qui m’a rappelé les jours les plus sombres de la Guerre froide  ». Le fait d’accuser les Saoudiens de soutenir le terrorisme, alors qu’ils en sont les victimes, est une erreur qui constitue une victoire pour Ben Laden en entraînant un affaiblissement des relations avec l’Occident qui rend la situation encore plus fragile et que nous devrons tous payer. Plutôt que de blâmer certains stéréotypes généraux de l’islam saoudien, les étrangers feraient mieux d’écouter ce qu’ont à leur dire les porte-parole habilités à s’exprimer au nom de la majorité des musulmans. Parallèlement, nos interlocuteurs ont reconnu que le pays connaissait d’importants changements et des réformes économiques profondes, et que la gestion des tensions intérieures était donc aussi importante que la perception de l’étranger.

Le thème du renforcement des relations avec le Canada, notamment au moyen d’échanges parlementaires, et de la lute commune contre l’extrémisme, notamment religieux, a continué d’être l’objet de discussions lors de la rencontre avec le président du Conseil consultatif, ou Choura, M. Salih Ben Abdallah Ben Hemaid246. La rencontre du Comité avec le ministre des Affaires étrangères, le prince Al-Fayçal, a permis de confirmer que le gouvernement saoudien était désireux de renouveler et de renforcer ses relations avec le Canada. Il a également souligné l’importance «  de la vérité entre amis : le véritable ami, c’est celui qui vous dit la vérité  ».

Le prince Saoud a fait remarquer que le terrorisme est un problème qui préoccupe l’Arabie saoudite, dans une région frappée par l’instabilité depuis cinq ou six décennies. Le Moyen-Orient doit mettre fin à cette succession infinie de conflits, comme l’Europe est parvenue à le faire. Toutefois, la région est actuellement en proie à l’extrémisme et les espoirs de justice des Palestiniens continuent d’être piétinés (il est fait mention de la dernière incursion militaire israélienne dans la bande de Gaza). L’Arabie saoudite a formulé des mises en garde contre une telle évolution, où les terroristes «  inefficaces  » d’hier sont remplacés par d’autres, «  plus professionnels  ». «  Il ne faut pas s’étonner que le terrorisme ait pris racine au Moyen-Orient. […] Nous menons une vaste guerre intérieure contre le terrorisme, alors même que nous subissons de profondes transformations socio-économiques.  »

Selon le prince Saoud, les causes premières du terrorisme en Arabie saoudite ne se trouvent pas dans les doctrines wahhabites, mais dans «  l’absence de règlement de la question israélo-palestinienne  » et dans l’influence des «  sectes militaristes quasi-religieuses  ». Le gouvernement saoudien «  a très clairement condamné la base religieuse des radicaux  ». Le prince a rappelé un discours du prince héritier Abdallah au Pakistan où il rejetait cette «  partie déviante de l’islam  ». Selon les termes mêmes du prince Saoud, «  il s’agit d’une lutte difficile qui est de notre devoir. […] Chaque jour, nous découvrons de nouvelles cellules et nous mettons à jour de nouvelles caches d’armes  ». À cet égard, il s’est prononcé en faveur d’une collaboration plus étroite avec le Canada et la collectivité internationale, et souhaiterait, en particulier, de meilleurs échanges de «  renseignements bruts  » entre les agences de renseignement, et cela, en temps voulu, avant que ne surviennent des attentats terroristes majeurs.

En ce qui a trait à la situation dans l’Irak de l’après-guerre, le prince Saoud a souligné qu’il était important d’établir un régime civil dans les meilleurs délais et de poursuivre les véritables criminels. Condamner tous les Baassistes (fonctionnaires de l’ancien régime) ferait qu’il ne resterait que trop peu d’Irakiens pour diriger l’État. L’invasion et l’occupation, en elles-même, ne donneront pas naissance à une meilleure société : le nouvel Irak doit se fonder sur la loi et sur un nouveau gouvernement, faute de quoi, il retombera dans le chaos ou dans la dictature.

De façon plus générale, le prince Saoud a affirmé que l’Occident doit s’efforcer de promouvoir la «  bonne gouvernance  » dans la région, plutôt que d’essayer de prescrire un certain idéal de «  démocratie  », ajoutant que «  [l]a séparation de l’Église et de l’État […] ne signifie rien ici  ». D’après lui, l’Arabie saoudite doit créer ses propres formes de bonne gouvernance (ajoutant qu’il existait moins de restrictions avant que l’Arabie saoudite ne devienne un État-nation et que, peut-être, «  il faudrait revenir à [cette] participation  ». Les réformes devront prendre en considération les points sensibles qui demeurent dans le domaine social. Il a pris l’exemple de l’arrivée de femmes diplomates au ministère des Affaires étrangères à laquelle des radicaux ont réagi en dénonçant dans leurs sites Internet le ministère comme étant un «  repère du péché  ». Il existe également un code vestimentaire, pour les hommes comme pour les femmes. Le tournant décisif, en matière de droits de la femme, se produira dans le domaine de l’éducation, et ce sont les femmes elles-mêmes qui lutteront pour leur droits. Toutefois, il le rappelle, la société saoudienne n’est pas «  expérimentatrice  » par nature et, compte tenu des craintes populaires concernant les effets permissifs de la modernisation, l’accroissement de la participation des femmes devra se faire selon des modalités garantissant le maintien de la «  cohésion sociale  ». Enfin, «  un phénomène étrange  » veut que, d’après lui, la majorité des hommes accorderait le droit de vote aux femmes, tandis que la majorité des femmes s’y opposerait.

En ce qui concerne le renforcement des relations bilatérales avec le Canada, le prince Saoud a souligné que «  … les étudiants d’Arabie saoudite sont désormais nombreux à se rendre au Canada et y trouvent un accueil chaleureux et réconfortants (ils sont 3 000 dans le seul domaine médical)  ». Cette déclaration confirme le discours de nos autres interlocuteurs saoudiens au sujet de l’importance qu’ils attachent à l’accès à l’éducation et aux échanges universitaires pour l’établissement de bonnes relations.

La question du renforcement des liens éducatifs, interculturels et interconfessionnels a également été au cœur des rencontres suivantes avec M. Hamid Ben Ahmad Al-Rifaie247, président du Forum islamique international pour le dialogue et secrétaire général adjoint du Congrès du monde islamique, ainsi qu’avec des enseignants de l’Université du roi Saoud et de l’Université islamique Imam Mohammed Ben Saoud. M. Al-Rifaie a surtout insisté sur l’importance de favoriser un dialogue ouvert fondé à la fois sur la reconnaissance des points communs pouvant exister entre les cultures, mais aussi sur l’acceptation des différences de perspective culturelles et politiques. Il s’est cependant opposé à l’idée qu’un modèle occidental de sécularisation soit nécessaire à l’établissement d’un modèle islamique de libéralisme et de démocratie qui n’en respecterait pas moins l’élément foi qui demeure au cœur de la vision saoudienne du contrat politique unissant le gouvernement aux citoyens.

Les universitaires se sont montrés très ouverts à propos des défis que présentent les réformes en matière d’éducation ainsi que celles devant assurer une libéralisation et une démocratisation du pays. Certains ont ouvertement admis le besoin de «  modifier la carte politique  », pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux, ajoutant que le pouvoir religieux s’accroît lorsque le pouvoir politique semble faiblir. Parmi d’autres «  bombes à retardement  », on notera la menace représentée par les seigneurs tribaux ou les radicaux religieux. Tout en reconnaissant le besoin d’entreprendre une réforme des institutions saoudiennes, et notamment des institutions éducatives et religieuses, ils ont également demandé aux Canadiens de les aider à combattre, et à dépasser, les stéréotypes médiatiques qui décrivent l’Arabie saoudite comme une société fermée et statique, alors qu’elle connaît en réalité une phase de changement rapide. M. Mishary Al-Mouairi, professeur en communications de masse à l’Université du roi Saoud, a mentionné les progrès en matière d’éducation des femmes et le grand nombre d’étudiants saoudiens poursuivant des études à l’étranger, ajoutant qu’il existait une «  interpénétration des médias plus rapide que n’importe où ailleurs dans le monde  ». Son conseil, en matière de soutien aux réformes, a été le suivant : «  Ne pas tout laisser entre les mains des politiciens. […] Inciter de nombreuses délégations canadiennes à se rendre dans les universités saoudiennes pour favoriser une meilleure compréhension.  »

D’autres universitaires ont repris ce plaidoyer en faveur d’échanges universitaires accrus et d’autres formes de contact tenant compte de la place stratégique qu’occupe l’Arabie saoudite au sein de l’Islam. Comme l’a déclaré l’un d’entre eux, «  il est très important que nos amis occidentaux nous aident dans notre lutte  ». Ne pas parvenir à comprendre les musulmans dans leur majorité et à travailler avec ceux-ci serait faire le jeu des radicaux. Comme l’un d’eux l’a fait remarquer, «  les pays occidentaux ne peuvent, à eux seuls, gagner la lutte contre le terrorisme  ». Bien sûr, l’Arabie saoudite connaît des problèmes internes. Il a été rappelé que 1 100 imams avaient été démis pour sympathies avec les extrémistes, mais aussi que ceux-ci ne constituaient qu’une minorité minime. (Une partie du clergé radical a renoncé à ses vues extrémistes : lors du pèlerinage, ou «  hadj », à Mecque, au début de 2004, le grand mufti, le cheikh Abdel Aziz Al-Cheikh, a violemment dénoncé le terrorisme tout en défendant le wahhabisme248.)

Les interlocuteurs du Comité se sont également entendus pour déclarer qu’il était nécessaire que les réalités saoudiennes soient mieux comprises à l’étranger. En réponse à la suggestion de créer un Centre d’études islamiques dans le Royaume, M. Abdallah Al-Askar, renvoyant habilement la balle, a déclaré : «  Nous en savons beaucoup plus sur le Canada que le Canadien moyen en sait sur l’Arabie saoudite  ». Cela dit, il est clair que les professionnels saoudiens sont désireux de maintenir des contacts au niveau de l’éducation et que la question de l’obtention des visas d’étudiant est devenue particulièrement importante pour eux à la suite des événements du 11 septembre, le Canada étant perçu comme plus amical pour les étudiants saoudiens que son voisin. Comme l’a déclaré le M. Al Khalil, «  nous ne voulons pas que le syndrome américain de la sécurité se transmette au Canada  ».

Le cas de William Sampson et les droits de la personne en Arabie saoudite

William Sampson, l’un des milliers de Canadiens travaillant en Arabie saoudite, a été arrêté en décembre 2000 et accusé d’avoir comploté le meurtre d’un Britannique. Au début de 2001, la télévision saoudienne a diffusé une confession dont M. Sampson affirme qu’elle a été obtenue au moyen de tortures graves. M. Sampson a par la suite été reconnu coupable de ce crime et condamné à mort, une sentence qui, en Arabie saoudite, donne lieu à une décapitation publique. Protestant du caractère injuste de sa condamnation et des mauvais traitements subis en prison, M. Sampson a refusé toute coopération avec les autorités saoudiennes jusqu’à sa libération subite, le 7 août 2003, accompagnée de celle d’autres prisonniers condamnés dans le même dossier. Durant son incarcération, des efforts ont été déployés au Canada, et notamment par un membre de ce Comité ainsi que par le secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères particulièrement chargé des Canadiens à l’étranger, afin d’intercéder en sa faveur. Bien que M. Sampson eût exprimé sa gratitude envers les responsables politiques canadiens qui ont défendu sa cause, il a accusé les autorités canadiennes de ne pas avoir su lui offrir, ainsi qu’à sa famille, un soutien adéquat durant le supplice de son emprisonnement. Il a répété ces accusations, et demandé réparation, durant le témoignage émouvant qu’il a présenté devant le Comité à son retour d’Arabie saoudite249.

Nos interlocuteurs se sont révélés, durant nos audiences à Djedda et à Riyad, très peu enclins à critiquer la condamnation de M. Sampson. (L’un d’entre eux a cependant déclaré espérer que «  parfois, le bien sorte du mal  », voulant indiquer par-là que les mauvais traitements subis en prison par M. Sampson en tant que ressortissant étranger pourraient attirer une attention élargie sur les droits et les conditions des prisonniers en Arabie saoudite.) Les représentants politiques saoudiens ont regretté le report de la visite bilatérale prévue en raison de l’émotion suscitée (chez eux) par la controverse entourant l’affaire Sampson et par la publicité négative causée au Canada par ses accusations au sujet de sa condamnation injuste et des tortures subies. Néanmoins, rien n’a semblé indiquer que nos interlocuteurs fussent enclins à envisager que ses accusations puissent être fondées.

Il est apparu clairement, au cours de la rencontre du Comité avec le président et des membres du Conseil consultatif, ou Choura, que les Saoudiens continuaient de penser que, Sampson ayant été reconnu coupable d’un meurtre selon leurs procédures judiciaires, il n’aurait pas été approprié d’interférer. Ils ont cherché à coopérer avec les autorités canadiennes, mais tout recours pour M. Sampson dans le cadre du système judiciaire islamique reposait sur l’obtention d’une entente avec la famille britannique de l’homme assassiné (qui a été la clé de sa libération finale). Ils ont affirmé que M. Sampson n’avait pas su apprécier les efforts déployés en sa faveur et qu’il avait refusé de coopérer. Il était manifeste que ses allégations ultérieures avaient suscité de vifs ressentiments. À leurs yeux, le verdict de culpabilité de Sampson a été le résultat d’une application en bonne et due forme de la loi et l’Arabie saoudite a été injustement calomniée. Comme il a été affirmé : «  Nous croyons qu’il a été utilisé par les hommes politiques et par les médias canadiens pour fausser l’image du Royaume.  »

Il est bien évident que la reprise des relations bilatérales demeurera problématique tant que justice n’aura pas été rendue dans le cas de M. Sampson. Le Comité est d’avis que le gouvernement saoudien a le devoir d’entreprendre une enquête approfondie en vue de répondre à des accusations extrêmement graves de déni de droits fondamentaux et de recours à la torture. À cet égard, le gouvernement canadien devra saisir toutes les occasions qui se présenteront de rappeler aux autorités saoudiennes leurs obligations juridiques nationales et internationales et, notamment, leurs devoirs au regard de la Convention contre la torture. Il ne suffit pas de ratifier des traités sur les droits de la personne, encore faut-il qu’ils soient respectés dans les faits.

Nous ne recommandons pas, sur la question du respect par l’Arabie saoudite des droits d’un citoyen canadien et des droits de la personne en général, d’adopter une attitude de confrontation contre-productive. Rendre justice à M. Sampson, comme adopter des réformes en matière de droits de la personne, doit être présenté comme offrant des avantages pour toutes les parties en présence. Toutefois, le Canada doit clairement faire savoir qu’il se trouve du côté de la justice et des droits de la personne. En février 2004, M. Sampson et six Anglais détenus avec lui en Arabie saoudite ont annoncé une action au civil devant les tribunaux britanniques pour demander à l’Arabie saoudite réparation et indemnisation pour la torture qu’ils prétendent avoir subie250. Par ailleurs, si M. Sampson ou sa famille envisageaient la possibilité de déposer une plainte en Arabie saoudite, le gouvernement canadien se devrait de leur apporter son soutien en la matière.

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

Comme l’ont prouvé le cas troublant de M. Sampson et les suites qu’il continue d’avoir, ramener les relations du Canada avec l’Arabie saoudite à un niveau plus constructif et plus harmonieux requerra des efforts diplomatiques et des preuves de bonne volonté. Nous reconnaissons toutefois l’importance qu’a l’Arabie saoudite dans le monde musulman et en tant que pays avec lequel le Canada, et des milliers de Canadiens, ont des liens privilégiés. Il existe entre le Canada et l’Arabie saoudite des intérêts réciproques, mais aussi des sources d’irritation. L’on se doit d’établir une plus grande coopération dans notre lutte commune contre le terrorisme. L’on se doit également d’inciter l’Arabie saoudite à relever le défi que représentent des réformes, dans les domaines éducatif, socio-économique, juridique et politique, que de nombreux Saoudiens considèrent eux-mêmes comme plus que nécessaires, mais que leurs institutions éprouvent de réelles difficultés à mettre en place avec succès dans le cadre d’une transition paisible. Il faut que l’Arabie saoudite participe aux dialogues internationaux portant sur la question des relations avec le monde musulman qui font l’objet du présent rapport. Il faut enfin encourager, dans le domaine de l’éducation et de la culture, des échanges qui, nous l’espérons, contribueront à l’édification d’un avenir meilleur, et plus sûr, pour les citoyens de nos deux pays.

RECOMMANDATION 10

Le gouvernement du Canada devrait exhorter l’Arabie saoudite à s’attaquer aux racines du terrorisme et de l’extrémisme religieux à l’intérieur de ses frontières et offrir la collaboration du Canada dans le cadre d’efforts communs visant à combattre le terrorisme et l’extrémisme. Il devrait aussi rechercher activement toutes les occasions de favoriser le dialogue et d’établir des liens avec l’Arabie saoudite. Le Canada devrait, en particulier :

  fermement encourager les changements pouvant amener des réformes dans les domaines des droits de la personne, de la démocratie et de l’éducation comme étant dans l’intérêt de l’Arabie saoudite;
  explorer la possibilité d’échanges accrus dans les domaines intellectuel, éducatif, culturel et politique.

RECOMMANDATION 11

Le gouvernement du Canada devrait parallèlement continuer d’exercer des pressions sur le gouvernement de l’Arabie saoudite afin que ce dernier mène une enquête approfondie en réponse aux accusations de déni de justice et de torture formulées par le citoyen canadien William Sampson et qu’il se conforme en toute chose à ses obligations internationales en matière de droits de la personne. Jusqu’à ce que justice soit rendue, et perçue comme telle, les relations bilatérales ne pourront se développer de façon aussi constructive qu’elles le devraient, d’après nous, dans l’intérêt des deux pays.

Égypte

Avec une population de 75 millions d’habitants, dont la vaste majorité sont des musulmans sunnites, l’Égypte est le pays le plus peuplé du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Pays relativement pauvre, l’Égypte subvient difficilement aux besoins d’une population de plus en plus jeune. Héritière d’une des plus grandes et des plus anciennes civilisations, elle est un des éminents dépositaires de connaissances et de cultures du monde arabe et musulman.

L’Égypte moderne a un lourd passé : époque pharaonique, colonisation, puis indépendance et nationalisme arabe251. L’Égypte a été le premier État arabe à faire la paix avec Israël, mais cette «  paix froide  » demeure controversée. En effet, son auteur, le président Anouar el-Sadate, a été assassiné en 1981, et les radicaux islamistes ont usé de tactiques fondées sur la terreur dans leur lutte contre un État répressif et autoritaire. Une loi d’urgence suspendant les droits civils a été maintenue pendant des décennies. Le pouvoir politique est fortement concentré entre les mains du président Hosni Moubarak, qui a succédé à Sadate en 1981. Dans les faits, l’Égypte a un régime présidentiel; le Parti national démocratique qui est au pouvoir a remporté 388 des 444 sièges à l’Assemblée du peuple lors des élections de novembre 2000252. Toutefois, alors que le scepticisme règne quant à la capacité du régime d’entreprendre de véritables réformes politiques internes, le débat sur la succession est lancé253.

L’ex-ambassadeur du Canada Michael Bell a décrit le «  modèle égyptien  » comme étant «  fondé sur le principe qu’il ne faut pas établir d’institution indépendante et que le pluralisme doit être très restreint. Le pays est doté d’un Parlement et l’on y tient des élections, mais ces élections sont largement contrôlées. Un petit nombre de représentants de l’opposition sont élus et la presse a un semblant de liberté, et elle critique parfois une politique gouvernementale ou l’autre, mais cette liberté est très restreinte254  ». Le système de sécurité nationale est imposant et les prisonniers politiques se comptent par milliers. M. Bell a cité le cas bien connu du défenseur des droits de l’homme et de la démocratie, Saad Ibrahim, «  intellectuel égyptien qui a été emprisonné par les autorités légales du régime Moubarak parce qu’il a accepté des fonds américains pour administrer son ONG […] Sous le régime de Saddam Hussein, Saad Ibrahim aurait été tué. En Égypte, […] il a été finalement libéré. L’effet a toutefois été semblable. «  Il voulait tracer une ligne rouge et signaler que les réformateurs de la société civile ne peuvent pas dépasser certaines limites et que, s’ils vont trop loin dans leur promotion du pluralisme, ils s’exposent à des sanctions255  ».

La grande question qui se pose avant de procéder à toute réforme politique en Égypte est de savoir si elle peut satisfaire, en fin de compte, une opposition islamique croissante, nourrie par la colère que ressent la population face aux échecs de l’État laïc établi après Nasser. Les tentatives du régime pour contrôler l’influence religieuse et éliminer le radicalisme religieux pourraient contenir cette opposition à court terme, mais elles ne répondent pas aux demandes croissantes de réformes démocratiques et sociales. Le rôle de modérateur que pourraient jouer les Frères musulmans, mouvement fondé en Égypte durant les années 20 et qui s’est propagé dans le monde musulman arabe, mérite d’être examiné à cet égard. Depuis quelques années, les Frères ont renoncé à la violence politique et cherchent à travailler dans les limites du système politique (au risque de perdre du terrain en Égypte au profit de groupes islamistes plus radicaux tel Al-Gama’at Al-Islamiyyah, responsable des attentats terroristes contre des touristes étrangers à Luxor en novembre 1997)256. Ce qui semble être une véritable transformation est important compte tenu que de l’influence idéologique que les Frères exercent dans le monde musulman, comme l’indiquait au Comité Mazen Chouab du National Council on Canada-Arab Relations257. Pourtant, en Égypte, même si les Frères constituent en effet le plus important groupe d’opposition à l’Assemblée du peuple, ses députés élus doivent siéger comme indépendants parce que les Frères ne forment toujours pas un parti reconnu légalement.

Même si les autocraties arabes comme l’Égypte continuent de chercher à museler les mouvements démocratiques et islamiques contestataires, ils perdent en général du terrain dans le cœur et l’esprit de la population. La description de la situation de l’Égypte par Michael Bell mérite d’être citée intégralement.

Des mouvements islamistes — les Frères musulmans en Égypte, par exemple — offrent des services sociaux, des services éducatifs et des services de santé ainsi que d’autres services avec beaucoup plus de rapidité et de pertinence que le gouvernement. Ils font donc des adeptes à cause de leur efficacité. Ils ne souffrent pas de sclérose. Cette efficacité est un facteur très important pour s’assurer la loyauté du peuple.

Les régimes du Moyen-Orient seraient heureux de se débarrasser des Frères musulmans s’ils le pouvaient, même si ce groupe est actuellement toléré … parce qu’ils sont tout aussi opposés à de telles organisations qu’ils le sont à un Saad Eddin Ibrahim ou aux gauchistes ou réformistes laïques. Cette organisation est toutefois l’appui de la religion. Aucun gouvernement du Moyen-Orient ne peut prendre de mesures radicales contre un mouvement qui s’identifie avec l’Islam. L’ironie veut que, dès lors, des mouvements radicaux veuillent remplacer le régime — ils modifient, bien entendu, leur discours et se présentent comme de fervents partisans de la démocratie, par exemple — et un gouvernement qui a peur de les écraser à cause de leur affiliation religieuse.

Par conséquent, la seule opposition légitime possible passe par ces mouvements. Si vous voulez faire partie d’un mouvement laïc et si vous voulez par exemple créer une organisation dans le but de protéger les arbres dans votre quartier, on vous empêchera de le faire. On ne peut toutefois pas se débarrasser aussi facilement des organisations islamiques en raison de leurs liens avec les musulmans258.

