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NDVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 5 juin 2003




¿ 0910
V         Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.))
V         M. Martin Shadwick (professeur, chercheur principal, York Centre for International Security, Université York)

¿ 0915

¿ 0920

¿ 0925

¿ 0930

¿ 0935

¿ 0940

¿ 0945

¿ 0950
V         Le président
V         Mme Elsie Wayne (Saint John, PC)
V         Le président
V         M. Leon Benoit (Lakeland, Alliance canadienne)

¿ 0955
V         M. Martin Shadwick

À 1000
V         Le président
V         M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.)
V         M. Martin Shadwick
V         M. David Price
V         M. Martin Shadwick

À 1005
V         M. David Price
V         M. Martin Shadwick
V         Le président
V         M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ)

À 1010
V         M. Martin Shadwick

À 1015

À 1020
V         Le président
V         M. David Price
V         M. Martin Shadwick

À 1025
V         M. David Price
V         M. Martin Shadwick
V         M. David Price
V         M. Martin Shadwick
V         M. David Price
V         M. Martin Shadwick
V         M. David Price
V         M. Martin Shadwick

À 1030
V         Le président
V         Mme Elsie Wayne
V         M. Martin Shadwick

À 1035
V         Mme Elsie Wayne
V         Le président

À 1040
V         M. Joe McGuire (Egmont, Lib.)
V         M. Martin Shadwick
V         M. Joe McGuire

À 1045
V         M. Martin Shadwick
V         Le vice-président (M. David Price)
V         Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne)
V         M. Martin Shadwick
V         Mme Cheryl Gallant
V         M. Martin Shadwick

À 1050
V         Mme Cheryl Gallant
V         M. Martin Shadwick
V         Mme Cheryl Gallant
V         M. Martin Shadwick
V         Le président

À 1055
V         M. Martin Shadwick

Á 1100
V         Le président
V         M. Martin Shadwick
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


NUMÉRO 032 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 5 juin 2003

[Enregistrement électronique]

¿  +(0910)  

[Traduction]

+

    Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): La séance est ouverte. Il nous faudrait un plus gros maillet. Celui-ci n'est pas assez gros; j'en aurais peut-être besoin pour infliger des châtiments corporels.

    Quoi qu'il en soit, au nom du comité, permettez-moi de souhaiter la bienvenue au professeur Martin Shadwick. Le professeur Martin Shadwick est chercheur principal du York Centre for International Security.

    Monsieur le professeur, nous sommes très impatients d'entendre vos commentaires. Nous nous excusons de ce petit retard, mais comme vous l'avez expliqué vous-même tout à l'heure, c'est le genre d'incident auquel le monde universitaire vous a habitué. Nous espérons pouvoir commencer sans plus tarder, entendre vos commentaires, et ensuite vous poser des questions. Encore une fois, je vous souhaite une bienvenue chaleureuse au nom de tous les membres du comité. C'est à vous.

+-

    M. Martin Shadwick (professeur, chercheur principal, York Centre for International Security, Université York): Merci, monsieur le président. Je suis ravi de pouvoir vous faire part de certaines de mes réflexions sur les relations de défense canado-américaines et sur la politique de défense canadienne en général.

    Me préparant pour cette réunion, je me suis dit qu'il serait préférable de compléter les propos de vos témoins précédents plutôt que de répéter ce qui avait déjà été dit. Ce n'était pas facile dans la mesure où certaines de ces analyses des relations canado-américaines étaient déjà très complètes.

    Ce dilemme m'a rappelé mon premier témoignage devant ce comité, ou pour être plus précis, devant un prédécesseur de ce comité au cours duquel le regretté Heath MacQuarrie se lamentait qu'il était tellement bas sur la liste des intervenants que toutes ses questions les plus pertinentes avaient déjà été posées par ses estimés collègues, ne lui laissant que les miettes dont personne n'avait voulu. Monsieur le président, je ferai de mon mieux pour donner le plus de valeur possible à ces miettes. Pour ce faire, permettez-moi de me concentrer sur trois domaines de réflexion interdépendants.

    Le premier portera sur les différences entre les démarches canadiennes et américaines vis-à-vis des questions de défense continentale et nationale et sur l'évolution des positions canadiennes provoquée par le libre-échange, la fin de la guerre froide et les événements du 11 septembre 2001.

    Le deuxième portera sur les orientations possibles de la politique de défense canadienne de demain ainsi que de la structure des Forces armées canadiennes de demain et sur l'influence que peuvent ou que pourront avoir les relations de défense canado-américaines tant dans le contexte nord-américain que dans le contexte international.

    Le troisième portera sur les ressources et les autres initiatives pouvant être utiles à la protection de la souveraineté canadienne, dans son sens le plus large, tout en apportant parallèlement une contribution à la défense du continent et, j'ajouterais, en permettant à l'occasion au Canada de pouvoir continuer à jouer un rôle militaire significatif sur la scène internationale.

    Commençons par le premier. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la coopération de défense entre le Canada et les États-Unis a été extrêmement étroite, multiple et d'une manière générale mutuellement bénéfique. Ces relations ont à de nombreuses reprises rappelé également la tendance du Canada à considérer la défense du continent en termes de « souveraineté » alors que la tendance des États-Unis est de la considérer en termes de « sécurité ».

    Si vous demandez à un spécialiste américain de brosser l'historique de la défense du continent, il y a de fortes chances pour qu'il commence par la décision du début des années 50 de construire un système élaboré de défense antiaérienne pour contrer la menace nucléaire et protéger la population et les centres industriels nord-américains, ensuite la décision du début des années 60 sonnant le glas de la défense antiaérienne avec l'arrivée des missiles balistiques intercontinentaux, la décision du début des années 80 de moderniser le système vieillissant de défense antiaérienne nord-américaine face à l'arsenal soviétique et, bien entendu, les événements tragiques plus récents du 11 septembre et leurs conséquences en termes de sécurité pour le continent et les États-Unis.

    Si vous demandez la même chose à un spécialiste canadien il aura tendance à situer la sécurité dans un contexte de souveraineté. En conséquence, il y a de fortes chances que son historique de la défense du continent parle surtout de l'importance du réseau d'alerte avancé des Américains pour la souveraineté de l'Arctique, du rapport de cause à effet entre l'annulation de l'Avro et la souveraineté technologique, des conséquences pour la souveraineté de l'acquisition d'ogives nucléaires sous contrôle américain dans la première moitié des années 60, des conséquences pour la souveraineté du Canada de l'accord de 1985 de modernisation du système de défense antiaérienne de l'Amérique du Nord et des conséquences plus récentes, de l'après 11 septembre, pour la souveraineté canadienne des initiatives de défense américaines et continentales, y compris le bouclier antimissiles

    Une telle dichotomie, selon moi, n'est pas du tout surprenante vu les rôles et les moyens militaires stratégiques très différents, tout en étant alliés, du Canada et des États-Unis et vu notre situation géographique parfois problématique, mais il est indispensable que les deux partenaires américains comprennent et évaluent tous les tenants et les aboutissants de cette dichotomie. Alors que de nouvelles technologies de défense et aérospatiales aux conséquences potentielles énormes sont envisagées, voire déjà, dans certains cas, déployées, un manque de consultation ou un manque de compréhension des perceptions et des positions de l'autre partie pourrait avoir des répercussions malheureuses sur les relations générales entre le Canada et les États-Unis.

    Dans la pratique, il faut que les États-Unis comprennent que bien que le Canada soit un vrai ami et allié, ses positions et ses perceptions en matière de sécurité nationale et internationale ne sont pas forcément les mêmes que celles de son voisin du Sud.

¿  +-(0915)  

    Il faut aussi que les États-Unis comprennent que le Canada, comme plus petite puissance dans une relation inégale, est forcément beaucoup plus sensible aux questions de souveraineté politique, militaire et économique. Que les Américains continuent à ne pas vouloir reconnaître toutes les revendications territoriales du Canada dans le Grand Nord tend à exacerber cette sensibilité.

    Pour sa part, il faut que le Canada comprenne que les États-Unis, la seule superpuissance qui reste, a une série d'obligations et de responsabilités planétaires uniques qui sont exigeantes et importantes. Il faut aussi que les Canadiens comprennent le traumatisme infligé à l'opinion publique et politique américaine par les événements du 11 septembre et n'oublient pas que le territoire canadien constitue, comme le notait il y a déjà des années le professeur John Gellner, une barrière ou un glacis de défense pour les États-Unis. Par la force des choses, la géographie oblige les États-Unis à s'intéresser au maintien de dispositifs de défense septentrionale appropriés, l'adjectif « appropriés » ayant bien sûr un caractère assez élastique. Nous pourrons y revenir plus tard.

    Dans le contexte actuel, le gouvernement Chrétien se demandant quelle décision prendre à propos du rôle du Canada dans le projet de bouclier antimissiles, pour n'en nommer qu'un, j'estime fort instructif de réfléchir un instant au débat animé provoqué en 1985 par l'invitation américaine de participation aux premières phases de recherche de l'initiative de défense stratégique, l'IDS. Ce débat rappelant à son tour la polémique acerbe sur la défense aérienne au Canada à la fin des années 50 et au début des années 60, la variante de 1985 sur l'IDS a été accablée par un excès de politique partisane, bien que je me hâte d'ajouter immédiatement que l'intervention du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur les relations internationales du Canada avait permis de donner à l'époque au débat et à la discussion un tour informé des plus utiles. D'autres facteurs avaient joué en 1985, entre autres la confusion généralisée mais peut-être compréhensible provoquée après une myriade de questions techniques et une série de commentaires embarrassants de hauts fonctionnaires américains dont le caractère vague et mal interprété n'a fait que jeter de l'eau sur le feu et exacerber la confusion. Il faut absolument éviter de répéter dans le débat de 2003 sur le bouclier antimissiles les erreurs de celui de 1985 qui fut un des débats les plus confus, les plus contradictoires de l'histoire de la politique étrangère et de défense du Canada, et ce n'est pas rien car il ne manque pas de candidats à ce titre douteux.

    Bien sûr, faire la comparaison avec 1985 est un exercice très délicat car en 1985, il y avait d'autres questions en jeu, ou perçues comme étant en jeu, qui n'ont pas leur parallèle dans la réalité d'aujourd'hui. Par exemple, en 1985, non seulement il y a eu plus ou moins simultanément le débat sur l'IDS et la réponse du Canada à l'invitation du président Reagan, mais aussi les controverses provoquées par l'accord de modernisation de la défense antiaérienne de l'Amérique du Nord un peu plus tôt en 1985. Cette année-là, pour faire bonne mesure, il y a encore eu la traversée du Passage du Nord-Ouest par le Polar Sea, le brise-glace de la Garde côtière américaine. Tous ces événements ont provoqué toutes sortes de débats et de controverses qui se sont superposés et qui ont, à mon avis, alimenté encore plus la confusion.

    Néanmoins, j'estime qu'il reste impératif de rappeler l'importance, en 1985, de la question de la protection de la souveraineté canadienne dans ces débats. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'a pas été question en 1985 de contrôle des armes, d'économie et d'industrie—c'est évident—mais simplement que la préoccupation principale du public, des responsables politiques et des médias était la protection de la souveraineté. Dans une très large mesure, le débat sur l'IDS de 1985 a opposé ceux qui croyaient que la meilleure manière de protéger la souveraineté canadienne était d'avoir un siège à la table contre ceux qui croyaient le contraire.

    Il est aussi instructif de noter que la majorité des derniers témoignages devant votre comité liés au bouclier antimissiles donnaient la priorité à la meilleure manière de protéger la souveraineté canadienne. C'est éminemment compréhensible. D'ailleurs, la troisième partie de mes remarques, dans un instant, portera sur l'examen des autres moyens permettant de renforcer directement ou indirectement la souveraineté canadienne au cas où le Canada s'associerait à l'initiative de bouclier antimissiles des États-Unis.

    Simultanément, je crois que des indices, empiriques peut-être mais de vrais indices quand même, montrent que les Canadiens tempèrent leurs préoccupations traditionnelles de souveraineté par une nouvelle conscience du rôle de l'économie et du commerce dans les relations de défense canado-américaines.

¿  +-(0920)  

    Je n'entends pas économie et commerce dans le sens avantages industriels pour l'industrie canadienne au cas où nous participerions au bouclier antimissiles, bien que certains aient déjà glosé sur ces avantages éventuels. La crainte, plutôt, est qu'une friction entre le Canada et les États-Unis à propos du bouclier antimissiles pourrait davantage endommager les relations canado-américaines en général et, en particulier, les relations commerciales et économiques. Le libre-échange qui bien entendu fait dépendre encore plus le Canada de l'accès aux marchés américains multiplie ce genre de crainte.

    Depuis le 11 septembre, les Canadiens semblent aussi être devenus quelque peu plus sensibles aux craintes de sécurité américaines, au moins en termes de défense nationale et continentale; les situations de type guerre en Irak continuent à être quelque chose de différent. Les Canadiens continuent à ne pas être convaincus de la nécessité d'un bouclier antimissiles, mais ils commencent à comprendre le désir des États-Unis de se munir d'une forme d'assurance contre des menaces, même improbables, d'États voyous ou de terroristes. En bref, compte tenu des craintes canadiennes en termes de conséquences économiques et commerciales d'un refus de l'invitation américaine à participer au bouclier antimissiles, combinées à la sensibilité accrue pour les craintes de sécurité américaines et à la disparition de certaines des réserves sur le contrôle des armements exprimées pendant le débat de 1985 sur l'IDS, il est possible que nous évitions les frictions, les cris et les hurlements du débat de 1985 ou qu'au moins ils y soient mis une sourdine.

