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ENVI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 30 avril 2001

• 1203

[Traduction]

Le président (M. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Puisque nous avons un quorum et que notre programme est assez chargé, je voudrais tout de suite souhaiter la bienvenue à nos témoins, soit le professeur Pearse de Vancouver et David Atlin, du programme des dons écologiques.

En raison d'engagements imprévus cet après-midi, nous essaierons de lever la séance à 14 heures pour permettre aux membres d'assister à leur réunion de caucus après 15 heures.

Sans plus tarder, je voudrais remercier le professeur Pearse et M. Atlin d'avoir accepté de comparaître, et inviter le professeur Pearse à faire ses remarques liminaires, que nous écouterons attentivement, comme d'habitude.

M. Peter H. Pearse (professeur, Économie et foresterie, Université de la Colombie-Britannique): Merci, monsieur le président.

Le comité n'est certainement pas sans savoir qu'au printemps dernier, il y a donc environ un an, le ministre Anderson m'a demandé de faire des recommandations concernant la mise en oeuvre des dispositions d'indemnisation de la Loi sur les espèces en péril. Il m'a donné une assez grande latitude quant aux moyens à prendre pour atteindre cet objectif.

• 1205

Pendant les mois qui ont suivi, j'ai consulté un très grand nombre d'intervenants, et notamment les personnes dont les terres risquaient d'être touchées par les dispositions de protection de l'habitat de la Loi sur les espèces en péril, ainsi que des groupes écologiques, des groupes autochtones et d'autres encore.

Les vues des intervenants consultés m'ont été communiquées sous diverses formes. Dans bien des cas, ils m'ont fait parvenir un mémoire officiel, qui a été suivi d'une entrevue. Dans d'autres cas, ils m'ont simplement fait parvenir une lettre. J'ai eu recours au courrier électronique, aux appels téléphoniques, aux téléconférences et à presque tous les moyens de communications pour accomplir ce travail rapidement tout en prévoyant un maximum de souplesse.

Je crois avoir reçu un échantillon représentatif des opinions des intervenants sur la question de l'indemnisation. Les conclusions sont résumées dans mon rapport, intitulé Sharing Responsibility. Je suis sûr que vous en avez tous déjà une copie. Dans le cadre de mon examen, j'ai constaté que l'objectif général de la Loi sur les espèces en péril avait l'appui de la grande majorité des Canadiens. D'ailleurs, les sondages d'opinion publique et d'autres sources d'information confirment ce résultat, si je ne m'abuse.

Donc, la grande majorité des citoyens appuient l'objectif fondamental de la loi, soit de protéger toute la gamme des espèces végétales et animales au Canada. Certains représentants des industries primaires sont allés encore plus loin en faisant état des avantages qu'elles pourraient tirer de cette loi. Ces derniers concernaient la possibilité de collaborer avec des experts gouvernementaux pour protéger les espèces menacées de disparition et d'être reconnus comme contribuant à la protection environnementale.

Je dois dire que cet appui était en quelque sorte conditionnel, la condition la plus fréquemment mentionnée par les intervenants étant que les dispositions d'indemnisation soient réellement mises en oeuvre. En ce qui concerne les propriétaires fonciers qui sont les plus susceptibles d'être touchés, la condition la plus importante dont ils ont fait état était que l'indemnisation offerte soit généreuse. Certains n'étaient pas d'accord là-dessus, mais il s'agissait d'une minorité. Les objections soulevées par certains intervenants s'appuyaient sur le principe selon lequel les propriétaires fonciers auraient l'obligation ou la responsabilité sociale de protéger les espèces qui seraient présentes sur leur terre. Certains étaient même d'avis que si des espèces en péril étaient présentes sur les terres de certains propriétaires, ces derniers devraient être tenus responsables de toute menace à leur survie, et qu'à ce moment-là, ils ne méritaient aucune indemnisation.

Certains intervenants, y compris les gouvernements provinciaux, craignaient que l'indemnisation fasse augmenter le coût de la protection des espèces et réduise les crédits qui pourraient servir à des fins plus utiles, telles que la protection de l'habitat. La raison la plus fréquemment évoquée pour justifier l'indemnisation—et ce dans la très grande majorité des cas—était l'équité, c'est-à-dire que les intervenants estimaient qu'il ne serait pas juste d'imposer aux propriétaires fonciers le fardeau intégral des coûts d'une activité publique, telle que la protection des espèces en péril et de la biodiversité.