Selon certains observateurs, la société égyptienne «  s’islamise  » de plus en plus et est influencée par le wahhabisme du pays voisin, l’Arabie saoudite, où bon nombre d’Égyptiens cherchent du travail temporairement pour ensuite revenir chez eux. Une des manifestations les plus patentes de l’influence de la religion, c’est le nombre grandissant de femmes voilées. Ce phénomène pourrait être interprété dans un sens comme le signe précurseur de formes plus radicales de l’Islam. Pourtant, comme le soulignait Michel de Salaberry, ambassadeur du Canada, devant le Comité au Caire, ce pays est très pacifique; pendant 7 000 ans, il a connu des récoltes assurées. Selon lui, il ne faut pas s’attendre à une révolution islamique, ce qui serait contraire au tempérament national de l’Égypte. De plus, les islamistes qui disent que le Coran est la solution n’ont pas de programme cohérent à offrir.

L’ambassadeur de Salaberry a ajouté que la guerre en Irak a donné un regain de vigueur à l’opposition en Égypte, comme ailleurs au Moyen-Orient. La situation est loin d’être stable et d’être réglée; les perspectives de réforme politique sont vagues. Même si les Égyptiens saluent la décision du Canada de ne pas participer à cette guerre, notre pays comme d’autres, devrait, dans ses relations avec la société et l’État égyptiens, composer avec les turbulences de plus en plus manifestes qui secouent les régimes non démocratiques du monde arabe.

Témoignages entendus en Égypte

Plusieurs éminents observateurs politiques ont renseigné le Comité de façon pertinente sur les perspectives de réforme dans le contexte national et international actuel auquel les Égyptiens font face. Mme Hala Mustafa, directrice du département de sciences politiques, au Centre d’études politiques et stratégiques Al Ahram, et rédactrice en chef de la revue trimestrielle Démocratie, se demande pourquoi le monde arabe semble avoir été oublié par ce qui a été qualifié de «  troisième vague  » de la démocratie259. Elle a pointé du doigt les éléments «  antilibéraux  » qui ne sont «  pas ouverts à une diversité d’opinions  » et qui sont moins réceptifs à un processus de libéralisation politique fondée sur les notions de droits de la personne et de valeurs laïques. En Égypte, on s’est orienté vers le constitutionalisme libéral moderne au cours des années 20 et 30, mais ce mouvement a été abandonné dans les années 50 par le projet de modernisation pan-arabe de Nasser. L’échec de ce dernier modèle durant les années 70 a entraîné dans la population une réaction islamiste radicale, ce qui a eu pour résultat que les tendances «  antilibérales, antidémocratiques  » sont «  profondément enracinées dans la culture politique  ».

La question clé est donc de savoir comment rompre cette tendance. Pour les réformateurs démocratiques, le paradoxe vient de ce que l’ouverture du processus électoral dans les circonstances actuelles favoriserait, selon le témoin, l’emprise des islamistes. Par conséquent, ce n’est pas la solution pour établir une démocratie stable et durable. La solution consiste à proposer à la société un projet de libéralisation comportant entre autres une réforme du système d’éducation et la participation des femmes. (À cet égard, les islamistes interprètent, selon elle, le port obligatoire du foulard comme un symbole visible de leur objectif d’islamisation de la société.) Malheureusement, le gouvernement réprime le mouvement islamiste en frappant brutalement (quand son autorité est menacée) sans contester les théorie fallacieuses de l’idéologie islamiste ni se soucier des droits des femmes. En fait, il semble que les deux parties rivalisent entre elles pour représenter «  légitimement  » l’Islam. La grande préoccupation de Mme Mustafa, c’était l’état d’esprit collectiviste antilaïc prenant la forme d’une politisation de l’islam qui menace les libertés individuelles. Elle a dit douter que le changement puisse venir de la base, et s’attend plutôt que l’élite réformiste laïque soit l’agent de changement libéral-démocratique.

M. Osama Al-Ghazali Harb, membre du Conseil de la Choura, rédacteur en chef de l’International Politics Journal et secrétaire général du Conseil égyptien des affaires étrangères, a prôné une position un peu différente, soutenant que nous avons tort de penser que le monde islamique est toujours en conflit avec l’Occident. C’est la dissolution anarchique de l’empire ottoman, suivie d’une colonisation difficile, qui a contribué à tant de conflits. Plus que toute différence de culture, ce sont ces facteurs politiques qui sont les principales causes, notamment du conflit israélo-palestinien. Il s’est dit également inquiet de certaines attitudes parfois observées chez des Américains bien informés (par exemple, celle de Fareed Zakaria, dans un article du numéro de Newsweek du 27 octobre concernant l’affaire Boykin260). L’ignorance manifeste qui ressort d’un commentaire comparant le Dieu islamique à une idole illustre bien qu’il s’agit d’un problème de perception. Cela alimente la théorie selon laquelle il faut trouver un nouvel ennemi, puisque la guerre froide est terminée, et l’islam fait parfaitement l’affaire (comme si Ben Laden venait plus ou moins confirmer la thèse d’un choc inévitable de Huntington).

M. Harb a admis que les problèmes de l’Égypte ont été exacerbés par l’influence de l’interprétation pure et dure de l’islam prônée par l’Arabie saoudite, par rapport à des interprétations plus libérales et tolérantes, mais il a précisé que certains enjeux, comme le conflit israélo-palestinien, ravivent l’idéologie islamiste et contribuent au déficit démocratique de la plupart des pays arabes musulmans. Il a soutenu que nous payons le prix des intérêts stratégiques des grandes puissances — anticommunisme, approvisionnement sûr en pétrole, soutien d’Israël — qui ont parfois poussé les États-Unis à conclure des marchés avec des dictatures réactionnaires et à contribuer paradoxalement à contribuer à créer des terrains fertiles au genre de violence qu’ils combattent maintenant. (À noter que M. Harb a affirmé qu’il était un des rares Égyptiens à s’être prononcés en faveur d’une intervention militaire pour débarrasser l’Irak du régime de Saddam Hussein.)

Selon M. Harb, c’est à eux qu’il appartient de construire des démocraties, mais nous pouvons aider à mettre en place des conditions favorables et la résolution du conflit israélo-palestinien est déterminante dans la préparation d’un terrain propice à la libéralisation et à la démocratisation. Il a ajouté que c’est cela qui explique essentiellement la myopie des États-Unis et la popularité des Islamistes radicaux dans la région. L’Égypte ne voit pas pour le moment de modèle acceptable d’État musulman libéral et démocratique (celui de la Turquie a été rejeté comme inapplicable), pourtant ce pays pourrait devenir pour les autres le modèle le moins coûteux (notamment par rapport à l’expérience «  très coûteuse  » de la démocratisation de l’Irak). L’Égypte était au début d’une phase critique dans le développement de sa propre démarche de réforme. Le pays aurait à composer avec son passé pharaonique antérieur à l’Islam en plus des débats propres à ce dernier. N’oublions pas que le peuple ne naît pas démocrate. Il doit apprendre ce qu’est la démocratie.

Ce qui se dégage de ces observations, c’est que, pour être authentique, une démocratie à tendance islamique doit présenter certains éléments de base d’une démocratie. L’attrait qu’exercent les Islamistes tient en grande partie à leur préoccupation pour le peuple (les gouvernements n’arrivant pas à répondre aux besoins de la population) dans le cadre de leur stratégie de mobilisation politique. Tout mouvement de libéralisation de la société civile devra examiner les causes de cet attrait et gérer la période de transition entre l’autoritarisme d’aujourd’hui et la démocratie de demain. M. Harb a mentionné les nouvelles générations de forces islamiques qui semblent ouvertes aux idées démocratiques : un pas dans la bonne direction même si cela reste à confirmer. Contrairement à Mme Mustafa, il ne craint pas des élections libres, surtout si, pour les Islamistes, la question israélo-palestinienne ne se posait plus. À cet égard, il a exhorté le Canada à insister auprès des Américains pour qu’ils usent de leur influence. Pour éviter le vide politique, il faut favoriser un mouvement de réforme démocratique authentique dans l’ensemble de la société et pas seulement chez les élites laïques.

La discussion informelle que le Comité a tenue avec plusieurs parlementaires égyptiens a confirmé les aspirations et les tensions que suscitent les réformes. M. Hossam Badrawi, secrétaire général du parti au pouvoir et président de la Commission de l’éducation à l’Assemblée du peuple, a traité d’un nouveau mandat pour le parti lui assurant des liens avec la société civile ainsi que d’une ouverture aux idées des groupes de l’opposition au Parlement. M. Morsy El-Aiat, reste toutefois sceptique quant à une telle ouverture. Le témoin, ingénieur et membre de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée, qui siège comme indépendant mais appartient aux Frères musulmans et dirige leur groupe de 17 députés au Parlement, estime que les voies démocratiques font défaut, à preuve les difficultés qu’il connaît comme député pour faire inscrire son propre groupe politique. La libération récente de 3 000 prisonniers politiques a été à son sens un geste humanitaire constructif261, mais qui ne constituait pas un vrai pas en avant dans la voie de la réforme —  c’était plutôt en fin de liste des mesures à prendre pour réformer notre société. Quant aux craintes d’une prise de contrôle par les Islamistes en cas d’élections libres, elles sont pour lui exagérées262.

Les parlementaires qui ont témoigné devant le Comité étaient unanimes : ils sont heureux que le Canada se distingue dans sa vision du monde musulman, qualifié, par M. Mounir Fakhry Abdel-Nour, chef du groupe parlementaire de l’opposition wafdiste à l’Assemblée du peuple, de grand théâtre où se jouent les problèmes mondiaux (Un des deux seuls coptes, ou chrétiens d’Égypte, élus au Parlement, il a expliqué qu’il est sincèrement attaché au monde musulman sur les plans culturel et social.) Pour M. Abdel-Nour, la vision canadienne est plus saine que celle des États-Unis; il a émis l’espoir que le comportement du Canada influe sur celui d’un gouvernement américain souvent aveuglé par ses intérêts économiques. Il a ajouté que l’Égypte a été ouverte de tout temps aux autres cultures et constitue la preuve vivante que la thèse du choc des civilisations ne tient pas, car elle est le reflet d’une série de dialogues entre différentes civilisations qui présentent une complémentarité évidente. Craignant que la réaction aux politiques occidentales ne mène à un extrémisme dangereux, il a insisté pour que soit prises en compte les raisons pour lesquelles l’islam est devenu le point de ralliement des opposants à ces politiques.

Le Comité a pris directement connaissance des préoccupations du gouvernement égyptien lors d’un long entretien avec le ministre des Affaires étrangères, M. Ahmed Maher El Sayed; après avoir salué les visites et les études des parlementaires comme moyen de supprimer les stéréotypes véhiculés par les médias263, il a déclaré qu’il était normal que les musulmans soient irrités par les malentendus et la politique de «  deux poids, deux mesures  ». L’important, c’est un vrai dialogue, une discussion franche et honnête dénuée de préjugés.

Les propos du ministre El Sayed portaient essentiellement sur le conflit israélo-palestinien et la recherche constante de la paix au Moyen-Orient, pour laquelle il n’entretient pas beaucoup d’espoir, mettant en doute, ce qui n’étonnera personne, les politiques et les actions du gouvernement israélien, notamment en ce qui concerne la construction du mur de sécurité. Nous approfondirons cette question dans la section suivante du rapport et nous citerons le ministre plus complètement. Il suffit de dire que le climat actuel ne semble pas très propice aux ouvertures politiques. À noter que, à la suite des tentatives de l’Égypte de négocier un cessez-le-feu, M. Sayed a été blessé lors d’émeutes à Jérusalem, les Palestiniens ayant mal réagi à sa rencontre avec le premier ministre israélien, Ariel Sharon, à la fin de décembre 2003264.

Concernant la situation en Irak, même si personne ne s’est attristé du départ de Saddam, le principal objectif de l’Égypte était la reprise du contrôle par les Irakiens. Selon M. Sayed, les troupes américaines ont fait la preuve de leur ignorance des coutumes locales et ont commis bien des erreurs. Les Irakiens doivent reprendre le contrôle dans le cadre d’un échéancier bien défini (étant donné que la controverse concernant la proposition de déploiement de troupes turques avait constitué pour le Conseil de gouvernement intérimaire irakien une occasion de s’affirmer). Quant à l’organisation future de l’Irak, il était risqué de parler d’une fédération, mais il fallait trouver un moyen pour regrouper en coalition les forces en présence. Il n’appartient pas à des étrangers de décider de la forme finale d’un futur État irakien. La Ligue arabe, de concert avec l’OCI et l’ONU, admet que l’Irak doit être représenté comme un État souverain, ce qui suppose donc qu’on mette fin à l’occupation le plus tôt possible.

Quant aux perspectives de démocratie au Moyen-Orient, M. El-Sayed a convenu que l’ensemble du monde arabe a besoin de réformes. Il a reconnu que l’Égypte avait beaucoup mieux à faire que de prétendre que le pays doit adopter un rythme acceptable pour la population et qu’aucune réforme ne doit sembler être imposée de l’extérieur. Les progrès réalisés en matière de démocratie et de droits de la personne l’ont été par conviction intérieure. Il a condamné les initiatives américaines en matière de démocratie, comme si on pouvait imposer la démocratie pour 29 millions de dollars (faisant ainsi allusion aux fonds que les États-Unis destinaient à l’Égypte pour des programmes de démocratisation). Il est plus dangereux d’agir ainsi que de ne pas agir. Par ailleurs, il salue les efforts de collaboration en matière de réforme, citant un projet mené conjointement avec l’UE pour créer un institut voué au dialogue entre civilisations et une bibliothèque à Alexandrie. Ce qui ne fonctionnera pas, c’est qu’une puissance impose le modèle à suivre. À preuve, le ressac provoqué par les pressions américaines visant à réformer l’éducation islamique. Selon le ministre, le mouvement d’appui à une réforme évolutive de l’extérieur devait être marqué au coin de la discrétion, de la subtilité et de la patience; pour mettre fin à tout appui au terrorisme, il fallait en rechercher les véritables motifs et éviter de diaboliser la thèse opposée.

Le Comité a entendu l’exposé sur une société civile dynamique de Mme Iman Bibars, directrice générale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord du Centre Ashoka (organisme voué à l’innovation dans le développement) et actuelle présidente de l’Organisation pour le développement et l’avancement des femmes265. Elle a expliqué que les objectifs de son ONG étaient l’habilitation de la femme et la défense de ses droits; elle a donné pour exemple l’adoption, après dix ans de lutte, d’une nouvelle loi donnant aux femmes le droit de transmettre leur nationalité égyptienne à leurs enfants (privilège autrefois réservé aux hommes). La constitution de l’Égypte prévoit en principe des droits égaux pour les femmes, mais il y a beaucoup de lacunes et de discrimination dans la pratique. À son avis, il ne s’agit pas tant d’une question de collectivisme social que du résultat d’un État autoritaire qui nie les droits des personnes.

Le vrai problème, selon elle, c’est que l’idée de bien public a pris du plomb dans l’aile. Le gouvernement et les groupes de femmes ne sont souvent pas sur la même longueur d’onde concernant les droits de la personne, et certains voient dans ce qui vient de l’Ouest un cas extrême de «  deux poids deux mesures  ». Pour les femmes pauvres des bidonvilles, la grande priorité, ce sont les droits économiques, et ce n’est qu’après qu’elles se soucieront de voter. Pour les femmes de la classe moyenne libérale, l’accent est aussi mis sur les gains concrets, mais, sur le plan politique, la politique de «  deux poids, deux mesures  » qui transpire du discours occidental sur les droits de la personne cause encore de grandes confusion et déception. Au lieu de subordonner les relations avec l’Égypte au respect de certains critères relatifs aux droits de la personne, elle propose que les pays comme le Canada choisissent les meilleures des ONG qui travaillent sur le terrain avec la population de manière véritablement novatrice. L’important, c’est de travailler à la façon égyptienne, en mobilisant la population et en encourageant le moteur du changement de l’intérieur. Mme Bibars a aussi plaidé en faveur d’un financement soutenu, fondé sur une compréhension intelligente et sélective de la collectivité (citant comme modèles des projets financés par la Fondation Ford et l’Union européenne).

Questionnée sur le fait que le gouvernement arabe utilise comme excuse le conflit israélo-palestinien pour détourner l’attention des problèmes intérieurs, Mme Bibars a souligné que la colère populaire que suscitent les injustices apparentes subies par des frères arabes est réelle et répandue, et non limitée à des groupes islamistes. Il reste beaucoup à faire pour redorer l’image de l’Occident, même aux yeux de ceux qui croyaient aux idéaux de démocratie libérale de l’Occident. Le Canada est encore bien vu, mais la bonne foi des États-Unis n’est pas prise au sérieux et l’on s’oppose à une éventuelle américanisation de la région.

En ce qui concerne les dangers de l’islamisation, y compris pour les droits des femmes, elle a répondu : «  Ce qui est attirant chez les Islamistes, ce ne sont pas les valeurs collectives, mais l’intérêt personnel. Ils se préoccupent sur le plan social et matériel des femmes, qui n’avaient ni droits ni mot à dire. Bref, les Islamistes leur donnent des choses qui ont une véritable valeur et ils sont très organisés en matière de développement communautaire. Il y a ici une fracture sociale, car ce sont les femmes occidentalisées des classes moyenne et supérieure qui ont peur de perdre leurs droits. Le 11 septembre a servi de prétexte pour briser le militantisme islamique266, mais si les militants ont perdu du terrain dans la société, c’est davantage à cause des effets du terrorisme intérieur d’avant le 11 septembre qui ont pratiquement fait disparaître l’industrie touristique et entraîné beaucoup de difficultés économiques.

Selon elle, les groupes islamiques feront probablement bonne figure aux élections parce qu’ils sont beaucoup mieux organisés que d’autres dans la société. En théorie, il y a 17 partis politiques, dont la structure interne n’est pas démocratique et sans assise populaire, alors que les Islamistes ont formé des cadres qui ont une affinité avec les gens du peuple. S’il y a des élections libres, les Islamistes les remporteront. (Les groupes islamiques sont nombreux et, selon elle, les Frères musulmans ne sont pas les populaires comparativement à des groupes plus militants). Pour éviter que les islamistes ne remportent les élections, il faut créer un climat propice à la société civile, qui admette des ONG véritablement indépendantes tout en proposant des processus qui répondent aux préoccupations de la population (par exemple, un système d’ombudsman). Concernant les droits de la personne, elle n’a malheureusement vu dans la libération de Saad Ibrahim (un de ses anciens professeurs) qu’une demi-victoire car attribuable à des pressions externes, surtout des États-Unis, alors que les organisations nationales de défense des droits de la personne n’avaient pas fait grand-chose pour lui porter secours. Sa libération ne représente donc pas un gain énorme pour la société civile égyptienne. Le témoin a aussi vu des lacunes dans la prolifération des ONG au cours des années 90. Il y a un autre facteur fondamental à ses yeux : «  Si les gens sont prospères économiquement, ils ne deviendront pas des militants  ».

Au sujet des questions religieuses et culturelles, le Comité a entendu les points de vue de M. Fahmy Howeidi, penseur et auteur islamique de marque qui a collaboré pendant 45 ans au quotidien Al-Ahram, de M. Abdel Moety Bayoumi, professeur en études islamiques et doyen de théologie à la célèbre université Al-Azhar du Caire et député à l’Assemblée du peuple, et de M. Cherif Abdel-Meguid, président de la Compagnie de téléphone islamique, qui s’est fait connaître il y a plusieurs années par sa ligne de consultation religieuse ouverte 24 heures par jour267.

M. Abdel-Meguid a expliqué que son service s’étend à l’Arabie Saoudite et reçoit des appels d’Amérique du Nord. Il a convenu que «  le discours religieux doit changer  », mais que son service «  à réussi à s’adjoindre d’éminents experts modérés  ». M. Bayoumi a ajouté qu’avec ses collègues de l’Université Al-Azhar (où 50 des 70 facultés enseignent des sujets islamiques) il essaie de revenir aux sources et ne milite qu’en faveur de la justice et de la paix. Il a soutenu que les grands experts tranchent les questions par consensus et non sous la férule du gouvernement. Quant à la nature de l’enseignement religieux islamique, M. Howeidi a mentionné que c’est le gouvernement qui délivre les licences d’enseignement, mais M. Bayoumi a admis que l’islam est ouvert à l’interprétation de tout croyant et que «  la population n’a pas confiance dans les institutions officielles  ». Quelque 32 000 mosquées ont été répertoriées en Égypte. Mais, selon M. Abdel-Meguid, plus importants que les prédicateurs dans les mosquées, sont les extrémistes dont les propos sont diffusés à la télévision arabe par satellite et sur des sites Internet. Le cycle des malentendus de l’extrémisme est une des raisons pour lesquelles il espère que le Canada pourra contribuer positivement à modérer les influences interculturelles. Plus précisément, il a proposé de créer une «  université canadienne en Égypte  ».

Au chapitre des relations entre l’islam d’une part et la démocratie et les droits de la personne d’autre part, M. Bayoumi estime qu’il n’y a rien d’incompatible entre ces idéaux dans le Coran; bien au contraire, l’Islam encourage la tolérance et les droits des autres. «  Ainsi, le Coran n’est jamais un obstacle à la démocratie, mais incite plutôt ses adeptes à l’adopter  ». M. Howeidi a ajouté que le mode de vie islamique s’appuie sur les principes généraux de la choura (consultation) selon les circonstances . Il a écrit un livre sur la démocratie et l’islam il y a 12 ans et «  n’a pu déceler aucune contradiction  ». Selon M. Bayoumi, l’islam peut s’adapter à différents contextes sociaux et politiques tout en préconisant le respect des valeurs humaines et du bien-être de l’humanité, à cet égard, l’islam pourrait atténuer les faiblesses de la démocratie occidentale. Au sujet de l’égalité des femmes et le port du voile, M. Howeidi a fait remarquer que «  nous avons le droit d’être différents  » des autres sociétés musulmanes, mais les femmes qui choisissent de le porter ne posent aucun problème. M. Bayoumi a ajouté que le Coran accorde des droits égaux aux hommes et aux femmes et que la tenue vestimentaire est une question de choix. En Égypte, il n’y a pas de discrimination à cet égard.

Il y a toutefois eu divergence de points de vue lorsqu’on a voulu savoir si l’islam justifie les «  attentats suicides  ». M. Howeidi a semblé les justifier comme étant une forme de résistance des Palestiniens à leur expulsion hors de leur patrie. M. Bayoumi a affirmé que les experts islamiques conviennent que ces attentats dit «  suicides  », où des gens font le sacrifice de leur vie pour résister à l’occupation, ne relèvent pas du terrorisme, mais du «  martyre  ». On a laissé sous-entendre que ces attentats pourraient être justifiés comme «  moyen d’autodéfense  » de dernier recours contre une «  société israélienne militarisée  », approvisionnée en armes par l’Occident, et que la responsabilité de la violence palestinienne pourrait être attribuable à l’agression et à l’intransigeance des Israéliens. (M. Abdel-Meguid a tracé un parallèle : si l’IRA fait sauter une bombe à Londres, ferons-nous de même à Belfast en guise de représailles?) Selon M. Bayoumi, il sera difficile d’améliorer les relations entre l’Occident et le monde islamique sans une paix juste au Moyen-Orient. Il a demandé à cet égard qui était le mieux placé pour stopper l’escalade de la violence — les plus forts ou les plus faibles dans un conflit qui a engendré tant de haine et de ressentiment.

Cet échange difficile avec les membres du Comité a incité M. Howeidi à affirmer que les gens utilisent parfois «  des langages différents  ». Se faisant plutôt provocateur, il a affirmé que la population ne sait rien du Canada, mais supposait une influence des Américains. Les Égyptiens instruits, qui lisent la presse, savent peut-être que le Canada a une position distincte, mais ce n’est pas le cas du commun des mortels, et le Canada n’a pas de présence culturelle appréciable.

