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SPER Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Sous-comité de la condition des personnes handicapées du comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 8 avril 2003




Á 1110
V         La présidente (Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.))
V         Dr Patrick Loisel (professeur, Faculté de médecine, Campus de Longueuil, Université de Sherbrooke)

Á 1115
V         La présidente
V         Dr Patrick Loisel
V         La présidente
V         Dr Patrick Loisel

Á 1120

Á 1125

Á 1130

Á 1135
V         La présidente
V         M. Reed Elley (Nanaimo—Cowichan, Alliance canadienne)
V         Dr Patrick Loisel
V         M. Reed Elley

Á 1140
V         Dr Patrick Loisel

Á 1145
V         La présidente
V         Mme Pauline Picard (Drummond, BQ)
V         Dr Patrick Loisel
V         Mme Pauline Picard
V         La présidente

Á 1150
V         M. Bill Young (attaché de recherche auprès du comité)
V         La présidente
V         Dr Patrick Loisel

Á 1155
V         La présidente
V         Dr Patrick Loisel

 1200
V         La présidente
V         Dr. Patrick Loisel

 1205
V         La présidente










CANADA

Sous-comité de la condition des personnes handicapées du comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées


NUMÉRO 010 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 8 avril 2003

[Enregistrement électronique]

Á  +(1110)  

[Français]

+

    La présidente (Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.)): À l'ordre.

    Bonjour. Si vous le voulez, vous pouvez faire votre présentation en français. Ce sera bien pour Mme Picard. Donc, il y aura une présentation électronique en anglais et une présentation en français.

    Soyez la bienvenue, madame Picard. Vous avez besoin de tout votre caucus pour cette présentation spéciale.

[Traduction]

    Je voudrais dire pour commencer que nous avons été très impressionnés par l'exposé de Mme Doupe concernant la table ronde qu'elle organise sur le retour au travail. À la conférence où s'est tenue cette table ronde, le Dr Loisel était l'un des principaux conférenciers. Il pratique ce que nous préconisons, n'est-ce pas? Vous faites déjà ce que tout le monde souhaite voir réaliser.

[Français]

+-

    Dr Patrick Loisel (professeur, Faculté de médecine, Campus de Longueuil, Université de Sherbrooke): Merci.

[Traduction]

    Je peux faire mon exposé en anglais ou en français, c'est comme vous voulez. Mon accent anglais n'est pas très bon mais si vous me comprenez, ce sera sans doute plus facile. Si vous éprouvez des difficultés ou si vous voulez poser des questions, on pourra mélanger les deux langues, mais j'ai l'habitude de faire mes exposés en anglais.

Á  +-(1115)  

+-

    La présidente: On peut faire un compromis. Comme c'est l'anglais qui prédomine ici, nous préférons vous entendre parler français. C'est ainsi que nous pratiquons l'équilibre.

[Français]

+-

    Dr Patrick Loisel: Très bien.

[Traduction]

+-

    La présidente: Et nous avons un service d'interprétation.

[Français]

+-

    Dr Patrick Loisel: Merci beaucoup de m'avoir invité à votre comité pour défendre et présenter nos travaux de recherche ainsi que les travaux de recherche dans le monde qui aboutissent au même résultat au sujet de l'incapacité, du handicap, de la situation de handicap. Il est certain que ces éléments nécessitent beaucoup de clarification présentement. Aussi, comment peut-on répondre aux besoins de ces personnes qui se trouvent en situation d'incapacité et qui ne peuvent plus accomplir leur rôle social de travailleur? C'est autour de cela que je vais vous présenter aujourd'hui la mise en place au Québec, jusqu'à maintenant, d'un modèle de prise en charge made in Canada dont l'objectif est de prévenir l'incapacité. Je veux reconnaître ici le travail de ma collaboratrice Marie-Josée Durand et de beaucoup d'autres personnes qui ont fait partie de notre équipe et qui ont participé à nos travaux à l'Université de Sherbrooke. Actuellement, nos travaux se font au campus de Longueuil de l'Université de Sherbrooke, sur la rive sud de Montréal.

    En ce qui a trait aux coûts de l'incapacité, vous êtes certainement au courant du fait que ces coûts augmentent au Canada. Ce n'est pas seulement le Canada qui a ce privilège. Tous les pays industrialisés sont dans la même situation et sont confrontés à une augmentation considérable des coûts d'incapacité. Les problèmes musculo-squelettiques, qui sont notre cible actuelle, sont responsables de 39 p.100 de ces coûts. Donc, on s'attaque à un gros morceau. Ce sont des données de Santé Canada.

    Vous savez comme il est difficile d'estimer les coûts directs et indirects de l'incapacité, mais on a maintenant de bonnes études qui font état d'estimations très réalistes. Cela se situe aux alentours de 20 milliards de dollars par année dans notre pays, ce qui est évidemment très considérable. Cela comprend les coûts de santé, bien sûr, mais cela comprend essentiellement les coûts des diverses caisses qui remplacent le revenu de ces personnes de façon très prolongée.

    L'incapacité réduit la qualité de vie. C'est une chose qui a parfois été mise en doute au cours des années. On disait que les gens qui ne faisaient rien étaient bien heureux, mais c'est évidemment quelque chose de complètement illusoire et faux. Les études s'accumulent maintenant pour montrer que ces personnes ont, en grande majorité, une qualité de vie très diminuée.