Mais d'autres raisons ont également été évoquées pour justifier l'indemnisation, raisons qu'on m'a communiquées directement et qu'on m'a expliquées, entre autres la discipline budgétaire. Autrement dit, de nombreux propriétaires fonciers étaient d'avis que les gouvernements agiraient de façon irresponsable s'ils n'avaient pas à verser une indemnisation pour tout empiétement sur des terres privées. La troisième raison évoquée était que l'indemnisation renforce les droits de propriété et que ces derniers constituent un élément important de notre économie et de notre société, dont nous dépendons.

Mon rapport énonce les principes et les procédures que je recommande au gouvernement pour la mise en oeuvre de l'article de Loi sur les espèces en péril pourtant sur les mécanismes d'indemnisation.

• 1210

À cet égard, j'aimerais vous dire, d'abord, que les dispositions d'indemnisation sont très brèves et générales. Il y a un petit article—l'article 64—du projet de loi C-5, qui prévoit simplement que le ministre peut indemniser toute personne des pertes subies en raison des conséquences extraordinaires de l'application de la loi. Bon nombre d'intervenants m'ont justement fait savoir—et ce n'est guère étonnant—que le terme «extraordinaire» les inquiétait. Je cherche donc dans mon rapport à fournir une définition raisonnable de ce terme qu'on puisse réellement appliquer.

Mon rapport énonce un certain nombre de principes qui, d'après ce que j'en sais—et je dois dire que je ne suis pas vraiment au courant de la façon dont les intéressés ont réagi à mon rapport au cours des quatre ou cinq derniers mois—ne suscitent pas beaucoup de controverse. Il s'agit essentiellement des principes de protection des espèces qu'on retrouve dans nos accords internationaux, dans la Loi sur les espèces en péril eux-mêmes et dans l'accord fédéral-provincial-territorial sur la protection des espèces en péril.

Le deuxième principe, c'est qu'il est préférable que l'habitat soit mieux protégé grâce aux efforts volontaires de ceux qui occupent les terres que par l'imposition par le gouvernement de restrictions réglementaires. Voilà donc l'opinion d'un très grand nombre d'intervenants. D'ailleurs, ce principe est grandement préconisé par ceux qui sont les plus susceptibles d'être touchés, pas seulement parce qu'il est plus respectueux de leur droit de propriété, mais aussi parce que toute la procédure sera sans doute plus efficace si ces derniers participent de façon coopérative à la réalisation des objectifs de la loi, soit la protection des espèces et de leur habitat.

Le troisième principe, c'est que l'équité vis-à-vis des personnes touchées suppose l'indemnisation, ce que prévoit déjà le projet de loi.

Enfin, il y a toute une série de principes qui concernent le respect des droits de propriété, le respect de la répartition des compétences entre le gouvernement fédéral, les administrations provinciales et territoriales, et les gouvernements autochtones, et les accords qu'ils ont conclus. Les intervenants ont insisté sur le fait que la procédure prévue doit être aussi claire et définitive que possible, pour éviter toute ambiguïté et toute incertitude—c'est-à-dire, simple—pour qu'ils puissent faire fond sur les structures et procédures actuelles dans la mesure du possible et—et c'est l'élément le plus important—que mes recommandations mettent l'accent sur des mesures volontaires et coopératives, plutôt que sur les contrôles réglementaires rigoureux.

Mon rapport définit ainsi les critères d'admissibilité; les critères relatifs aux types d'empiétements qui donneraient lieu à l'indemnisation en vertu de la Loi sur les espèces en péril; l'expression «conséquences extraordinaires» et donc les critères à appliquer pour déterminer, d'une part, qu'il s'agit d'un empiétement, et d'autre part, que le partage s'impose. Il présente également certaines recommandations sur les procédures à suivre pour évaluer les dommages, régler les différends, et s'entendre sur une juste indemnisation.

Je voudrais insister tout particulièrement sur quelque chose qu'il me semble bien important de rappeler, notamment à ce groupe-ci, à savoir que plus nous explorons la question de l'indemnisation, plus il semble clair que le gouvernement aborde là des questions très délicates qui demandent de la prudence.