La question de savoir comment améliorer cette présence a été soulevée par la suite au cours d’une table ronde avec les membres du Conseil égyptien des affaires étrangères. Le vice-président du Conseil, l’ambassadeur Mohammed Ibrahim Shaker, a lancé le débat en faisant observer que «  la position distincte du Canada par rapport à celle des États-Unis concernant l’Irak est fort appréciée, notamment dans le milieu intellectuel  », ce que l’opinion arabe n’a pas manqué de relever. Dans la foulée du 11 septembre, «  le monde islamique a un grand besoin de réforme en profondeur, mais ce n’est certes pas le président Bush qui nous inspirera  ». Il est important d’aller au fond des choses : «  Nous devons de toute urgence dissocier politique et religion  » et mettre fin aux malentendus que l’Occident entretient à l’égard de l’islam. Comme toute réforme risque de déranger certains milieux conservateurs, il faudra du courage pour s’y attaquer. C’est une tâche à laquelle le monde arabe doit s’atteler.

Les participants ont convenu que les deux parties doivent être mieux informées. L’Occident doit améliorer le portrait qu’il brosse de l’Islam, alors que l’Égypte, centre traditionnel du savoir islamique, doit aussi s’efforcer davantage de projeter une image plus authentique de l’islam sur la scène internationale. La diversité des sociétés islamiques peut constituer un défi à cet égard car, il arrive parfois qu’«  on attribue à l’islam certaines mœurs locales  » (par exemple, restriction faite aux femmes concernant la conduite d’une voiture en Arabie Saoudite, qui n’a en fait rien à voir avec la religion). Certains ont avancé que le Canada et l’Égypte pourraient collaborer dans le cadre d’un «  projet conjoint  » de communication sociale (mené en trois langues, l’anglais, le français et l’arabe). Un membre s’est dit préoccupé par le «  manque de communication entre votre monde et le nôtre  », faisant observer qu’en Égypte, «  les gens ordinaires » ne savent rien du Canada ni de sa position indépendante par rapport aux États-Unis. Les membres du Conseil avaient proposé de multiplier les échanges à tous les niveaux, notamment avec les médias. Ces échanges ont fait monter un sentiment de colère chez les Égyptiens à l’égard de certaines attitudes de l’Occident, tout en leur donnant l’impression qu’ils peuvent établir un dialogue ouvert et constructif avec les Canadiens.

La seule femme au sein du Comité, Mme Mona Makram Ebeid, a aussi traité de questions d’éducation (pendant cinq ans, elle a été membre du Comité de l’éducation du Parlement), affirmant que le programme d’enseignement est «  totalement désuet  » et que «  l’éducation est notre plus gros problème  » et est lié au chômage des jeunes. Elle a souligné que «  le mouvement islamique est un refuge pour les jeunes en colère  », qui prend sa source dans «  le désespoir et la colère  », et non dans un engagement religieux réel, et que «  ce que nous demandons du Canada, c’est de fonder des universités et des centres de formation  ». Elle a aussi parlé de la création il y a quelques années d’un conseil national des droits de la personne et d’un conseil national des femmes, ainsi que d’autres percées réussies par les femmes. Il y a de l’espoir pour une «  renaissance de la société civile  » qui échappera au contrôle ou à la menace de suppression du gouvernement. Les échanges ont aussi porté sur une «  association pour l’avancement de l’éducation  » et sur des programmes comme des camps d’été pour les enfants pauvres. On a aussi parlé de la possibilité de recruter des Égyptiens expatriés au Canada pour établir des ponts en matière d’éducation et d’échanges culturels, parce que c’est l’ignorance qui engendre l’intolérance.

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

Le Comité est revenu du Caire, une des grandes capitales du monde arabe, convaincu de la nécessité d’agir sur certains fronts. «  Le Canada est la saveur de l’année  », voilà un commentaire confirmé par l’accueil chaleureux de M. Motaz Raslan, président du nouveau Conseil commercial Canada-Égypte. Nous notons également que 2004 marque le 50e anniversaire de nos relations bilatérales.

Lors de notre première rencontre, M. Harb a cité le rôle joué par l’ancien Premier ministre canadien Lester B. Pearson durant la crise de Suez, qui a mis le Canada sur la carte diplomatique au Moyen-Orient : «  Vous avez joué un rôle très important et j’espère que vous pourrez continuer de le faire  ». Mohammed Morsy El-Aiat, député des Frères musulmans, a fait remarquer que le «  Canada est mieux accepté par les populations du Moyen-Orient que les autres pays occidentaux  ». Il a dit espérer que le Canada jouera un rôle important, axé sur l’établissement de la société civile. Et, lors d’une discussion informelle, le professeur Baghat Korany de l’Université américaine du Caire a souligné que le Canada a bénéficié du fait qu’il s’était dissocié de de l’image projetée dans le monde par la présente administration américaine, étant donné que les problèmes de la région ne sauraient être résolus par voie militaire.

Ces dernières discussions ont aussi porté sur les atouts que le secteur privé canadien possède pour réussir dans le monde arabe, si l’on en croit la longue expérience de M. Raslan et de Darren Law, natif de Calgary et directeur de l’hôtel Conrad Hilton. Pour augmenter la présence du Canada en Égypte, Jean-Philippe Tachdjian, deuxième secrétaire à l’ambassade, chargé des affaires politiques, culturelles et publiques, a exposé d’intéressants projets visant à mieux faire connaître la culture et les valeurs canadiennes dans le monde arabe en consacrant davantage de ressources à la diplomatie publique, à la promotion de la culture et, plus précisément, à la construction d’un nouveau centre culturel canadien au Caire268. Le Comité a également été saisi des plans très prometteurs qui sont actuellement à l’étude en vue de créer «  l’Université canadienne d’Al-Ahram  » au Caire.

Une autre avenue importante, c’est la coopération en matière de développement, étant donné surtout que l’Égypte a longtemps été un important récipiendaire de l’aide canadienne (7e programme bilatéral de l’ACDI en importance en Afrique269). M. Bibars était de ceux qui ont insisté sur la valeur des projets qui font directement intervenir la population par l’intermédiaire d’ONG vraiment indépendantes. Dans un témoignage antérieur fait à Ottawa, l’ex-ambassadeur du Canada Michael Bell a parlé avec éloquence de petits projets tel un fonds d’initiative pour les femmes visant à les aider à lancer leur propre entreprise et un projet d’éducation pour filles. Comme il l’a dit, «  si l’aide canadienne ne transforme pas la vie des habitants dans de brefs délais, elle est probablement inutile … .quand on modifie la perception des gens et qu’on leur laisse de l’espace, on ouvre la porte aux initiatives et ont leur permet de se réaliser270  ». Et d’ajouter que cela exige parfois de faire preuve de créativité pour contourner les obstacles et les contraintes officielles.

Enfin, au Caire, Mme Donna Kennedy-Glans, directrice — Responsabilité des entreprises pour Menas Associates à Calgary (et ex-vice-présidente de la Société Nexen ayant une longue expérience dans la région), a fait porter une des dernières interventions sur l’importance de ne pas négliger le rôle moral que les entreprises canadiennes pourraient jouer. Elle a appelé à un effort pour «  apporter une aide réelle, qui ne se limite pas à des phrases creuses, en faveur d’une responsabilisation sociale des entreprises dans le monde arabe/musulman  ». Cela signifie qu’il faut explorer «  des voies d’engagement  » en travaillant main dans la main avec les entreprises privées qui nousaccueillent — une démarche qu’elle a qualifiée d’infiltration en douceur. Tout en reconnaissant que «  les entreprises n’ont pas très bien réussi pour ce qui est d’investir dans la collectivité  », elle s’est dite convaincue qu’il faut multiplier les liens entre le secteur privé et les organismes à but non lucratif.

En somme, le Comité souligne que les décideurs canadiens ont une riche expérience et regorgent d’idées dans lesquelles il convient de puiser pour renforcer la relation que le Canada entretient avec l’Égypte. À l’heure où l’avenir de l’Égypte et de la région se joue, il est certes temps d’agir ainsi.

RECOMMANDATION 12

En s’engageant dans un dialogue politique avec le gouvernement de l’Égypte, le Canada devrait encourager systématiquement ce pays à entreprendre des réformes démocratiques et à respecter les normes de base universellement reconnues en matière de droits de la personne, notamment à faire les efforts nécessaires pour éliminer la violence politique et l’extrémisme religieux. Ces efforts devraient aussi porter sur les causes sous-jacentes que sont la pauvreté et l’exclusion sociale.

RECOMMANDATION 13

Le gouvernement du Canada devrait profiter de l’occasion du 50e anniversaire, en 2004, de l’établissement de relations bilatérales avec l’Égypte pour augmenter sensiblement la capacité du Canada de réaliser des activités de collaboration et des échanges en matière d’éducation et de culture sur le territoire égyptien et au bénéfice de l’ensemble du monde arabe. Le gouvernement canadien en collaboration avec les provinces devrait notamment appuyer sans réserve le projet de l’Université canadienne d’Al-Ahram et envisager la possibilité de créer un centre culturel canadien au Caire.

RECOMMANDATION 14

Le gouvernement devrait veiller à ce que l’aide canadienne au développement en Égypte soit dirigée vers des projets centrés sur la population, en collaborant dans la mesure du possible avec des ONG indépendantes. Le Canada devrait aussi collaborer avec le secteur privé à la réalisation d’investissements et d’échanges commerciaux responsables, qui profitent aux deux pays.

Le processus de paix au Moyen-Orient — Israël et la Palestine

L’interminable conflit qui oppose Israël et le monde arabe depuis la partition, après la Seconde Guerre mondiale, de l’ancienne Palestine sous mandat britannique et la création de l’État juif en 1948 demeure l’un des conflits internationaux et civils les plus controversés et, semble-t-il, les plus difficiles à résoudre. On lui doit des guerres, des générations de réfugiés, des expropriations et des privations, des occupations militaires, les horreurs du terrorisme par suicide, la propagation de l’extrémisme et de la haine; bref, un incalculable tribut de souffrances et de pertes humaines.

Le Comité n’a pas l’intention d’entrer dans les détails de ce conflit, et encore moins d’en chercher les coupables. Impossible cependant d’en faire abstraction pour quiconque veut apprécier les chances que s’opèrent des changements pacifiques démocratiques dans le monde arabe et dans le monde musulman. Les témoins que nous avons entendus ne sont pas seuls de cet avis. Par exemple, dans le document stratégique du gouvernement britannique que nous citons à la Partie I, s’agissant des rapports entre les démocraties occidentales et les pays et groupes islamiques et des causes des tensions qui affectent ces relations, on fait valoir l’importance de régler le problème israélo-palestinien, faute de quoi il demeurera le principal point sur lequel se cristalliseront ces tensions271.

Bref historique

Si, comme on l’a dit, l’Égypte a conclu une paix séparée avec Israël dès 1979272, il a fallu attendre les années 1990 pour que des négociations de paix soient entreprises avec la participation des Palestiniens — lesquels constituent maintenant une population d’environ 3,5 millions de personnes composée principalement de musulmans sunnites et concentrée en Cisjordanie et dans la bande de Gaza (bien que les Arabes palestiniens constituent aussi une minorité croissante à l’intérieur d’Israël273). Septembre 2003 a marqué le dixième anniversaire des accords de paix d’Oslo, premier véritable progrès enregistré après la violence de la première Intifada. Pour certains, Oslo est un processus de paix «  orphelin  » que beaucoup d’Arabes n’ont jamais accepté274. Cependant, comme l’ancien ambassadeur du Canada Michael Bell l’a écrit, ces bonnes années ont donné aux Israéliens et aux Palestiniens un avant-goût de ce que pourrait être la cohabitation, et ils ne sont pas prêts d’en oublier la saveur, même en cette période difficile275. L’accord d’Oslo, conclu sous l’égide des États-Unis, a conféré une semi-autonomie aux territoires palestiniens de Cisjordanie et de Gaza sous le régime d’une Autorité palestinienne, même si ces zones demeurent sous le contrôle militaire d’Israël. Celles-ci forment le noyau du futur État palestinien dont la création est envisagée dans les initiatives de paix actuelles, sous réserve d’une entente globale sur leur «  statut final  » qui résoudrait les derniers problèmes comme le statut de Jérusalem, les droits des réfugiés palestiniens et le sort des colonies juives situées dans les Territoires occupés.

Depuis Oslo, plusieurs initiatives et plans de paix ont été proposés par des gouvernements et des groupes gouvernementaux dans l’espoir d’en arriver enfin à une entente entre Israël, d’une part, et Palestiniens et Arabes, d’autre part. Cette tâche, déjà bien difficile, a été compliquée ces dernières années par les contrecoups d’une seconde Intifada — commencée en 2000 —, par la faiblesse de l’Autorité palestinienne, par l’expansion continuelle des colonies juives et par les mesures prises par Israël pour contrer les attaques terroristes perpétrées par des militants islamistes et se protéger contre ces attentats276.

La plupart des propositions de paix s’appuient sur une forme ou une autre d’«  échange de terres contre la paix  » et la création de deux États, Israël et la Palestine, cohabitant l’un à côté de l’autre à l’intérieur de frontières sûres et reconnues. Du côté arabe, une importante proposition officielle a été soumise par le prince héritier saoudien Abdallah et entérinée lors du sommet de la Ligue arabe de Beyrouth en mars 2002. Celle-ci comporte entre autres la reconnaissance et la normalisation complètes des relations avec Israël à la condition que celui-ci se retire de tous les territoires occupés depuis la guerre de 1967 et qu’un État palestinien indépendant y soit établi. Depuis un an, c’est la «  feuille de route pour la paix  » soumise à Israël et à l’Autorité palestinienne le 30 avril 2003, qui monopolise l’attention. On y prévoit un processus en trois étapes aboutissant à la création d’un État palestinien et à la conclusion d’un accord de paix permanent.

Jusqu’à présent, la «  feuille de route  » se matérialise bien lentement et les écueils sont nombreux. M. Henry Siegman du Council on Foreign Relations a dit au Comité en mai 2003 qu’il était pessimiste quant aux chances que les Israéliens, les Palestiniens, les Arabes et les Américains acceptent de prendre les mesures nécessaires à l’actualisation de la «  feuille de route  »277. Depuis lors, cependant, plusieurs initiatives non gouvernementales faisant intervenir des Israéliens et des Palestiniens de renom ont vu le jour, dont la plus prometteuse (bien qu’elle soit encore contestée et controversée) a été l’initiative dite de Genève, dirigée par l’ancien ministre de la justice israélien Yossi Beilin et l’ancien ministre palestinien de la culture Yasser Abed Rabbo. Celle-ci a abouti à un accord dont le texte a été  largement diffusé en Israël et dans les territoires palestiniens et annoncé avec grand bruit au niveau international le 1er décembre 2003278. Le caractère israélo-palestinien conjoint de l’initiative a aussi été bien accueilli par certains autres pays occidentaux, dont le Canada. L’accord de Genève comporte un ambitieux projet de modalités de règlement des principaux problèmes en souffrance, lesquelles doivent encore être négociées politiquement par les gouvernements concernés. Toutefois, jusqu’à maintenant, aucun gouvernement n’a approuvé ce plan. Les propositions de Genève ne sont peut-être pas une panacée, et ne sont certainement pas une solution de rechange à la «  feuille de route  », en panne, appuyée par les États-Unis et les Nations Unies, mais elles entretiennent l’idée qu’Israéliens et Palestiniens sont capables de coopérer et de produire des idées susceptibles de les sortir de l’impasse actuelle279.

Certains craignent cependant que le temps manque pour négocier une solution à deux États comme celle que l’on envisage depuis les accords d’Oslo. L’idée d’Israël comme État juif a toujours eu des détracteurs, qui préféreraient un État laïc unique où Israéliens et Palestiniens auraient des droits égaux. Toutefois, le manque de progrès de la «  feuille de route  »280, la construction du «  mur de sécurité  » en Cisjordanie et la lassitude des Israéliens à l’égard de la violence continuelle — une lassitude et une frustration au moins aussi grandes que du côté palestinien281 — pourraient amener Israël à opter pour une solution unilatérale en se retirant de certains territoires occupés et en se retranchant dans un territoire à l’intérieur de frontières militairement défendables. La proposition controversée du premier ministre Ariel Sharon de février 2004 de démanteler les colonies juives de Gaza et certaines de celles de Cisjordanie confère une certaine crédibilité à cette éventualité282.

Le Comité n’a pas de boule de cristal qui lui permettrait de prédire l’issue de ce tragique conflit. Nous pensons cependant que, sur le plan diplomatique, le Canada doit soutenir tout effort raisonnable visant à faire progresser les négociations au niveau politique et à atténuer les tourments des populations concernées.

Témoignages entendus à Ottawa

De nombreux témoins ont dit au Comité que, pour les musulmans, la résolution de ce conflit constitue une des grandes priorités des relations internationales. Comme l’a dit Salim Mansur au début des audiences, «  … car la Palestine est la mère de tous les problèmes dans le monde arabo-musulman. Le jour où ce dossier sera résolu à la satisfaction des Palestiniens, et ils s’y emploient mais ne peuvent mettre un terme à l’occupation israélienne de leur territoire sans aide, alors la situation entre les États-Unis et le monde arabo-musulman prendra rapidement une meilleure tournure283.  » Pour Saleem Qureshi, «  … la Palestine demeure le dossier le plus délicat, et l’opinion publique, non seulement dans le monde arabe, mais bien au-delà du monde musulman, demeure généralement extrêmement hostile à l’égard des États-Unis en raison de l’appui inconditionnel qu’ils accordent à Israël. Ce ne serait peut-être pas exagéré de dire qu’aussi longtemps que durera le conflit palestino-israélien l’Amérique ne suscitera pas une opinion publique favorable où que ce soit dans le monde arabe284.  »

Bien sûr, comme on l’a dit, le conflit peut aussi être exploité par les gouvernements musulmans pour détourner la critique de leur propre performance. C’est une excuse toute trouvée. Comme l’a dit Farhang Rajaee, «  … même s’ils ne sont pas vraiment sérieux au fond au sujet de la Palestine — ils ne passent peut-être pas des nuits blanches pour la cause palestinienne —, tant qu’elle est là, elle sert d’excuse  ». David Dewitt a ajouté que «  la question d’Israël et de la Palestine est une force mobilisatrice. Le gouvernement est obligé de s’en occuper pour des motifs politiques d’ordre local, et cela lui donne une place au sein de l’Organisation de la conférence islamique. Cela lui permet donc, tout en demeurant très éloigné du conflit, d’adopter ce qui est considéré comme une position respectable au sein de la communauté islamique, ce qui est très bon pour sa réputation d’intégrité, sa crédibilité et son prestige politique, sans qu’il lui en coûte quoi que ce soit. Dès que la question israélo-palestinienne sera réglée, le gouvernement passera à autre chose […] Pour le moment, c’est un contentieux commode qui peut lui être utile285.  »

Les témoins ont formulé diverses possibilités pour faire avancer le dossier, certains recommandant même que le Canada prenne une part plus active aux discussions. Pour Mazen Chouaib, «  le Canada a un rôle à jouer, pas seulement en tant que président du Comité des réfugiés, mais aussi en tant que participant aux négociations et aux discussions qui se dérouleront dans le contexte de la feuille de route […] Le Canada dispose d’un certain poids dans le monde arabe, il n’a pas de handicap colonial ou politique et il est respecté pour ce qu’il offre286.  » John Sigler a insisté sur l’idée d’une «  force de contrôle internationale  » vu l’expérience du Canada des opérations de maintien de la paix, notamment au Moyen-Orient — «  … j’accorderais beaucoup plus de priorité à la participation au processus de paix israélo-palestinien qu’à l’Afghanistan287.  »

D’autres font valoir la nécessité de ménager des espaces permettant un dialogue politique au Canada et à l’étranger. Michael Bell a parlé de l’importance du travail de l’ACDI en Cisjordanie et à Gaza et a dit : «  Nous pouvons notamment nous appliquer à exercer une influence sur la mentalité des gens, sur leur façon de penser, à faire la promotion du pluralisme et à encourager l’édification d’institutions288.  » Comme l’a déclaré Karim Karim : «  Il est essentiel de créer des espaces où règne la sécurité parmi les Palestiniens, les Israéliens, les Juifs, dans leurs diasporas, dans les diasporas arabes; il est essentiel de les réunir et de les comprendre. Ils ont actuellement une tendance manifeste à avoir des conceptions racistes à l’égard les uns des autres et il est essentiel d’enrayer cette tendance289.  » D’après Sheema Khan, «  … il nous faut créer davantage, si je peux m’exprimer ainsi, de groupes qui pourraient vraiment dialoguer […] il nous faut trouver une façon de rapprocher les gens, de créer des espaces neutres où vous ne serez pas accusés d’être antisémites ou islamophobes. Si on peut se défaire de toutes ces accusations et simplement dialoguer, tout d’abord pour entendre la douleur qu’ont vécue les autres […] parce que si les gens reconnaissent que la perte d’un enfant, qu’il s’agisse d’un enfant palestinien ou israélien est une chose très douloureuse, on aura déjà un point commun. Ça pourra être le début de ce dialogue290.  »

Il faut se garder cependant de sous-estimer le nombre des problèmes à régler et les obstacles à surmonter — sur le plan des attitudes comme sur les plans politique et structurel — pour forger une paix durable au Moyen-Orient. Michael Bell a fait remarquer qu’il pourrait s’avérer impossible d’éliminer le terrorisme mais que «  si le peuple palestinien pouvait mener une vie plus normale, l’appui dont bénéficient les solutions proposées par le Hamas et le Djihad diminuerait peut-être  ». Il a ajouté : «  Ce qui est toutefois important, c’est que l’Autorité palestinienne et ses dirigeants, quels qu’ils soient, bénéficient de la confiance, de l’appui et de la loyauté de la population291.  » Noah Feldman a fait valoir un autre argument important au sujet des conditions préalables aux négociations : «  Je serai franc : lorsque des négociations sont les otages d’auteurs d’actes de violence extrémiste, nous savons qu’elles ne mettront pas fin au conflit entre Israël et la Palestine. Si l’on cesse de négocier lorsqu’il y a violence, les négociations prendront fin, parce qu’on donnera ainsi l’occasion aux extrémistes d’exercer un droit de veto292.  »

Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amre Moussa, qui lui aussi voit, dans le monopole d’Israël sur le plan des armes atomiques, une complication de plus sur la voie de l’élimination des armes de destruction massive au Moyen-Orient, affirme que ce ne sont pas les propositions de paix qui manquent, mais la volonté politique et l’équilibre politique.

Il faut qu’il y ait une démarche équilibrée, un règlement équitable, et les ingrédients de ce règlement sont là. Nous ne sommes pas là pour réinventer la roue tous les deux mois ou tous les ans ou à l’arrivée de chaque nouvelle administration ou de chaque nouveau gouvernement au Proche-Orient. ...Dans le monde arabe, nous sommes prêts à faire la paix, à normaliser les relations, à reconnaître l’État d’Israël et à tourner la page sur le conflit israélo-arabe, à condition qu’Israël ait la même volonté et soit prêt à se retirer, à reconnaître un État palestinien et à régler les problèmes que nous avons. À chaque problème il existe une solution à condition qu’il y ait un équilibre des pouvoirs de part et d’autre293.