    Effectivement, il est fort possible que la réaction du Canada au déploiement potentiel sur le sol canadien de radars NMD, voire même d'intercepteurs, soit comparativement discrète. Cela présuppose, cependant, que les critères de participation du Canada au bouclier antimissiles soient clairement définis et que des mesures, à la fois directes et indirectes, soient prises pour protéger la souveraineté canadienne.

    La réaction publique à un système de bouclier antimissiles plus étendu et plus élaboré, nécessitant notamment une militarisation de l'espace, pourrait cependant être assez différente. Il faut faire la distinction entre les variations limitées, moyennes et à haute intensité et très perfectionnées du thème du bouclier antimissiles.

    J'aimerais m'arrêter un instant sur la question de l'évolution générale de la politique de défense du Canada et de la structure de ses Forces armées au cours des dernières années. Il est évident que la défense du continent est la pierre angulaire de ce contexte, mais d'une manière plus générale les relations de défense canado-américaines sont également affectées par le type d'établissement militaire général que le Canada entend maintenir en place.

    Bien que les permutations et les variations ne manquent pas, le Canada doit faire face à trois options de défense essentielles. En théorie, on pourrait proposer une quatrième option, à savoir l'élimination pure et simple de l'établissement militaire, sauf pour remplir certaines fonctions cérémoniales périphériques et le maintien de l'escadron des Snowbirds, à condition de convaincre Patrimoine canadien de le prendre en charge. J'ajouterais, que dans ce cas, il faudrait probablement déménager cet escadron de Moose Jaw à Hamilton.

    Des voix: Oh, oh!

    M. Martin Shadwick: Je n'ai pas pu m'en empêcher, je m'en excuse. Mes étudiants vous diront que personne n'échappe ni à mes attaques ni à mes critiques et que tout le monde finit par avoir son compte.

    Il n'est pas clair dans cette hypothèse de disparition de tout l'établissement militaire que le coût de l'augmentation des effectifs et de la transformation de la Garde côtière, du ministère des Pêches et des Océans, de la Gendarmerie royale, d'autres ministères et du recours à des entreprises privées sous contrat, voire de la nécessité de créer toute une nouvelle organisation civile d'intervention en cas de catastrophe ou de désastre serait beaucoup moindre que de transformer les Forces armées canadiennes en une forme de force constabulaire. Il n'est pas plus clair qu'un nouveau partage du travail pour des tâches essentielles, ce que nous appelons aujourd'hui des tâches quasi militaires et des tâches non militaires, serait plus efficace opérationnellement que des militaires constabularisés. Cependant, on peut imaginer la réaction de Washington à cette quatrième option sans militaires.

    Pour ce qui est des trois scénarios d'évolution les plus plausibles, le premier nécessiterait une révision complète du Livre blanc de 1994 sur la défense qui, j'estime, a très bien résisté à l'injure du temps. La tradition dans notre pays veut que les Livres blancs canadiens sur la défense implosent 24 mois après la publication. C'est une vieille tradition canadienne.

    Le Livre blanc de 1994 ne s'en est pas mal sorti du tout. Il a presque dix ans aujourd'hui et il est clair qu'une petite révision s'impose, mais au regard des normes canadiennes il a très bien résisté. Je crois que les artisans de ce document ont fait leur calcul sur de bonnes bases, ce qui est assez rare chez les planificateurs de politique de défense canadienne.

¿  +-(0925)  

    Quoi qu'il en soit, cette option couplerait la révision du Livre blanc de 1994 avec des références copieuses à la révolution dans les affaires militaires, la coopération, l'interopérabilité, la guerre asymétrique et la mobilité stratégique—tous les thèmes et toutes les expressions à la mode dont vous ne cessez sans doute d'être bombardés depuis des années—aux ressources financières nécessaires pour financer le genre d'établissement polyvalent de défense apte au combat envisagé mais non matérialisé par le Livre blanc de 1994. La structure résultante des forces armées conserverait l'éventail le plus large de capacité de combat permettant de remplir une large variété de missions, militaires, paramilitaires et non militaires, au Canada et à l'étranger.

    La deuxième option réaffirmerait de manière analogue la nécessité d'un établissement de défense apte au combat, incluant un contingent expéditionnaire, mais abandonnerait le genre d'établissement de défense polyvalent préconisé par le Livre blanc de 1994 pour un établissement de défense à mission spécialisée. Cette option suppose—et le risque d'erreur de présomption n'est pas négligeable—que nous puissions choisir les missions qui nous conviennent tant militairement que stratégiquement.

    Dans la politique de défense du Canada et dans la politique étrangère du Canada, il y a toujours une troisième option et cette troisième option revêt deux formes. Elles sont toutes deux typiquement canadiennes et j'ajouterais très nord-américaines. Il s'agirait pour l'essentiel d'un rôle traditionnel de force constabulaire, à savoir une armée réduite à un rôle de protection civile, une marine et une aviation réduites à un rôle de Garde côtière ayant pour unique responsabilité la défense du territoire et la protection de la souveraineté et assumant avant tout des tâches quasi militaires et non militaires.

    En passant, quand je dis « quasi militaire », je veux parler de missions de protection des pêches et de la sécurité intérieure. Quand je parle de « tâches non militaires », je pense à des opérations de recherche et de sauvetage et à des interventions en cas de désastre ou de catastrophe.

    Ce modèle pourrait également englober une capacité limitée—et j'insiste sur « limitée »—pour des missions traditionnelles de maintien de la paix et d'intervention d'urgence en cas de désastre naturel à l'étranger. L'autre variante de cette troisième option aurait pour l'essentiel les mêmes caractéristiques mais inclurait des forces de combat non négligeables pour défendre le pays et l'Amérique du Nord.

    Étant donné que la ligne de partage entre ces variantes a pris un caractère de plus en plus flou depuis le 11 septembre, d'aucuns parleront pour la première d'une simple force constabulaire et pour la deuxième d'une force constabulaire plus musclée.

    Bien entendu, ces quatre options ne sont qu'un aperçu superficiel d'une liste apparemment inexhaustible de variations et de permutations. Par exemple, la structure globale des Forces armées canadiennes de l'avenir devrait-elle être asymétrique? Les trois services devraient-ils pour l'essentiel bénéficier de la même priorité et du même financement? Ce serait égalitaire mais pas forcément la bonne recette du point de vue opérationnel ou de la rentabilité. Devrait-on au contraire donner la priorité à l'un ou peut-être à deux de ces services sur l'autre ou sur les autres?

    Je devrais ajouter, comme vous ne devez pas l'ignorer, que les derniers discours du ministre de la Défense, M. John McCallum, contenaient tous une référence à une structure de forces armées asymétrique. Cependant, vous devriez peut-être vous-mêmes réfléchir, et les universitaires devraient faire de même, à la réaction possible des Américains à une asymétrie plus prononcée de la structure des Forces armées canadiennes.

    Deuxièmement, dans quelle mesure devraient exister des asymétries dans les services eux-mêmes? Par exemple, la structure de l'armée de terre devrait-elle fortement faire pencher la balance en faveur de l'infanterie aux dépens des blindés et de l'artillerie? La structure de l'aviation devrait-elle donner la priorité aux moyens de transport stratégiques par opposition au matériel de combat tactique? Quelle serait la réaction des Américains? Ou en auraient-ils une?

    Troisièmement, dans quelle mesure est-ce faisable? C'est une question importante. Dans quelle mesure est-il possible de conserver des compétences essentielles et le matériel nécessaire au niveau de l'encadrement, une masse critique minimale, soit pour l'instruction opérationnelle d'effectifs supplémentaires en temps de crise, soit pour assurer une capacité de défense territoriale ou expéditionnaire très limitée? En d'autres termes, si nous devons nous défaire de certaines capacités, y a-t-il moyen de conserver un encadrement minimum pour que certaines compétences survivent et puissent être transmises en cas de besoin aux Forces armées canadiennes?

¿  +-(0930)  

    Quatrièmement, quel est le partage optimal des tâches entre les éléments d'active et de réserve des Forces armées canadiennes? Cela fait des années que nous posons la question. J'ajouterais que dans un environnement de plus en plus façonné par la diversification des modes de prestation de service, la DMPS, devrait-on adopter au Canada de nouvelles catégories de réservistes sur le modèle des « réserves parrainées » des Britanniques? Je me ferai un plaisir de revenir sur ce thème tout à l'heure.

    Dans quelle mesure l'interopérabilité avec les États-Unis devrait-elle façonner la doctrine du Canada, la structure des forces, l'équipement et les capacités militaires? Dans quelle mesure le Canada devrait-il conserver une certaine autonomie militaire même dans des contextes de coalition? Également, un établissement crédible de défense apte au combat pourrait-il reposer sur des effectifs inférieurs mais informatiquement plus riches en faisant appel à la plus grande panoplie possible de technologies dérivées de la révolution dans les affaires militaires?

    J'ajouterais qu'on ne sait toujours pas si une plus grande informatisation et d'autres technologies permettent forcément une réduction des effectifs. Certains nouveaux matériels dont nous avons pris livraison récemment, bien qu'ils aient représenté un énorme progrès par rapport à ce qu'ils remplaçaient, n'ont certainement pas permis de réduire les effectifs. Au contraire, ils nécessitent plus de techniciens et plus d'entretien. Oui, il y a progrès, et on peut dire que c'est dû en partie dans certains cas à la révolution dans les affaires militaires, mais ils sont associés à un coût de main-d'oeuvre supplémentaire—il faut plus de techniciens.

    Il y a un septième point : des forces armées moins technologiquement orientées mais numériquement plus importantes serviraient-elles mieux les besoins nationaux et internationaux du Canada?

    L'autre variable angulaire est l'argent, ou, pour être plus exact, le manque d'argent. Chacune de ces options et chacune de leurs nombreuses permutations nécessitent des niveaux de dépenses importants. Pas plus le modèle traditionnel de force constabulaire que l'option zéro militaire ne sont gratuits. L'élimination de certaines capacités de combat permettrait de réaliser des économies, mais ces économies pourraient s'avérer illusoires si ce retranchement militaire endommageait de manière fondamentale nos relations économiques et politiques avec les États-Unis, voire avec nos autres alliés.

    Pour Washington, cette force constabulaire non militaire/quasi militaire—en d'autres termes, cette force constabulaire « non musclée »—serait jugée inacceptable, provoquant un mécontentement profond des Américains vis-à-vis du Canada, car ils se sentiraient obligés de remplir le vide militaire et sécuritaire ainsi créé. Le Canada n'en tirerait aucun profit au niveau de sa souveraineté. La force constabulaire « musclée » qui inclut des forces armées aptes au combat et à la défense de la patrie et du continent, pourrait intriguer les États-Unis mais le manque de capacité canadienne pour intervenir outre-mer serait mal reçu.

    Du point de vue américain, les options préférables seraient une sorte de variation du modèle apte au combat polyvalent défini dans le Livre blanc de 1994, ou l'option de mission spécialisée. L'ironie c'est que ces deux dernières pourraient aussi mieux servir les intérêts nationaux du Canada.

    Pour finir, j'aimerais examiner des techniques et des mesures qui permettraient de renforcer la souveraineté canadienne et la sécurité d'une manière plus générale. Dans cette partie, pour l'essentiel, je peux la parcourir assez rapidement, j'ai essayé de regrouper, si vous voulez, sous forme de menu un certain nombre d'initiatives auxquelles vous voudrez peut-être réfléchir. Certaines peuvent paraître contradictoires car dans certains cas je propose des options multiples pour régler des problèmes qui a la base sont les mêmes.

    Cette liste est représentative plutôt qu'exhaustive. J'y examine des mesures qui renforceraient la souveraineté et la sécurité canadiennes tout en renforçant les capacités polyvalentes dans certains cas relatifs à des opérations de maintien de la paix, de soutien de la paix et de combat.

    À mon avis, ce sont des mesures que les propres intérêts nationaux du Canada peuvent justifier. En même temps, cependant, elles dégageraient les capacités nécessaires pour renforcer la défense du territoire et du continent en collaboration avec les États-Unis.

¿  +-(0935)  

    Des mesures de ce genre contribueraient à offrir, pour reprendre les propos de Nils Orvik, « un moyen de défense contre l'aide », et feraient mieux comprendre que la participation à la défense nationale antimissile, si elle se réalise, ne signifie pas la fin d'une capacité canadienne robuste à l'appui des objectifs de sécurité de défense et de souveraineté du Canada. Autrement dit, ces mesures constitueraient un contrepoids mesuré aux tiraillements nord-sud croissants de certains éléments des rapports de défense canado-américains.

    Je vais les énumérer rapidement; je les ai divisés en catégories plus ou moins arbitraires.

    Pour ce qui est de la souveraineté et de la sécurité dans l'Arctique, il existe un éventail de mesures supplémentaires que nous pourrions prendre. Le comité n'est pas sans ignorer que notre présence militaire dans l'Arctique est loin d'être étendue. La région constitue quasiment la plus grande zone démilitarisée du monde. Cela a du bon, mais notre présence est si discrète qu'elle soulève des difficultés en matière de protection de la souveraineté sur lesquelles le comité voudra peut-être se pencher.