• 1215

Dans mon rapport, j'exhorte le gouvernement à faire attention en appliquant ces formules d'indemnisation, non pas parce que j'ai des réserves au sujet du principe de l'indemnisation, mais parce que je crains que dans bien des cas—et c'est justement cela qui ressort de bons nombres des discussions et rencontres que j'ai eues avec des groupes à ce sujet—nous examinions isolément la question de l'indemnisation, en nous disant que lorsque les gouvernements empiètent sur la propriété d'autrui, les intéressés devraient être indemnisés. C'est un principe fort attrayant que j'appuie, d'ailleurs. Mais en l'occurrence, il faut reconnaître que cet élément ne peut être examiné isolément, parce que la clé de voûte de la Loi sur les espèces en péril est justement la coopération volontaire. L'indemnisation doit donc intervenir dans des cas très particuliers qu'on peut aussi espérer très rares.

Presque tous ceux à qui j'en ai parlé sont d'accord pour reconnaître qu'une formule axée sur la coopération volontaire pour protéger l'habitat critique des espèces est préférable au genre de restrictions qui existent aux États-Unis. Voilà l'opinion de la très grande majorité des intervenants. Je dois dire que je suis tout à fait du même avis, pas seulement parce que les intervenants à qui j'ai parlé m'en ont convaincu, mais aussi parce qu'il en va de même pour mon propre petit boisé—autrement dit, je suis à même de protéger les espèces en péril beaucoup plus efficacement et à moindre coût qu'un bureaucrate, aussi compétent qu'il soit, qui couche par écrit une série de règlements restrictifs visant à atteindre le même objectif.

Ce que j'essaie de vous dire, c'est lorsque nous parlons d'indemnisation, nous risquons de décourager les gens de participer à ce régime, étant donné qu'il peut être question d'indemnisation que si les mesures volontaires ne donnent rien. En fait, la mesure dans laquelle on aura recours au régime d'indemnisation sera une indication l'échec ou non de la Loi sur les espèces en péril.

Il y a aussi une autre raison pour laquelle les gouvernements devraient faire preuve de prudence dans ce domaine. Je fais justement allusion à la question très délicate du chevauchement des responsabilités constitutionnelles des administrations fédérale, provinciales, territoriales et autochtones dans ce domaine. Le gouvernement fédéral a certainement des responsabilités relatives à la protection de la faune, et notamment les poissons, les oiseaux migrateurs, etc. Mais les provinces, et les administrations autochtones et territoriales ont également des responsabilités dans ce domaine. Tous ces autres gouvernements ont prévu des programmes et ressources en vue de protéger les espèces en voie de disparition. Ils ont également conclu des marchés de services juridiques très variés et très complets avec des entreprises de l'industrie des ressources, des exploitants de ranchs, etc.

Ainsi une éventuelle incursion de la part du gouvernement fédéral, par l'entremise d'un régime d'indemnisation, dans un domaine aussi délicat du point de vue des relations fédérales-provinciales risquerait de susciter des préoccupations et de compromettre le régime foncier mis en place pour réglementer les industries primaires.

Donc, mon rapport explique en long et en large—peut-être trop, d'ailleurs—les raisons pour lesquelles le gouvernement devrait faire preuve de prudence, pour éviter que la formule soit trop généreuse et pour limiter son application. Il ne faut surtout pas décourager les intéressés de participer. Il faut donc éviter de rompre avec le droit et les politiques qui sont déjà bien établis au Canada. Il s'agirait effectivement d'une rupture très importante avec nos longs antécédents de droit réglementaire et de réglementation au Canada. Il s'agirait d'une rupture avec les pratiques établies de gouvernements qui doivent normalement réglementer l'activité en appliquant des restrictions, au lieu d'indemniser les intéressés.

C'est donc une question délicate qui a des conséquences pour non seulement la Loi sur les espèces en péril mais pour toutes sortes d'autres accords que le gouvernement fédéral aurait pu conclure avec les industries primaires et autres, mais pour les accords provinciaux et le contrôle réglementaire. Il faut voir toute cette initiative dans le contexte d'une vague d'interventions réglementaires de la part de toutes les administrations—fédérale, provinciale et municipale—concernant l'utilisation des sols au Canada au cours des quelques dernières décennies.