    Enfin, l'incapacité prolongée mène à l'exclusion du travail. Au bout d'un certain temps d'incapacité, ces gens ne sont plus capables de retourner travailler et ne peuvent même plus y penser. Évidemment, ils s'appauvrissent et appauvrissent la nation.

    Il y a une autre chose qui est très importante et que peu reconnaissent: c'est que l'incapacité doit être distinguée complètement de la maladie. C'est une chose que d'être malade, et c'est une autre chose que d'avoir une incapacité. Il y a beaucoup de gens malades qui n'ont pas d'incapacité et il y a beaucoup de gens qui ont peu de maladies mais qui ont beaucoup d'incapacités. La maladie peut conduire à l'incapacité, bien entendu, mais la maladie peut guérir ou se stabiliser, et l'incapacité peut persister. L'incapacité peut exister même en l'absence de maladie réelle. On connaît des exclus de la société qui sont incapables de travailler, mais qui ne déclarent pas forcément une maladie.

    À la différence de la maladie, l'incapacité est un problème de la personne dans son environnement. C'est sûr que l'environnement a de l'influence dans la genèse d'un certain nombre de maladies, et il y a de plus en plus d'études là-dessus. Mais ce qui caractérise l'incapacité, c'est qu'elle interfère avec les problèmes de l'environnement pour faire en sorte que quelqu'un qui est dans une certaine situation ne va pas pouvoir fonctionner dans l'environnement dans lequel il se situe.

    Donc, on ne peut pas parler d'incapacité et de situation d'handicap sans considérer l'environnement. C'est un gros problème, parce que dans le système de santé, la plupart des gens s'occupent de la personne, mais ne s'occupent pas de son environnement. L'incapacité signifie l'exclusion d'une personne qui n'est pas capable de fonctionner dans un contexte spécifique. C'est pour cela que nous parlons de situation de handicap au travail, et non pas de handicap et de personne handicapée. C'est donc la situation d'une personne qui ne peut plus travailler dans le système qui l'entoure.

Á  +-(1120)  

    Devant toutes ces évidences, il nous est apparu qu'on devait aborder le problème différemment d'un problème de maladie, et que la prise en charge de l'incapacité devait être différente de la prise en charge de la maladie. On est de plus en plus aidés par une accumulation de preuves scientifiques dans ce domaine.

    Pour ce qui est du milieu de travail, il a été amplement démontré, en particulier dans le cas des gens qui ont des accidents du travail ou des lésions professionnelles, qu'une personne qui est incapable de travailler en raison d'un problème de santé développe des relations différentes avec le milieu de travail, puisqu'elle est absente et n'est plus productive, ainsi que de nouvelles relations avec un certain type d'assureurs. Il y en a beaucoup: les assureurs pour les accidents du travail, les assureurs pour les automobiles, les assureurs pour ceci et cela. C'est un monde que le patient va découvrir.

    Le système de santé est un autre monde qui, selon les juridictions, est plus ou moins fort, mais qui a le pouvoir de décider du retour au travail d'une personne. La personne qui a une incapacité se trouve prise dans une situation complexe, où les acteurs se parlent ou, souvent, ne se parlent pas ou se parlent mal. Or, si ces acteurs agissaient différemment, ils pourraient faciliter le retour de la personne au rôle social de travailleur, à un emploi productif, et l'amélioration de son état de santé. C'est ce qu'on a appelé le paradigme de l'incapacité au travail.

    Pour lutter contre cela, au début des années 1990, on a développé, à Sherbrooke, un modèle de prise en charge. C'était à la suite d'une grosse étude qu'avait faite le Groupe de travail québécois sur les aspects cliniques des affections vertébrales. Les maux de dos sont responsables d'une importante partie des cas d'incapacité au travail. Il y a eu beaucoup d'études là-dessus depuis 20 ans. Ce groupe de travail a fait des recommandations, et on a appliqué ces recommandations dans la vraie vie, dans ce qu'on a appelé le modèle de Sherbrooke. Il s'agissait d'un projet de recherche, d'un essai randomisé contrôlé appuyé par l'Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec. Ce modèle associait la détection précoce des cas, une intervention d'ergonomie participative précoce, la rassurance de la personne et une réadaptation précoce centralisée dans le milieu de travail. Une des grandes originalités du modèle était de faire la réadaptation dans le milieu de vie et le milieu de travail de la personne. C'est une grande tendance qui existe aussi dans le système de soins de santé. Comme vous le savez, on dit que les personnes devraient rester le moins longtemps possible à l'hôpital et retourner le plus vite possible à la maison.

    Tels étaient les éléments essentiels de ce modèle. On l'a testé par le biais d'un essai randomisé. Il y avait quatre groupes de randomisation, dont un groupe qui recevait des gens à Sherbrooke. Cette recherche a été faite dans 31 entreprises de la région de Sherbrooke. Un groupe a reçu une intervention de type plus clinique et un autre, une intervention de type milieu de travail. Enfin, le modèle de Sherbrooke associait l'intervention clinique au milieu de travail. Vous avez là une statistique qui décrit en gros la vitesse de retour au travail. Vous voyez que dans le modèle de Sherbrooke, le retour au travail a été 2,4 fois plus rapide, et que la plus importante partie de ce résultat vient de l'intervention en milieu de travail.

    Est-ce que cela coûte cher? Eh bien, on a fait un suivi, six ans plus tard, des travailleurs qui ont été inclus dans ce modèle. On a nos quatre groupes ici: le groupe standard est à gauche et le groupe du modèle de Sherbrooke est à droite. En jaune, en bas, on a les coûts d'intervention. Ces coûts ont été un peu plus élevés quand on a fait de l'intervention; donc, on a fait un investissement au départ. En rouge, ce sont les coûts de remplacement du revenu, qui sont à peu près semblables la première année.