    Pour ce qui est des mesures que nous pourrions prendre, je vais les énumérer rapidement : des déploiements supplémentaires en provenance du sud du pays sur terre, en mer et dans les airs; une meilleure communication et analyse de l'information entre organismes; la création d'un petit—et j'insiste sur petit—centre de formation du Nord; le maintien en service et la mise à niveau d'Arcturus, l'avion de protection de la souveraineté de l'Arctique, ou qui était censé l'être mais que l'on prévoit maintenant mettre au rancart; faire l'acquisition d'un autre appareil Twin Otter en plus de celui qui est actuellement basé à Yellowknife, faire l'acquisition—il s'agit ici d'options navales—d'un bâtiment d'intervention sous-marine résistant aux glaces; envisager un éventail complet de capteurs satellisés, de véhicules aériens sans pilote, et de systèmes de surveillance sous-marins et de véhicules pour terrains nordiques; explorer l'utilité de radars haute fréquence à ondes de surface dans le Nord—je pense que M. Leggatt vous en a parlé et a admis que l'appareil présente un potentiel, assorti de contraintes toutefois; et, sur le long terme, continuer à explorer le potentiel d'installation de systèmes de propulsion anaérobie à bord des quatre sous-marins achetés récemment.

    Pour ce qui est des patrouilles maritimes de défense côtière—c'est l'ancienne appellation; on n'est plus censé parler d'aéronef de patrouille maritime mais plutôt d'appareil RSR (renseignement, surveillance et reconnaissance) pour bien marquer que les milieux de la patrouille maritime ont subi une métamorphose. Un appareil comme celui-là a un bien plus long rayon d'action qu'une patrouille maritime proprement dite, telle qu'on la concevait il y a 10 ans encore.

    Quoi qu'il en soit, parmi les options que vous pourriez examiner se trouvent les suivantes : poursuivre le déploiement du radar haute fréquence à ondes de surface sur les côtes Est et Ouest; revoir instamment la réduction proposée de la flotte d'appareils Aurora et examiner éventuellement l'ensemble des capteurs que nous installons—ou n'installons pas—sur les Aurora mis à niveau; comme je l'ai dit il y a un instant, réétudier la mise au rancart des appareils Arcturus qui, je le rappelle, ont été achetés à grands frais au début des années 90, c'est-à-dire il y a à peine 10 ans, ce qui pour le Canada signifie qu'ils ont à peine été étrennés. Personnellement, j'hésiterais à me départir de ces appareils pour l'instant en tout cas.

    Peut-être voudrons-nous envisager la réinstauration de moyens de patrouille maritime dans l'aviation. Elle n'a plus de moyen de patrouille maritime. Le gouvernement Mulroney a privatisé cette fonction. Même si diverses mesures ont été prises pour reprendre peu à peu ces tâches, ni le gouvernement Mulroney ni le gouvernement Chrétien ne s'y sont engagés. Comme je l'ai dit, l'aviation canadienne ne dispose pas de patrouille côtière proprement dite.

    Poursuivez vigoureusement la recherche d'un hélicoptère maritime. Inutile d'en dire plus pour le moment.

    Faites le maximum en faveur des capacités de fusion des données, la capacité de traiter et de rassembler les données que nous recevons, parce que tous les capteurs du monde ne serviront à rien si vous n'arrivez pas à assembler les renseignements que vous recevez, non seulement de sources militaires mais aussi d'autres ministères.

    Vous avez je crois entendu un exposé sur la participation du Canada au programme d'avion d'attaque interarmées JSF. C'est peut-être une possibilité à examiner. Récemment, la marine américaine a manifesté le souhait de constituer un consortium JSF, faute d'une meilleure expression, destiné à faire l'acquisition d'un nouvel appareil polyvalent RSR (renseignement, surveillance et reconnaissance) à des fins de patrouille maritime. C'est l'appareil qui pourrait un jour succéder à l'Aurora.

    L'immense majorité des gens à qui j'ai parlé sont très heureux de notre décision de participer au programme JSF. Si la même ouverture existe sur le front de la patrouille maritime RSR, peut-être y aura-t-il lieu d'examiner la chose de plus près. On voudra peut-être examiner la possibilité de véhicules aériens sans pilote, évidemment, et peut-être aussi réexaminer les rapports entre les forces armées, la garde côtière et le MPO. Cela, je l'ai dit avec une certaine réserve parce que je sais que leurs rapports sont examinés au peigne fin depuis 15 ans, mais après le 11 septembre peut-être y a-t-il lieu d'apporter d'autres aménagements, à tout le moins, ou prendre des mesures plus radicales encore.

¿  +-(0940)  

    Troisièmement, il y a la mobilité stratégique et la recherche et le sauvetage. Dans la mesure du possible, il faudrait essayer de réduire notre dépendance actuelle sur les États-Unis en matière de capacité de transport aérien stratégique—non pas l'éliminer mais la réduire pour avoir une certaine capacité indépendante. Il faut pour cela une véritable capacité de transport aérien stratégique dans les Forces canadiennes, de préférence par l'achat d'un Airbus A4004M ou du C17 en combinaison avec la flotte de Hercules ou encore une combinaison de Hercules et d'accès garanti à la flotte commune de C17 ou d'A400 de l'OTAN.

    J'ajouterai que le fait que le ministre a, mettons, montré relativement peu d'intérêt pour l'achat par le Canada d'une flotte de C17 n'est pas étonnant. Le C17 est capable d'une performance à faire pleurer mais à un coût qui arrache lui aussi des larmes, hélas. Le ministre a rappelé à juste titre que deux de nos alliés seulement, les États-Unis et le Royaume-Uni, disposent actuellement d'un appareil de transport militaire capable d'emporter ce que l'on appelle du fret surdimensionné, c'est-à-dire très lourd et encombrant.

    Le problème qui apparaîtra au début de la prochaine décennie, je pense, vers 2010 et 2011, lorsque les A400M seront mis en service par un grand nombre de nos alliés de l'OTAN—certains d'entre eux assez petits par rapport au Canada—, c'est que nous allons nous retrouver dans la situation fort embarrassante où des pays passablement plus petits que nous auront une capacité de transport aérien surdimensionné et pas nous. Même le Luxembourg a souscrit ou compte souscrire au programme des A400. Le pays veut faire voler un petit nombre d'appareils—peut-être un ou deux—de concert avec la flotte de A400 de ses pays voisins.

    Vers 2010, 2011, nous allons nous retrouver dans la situation vulnérable d'un pays dont la capacité de transport aérien stratégique ne sera pas à l'égale de celle du Luxembourg. Dire qu'on ne peut être à égalité des États-Unis et du Royaume-Uni c'est une chose mais, du Luxembourg, c'est plutôt inquiétant.

    Je voulais évoquer ici un autre scénario à propos de la recherche et du sauvetage, ce qui peut à première vue paraître étrange à évoquer dans le cadre des relations canado-américaines. On étudie actuellement, comme vous le savez, l'acquisition d'un biturbopropulseur à voilure fixe de recherche et de sauvetage pour prendre le relais du Hercules.

    Ce que je veux proposer, c'est que si nous faisons cela—et il y a je crois des arguments convaincants en faveur de l'achat d'un petit appareil pour suppléer au Hercules—, assurons-nous que le nouvel appareil a au moins une capacité secondaire ou tertiaire de patrouille côtière, des moyens supplémentaires utilisables au besoin. Il faudrait adapter un peu l'ensemble des capteurs de l'appareil comme son radar et son système thermique à balayage frontal, des dispositifs qui à mon avis sont de toute façon nécessaires à bord d'appareils modernes de recherche et de sauvetage. Autrement dit, équipons-nous d'un appareil intelligent de recherche et de sauvetage.

    Pour ce qui est de ces autres catégories, la défense aérienne et maritime en général en termes d'options de renforcement de la souveraineté que l'on pourrait envisager, si des installations SDA ou SDA apparentées sont placées en territoire canadien—un site radar par exemple—, on voudra sûrement s'assurer de leur dotation commune en effectifs pour qu'il ne s'agisse pas exclusivement d'une installation américaine.

    Il faut aussi explorer la nécessité de capacités améliorées de défense aérienne et maritime auxiliaire comme complément à un système limité ou, encore plus, à un système complet de défense antimissile. Il faudrait pour cela apporter des aménagements aux CF-18, aux appareils de ravitaillement, aux principaux bâtiments de surface et sous-marins de la marine, aux radars sol-air embarqués et aux mécanismes de fusion des données.

    Voici ce que j'entends par auxiliaire. Vous vous souviendrez peut-être qu'en 1985, pendant le débat sur l'IDS, il y a quelque chose qui a échappé à l'attention du grand public, à savoir l'IDA, l'Initiative de défense aérienne, parce que les Américains et nos propres théoriciens de la défense se sont rendu compte que si l'Initiative de défense stratégique devait un jour prendre la forme envisagée par le président Regan, il faudrait aussi renforcer considérablement les capacités de défense aérienne pour contrer des menaces comme les missiles de croisière. Autrement dit, il était absurde d'installer une protection antimissile sans failles autour du continent si cela devait forcer votre ennemi à investir dans des missiles de croisière et d'autres armes contre lesquels l'IDS était impuissante. Il fallait donc une IDA pour renforcer les radars capables de détecter les missiles de croisière, renforcer les capacités maritimes, augmenter le nombre de chasseurs, etc.

¿  +-(0945)  

    Les Américains se dotent du SDA, et ils entendent bien le faire, nous allons devoir réfléchir quelque peu au corollaire de cette décision en matière de défense aérienne et maritime. Je pense que cela aura des conséquences, reste à savoir quelle en sera l'incidence sur nous, mais c'est certainement quelque chose qu'il faudra garder à l'esprit. Le SDA a des systèmes complémentaires et des ramifications que nous devons considérer.

    Enfin, s'agissant de ce que j'aime à appeler la catégorie fourre-tout, je vous dirai qu'il serait sage de notre part d'éviter une dépendance à outrance à l'égard de la doctrine et des ressources américaines. Cela est certes plus difficile en cette ère de l'après-guerre froide. Je m'explique : durant la guerre froide, nous avions des échanges quotidiens avec nos alliés européens de l'OTAN. Les influences, l'interaction, notamment professionnelle, avec les autres pays étaient plus marquées. Or, s'il est vrai que ces relations n'ont pas complètement disparu, n'empêche que le lien américain, l'attraction, est désormais plus fort, ne serait-ce que pour des raisons géographiques. Afin d'éviter cette dépendance à outrance, nous devons explorer d'autres options. J'y ai fait allusion il y a quelques instants.

    À titre d'exemple, si l'armée canadienne devait se débarrasser de tous ses chars de combat principaux et qu'elle devait les remplacer par des véhicules blindés légers munis d'une arme lourde ou de véhicules Striker, je vous recommanderais vivement qu'au lieu d'envoyer nos militaires aux États-Unis pour une formation conjointe sur des tanks américains, nous gardions un nombre suffisant, modeste certes mais adéquat, de Léopard pour fins de formation opérationnelle à l'appui du maintien de la paix, de la consolidation de la paix et des opérations de combat. En somme, si nous supprimons le Léopard des régiments blindés et que nous le remplaçons par un véhicule plus léger, quand il sera temps d'envoyer des soldats canadiens pour faire du maintien de la paix et participer à des opérations de soutien à la paix ou encore à des opérations de combat outre-mer, ils auront intérêt à connaître les principales fonctions des chars de combat dans le champ de bataille. Même dans les missions traditionnelles de maintien de la paix, cette connaissance peut s'avérer très utile.

    Je me rappelle encore qu'un de mes anciens patrons à l'Université York qui, je dois admettre, était un ancien membre d'un régiment blindé, m'a raconté qu'en 1974, quand la Turquie a envahi Chypre, un nombre considérable de soldats canadiens qui se trouvaient sur l'île n'avaient jamais vu de chars. Cela l'avait inquiété. Je pense que la solution du cadre, c'est-à-dire le maintien d'une petite composante de chars, même si nous devions remplacer les chars en grand nombre par des véhicules Striker ou VBL, mériterait néanmoins d'être considérée.

    Autres options : continuer de développer nos capacités de défense de la patrie suivant le modèle des forces; créer une compagnie interarmes DNBC; explorer des rôles additionnels en matière de défense de la patrie pour les réserves; examiner exhaustivement et objectivement l'incidence de la diversification des modes de prestation de services sur les capacités de défense canadienne.

    Je suis, vous l'aurez compris, sceptique sur la DMPS. Je ne suis pas contre le principe comme tel, mais je pense que ce qui illustre le mieux mon attitude est une citation d'un ancien premier ministre : la DMPS, si nécessaire, mais pas nécessairement la DMPS.

    Il y a d'autres options, notamment l'expansion de la coopération, au besoin, avec d'autres ministères et organismes publics, ainsi que la poursuite de l'édification d'un système d'éducation militaire canadien. À ce chapitre, nous avons fait d'énormes progrès au cours des cinq ou six dernières années, et j'aimerais que cela continue. Cela commandera des fonds supplémentaires, mais le système d'éducation militaire, et plus précisément le perfectionnement professionnel des échelons supérieurs, auraient grand besoin d'injections supplémentaires de fonds.

    En guise de conclusion, comme j'ai dépassé largement le temps qui m'était alloué, ce qui prouve que je suis un universitaire, je vous proposerai quelques idées récapitulatives. J'ai tenté de faire ressortir trois points principaux dans mon exposé.

    Le premier est que les Canadiens voient de plus en plus la défense du continent et de la patrie à travers le prisme, non pas de la souveraineté, mais de l'économie et de la sécurité.

    Le deuxième est que la relation Canada-États-Unis en matière de défense sera inévitablement façonnée et influencée par notre politique de défense globale et par la structure que nous choisissons pour nos forces.

    Le troisième est qu'il faudrait explorer une variété de mesures pour consolider les capacités de défense de notre patrie et du continent et nos capacités expéditionnaires, d'une part, parce que c'est un impératif qui se justifie de lui-même, et d'autre part, parce que cela contribue à nous prémunir contre l'aide extérieure.