• 1220

Que je sache, aucune réglementation ne prévoit actuellement des mécanismes d'indemnisation, à part celle-ci. Il y a lieu de féliciter le gouvernement pour l'innovation dont il fait preuve en proposant cette politique réglementaire canadienne, mais il convient aussi d'avancer avec prudence dans ce domaine.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci de nous avoir amenés ces réflexions afin de favoriser un bon échange de vues.

Monsieur Atlin, si vous voulez bien faire votre exposé tout de suite, nous pourrons ensuite ouvrir la période des questions.

M. David Atlin (associé, Integris Real Estate Counsellors, Dons écologiques, Environnement Canada): Très bien. Merci, monsieur le président.

Comme on m'a demandé mardi dernier seulement de comparaître devant le comité, je n'ai pas pu vous communiquer un document à l'avance. Je m'en excuse, mais j'ai l'intention de vous en communiquer un.

Je voudrais surtout vous parler d'indemnisation cet après-midi. On m'a surtout demandé d'aborder la question de la quantification de l'indemnisation et de parler de l'expérience d'Environnement Canada et du secteur privé de la gestion des tâches qui accompagnent des mesures d'indemnisation équitables.

Je me présente: je suis évaluateur de biens immobiliers. J'ai récemment été membre d'un groupe d'experts mis sur pied pour conseiller Environnement Canada sur la création et la mise en oeuvre d'un programme d'examen de la valeur pour le programme des dons écologiques. J'ai ensuite été nommé président suppléant et spécialiste principal de l'évaluation pour la région de l'Ontario du groupe d'examen de l'évaluation du programme des dons écologiques d'Environnement Canada.

On demande régulièrement aux évaluateurs de biens immobiliers d'appliquer la valeur marchande des terres et de bonifier ainsi la propriété et l'intérêt partial dans les terres. D'après la définition, la valeur marchande correspond au prix qu'on pourrait probablement vendre la propriété sur un marché concurrentiel et libre, où toutes les conditions favorisent une vente équitable, avec un acheteur sérieux, un vendeur sérieux, et l'information nécessaire.

Vous ayant fait part de ces quelques éléments de base, je voudrais maintenant expliquer brièvement quelques concepts qui sont liés à l'évaluation. Le travail d'évaluation repose sur une série de principes et de lignes directrices bien établis, et les membres d'organismes reconnus, comme l'Institut canadien des évaluateurs, doivent respecter des normes minimales en matière de rapports.

Je voudrais donc me concentrer sur quelques principes qui pourraient se révéler pertinents. Les biens immobiliers sont typiquement évalués en fonction de l'utilisation la plus complète ou de la meilleure utilisation possible. On parle donc de l'utilisation qui, au moment de l'évaluation, est la plus susceptible de donner lieu au rendement net le plus élevé, sous forme de liquidités ou d'avantages, sur une certaine période.

Cet énoncé a de lourdes conséquences. Le fait est que la valeur d'un bien immobilier émane surtout de ses utilisations réelles ou potentielles. L'autre élément, bien entendu, c'est l'éventuelle incidence d'autres facteurs sur l'utilisation qui renforce la valeur du bien immobilier, et donc l'incidence sur la valeur marchande. Il y a plusieurs autres principes dont nous pourrons discuter en détail tout à l'heure.

Les évaluateurs ont souvent le mandat de mesurer la valeur de la perte. La situation la plus fréquente, sans pour autant être la seule qui donne lieu à ce genre de travail, est celle de l'expropriation. Il existe au Canada plusieurs lois sur l'expropriation qui reposent sur le principe selon lequel il faut rétablir la situation antérieure du propriétaire foncier en lui accordant une indemnisation intégrale. Il est important de savoir que ce principe existe, non pas parce que je recommande l'expropriation, mais parce qu'il permet de mieux situer nos réflexions sur la question.

L'indemnisation est normalement de trois types. Lorsqu'il y a expropriation des terres, le propriétaire de ces terres est payé. S'il y a une diminution de la valeur du bien foncier dans son ensemble, le terrain restant à la suite de l'expropriation fait l'objet d'une indemnisation. Si l'utilisation des terres du propriétaire est perturbée ou interrompue pendant l'expropriation, cela peut également faire l'objet d'une indemnisation. Normalement l'autorité expropriante supporte des coûts de transaction raisonnables.