Á  +-(1125)  

Cependant, les années suivantes, on a évité ces coûts reliés à l'incapacité. En bleu, ce sont les soins de santé, qui sont beaucoup plus importants pour le groupe contrôle, sans parler du coût du remplacement du revenu, qui a été considérablement plus élevé. Pourquoi? Eh bien, quand on a étudié cela plus à fond, on a vu qu'un certain nombre de cas ont évolué vers l'incapacité prolongée. Si on refaisait aujourd'hui la même étude sur les mêmes cas, on verrait des différences plus marquées, parce que les gens qui reçoivent des pensions jusqu'à leur retraite continuent à coûter de l'argent.

    Devant ces résultats positifs, le directeur de la santé publique de la Montérégie, la région au sud de Montréal, m'a demandé de m'occuper de ce problème et m'a donné un mandat en santé publique.

    On a développé le programme Prévicap, dont le nom est tiré des mots «prévention de handicap». Ce programme est basé sur le modèle de Sherbrooke. On a voulu réaliser un programme qui puisse s'adapter à une population plus large que les populations expérimentales du départ, à la population générale, en tenant compte des lois et des façons de faire du Québec, où ce modèle a été implanté.

    Comme vous le voyez, ce modèle reprend en gros ce qu'on avait fait dans le modèle de Sherbrooke: la détection des cas, qu'on souhaitait le plus précoce possible; une intervention d'ergonomie; la rassurance de la personne sur son état de santé et l'explication du système dans lequel elle se trouve; une réadaptation précoce centralisée dans le milieu de travail, une intervention qu'on appelée le retour thérapeutique au travail; et finalement, une approche interorganisationnelle pour aborder le triangle que je vous montrais tout à l'heure, chose qui nous avait été suggérée par les recherches récentes. C'est un problème de la personne dans son environnement, et il faut donc se pencher sur la question de l'environnement. Donc, il faut avoir un système dans lequel les gens vont se parler et agir tous en fonction d'une même objectif: le retour de la personne au travail et à la fonction.

    Voilà ce qui figurait au programme Prévicap. Les cubes montrent la complexité multidimensionnelle du problème et de la solution. Il y a deux étapes. La première étape est celle de l'interview pour le diagnostic d'incapacité au travail, qui permet, d'une part, d'identifier et d'éliminer ce qu'on appelle les red flags, c'est-à-dire les éléments de gravité possibles. Il est certain que si on découvre une maladie grave, on va traiter cette maladie. Si, au contraire, la maladie qu'on découvre n'est pas grave ou si on n'a pas de traitement pour la guérir complètement, on va identifier ce qu'on appelle les prédicteurs d'incapacité, c'est-à-dire les éléments qui font que cette personne ne travaille pas. C'est un élément essentiel.

    De nombreuses recherches ont été faites à cet égard, et l'expérience clinique nous montre qu'un certain nombre de facteurs liés à la personne physique, à la personne psychosociale, à l'environnement, au milieu de travail, au système de santé, etc. vont faire que la personne va se retrouver en situation d'incapacité. On fait donc un diagnostic d'incapacité, qu'on doit complètement distinguer d'un diagnostic de maladie. Ce n'est pas un autre diagnostic de maladie; c'est un diagnostic d'incapacité.

    Avec ce diagnostic, le cube de droite va nous permettre de réaliser et de personnaliser l'intervention d'un retour thérapeutique au travail, une intervention de réadaptation progressivement centralisée dans le milieu de travail, qui aura pour objectif le retour au travail régulier. Chaque fois que c'est possible, on favorise le retour au travail régulier, éventuellement modifié par une intervention d'ergonomie, et le retour au rôle social original du travailleur.

    Je vais vous montrer en gros à quoi ressemble la progression d'un retour thérapeutique au travail. En bleu, on a le temps en milieu de travail et en jaune, le temps en milieu clinique. On voit ce qui se passe pendant les 12 premières semaines.

Á  +-(1130)  

    La première semaine, il y a un accompagnement par des professionnels, tels des ergothérapeutes, puis on augmente le nombre d'heures et la tâche au travail. Ce n'est pas une assignation temporaire à un travail complètement différent, mais un retour à temps partiel du travailleur à son poste régulier.

    Parfois on recule un peu si la douleur revient, si les problèmes reviennent. On reprend le travailleur en clinique pour lui expliquer des choses, mais on continue la progression. La dernière semaine est toute bleue, ce qui veut dire que le travailleur est en milieu de travail à temps plein. Le problème de l'incapacité a tout simplement disparu, puisque le retour au travail est réalisé de façon complète.

    Voici les résultats que nous avons à l'heure actuelle. Pour les travailleurs qui, malheureusement, nous sont envoyés tard, c'est-à-dire après 11 mois d'absence du travail en moyenne, on a un retour au travail stable dans 65 p. 100 des cas. Ce sont des travailleurs qui, dans un système ordinaire, après un an d'absence, auraient 20 p. 100 de chances de retourner au travail d'après les statistiques. Eh bien, ils y sont retournés dans environ 65 p. 100 des cas. On fait un suivi au bout d'un an et de trois ans; ce retour au travail est extraordinairement stable. Seulement 7 p. 100 des travailleurs qui sont retournés au travail font une rechute au cours de ces trois ans.