    Les mesures que j'ai décrites et d'autres que je n'ai pas évoquées, qui sont de nature expéditionnaire, nécessiteraient des dépenses non négligeables, mais le résultat serait l'édification d'un appareil de défense tri-service, polyvalent et apte au combat, capable d'assumer le plus vaste éventail de rôles possible, que ce soit au plan militaire, quasi militaire ou non militaire, que ce soit à l'échelon national, continental ou expéditionnaire. Dans un monde qui déborde de risques et d'incertitudes stratégiques, toute position inférieure à celle-ci en matière de défense serait, à mon sens, naïve, myope et dangereuse.

¿  +-(0950)  

    Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Merci, monsieur Shadwick.

    Au lieu de nous ressasser des vieilleries, vous nous avez au contraire présenté des points de vue nouveaux et rafraîchissants, voire divertissants, de divers aspects des relations canado-américaines en matière de défense.

    Avant de passer aux questions, je tiens à informer les membres du comité qu'au cas où nous devrions partir avant la fin de la séance, il faudra examiner le rapport du Sous-comité des affaires des anciens combattants mardi prochain. Le texte est terminé et le comité doit s'en occuper avant de le transmettre à la Chambre des communes. Veuillez le noter sur votre emploi du temps. Je sais que le Sous-comité des affaires des anciens combattants a fait beaucoup de travail dans ce domaine et nous voudrons sans doute que la Chambre en soit saisie le plus tôt possible. Je vous serais donc reconnaissant de réserver cette période dans votre emploi du temps.

+-

    Mme Elsie Wayne (Saint John, PC): Sur ce point, monsieur le président, comme vous le savez, je ne serai pas ici parce que j'ai déjà un engagement. Mais j'étais à notre sous-comité et nous avons passé en revue chacune des recommandations et nous avons apporté des changements majeurs dans certains cas, ou seulement à la formulation dans d'autres. Nous les avons toutes adoptées, ceux qui étaient avec nous. Cela s'est fait à l'unanimité, pour votre information.

+-

    Le président: Très bien, merci, madame Wayne.

    Nous allons commencer les questions en donnant la parole à M. Benoit, comme d'habitude.

+-

    M. Leon Benoit (Lakeland, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

    Je vous remercie, monsieur le professeur. Votre exposé était fort intéressant. Je n'aurai la possibilité de vous poser qu'une série de questions. Je suis un de ceux qui doivent partir.

    Je veux aborder trois points, le premier étant la capacité de transport stratégique. Le ministre balaie la question du revers de la main en disant comment le Canada peut-il se permettre des dépenses variant entre 3 et 5 milliards de dollars. « Nous n'aurons plus rien à transporter dans les avions. » Vu le budget des libéraux, ce sera peut-être le cas, mais augmenter le budget serait sûrement une possibilité.

    Deuxièmement, la vie utile de l'appareil sera de 20 à 40 ans, sans doute au moins 30 ans. Si l'on échelonne le coût sur cette période, ce que fait le ministre, il en coûterait 200 millions de dollars par année au pays pour disposer d'une capacité de transport aérien stratégique digne de ce nom. Cela pourrait même correspondre à nos coûts de location cette année. Le raisonnement financier du ministre n'est peut-être donc pas complet; il est peut-être un peu trompeur.

    J'aimerais savoir ce que vous pensez, par contre, sur ce que pourraient être les avantages pour le Canada d'être un des rares pays à acheter un appareil de transport aérien stratégique en termes de budget. Nous venons de passer à la comptabilité d'exercice et il faut tenir compte des coûts annuels et les échelonner sur une période beaucoup plus longue.

    Les Américains ont bien dit qu'il est important pour eux que nous ne dépendions plus d'eux pour le transport aérien stratégique et il sera important pour eux, je pense, que le Canada ait la capacité de les aider sur ce plan à l'occasion et d'aider d'autres alliés.

    Sous l'angle des relations canado-américaines et Canada-OTAN, quels seraient les avantages pour le Canada d'acheter un avion de transport stratégique?

¿  +-(0955)  

+-

    M. Martin Shadwick: Merci. Je pense que c'est non seulement désirable mais indispensable. Cela me rappelle le paragraphe de l'histoire publiée pour le centenaire des Forces canadiennes et rédigée par le professeur D.J. Goodspeed. Dans le passage consacré aux opérations de maintien de la paix, il a signalé l'importance de la capacité de transport aérien et il n'a pas ménagé ses propos. C'est encore plus vrai aujourd'hui.

    Il se peut bien que l'on finisse par alléger, par exemple, l'armée par l'acquisition d'un blindé léger et des Striker, mais cela ne nous servira pas à grand-chose si l'on ne peut pas transporter ce matériel et ses moyens de façon plus efficace que ce n'est le cas actuellement.

    Comme vous le savez, notre flotte de Hercules nous a éminemment bien servis au fil des années. Certains de ces appareils ne sont pas si vieux que cela, pour être honnête, mais leur capacité d'emporter des blindés légers est extrêmement limitée et si vous en embarquez un à bord d'un Hercules, vous ne pouvez pas aller très loin, ce qui vous oblige à faire quantité d'escales.

    C'est pourquoi un avion de transport stratégique de type C17 ou A400, à mon avis, est absolument essentiel si l'on veut agir rapidement. J'ai noté avec intérêt les propos du premier ministre la semaine dernière au sujet de notre déploiement au Congo et du fait qu'il nous faut pouvoir nous déplacer plus rapidement.

    Notre capacité de transport aérien militaire ces dernières années est un des atouts qui a racheté notre capacité de maintien de la paix et ce qui m'inquiète, c'est que tout repose sur elle. Je vous signale en passant, et le chiffre vous étonnera sans doute, que notre flotte compte 32 appareils Hercules. C'est la quatrième en importance dans le monde. Rares sont les domaines où nous arrivons en quatrième place mais c'est le cas de notre flotte de Hercules. L'ennui, évidemment, c'est que c'est un appareil plus petit. À strictement parler, c'est un avion de transport tactique moyen. On peut allonger son rayon d'action pour en faire un appareil « tactico-stratégique », si vous me passez l'expression, mais on ne peut s'attendre à ce qu'il transporte une charge complète. Il nous faut quand même un appareil de type Hercules.

    Comme observateur de l'extérieur, il m'a semblé au début de l'année et à la fin de l'an dernier qu'il y avait de bonnes chances que nous allions acheter le C17. Ça n'a pas abouti. Je ne sais pas à quoi ça tient.

    L'idée du ministre en faveur d'un parc d'avions de l'OTAN est intéressante. Ça pourrait se faire. On n'a peut-être pas besoin de mettre une feuille d'érable sur un C17 tout neuf. La difficulté, évidemment, est de fixer des mécanismes de mise en commun du parc multinational de l'OTAN qui soient vraiment efficaces, nous garantissent l'accès aux appareils, partagent les coûts, etc., ce qui peut être épineux.

    Il est intéressant de constater qu'à l'OTAN actuellement—et cela change presque tous les jours d'après ce que je vois—, il y a quelques semaines encore les Européens songeaient lorsqu'ils parlaient d'un parc d'avions de transport stratégique... parce qu'ils en ont besoin aussi; nous ne sommes pas les seuls. Le ministre a tout à fait raison sur ce point. Ils semblent envisager un parc à court terme qui ne ferait que structurer les mécanismes ponctuels qui existent déjà pour la location d'appareils commerciaux russes ou ukrainiens, pour qu'ils soient plus facilement accessibles à l'OTAN à coût fixe jusqu'à ce que leurs propres flottes d'A400M arrivent, vers 2010-2011.

    Mais s'ils créent ce parc à court terme et que nous décidions d'y participer—parce que je ne crois pas que personne va acheter quoi que ce soit; il ne s'agit, comme je l'ai dit, que de modifier les arrangements actuels de location et de nolisement—en 2010, 2011 ou 2012, cette possibilité pourrait disparaître et nous nous retrouverions à la case départ avec une flotte âgée de Hercules, privés de C17 ou de A400 à nous, ni accès à un de ces appareils.

    Si l'OTAN réussit à constituer un parc de C17 ou de A400, en s'inspirant peut-être du parc d'AWACS de l'OTAN, quoique je ne veuille pas trop insister sur cette similitude parce qu'il y a des différences considérables sur la façon dont les deux peuvent fonctionner—, c'est une option que l'on pourrait envisager, pourvu qu'il s'agisse du bon appareil, en bon nombre, avec le bon accès et en vertu des bons mécanismes de partage des coûts. Cela nous sortirait de notre mauvais pas et ensuite pourrions-nous simplement moderniser notre flotte de Hercules, j'imagine en achetant le C130J, la nouvelle version du Hercules.

    Toutefois, s'il n'y a pas de parc commun, une flotte vraiment crédible et robuste, je pense qu'il nous faudra peut-être acheter notre propre appareil de transport aérien stratégique, qui serait logiquement soit le C17 soit le Hercules combiné à d'autres ou, dans l'intérêt de la communalité, peut-être une flotte d'A400.

À  +-(1000)  

    Toutefois, cette option, malheureusement, ne nous est pas facilement accessible, parce que, comme le comité le sait, l'appareil Airbus a une extraordinairement longue période de gestation—si longue en fait qu'on croirait que c'est un universitaire qui est à la tête du programme.

    On va me tirer dessus pour avoir dit ça.

+-

    Le président: Cela semble être la note sur laquelle clore les questions de ce député.

    Je donne la parole à M. Price pour sept minutes.

+-

    M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.): Merci, monsieur le président. Merci à vous, professeur, d'être parmi nous aujourd'hui. J'apprécie toujours nos discussions.

    Vous avez couvert beaucoup de matière. J'avais commencé à rédiger des questions au début et vous avez déjà répondu à beaucoup d'entre elles, ce qui est très bien.

    Il reste toutefois une ou deux choses. Vous avez dit quelque chose de très intéressant au début lorsque vous avez dit « éviter un siège à la table pour protéger la souveraineté ». J'ai trouvé cela intéressant. Pourriez-vous nous dire ce que vouliez dire?

+-

    M. Martin Shadwick: C'est littéralement le contraire que d'avoir un siège à la table, évidemment. Le problème c'est qu'opérationnaliser l'idée de l'absence de siège à la table, c'est un peu difficile. Essentiellement, cela signifie ne rien faire du tout et peut-être espérer que toute l'affaire finira par disparaître. Or, cette fois-ci, ça ne va pas disparaître.

    Les Américains—et beaucoup de vos témoins ont dit exactement la même chose—sont déterminés à réaliser le bouclier antimissiles sous une forme ou sous une autre et l'option « pas de siège à la table », pour moi, ne me paraît pas réaliste. Je veux dire que nous sommes concernés, qu'on le veuille ou pas, ne serait-ce qu'à cause de la proximité géographique.

    En 1985, parce que l'IDS était si loin dans le temps pour d'autres raisons, l'option « pas de siège à la table » n'était pas forcément une mauvaise idée. Lorsque le gouvernement du jour a décliné l'invitation des Américains, il m'a semblé que c'était la bonne décision pour des raisons que je vous ne ennuierai pas à rappeler.

    Dans la dynamique d'aujourd'hui, je ne pense pas que le modèle « pas de siège à la table » marchera, c'est-à-dire décider de ne pas participer ou de ne pas dialoguer avec les Américains. Je pense qu'il vaut mieux, même si cela comporte des risques, d'avoir un siège à la table que de faire l'autruche.

+-

    M. David Price: Une autre question. Vous avez mentionné très rapidement la réserve. Pourriez-vous nous parler du rôle de la réserve par rapport à la garde nationale américaine?

    Si nos réservistes s'entraînaient avec les Américains, se joindraient-ils aux réguliers plutôt qu'à la garde nationale? Il y a toute une différence. Pensez-vous que l'on devrait aligner notre structure de la réserve sur celle de la garde nationale? Devrait-on s'engager dans cette voie? De quelle autre façon pourrait-on renforcer notre réserve et, comment dire, s'assurer que nos réservistes collaborent de plus près avec notre force régulière, ce qui est davantage le cas pour la garde nationale et la force régulière américaines? Ils travaillent beaucoup plus étroitement que nous.

+-

    M. Martin Shadwick: Effectivement, cela soulève d'importantes questions. Je dois reconnaître qu'en tant qu'universitaire qui s'intéresse à la relation entre l'armée et la réserve au Canada, je ne peux retenir un sentiment de vif mécontentement. On a fait étude sur étude. La première fois, j'ai témoigné devant l'ancien comité permanent des affaires extérieures et de la défense nationale et à cette occasion, plusieurs témoins ont dénoncé les problèmes que vous venez d'évoquer.

    Évidemment, nous avons fait quelques progrès, si l'on tient compte du nombre de nos réservistes actuellement dans les Balkans ou qui s'y dirigent. Mais il y a encore place à des améliorations et à un rapprochement. J'ai l'impression qu'entre l'armée et la réserve, on perd énormément de temps et de ressources en querelles intestines.

    Le meilleur créneau pour notre réserve peut légitimement donner lieu à des divergences d'opinions bien compréhensibles.

    La garde nationale et la réserve des États-Unis sont des créatures intéressantes. À titre de comparaison, il faudrait aussi considérer de plus petits pays, comme l'Australie, pour voir quelles relations y entretiennent l'armée régulière et la réserve; on pourrait aussi s'inspirer du modèle britannique.