Le Comité a aussi entendu M. Peter Hansen, commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Il a décrit avec force détails la détérioration des conditions de vie dans les territoires occupés où environ 60 p. 100 de la population se situe sous le seuil de pauvreté, où le taux de chômage oscille entre 35 et 50 p. 100 et où 1,2 million de personnes dépendent de l’aide alimentaire, sans parler du sinistre bilan des morts violentes et des destructions de propriétés. Comme il l’a dit : «  Nous sommes non seulement retournés en arrière et avons effacé tous les progrès accomplis après l’accord d’Oslo mais, en plus, les pertes subies nous font reculer de près de 10 ans, alors que l’économie doit maintenant faire vivre une population beaucoup plus importante294.  »

Parallèlement, les questions se multiplient au sujet de la contribution des pays arabes à l’UNRWA, d’allégations de malversations, d’un prétendu préjugé anti-israélien au sein de l’organisation et, plus grave encore, d’accusations selon lesquelles les écoles et installations financées par l’UNRWA auraient été utilisées, notamment par des organisations islamistes militantes actives dans les camps de réfugiés, comme vivier pour le terrorisme palestinien. L’aide à l’Autorité palestinienne aurait fortement chuté en 2003 par rapport aux années antérieures295. Une controverse perdure aussi sur la question de savoir si les manuels scolaires palestiniens incitent à la violence296. M. Hansen a réfuté un bon nombre des allégations, affirmant que la question des manuels scolaires était subjective et que des progrès considérables avaient été réalisés à ce sujet. Il a dit être au courant des études critiques comme celle du Centre for Monitoring the Impact of Peace (CMIP), mais a aussi signalé les résultats bien plus favorables d’une étude financée par les Américains et réalisée par le Israël/Palestine Center for Research and Information297. En outre, pour ce qui est des critiques formulées par le chef d’état-major de la défense d’Israël Moshe Ya’alon quant à l’inefficacité des tactiques brutales employées dans les Territoires pour assurer la sécurité des Israéliens298, M. Hansen est «  d’avis que ces mesures [le recours excessif à la force] poussent un plus grand nombre d’intervenants à devenir des bombes humaines que le matériel des manuels scolaires qui viseraient à endoctriner les enfants, si c’était le cas299  ».

Le Comité n’a pas la prétention de trouver la solution à ces controverses. Il ne peut que décrier l’insécurité persistante — non seulement sur le plan physique, mais aussi sur les plans social et économique — des civils, israéliens comme palestiniens, pris dans la violence que suscite ce conflit. Les autorités responsables de tous les niveaux doivent au minimum faire tout ce qui est en leur pouvoir pour atténuer la violence.

Témoignages entendus au Moyen-Orient

Comme nous l’avons déjà noté, lorsque nous avons interrogé nos interlocuteurs arabes et musulmans sur les principaux problèmes des rapports entre l’Occident et le monde musulman, ils ont le plus souvent cité le conflit israélo-palestinien. Ils ont été nombreux à reprocher aux pays occidentaux, et en particulier aux États-Unis, leur appui aux politiques du gouvernement israélien. On a remarqué cependant que la position du Canada, perçue comme relativement modérée et équitable, recevait un accueil assez favorable. D’ailleurs, un certain nombre des personnes que nous avons entendues ont dit espérer que le Canada joue éventuellement un rôle plus grand dans la résolution du problème le plus vieux et le plus épineux de la région.

Par exemple, le ministre des Affaires étrangères de l’Arabie saoudite, le prince Saoud Al-Fayçal, un diplomate expérimenté et respecté, a fait remarquer que le Canada avait joué un rôle important au Moyen-Orient avec les Nations Unies et jouissait d’une réputation impeccable dans la région. Il a dit comprendre le besoin de sécurité d’Israël, mais a ajouté que cette sécurité ne devait pas se faire au prix d’«  exigences territoriales  » unilatérales — par là, il entend, a-t-il dit sans ambages, qu’Israël ne doit pas s’approprier davantage de terres arabes — et d’un monopole d’Israël en matière nucléaire. De plus, estime-t-il, les Arabes aussi aspirent à la sécurité, et les Israéliens doivent apprendre à vivre avec les Palestiniens. Selon le prince, les ingrédients de la solution ne sont pas très compliqués et doivent comprendre un cessez-le-feu surveillé par un tiers agréé. Le prince craint cependant que la «  feuille de route  » n’aboutisse pas en raison des frappes israéliennes comme celle qui a touché la Syrie et de l’appui persistant des États-Unis au gouvernement Sharon.

Le ministre des Affaires étrangères de l’Égypte, M. Ahmed Maher El Sayed, lui aussi un vieux routier de la politique étrangère, a dit au Comité que l’Égypte souscrivait aux efforts déployés pour élaborer un plan de paix, mais a précisé qu’un accord était impossible sans le consentement de M. Arafat. Il est reconnaissant au Canada d’avoir appuyé une résolution des Nations Unies à l’automne de 2003 reprochant à Israël la construction d’un «  mur de sécurité  » en Cisjordanie. À son avis, ce n’est pas en construisant des murs et en multipliant les postes de contrôle et en en profitant pour s’approprier d’autres terres arabes qu’Israël réussira à assurer sa sécurité. Pour lui, les deux peuples doivent apprendre à vivre ensemble. La construction du mur est une mesure illusoire, car celui-ci n’arrêtera pas les kamikazes mais compliquera en revanche l’application d’une solution fondée sur la coexistence de deux États. Dans l’intervalle, Israël doit assumer les conséquences du durcissement de ses opérations dans les Territoires occupés, de la mort de Palestiniens innocents et de sa politique d’assassinats ciblés.

Quand on lui a demandé si la «  feuille de route  » avait la moindre chance de succès, M. Sayed a répondu oui, mais seulement s’il y a un «  mouvement parallèle  » des deux camps par la voie d’une négociation équilibrée. Il note cependant avec regret que si ceux qui essaient de saboter la «  feuille de route  » du côté palestinien se trouvent dans l’opposition, en Israël, ils sont au gouvernement. Donc, pour lui, le processus est gravement compromis, mais tout n’est pas perdu. Il constate que c’est le seul processus officiel proposé, mais le problème, a-t-il dit, c’est de trouver comment convaincre les gens que la paix est faisable. Il faudrait pour cela que les États-Unis exercent des pressions en ce sens, mais les Américains ne sont pas impartiaux et se trouvent en période pré-électorale. Or, il n’existe pas de lobby arabe capable de faire contrepoids au puissant lobby pro-Israël. Les intervenants les plus objectifs se trouvent au Département d’État américain, mais celui-ci est affaibli, pense-t-il. En outre, la «  feuille de route  » était en partie conçue pour apaiser la colère des Arabes après l’invasion de l’Irak. La violence permanente entraîne une certaine lassitude, mais le prince n’est pas optimiste quant aux chances de paix. L’Irak est devenu un bourbier et la «  feuille de route  » est au point mort.

On a entendu à peu près les mêmes propos lors d’une table ronde avec le Conseil égyptien des affaires étrangères. Un ancien ambassadeur en Norvège a qualifié de «  catastrophe humanitaire  » le sort du peuple palestinien et a réclamé l’application d’une solution multilatérale avec notamment l’intervention d’une «  force internationale  » (suggestion qui rappelle ce que Lester Pearson avait proposé aux Nations Unies il y a cinquante ans). Il a dit espérer que le Canada exercera des pressions sur les États-Unis pour amener ceux-ci à presser Israël d’accepter le déploiement d’une telle force.

Il importe de noter que ces avis, exprimés par des représentants de l’élite établie en matière de politique étrangère, sont sensiblement plus modérés et conciliants que les opinions exprimées dans la société civile arabe et musulmane. Nous en avons eu un exemple dans nos discussions avec M. Morsy El-Aiat, chef des Frères musulmans à l’Assemblée du peuple de l’Égypte. Il a affirmé que cette fraternité acceptait l’existence de facto de l’État d’Israël et n’était pas contre les Juifs à la condition que la Palestine ait son propre État. Cependant, il est ensuite devenu apparent, après quelques questions, qu’il considère Israël comme un État agresseur dénué de fondement légitime. Il est donc en fait en faveur d’une solution fondée sur un État unique et non une solution à deux États reposant sur la reconnaissance mutuelle des Israéliens et des Palestiniens.

Le contraste des points de vue a été très frappant pour les membres du Comité qui étaient en Israël quelques jours auparavant. Ce sont les impératifs de la sécurité nationale qui dominaient les discussions avec des représentants du ministère des Affaires étrangères d’Israël, des membres de la Knesset, des journalistes et des universitaires, bien que le Comité ait aussi été saisi de préoccupations concernant la minorité arabe d’Israël et ait visité des Territoires occupés.

Des membres du Centre de recherches politiques du ministère des Affaires étrangères d’Israël ont dit au Comité que l’ensemble de la région traversait une crise de transition du fait que les dirigeants de nombreux pays vont vraisemblablement changer d’ici cinq à dix ans. Cette période de transition comporte d’énormes risques d’instabilité intérieure et régionale. Ils ont ainsi fait valoir un certain nombre des préoccupations d’Israël en matière de sécurité dans ce contexte. Par exemple, il ne s’attendent pas à de grands changements en Iran, un pays dont le régime continue à leurs yeux de constituer une menace, tant de la part des «  réformistes  » que de la part des «  conservateurs  », dans sa quête d’armes de destruction massive (peut-être, comme dans le cas de la Corée, pour dissuader les Américains d’intervenir). Ils établissent aussi un lien clair entre les adversaires de la paix avec Israël à Téhéran, à Damas, au Hezbollah et en Palestine, qualifiant cette menace de «  système du nord  ». Ils sont convaincus que les attaques périodiques du Hezbollah contre Israël ont la bénédiction du président syrien Bashar Al-Assad — la Syrie mène à toutes fins pratiques une guerre par procuration par l’intermédiaire du Hezbollah, ainsi que du Djihad islamique et du Hamas, qui bénéficient aussi de l’appui des autorités syriennes. La participation de l’Iran à ce système se manifeste en particulier par la présence de troupes de la Garde révolutionnaire islamique stationnées dans la vallée de la Bekaa. Le Centre a conclu que ce «  système  » avait permis à la Syrie et au Hezbollah d’échapper à la campagne internationale de lutte contre le terrorisme, mais il est temps selon lui que la communauté internationale fasse preuve de fermeté envers Damas.

Pour ce qui est des territoires palestiniens, le directeur du Centre, Harry Kney Tal, a dit que Yasser Arafat demeurait la source de l’autorité dans les Territoires. Cependant, l’absence de succession claire accroît le risque que, une fois Arafat disparu de la scène, les Territoires ne deviennent vraiment un «  État avorton  ». Même avec Arafat au pouvoir, dit M. Kney Tal, les cellules locales du Fatah prennent de plus en plus d’autonomie, parfois avec l’appui de l’Iran, ce qui ne fait que miner le pouvoir central.

D’autres problèmes de sécurité au niveau régional ont été abordés dans une discussion à bâtons rompus avec plusieurs membres de la Commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset. Par exemple, le président de la Commission, Yuval Shteinitz du Likoud, a parlé surtout de l’Égypte. Il a mentionné de nombreux cas où l’action ou l’inaction de l’Égypte visait à compromettre le processus de paix et la normalisation des rapports entre Israël et d’autres pays de la région comme le Maroc et le Qatar. Sur une note plus positive, Eti Livni du parti centriste Shinouï a parlé du processus qui sous-tend l’initiative de Genève, l’initiative israélo-palestinienne de haut niveau mais sans caractère officiel dont nous avons déjà parlé.

M. Dore Gold, directeur du Jerusalem Centre for Public Affairs et ancien ambassadeur d’Israël aux Nations Unies (et conseiller du premier ministre Sharon) a minimisé l’importance du conflit israélo-palestinien comme source de la «  rage des musulmans  », affirmant que des «  fatwas  » avaient été lancées contre les États-Unis et Israël par des radicaux islamistes même durant la période d’Oslo quand Israël se retirait de la Cisjordanie et de Gaza. Vu le contenu de son dernier livre, Hatred’s Kingdom: How Saudi Arabia Supports the New Global Terrorism300, c’est sans surprise qu’on l’a entendu accuser l’Arabie saoudite de soutenir des groupes djihadistes radicaux allant de celui d’Ossama Ben Laden et d’autres groupes de moudjahiddines anti-soviétiques en Afghanistan aux groupes palestiniens du refus. M. Gold a aussi donné en exemple de l’influence pernicieuse de l’Arabie saoudite la place de choix qu’occupent, sur les sites Web du Hamas, les fatwas d’origine saoudienne justifiant les attentats suicides.

Un point de vue passablement différent, mais tout aussi pessimiste, a été exprimé dans une table ronde de représentants d’ONG et d’universitaires portant sur l’opinion publique israélienne, les perspectives de relance du processus de paix et les conditions de vie de la minorité arabe d’Israël. Pour ces gens-là, les chances d’une percée dans le conflit israélo-palestinien sont bien minces. Avraham Sela, président du département des relations internationales de l’Université hébraïque de Jérusalem, ne croit pas vraiment à une solution négociée prochaine, car l’attention des États-Unis est concentrée ailleurs pour le moment et la communauté internationale est peu disposée à intervenir vigoureusement sans l’appui de Washington. Pour sa part, le spécialiste des droits de la personne chez les Arabes israéliens Mohammed Zeidan a souligné les conséquences fâcheuses du conflit sur les rapports entre les populations arabe et juive d’Israël. Pour lui, Israël doit tenir compte à long terme des besoins de la minorité arabe, de plus en plus importante.

Ces propos ont été renforcés lors de discussions que le Comité a eues à Ramallah en Cisjordanie avec plusieurs anciens ministres, législateurs, hauts fonctionnaires et journalistes palestiniens. Ceux-ci ont affirmé que les causes du conflit et de sa persistance étaient d’ordre politique et non religieux. Ils constatent cependant que les groupes islamistes militants, qui n’ont jamais souscrit aux accords d’Oslo, ont trouvé des appuis parmi les déshérités. Ils ne pensent pas non plus que le conflit puisse être résolu tant que le gouvernement Sharon sera au pouvoir. En ce qui concerne le président Arafat, à leur avis, il est incapable de stopper les kamikazes, et les forces de sécurité palestiniennes demeurent trop faibles. Pour eux, l’important c’est d’essayer de coordonner des solutions susceptibles de contenir et de réduire la violence dans les deux camps et il importe de poursuivre les démarches entreprises pour obtenir un cessez-le-feu et un accord final exécutoire.

La prochaine section du rapport porte spécifiquement sur la Jordanie, mais compte tenu des rapports particulièrement étroits de ce pays avec le problème palestinien, il importe de noter ici certaines des vues des Jordaniens. Les parlementaires jordaniens ont critiqué ce qu’ils considèrent comme les causes des troubles actuels, à savoir les frontières établies par les puissances occidentales après la Première Guerre mondiale (par exemple dans l’accord Sykes-Picot301). Les Jordaniens sont particulièrement frustrés par ce qu’ils considèrent deux poids deux mesures dans le traitement des Israéliens et des Palestiniens. Pour eux, il est exagéré de qualifier de terroriste une personne qui lutte pour récupérer son propre territoire et, sans une paix juste, les attentats suicides vont continuer, leurs auteurs considérant qu’ils n’ont pas d’autre choix. Les Jordaniens contestent le droit d’Israël à la Palestine et reprochent aux médias et aux organisations internationales un parti pris favorable aux États-Unis et aux sionistes.

Plusieurs questions ont été abordées quant à l’avenir de la solution fondée sur la coexistence de deux États à l’occasion d’une table ronde réunissant des représentants de la société civile. La plupart des gens étaient persuadés que l’abandon de cette option entraînerait à coup sûr de violents affrontements et que, pour être politiquement viable, la solution retenue doit respecter les frontières antérieures à 1967 (c’est-à-dire à la guerre). Il semblerait que beaucoup de Palestiniens considèrent que l’obligation de reconnaître la «  légitimité d’Israël  » (par opposition à reconnaître l’existence d’Israël) revient à accepter que leur expulsion est moralement justifiée. Lors d’une autre table ronde, avec des journalistes jordaniens, ceux-ci ont parlé de ce qu’ils interprètent comme un mouvement systématique visant à exclure les Palestiniens de la Cisjordanie et de Gaza. Ces journalistes estiment que l’on se trouve actuellement à un tournant de l’histoire particulièrement dangereux : si la situation s’envenime, cela risque de compromettre les espoirs de paix pendant des années. Les négociations actuelles, y compris celles de l’initiative non gouvernementale de Genève, ont été menées dans le secret. Pour eux, l’opinion publique ne croit ni en la bonne foi du gouvernement israélien actuel ni dans le rôle de «  médiateur impartial  » des États-Unis. À leur avis, manifestement, l’autre camp a tous les atouts en main, tandis que les Arabes et les Palestiniens écopent.

Enfin, les membres du Comité ont longuement discuté avec l’ex-premier ministre de Jordanie Taher Masri et l’ex-vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères Abdallah Ensour, tous deux considérés comme des modérés mais qui, bien qu’optimistes quant au désir de paix dans le camp arabe, sont néanmoins parfaitement conscients de l’amertume qui règne et ont des doutes relativement à l’orientation actuelle du gouvernement et de la population d’Israël. M. Masri a fait remarquer que cela fait soixante ans que la situation des Palestiniens se détériore. Quand on songe que la guerre en Irak vient s’ajouter à des années d’humiliation et de promesses rompues par l’Occident, le sentiment anti-américain dans la région est tout à fait compréhensible, nous a-t-il dit. Les gens de la rue sont furieux contre leurs dirigeants aussi. À son avis, les islamistes modérés sont prêts à négocier une paix avec Israël et donc forcément à prendre en considération son point de vue. Il reste que les actions des Israéliens, comme la destruction de maisons, sont vues plus comme des actions punitives que comme des mesures de légitime défense, ce qui crée d’autres problèmes.

M. Ensour partage ces frustrations des Arabes et la perception que ceux-ci ne sont pas traités de manière équitable par le système international. Il a fait allusion au Conseil des sécurité de l’ONU et au nombre de fois où les États-Unis ont opposé leur veto à une mesure pour protéger les intérêts d’Israël. Selon lui, un pays comme la Jordanie est sans doute mieux traité par le Canada. Il reste que, dans l’ensemble, la Jordanie n’a pas beaucoup de poids vu le préjugé systématique en faveur de l’autre camp. M. Masri et M. Ensour ont soutenu que, bien qu’on note des progrès vers la paix dans certains pays de la région (certains, comme la Jordanie, ont maintenant un traité de paix ou des relations avec Israël), et bien que la majorité de la population arabe aspire à la paix, la grande question est de savoir si les Israéliens, eux, la souhaitent aussi vraiment. Les Jordaniens sont prêts à accepter l’existence d’Israël et la coexistence de deux États suivant les frontières de 1967, mais ils n’accepteront jamais l’occupation de la Palestine par les Israéliens.

M. Ensour a ajouté qu’il restait en Israël des partis politiques qui parlent encore d’un vaste État hébreu allant de la Méditerranée à l’Euphrate, et pas seulement jusqu’au Jourdain. Le traité de paix conclu entre la Jordanie et Israël n’abordait pas d’autres enjeux importants comme le sort des réfugiés. Les Palestiniens, a-t-il dit, peuvent trouver du travail en Israël, mais ne peuvent pas se procurer un passeport israélien. Pour les Jordaniens, les Palestiniens ne sont pas des voisins mais des frères qui habitent la région depuis des milliers d’années et ont droit à leur patrie. Pour ce qui est de la question du droit de retour, les propositions de Genève offrent peut-être une solution à ce grand problème. M. Masri a fait remarquer que les idées ne manquaient pas, notamment celles qui sont issues du Groupe de travail sur les réfugiés présidé par le Canada. On a une certaine latitude dans la recherche d’une solution, mais celle-ci doit être juste envers les réfugiés302.

Pour ce qui est d’Israël, on a fait remarquer que beaucoup d’immigrants juifs ne parlaient ni hébreu ni yiddish et que le niveau de vie élevé d’Israël commençait à glisser. Israël va devoir modérer l’effort militaire sous peine de causer des dommages à son économie. Israël a besoin de sécurité, a dit M. Masri, mais qui est l’occupant et qui possède des armes nucléaires? Les dures mesures de rétorsion militaire d’Israël à chaque attentat ne font que radicaliser la population arabe et, pendant ce temps-là, le gouvernement Sharon rejette les propositions de Genève et sa façon d’aborder la question des colonies détruit le concept de la paix. Ce n’est pas ainsi qu’Israël obtiendra la sécurité dont il a besoin, nous ont dit nos interlocuteurs.

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

Le conflit israélo-palestinien demeure un terrain miné pour la politique internationale et le restera dans l’avenir prévisible. Les périls que comportent les processus de paix au Moyen-Orient sont tels qu’ils présentent aux gouvernements de l’extérieur de réels dilemmes et peu de bénéfices, ce qu’il importe de ne pas sous-estimer. Selon le Comité, cela ne veut cependant pas dire que le Canada ne peut pas jouer un rôle utile, un plus grand rôle en vue d’améliorer les chances d’évolution pacifique dans la région, spécialement quand on pense que la persistance de ce conflit est si souvent considérée comme l’épine qui gêne l’établissement de meilleures relations entre les pays occidentaux et les pays musulmans.

La politique canadienne concernant le processus de paix au Moyen-Orient, telle qu’énoncée lors de la 59e session de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, vise essentiellement à «  tout mettre en oeuvre pour faire progresser les efforts visant à instaurer une paix complète, juste et durable... une telle résolution du conflit israélo-palestinien est une condition nécessaire à la stabilité de la région dans son ensemble  ». Elle prévoit aussi «  qu’il faut également intégrer le respect des droits de la personne dans un processus de paix revigoré. Les Israéliens ne seront en paix que lorsqu’ils se sentiront plus en sécurité. Et les Palestiniens ne céderont pas tant que leurs exigences fondamentales concernant la dignité et l’autodétermination ne seront pas satisfaites. On ne peut adopter une solution juste et durable à ce conflit aux dépens des besoins fondamentaux de l’une ou l’autre des parties  »[303].

Dans une allocution prononcée il y a un an devant le Conseil national des relations Canada-arabes, le ministre canadien des Affaires étrangères, Bill Graham, ancien président du présent Comité, a souligné comme suit les deux aspects des principes qui sous-tendent la politique du Canada :

Je tiens à vous rappeler aujourd’hui la politique du Canada dans ce dossier. Nous avons toujours soutenu une solution négociée prévoyant deux États, Israël et la Palestine vivant côte à côte dans la sécurité et la paix. Le Canada soutient le droit d’Israël d’exister à l’intérieur de frontières sûres. C’est là un élément fondamental de notre politique […] Je tiens aussi à souligner que le Canada continue d’exhorter Israël à honorer ses obligations internationales en matière de droits de la personne. Nous sommes très inquiets de la situation humanitaire dans les territoires palestiniens et nous avons prié Israël de veiller à ce que les Palestiniens puissent avoir de quoi se nourrir, de l’eau, des fournitures médicales et des services sociaux et d’éducation. Nous exhortons également Israël à bloquer toute activité de colonisation dans les territoires occupés. Ce serait là une étape cruciale dans le rétablissement de la confiance, chez les Palestiniens, dans la viabilité du processus de paix et dans sa capacité de leur montrer des résultats concrets304.

Dans ses déclarations lors de forums multilatéraux, le Canada a toujours condamné sans équivoque toute forme de violence terroriste et continué d’exprimer ses craintes concernant «  la situation humanitaire et économique très grave dans les territoires palestiniens  », tout en s’opposant systématiquement aux colonies de peuplement de ces territoires par Israël, affirmant qu’elles «  vont à l’encontre du droit international et qu’elles sont particulièrement improductives pour le processus de paix  »305.

En matière de négociations politiques, le Canada, tout en appuyant divers efforts de consolidation de la paix, maintient comme politique d’adhérer fermement à la feuille de route. Comme il l’a déclaré devant les Nations Unies en novembre 2003, le «  Canada continue de souscrire totalement à l’objectif d’avoir deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité : l’État d’Israël et un État palestinien indépendant, viable et démocratique  »306.

Quelle contribution peut faire le Canada pour relancer des négociations politiques fructueuses? Des témoins ont dit au Comité à maintes reprises que le Canada jouit d’une certaine considération dans la région, mais il n’est pas non plus vu comme un acteur important dans le processus de paix au Moyen-Orient. Depuis la signature des accords d’Oslo il y a une dizaine d’années, le Canada s’intéresse au sort des réfugiés palestiniens sous les auspices des Nations Unies et des organisations multilatérales. Or, certains observateurs sont d’avis que cette fonction et, partant, le rôle du Canada déclinent. Comme l’a dit un universitaire canadien :

Abstraction faite de déclarations de principe sporadiques, le Canada participe à de modestes actions humanitaires, mais compte tenu de son engagement déclaré envers le développement et l’établissement de la paix — questions cruciales pour la réussite de tout accord de paix israélo-palestinien — il est étonnant de constater à quel point l’échec des efforts multilatéraux a nui aux efforts du Canada comme facilitateur régional […] L’influence diplomatique absolue et relative du Canada dans la région a diminué, passant de celle d’une puissance moyenne à celle d’une puissance mineure dans le meilleur des cas, tandis que d’autres parties, comme l’Union européenne, se sont mises à jouer un rôle accru dans les affaires internationales307.