Parmi les exemples des raisons d'une éventuelle baisse de valeur, notons la perturbation ou la perte de certaines utilisations qui renforcent la valeur des terres concernées, des coûts plus élevés associés à l'utilisation, la perte de certaines économies ou d'un certain rendement associé au terrain concerné, ou simplement la création d'une nuisance. Toutes les raisons que je viens d'évoquer ne concerneront certainement pas toutes les propriétés, de même que toutes les propriétés ne seront pas visées par toutes ces raisons.

Une servitude correspond au droit, privilège ou intérêt d'une partie relatif à la terre d'une autre partie. Il existe d'autres restrictions de même genre dans d'autres régions du pays. Il s'agit d'une forme de contrôle foncier ou de contrôle d'un autre type qui peut être prévu dans les dispositions d'application de la mesure proposée.

Une technique couramment utilisée pour évaluer les servitudes, qui est d'ailleurs reconnue dans la Loi de l'impôt sur le revenu et utilisée à l'égard d'autres catégories également, est ce qu'on appelle l'analyse avant-après—c'est-à-dire qu'une évaluation est faite avant que ne s'applique la restriction, qui est ensuite comparée à l'évaluation faite après l'application de la restriction.

Cette discussion m'amène à la conclusion. Il existe déjà des méthodes bien définies et éprouvées permettant de régler les problèmes d'évaluation liés à la détermination de l'indemnisation qui s'impose pour compenser une perte de valeur. De plus, il y a des professionnels qui se spécialisent dans l'évaluation quantitative des pertes et de la valeur dans toutes les régions du Canada.

• 1225

Afin de bien comprendre l'étendue de l'expérience qui existe déjà à Environnement Canada du point de vue des questions de valeur, je pense qu'il conviendrait de vous faire une brève description du programme des dons écologiques. Le programme des dons écologiques est un exemple concret d'un programme d'encouragement qui récompense les propriétaires fonciers sous forme de dégrèvements fiscaux en échange de dons de terres écologiquement sensibles à des sociétés d'État, des municipalités ou des oeuvres de bienfaisance reconnues qui se spécialisent dans la protection environnementale. Les donateurs et les organismes récipiendaires présentent des évaluations pour tout don de terre ou d'intérêt partial à Environnement Canada, qui confie ensuite ses rapports à un groupe d'examen des évaluations. Ce groupe d'examen a la responsabilité de recommander des valeurs au ministre de l'Environnement, qui est ensuite chargé de certifier les valeurs proposées à des fins fiscales.

Je voudrais vous parler très brièvement du mode de fonctionnement de ce groupe avant de conclure. J'ai été engagé pendant l'été de 2000 pour faire partie de ce groupe d'experts. Le mandat de ce dernier était de protéger tous les intervenants du programme, y compris le gouvernement du Canada, les organismes récipiendaires, les propriétaires fonciers, et les contribuables en ce qui concerne l'évaluation des dons de terre. Sur quatre mois, les membres du groupe d'experts ont rencontré les représentants de divers ministères fédéraux, d'organisations non gouvernementales, des intervenants, des organismes divers, etc. Le personnel d'Environnement Canada avait déjà tenu des consultations avant que nous soyons recrutés, et nous avions bien entendu accès à toute cette information-là.

Le groupe d'experts chargé d'examiner le programme des dons écologiques a donc rédigé un rapport final qu'il a présenté à Environnement Canada. Les recommandations du groupe portaient sur les normes minimales à retenir, différentes approches à adopter pour l'évaluation des terres et d'intérêts partiaux dans une terre, et la mise sur pied du groupe d'examen des évaluations. Dans l'exercice de leurs fonctions, les membres du groupe d'examen des évaluations doivent étudier les rapports d'évaluation préparés par des évaluateurs de diverses régions du pays. Une expertise pertinente dans des domaines autres que celui de l'évaluation des biens immobiliers peut donc être nécessaire. Les évaluations présentées peuvent être acceptées comme telles, rejetées ou modifiées. La procédure retenue prévoit la possibilité de communication entre les examinateurs et les représentants des donateurs, d'interjeter appel des recommandations ou modifications que propose le groupe.