    La difficulté de toute comparaison avec les États-Unis, c'est qu'on a affaire à une énorme institution militaire. La disproportion est considérable. Lors de ma dernière vérification, j'ai vu que la garde nationale du Kentucky avait presque la même capacité de transport par hélicoptère que le Canada. Il en va de même pour la réserve. Elle dispose de ressources abondantes. Notre réserve fait pâle figure face à la capacité et aux ressources dont disposent nos cousins américains.

    Il y a aussi d'autres différences intéressantes qui m'ont toujours intrigué; c'est notamment le cas du recours à la garde nationale des États-Unis lors des opérations de secours suite à une catastrophe. Dans ce genre de situation, nous avons tendance à faire très peu appel à la réserve canadienne.

    Il est certain que les structures juridiques y diffèrent considérablement. Aux États-Unis, si le gouverneur d'un État souhaite faire appel à l'aide militaire pour réagir à une catastrophe naturelle, il téléphone au général commandant les opérations de la garde nationale de l'État et ces ressources sont immédiatement mises à sa disposition. Dans le contexte canadien, les provinces n'ont pas accès aux ressources militaires. Toute demande doit passer par Ottawa, qui envoie généralement l'armée régulière pour différentes raisons.

    J'aimerais que tout cela soit rationalisé. Remarquez que je ne demande pas de modifications constitutionnelles qui doteraient chaque province de son propre contingent. Nous avons suffisamment de problèmes dans notre pays sans qu'il faille encore y ajouter des niveaux supplémentaires de bureaucratie militaire.

    Pour répondre directement à votre question, je ne sais toujours pas exactement quel est le créneau idéal de notre réserve. Il est certain que les choses sont plus précises en ce qui concerne les réserves navale et aérienne qu'en ce qui concerne la milice.

    Comme vous le savez, la tendance des dernières années était à l'accentuation du cloisonnement de la milice; on s'est débarrassé de certaines unités de combat qui ont été versées à l'appui au combat et aux services de soutien, comme dans l'expérience américaine. Dans le déploiement de la guerre du Golfe persique en 1991 et lors du plus récent conflit, une forte proportion de l'appui au combat et des services de soutien du côté américain provenait de la réserve et de la garde nationale.

    Je pense qu'on peut valablement envisager une augmentation du nombre de conversions des unités de la milice canadienne vers l'appui au combat, les services de soutien et les fonctions annexes. Mais je ne pense pas qu'il faille totalement les convertir. J'estime qu'il faut conserver une partie des capacités conventionnelles de l'infanterie, des blindés et de l'artillerie au sein de la milice.

À  +-(1005)  

+-

    M. David Price: Le problème est d'ordre culturel; nos régiments ne veulent pas changer. Il y a là un obstacle considérable à franchir si l'on veut en faire des unités de service.

+-

    M. Martin Shadwick: Vous avez raison. C'est un problème culturel, mais il y a aussi des facteurs géographiques et démographiques qui faussent tous les calculs concernant la milice. Dans bien des cas, les unités de la milice diminuent. Il est question de regroupements. Indépendamment de l'arme à laquelle appartient l'unité, tout regroupement comporte un traumatisme supplémentaire pour les régiments célèbres et couverts d'honneur.

    En tant qu'historien militaire, je m'en voudrais de ne pas dénoncer la disparition de certaines appellations illustres au profit de nouveaux noms de régiment compliqués et hybrides. Voilà un autre problème qui se rajoute à celui de la nature exacte de chaque unité.

    Mais il existe encore un autre problème, tout à fait frappant à Toronto, c'est la faiblesse des effectifs de la milice dans cette région. Dans tout le secteur 905 qui entoure Toronto, on trouve une énorme population totalement privée de la présence de la milice. Il aurait fallu construire des manèges militaires, et même sans constituer des réseaux énormes, il aurait fallu en établir dans le secteur 905 il y a 10 ou 15 ans, lorsque le ministère de la Défense pouvait se permettre d'acheter des terrains dans les secteurs de ce genre. La base de recrutement de la milice s'en trouve réduite, qu'elle soit versée dans l'infanterie, les fonctions de combat ou les services de soutien.

+-

    Le président: Merci, monsieur Price. Merci, monsieur Shadwick.

    Monsieur Bachand, c'est à vous.

+-

    M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Si vous ne comprenez pas le français, vous allez avoir besoin de l'interprétation.

À  +-(1010)  

[Français]

    Monsieur Shadwick, j'aimerais à mon tour vous féliciter pour votre présentation. D'habitude, lorsqu'un témoin se présente devant nous, je prends une page de notes; aujourd'hui, je suis rendu à trois pages. Ce fut une présentation, comme vous dites en anglais, very comprehensive.

    Par contre, il y a des choses dont j'aimerais vous parler, des choses qui m'ont surpris. Vous nous avez soumis de nouvelles données importantes qui indiquent, entre autres, que la souveraineté canadienne est en relation non seulement avec l'armée, mais aussi avec l'économie et le commerce.

    Vous nous avez également présenté des scénarios possibles quant à la façon de procéder: par exemple, vous nous parlez de ce qui se passerait si nous n'avions pas de forces armées du tout, ou si nous avions une force constabulaire traditionnelle. Je trouve que c'est une approche très intéressante.

    Également, on a soulevé à quelques reprises des questions sur les trois services des Forces canadiennes. Est-ce qu'on doit les traiter équitablement ou choisir d'investir davantage dans l'une que dans l'autre? Vous avez parlé beaucoup aussi de la façon dont Washington verrait chacun des scénarios.

    Je trouve que le Canada a besoin d'une révision de sa politique nationale dans le dossier des affaires étrangères. Il ne faut pas oublier que la défense nationale est un aspect très important des affaires étrangères. La façon dont un pays se comporte au niveau de l'aide internationale ou en période de conflit constitue une partie importante des affaires étrangères.

    Peut-être les concepts qui ont été élaborés en 1994 dans la politique de la défense nationale sont-ils encore bons, mais vous nous dites que c'est une question de choix. Il faut que le Canada décide de la politique en matière d'affaires étrangères ou de défense nationale dont il veut se doter. Vous nous dites qu'il s'agirait seulement de mettre de l'ordre là-dedans. Je ne dirais pas que cette politique des affaires étrangères ou de la défense nationale doive se faire en accord avec Washington, mais il faudrait qu'il y ait des consultations avec Washington pour voir comment les Américains réagiraient si on décidait d'agir d'une façon ou d'une autre.

    En dernier lieu, c'est au Canada de décider ce qu'il veut. Si, comme vous l'avez dit tout à l'heure, une approche avec Washington est vouée à l'échec, il vaudrait peut-être mieux essayer de trouver un terrain sur lequel on puisse s'entendre plus facilement.

    Est-ce que vous êtes d'accord avec moi pour dire que, même si les concepts de 1994 sont encore bons, le monde a changé depuis ce temps? Il y a eu les événements du World Trade Center, on fait maintenant face à des ennemis invisibles, la doctrine militaire change, et il n'y a pas en face de nous une armée que l'on va attaquer ou qui va nous attaquer.

    Je trouve qu'il serait temps que le Canada ait une nouvelle politique de la défense et une nouvelle politique des affaires étrangères. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

+-

    M. Martin Shadwick: Vos questions sont tout à fait pertinentes.

    Je dirais, faute de mieux, que notre pays devrait aborder ces questions de façon plus holistique. Ainsi, il faudrait étudier la politique étrangère et la politique de défense non pas isolément mais en tant qu'élément d'un même ensemble, et on pourrait même y ajouter la politique de sécurité internationale. À certains égards, comme le disait l'un de mes collègues universitaires, il nous faut une politique de sécurité internationale qui fasse le pont entre notre politique étrangère et notre politique de défense. J'estime qu'il est absolument crucial d'harmoniser véritablement tous les divers éléments dont vous avez parlé.

    Comme vous l'avez dit, nous avons aussi des choix à faire. Nous avons une certaine marge de manoeuvre. Les choix ne sont pas illimités. Nous pourrions faire certaines choses qui risqueraient de mécontenter considérablement les Américains, mais nous avons le choix. Ce n'est pas comme si nous étions entièrement à la merci des États-Unis ou de nos alliés de l'OTAN. Nous avons une certaine marge de manoeuvre. Il est déjà arrivé que le gouvernement canadien ait envisagé certains changements en collaboration avec nos alliés.

    Je me souviens du début des années 80 et de la période Mulroney où on a envisagé sérieusement une politique de défense septentrionale qui réorientait nos contributions à l'OTAN de l'Europe centrale vers la Norvège et le flanc nord. Cela pourrait se répéter. En consultant nos alliés sur différents scénarios et sur les mesures les plus utiles que nous pourrions prendre, on ne leur donne pas pour autant un pouvoir de veto; on dialogue simplement avec eux pour envisager différentes options.

    La réaction américaine à ce que nous allons mettre sur la table dépendra en grande partie de la nature des mesures proposées. Nous pourrions choisir certaines options dont les Américains seraient très mécontents. L'option non militaire, par exemple, a peu de chances de leur plaire. Dans le contexte actuel des relations canado-américaines plus ou moins tendues, il serait particulièrement inopportun d'envisager une telle option. Pour les options plus crédibles, nous avons le choix.

    J'ai parlé du choix à faire entre un avion de transport stratégique et un chasseur Bombardier. Les Américains répondraient certainement qu'il nous faut les deux, et je serais assez d'accord avec eux. Il y a la question du nombre d'avions, mais aussi celle des types d'avions. Compte tenu de notre situation géographique, je ne vois pas comment on pourrait priver les Forces armées canadiennes de toute capacité en matière de chasseurs.

    Le matin du 11 septembre 2001, les Américains auraient été consternés si nous avions mis tous nos avions de transport en alerte et si nous n'avions pu mettre aucun chasseur en alerte. Même si la Nouvelle-Zélande a pu se débarrasser de ses chausseurs—c'est le choix qu'ont fait les Néo-Zélandais—, je ne pense pas qu'une telle option serait plausible dans le contexte canadien compte tenu de notre situation géographique.

    En ce qui concerne les autres scénarios, ils ont été portés pour la dernière fois à l'attention du public au début des années 90, lorsque l'amiral Chuck Thomas a indiqué dans sa lettre de démission qu'il était en quelque sorte favorable aux modèles de créneaux dont j'ai parlé tout à l'heure. Il voulait qu'on donne la préférence et la priorité aux dépenses militaires consacrées à la marine et à l'armée de l'air. Sa théorie était cadrée directement sur la guerre du Golfe, et correspondait à la logique qu'il devait suivre. Vous vous souvenez que notre participation militaire à la guerre du Golfe a été assez limitée.

    Si nous avions suivi ce modèle—je reconnais qu'il est convaincant, et qu'il existe d'autres scénarios à première vue séduisants—, nous n'aurions pas eu, pour le reste des années 90, le type d'armée qui nous a permis de participer à toutes ces opérations de soutien de la paix et de combat.

    Cela me ramène à une question très difficile. Il peut être tentant de se débarrasser de certaines capacités pour consacrer les économies ainsi réalisées à des secteurs où on a des atouts. C'est un vieil axiome militaire : il faut renforcer ses points forts. Le problème, c'est que la réussite n'est pas garantie. Il se pourrait qu'on se trompe sur la capacité à renforcer, ou que les capacités auxquelles on renonce s'avèrent indispensables.

À  +-(1015)  

    Nul ne peut le prédire. Les meilleures stratégies du monde et les meilleures capacités informatiques du monde ne pourraient prédire infailliblement l'environnement géostratégique futur. Voilà pourquoi, bien qu'il soit clair que nous allons réduire certaines capacités dans les années à venir pour consacrer les économies ainsi réalisées à d'autres secteurs, nous devons faire extrêmement attention de ne pas nous débarrasser de quelque chose dont nous pourrions avoir besoin plus tard. N'oubliez pas la valeur de l'assurance. Je sais que cela peut aussi être mal interprété. Nous cherchons à faire des économies ça et là, à gratter les fonds de tiroir. Or, je serai le premier à admettre que ce modèle ne marche pas non plus. Nous ne pouvons pas agir ainsi.

    Cela étant, j'ai une troisième option à proposer. S'il faut se débarrasser de certaines capacités—et j'ai cité tout à l'heure l'exemple des chars—, que l'on garde au moins un cadre de capacité, et j'entends par cela quelques dizaines de chars Léopard à l'un des centres de formation au combat, à Gagetown ou à Wainwright, pour maintenir en vie au moins quelques aptitudes fondamentales au sein des Forces canadiennes. Ce faisant, nous réduisons ainsi la nécessité d'envoyer nos militaires aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, ou dans d'autres pays d'Europe pour apprendre à utiliser leurs chars. Nous préservons ainsi des moyens internes. Faut-il renoncer à des capacités? Oui, peut-être dans le sens large du terme, mais gardons un cadre de compétences dans ces secteurs. Je pense que c'est capital.

À  +-(1020)  

+-

    Le président: Je vous remercie.

    M. Price.

+-

    M. David Price: Je ne pensais pas que ce serait de nouveau mon tour de sitôt.

    Peut-être vais-je poursuivre dans le même ordre d'idées, soit sur les capacités de créneaux. Vous avez parlé de transport de charges lourdes, et des A400 et des C17 que nos partenaires de l'OTAN envisagent d'utiliser. Les Américains aussi songent à renforcer leur capacité de transport de charges lourdes, puisque leurs aéronefs sont assez vieux maintenant. Ces aéronefs doivent être remplacés. Il est clair que les Canadiens... comme vous le dites, nous avons la quatrième flotte, et je pense que nous nous sommes spécialisés dans le déploiement des C130, et même dans la maintenance de ces aéronefs.