Nous ne partageons pas nécessairement ce point de vue quant à la marginalisation supposée du rôle du Canada. Le Canada présidant le Groupe de travail sur les réfugiés, nous sommes présents de manière permanente dans des dossiers critiques pour l’aboutissement de la négociation d’un accord de paix viable prévoyant la coexistence de deux États308. Le Canada appuie par ailleurs des initiatives d’édification de la paix innovatrices309. Le Comité craint cependant que, faute de ressources suffisantes, les atouts diplomatiques du Canada dans la région ne soient pas suffisamment bien exploités pour aider ceux qui sont engagés dans la difficile et dangereuse recherche de la paix et de la justice.

Le Canada ne doit pas se contenter de souscrire aux initiatives de paix des autres et de dénoncer les effets cruels du terrorisme et de la violence. Nous devons participer activement à la recherche de solutions. Ce serait outrepasser la portée du présent rapport que d’y faire des recommandations de politique détaillées, mais nous espérons que la question sera abordée dans l’examen prochain des politiques internationales du Canada annoncées dans le Discours du Trône en février 2004.

RECOMMANDATION 15

Pour encourager toutes les possibilités de résolution du conflit israélo-palestinien, le gouvernement du Canada devrait envisager aujourd’hui de jouer un rôle accru pour ce qui est de contribuer davantage :

  à la bonne gouvernance, au développement social et aux efforts dans le domaine de l’éducation, en collaboration avec des partenaires arabes pro-démocratiques de la région;
  au règlement des différends, au dialogue entre collectivités et aux mesures de renforcement de la confiance qui consolide la société civile;
  aux mesures d’établissement de la paix, notamment en facilitant, en parrainant et en dirigeant des efforts de paix dans la région, en plus de jouer un rôle plus actif dans le processus de négociations politiques prévu dans la «  feuille de route.  »

RECOMMANDATION 16

Le Canada devrait veiller à ce que ses activités d’assistance humanitaire et d’aide au développement dans les territoires palestiniens contribuent au maximum à répondre aux besoins humains prioritaires tout en favorisant la recherche de solutions pacifiques et pluralistes au conflit.

RECOMMANDATION 17

Le Canada devrait continuer de faire valoir aux autorités israéliennes et palestiniennes l’importance de respecter leurs obligations internationales relativement aux droits de la personne et leur rappeler qu’il est dans leur intérêt de mettre fin à toute violence, particulièrement aux attentats terroristes ciblant des civils innocents, et de poursuivre les négociations de paix de bonne foi.

RECOMMANDATION 18

Lors de l’examen prochain des politiques internationales du Canada annoncées par le gouvernement en février 2004, il importerait de revoir le rôle et les capacités du Canada à long terme sur les plans de la diplomatie, de la défense et de l’aide au développement dans le contexte de la promotion du processus de paix au Moyen-Orient.

Jordanie

Comme le Maroc, premier pays musulman visité par le Comité dans le cadre de son étude, le Royaume hachémite de Jordanie est un royaume arabe sans pétrole et aux prises avec des problèmes de développement socio-économique et de démocratisation. Mais, de par sa situation géographique, il se trouve au cœur des crises qui secouent le Moyen-Orient sur le plan de la sécurité. Il est situé entre Israël et l’Irak et il est contigu aux territoires palestiniens occupés; son avenir est lié à la résolution des conflits centraux de la région. La majorité de ses plus de cinq millions d’habitants sont des Palestiniens qui ont pour la plupart la citoyenneté jordanienne310.

La Jordanie est l’un des petits États qui ont été taillés dans la dépouille de l’empire ottoman lors des négociations entre les grandes puissances qui ont suivi la Première Guerre mondiale. Établie comme monarchie confiée à la famille hachémite en 1921, la Jordanie est placée sous mandat britannique par la Société des Nations, statut qu’elle conservera jusqu’à son indépendance en 1946 après la Seconde Guerre mondiale. Le roi actuel, Abdallah II, a succédé à son père le roi Hussein en 1999. Bien que la Jordanie ait mené deux guerres contre Israël, perdant la Cisjordanie lors de la guerre de 1967, les accords d’Oslo du début des années 1990 lui ont donné l’occasion de suivre l’exemple de l’Égypte et de conclure un traité de paix bilatéral avec Israël en 1994.

La monarchie jordanienne — qui conserve le pouvoir exécutif encore que sous le droit de regard des chefs tribaux et, dans une moindre mesure, d’une Assemblée nationale réactivée composée de 110 députés élus en juin 2003 — est considérée comme un allié modéré des États-Unis et des pays occidentaux. La Jordanie a joué un rôle actif dans les négociations de paix au Moyen-Orient. Après la publication de l’Accord de Genève début décembre 2003, le roi Abdallah et le président américain Bush auraient discuté de nouvelles propositions de cessez-le-feu palestiniennes311. En revanche, des questions comme la guerre en Irak et le manque de progrès concrets dans la feuille de route vers la paix au Moyen-Orient suscitent de la colère dans la population et de la frustration dans les milieux officiels. Le tout est de savoir dans quelle mesure la dynastie hachémite réussira à gérer les réformes politiques et socio-économiques nécessaires au milieu de ces crises.

Un récent rapport d’International Crisis Group (ICG) sur les défis auxquels est confrontée la Jordanie soutient que la stabilité du régime dépend de la poursuite d’un processus soigneusement géré de réformes démocratiques. Le rapport, auquel a fait référence un des témoins du Comité, Oraib Al-Rantawi du Al-Quds Center for Political Studies d’Amman, observe que : «  La Jordanie a survécu aux récentes tempêtes du Moyen-Orient, mais pour maintenir sa stabilité, elle doit décider combien de démocratie il lui faut et combien elle peut s’en permettre312.  » Les dirigeants de la Jordanie devront maintenir un équilibre délicat entre leur réaction aux développements externes et leur réponse aux pressions internes. Le rapport décrit l’ouverture de l’espace politique à laquelle voudrait procéder le roi Abdallah comme une opération

… remplie de risques, non seulement parce qu’elle peut modifier les rapports de force entre une majorité d’origine palestinienne qui n’est pas encore pleinement intégrée à la société jordanienne et les tribus qui sont les soutiens traditionnels de la monarchie, mais aussi parce qu’elle est considérée par beaucoup comme une politique impulsée par un gouvernement américain tout à fait impopulaire auprès du public jordanien. Comme en Égypte  …  les politiques américaines en Irak et dans le conflit israélo-palestinien nuisent en Jordanie à la cause de la libéralisation politique.

Le roi semble favoriser un processus mesuré, s’engageant fermement en faveur de réformes démocratiques, assouplissant les restrictions aux libertés d’expression et d’association et encourageant l’établissement d’un Centre des droits de la personne et d’un Conseil supérieur des médias. En juin, le gouvernement a organisé des élections et réactivé le parlement après un hiatus de deux ans. Les élections étaient libres, mais les règles du jeu assuraient l’élection d’un parlement favorable au régime. Ces mesures ne satisfont peut-être pas les critiques les plus exigeants, mais comme tout le monde convient que le processus risque de dérailler s’il n’est pas soigneusement encadré, elles sont sans doute réalistes. Par-dessus tout, elles sont nécessaires comme moyen de calmer le mécontentement populaire au sujet de la situation économique et des développements régionaux313.

Les réunions du Comité ont corroboré cette évaluation du besoin de progrès tant dans le processus de paix au Moyen-Orient qu’en matière de réformes politiques et économiques intérieures.

Témoignages entendus en Jordanie

Qualifiant la Jordanie de société ouverte, le ministre d’État aux Affaires étrangères Shaher Bak a rappelé que la Jordanie et le Canada entretenaient des relations de coopération, notamment dans les dossiers de sécurité. Les discussions sur la démocratisation et le dialogue entre les civilisations et les religions sont importantes, mais elles ne sont pas nouvelles, et elles sont cautionnées par le roi. M. Bak a noté que le prince Hassan avait établi le Forum de la pensée arabe en 1981 pour traiter de la diversité des civilisations et des cultures dans le monde arabe. La vie politique jordanienne évolue, a-t-il soutenu. Tôt ou tard, les élections seront fondées uniquement sur la mérite. La Jordanie ouvre un dialogue national en vue de bâtir des relations entre toutes les composantes de la société et il est à espérer que ces mesures donneront l’exemple aux autres sociétés musulmanes de la région.

M. Bak a observé que, parmi les difficultés à surmonter, il y a les retombées des attentats du 11 septembre, qui ont coûté à la Jordanie un énorme prix économique. Selon lui, le soutien au terrorisme se nourrit du désespoir né de la pauvreté et du chômage. Les jeunes qui n’ont rien à faire et pas d’emploi offrent un terrain fertile. En Jordanie, 70 p. 100 de la population a moins de 20 ans et le chômage est élevé. La création d’emplois a besoin de stabilité et la stabilité a besoin de paix, sans quoi, le radicalisme se fait jour. Il souhaite la prise en compte de tous les éléments — politiques, économiques et culturels — au sujet desquels la coopération est nécessaire. Au sein des sociétés, il faut enseigner dans les écoles la tolérance à l’égard des autres religions. Il ne devrait pas y avoir de citoyens de deuxième classe. La sécurité est importante, mais sans dialogue ouvert entre les peuples — comme l’initiative de Genève entre les Israéliens et les Palestiniens — des innocents continueront à payer le prix.

Concernant l’Irak, M. Bak a soutenu que seuls les Irakiens pouvaient assurer la sécurité. Il a indiqué que la Jordanie aiderait l’Irak à bâtir sa police et son appareil judiciaire sans se préoccuper du cadre juridique de ces efforts. La priorité est de travailler avec le peuple irakien parce que, pour reprendre ses mots, si votre voisin vit dans l’insécurité, vous ne dormirez jamais. Il a déclaré que la Jordanie était toute désignée pour servir de canal à cette aide en collaboration avec les Nations Unies et les autorités provisoires irakiennes, et il a salué la participation du Canada à cet effort.

Concernant la gouvernance et les autres réformes visant à donner confiance aux investisseurs et à créer des emplois dans la région, M. Bak déplore l’absence, imputable au problème palestinien, d’une organisation régionale efficace. À son avis, la Ligue arabe s’est avérée impuissante à favoriser le développement régional, ce qui, là encore, dépend du règlement du conflit israélo-palestinien. Il convient qu’il faudrait modifier les structures du pouvoir de la région et observe que la plupart des initiatives politiques des 30 dernières années ont «  filtré  » par la Jordanie. On prend à témoin la conférence qui doit avoir lieu en mai 2004 sur l’eau comme problème régional.

La rencontre du Comité avec des parlementaires jordaniens dirigés par le président de l’Assemblée était le premier échange du genre entre élus canadiens et jordaniens. Ces derniers ont exprimé leur reconnaissance pour l’aide au développement du Canada à la Jordanie et salué l’ouverture des perspectives de dialogue politique. Ils ont parlé franchement des souffrances causées à leur peuple par ce qu’ils considèrent comme un demi-siècle de guerres et d’occupation injuste de territoire arabe. Ils nourrissent eux aussi des doutes au sujet d’une autre occupation étrangère menée au nom de la lutte contre le terrorisme. Ils reconnaissent au roi Hussein le mérite d’avoir dirigé le pays courageusement vers la paix avec Israël. Les Jordaniens, ont-ils déclaré, rejettent la violence. Mais selon eux, la résistance à l’occupation est une autre affaire et ne saurait être assimilée à du terrorisme. En aspirant à la paix donc, les Jordaniens aspirent aussi à la liberté, à la dignité et à la fin de l’occupation de la Palestine et de l’Irak. Les politiques américaines dans la région doivent changer, sinon le dialogue deviendra plus difficile. Quant aux extrémistes islamistes, il y en aura toujours, mais, ont-ils insisté, l’islam est une religion de tolérance.

Les réunions du Comité avec des représentants de la société civile ont abordé des questions aussi diverses que le développement politique, le rôle des femmes, la situation des Palestiniens et l’aptitude des gouvernements de la Jordanie à remédier aux problèmes économiques et sociaux urgents en l’absence de progrès dans les grands dossiers de sécurité régionaux. Oraib Rantawi, directeur du Al Quds Centre for Political Studies, a rappelé les deux grands conflits qui ont façonné la région : le conflit israélo-arabe du siècle passé et les conflits avec l’Irak des 20 dernières années. Pendant de nombreuses années, la cause palestinienne a servi à justifier l’échec des réformes politiques et économiques. Il a fait remarquer que le processus de réforme économique allait de l’avant en Jordanie, mais qu’il n’y aura pas de société civile efficace avant longtemps. En plus des réformes politiques nécessaires, la pauvreté, le chômage et le renforcement du pouvoir des femmes comptent parmi les priorités. M. Rantawi a ajouté que le gouvernement jordanien avait beaucoup à faire pour tenir en respect les intégristes, les conservateurs et la vieille garde du régime. Se déclarant heureux de la position du Canada sur la guerre en Irak, il a dit espérer que le Canada jouera un rôle d’intermédiaire et apportera un soutien à la Jordanie en matière de sécurité et de bonne gouvernance.

Amal Sabbagh, secrétaire générale de la Commission nationale des femmes de la Jordanie, a noté qu’en 1997, 17 femmes ont brigué un siège à l’Assemblée sans parvenir à se faire élire. Il a fallu un quota pour assurer la présence de femmes au parlement. Après six années de pressions en faveur de l’établissement d’un quota, c’est le roi Abdallah et non le gouvernement qui l’a accordé. Le quota étant fixé à six femmes, on cherche maintenant à régler les questions relatives au mécanisme de sélection, au nombre de sièges et à l’avantage accordé aux petites circonscriptions. Mme Sabbagh a indiqué que le gouvernement souhaitait un dialogue national, mais que la loi électorale n’allait probablement pas en faire partie. Cependant, elle s’est dite encouragée par les réunions de parlementaires avec des femmes de toutes les régions de la Jordanie et par le caractère concret, charpenté et ciblé de ces dialogues qui ont aidé à dissiper l’idée que la «  défense des droits de la femme  » était essentiellement le fait des femmes de l’élite d’Amman, la capitale. Ainsi, les parlementaires masculins considèrent maintenant les femmes comme une clientèle électorale importante dans le contexte des prochaines élections.

Mouin Rabbani, analyste supérieur du International Crisis Group à Amman, a noté que trois thèmes imprégnaient la vie politique en Jordanie. Premièrement, les gens déplorent l’insuffisance de la représentation politique. C’est vrai pour les femmes, mais aussi pour la population en général, même après les récentes élections législatives. Beaucoup estiment que les décisions se prennent sans leur consentement ni leur participation. Deuxièmement, ils voudraient participer davantage à l’élaboration de la stratégie de développement économique et social. La priorité accordée à la réforme économique, a-t-il expliqué, ne procède pas de consultations populaires, mais bien plutôt de l’intervention du FMI et de considérations stratégiques. Il s’ensuit qu’il n’est guère possible d’ajuster le processus et que ses priorités ne jouissent pas forcément de l’appui des populations. Troisièmement, à son avis, les crises régionales associées à l’Irak et au conflit israélo-palestinien ont donné aux Jordaniens l’impression qu’ils ne peuvent pas influer sur les réalités régionales qui leur tiennent le plus à cœur. Bien que son évolution politique soit un avantage comparé aux autocraties rigides comme la Syrie et l’Arabie Saoudite, la Jordanie reste une société sous-développée, ce qui favorise l’émergence de ce qu’il appelle des «  mouvements extra-légaux  ».

Ces témoins ont également fait remarquer que beaucoup de musulmans aspiraient à la démocratie et que leurs débats ne portaient que sur la forme qu’elle doit prendre. Pour eux, il faudrait adapter les structures de représentation démocratique et de protection des droits de l’homme aux particularités d’une société traditionnelle comme celle de la Jordanie. Ils ne comptent pas beaucoup sur la Ligue arabe314 ou sur des interventions extérieures comme la suppression du régime de Saddam Hussein en Irak (qui était considéré non pas comme une menace pour la Jordanie mais plutôt comme un partenaire commercial). L’un d’entre aux a signalé que, selon un sondage récent, 74 p. 100 des Jordaniens considéraient les États-Unis comme la plus grande menace pour la région, le pourcentage le plus élevé de tous les pays arabes, et ce pour plusieurs raisons, dont le soutien apparemment inconditionnel des États-Unis à Israël.

En revanche, ils considéraient que le capital politique du Canada dans la région était élevé à cause de sa position sur la guerre en Irak. Le Canada a aussi la réputation de ne pas exclure socialement les minorités et d’adopter à l’égard des relations du monde islamique avec l’Occident une attitude très différente et plus acceptable que celle des États-Unis. Ces Jordaniens pressent le Canada de continuer à traiter avec les institutions de la société civile dans le monde arabe, dont l’engagement est essentiel au succès du processus de réforme. L’un des défis, selon eux, est de savoir comment traiter avec les États-Unis sur ces questions sans être dirigé par des priorités américaines.

Dans le cadre d’une table ronde avec des journalistes jordaniens chevronnés, le Comité a eu l’impression que le Canada pourrait avoir un rôle à jouer à l’appui des médias, des droits de la personne et des institutions de la société civile dans la région. Il est ressorti de ces échanges qu’on se préoccupe des libertés de la presse en Jordanie et de l’avenir du peuple palestinien. On a fait observer que la priorité accordée par le roi Abdallah au développement économique et social s’accompagnait d’un durcissement dans les dossiers politiques, y compris au niveau de la liberté des médias, comme en font foi la loi adoptée 28 jours après le 11 septembre 2001 et les poursuites auxquelles elle a donné lieu, y compris pour des raisons morales et religieuses. En outre, il est difficile en vertu de cette loi de faire état d’allégations d’inconduite sans s’exposer à des poursuites. Il y a aussi de la censure interne dans la mesure où les rédacteurs atténuent les articles susceptibles d’être jugés inacceptables ou se font dire la nuit au téléphone par les services de sécurité de ne pas publier certains articles.

Bien que le roi lui-même soit largement considéré comme progressiste en ces matières, il est entouré par des services de sécurité conservateurs et d’autres éléments de la vieille garde qui sont préoccupés par la stabilité à long terme du régime. Toutefois, un mouvement se dessine en faveur de l’émergence d’un environnement politique plus ouvert, y compris en ce qui concerne les médias. L’un des problèmes, c’est que le journalisme est une profession mal payée qui n’a pas le respect des responsables politiques. La cause de la liberté de presse y gagnerait si le gouvernement vendait ses actions dans les principaux quotidiens.

Un autre problème, c’est qu’il n’y a presque pas d’articles favorables sur Israël dans la presse alors qu’on y met constamment l’accent sur la difficile situation des Palestiniens dans les territoires occupés. Il en est ainsi parce qu’on considère largement Israël comme l’occupant armé d’un peuple désarmé. On a cependant parlé d’une prochaine enquête journalistique sur les relations bilatérales entre la Jordanie et Israël qui révélerait une foule de contacts réguliers au «  niveau de comités  » sous l’égide du traité de paix bilatéral. On a également fait remarquer que, en plus des contacts sur les dossiers de politique étrangère, les projets de coopération bilatérale avec Israël se multipliaient, entre autres, sur des questions économiques pratiques et au sujet d’une étude de la vallée centrale. Il y a aussi une bonne coopération en matière de frontières et de sécurité. Côté éducation, beaucoup d’étudiants de maîtrise et de doctorat jordaniens fréquentent des universités israéliennes, dont 28 dans le seul domaine de l’environnement. Pourtant, cette information est rarement diffusée.

Les vues de l’ancien premier ministre Taher Masri et de l’ancien ministre des Affaires étrangères Abdallah Ensour sur le processus de paix du Moyen-Orient ont été notées au chapitre précédent. Il convient de faire état de plusieurs autres éléments importants qui ressortent des propos qu’ils ont tenus devant le Comité. Ils estiment, d’une part, que, même avec la paix sur les fronts israélo-palestiniens, le développement démocratique, économique et social de la région tout entière serait lent et ne serait pas nécessairement automatique. Ils admettent que beaucoup se sont servis de l’existence d’Israël pour bâtir et consolider des régimes non démocratiques. La paix exposerait les dirigeants à des pressions en faveur de la démocratisation. Des changements dans la condition des femmes et des améliorations dans le système d’éducation pourraient peut-être alors faire évoluer les choses dans la bonne direction, mais ces processus seraient graduels.

Ils estiment, d’autre part, que nombreux sont ceux dans la région qui sont disposés à collaborer avec le Canada pour relever ces défis. Le terrain se prête à la coopération sur le plan de l’édification de la société civile. M. Masri a rappelé l’aide substantielle que le Canada a apportée à la Jordanie et au monde arabe. Il se réjouit de voir le Canada adopter une position considérée comme objective, soulignant que les Jordaniens n’avaient rien à redire au «  comportement politique  » de notre pays. Faisant écho à ces commentaires, M. Ensour a déclaré considérer les échanges politiques comme «  une partie de la solution  ». Selon lui, il faudrait les institutionnaliser puisque le Canada compte parmi le petit nombre de pays susceptibles de faire partie de la solution. Le conflit en cours a «  minimisé la civilisation  » dans la région. Une fois cette tragédie terminée, peut-être les choses pourraient-elles s’améliorer.

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

Le Comité voit la Jordanie comme un éventuel pont entre l’Occident et le monde arabe dans une région qui a besoin de se rétablir et de laisser derrière elle des générations de violence et de terreur. La Jordanie a reçu du Canada une aide au développement considérable qui a totalisé environ 86 millions de dollars au cours de la dernière décennie et qui se concentre sur l’éducation et la formation, l’eau et l’hygiène et la consolidation de la paix. Le Canada a un intérêt d’investissement et un intérêt à long terme à ce que se poursuive le développement socio-économique de la Jordanie, à ce qu’elle progresse de façon durable sur la voie des réformes libérales-démocratiques et à ce qu’elle puisse contribuer au règlement final du conflit israélo-palestinien.

À tous ces égards, la politique canadienne devrait viser dans toute la mesure du possible à encourager et à appuyer l’évolution de la Jordanie comme société ouverte et tournée vers l’extérieur qui travaille à améliorer la situation pour les peuples du Moyen-Orient et pour l’ordre international tout entier. Nous notons que, lorsque Raja Khouri de la Fédération canado-arabe a parlé devant le Comité à Ottawa du besoin d’appuyer et de développer les efforts au Canada et dans le monde arabe pour améliorer le dialogue, la compréhension interculturelle et interconfessionnelle, le pluralisme et le règlement pacifique des conflits, il a cité la devise d’une organisation jordanienne, le North-South Centre for Dialogue and Development, qui dit avec autant d’éloquence que de concision : «  Ceux qui dialoguent ne sont plus en conflit, mais en quête de solutions315.  »

RECOMMANDATION 19

Le gouvernement du Canada devrait encourager fortement le gouvernement de la Jordanie à continuer sur la voie de la libéralisation socio-économique, de la démocratisation, de la bonne gouvernance et du respect des droits de la personne. Le Canada devrait également continuer à coopérer avec la Jordanie sur des objectifs de paix régionale et de démocratisation, y compris en cultivant des vecteurs du dialogue interconfessionnel et politique tant au niveau officiel qu’au niveau de la société civile.