    Non seulement on remet les gens au travail, mais on le fait de façon stable. Ils nous disent qu'ils persistent à aller mieux, à être en meilleure santé.

    Devant ces résultats préliminaires, on a fait un essai randomisé chez les travailleurs de la construction, à qui on a appliqué ce programme à Montréal. Il est en cours d'analyse. On a aussi plusieurs autres projets de recherche pour préciser l'efficacité et l'impact de ce programme.

    Déjà la CSST, au Québec, a décidé de soutenir la mise en place et l'évaluation de ce programme à un niveau plus large. Pour ce faire, on a créé le Réseau en réadaptation au travail du Québec. C'est un réseau de prise en charge, qui facilite la recherche et l'éducation en réadaptation au travail. Ce réseau est composé de 10 établissements de réadaptation publics régionaux du Québec et de l'hôpital Charles-LeMoyne. Ils se sont unis pour former un consortium offrant ce programme.

    Ce programme de réadaptation, le programme Prévicap, est donné dans plusieurs villes. Le réseau est responsable du programme, et les établissements sont responsables de leurs équipes. Il y a une coordination et une éducation continue, et on fait la surveillance du développement du programme qui existe.

    Ici, au Québec, nous avons actuellement quatre établissements participants: un à Montréal, un sur la rive sud, qui est l'endroit d'origine, un à Québec, et un autre à Rouyn-Noranda, en Abitibi.

    Avant de terminer cette présentation, je vais remettre les choses en place. Il est de plus en plus évident que dans le cas d'un travailleur qui se trouve en incapacité en raison de problèmes musculo-squelettiques, on a le même paradigme que dans le cas d'autres problèmes, même des problèmes de santé mentale. Cela dépend des éléments complexes du milieu de travail, du système de l'entreprise, avec l'employeur et le syndicat, du système de la prise en charge par toutes sortes d'assurances offertes par les gouvernements et d'autres instances. Il y a aussi le système de santé, avec toute sa complexité; les médecins traitants et toutes les autres parties du système de santé peuvent parfois effrayer plutôt que rassurer le patient. Finalement, il y a la personne dans toute sa complexité, depuis son état physique jusqu'à ses relations sociales. Tout cela doit être pris en compte conceptuellement et appliqué de façon adéquate à la personne qui, quand elle est en situation d'incapacité, a toujours affaire à un certain nombre de ces éléments.

Á  +-(1135)  

    Vers où devrait-on se diriger? Il faut certainement enseigner, enseigner et enseigner ce paradigme d'incapacité. Actuellement, les écoles de médecine sont beaucoup centrées sur la maladie. C'est nécessaire. C'est bien évident que c'est très important pour un médecin, mais il serait très important qu'il sache aussi qu'il y a des personnes qui ne sont plus malades, mais qui sont en situation d'incapacité, qui sont malheureuses et dont il faut s'occuper de façon différente. Je parle des médecins, mais il y a aussi toutes les autres personnes qui oeuvrent dans le système de santé, y compris les administrateurs de ce système.

    Il faut disséminer le modèle dans les différentes provinces canadiennes. La Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail de l'Ontario est intéressée et m'a déjà abordé. Il faut que d'autres assureurs, privés ou publics, et des agences gouvernementales s'y intéressent. Il faut faire en sorte que ce système soit accessible à tous les Canadiens qui vivent des situations d'incapacité, car vous savez que, selon la caisse à laquelle les gens peuvent faire appel, il y a un certain nombre d'inégalités. Quand quelqu'un se blesse en tombant de son toit et a une incapacité, il devrait avoir droit, pas forcément à une protection prolongée, mais à quelque chose qui l'aidera à retourner à une situation active de travailleur.

    À l'étranger, les Pays-Bas testent à nouveau ce modèle par un essai randomisé, et plusieurs autres pays ont communiqué avec moi pour me demander d'implanter ce modèle de façon élargie en Europe.

    C'est ça, le paradigme de la prévention de l'incapacité. Je pense qu'on ne devrait pas refuser à une personne une situation de travail acceptable et que, plutôt que de penser uniquement à la compensation, on devrait penser à la valorisation de l'individu par le travail, qui est tellement important dans notre société.

    Je veux remercier tous les organismes qui ont contribué à cette recherche: l'IRSST, la CSST, le FRSQ, le REPAR, HEALNet, la Régie régionale de la Montérégie et aussi, bien sûr, les travailleurs, employeurs et syndicats qui ont aidé à différents stades de ce projet.

    Nous vous donnons quelques références quant aux travaux qu'on a publiés pour préciser ces choses.

[Traduction]

+-

    La présidente: Merci.

    À vous, monsieur Elley.

+-

    M. Reed Elley (Nanaimo—Cowichan, Alliance canadienne): Merci beaucoup, docteur Loisel, de vous être déplacé pour nous faire part de votre point de vue.

    Vous avez utilisé un graphique indiquant les progrès réalisés par vos clients au cours de votre programme, et je crois que le graphique indiquait une durée de 12 semaines. Le programme dure-t-il toujours 12 semaines ou sa durée peut-elle varier?

[Français]

+-

    Dr Patrick Loisel: Il y a une grande flexibilité dans le programme. Douze semaines, c'est une moyenne. Quand on fait la moyenne, on arrive à 12 semaines. En réalité, c'est un programme qui peut être beaucoup plus bref ou plus long, selon la personne.