    À l'heure actuelle, les Canadiens font énormément de maintenance, y compris de la flotte américaine. C'est manifestement devenu une spécialité canadienne. Si je ne m'abuse, nous sommes un des rares pays où des femmes pilotent des C130.

    Devrions-nous nous spécialiser dans ce genre d'appareil en particulier, notamment quand on sait que le déploiement dans des théâtres d'opération, pratiquement tous les théâtres d'opération de nos jours, surtout les premiers temps, nécessitent souvent l'utilisation de C130 étant donné que les gros avions n'y arrivent pas? Nous transportons donc de l'équipement, peut-être un à la fois, mais nous sommes néanmoins devenus des spécialistes en la matière et, ce, à l'échelle mondiale.

    Nous avons parlé de la flotte de l'OTAN et de la possibilité de stationner une partie de cette flotte au Canada tout en élargissant notre propre flotte de C130, dont une partie pourrait éventuellement être stationnée dans l'un des pays partenaires de l'OTAN, soit une sorte de programme d'échange. Croyez-vous qu'un tel échange serait intéressant?

+-

    M. Martin Shadwick: Absolument. Cet exemple illustre une approche plus robuste en matière de mise en commun de la flotte. C'est ce que je voulais faire ressortir tout à l'heure, à savoir qu'il y a des moyens de faire de la mise en commun qui, disons-le franchement, ne nous rapporteront probablement pas beaucoup. En revanche, il y a d'autres moyens qui vont dans le sens de votre proposition et qui se traduiraient par une capacité plus robuste, surtout si certains de ces avions devaient être stationnés au Canada.

    C'est que l'on s'appuie sur une force existante. Nous avons commencé à renforcer notre flotte d'Hercules dans les années 60, et je félicite Paul Hellyer pour ce programme d'expansion. À l'époque, la force aérienne, comme les forces aériennes avaient coutume de faire, était plus intéressée à acheter des chasseurs que des aéronefs de transport. Dans ses mémoires, Paul Hellyer raconte que la force aérienne voulait continuer de restaurer les cargos volants C119 qui étaient plutôt vieillots. Quand il s'en est rendu compte, il a vite mis fin au programme estimant que c'était du gaspillage d'argent et a ordonné à la force aérienne de renforcer sa flotte d'Hercules. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons une flotte relativement considérable.

    Nous ferons fond aussi sur une force canadienne traditionnelle. En effet, l'accord de mise en commun robuste donnerait l'exemple d'une certaine manière dans la mesure où il permettra peut-être au Canada de mobiliser plus de fonds que certains de ses partenaires, étant donné que certains aéronefs seront stationnés au Canada et que cela donnera aux Canadiens une expérience pratique de la chose. Je pense qu'il serait très intéressant d'explorer cet axe.

    J'ajouterais simplement que même si nous pouvions gérer cela—et bien entendu nous aurions besoin de la coopération de nos amis et alliés qui contribueraient à assumer les coûts de ces mises en commun—, nous allons quand même faire l'acquisition, dans certains cas, de flottes considérables d'A400. L'avantage tactique que nous procurons à nos alliés en mettant à leur disposition une capacité de transport aérien supérieure à celle des années 60, 70 et 80 sera certainement perdu quelque peu de vue, même si nous prenons les rennes du nouveau pool de l'OTAN.

    La flotte de 32 aéronefs nous a placé quelque peu sur le devant de la scène au chapitre de ce genre de capacité au fil des ans. C'est probablement à cela que faisait allusion le premier ministre la semaine dernière quand il a parlé de capacité rapide. Cela étant, nous allons perdre un peu de ce cachet même si nous prenons les rennes du pool, parce qu'à partir du moment où l'on commence à injecter des A400 dans les forces aériennes nationales des pays européens, nous perdrons, si vous voulez, notre avantage.

    Vous avez évoqué plusieurs fois les C130. Bien entendu, cela dépend de ce que l'on décide de faire : soit utiliser le C17 comme aéronef de référence pour le pool, soit le A400. Si nous avons des C17 ou un pool de C17, nous aurons quand même besoin d'avoir notre propre flotte d'Hercules. Quant à la taille de cette flotte, le débat n'est pas clos à ce sujet. Une des choses qui ne saute pas aux yeux quand on regarde le nombre d'Hercules dont nous disposons—bien que nous en ayons 32, et que notre flotte soit la quatrième flotte mondiale d'Hercules—, c'est qu'une bonne partie de ces 32 aéronefs sont réservés à des missions de sauvetage.

    En fait, si on choisit, et il n'est pas sûr que ce sera le cas, d'utiliser des aéronefs Hercules sur la côte Ouest à des fins de sauvetage—à l'heure actuelle, on utilise des Buffalo pour les opérations de sauvetage—ainsi que dans le reste du pays, on pourrait très bien dire que 12 des 32 Hercules seraient réservés à des missions de sauvetage, soit comme aéronef principal, soit comme réserve, ou encore pour la formation des équipes de sauvetage. Il se peut très bien qu'une bonne partie de ces 32 aéronefs servent uniquement à des opérations de sauvetage.

    Le problème que cela impose, ou la contrainte que cela impose, est que ces aéronefs ne peuvent pas être déployés à l'étranger pour de longues durées. Nous pouvons certes faire appel à des Hercules attachés à des escadrons pour de brefs déplacements à l'étranger. Cela dit, pour transporter des approvisionnements de secours aux Caraïbes, par exemple, on emprunte brièvement un avion à Greenwood, mais il est clair que l'on ne touche pas à la flotte d'Hercules affectée aux opérations de sauvetage pour des opérations dans le Golfe Persique ou au Congo.

À  +-(1025)  

+-

    M. David Price: Si nous devenons des spécialistes des avions Hercules... nos amis Américains en ont beaucoup. Comme je le disais tout à l'heure, nous assurons la maintenance de leurs avions de sauvetage stationnés sur la côte Ouest. Leur maintenance se fait à Edmonton. Nos avions deviendront peut-être interchangeables et interopérables avec ceux des Américains. La spécialisation fait que nous avons notre propre flotte, et les Américains ont la leur, et nous pouvons faire des échanges.

    En renforçant davantage notre capacité... Je sais que vous avez dit qu'un autre type d'avion pourrait être utilisé pour des opérations de sauvetage et de patrouille. Je vous rappelle simplement que nous devons faire attention de ne pas nous doter de différents types d'équipement. Notre pays est si vaste, et peut-être devrions-nous nous concentrer sur un type en particulier. C'est l'orientation que nous devrions suivre, à mon avis.

+-

    M. Martin Shadwick: Est-ce que vous envisagez une flotte qui serait constituée uniquement de C130 ou de C130 plus une flotte qui comprendrait des avions plus gros et où nous pourrions jouer un rôle de premier plan?

+-

    M. David Price: C'est bien cela. Le pool serait là pour les fois où nous aurons besoin de transporter des charges lourdes. Par contre, pour les opérations canadiennes et pour les missions où nous devrons transporter du matériel directement vers le théâtre des opérations, il faudra utiliser de petits avions pour l'aller et le retour, et nous nous spécialiserions dans ce domaine aussi. Ce serait notre créneau.

+-

    M. Martin Shadwick: L'idée d'un créneau m'intrigue beaucoup. Il y a des parallèles historiques dans la mesure où nous avons déjà eu une capacité spécialisée que nos alliés n'avaient pas, et il ne faut pas s'en cacher.

    Cela étant, qu'en on parle de pool, les C130 seraient au coeur, si j'ai bien compris, de notre flotte d'avions de transport. D'après vous, le pool devrait-il être constitué de C130 ou d'avions plus gros...

+-

    M. David Price: Le pool constitué avec nos partenaires de l'OTAN serait constitué d'avions plus gros. En échange, évidemment, nous fournirions une partie de notre flotte de C130.

+-

    M. Martin Shadwick: Êtes-vous en train de parler de deux types d'avions?

+-

    M. David Price: Oui.

+-

    M. Martin Shadwick: Je pense que cela pourrait être assez impressionnant, selon le type d'avion choisi pour le pool, mais une composante centrale solide de C130 appartenant au Canada, peut-être même au-delà des 32 aéronefs existants, pourrait vraiment donner une impulsion à cette idée ou à l'inverse, le Canada pourrait acquérir des avions plus petits pour pouvoir libérer les avions de sauvetage Hercules et les utiliser à des fins de transport, ce qui serait une autre façon de s'attaquer au problème. Cependant, je prends note de vos réserves quant aux types d'avions dont se composerait la flotte.

    À titre d'exemple, le pool pourrait être constitué de C17 ou éventuellement d'A400 et, là, nous pourrions jouer un rôle actif. Ces avions ne porteraient sans doute pas de signe distinctif canadien, mais nous pourrions quand même avoir une quote-part financière supérieure à la juste valeur dans l'avion. Certains seraient stationnés au Canada. Nous pourrions aussi nous assurer d'avoir le personnel nécessaire affecté à cette opération. Cette idée mériterait fort bien d'être explorée.

    Comme le ministre s'est montré peu enthousiaste à l'idée d'apposer la feuille d'érable sur les C17, je présume que l'on privilégie l'idée du pool. Pour que ce soit mieux que ce que les Européens envisageaient de faire la semaine dernière, c'est-à-dire des arrangements plus formels pour louer des avions commerciaux russes et ukrainiens. Je pense que l'idée du pool mérite d'être étudiée attentivement.

    Si, pour diverses raisons, l'idée ne devait pas se matérialiser... N'oubliez pas que la création d'un pool au sein de l'OTAN et que l'instauration d'une opération semblable à un pool au sein de l'OTAN sont des exercices qui pourraient s'avérer intéressants. Vous savez ce qui arrive quand les demandes et les intérêts concurrents de nombreux pays entrent en ligne de compte, et évidemment, les pays de l'OTAN sont nombreux à siéger autour de la table. Nous pourrions nous retrouver avec un pool faisant intervenir la nouvelle Europe plutôt que le vieille Europe, mais un pool, c'est un pool.

    Là encore, il y aurait peut-être d'autres options intéressantes à explorer. Cela vaudrait certainement la peine.

    En dernière analyse, il y a vraiment deux options : Nous nous dotons d'une capacité de transport aérien de charges excessivement lourdes, en plus des avions Hercules, soit des C17 ou des A400, ou d'un avion de type Hercules ainsi que de ce que j'appellerais un pool robuste d'avions qui aurait une crédibilité réelle, au lieu de conclure simplement des arrangements d'affrètement par charte-partie en utilisant des aéronefs russes.

À  +-(1030)  

+-

    Le président: Merci, monsieur.

    Je donne maintenant la parole à Mme Wayne.

+-

    Mme Elsie Wayne: Merci beaucoup.

    Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Shadwick. Je prends bonne note de vos observations.

    Comme vous le savez, depuis des années nous imposons des compressions aux forces de réserve et nous réduisons notre effectif militaire. Jusqu'au 11 septembre 2001, je suppose que nous ne pensions pas qu'il nous fallait nous pencher sur la situation de nos forces militaires. C'est certainement devenu une réalité maintenant, et je tiens absolument à dire que d'une façon ou d'une autre, je ne sais pas comment, nous devons faire en sorte que nos gens à Ottawa et dans l'ensemble du pays considèrent la défense nationale comme une priorité, comme c'est le cas aux États-Unis. On n'entend jamais des Américains se plaindre des sommes dépensées pour la défense nationale. Aucun Américain ne s'en plaint, et je ne vois pas pourquoi les Canadiens le feraient.

    Comme vous et moi le savons, monsieur Shadwick, on a à nouveau des problèmes aux États-Unis. Tout récemment, dans les deux ou trois dernières semaines, on a démasqué d'autres membres du groupe d'al-Qaïda—des hommes travestis en femmes pour que les Américains ne se rendent pas compte de leur présence. De même, je pense qu'on constatera que nous avons ici aussi des problèmes. Nous en avons au Canada. C'est une importante source d'inquiétudes, et il faudrait s'en occuper ici, mais on ne l'a pas fait. J'en suis vraiment préoccupé. Vraiment.

    Je n'arrive pas à croire que nous ayons des problèmes avec une autre affaire d'hélicoptère Sea King et que nous dépensions encore des millions et des millions de dollars pour continuer de faire voler ce qu'il reste de ces hélicoptères Sea King. Je ne pense pas que qui que ce soit approuve encore cette façon de faire.

    Je viens tout juste d'avoir l'occasion dans les deux dernières semaines de rentrer dans mon comté pour passer en revue les troupes de cadets de la marine et de cadets de l'air, et de l'armée de terre aussi, et je constate qu'on y dénombre moins de jeunes qu'autrefois. On essaie de les attirer. Je leur ai dit qu'ils devraient se rendre dans les écoles pour parler aux jeunes, à tous les étudiants, parce que nous en avons vraiment besoin.

    Voici ce qui me préoccupe. Comment pouvons-nous amener les gens de l'ensemble du Canada et tous nos gens ici à Ottawa à considérer l'armée comme la priorité à respecter pour assurer la sécurité de la population canadienne, et à collaborer avec les États-Unis? Ma foi, nous avons toujours formé une famille jusque-là. Nous n'agissions pas comme on le fait maintenant. Nous formions une famille. Nous étions comme des cousins de part et d'autre de la frontière. Les choses ne sont plus ce qu'elles étaient. Je viens tout juste d'entendre des choses qu'ils disent maintenant à notre sujet, pour la première fois. Ils sont vraiment déçus. Sincèrement.

    Alors que pensez-vous que nous devrions faire, monsieur Shadwick, pour essayer de rétablir ces ponts, pour essayer d'avoir une meilleure assise, pour faire en sorte que l'armée devienne la priorité ici à Ottawa et aussi pour jeter à nouveau des ponts qui nous relient aux États-Unis?