Le Maroc

Le Maroc est un pays en mouvement, qui demeure néanmoins attaché à ce qu’il n’a jamais cessé d’être : un vieil État national, à la charnière des espaces méditerranéen, atlantique et saharien; un peuple chaleureux, hospitalier et pacifique, enraciné dans son identité mais ouvert à la modernité, pratiquant un islam synonyme d’humanisme et de respect de la vie humaine, de tolérance et de solidarité; un pôle de paix, de stabilité et de modération en Méditerranée et dans le monde316.

Premier ministre du Maroc Driss Jettou Janvier 2004

 … la liberté d’expression est beaucoup plus grande qu’elle ne l’était, mais tant la démocratie que l’islam n’existent au Maroc que dans les limites du contrôle royal. Le robuste système multipartite laisse présager un pouvoir législatif croissant au Maroc, mais l’on ignore toujours comment le roi Mohammed dirigera le pays à long terme et s’il élargira la portée de la démocratie … 317

Noah Feldman

Il est généralement admis que le Maroc est l’un des premiers États du monde arabe pour ce qui est des réformes politiques, et les Marocains sont convaincus que le titre de «  commandeur des croyants  » que porte leur roi contribue à la modération de l’islam pratiqué au Maroc. Lors de sa visite dans ce pays, le Comité a vu cette opinion confirmée, de même que la nécessité d’aider le Maroc dans sa poursuite des réformes politiques, économiques et sociales.

La monarchie et la réforme

Le Maroc compte quelque 31 millions d’habitants, presque exclusivement arabes ou berbères et musulmans. Lien traditionnel entre l’Europe et l’Afrique, le Maroc se situe à l’extrémité occidentale du monde arabo-musulman et constitue, avec l’Algérie, la Libye, la Mauritanie et la Tunisie, ce que l’on appelle le Maghreb. Protectorat français de 1912 à 1956, le Maroc a accédé à l’indépendance en 1955 avec le retour du sultan du Maroc (le futur roi Mohammed V) et la formation du premier gouvernement marocain indépendant. Si l’indépendance s’est faite après une longue lutte dans laquelle la religion a joué un rôle, elle a été beaucoup moins violente qu’en Algérie, État voisin et rival.

La monarchie demeure le fondement de la société et du gouvernement marocains. Selon l’article premier de sa constitution, le Maroc est un État musulman et une monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale. Le roi a un rôle central au sein du gouvernement, puisqu’il a, entre autres, le pouvoir de nommer le premier ministre, de changer la constitution et de refuser de modifier les lois, ainsi que sur le plan religieux, puisqu’il porte le titre de «  commandeur des croyants  ». Comme l’a expliqué un expert, la communauté internationale juge que «  le fait que le roi soit à la fois chef séculier et religieux […] contribue encore à ancrer la légitimité dans le compromis, la coopération, le consensus et le rejet de la confrontation violente318  ».

En 1961, le roi Mohammed V a été remplacé sur le trône par son fils, le roi Hassan II, qui a régné pendant près de 40 ans. D’après M. Feldman, si Hassan II a permis l’existence de partis politiques au Maroc, il a cependant fait en sorte, durant la majeure partie de son règne, de limiter considérablement les pouvoirs de la législature et a nommé des premiers ministres et des gouvernements royalistes. En 1998, il a toutefois nommé un premier ministre issu de ce qui avait constitué le principal parti d’opposition pendant de nombreuses années, ce qui d’après M. Feldman constitue un progrès remarquable vers la démocratie319.

Après avoir décroché une licence en droit au Maroc, fait un stage auprès de la Commission de la communauté économique européenne sous la responsabilité de Jacques Delors et obtenu le grade de docteur en droit en France, Mohammed VI montait à son tour sur le trône en juillet 1999. Il a immédiatement limogé le ministre de l’Intérieur, accusé d’avoir réprimé les dissidents et commis d’autres abus. Mohammed VI est généralement perçu comme l’un des plus grands réformateurs du monde arabe — selon Feldman, avec le roi Abdallah de Jordanie, il pourrait représenter le meilleur espoir de développement de la démocratie islamique du monde musulman320. Le premier Rapport du développement humain dans le monde arabe souligne un certain nombre de réalisations du Maroc, y compris «  les réformes démocratiques récentes et les succès obtenus par les organisations de femmes marocaines dans leur lutte contre les tabous traditionnels  »321. M. Mazen Chouaib (National Council on Canada Arab Relations) a repris ce dernier point sur le rôle des femmes au Maroc lors des audiences tenues par le Comité à Ottawa322.

Certains témoins ont convenu de la nature et de l’importance des réformes au Maroc. À New York, Mme Rima Khalaf Hunaidi, ancienne vice-premier ministre de Jordanie qui, en sa qualité de secrétaire générale adjointe des Nations Unies et de directrice du Bureau régional du PNUD pour les États arabes, était responsable de la production des éminents Rapports sur le développement humain dans le monde arabe, a fait savoir que le Maroc progressait sur le plan des élections, de la représentation des femmes au Parlement, des partis politiques sérieux et de la réconciliation nationale; selon elle, le Maroc est dans le peloton de tête des pays arabes sur le plan des réformes. Mme Isobel Coleman, du Council on Foreign Relations, a ajouté que le roi lui-même se voyait comme un jeune réformateur guidant le pays sur la voie du changement en établissant, par exemple, des quotas aux élections de septembre 2002 pour assurer la représentation des femmes. Pour elle l’expérience marocaine, notamment, donne à penser que laisser les partis islamistes participer aux élections permet d’en atténuer l’extrémisme.

Relever les défis politiques et sociaux

Malgré un taux de participation relativement faible, les élections de 2002, à l’issue desquelles 34 femmes ont été élues, sont considérées comme les premières élections transparentes jamais tenues au Maroc. Phénomène au moins aussi important, le gouvernement a permis à un parti islamiste modéré, le Parti de la justice et du développement, de se présenter et celui-ci est devenu le troisième groupe au Parlement et constitue aux yeux de certains l’opposition parlementaire la plus efficace323. Pour la plupart des observateurs, le refus du gouvernement de laisser le Parti Justice et bienveillance, plus populaire (et moins modéré), se présenter est le signe qu’il reste encore beaucoup à faire pour démocratiser le Maroc. D’autres étaient plus critiques. Selon le politicologue américain John Entelis :

Pour comprendre le gouffre entre image et réalité au Maroc, il faut commencer par analyser les différences générationnelles qui sont apparues dans le pays au cours des deux dernières décennies. L’actuelle génération de jeunes adultes a connu une cascade de promesses trahies, d’espoirs illusoires, d’espérances irréalistes, d’incertitudes culturelles et de manipulations politiques. La corruption et les passe-droits abusifs sont omniprésents au plus haut niveau de l’autorité politique, établissant ainsi un modèle que toutes les couches moins puissantes cherchent à imiter324.

Outre la démocratisation et la gouvernance, les principaux défis auxquels le Maroc est aux prises continuent d’être le développement économique, l’analphabétisme — taux élevé en général et d’environ 70 p. 100 pour les femmes — le chômage et la marginalisation des femmes. Avec l’aide notamment du Canada, le roi Mohammed VI a beaucoup insisté sur la réforme de l’éducation. Comme Noah Feldman l’a fait remarquer, plus les gens sont instruits, plus ils cherchent à se gouverner eux-mêmes. C’est pourquoi il est courageux (ou risqué) pour un monarque de promouvoir l’alphabétisation et l’instruction325. Qui plus est, après des années de discussion, au cours de l’automne 2003 le roi a finalement présenté au Parlement une nouvelle loi sur les relations familiales (Moudawana), expliquant qu’il agissait en sa double qualité de roi et de commandeur des croyants. Bien avant que cette révision ne soit présentée, ses opposants islamistes étaient trois fois plus nombreux à manifester dans les rues que ses défenseurs326.

Les attentats-suicides de mai 2003 (moins d’une semaine après la visite du Comité), visant cinq lieux distincts à Casablanca et faisant 39 victimes et 60 blessés, ont révélé une menace réelle pour la sécurité dans le pays. Le gouvernement est intervenu rapidement — trop de l’avis de certains. Quelque 634 personnes ont été accusées, poussant certains groupes de défense des droits de l’homme à déclarer que les attentats avaient servi de prétexte à l’arrestation de prétendus extrémistes. Dans une lettre ouverte au secrétaire d’État américain Colin Powell en prévision d’un voyage en Afrique du Nord prévu pour décembre 2003, Human Rights Watch expliquait :

Au Maroc, les mesures de répression prises dans le cadre de la nouvelle législation anti-terroriste ont été renforcées après les attaques du 17 mai à Casablanca et sont en train de remettre en cause les progrès importants qui avaient été faits dans le domaine des droits de la personne ces dix dernières années. Alors que la pratique des «  disparitions  » avait cessé et que l’utilisation de la torture diminuait nettement depuis plusieurs années, des décès suspects auraient de nouveau eu lieu dans les centres de détention et on serait toujours sans nouvelles de plusieurs personnes, des mois après leur arrestation. Nous vous recommandons vivement d’appeler les autorités marocaines à user de la détention, mener des enquêtes et conduire les procès des militants présumés d’une manière propre à conforter les progrès effectués qui avaient fait du Maroc l’un des pays de la région les plus respectueux des droits de la personne.

Il est aussi crucial que les autorités marocaines réaffirment leur engagement à respecter la liberté de la presse. L’une des mesures qu’elles devraient prendre est de libérer les journalistes emprisonnés, notamment Ali Mrabet, rédacteur de Demain et de Douman, hebdomadaires indépendants rédigés en français et en arabe, qui ont été interdits par ordre du tribunal. M. Mrabet purge depuis le mois de mai une peine de prison de trois ans pour avoir, à travers ses articles, ses entretiens et ses dessins, fait «  outrage à la personne du roi  », porté «  atteinte au régime monarchique  », et «  à l’intégrité territoriale327  »

En janvier 2004, Mohammed VI graciait 33 personnes accusées de subversion, dont une douzaine d’islamistes, une douzaine d’indépendantistes provenant du Sahara occidental et plusieurs journalistes, dont Ali Mrabet. Fait tout aussi important, en décembre 2003 il annonçait qu’une commission de la justice et de la réconciliation serait établie pour produire un compte rendu définitif sur les violations des droits de l’homme au Maroc depuis quelques décennies. Selon The Economist, si le roi s’acquitte correctement de cette tâche, il pourrait être un exemple pour le monde arabe328.

Outre la menace terroriste dont témoignent les attentats de 2003, il y a, selon un analyste, d’autres facteurs qui contribuent à un étrange climat d’insécurité au Maroc329. Sur le plan de l’économie, M. Feldman a fait remarquer que le Maroc a une côte atlantique et une côte méditerranéenne, mais qu’il n’est une porte vers nulle part sinon le Sahara et que sa productivité pourrait être meilleure330. Si elles n’ont pas permis de résoudre les problèmes comme le chômage élevé, les réformes économiques ont cependant mené à un exode de la population des campagnes vers les villes, tendance qui s’accroîtra si l’accord de libre-échange proposé par les États-Unis exige une réelle réforme de l’agriculture. Étant donné qu’il est difficile d’immigrer légalement en Europe, l’immigration clandestine s’intensifie. M. Jon Marks a ajouté que bien des Marocains occupant une profession libérale estiment que, dans une économie toujours dominée par les entreprises familiales, ils peuvent jouir d’une vie confortable mais sans pouvoir aspirer à plus; faute de mobilité sociale, des dizaines de milliers d’entre eux ont demandé à immigrer dans un pays qui les accepterait légalement, le Canada331.

Le destin du Sahara occidental est un autre facteur qui contribue au sentiment d’insécurité et demeure au premier plan de la politique marocaine. Le Maroc a quasiment annexé ce territoire en 1975, lors de la «  Marche verte  » organisée par le roi Hassan II à laquelle ont participé quelque 350 000 bénévoles non armés. Pour le Maroc, cette région fait partie de son territoire, quoique cela soit toujours contesté; depuis la fin de la guerre froide la communauté internationale exerce des pressions croissantes pour en arriver à une solution diplomatique. En juillet 2003, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté le plan de l’ancien secrétaire d’État américain James Baker, et le territoire pourrait passer aux mains des indépendantistes du Polisario d’ici quelques années. Un observateur a noté en septembre 2003 que, à l’approche de son quarantième anniversaire et après cinq années sur le trône, le roi Mohammed pourrait bien faire du Sahara, plus que du radicalisme islamique, l’enjeu déterminant de son règne332.

Témoignages entendus au Maroc

Les témoins entendus au Maroc ont considéré la visite du Comité dans leur pays comme un exemple du type de dialogue nécessaire entre le monde musulman et les États occidentaux. Ils étaient heureux de pouvoir expliquer les nombreux défis auxquels leur pays est aux prises et corriger les mythes et les généralisations que propagent les médias sur les États musulmans qui, selon eux, ne s’appliquent pas au Maroc.

Sur le plan national, les principaux défis qui continuent de se poser sont le déficit démocratique, l’analphabétisme très répandu et le rôle des femmes, surtout dans les campagnes. L’universitaire Fahd Regragui a déclaré que nous devrions nous attacher aux populations plutôt qu’aux religions et que les problèmes comme l’analphabétisme sont imputables non pas à l’islam mais aux gouvernements. Ces difficultés ont abouti à des pressions d’ordre social et consolidé l’attrait des extrémistes. Selon M. Mohammed Tozy, l’islamisme s’est consolidé très lentement au Maroc. D’après bien des témoins, le fait que le roi soit également commandeur des croyants a limité les possibilités pour d’autres d’utiliser la religion à des fins politiques.

Le spécialiste des droits de l’homme, Mohammed-Allal Sinaceur, ancien ministre et surtout «  Conseiller de Sa Majesté le Roi  », a précisé que le fait qu’il y a un seul courant juridique et pragmatique d’islam au Maroc (Maliki) explique la situation. Il faut aussi savoir que le roi Hassan II avait étudié les problèmes d’un islam plus politisé et s’y était opposé. S’exprimant en arabe, la députée Fatima Moustaghfi a déclaré que, si le Maroc était économiquement faible, il était culturellement riche; qu’elle estimait que son rôle de députée était de protéger sa culture marocaine et de travailler au respect des valeurs et droits de la personne. Elle a mentionné notamment que, lors du mariage du roi, la mariée ne portait pas de voile, bien que Mohammed soit commandeur des croyants.

Lahcen Daoudi, député du Parti islamiste modéré de la justice et du développement, a expliqué que l’islam avait toujours insisté sur la consultation, la base de la démocratie. Même s’il peut y avoir des différences au niveau de la forme, ce sont les principes qui comptent. Pour ce qui est de savoir si les islamistes peuvent arriver à instituer un régime politique démocratique, il est irréaliste de s’attendre à ce qu’ils le fassent en une dizaine d’années, puisqu’il a fallu des siècles aux pays occidentaux pour y parvenir. L’islam condamne les violations des droits de l’homme, mais il y a des droits individuels et des droits collectifs, a précisé Lahcen Daoudi. Pour lui, les gens peuvent faire ce qui leur plaît chez eux, mais ils doivent reconnaître que les règles sont différentes lorsqu’ils sont dans un espace collectif. L’islam n’est pas violent, mais les gens connaissent mal leur religion, si bien qu’on peut leur dire n’importe quoi. Les gens ne naissent pas violents, ils le deviennent, et c’est la responsabilité de la société. Les élites marocaines s’imaginent que la modernité est portée de main, nous a-t-il dit, mais elles se trompent et ne voient pas le fossé entre elles et le peuple. L’instruction est un remède universel sans lequel rien ne change; l’instruction et la justice sont des solutions, ce qui n’est pas le cas du châtiment.

Sur le plan international, les Palestiniens illustrent, de l’avis de nombreux témoins, les frustrations que ressentent les musulmans du monde entier. Selon certains, les attentats-suicides sont le seul moyen dont disposent les Palestiniens pour combattre l’occupation israélienne. L’avocat et activiste politique Lhalid Seffiani a déclaré que l’extrémisme avait pour origine la violence et l’occupation, comme les pratique Israël en Palestine. Selon lui, les Palestiniens ont le droit de répondre à l’occupation comme Charles de Gaulle l’avait fait contre les Allemands et le Canada a donc tort de faire figurer l’Hezbollah sur la liste des groupes terroristes. En revanche, pour lui, l’Ouest ne constitue pas un groupe monolithique : il aurait refusé de rencontrer une délégation américaine, mais il apprécie les efforts de l’Union européenne et estime que le Canada devrait se joindre à cette dernière pour tenter d’établir un contrepoids politique aux États-Unis. M. Mohammed Tozy a convenu qu’il était important de ne pas associer des groupes comme le Hezbollah, disposés à négocier, avec Oussama ben Laden.

Pour l’homme d’affaires Abdelmalek Kettani, le monde arabe en a assez de l’injustice et de la politique du «  deux poids, deux mesures  » à propos de la Palestine et recommande au Canada de faire davantage pour résoudre la situation. À son avis, le problème palestinien constitue à certains égards une sorte de «  viagra  » pour les chefs arabes. Même s’ils n’appuient pas le régime de Saddam Hussein, un certain nombre de témoins ont aussi condamné l’invasion de l’Irak. Par exemple, Khalid Seffiani n’a jamais vu d’un bon oeil le régime de Saddam Hussein, mais il estime néanmoins que personne n’avait le droit de le renverser.

Les témoins ont loué le Canada pour la politique qu’il mène à la fois sur le plan international et au niveau national. Sur la scène internationale, le Canada devrait, de l’avis de plusieurs, continuer de suivre les principes de droit international et d’appliquer une politique différente de celle des États-Unis. Tous sont d’accord sur la nécessité d’une poursuite du dialogue et beaucoup ont déclaré que le Canada et ses alliés du G8 et de l’Union européenne pourraient aider le Maroc et d’autres États musulmans sur le plan économique et technique de manière à promouvoir l’instruction et la démocratisation. M. Abdelmalek Kettani a recommandé au nom de l’ONG Alternatives qu’à court terme le Canada et les autres États du G8 montrent en exemple à l’ensemble du monde arabe les pays qui progressent correctement sur le plan de la gouvernance, comme le Maroc. On pourrait aussi envisager par exemple l’établissement d’un fonds visant à aider les groupes de la société civile à promouvoir la modernité. Pour lui, les échanges d’étudiants sont un véhicule particulièrement utile pour favoriser la compréhension.

Orientations possibles de la politique étrangère du Canada

Le Canada et le Maroc entretiennent des relations diplomatiques depuis 1962, relations qui ont été fondées pendant les 30 premières années sur l’aide au développement dispensée par le Canada. Cette aide s’est chiffrée à environ 400 millions de dollars entre 1963 et 1998 et a porté, dans un premier temps, essentiellement sur l’appui aux institutions, la formation et l’éducation, puis sur le développement du secteur privé marocain dans les domaines comme la gestion et la technologie. Le gros de l’aide devant cesser en 2003, décision prise après consultation du gouvernement et de la société civile du Maroc, il a été décidé de refocaliser l’aide dans les domaines de l’éducation de base, de la formation professionnelle et du développement social. M. Paul Hunt, de l’ACDI, a expliqué au Comité :

 … nous avons récemment refocalisé le programme de contribution du Canada avec l’aide des autorités et de la société civile du Maroc de manière à insister sur l’éducation de base. Pour quelle raison? C’est la clé d’une série de changements favorables qui surviennent sur le plan du développement dans une société. Les autorités marocaines tenaient vraiment, par ailleurs, à obtenir l’aide canadienne dans ce domaine dans les deux langues et de manière à soutenir leurs efforts en vue de mettre en place une stratégie de réforme de l’éducation de base333.

L’aide canadienne au Maroc a atteint quelque 5,45 millions de dollars au cours de l’année financière 2002-2003. L’ambassade du Canada au Maroc dispose d’un fonds de 265 000 $ pour les initiatives locales de manière à venir en aide aux groupes de la société civile ainsi que d’un fonds de 500 000 $ pour promouvoir l’égalité des sexes.

Il existe au Canada une communauté marocaine de quelque 60 000 personnes — essentiellement à Montréal — et environ 1 000 étudiants marocains étudient au Canada chaque année (troisième groupe d’étudiants étrangers en importance au Québec). Par ailleurs, le gouvernement canadien considère le Maroc, un membre de la Francophonie, comme un État musulman important et modéré, et il s’emploie à consolider les relations entre nos deux pays. M. Gwynne Dyer a précisé au Comité, à Londres, que le travail que le gouvernement canadien avait fait pour rehausser le profil du Canada dans les régions francophones du monde musulman, notamment au Maghreb, avait porté fruit et était précieux, ajoutant que c’était de l’argent bien dépensé.

Le Comité reconnaît que la façon dont le Maroc relève ses propres défis pourrait servir d’exemple aux autres États arabes. Le Canada devrait donc continuer d’aider le Maroc à poursuivre ses efforts sur la voie de la démocratisation et du développement.

RECOMMANDATION 20

Le Canada devrait continuer d’encourager et d’appuyer le gouvernement du Maroc dans son vaste programme de réformes. En particulier, il devrait accroître son aide sur le plan de l’éducation et continuer d’aider le Maroc à se démocratiser, à réformer son mode de gouvernance et à consolider sa société civile.