    Le retour thérapeutique au travail est une démarche adaptée au problème de chaque personne. Comme cette démarche concerne aussi l'employeur, l'organisme de compensation et éventuellement la famille et les amis qui ont une influence sur le travailleur, elle doit être établie en fonction de tout ce système complexe. Mais on a développé une technologie d'approche pour faciliter ces interactions.

[Traduction]

+-

    M. Reed Elley: Après avoir entendu vos explications, si je comprends bien le graphique, c'est une sorte de programme holistique de bien-être, où une équipe interdisciplinaire s'occupe du problème du patient et travaille avec lui.

    Des électeurs de ma circonscription de l'île de Vancouver sont venus me voir pour me parler de ce problème, en particulier des douleurs du muscle et du squelette, de ce mal de dos dont nous souffrons pratiquement tous tôt ou tard. Pour certaines personnes, c'est une douleur chronique très intense, qui rend le retour au travail très pénible. La commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique a beaucoup de mal à résoudre le problème et à ramener les patients au travail.

    Il me semble qu'une bonne partie de votre action—sauf erreur de ma part—porte sur la gestion de la douleur. Dans certains cas, c'est véritablement de la gestion de la douleur que vous faites avec le patient. Est-ce qu'un certain niveau de douleur peut persister chez les personnes qui suivent votre programme? Vous ne cherchez pas nécessairement un remède; vous cherchez une formule de gestion de la douleur qui va aider les patients à retourner au travail. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.

Á  +-(1140)  

[Français]

+-

    Dr Patrick Loisel: Vous avez tout à fait raison. On n'est pas une clinique de douleur. On essaie de supprimer la douleur des gens. La douleur fait partie de la vie. Je pense qu'au fur et à mesure qu'on avance en âge, on se rend compte qu'on a des douleurs à droite et à gauche, et on fonctionne avec.

    Il y a de très bonnes statistiques au niveau québécois et au niveau national. Quand Santé Québec on Santé Canada fait des enquêtes populationnelles, on demande aux gens s'ils ont des douleurs. Il y en a qui répondent qu'ils ont des maux de dos. Vingt-cinq pour cent des gens qui sont au travail nous disent qu'ils ont mal au dos tout le temps ou fréquemment. Heureusement, ces gens ne sont pas absents du travail, sinon notre économie serait épouvantable.

    On a associé douleur et incapacité, ce qui n'est pas du tout vrai. Il y a des gens qui travaillent avec un certain niveau de douleur, comme on travaille parfois quand on a le rhume. Ce n'est évidemment pas idéal, mais c'est comme ça.

    Mais il y a des gens qui, avec des niveaux de douleur parfois moindres, arrêtent de travailler. Pourquoi? Parce que le problème n'est pas simplement la douleur. Il y a beaucoup d'autres choses qui peuvent survenir dans leur vie. Vous pouvez avoir un accident du travail pendant que vous divorcez. Divorcer, habituellement, n'entraîne pas une absence du travail. C'est un fait de la vie. Mais quand on divorce, qu'on a tel problème, tel autre problème et un accident du travail, c'en est trop. À ce moment-là, on entre dans un cercle d'incapacité qui peut être un cercle vicieux. Il y a d'excellents auteurs internationaux, comme Johan Vlaeyen, en Hollande, qui montraient ce modèle récemment. C'est comme si quelqu'un entrait dans un cercle vicieux dont il peut ne pas être capable de sortir. Le but de ce programme est d'aider les gens à se sortir de ce cercle vicieux.

    Quand on fait le suivi des travailleurs après un an et trois ans et qu'on leur demande quel est leur niveau de douleur, il n'y en a que 10 ou 15 p. 100 qui disent n'avoir aucune douleur. Mais si on leur demande si leur état de santé est meilleur, pareil ou pire, la grande majorité nous disent qu'ils vont mieux ou aussi bien qu'à la fin de leur réadaptation. Ils sont contents, mais leur niveau de douleur--ils ne se rappellent plus ce qu'ils nous ont dit il y a trois ans, avant d'entrer dans le programme--est grosso modo semblable.

    Donc, il est très important de savoir--et c'est un problème d'éducation médicale--qu'on a fait beaucoup de progrès depuis 10 ans quant aux mécanismes biologiques d'interprétation de la douleur. Le stress, les difficultés dans la vie, le fait de voir la vie en noir sont des éléments qui, par des processus biologiques, cérébraux et des centres nerveux, modulent le niveau de douleur. Je ne dis pas que les gens sont fous ou plaignards. Ce sont des processus biologiques. C'est la façon dont on est faits. C'est pour cela qu'un des éléments très importants qu'on doit offrir aux gens est la rassurance, parce que ça permet d'agir de façon positive sur ces processus biologiques.

Á  +-(1145)  

+-

    La présidente: Madame Picard.

+-

    Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Merci.

    Docteur Loisel, je dois vous féliciter pour la création de ce modèle, qui commence à être reconnu au Canada, puisque vous dites que l'Ontario et certains pays d'Europe vous ont demandé de faire la mise en place d'un tel modèle. Je suis fière de pouvoir vous féliciter, vous et votre équipe.

    Vous avez répondu à la plupart des questions que j'avais préparées. Il ne m'en reste qu'une. Au Québec, de quelle façon ce processus est-il mis en place dans le cas d'une personne qui est dans l'incapacité de travailler ou qui a un handicap? Est-ce que la personne se présente chez son médecin qui, lui, intervient? De quelle façon la personne peut-elle être indemnisée? Est-ce le ministère de la Santé qui, par un crédit d'impôt ou d'une autre façon, l'indemnise? On sait qu'il y a les assureurs et plusieurs autres acteurs qui peuvent indemniser la personne qui est sans travail pour lui permettre de continuer à vivre. Il faut éviter les dédoublements. De quelle façon les choses se passent-elles?