Enfin, les donateurs qui sont d'avis que le caractère exhaustif du processus suivi par le groupe d'examen des évaluations débouche sur une recommandation injuste en ce qui concerne la valeur recommandée à des fins fiscales ont toujours la possibilité d'en appeler à la Cour canadienne de l'impôt, même si personne n'y a encore eu recours. Donc, un programme d'examen des évaluations est maintenant en place. Il a été mis à l'essai, et il a donné de bons résultats—dans le contexte, bien entendu, d'un cadre de dons volontaires. Au fur et à mesure de l'application du programme, il est certain que d'autres recommandations seront faites sur les améliorations à y apporter. Mais Environnement Canada bénéficie d'ores et déjà d'une bonne expertise en ce qui concerne l'évaluation des terres et les questions liées à l'examen des évaluations.

Pour conclure, les valeurs retenues reposent sur les utilisations actuelles ou potentielles et l'efficacité de l'utilisation des terres concernées. En ce moment, mon expérience des activités d'Environnement Canada concerne surtout les programmes volontaires. Mais les évaluateurs canadiens ont une expérience qui dépasse de loin les programmes volontaires.

La Loi sur l'expropriation prévoit des catégories d'indemnisation bien définies, et il existe d'ores et déjà des principes d'évaluation bien établis et éprouvés pour nous aider à structurer le processus d'évaluation.

Enfin, le succès qu'a connu dès le départ le groupe d'examen des évaluations dans le cadre du programme des dons écologiques prouve bien la capacité de ce dernier d'examiner énergiquement les évaluations. Je suis convaincu qu'il est possible de créer un programme qui repose sur l'objectif d'une évaluation juste et équitable de toute perte de valeur attribuable à des mesures imposées au propriétaire foncier qui limite, élimine ou modifie l'utilisation de ses terres dans le cadre du projet de loi sur les espèces en péril.

Merci.

Le président: Merci. J'ai été très intéressé par votre explication de votre façon de travailler.

Nous avons pour l'instant la liste d'intervenants que voici: M. Mills, M. Comartin, Mme Kraft Sloan, et Mme Redman.

En l'absence de M. Mills, aimeriez-vous commencer, monsieur Comartin?

• 1230

M. Joe Comartin (Windsor—St. Clair, NPD): Merci, monsieur le président.

Ma première question s'adresse à nos deux témoins. Nous avons pas mal discuté du fait que les dispositions touchant l'indemnisation sont assez limitées dans ce projet de loi, et à cet égard, on nous a indiqué que le règlement d'application comportera des lignes directrices beaucoup plus complètes. Par contre, les divers témoins que nous avons entendus ne sont pas nécessairement d'accord sur laquelle de ces deux méthodes est préférable. J'aimerais savoir si vous préféreriez que les modalités d'indemnisation soient précisées dans le projet de loi, plutôt que dans le règlement d'application, car c'est ça qui est proposé pour l'instant.

M. Peter Pearse: Permettez-moi de préciser tout d'abord, monsieur Comartin, que mon mandat ne consistait pas à proposer d'éventuels changements à apporter au projet de loi, mais plutôt à recommander des procédures à incorporer dans le règlement d'application de la loi. Par conséquent, je n'ai pas vraiment d'opinion à exprimer sur des changements qui pourraient être utiles à cet égard, mais d'après mon propre examen de la situation, ce qui me semble vraiment important, c'est que la procédure soit tout à fait claire et qu'on évite le plus possible l'incertitude. À part cela, je n'ai pas grand-chose à proposer à cet égard.

M. David Atlin: Si vous me permettez d'intervenir, en tant qu'évaluateur, j'estime que l'une ou l'autre méthode convient. En ce qui me concerne, il est possible d'évaluer la propriété, et il existe des principes pour guider le processus d'évaluation.

Mon expérience actuelle du programme des dons écologiques m'apprend que chaque propriété est unique, et que pour faire du bon travail, il faut une certaine latitude. Il sera donc très difficile de définir avec précision une série de règles qui vont toujours donner les résultats escomptés. Je ne sais pas si c'est bien utile, mai il me semble qu'il serait peut-être plus facile de travailler dans le contexte du règlement d'application et donc d'améliorer progressivement les dispositions que de les inscrire dans la loi elle-même.