156Introduction à «  The Challenge of Political Reform: Egypt after the Iraq War  », Le Caire/Bruxelles, 30 septembre 2003, p. 1.
157Saad Eddin Ibrahim, «  Special Report: Crises, Elites, and Democratization in the Arab World  », Middle East Journal, 47:2, printemps 1993, p. 292. Pour un bon aperçu de la situation actuelle qui débute par une citation choc d’Ibrahim sur les perspectives de démocratisation au Moyen-Orient, voir Kenneth Jost et Benton Ives-Halpern, «  Democracy in the Arab World  », CQ Researcher, 14:4, 30 janvier 2004, p. 73-100 (http://www.cqresearcher.com). On trouvera un autre point de vue percutant dans Larbi Sadiki, The Search for Arab Democracy: Discourses and Counter-Discourses, Columbia University Press, New York, 2002.
158Programme des Nations Unies pour le développement, Rapport sur le développement humain dans le monde arabe 2002 : Créer des opportunités pour les générations futures, New York, 2002, Résumé exécutif. Le PNUD a publié un second volume en octobre 2003, Rapport sur le développement humain dans le monde arabe 2003 : Vers une société du savoir. (Les deux sont accessibles à http://www.undp.org/rbas/ahdr et le second le sera bientôt.) Bien que le Comité n’ait pas pu rencontrer le Dr Nader Fergany, un des principaux auteurs des deux rapports, des membres du Comité ont discuté, au Caire, des constatations du premier rapport à New York avec le Dr Rima Khalaf Hunaidi, ancien vice-premier ministre de Jordanie aujourd’hui Sous-secrétaire général de l’ONU et directeur du Bureau régional du PNUD pour les pays arabes. Voir aussi «  Special Report, Arab Development: Self-doomed to failure  », The Economist, 6 juillet 2002, p. 24-26.
159La population totale de la région arabe, qui s’élève aujourd’hui à 290 millions d’habitants, est censée doubler au cours des 30 prochaines années.
160Voir Commerce extérieur, investissement et développement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Banque mondiale, Washington, juillet 2003, et The Arab World Competitiveness Report 2002-2003, Forum économique mondial, New York, 2003. Le rapport de la Banque mondiale note que les pays arabes devront accueillir tous les ans d’ici 2010, 4,2 millions de nouveaux venus sur le marché du travail, soit deux fois plus qu’au cours des deux dernières décennies et que dans les autres pays en développement. Selon le World Competitiveness report, 15 p. 100 de la main-d’œuvre de la région (12 millions d’habitants) serait au chômage. Les études de ce rapport font aussi état de problèmes au niveau de la qualité et de l’efficacité de l’investissement privé dans la région et rattachent le ralentissement de la croissance au fait que «  la répartition des revenus ne s’est guère améliorée au cours des deux dernières décennies et qu’il y a eu peu de progrès en matière de réduction de la pauvreté  ». À l’autre bout de l’échelle, les États riches en pétrole du Golfe comptent environ 185 000 millionnaires possédant plus de 700 milliards de dollars dont la plus grande part a été investie à l’étranger et jusqu’à récemment surtout aux États-Unis et dans d’autres pays occidentaux.
161Témoignages, réunion no 48 (1635).
162Albrecht Schnabel, «  A rough journey: Nascent democratization in the Middle East  », dans Amin Saikal et Albrecht Schnabel (sous la direction de), Democratization in the Middle East: Experiences, struggles, challenges, Services des publications académiques (Nations Unies), Tokyo, 2003, p. 3.
163Ibid., p. 20.
164Janice Gross Stein, «  Imposing Democracy in the Middle East?  », Queen’s Quarterly, 110:1, printemps 2003, p. 19. Voir aussi Amy Hawthorne, «  Can the United States Promote Democracy in the Middle East?  », Current History, janvier 2003, p. 21-26, et Thomas Carothers, «  Is Gradualism Possible? Choosing the Strategy for Promoting Democracy in the Middle East  », Middle East Series Working Paper no 39, Carnegie Endowment for International Peace, Washington, juin 2003.
165Schnabel, p. 3. Un récent rapport de conférence offre une autre liste d’obstacles aux réformes : «  absence de volonté politique de la part des autorités; répugnance à prendre des mesures pouvant paraître dictées par l’extérieur et par une volonté de démocratisation à l’occidentale; crainte des conséquences éventuellement déstabilisantes de la promotion du pluralisme; inertie ou léthargie des gouvernants; partis d’opposition faibles et divisés sans chefs charismatiques; absence de pressions publiques et manque de conscience politique dans la population; et faiblesse ou quasi-inexistence d’organisations de la société civile.  » («  Political, Economic and Social Reform in the Arab World  », Wilton Park Conference : WP708, 31 mars-3 avril 2003, accessible à http://www.wiltonpark.org.uk.)
166Marina Ottaway, Thomas Carothers, Amy Hawthorne, Daniel Brumberg, «  Democratic Mirage in the Middle East  », exposé de politique, Carnegie Endowment for International Peace, Washington, octobre 2002, p. 5-7. Les auteurs soutiennent que les centaines de millions de dollars que les États-Unis ont consacrés au cours de la dernière décennie aux programmes de démocratisation au Moyen-Orient ont eu peu d’impact et qu’il faut repenser ces programmes dans le sens qu’ils indiquent. Voir aussi Marina Ottaway, «  Promoting Democracy in the Middle East: The Problem of U.S. Credibility  », Middle East Series Working Paper no 35, Carnegie Endowment for International Peace, mars 2003; Daniel Brumberg, «  Liberalization versus Democracy: Understanding Arab Political Reform  », Working Paper no 37, Carnegie Endowment, mai 2003; livraisons mensuelles du Arab Reform Bulletin du Carnegie Endowment (accessibles à : http://www.ceip.org); et Larry Diamond, Marc Plattner et Daniel Brumberg (sous la direction de), Islam and Democracy in the Middle East, Johns Hopkins University Press, septembre 2003.
167UK International Priorities, Foreign and Commonwealth Office, Royaume-Uni, décembre 2003, p. 15.
168«  President Bush Discusses Freedom in Iraq and Middle East: Remarks by the President at the 20th Anniversary of the National Endowment for Democracy  », Washington, 6 novembre 2003 (accessible au site web du NED à http://www.ned.org). Voir aussi Carl Gershman, «  A Democracy Strategy for the Middle East  », allocution du président du National Endowment for Democracy, Athènes, 12 décembre 2003; Joshua Muravchik, «  Bringing Democracy to the Arab World  », Current History, janvier 2004, p. 8-10.
169La proposition a été très contestée dans les pays arabes après la parution, en février 2004, d’un projet de document de travail américain destiné aux représentants du G8 concernant un partenariat du G8 au Moyen-Orient, dans le quotidien arabe Dar al Hayat (voir http://english.daralhayat.com/Spec/02-2004/Article-20040213-ac40bdaf-c0a8-01ed-004e-5e7ac897d678/story.html). Il semblerait que la portée de l’initiative soit atténuée avant le sommet du G8, en juin. (Voir Steven Weisman, «  U.S. Muffles Sweeping Call to Democracy in Mideast  », The New York Times, 12 mars 2004; et, pour un commentaire critique, David Ignatius, «  Real Arab Reform  », The Washington Post, 12 mars 2004; Brian Whitaker, «  Beware Instant Democracy  », The Guardian, 15 mars 2004.)
170 «  They say we’re getting a democracy  », The Economist, 15 novembre 2003, p. 9. Selon une autre analyste, le fait d’associer démocratie et droits de la femme mène à de sinistres interprétations et a des retombées imprévues dans le monde arabe. (Marina Ottaway, Women’s Rights and Democracy in the Arab World, Série sur le Moyen-Orient, no 42, Carnegie Endowment for International Peace, février 2004, p. 11). Selon Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller des États-Unis en matière de sécurité nationale, la transformation du Moyen-Orient sera une entreprise plus complexe que la restauration de l’Europe de l’après-guerre. («  The Wrong Way to Sell Democratization to the Arab World  », The New York Times, 8 mars 2004.)
171Michael Bell, «  Middle East Diplomacy: You can’t force democracy  », The Globe and Mail, 12 mars 2004, p. A13.
172Témoignages, réunion no 35 (1610).
173Ibid. (1600) Pour un examen plus large des limites de la politique canadienne dans la région, voir Mira Sucharov, «  A Multilateral Affair: Canadian Foreign Policy in the Middle East  », dans David Carment, Fen Osler Hampson et Norman Hillmer (sous la direction de), Canada Among Nations 2003: Coping with the American Colossus, Oxford University Press, Don Mills, 2003, p. 312-331.
174Témoignages, réunion no 50 (1115). D’autres projets de l’ACDI ont été annoncés par l’hon. Aileen Carroll, ministre de la Coopération internationale, en mars 2004. (Pour plus de détails, voir «  Le Canada soutient le développement du secteur privé, le développement social et la consolidation de la paix au Moyen-Orient  », Communiqué de presse, 3 mars 2004.)
175Témoignages, réunion no 53 (1120).
176Témoignages, réunion no 58 (1120).
177Le Canada pourrait peut-être tirer parti des débats qui se déroulent aux États-Unis sur les faiblesses de leur diplomatie publique et leur incapacité à engager un dialogue positif avec le monde arabo-musulman. Voir, par exemple, Marc Lynch, «  Taking Arabs Seriously  », Foreign Affairs, septembre/octobre 2003.
178L’ethnicité est la principale division sectaire, la minorité kurde constituant entre 15 et 20 p. 100 de la population. Un conflit de longue date avec les militants kurdes de l’aile gauche était la principale source du terrorisme interne avant l’infiltration du Djihad islamique.
179Témoignages, réunion no 52 (1235).
180Témoignages, réunion no 58 (1225).
181Guy Sorman, «  Turquie: Après la victoire aux législatives des « islamistes modérés ». Vers un islam de progrès? », Le Figaro, 6 novembre 2002, p. 15. Voir aussi Alex Captain, «  Divine Inspiration, Islamism in Secular Turkey  », Harvard International Review, hiver 2003, p. 6-7.
182Voir Deborah Sontag, «  The Erdogan Experiment  », The New York Times Magazine, 11 mai 2003, p. 42-47.
183Pour une analyse de l’impact de la crise iraquienne sur la politique étrangère turque, voir Hamit Bozarslan, «  La Turquie: puissance régionale et forteresse assiégée?  », Politique étrangère, printemps 2003, p. 93-102; Mustafa Kibaroglu, «  Turkey says no  », Bulletin of the Atomic Scientists, juillet-août 2003, p. 22-25.
184Warren Hoge, «  Cyprus Greeks and Turks Agree on Plan to End 40-Year Conflict  », The New York Times, 14 février 2004; «  One last push for peace  », The Economist, 16 février 2004.
185En effet, la Maison Blanche semble préférer la politique islamiste préconisée par Erdogan à celle de l’establishment laïc de la Turquie. Selon The Economist : «  Si la Turquie doit devenir un État démocratique à part entière appuyé par un islam modéré, comme le veut l’Amérique, les généraux et autres membres de l’élite laïque doivent apprendre à coexister avec des millions de Turcs ouvertement religieux au lieu de les accuser de militantisme islamiste. Certains de ces éléments subversifs pourraient se demander pourquoi il est interdit à la femme du premier ministre, Ermine, d’exercer des fonctions officielles à Ankara parce qu’elle porte le foulard islamique alors qu’elle peut accepter l’invitation de Mme Bush de prendre un café à la Maison Blanche.  » («  Coming to America  », 24 janvier 2004, p. 45.)
186Soli Ozel, «  Radicals who abhor moderate Islam », International Herald Tribune, 22-23 novembre 2003.
187Au sujet de la menace terroriste en Turquie, voir «  Terror in Turkey  », Strategic Comments, 9:10, décembre 2003, p. 1-2. Certains analystes doutent que la version modérée de l’islam politique proposée par l’AKP dans une démocratie laïque puisse mater ou circonscrire cette menace, qui pourrait aussi bien avoir ciblé le modèle turc que les institutions juives et britanniques. Selon l’écrivain iranien Amir Taheri : «  Une constante s’est établie au cours du dernier quart de siècle. À chaque fois que la politique turque a ouvert un peu plus la porte à l’islamisme, le mouvement islamiste en général est devenu plus radical et violent. Erdogan a commis l’erreur […] de croire que l’idéologie islamiste pouvait être modérée […] si vous-êtes islamiste vous-même, il y aura toujours quelqu’un pour prétendre qu’il l’est plus que vous.  » («  Turkey’s Islamist Monster  », National Post, 27 novembre 2003.)
188Le professeur Adanali a également remis au Comité un texte sur les nombreuses dimensions de l’enseignement religieux en Turquie intitulé «  The Many Dimensions of Religious Education in Turkey  ».
189La femme du ministre des Affaires étrangères de la Turquie, M. Abullah Gul, a également saisi la Cour européenne des droits de l’Homme d’une plainte pour dommages-intérêts à la suite du rejet de sa demande d’admission à l’Université d’Ankara parce qu’elle porte le foulard.
190Témoignages, réunion no 35 (1745).
191Témoignages, réunion no 52 (1245).
192Seulement 4 p. 100 environ des membres actuels du parlement sont des femmes.
193Au sujet des périls de l’interdiction, voir «  Veiled threats: The bad side-effects of a headscarf ban  », The Economist, 6 décembre 2003, p. 46. La proposition française d’interdire le port public de symboles religieux dont le foulard semble avoir attisé l’opinion musulmane dans le monde.
194Selon le profil de la Turquie établi par BBC News : «  Les journalistes turcs risquent d’être arrêtés et sont passibles de poursuites criminelles s’ils traitent de l’armée, des Kurdes et de l’islam politique, des sujets extrêmement délicats. Les groupes de surveillance des médias et de défense des droits de la personne rapportent que des journalistes ont été emprisonnés ou attaqués par la police. Il arrive également fréquemment à des stations de radio et de télévision d’être obligées de suspendre leurs émissions si elles diffusent de l’information délicate.  »
195Dans le cadre des efforts déployés par la Turquie en vue de mettre de l'ordre dans ses affaires à la demande de l'Europe, d'importantes mesures ont été prises, notamment par le chef adjoint de la police d'Istanbul, M. Halil Yilmaz, pour que ceux qui commettent des crimes contre les droits de la personne comme la torture ne puissent le faire en toute impunité. Selon un rapport d'enquête canadien :
À ce sujet, le gouvernement turc a changé la loi en janvier 2003 de telle sorte que les tribunaux doivent instruire les cas de torture sans délai et ne peuvent imposer une condamnation avec sursis ou une amende comme peine aux délinquants. Les tortionnaires ne peuvent être inclus dans les amnisties générales et ils doivent également indemniser leurs victimes. Est-ce que ça fonctionne? M. Yilmaz croit qu'il est trop tôt pour le savoir. « J'ai toujours cru dans les réformes, mais maintenant je préfère attendre afin de voir si elles sont efficaces ou non ». Les défenseurs des droits de la personne en Turquie sont ambivalents. « Nous ne pouvons nier que la situation s'est améliorée, affirme Mme Shaban Bayanan, de l'Association des droits de la personne, mais nous ne voyons pas de changements énormes. » […] Tous s'entendent pour dire qu'on pratique encore la torture en Turquie. (Dan Gardner, « An End to Torture », The Ottawa Citizen, 5 février 2004, p. A6.)
196Témoignages, réunion no 52 (1300).
197Mary Vallis, «  Extremist Threats Stall Egoyan Film  », National Post, 7 janvier 2004, p. A3; Stephen Kinzer, «  Movie on Armenians Rekindles Flame Over Turkish Past  », The New York Times, 20 janvier 2004.
198«  The importance of backing Erdogan  », The Economist, 31 janvier 2004, p. 15.
199Témoignages, réunion n47 (1215). M. Turgay a ajouté : «  L’interprétation que font les Iraniens de l’islamisme dans leur cœur et dans leur vie quotidienne est bien différente de l’interprétation égoïste et égocentriste qu’en font certains de ces gouvernements  ».
200Malgré les richesses naturelles du pays (dont 10 p. 100 des réserves mondiales connues en pétrole), le niveau de vie recule et, selon certaines estimations, 40 p. 100 de la population est pauvre. Les jeunes, en nombre toujours plus grand, s’inquiètent de leur accès aux études supérieures et aux emplois (les deux-tiers des Iraniens ont moins de 30 ans).
201Pour en savoir plus sur l’évolution de la situation, voir «  God’s rule, or man’s?  », The Economist, 18 janvier 2003; Farhad Khosrokhavar, «  La politique étrangère en Iran : de la révolution à l’ «  axe du Mal  » », Politique étrangère, printemps 2003, p. 77-91; Paul-Marie de la Gorge, «  La République islamique d’Iran sous pression  », Le Monde diplomatique, juillet 2003, p. 8-9; «  Iran: Discontent and Disarray  », documents d’information sur le Moyen-Orient du International Crisis Group, Amman/Bruxelles, 15 octobre 2003.
202La très faible participation aux élections locales de février 2003 laissait entendre que tel serait le cas (moins de 40 p. 100 pour l’ensemble du pays et de 10 à 13 p. 100 à Téhéran) (voir Iran Country Report, Economist Intelligence Unit, Londres, septembre 2003, p. 7)
203Voir «  Special Report Iran: Their last chance?  », The Economist, 17 janvier 2004, p. 19-21.
204«  Iran hardliners throw elections into doubt  », The Ottawa Citizen, 26 janvier 2004. Selon cet article, les membres du gouvernement du président Mohammad Khatami ont déclaré qu’ils ne tiendraient pas des élections factices si ces disqualifications sont maintenues.
205«  Over 100 Iran Lawmakers Submit Resignations  », The New York Times, 1er février 2004. La lettre, qui fait précédent, du 15 février disait ceci : La révolution a apporté la liberté et l’indépendance. Aujourd’hui, vous menez un régime dans lequel les libertés et les droits légitimes de la population sont piétinés au nom de l’islam. Reza Yousefian, l’un des députés qu’a rencontrés le Comité, a décrit cette lettre comme le cri d’agonie d’un pays (“Reformers in Iran issue ‘cry of agony’”, The Ottawa Citizen, 17 février 2004).
206Nazila Fathi, «  Iran’s Leader Said to Refuse Delay in Vote  », The New York Times, 4 février 2004.
207Paul Hughes, «  Reformists in Iran brace for defeat  », National Post, 16 février 2004. Sur la trahison des espoirs des Iraniens quant à l’établissement d’une démocratie islamiste, voir David Hirst, «  Iran: still an Ayatollocracy  », The Globe and Mail, 19 février 2004, p. A17
208«  Iran Reformists Stick to Demands in Electoral Row  », The New York Times, 5 février 2004.
209«  Iran Election: What next?  », The Economist, 28 février 2004, p. 14-15.
210Pour en savoir plus sur l’ampleur et les répercussions du programme nucléaire caché de l’Iran, voir «  Special Report, Dealing with Iran: Next on the list?  », The Economist, 14 juin 2003, p. 22-24; Ray Takeyh, «  Iran’s Nuclear Calculations  », World Policy Journal, été 2003, p. 21-27; David Albright et Corey Hinderstein, «  Iran, player or rogue?  », Bulletin of the Atomic Scientists, septembre/octobre 2003, 59:5, p. 52-58; Pierre Jolicoeur, «  L’Iran et la question nucléaire  », Points de mire, Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité, Université du Québec à Montréal, 4:6, 15 septembre 2003; «  Dealing with Iran’s Nuclear Program  », Rapport no 18 sur le Moyen-Orient du International Crisis Group, Amman/Bruxelles, 27 octobre 2003.
211Louis Charbonneau, “UN Warns of Nuclear Terrorism”, National Post, 13 février 2004, p. A12; David Sanger et William Broad, “Iran Admits That It Has Plans for a Newer Centrifuge”, The New York Times, 13 février 2004; «  Iran: The divine right to a bomb  », The Economist, 28 février 2004, p. 10.
212Craig Smith, «  Iran Freezes Nuclear Inspections After It is Censured by the U.N.  », The New York Times, 14 mars 2004; «  Iran Promises Resumption of Nuclear Inspections  », The New York Times, 15 mars 2004.
213Le Comité a entendu le témoignage de Seyed Ali Ahani, à l’époque sous-ministre pour l’Europe et les Amériques du ministère iranien des Affaires étrangères (37e législature, 1ère session, réunion no 87, 4 juin 2002).
214La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes des Nations Unies. Selon un journal réformateur, en octobre 2003 le Conseil des gardiens aurait opposé son veto à 111 des 295 projets de loi adoptés par le Majlis. Ces dernières années, les arrestations politiques ont été nombreuses et plusieurs journaux et revues partisanes de la réforme ont dû fermer leurs portes.
215Cité dans Parinoosh Arami, «  Third of Iran’s MPs Resign in Protest  », National Post, 2 février 2004, p. A6.
216Même si les femmes ont à relever de nombreux défis, 97 p. 100 des jeunes femmes savent lire et écrire depuis la révolution. Comme l’a fait remarquer Mme Nikki Keddie, il est faux de voir les pays musulmans, dont l’Iran, comme des autocraties monolithiques dans lesquelles les femmes sont essentiellement les victimes plutôt que des personnes cherchant à avoir une existence plus autonome et plus démocratique. Grâce aux luttes des femmes et aux forces de la modernisation, les femmes peuvent occuper davantage de charges publiques malgré le pouvoir croissant de l’islamisme, et l’expansion de ces rôles constitue en elle-même une force allant dans le sens de la démocratisation. («  A Woman’s Place: Democratization in the Middle East  », Current History, janvier 2004, p. 25).
217M. Yousefian, un autre des législateurs réformateurs disqualifiés, représentait le Shiraz; il avait appris l’anglais pendant ses sept années d’emprisonnement dans un camp de guerre irakien.
218Ironie du sort, le jour même de la publication du rapport, le vice-président Armin qui, techniquement bénéficie de l’immunité parlementaire, a été condamné à six mois d’emprisonnement pour avoir soi-disant insulté l’un de ses collègues de la ligne dure. (Jonathon Gatehouse, «  Seeking Answers  », Maclean’s, 10 novembre 2003, p. 30.) Il semblerait qu’au début de 2004 M. Armin n’avait pas été emprisonné et qu’il contesterait le verdict.
219Graeme Hamilton, «  Iran arrests a second suspect in Kazemi murder  », The Ottawa Citizen, 17 février 2004, p. A4.
220Andrew McIntosh, «  UN slams Iran on Kazemi case  », The Ottawa Citizen, 1er février 2004, p. A3.
221Le Canada a présenté une résolution aux termes durs sur la situation des droits de l’homme en Iran à la Troisième Commission de l’Assemblée générale (Sociale, Humanitaire et Culturelle), laquelle a été approuvée le 21 novembre 2003 par 73 votes contre 49 et 50 abstentions (pour plus de détails, voir http://www.un.org/News/Press/docs/2003/gashc3771.doc.htm). La résolution a été approuvée par la suite à l’Assemblée générale plénière de décembre 2003.
222«  Iran: Discontent and Disarray  », 15 octobre 2003, p. 2 et 15.
223Témoignages, réunion n58 (1145).
224Foreign Affairs, janvier/février 2004, p. 36; voir aussi «  Whither Saudi Arabia?  », National Post, 5 janvier 2004; F. Gregory Gause III, «  Saudi Arabia Challenged  », Current History, janvier 2004, p. 21-24. Pour une étude plus approfondie, voir Anthony Cordesman, Saudi Arabia Enters the Twenty-First Century, deux volumes, Praeger Publishers, New York, 2003.
225Abdel Wahhab a fondé, au milieu du XVIIIe siècle, un mouvement religieux islamique conservateur qui prône un renouveau islamique fondé sur un nettoyage moral et l’élimination de toute innovation au sein de l’islam. Le wahhabisme strict a tendance à considérer ceux qui n’y adhèrent pas comme des païens ou des ennemis de la seule vraie foi. Voir Hamid Algar, Wahhabism: A Critical Essay, Islamic Publications International, 2002; et «  Le wahhabisme et l’histoire de l’Arabie  », Monde arabe Maghgreb-Machrek, no 174, octobre-décembre 2001, numéro spécial sur «  L’Arabie saoudite et la péninsule après le 11 septembre: défis et enjeux d’une région en crise  », p. 19-37.
226«  The Saudi Paradox  », p. 51.
227Voir Olivier Da Lage, «  Entre les religieux et la famille royale, le malaise saoudien  », Monde arabe Maghreb-Machrek, octobre-décembre 2001, p. 3-17.
228Voir «  How safe is the House of Saud?  », The Economist, 15 novembre 2003, p. 43-44. Voir aussi Alain Gresh, «  Les grands écarts de l’Arabie saoudite  », Le Monde diplomatique, juin 2003, p. 16-17.
229Pour un bref aperçu des perspectives de réforme, voir «  Saudi Arabia: Adapt or die  », The Economist, 6 mars 2004, p. 42-44.
230L’adoption massive des nouvelles technologies de communication pourrait avoir des répercussions positives en termes de progrès politique. Un rapport sur le bouillonnement politique au sein du Royaume cite un journaliste qui aurait déclaré : «  En Arabie saoudite, depuis la généralisation des téléphones portables et de l’accès au courrier électronique, plus rien ne peut rester caché.  » (Alain Gresh, «  Balbutiements de l’opinion publique en Arabie saoudite  », Le Monde diplomatique, mai 2002, p. 14.)