+-

    Dr Patrick Loisel: Comme je le disais tout à l'heure, ce programme est actuellement appuyé par la CSST; c'est donc pour les personnes qui ont un accident du travail.

    Récemment, nous avons établi des liens avec certaines entreprises, qui peuvent nous envoyer directement certains travailleurs, qu'ils aient eu un accident de travail ou pas. La CSST peut être impliquée, mais il peut aussi s'agir de personnes qui bénéficient de la caisse d'assurance-invalidité de l'entreprise, par exemple.

    C'est un problème actuellement. À part ces quelques cas qui nous sont envoyés par certaines entreprises, nous avons essentiellement des cas qui nous sont envoyés par la CSST et ses conseillers en réadaptation. Il n'y a qu'une tranche étroite de la population qui peut accéder à ces services.

    Il faudrait ouvrir ces services à l'avenir. Normalement, suivant la façon dont notre système de santé est construit, c'est le médecin traitant qui, la plupart du temps, devrait nous envoyer directement ces cas. Mais il s'agit encore d'un programme expérimental. J'ai oublié de dire que le Réseau en réadaptation au travail est actuellement l'objet d'une étude d'évaluation externe par des chercheurs du Groupe de recherche interdisciplinaire en santé de l'Université de Montréal. Il y a donc une évaluation externe qui est en train de se faire. C'est donc une des façons de faire. J'ai parlé de la Hollande, où il y a un essai randomisé. Il y a de multiples études. Le programme a été développé en fonction des évidences scientifiques, mais en plus, on l'évalue.

    Donc, au fur et à mesure qu'on l'évalue et que l'évidence de son efficacité augmente, on devrait certainement l'étendre à d'autres personnes.

    Je m'adresse à vous, parce que ce n'est pas moi qui peux faire cela. C'est vous qui pouvez agir dans ce domaine. Il appartient évidemment aux pouvoirs publics de décider d'adopter ce paradigme d'incapacité et d'offrir aux gens un traitement de leur incapacité. Le modèle peut avoir des variantes dans son application, en fonction du contexte provincial, régional, etc., mais les évidences qui le sous-tendent existent pour tout le monde.

+-

    Mme Pauline Picard: Merci beaucoup.

[Traduction]

+-

    La présidente: Merci.

    Il y a un certain nombre d'aspects de votre programme que nous aimerions... nous essayons de concevoir des recommandations à faire figurer dans notre rapport. Le premier élément du modèle de Sherbrooke, c'est la détection précoce, n'est-ce pas? Nous avons déjà abordé l'idée du drapeau rouge, comme vous dites. Du point de vue du partage des responsabilités entre l'assurance-emploi, les prestations d'invalidité et le Régime des pensions du Canada au sein du programme conjoint de détection précoce, y a-t-il quelque chose qui pourrait s'appliquer sur les deux plans? C'est ma première question.

    J'aimerais aussi voir comment nous pourrions intégrer cette idée à notre rapport. Il y a évidemment les bons employeurs et les autres; est-ce qu'on pourrait en quelque sorte récompenser, par une réduction des cotisations, les bons employeurs qui ont mis en place un système d'intervention et...? Comment appelez-vous cela, Bill, «la tarification personnalisée»?

Á  +-(1150)  

+-

    M. Bill Young (attaché de recherche auprès du comité): Oui.

+-

    La présidente: Ceux qui l'appliquent en milieu de travail devraient obtenir une réduction de leurs cotisations, puisque les autres vont finalement coûter plus cher.

    À partir de votre graphique de suivi sur six ans, y a-t-il quelque chose que nous pourrions faire pour montrer que les entreprises qui dépensent un peu plus en intervention de prévention en amont permettent d'énormes économies en aval? Tous, nous approuvons tout ce qui touche à la prévention, mais il faudra sans doute faire oeuvre de persuasion pour convaincre les entreprises de dépenser un peu plus en amont pour permettre des économies en aval. Voilà le genre de choses...

    Si vous deviez rédiger notre rapport, qu'est-ce que vous y feriez figurer pour montrer que nous vous avons bien entendus et que si l'on veut partager les meilleures façons de faire et si nous voulons faire évoluer les mentalités en matière d'invalidité, il faut s'inspirer de vos principes et non pas se contenter de passer les patients par pertes et profits? On nous dit toujours que ces absences sont très coûteuses, aussi bien pour l'estime de soi que pour tout le reste. Je vous demande donc de nous aider à rédiger notre rapport.

+-

    Dr Patrick Loisel: Je serais heureux de le faire, mais je pense que c'est quelque chose qui mérite une discussion approfondie et qui devrait d'ailleurs se faire de façon conjointe, avec des gens comme moi, qui connaissent les faits scientifiques et qui s'impliquent dans le développement de tels programmes, et des administrateurs qui voient comment on pourrait influer sur l'évolution des systèmes de santé, qui connaissent bien le milieu des entreprises et qui sauraient comment on pourrait influencer les grandes entreprises.