M. Joe Comartin: Ma prochaine question s'adresse à vous, professeur Pearse. Nous avons reçu les témoignages de plusieurs personnes, et j'aimerais donc vous citer les propos de Peter Miller, conseiller juridique d'Imperial Oil et membre d'un groupe qui a comparu devant le comité. Il ne prétendait pas que la question de l'indemnisation s'articule uniquement autour de l'argent, et c'est sûr qu'il est tout à fait partisan de l'approche coopérative. Mais si je l'ai bien compris, il disait que la méthode que vous proposez n'est pas juste parce que vous imposez un fardeau trop lourd au propriétaire foncier, qu'il s'agisse d'un particulier ou d'une société. J'aimerais donc savoir ce que vous en pensez. Comment réagissez-vous à ce type d'accusation?

M. Peter Pearse: D'abord, c'est une opinion que j'ai souvent entendue. Comme je m'y attendais, beaucoup de gens étaient d'avis que ce que je proposais n'était pas assez généreux et imposait un trop grand sacrifice au propriétaire foncier.

S'il s'agissait d'expropriation, je pourrais facilement accepter une telle critique, mais ce n'est pas de ça qu'il s'agit. Nous parlons d'une disposition sans précédent que le gouvernement envisage d'adopter pour indemniser les propriétaires fonciers en cas d'empiétement. Dans ce sens-là, comme je l'ai indiqué dans mes remarques liminaires, on peut dire qu'il s'agit d'une véritable volte-face en ce qui concerne la politique gouvernementale. En partie à cause de cela, et pour d'autres raisons que j'ai déjà évoquées, le gouvernement doit faire preuve d'une grande prudence dans ce domaine. Loin d'être trop mesquin, le gouvernement fait preuve d'une générosité sans précédent à ce chapitre-là.

J'ai choisi ce chiffre-là parce que pour que la loi soit efficace, il faut encourager les intervenants à collaborer. Chaque fois que vous augmentez l'indemnisation d'un point de pourcentage, vous réduisez le désir des intervenants de collaborer. Il serait donc très facile de compromettre l'objectif fondamental de la loi en offrant une indemnisation trop généreuse.

Cela dit, je devrais peut-être préciser que même si le chiffre de 50 p. 100 a l'avantage de sembler équitable, il n'a rien de sacro-saint. Je serais d'ailleurs le premier à reconnaître que la recommandation de 50 p. 100 ne repose pas vraiment sur des méthodes scientifiques. Il s'agit simplement d'assurer un partage raisonnable avec le public dans une situation où il est très important de préserver l'incitation à collaborer.

• 1235

M. Joe Comartin: Je vais me faire un peu l'avocat du diable. Nous avons entendu parler d'une expérience en Colombie-Britannique où des demandes d'indemnisation étaient présentées en même temps qu'on tenait compte de considérations environnementales, et même si une indemnisation intégrale était disponible, cela n'aurait pas freiné la collaboration, semble-t-il. En fait, on nous a dit qu'il était fort probable que tous les crédits réservés à cette fin ne soient pas utilisés.

Je me demandais donc si l'un d'entre vous aurait entendu parler de cette situation-là. Il me semblait simplement que cette expérience était un peu contraire à la position que vous défendez.

M. Peter Pearse: Faites-vous allusion aux récentes expériences du gouvernement fédéral en Colombie-Britannique?

M. Joe Comartin: Le cas que j'ai cité concernait le gouvernement de la province de la Colombie-Britannique.

M. Peter Pearse: Eh bien, si vous faites allusion à l'indemnisation offerte aux auteurs de demandes touchant les concessions minières en Colombie-Britannique, je suis effectivement au courant, et d'après ce que j'ai pu comprendre, il s'agissait essentiellement d'une expropriation.

M. Joe Comartin: Et en ce qui vous concerne, ce n'est pas comparable à ce type de circonstance, où l'on cherche simplement à protéger l'habitat. À votre avis, il s'agit de deux situations tout à fait différentes.

M. Peter Pearse: Si je comprends bien l'exemple que vous citez, vous parlez d'indemnisation suivant la perte de concessions minières. Le gouvernement avait donc exproprié le droit d'exploiter une concession minière—une sorte d'expropriation de fait, d'après ce que j'ai pu comprendre. Ainsi une indemnisation intégrale était tout à fait appropriée, et ce n'est pas en conflit avec ce que j'ai dit jusqu'à présent.