231Dominic Evans, «  Saudis detained for Urging Reform  » et «  U.S. Condemns Detention of Saudi Reformers  », National Post, 17 et 18 mars 2004. Voir aussi «  Saudi Arabia: The limits of reform  », The Economist, 25 mars 2004.
232Comme on peut le lire dans un éditorial du quotidien Arab News: «  Tout le monde sait que le chômage constitue un problème majeur pour l’Arabie saoudite. Avec une population dont la moitié est âgée de moins de 15 ans, elle se doit de trouver des emplois pour la marée de jeunes Saoudiens qui s’apprête à envahir le marché du travail. Faute de quoi, elle doit s’attendre à un désastre économique et social. Aucun pays ne peut se permettre d’affronter le mécontentement d’une jeunesse sans emploi aussi importante. […] Les fonds que les travailleurs immigrés renvoient dans leurs foyers atteignent la somme colossale de 70 milliards de riyals saoudiens par an. Cette somme pourrait faire travailler, et progresser, l’économie saoudienne si tous ces emplois étaient occupés par des Saoudiens.  » («  Attitude Problem  », 22 octobre 2003.)
233Bien que, lors d’un récent sommet, le Conseil de coopération du Golfe, qui regroupe six monarchies arabes productrices de pétrole dont l’Arabie saoudite, se soit engagé à entreprendre une réforme de l’éducation religieuse, la question demeure extrêmement délicate. Les efforts consentis par le Royaume en ce sens, dans le cadre du «  dialogue national  » instauré par le prince héritier Abdallah et des mesures de réforme votées par le conseil consultatif désigné du pays, ont suscité de violentes objections de la part des élites wahhabites. (Voir «  Arab education: The risks of reform  », The Economist, 24 janvier 2003, p. 41-42.)
234Quelques femmes saoudiennes, appartenant aux milieux d’affaires ou membres de professions libérales, ont été invitées à participer à un certain nombre de réunions et d’événements nationaux tels que l’importante conférence économique qui s’est tenue à Djedda en janvier 2004. Il a également été possible de lire quelques articles critiques dans la presse locale. (Voir, par exemple, Maram Abdul Rahman Al-Watan, «  Denying Women Rights  », Arab News, 22 octobre 2003, p. 3.) Néanmoins, la présence de femmes à de telles réunions continue de susciter la condamnation des autorités religieuses saoudiennes. (Voir «  Saudi women toil for equality in the workplace  », et «  Saudi cleric decries call for women’s rights  », National Post, 19 janvier et 22 janvier 2004.)
235Des restrictions sévères continuent cependant d’être couramment imposées au journalisme indépendant. Voir, par exemple, Alan Freeman, «  New veil, old face  », The Globe and Mail, 31 octobre 2003.
236Cette conférence, intitulée «  Human Rights in Times of Peace and War  », s’est tenue les 14 et 15 octobre 2003. Aucune organisation indépendante des droits de la personne n’existait dans le Royaume; cependant, une association nationale des droits de la personne de 41 membres a été formée en mars 2004 (Dominic Evans, «  First Saudi human rights group to abide by shariah law  », National Post, 10 mars 2004, p. A12). Un universitaire néerlandais invité à cette conférence a par la suite écrit à son sujet : «  Les présentations des conférenciers officiels n’ont fait que confirmer le soupçon qu’il s’agissait d’une manifestation de propagande  ». Malgré cela, et en dépit de «  l’impression générale d’absence quasi complète de libertés politiques et culturelles  », il a reconnu que «  le vent du changement souffle également sur la péninsule. La coalition politico-religieuse entre la monarchie et les oulémas wahhabites est mise à rude épreuve  ». (Bas de Gaay Fortman, «  Stashed Women in Saudi Arabia  », Netherlands School of Human Rights Research Newsletter, 7:4, décembre 2003, p. 7-8.)
237Voir, par exemple, Stephen Schwartz, The Two Faces of Islam: The House of Sa’ud from Tradition to Terror, Doubleday, 2002; Dore Gold, Hatred’s Kingdom: How Saudi Arabia Supports the New Global Terrorism, Regnery Publishing, 2003; Robert Baer, «  The Fall of the House of Saud  », Atlantic Monthly, mai 2003, p. 53-62; Brian Eads, «  Le double jeu de l’Arabie saoudite  », Sélection du Reader’s Digest, 113:20, novembre 2003, p. 120-130; «  The Roots of Global Terror: How the Saudis Made Jihad an International Industry  », U.S. News and World Report, 15 décembre 2003, p. 18-32; «  Financing Islamist terrorism  », Strategic Comments, 9:10, décembre 2003; Régis Le Sommier, «  Mensonges d’Arabie  », L’Actualité, janvier 2004, p. 22-24.
238Témoignages, réunion no 31 (1055).
239Témoignages, réunion no 47 (1210).
240Témoignages, réunion no 58 (1220).
241Témoignages, réunion no 58 (1210).
242Fondée en 1969 dans le but exprès de libérer la Palestine de l’occupation israélienne, l’OCI, qui compte maintenant 57 membres, a élargi son mandat afin d’insister sur la «  solidarité islamique  » et la coopération entre les pays musulmans sur de nombreux fronts. L’OCI a vivement dénoncé les attaques du 11 septembre. Par contre, elle s’est aussi fermement opposée à l’intervention militaire en Irak et à toute présente militaire (p. ex., de la Turquie) en Irak après la guerre. Le Conseil du gouvernement irakien intérimaire était toutefois représenté au sommet de Kuala Lumpur. L’OCI demeure avant tout une utile tribune de discussion, quoique faible et morcelée par des antagonismes, qui adopte des résolutions sans avoir le moyen d’obtenir un consensus ou de les mettre en application.
243Le chapitre féminin de la Chambre de commerce a été créé en 1998. Sa secrétaire générale est la princesse Adila bent Abdallah, fille du prince héritier. La ville de Djedda est en avance sur le reste du Royaume. Il est à remarquer que les femmes possèdent 35 p. 100 des entreprises de Djedda, en partie à cause du système d’héritage.
244À l’occasion, les femmes ont pu se faire entendre dans ce débat. En septembre 2003, 51 femmes figuraient parmi les 306 signataires d’une pétition pressant le prince Abdallah d’accélérer la réforme.
245Le Conseil consultatif saoudien, ou Choura, est composé de 120 hommes nommés par le roi pour un mandat de quatre ans. Il examine les lois, les règlements, les rapports et les traités internationaux qui lui sont soumis par le gouvernement. Ses avis sont consultatifs et non contraignants.
246M. Ben Hemaid est également enseignant et mufti (un des imams du vendredi) à la sainte mosquée de La Mecque (Makkah Al-Mokaramah).
247En 2004, M. Al-Rifaie co-présidait le Comité de liaison islamique-catholique avec l’archevêque Michael Fitzgerald, président de la Commission pour le Dialogue Interreligieux du Vatican.
248«  Abandon terror: top Saudi cleric  », The Ottawa Citizen, 1er février 2004, p. A10.
249Voir Témoignages, réunion no 57, 6 novembre 2003.
250Kim Lunman, «  Sampson, British prisoners to sue captors  », The Globe and Mail, 25 février 2004, p. A11.
251L’Égypte est devenue une république postcoloniale dans les années 50 sous la direction charismatique du général Gamel Abdel Nasser, qui a institué un régime à parti unique et proclamé une vision d’un socialisme panarabe. (L’Égypte et la Syrie se sont brièvement unies, soit de 1958 à 1961.) Concernant les effets sociaux du passé, voir : Fouad Ajami, The Dream Palace of the Arabs : A Generation’s Odyssey, Pantheon Books, New York, 1998, chapitre 4 «  In the Land of Egypt  ».
252Dix autres membres sont nommés par le président pour des mandats de cinq ans. Il y a également une chambre haute, le Conseil consultatif ou Choura, qui compte 264 membres, dont le tiers nommés par le président. Dans les deux chambres, il faut un minimum d’élus pour représenter les intérêts des «  travailleurs et des agriculteurs  ».
253Selon un document d'information de l'International Crisis Group :
Le legs de la présente direction de l'Égypte dépendra essentiellement de sa capacité de créer des institutions et des mécanismes de sélection du dirigeant. En effet, comme la question de la succession du président est désormais à l'ordre du jour, le gouvernement doit faire en sorte qu'une plus grande partie de la population cautionne le processus électoral et entreprendre les réformes nécessaires pour que l'opinion publique le juge légitime. (The Challenge of Political Reform : Egypt After the Iraq War, Middle East Briefing, 30 septembre 2003, page 3. Voir également « After Mubarak : who's next? », The Economist, 6 décembre 2003, page 42.)
254Témoignages, réunion no 49 (1135).
255Ibid.
256Voir John Walsh, «  Egypt’s Muslim Brotherhood : Understanding Centrist Islam », Harvard International Review, hiver 2003, pages 32-36; également Wendy Kristianson, «  Désarroi des islamistes modérés  », Le Monde diplomatique, septembre 2002, pages 14-15.
257Témoignages, réunion no 35 (1605).
258Témoignage, réunion n49 (1140).
259La thèse des trois «  grandes vagues  » historiques dans la propagation de la démocratie a été émise dans le Journal of Democracy par Samuel Huntington, le politicologue de l’Université Harvard à qui l’on doit la théorie du «  choc des civilisations  ». Selon Huntington, la première vague a débuté au XIXsiècle et s’est heurtée aux dictatures qui ont vu le jour en Europe établies au lendemain de la Première Guerre mondiale. La deuxième vague a suivi la victoire des Alliés lors de la Deuxième Guerre mondiale, et la troisième vague qui a renversé les dictatures du lendemain de la Première Guerre mondiale a débuté dans les années 70 et s’est intensifiée à la fin de la guerre froide. Or, selon Huntington, cette dernière pourrait aussi être freinée, renversée ou suivie par une quatrième vague au cours de ce siècle.
260Fareed Zakaria, «  And He’s Head of Intelligence?  », Newsweek, 27 octobre 2003, page 41. William Boykin est le général américain qui vient d’être nommé au poste de sous-secrétaire adjoint au renseignement, au Département de la défense américain. La controverse a tourné autour des déclarations litigieuses qu’il a faites dans plusieurs allocutions à des groupes évangélistes chrétiens de tendance très conservatrice.
261Il y a eu un reportage spécial sur cette libération massive de prisonniers à l’émission radiophonique de la CBC «  The World at Six  » le 29 novembre 2003. Selon ce reportage, la plupart des intéressés ont été emprisonnés parce qu’elles étaient soupçonnés d’association ou de participation à des groupes islamiques militants qui prétendent avoir renoncé à tout recours à la violence.
262M. Morsy estime que les Frères musulmans n’obtiendraient pas plus de 20 p. 100 des votes lors de telles élections.
263Il a cité l’exemple du tollé qu’a suscité le président malaysien, M. Mahatir, quand il a évoqué les Juifs dans son discours controversé lors du récent sommet de l’OCI. Il a suffi de 27 mots d’un long discours pour soulever la controverse; il s’agissait d’un passage très critique concernant les échecs des nations musulmanes — mais cette autocritique de l’islam a été, évidemment, ignorée par la presse occidentale qui exploite à sa façon ces échecs. S’il en est que le discours aurait dû froisser, ce sont bien les musulmans. Il a aussi fait état des propos du général américain Boykin, qui a traité le Dieu de l’islam d’idole, demandant pourquoi cela n’avait pas aussi eu les mêmes conséquences.
264Toby Harnden, «  Cairo Envoy Attacked by Palestinians  », National Post, 23 décembre 2003, page A10.
265Cette organisation existe depuis 17 ans et œuvre dans des bidonvilles auprès de quelques 17 000 femmes, dont un grand nombre sont chefs de famille. De 2001 jusqu’à récemment, Mme Bibars a aussi été agente régionale de développement au Centre de recherche pour le développement international (CRDI) et avait auparavant travaillé pour les Services de secours catholique bien qu’elle soit musulmane.
266Elle a aussi fait remarquer que lorsque 1 600 personnes ont été arrêtées en Égypte lors de manifestations contre la guerre menée contre l’Irak, et certaines torturées, les organismes étrangers des droits de la personne ont semblé fermer les yeux.
267Ce service facturable à l’appel — 600 appels par jour en moyenne — a été appelé «  Fatwa au bout du fil  » ou «  islam sur un plateau  ». Des spécialistes d’Al-Azhar, dont le Dr Bayoumi, répondent aux questions des auditeurs.
268Un document détaillé «  Strategy Paper : The Projection of Culture and Values in the Arab World  » préparé par M. Tachdjian, a été porté à l’attention du Comité en novembre 2003.
269En Égypte, l’ACDI met actuellement l’accent sur le développement des ressources humaines. L’aide canadienne totale à l’Égypte (par la voie de programmes multilatéraux et bilatéraux) a atteint quelques 25 millions de dollars en 2000-2001. L’aide canadienne bilatérale à l’Égypte s’élève en tout à 325 millions de dollars pour la période de 1976 à 2001.
270Témoignage, réunion no 49 (1140).
271UK International Priorities, décembre 2003, p. 15.
272La Jordanie aussi l’a fait, mais en 1994 seulement.
273Sur une population totale de plus de 6 millions d’habitants en Israël, il y a près de 20 p. 100 d’Arabes et, avec le ralentissement de l’immigration juive, la proportion devrait continuer d’augmenter. Concernant la situation des citoyens arabes en Israël, voir Identity Crisis: Israel and Its Arab Citizens, International Crisis Group Middle East Report No. 25, Amman/Bruxelles, 4 mars 2004.
274Voir par exemple Ajami, chapitre cinq, «  The Orphaned Peace  ».
275Michael Bell, «  Oslo: Ten Years On, Remember Peace?  », The Globe and Mail, 13 septembre 2003, p. A17.
276La construction du mur de sécurité est particulièrement controversée. Cette barrière de plus de 700 kilomètres suit en partie seulement le tracé, reconnu internationalement, de la frontière antérieure à la guerre de 1967 (ligne verte) qui sépare la Cisjordanie d’Israël, et englobe des territoires arabes; sa construction en était au quart environ au début de 2004. Israël affirme que le mur vise à prévenir les attentats terroristes et à empêcher les kamikazes de pénétrer sur le territoire israélien. Les Palestiniens protestent vigoureusement et en contestent la légalité, l’emplacement et les conséquences socio-économiques et cherchent à obtenir une décision en leur faveur de la Cour internationale de justice des Nations Unies. Le Canada a voté pour les résolutions des Nations Unies critiquant la construction du mur, mais s’est abstenu de voter, au début de décembre 2003, lors d’un scrutin de l’Assemblée générale approuvant le recours auprès de la CIJ. Au début de 2004, le Canada et d’autres pays occidentaux ont fait valoir devant la Cour des arguments contre l’audition de la cause en tant que question internationale, alléguant que la question relève de négociations politiques. La barrière a été contestée devant la Cour suprême d’Israël, mais ce pays a déclaré qu’il n’assisterait pas à l’audition de la cause par la Cour internationale commençant le 23 février 2004. (Voir Peter Robb, «  Battle over barrier heats up  », The Ottawa Citizen, 31 janvier 2004, p. A10.) Pour en savoir plus sur la controverse, voir Paul Adams, “Israel’s line in the sand”, The Globe and Mail, 14 février 2004, p. F4.)
277Peter David, rédacteur de The Economist chargé des affaires étrangères, n’est pas plus optimiste et estime que le conflit entre Israël et les Palestiniens va redoubler de violence si les superpuissances ne s’investissent pas davantage pour raviver la voie diplomatique. Selon lui, cela sera difficile une année d’élections, mais les enjeux sont énormes (The Economist: The World in 2004, p. 18).
278L’Accord de Genève était accompagné d’une déclaration d’appui de 58 anciens dirigeants politiques du monde entier. Selon des sondages d’opinion, certaines des propositions qu’il contient rallient la majorité parmi les Israéliens et les Palestiniens. («  A silent, moderate majority  », The Economist, 20 novembre 2003, p. 43.) Le texte de cette déclaration, les détails du sondage et une série de rapports connexes peuvent être consultés sur le site du International Crisis Group. Voir aussi Paul Adams, «  Peace plans proliferate  », The Globe and Mail, 2 décembre 2003; «  Striking Accord  », The Economist, 3 décembre 2003 et, pour une analyse plus large, voir David Berlin, »Where Leaders Fail  », The Walrus, février/mars 2004, p. 66-75.
279Concernant le désespoir et le désir des Palestiniens et des Israéliens ordinaires d’en finir avec la violence, voir «  Special report, Israelis and Palestinians: Voices from the front line  », The Economist, 21 février 2004, p. 24-26.
280Pour une analyse de la perte d’élan de la «  feuille de route  » et de l’attitude américaine, voir Connie Black, «  Back Roads  », The New Yorker, 15 décembre 2003, p. 86-97.
281Comme on l'écrit dans The Economist :
… le fait même que les chances d'une paix israélo-arabe soient extrêmement minces force peut-être les joueurs à revoir leurs priorités. La vie est de plus en plus difficile. La consommation de denrées alimentaires a chuté d'un tiers depuis le début de l'Intifada à la fin de 2000. Près du quart des Palestiniens sont sans travail. C'est d'ailleurs peut-être la raison pour laquelle même les groupes islamiques radicaux comme le Hamas et le Djihad islamique ont récemment commencé à dire qu'ils accepteront une longue trêve avec Israël et qu'ils seraient éventuellement disposés à participer à un gouvernement d'unité avec les partis séculiers qui, jusqu'à présent, monopolisent les charges au sein de l'Autorité palestinienne. (« At least they're thinking about talking », 31 janvier 2004, p. 43.)
282Pour connaître les premières réactions aux propositions du gouvernement Sharon, voir James Bennet, «  Shift on Settlements: Sharon’s ‘Painful’ Course  », The New York Times, 4 février 2004; «  Sharon’s surprise  » and «  Sharon’s Gaza gambit  », The Economist, 7 février 2004, p. 12 et 13 et 42. Pour une discussion plus vaste sur la question de savoir s’il faut un État ou deux, voir Gary Sussman, «  Is the Two-State Solution Dead?  », Current History, janvier 2004, p. 37-42.
283Témoignages, réunion no 31 (0920).
284Témoignages, réunion no 34 (0955).
285Témoignages, réunion no 45 (1230).
286Témoignages, réunion no 35 (1655).
287Témoignages, réunion no 34 (1135).
288Témoignages, réunion no 49 (1240).
289Témoignages, réunion no 49 (1255).
290Témoignages, réunion no 53 (1235).
291Témoignages, réunion no 49 (1245).
292Témoignages, réunion no 58 (1205).
293Témoignages, réunion no 48 (1625).
294Témoignages, réunion no 56 (1600).
295Wafa Amr, «  International aid to Palestinians drops by half  », National Post, 17 février 2004, p. A10. Pour un survol instructif de l’aide internationale dans les territoires palestiniens et des critiques formulées à l’endroit de l’UNRWA, voir Harvey Morris et Sharmila Devi, «  Empty coffers: Palestinians plead for more international aid despite donor fatigue and fears over misuse of funds  », Financial Times, 25 novembre 2003, p. 19.
296Voir, par exemple, Itmar Marcus et Barbara Crook, «  Palestinian children have learned from their elders  », National Post, 10 janvier 2004, p. A15. M. Marcus est le fondateur et le directeur de Palestinian Media Watch.
297Après le témoignage de M. Hansen, des représentants de l’UNRWA ont fourni des renseignements additionnels au Comité, notamment le témoignage devant le Congrès, le 30 octobre 2003, de M. Ziad Asali, président de l’American Task Force on Palestine, devant la sous-commission du travail, de la santé et des services humains de la commission sénatoriale des crédits durant des audiences ayant pour thème «  L’instruction en Palestine : enseigner la paix ou la guerre?  ».
298Pour une explication de la nature des différends internes israéliens quant à la politique militaire dans les territoires palestiniens, voir Alon Ben-David, «  Dangerous Divide  », Jane’s Defence Weekly, 12 novembre 2003, p. 23.
299Témoignages, réunion no 56 (1645). Un rapport récent conclut que la politique d’interventions militaires brutales et de mesures économiques punitives ne fait que donner des munitions aux extrémistes islamistes dans les Territoires occupés. Voir Comment traiter avec le Hamas?, Rapport Moyen-Orient no 21 [en anglais seulement; résumé en français], International Crisis Group, Amman/Bruxelles, 26 janvier 2004.
300Cité dans la section précédente du rapport, sur l’Arabie saoudite.
301L’accord Sykes-Picot était un accord secret conclu par la Grande-Bretagne et la France en 1916 aux termes duquel les deux pays en question se sont partagé les dépouilles de l’empire ottoman défait. C’est ainsi que, après la guerre, la Syrie a été placée sous mandat français et la Jordanie sous mandat britannique. Pour plus de détails, voir Margaret MacMillan, Paris 1919, p. 382 et suiv.
302On a signalé que 40 p. 100 des réfugiés relevant de l’UNRWA vivaient en Cisjordanie et à Gaza et 42 p. 100 en Jordanie, ces derniers étant pour la plupart des citoyens jordaniens.
303Voir http://www.dfait-maeci.gc.ca/Peaceprocess/canada_statements_Middle_East_59th_Session-fr.asp.
304Allocution du 11 février 2003, à 
http://webapps.dfait-maeci.gc.ca/minpub/Publication.asp?publication_id=379863&Language=F
305Déclaration du Canada sur le Moyen-Orient lors de la 59e session de la Commission des droits de l’homme de l’ONU. Selon la déclaration : «  L’augmentation de la pauvreté et de la malnutrition, surtout parmi les femmes et les enfants palestiniens, témoignent d’une façon assez effrayante de la gravité de la situation actuelle. Non seulement les nombreux couvre-feux et les fermetures sont-ils devenus une routine accablante et quotidienne pour des millions de Palestiniens, mais ils gênent aussi l’accès humanitaire à ceux qui en ont besoin. Conformément à ses obligations en vertu du droit international, Israël doit faciliter la prestation de l’aide humanitaire et veiller à ce que les Palestiniens aient un accès complet et sans entraves aux produits de première nécessité, comme la nourriture, l’eau et les fournitures médicales  ».
306Déclaration du représentant du Canada devant l’Assemblée générale des Nations Unies, 4Commission, New York, 3 novembre 2003.
307Sucharov, p. 319.
308Un nouveau rapport insiste sur l’importance de faire des progrès dans ces dossiers. Voir Palestinian Refugees and the Politics of Peacemaking, Rapport Moyen-Orient n22, International Crisis Group, Amman/Bruxelles, 5 février 2004.
309Comme celles qui consistent par exemple à appuyer la production d’émissions de télévision et d’autres documents éducatifs et culturels pour enfants destinés à promouvoir la paix en collaboration avec des partenaires israéliens et palestiniens. (Voir «  Des marionnettes messagères de paix  »,
Canada — Regard sur le monde, numéro 20, automne 2003, p. 16.) Comme il a déjà été mentionné, l’ACDI a aussi annoncé en mars 2004 un aide additionnelle pour les projets de consolidation de la paix dans la région.
310La population jordanienne se compose surtout de musulmans sunnites, mais elle compte une minorité chrétienne politiquement influente d’environ 5 p. 100.
311Voir Steven Weisman, «  Bush and Jordanian King Confer on Palestinian Plan  », The New York Times, 5 décembre 2003.
312The Challenge of Political Reform: Jordanian Democratisation and Regional Instability, séance d’information sur le Moyen-Orient, Amman/Bruxelles, 8 octobre, résumé du communiqué de presse.
313Ibid.
314Ces porte-parole contestaient l’utilité de la Ligue arabe. Ils faisaient remarquer que la plupart des régimes arabes n’ont aucune légitimité et n’ont donc pas les moyens d’exercer des pressions les uns sur les autres pour qu’ils se conforment à des normes de conduite. En outre, les structures arabes n’ont pas réussi à régler les conflits entre pays arabes, de l’Algérie à la Tunisie, du Yémen au Bahreïn.
315Témoignages, réunion no 53 (1120).
316Discours du premier ministre du Maroc Driss Jettou devant le Center for Strategic and International Studies, Washington, 8 janvier 2004.
317Noah Feldman, After Jihad: America and the Struggle for Islamic Democracy, Farrar, Strauss and Giroux, New York, 2003, p. 151.
318John P. Entelis, «  Un courant populaire mis à l’écart  », Le Monde diplomatique, septembre 2002.
319Feldman, p. 151.
320Ibid., p. 150.
321New York Times, 4 juillet 2002, cité dans Entelis, 2002.
322Témoignages, réunion no 35 (1725).
323Jon Marks, «  Morocco: A Strange Climate of Insecurity  », Royal United Services Institute, RUSI Newsbrief, Volume 23, no 9, septembre 2003.
324Entelis, octobre 2002.
325Feldman, p. 149.
326Jay Tolson, «  Faith and Freedom  », U.S. News and World Report, 10 novembre 2003.
327Lettre de Human Rights Watch au Secrétaire d’État Colin Powell concernant sa visite en Afrique du Nord, 25 novembre 2003.
328«  An Arab First  », The Economist, 24 janvier 2004, p. 41.
329Marks, 2003.
330Feldman, p. 148.
331Marks, 2003.
332Ibid.
333Témoignages, réunion no 50 (1150).