+-

    M. Martin Shadwick: Merci. Vous avez soulevé beaucoup de points intéressants.

    Il est bien sûr extrêmement difficile de trouver une équation qui permettrait de répondre à votre question. On a affaire à un pays dont la culture stratégique, si je peux m'exprimer ainsi, ou, en d'autres mots, la façon d'envisager la sécurité et la défense est la priorité qu'on accorde à ces questions à l'échelle nationale... Nous n'avons jamais eu de culture stratégique, à l'exception bien sûr des grandes guerres mondiales et d'autres grands moments de crise.

    Nous n'avons pas tendance à nous préoccuper au jour le jour des questions de sécurité et de défense. Cela remonte jusqu'en 1867. C'est enraciné dans toutes sortes d'expériences historiques. C'est lié au fait que notre géographie nous assure une protection unique, les trois océans constituant des barrières de défense redoutables, et au fait que les Canadiens estiment que comme elles ont été mises en place, pourrions-nous dire, par une autorité supérieure, elles ne requièrent aucun soutien financier de la part des Canadiens. Nous avons l'avantage, mais aussi parfois la mauvaise fortune, de disposer d'amis puissants pour nous protéger, ce qui ne nous encourage pas à compter sur nous-mêmes ni à réfléchir à la sécurité et aux questions de défense.

    Il va sans dire que s'il s'agissait de votre homologue australien, nous parlerions du fort sentiment d'autonomie en matière de sécurité et de défense qui sous-tend une grande partie de la politique australienne en matière de défense et d'affaires étrangères. Ils ont les mêmes amis que nous, mais ce n'est pas la porte à côté, et cela a un effet sur la façon dont on finance la défense en Australie et sur l'attitude qu'on a envers l'armée en Australie.

    Je pense que dans les dernières années, et même avant le 11 septembre, on constatait que les questions de sécurité et de défense commençaient à reprendre de l'importance aux yeux du public, dans les médias et à regagner une certaine visibilité sur la scène politique au Canada, et je pense que c'est encore plus marqué depuis le 11 septembre. Le ministère de la Défense nationale dispose de quantités de sondages de l'opinion publique qui montrent que la population accorde maintenant un appui renouvelé à la défense et pour l'acquisition de certaines capacités.

    Le problème, bien que nous progressions, c'est que les Canadiens ont toujours tendance à se montrer un peu, comment dire, hypocrites quant à leur attitude face à la défense et à la sécurité. Les sondages d'opinion montrent depuis toujours que les Canadiens veulent que le pays soit un intervenant actif et utile sur la scène mondiale. C'est simplement qu'il se montre hésitant à signer les chèques qu'il faut, cela veut dire qu'il faut disposer d'une force militaire modeste mais qui soit moderne et capable, cela veut dire disposer d'un solide budget d'aide étrangère et cela veut dire avoir un ministère des Affaires étrangères et du Commerce international qui soit solide et qui ait un bon effectif—voilà les trois choses dont on a besoin pour être actifs sur la scène mondiale.

    Je suis donc encouragé d'une part de voir qu'ensemble se montrer plus sensibles et sensibilisés aux questions de sécurité et de défense, mais il subsiste toujours cette hésitation, cette crampe des écrivains, qui les empêche de faire le chèque qu'il faut pour cela. Je pense que cela ressort dans certaines des données des sondages d'opinion publique, où d'une part on a un sondage selon lequel la grande majorité des répondants est en faveur d'un accroissement des dépenses de défense, ou peu importe la question qu'on leur pose. Mais il y a aussi eu un sondage il y a deux ou trois ans, un peu avant le 11 septembre 2001 mais près de cette date, un type différent de sondage, où l'on demandait aux répondants comment ils dépenseraient l'excédent budgétaire. On leur demandait : « Comment aimeriez-vous dépenser cet argent? » On leur proposait deux choix. La défense apparaissait dans l'une de ces questions, et cette question disait : « Que préféreriez-vous : accroître les dépenses en matière de défense ou accroître les subventions à la production télévisuelle et cinématographique canadienne? » Je suis désolé d'avoir à vous dire que l'augmentation des subventions pour la production télévisuelle et cinématographique l'a emporté sur la défense. Si dans cette question on avait opposé les soins de santé à la défense, ou à l'éducation, je pense qu'on pourrait comprendre, mais perdre un sondage au profit de subventions à la production télévisuelle et cinématographique, je trouve que c'est consternant mais tout à fait conforme à l'esprit canadien.

À  +-(1035)  

+-

    Mme Elsie Wayne: C'est cela. C'est une habitude que nous semblons avoir au Canada. Mais quand on parle de sondage, songez aux millions de gens que compte le Canada. Quand on fait un sondage, on n'appelle que quelques milliers de personnes. Je vais vous dire une chose. George Bush et ses gens ne s'embarrassent pas de faire un sondage quand ils estiment qu'ils doivent faire quelque chose pour leur armée. Ils y vont et le font, et ils ne s'embarrassent pas de sondages. Nous ne devrions pas le faire non plus. C'est ce que je crois, monsieur Shadwick.

    Ce que nous devons faire, c'est établir correctement nos priorités, et elles ne sont pas encore établies comme il se doit. Peu m'importe le gouvernement au pouvoir, il doit prendre position en faveur de l'armée et déclarer aussitôt que l'armée est la priorité numéro un et tout ce qui s'ensuit, et on ne fait pas de sondage quand on s'apprête à faire cela.

    Merci beaucoup, monsieur le président. Je dois maintenant me rendre à la Chambre.

+-

    Le président: Merci, madame Wayne.

    Monsieur McGuire.

À  +-(1040)  

+-

    M. Joe McGuire (Egmont, Lib.): Monsieur Shadwick, vous avez brièvement mentionné la garde côtière, je pense, comme dans l'option de « l'officier de police qui prend des grands airs ». Aujourd'hui, notre garde côtière est essentiellement une division du MPO. C'était auparavant une division du ministère des Transports.

    La garde côtière est devenue une force militaire depuis le 11 septembre, essentiellement, et on y prend très au sérieux toute menace par voie maritime, qu'il s'agisse de terroristes ou de commerce de stupéfiants ou de toutes autres choses; on y a en quelque sorte déclaré la guerre à tout.

    Pourtant il ne semble pas y avoir la moindre interopérabilité avec notre garde côtière. Une garde côtière améliorée fonctionnant avec la garde côtière américaine sur les deux côtes. Est-elle une option plus faisable que, par exemple, l'engagement de fonds pour des dépenses liées à un système de missiles qui va être construit de toute façon?

+-

    M. Martin Shadwick: Vous soulevez un aspect intéressant, qui a déjà été beaucoup étudié, soit ce rapport de notre marine à notre garde côtière et le rapport de notre garde côtière à la garde côtière américaine. Je pense bien sûr qu'étant donné les événements du 11 septembre on pourrait réexaminer tout cela à nouveau. Comment les choses devraient-elles évoluer, je n'en suis pas tout à fait sûr.

    Vous avez tout à fait raison de parler de mentalité, essentiellement. La Garde côtière canadienne se considère comme une garde côtière d'un type différent de celui de la Garde côtière américaine. La Garde côtière américaine a toujours entretenu un lien étroit avec la marine des États-Unis, tandis que la nôtre n'a qu'un lien accessoire, malgré une coopération un peu plus active dans les dernières années, mais il s'agit toujours encore d'empire tout à fait distinct.

    Votre question soulève d'autres questions, notamment celle de savoir si nous devrions modifier notre garde côtière pour qu'elle ressemble davantage à la Garde côtière américaine. Cela signifierait l'ajout d'armements aux navires du MPO et de la garde côtière, non pas qu'on n'ait pas eu l'occasion de le faire dans le passé, mais qu'on le fasse avec plus de vigueur, sans jeu de mot, avec une meilleure interopérabilité avec la marine pour ce qui est des liens de communication et la planification. Autrement dit, cela voudrait dire d'élaborer une marine qui ressemble un peu plus à la Garde côtière américaine et tout ce que cela suppose et aussi une plus grande ressemblance à la Garde côtière américaine pour ce qui est de ses rapports avec la marine. C'est une option. Si nous sentons la nécessité d'une sécurité maritime accrue, dans la limite des 200 miles, par exemple, c'est certainement une option que nous pourrions examiner.

    Il y a aussi, par contre, la question de la marine, qui dispose effectivement de la flotte de navires de défense côtière, qui par définition ont une capacité de défense côtière. Il y a des choses que l'on pourrait faire à ces navires pour les rendre un peu plus utiles dans leur rôle de défense côtière, tout en les maintenant dans la marine.

    Une partie du problème au Canada tient toujours au fait qu'il existe des politiques administratives au sein des ministères, évidemment. La garde côtière ne veut pas vraiment se voir militarisée. Cela ne correspond pas à la mentalité de la Garde côtière canadienne, et en un sens, en tant que Canadien, d'une certaine façon je suis heureux de pouvoir le dire. Sur le plan pratique, peut-être que ce n'est pas une si bonne chose que de pouvoir le dire. La garde côtière hésite à prendre la voie de la militarisation. La marine, du même coup, craint d'accepter des fonctions classiques de la garde côtière et des fonctions de patrouille des pêches qui pourraient la transformer en officier de police.

    On a donc là deux entités dont les cultures et les mentalités s'opposent dans une certaine mesure, hormis le fait qu'elles pourraient probablement s'entendre pour dire qu'elles devraient toutes deux s'en tenir à leurs actuels secteurs d'activité.

    Je dirais qu'à ce propos il pourrait être intéressant d'examiner, comme je l'ai dit plus tôt à propos d'une autre question, ce qui se passe dans des pays autres que les États-Unis, comme l'Australie, pour voir ce qui s'y fait. L'exemple australien est intéressant, parce que la protection des pêches est en fait une responsabilité de la marine. L'Australie n'a pas de garde côtière comparable à celle qu'a le Canada.

+-

    M. Joe McGuire: Notre garde côtière considère qu'elle est de nature quasi-militaire. Que ce soit le cas ou non, elle a toujours considéré qu'il en était ainsi, et elle ne s'intègre pas bien au MPO. Elle considère que son rôle traditionnel est très différent de celui que le MPO veut lui imposer, et il y a beaucoup d'animosité entre le personnel du MPO et celui de la garde côtière. Peut-être que la garde côtière ne relève pas du bon ministère si nous voulons utiliser pleinement ses capacités. Elle devrait peut-être relever de la Défense nationale.

À  +-(1045)  

+-

    M. Martin Shadwick: Vous posez là des questions très intéressantes. Je pense que vous avez tout à fait raison. Il y a aussi la culture de la garde côtière qui s'oppose du MPO. Lorsque l'amalgame s'est fait, certains ont sourcillé dans les cercles maritimes ailleurs dans le monde, car on voyait le MPO s'imposer à la garde côtière et non le contraire. La créature née de cet amalgame avait une allure plus proche du MPO que de la garde côtière.

    Si vous prenez ces deux entités, la garde côtière et le MPO, et que vous les séparez de nouveau arbitrairement, je ne suis pas sûr laquelle des deux correspondrait davantage à l'image que la marine se fait du travail qu'elle doit faire. À certains égards, je crois que la marine serait mieux placée pour protéger les pêches, et j'ai cité à ce sujet l'exemple australien, et elle serait moins apte à recevoir, par exemple, les responsabilités qu'a la garde côtière relativement aux brise-glace et aux aides à la navigation. Il s'agit là davantage de fonctions normalement dévolues à une garde côtière dans le sens classique du terme.

    Si l'on veut retirer des responsabilités à cet amalgame de la garde côtière et du MPO, j'inclinerais à confier à la marine la protection des pêches. Si vous voulez faire des changements, cela serait plus logique que de prendre les fonctions originales de la garde côtière et de les confier à la marine.

    Je dis cela parce que la protection des pêches est par définition une tâche quasi-militaire. Vous pouvez être appelé à user de votre force, ou à menacer de recourir à la force, pour atteindre vos buts. Cela correspond davantage à l'image que la marine a d'elle-même, alors que la pose des bouées de navigation dans des chenaux ne correspond pas vraiment à l'image que la marine se fait de ses fonctions.

+-

    Le vice-président (M. David Price): Votre temps de parole est écoulé, Joe.

    Madame Gallant.

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    Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne): Étant donné l'importance qu'on accorde à la protection contre les menaces asymétriques, devrions-nous à votre avis reconstituer un bataillon autonome aérien, une infanterie légère dont la formation serait normalisée, comme ce qu'on avait avant que le régiment de parachutistes du Canada soit démantelé? Vous vous en rappelez peut-être, ce régiment a été supprimé, non pas parce qu'on n'avait plus besoin d'une telle capacité, mais parce que cela servait l'intérêt des autorités politiques.

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    M. Martin Shadwick: Cela mérite réflexion. Si la force opérationnelle interarmées 2 continue de prendre de l'expansion, et il s'agit de savoir à partir de quel effectif un débat serait nécessaire, elle aura bientôt la taille d'un petit régiment de toute façon. Cela vous servirait peut-être de point de départ.

    Tout dépend comment l'on veut assembler les capacités au niveau des forces spéciales et autres, et si l'on veut conserver la force opérationnelle interarmées 2 de préférence à des bataillons d'infanterie légère, si l'on doit prendre les soi-disant compagnies de parachutistes des trois bataillons d'infanterie légère pour les réunir. Cela aurait bien sûr pour effet de recréer le régiment de parachutistes du Canada, sauf que l'on peut avancer sans crainte de se tromper que ce nom ne reviendra pas. Il faudra en trouver un autre.