     Il y a déjà un certain nombre d'entreprises ou de syndicats, à droite et à gauche, qui sont intéressés et qui m'ont approché, mais c'est certain que ça demanderait une vision beaucoup plus large. Je pense qu'il faut faire beaucoup d'éducation à tous les niveaux. On sait que le transfert des connaissances est important. Les Instituts de recherche en santé du Canada font aussi partie des gens qui nous subventionnent. Je viens d'obtenir un programme de formation de chercheurs sur cette problématique des Instituts de recherche en santé du Canada.

     Donc, il faut former des futurs chercheurs, mais aussi des administrateurs. Vous verrez, dans les pochettes que j'ai apportées, qu'il y a plusieurs programmes qu'on a récemment développés à l'Université de Sherbrooke pour s'occuper de ce problème. Il faut donc une formation élargie pour que les gens comprennent le paradigme de l'incapacité. Je me suis aperçu que tant que les gens ne comprennent pas le paradigme de l'incapacité, ils se réfèrent au paradigme de la maladie, un vieux modèle que tout le monde connaît bien, et que cela les empêche d'aller vraiment vers l'incapacité. Je pense donc qu'il faut faire un gros effort de formation, à la fois des milieux de santé et des milieux administratifs.

     Il y a les incitatifs aux entreprises. Je pense que la CSST, au Québec, a fait un gros effort à cet égard. Je peux vous dire que ça coûte très cher aux employeurs qui ont beaucoup d'employés souffrant d'incapacité. La CSST leur donne une facture importante, mais les employeurs ne savent pas forcément comment faire parce que ce n'est pas leur métier. Donc, les solutions qu'ils appliquent ne sont pas toujours adéquates, et elles sont parfois même contre-productives. Il faut donc mettre en place des systèmes qui vont faire en sorte qu'on ne va pas seulement taxer les employeurs qui ont un mauvais parcours dans ce sens-là, mais aussi leur donner les moyens de faire en sorte que ça aille mieux.

    Actuellement, on est en discussion avec quelques grosses entreprises. On veut développer un programme pour que les entreprises se prennent en charge de façon adéquate. Il y a quelques jours, je discutais avec un collègue qui a développé un programme de formation des superviseurs. Il disait par exemple aux superviseurs que si quelqu'un s'absente, il faudrait l'appeler, lui demander s'il va bien, lui dire qu'on a besoin de lui. En agissant d'une façon humaine plutôt que de pointer cet employé comme étant un bad guy, on peut changer considérablement les choses.

     Je pense qu'il est important de développer des programmes de formation. Il faut aussi raffiner et développer des programmes mieux adaptés aux contextes régionaux, parce qu'il faut adapter et insérer ce programme dans les lois suivant le pays et suivant la province. Il est certain qu'en Ontario, si on continue nos travaux avec le WSIB, le programme ne sera pas le même que celui qu'on a établi au Québec. Il aura les mêmes bases, mais il sera adapté au contexte de l'Ontario, parce que le rôle du médecin traitant, par exemple, n'est pas le même en Ontario qu'au Québec. Les responsabilités législatives du WSIB sont différentes des responsabilités législatives de la CSST. Il faut donc qu'il y ait des groupes d'étude se là-dessus.

     Il serait probablement intéressant d'avoir, quelque part au pays, et ça pourrait être chez nous, un regroupement de forces au niveau des connaissances dans ce domaine-là, qui pourrait aider et développer des façons de faire. Je pense que ces façons de faire doivent être développées et concentrées dans un endroit qui fera du réseautage avec les autres provinces, ce qui permettra de mieux comprendre et d'adapter cette nouvelle vision.

Á  +-(1155)  

+-

    La présidente: Docteur Loisel, j'ai tendance à être impatiente. En tant que médecin de famille, je déplore qu'on ne forme que huit nouveaux médecins de famille chaque année. Vous qui avez commencé à enseigner dans les facultés de médecine, vous savez que le problème, en l'occurrence, c'est de savoir s'il s'agit d'une question concernant la santé, l'invalidité ou les services sociaux. Ce sont les médecins qui remplissent les formulaires et les ordonnances prescrivant des analgésiques. Les employeurs, quant à eux, ne semblent pas savoir ce que signifie l'allégement des tâches.

    Le comité sera sans doute d'accord avec moi pour espérer que votre modèle soit étendu dès que possible à l'ensemble du pays. On réaliserait ainsi d'importantes économies et de nombreux Canadiens pourraient revaloriser leur estime de soi. Il serait excellent que par une formule magique, on puisse instantanément appliquer votre modèle partout.

    Mais comment faire? Je pense qu'il est important de passer par tous les instituts de recherche, de miser sur la collaboration de chacune des provinces pour faire passer le message. Quant à la carotte et au bâton, y a-t-il des mesures incitatives qui vous semblent efficaces? Est-il possible de multiplier dans l'ensemble du pays les cliniques axées sur la collaboration et dotées de modules de retour au travail, comme les vôtres? Faudrait-il faire passer tout le monde par un point de contrôle central, de façon que personne n'obtienne de prestations d'invalidité du RPC avant d'avoir fait l'objet d'au moins une tentative de réadaptation au travail? Êtes-vous prêt à rejeter toutes les demandes de prestations d'invalidité tant que le patient n'a pas suivi un véritable programme de réadaptation au travail? Quelles mesures incitatives vous permettraient de mettre un tel système en place?

[Français]

+-

    Dr Patrick Loisel: Votre question est très intéressante, et il n'est pas forcément facile d'y répondre.

    Un danger existe, et c'est la raison pour laquelle j'ai voulu qu'au Québec, on crée le Réseau en réadaptation au travail du Québec, pour être sûr que le programme qui sera dispensé dans différents endroits ne change pas complètement de nature.

    Je suis fondamentalement un clinicien, puisque je suis chirurgien orthopédiste de formation, mais je me méfie beaucoup des cliniciens. C'est une plaisanterie pour dire que les cliniciens ont tendance à faire plus de clinique et à essayer de prendre beaucoup soin du patient. Je ne dis pas qu'il ne faut pas prendre soin des patients, bien sûr, mais je dis qu'il faut éviter de médicaliser un problème qui n'est pas vraiment médical, mais social, du moins en grande partie.

    Donc, si on dissémine des cliniques partout, le risque serait qu'on obtienne le contraire de ce qu'on veut, soit une médicalisation du problème. On observe que si on médicalise le problème, on augmente l'incapacité parce qu'on effraie le patient qui, finalement, pense qu'il est plus malade qu'il ne l'est en réalité.

    Je pense qu'on aurait besoin d'un comité de travail qui réunirait des chercheurs compétents dans le domaine, des administrateurs compétents et intéressés au sujet, des gens qui voient comment on peut appliquer les choses. On ne peut pas me demander à moi tout seul comment mettre en place ce modèle à travers le Canada, alors que je ne sais pas comment fonctionne le système au Manitoba, par exemple. Vous savez que les juridictions provinciales qui sont compétentes dans la plupart de ces domaines-là sont différentes, et c'est légitime. Encore une fois, si on ne veut pas que ce modèle ait des effets pervers et que les gens le comprennent mal, il faut vraiment l'appliquer de façon adéquate.

    Je pense qu'au niveau national, il pourrait être très intéressant d'avoir un comité qui réfléchisse là-dessus et voie comment, maintenant qu'on a les évidences scientifiques et qu'on a un système, on pourra appliquer ces évidences et développer le système.

    C'est pour cela que je disais qu'on a probablement besoin d'au moins un endroit où on aurait une concentration particulière, un endroit qui attirerait des forces ayant des connaissances dans ce domaine et qui permettrait de développer et d'appliquer le modèle le plus vite possible. C'est bien de faire vite, évidemment, mais il faut aussi faire bien, et donc réfléchir soigneusement avant de prendre des décisions. Il y a inévitablement un investissement à faire au départ. Il sera certainement très bien récompensé, non seulement en termes financiers mais aussi en termes de qualité de vie pour beaucoup de Canadiens, mais il faut faire cela de la façon appropriée.

  +-(1200)  

[Traduction]

+-

    La présidente: Dans la recherche que vous demandez, vos propos sur ce qu'il faut trouver m'ont beaucoup impressionnée. Est-ce que vous dites que nous devrions faire avec les provinces de la recherche sur la façon de l'obtenir? Il faudrait que la recherche porte maintenant sur la mise en oeuvre et les meilleures façons de faire car nous avons maintenant la preuve de l'efficacité de votre action. Elle n'est pas douteuse, n'est-ce pas?

+-

    Dr. Patrick Loisel: Non, je ne pense pas. Le problème est non pas de savoir si c'est efficace, mais de savoir comment l'appliquer. C'est un problème de transfert de connaissance, et nous savons que la difficulté se situe au niveau des transferts de connaissance. On commence à faire beaucoup de recherche sur les transferts de connaissance. Il faut réfléchir à la meilleure façon d'effectuer ce transfert des connaissances dans notre domaine.

[Français]

    Je pense qu'il faut faire exactement comme vous le dites. C'est pour cela que je propose la création d'un groupe qui va pouvoir réfléchir aux façons de transférer la connaissance. On sait que si je me mets au tableau, comme ça, ce n'est pas un bon moyen de transfert des connaissances. On sait qu'envoyer des documents, comme ça, n'est pas un bon moyen de transfert des connaissances.

    La manière de bien transférer les connaissances est un champ en expansion. On a déjà des idées sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. Il faudrait une commission composée d'un certain nombre de personnes dans différents domaines concernés, comme des gens des entreprises et des syndicats pour nous dire ce qui est acceptable et comment ça peut marcher dans une entreprise.

    Il y a les grosses entreprises, mais la majorité des travailleurs sont dans les petites entreprises. Ce modèle marche très bien dans les petites entreprises. Au départ, la CSST avait peur. À Sherbrooke, l'étude a été faite sur des entreprises de plus de 175 employés, je pense. La CSST disait que ça marchait pour les grosses entreprises, mais que ça ne marcherait pas pour les petites. Or, ça marche très bien dans les petites entreprises. C'est notre expérience maintenant.

    Il faut avoir des gens qui connaissent bien ces systèmes pour voir ensemble comment on pourrait faire

[Traduction]

un modèle réaliste et spécifiquement canadien.

  -(1205)  

-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Ce que vous faites est spectaculaire et j'espère qu'à la prochaine étape, nous trouverons le moyen de récompenser les entreprises modèles de notre pays et d'accorder de généreuses récompenses aux provinces qui trouvent des façons de faire intéressantes et novatrices en matière de dissémination et de transfert des connaissances. Le temps des retenues imposées aux provinces récalcitrantes est révolu; il faut récompenser les provinces qui font preuve d'innovation et de créativité, car ce n'est qu'en célébrant les points d'excellence dans l'ensemble du pays qu'on va pouvoir élever le niveau pour tous les Canadiens.

    Je vous remercie donc de votre contribution. Nous allons essayer d'intervenir pour favoriser le transfert des connaissances et nous nous ferons les champions de votre cause.

    La séance est levée.