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    Mme Cheryl Gallant: Avez-vous songé aux problèmes que pose l'idée d'une mise en commun de notre transport stratégique avec d'autres pays de l'OTAN ou de l'ONU? Par exemple, il y a la question de la sécurité.

    Prenez le cas de la prochaine mission en Afghanistan. Des centaines de soldats aguerris s'apprêtent maintenant à démissionner une fois que leur contrat sera échu à cause de l'indifférence que le gouvernement semble témoigner aux hommes et aux femmes des Forces canadiennes qui risquent leur vie. Je songe tout particulièrement à l'usage des avions russes et ukrainiens pour le transport. Un avion s'est écrasé. Des soldats espagnols et l'équipage ont été tués. Cela préoccupe beaucoup les nôtres. L'Afghanistan étant un pays enclavé, nous sommes incapables de nous ravitailler par mer. Nous devons compter sur ces autres pays pour assurer notre transport stratégique. Avez-vous songé à cela dans les formules et les options que vous proposez?

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    M. Martin Shadwick: Longuement oui. En effet, la perte la semaine dernière de l'avion nolisé qui transportait la force espagnole, qui a fait 64 morts, je crois, a été l'un des jours les plus noirs dans l'histoire des activités relatives au maintien de la paix. Cet incident a réveillé les autorités et accru les craintes qui étaient déjà apparues dans certains milieux au sujet de la navigabilité de certains des aéronefs que nolisent les Nations Unies, l'OTAN ou certains pays sur une base ponctuelle.

    Le problème n'est pas entièrement nouveau. Rappelez-vous l'accident tragique des années 80 à Goose Bay, où les Américains ont perdu plus de 250 hommes. Il s'agissait d'un avion nolisé américain. Je me souviens que même à cette époque, on se demandait s'il était sage de noliser pour le transport du personnel militaire des lignes aériennes de second ordre, si on veut.

    Je croix que l'écrasement de cet aéronef, qui était Ukrainien, je crois avec les pertes de vie élevées, a suscité une certaine réflexion. Qu'on me corrige si j'ai tort, mais je crois savoir que les Espagnols ont intenté des poursuites judiciaires contre l'OTAN. Cela va réveiller l'OTAN, et c'est une bonne chose.

    Si les fournisseurs peuvent garantir la navigabilité de leurs avions, c'est une chose. Mais c'est pour moi une raison de plus de s'opposer à la mise en commun ponctuelle, à l'utilisation d'aéronefs qui pourraient être un peu suspects pour une raison ou une autre, ou qu'il est de plus en plus cher de noliser. L'une des choses que l'OTAN a remarquées, c'est que le coût du nolisement des avions russes et ukrainiens a eu tendance à augmenter assez régulièrement au cours des dernières années.

À  +-(1050)  

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    Mme Cheryl Gallant: À ce sujet également, étant donné que nous n'avons qu'un Hercules sur neuf qui détient un certificat de navigabilité, nous devons compter sur ces pays. Il en coûte environ 250 000 $ par vol quand on se sert d'avions étrangers pour le transport stratégique. Il me semble que cela répond davantage à une redistribution de la richesse plutôt qu'à la satisfaction de nos vrais besoins.

    Au sujet du transport stratégique, êtes-vous au courant de l'utilisation de dirigeables pour le transport stratégique ultra-léger? Quel rôle ces appareils devraient-ils jouer à votre avis?

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    M. Martin Shadwick: Je crois qu'il ne s'agit que de voir l'utilisation et l'acquisition future qu'on a fera, mais pour le moment, c'est beaucoup plus une idée pour le long terme.

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    Mme Cheryl Gallant: Vous proposiez une troisième option, qui favorisait plus ou moins le renforcement de nos capacités pour le maintien de l'ordre, sur terre et en mer, les secours en cas de catastrophe, aussi bien que pour les opérations intérieures. On voit nos capacités décliner graduellement, et l'on refuse de remplacer le matériel traditionnel essentiel, par exemple, nos Hercules, nos Sea King, nos tanks, et nos jeeps. On en prend seulement un sur quinze pour les missions en ce moment. Ce sont ces véhicules qui perdent leurs commandes de vitesse et qui n'ont pas de plancher.

    Étant donné ces faits, est-ce que le gouvernement à votre avis a officieusement épousé cette option?

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    M. Martin Shadwick: Absolument, si vous extrapolez cette tendance, c'est ultimement le point que vous allez atteindre. Mais j'espère qu'on en a fini avec les coupures et que nous entrons prudemment, et je souligne le mot prudemment, dans une tendance qui va dans l'autre sens.

    Sur le plan strictement intellectuel, si nous conservions l'orientation que nous avions ces dernières années, avec un déclin constant du budget, notre armée deviendrait par défaut une force de police. Sans que le gouvernement ait décidé quoi que ce soit, c'est le résultat auquel on aboutirait simplement du fait qu'on aurait plus d'argent pour soutenir nos capacités. C'était absolument inéluctable. À tout le moins, nous en avons fini avec les coupures, et le pendule oscille de l'autre côté, à la hausse.

    Ce qui me rappelle une phrase que j'ai lue dans un rapport d'un comité sénatorial des années 80—et je ne veux pas ici tracer un parallèle trop étroit—, à savoir que nous étions dans une situation où le budget de la défense était suffisant pour opérer un changement important sur l'échiquier national mais insuffisant pour produire des résultats importants.

    Je soutiens que nous devons augmenter le budget de la défense. Cela ne fait aucun doute dans mon esprit. Je ne suis pas sûr que le chiffres que l'on cite sont aussi épouvantables que certains le disent. Je crois qu'il s'offre à nous certaines possibilités si nous réaménageons d'une façon ou d'une autre certaines options que nous avons, et celles-ci doivent être choisies soigneusement, et on peut combiner cela avec des augmentations judicieuses des crédits et des effectifs militaires de telle sorte que nous pourrions renverser la vapeur sans recourir à des mesures radicales.

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    Le président: Merci, madame Gallant. En fait, vous avez largement dépassé votre temps.

    J'aimerais utiliser le temps qu'il nous reste à poser moi-même quelques petites questions.

    Monsieur Shadwick, j'aimerais que vous nous parliez de la question plus générale de l'environnement stratégique dans lequel nous évoluons avec les États-Unis et avec, bien entendu, l'Europe. À mon avis, un certain nombre d'articles très intéressants ont été rédigés par des gens comme Michael Ignatieff et Robert Kagan sur toute la question de la puissance et de la faiblesse et sur celle du fardeau des empires.

    Il semble que dans ce nouvel environnement stratégique, il y ait une transformation très importante vis-à-vis des anciennes attitudes et des anciennes hypothèses au niveau des menaces et des intentions de plusieurs États. Les États-Unis semblent s'y préparer d'une manière et les Européens d'une autre très différente.

    Quand Kagan dit que les États-Unis sont de Mars et l'Europe de Vénus, il résume plus ou moins l'attitude des Européens qui considèrent que nous sommes entrés dans une ère postnationaliste, postmilitariste et que l'obsession américaine envers la sécurité est tout bonnement incompréhensible.

    L'impression est que la route de l'Europe et des États-Unis est arrivée à une fourche. Il est évident qu'il nous faut nous aussi choisir l'un ou l'autre des deux embranchements. Si nous nous trompons, nous risquons de devenir, comment dire—ce n'est certainement pas comme cela qu'il faudrait dire d'ailleurs—les orphelins géopolitiques de l'environnement international.

    Qu'en pensez-vous? Comment voyez-vous globalement les choses?

À  +-(1055)  

+-

    M. Martin Shadwick: Merci. Votre concept d'orphelin géopolitique m'intrigue. Si vous le permettez, j'en ferai le thème d'un cours l'année prochaine.

    Vous avez tout à fait raison, et examiner l'évolution différente des Européens et des Américains même avant les divergences sur l'Irak et la solution appropriée, bien entendu les divisions internes en Europe sur la marche à suivre, est fascinant. Mais vous avez tout à fait raison de dire que les Européens, avec une rapidité remarquable, ont décidé qu'ils n'avaient carrément plus à se soucier de questions de sécurité et de défense, à quelques exceptions près évidentes. La position des Britanniques est clairement différente de celle des Français et des Allemands. Il y a eu la rapidité avec laquelle les Allemands ont réduit leurs dépenses de défense et ont éliminé de grands pans de leurs forces armées. Dans un certain sens, c'était inéluctable après la chute du mur et le retour dans le giron de l'Allemagne de l'Est. Les Allemands avaient d'autres soucis d'argent. La priorité est allée à la reconstruction du tiers du pays. Mais la rapidité avec laquelle ils l'ont fait, la profondeur et l'ampleur des réductions du budget de défense allemand et des réductions des budgets de défense des autres pays européens reste remarquable.

    Il est intéressant que cela se soit produit a) avec cette rapidité et b) dans une région qui a été le point focal de la guerre froide pendant tant de décennies et qui a eu bien entendu une histoire pendant la première moitié du XXe siècle obnubilée, dirons-nous, par les questions de sécurité pour des raisons évidentes. Et pourtant, ce sont les Américains, qui ont été les isolationnistes pendant la plus grande partie du XXe siècle et qui ont eu bien du mal à se décider à participer à la Première et à la Deuxième guerre mondiale, qui jouent aujourd'hui les plus déterminés.

    Vous avez parlé d'une fourche sur la route. Il est à espérer que dans le cadre du processus de guérison des relations entre les Américains et certaines nations européennes—il faut faire bien attention à ce que nous disons puisque nous avons dans notre camp les Britanniques et l'Europe dite nouvelle—des vues communes permettront de réanimer l'intérêt des Européens pour les questions de sécurité et de défense. Ça pourrait être utile. Non pas d'américaniser leurs vues car certaines des réserves exprimées par les Européens à propos de l'Irak étaient tout à fait justifiées—réserves dont je partage certaines, pas toutes—mais je pense que cela pourrait faire partie du processus de guérison pour réparer les dégâts. Mon espoir est que cela n'aura rien de fondamental, mais prendra un certain temps.

    Maintenant, il est intéressant de spéculer sur la place que cela nous laisse. Le risque de la métaphore de l'orphelin géopolitique grandit et cela me met mal à l'aise car en bon analyste de politique étrangère canadien, on n'a cessé de me marteler un point : multilatéralisme; membres de tous les clubs, évitez de devenir trop copains avec les Américains.

    C'est à ce niveau que nous pourrions jouer un rôle dans ce processus de guérison, avec les ressources militaires et diplomatiques adéquates, bien entendu, et essayer de combler une partie de ce fossé atlantique. Mais pour jouer ce genre de rôle canadien classique dans le triangle de l'Atlantique Nord, nos moyens sont limités, nos ressources sont moindres—bien moindres qu'elles ne l'étaient à la fin des années 40 et pendant les années 50. Mais ce n'est peut-être pas un mauvais objectif. Il maintiendrait le contact avec Washington mais aussi avec l'Europe, car je suis aussi un nationaliste canadien.

    J'ai toujours été assez intrigué par le choix du premier ministre, monsieur Trudeau, pour la troisième option en termes de commerce pour garantir le maintien d'échanges avec les Européens. Le problème, bien entendu, c'est qu'il est beaucoup plus facile de parler de réengagement du Canada dans les affaires européennes qu'il ne l'est de le traduire dans les actes. Nos échanges commerciaux sont plus que jamais concentrés sur un axe nord-sud et notre présence militaire en Europe est négligeable.

    Une fois retiré notre contingent de maintien de la paix, il nous reste la contribution canadienne dans les radars volants et le personnel au quartier général, au quartier général de l'OTAN, et quelques militaires participant à des échanges. J'aimerais trouver le moyen de nous réengager sur ce plan-là aussi. Cela me ramène à un de mes points précédents sur la nécessité de s'assurer que toutes les influences sur le développement professionnel et doctrinal des militaires canadiens ne soient pas entièrement américaines. J'aimerais voir un peu de diversité. À mes yeux, c'est un autre avantage qu'offre cet effort de rapprochement avec les Européens. Pour ce qui est des modalités, par contre, c'est beaucoup plus difficile.

Á  -(1100)  

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    Le président: Professeur, je vous remercie de cette réponse et je vous remercie de toutes les réponses que vous nous avez données aujourd'hui ainsi que de votre exposé. Ce fut une excellente réunion. Comme je l'ai dit tout à l'heure, je pense que vous nous avez donné un peu plus de matière à réflexion sur la question des relations canado-américaines.

    Il est assez étonnant que chacun des spécialistes qui comme vous ont comparu devant notre comité semble avoir des points de vue légèrement différents mais, collectivement, ils nous permettent, je crois, de mieux comprendre la nature de ces relations.

    Tous ces témoignages nous aideront beaucoup quand nous finirons par écrire notre rapport dans le courant des prochains mois, et aussi quand nous aurons l'occasion de nous rendre aux États-Unis et de rendre visite à nos amis américains, car je crois que tous autour de la table nous sommes d'accord pour dire qu'une visite aux États-Unis, et parler aux Américains—« talking to Americans », comme le dirait Rick Mercer—est absolument capital pour mieux comprendre ces relations et essayer de faire des recommandations constructives au gouvernement.

    Encore une fois, au nom du comité, j'aimerais vous remercier d'être venu nous voir. Je suis certain que le chemin du comité et le vôtre se recroiseront de nouveau.

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    M. Martin Shadwick: Je vous remercie infiniment, monsieur le président. J'ai fort apprécié cette comparution.

    Merci.

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    Le président: La séance est levée.