M. Joe Comartin: J'ai une dernière question à poser, monsieur le président, avant que vous ne donniez la parole au prochain intervenant.

Vous avez dit que ce genre de disposition était pour ainsi dire sans précédent mais existe-t-il des précédents à l'égard d'autres approches, où les droits de propriété personnels ou les valeurs foncières sont touchés, et qu'à cause de la motivation ou de l'objectif du gouvernement, si je peux le dire ainsi, l'indemnisation accordée n'était pas une indemnisation intégrale?

M. Peter Pearse: Si je dis que ce genre de chose est «presque» sans précédent ou «pas tout à fait» sans précédent, c'est parce qu'au départ, il existe des dispositions d'indemnisation officielles par suite de ce type d'intervention réglementaire. Par exemple, dans la province de la Nouvelle-Écosse, une loi prévoit que les propriétaires de terrains privés seront indemnisés pour tout empiétement lié à la protection de la faune. Que je sache, cette loi est la seule de ce genre à exister au Canada.

Il y a, cependant, d'autres exemples aux États-Unis. Il est question dans mon rapport de cinq États américains qui prévoient l'indemnisation des intéressés en cas d'intervention réglementaire touchant des terres privées. Mais dans la très grande majorité des cas au Canada, les administrations provinciales, fédérale, territoriales et municipales n'ont pas hésité à adopter des règlements qui ne prévoient aucune indemnisation. Examinez, par exemple, les lois municipales qui imposent des restrictions aux particuliers en ce qui concerne la façon d'utiliser leurs terrains, les maisons qu'ils peuvent faire construire, le droit ou non d'élever des poules, et la réglementation sans fin qui s'applique dans les villes, et qui ne prévoit pas d'indemnisation du tout.

Dans ma province de la Colombie-Britannique, au cours des 20 dernières années, la province a adopté une série de restrictions réglementaires qui touchent les terres agricoles, les sols forestiers, les marécages, etc., et les règlements en question ne prévoient pas d'indemnisation. Il en va de même pour tout le Canada en ce qui concerne l'intervention des administrations provinciales.

Donc, il faut voir tout cela dans un contexte particulier. Les propriétaires fonciers, et notamment les agriculteurs et exploitants de ranchs, sont très sensibles à toute la question de l'intervention réglementaire, mais dans aucun cas, une indemnisation n'est prévue. Donc, ce qui est proposé ici est fort différent sur ce plan-là.

Le président: Merci, monsieur Comartin.

Les prochains intervenants seront M. Mills, Mme Kraft Sloan, Mme Redman, et ainsi que le président.

Vous avez cinq minutes, monsieur Mills.

M. Bob Mills (Red Deer, AC): Merci, monsieur le président.

Merci beaucoup de votre présence, professeur Pearse. Je pense que nous sommes d'accord avec bon nombre des affirmations qu'on retrouve dans votre rapport. Mais la question de l'indemnisation semble attirer l'attention de tout le monde—du moins, les personnes à qui j'ai parlé—si bien qu'on ne semble pas tenir compte de bien d'autres éléments de votre rapport.

Je voudrais justement aborder cette question-là. J'aurais quelques remarques à faire qui vous permettront de savoir ce que j'en pense, et vous pourrez ensuite me répondre.

• 1240

Il me semble clair que l'indemnisation, la consultation et la communication sont autant d'éléments essentiels de tout ce processus, mais en même temps, si ce dernier ne débouche pas sur l'indemnisation quand aucune autre solution ne semble possible, à mon avis, notre régime ne sera guère meilleur que celui des États-Unis, où ils appliquent la méthode «tue, enterre et tais-toi».

Dans ma région, il y a énormément de protection volontaire de toutes sortes de choses. À mon avis, les plus fervents écologistes sont surtout les agriculteurs et les exploitants de ranchs, qui sont les mieux placés pour savoir comment préserver les terres.

En Alberta, par exemple, il y a un pipeline qui traverse mes terres. Je les cultive, et je m'en sers, mais on me verse une somme en guise d'indemnisation pour toute la durée de l'exploitation de ce pipeline. Si l'on décide de construire un puits de pétrole sur mes terres, on me versera des droits de superficie, si bien que je serais indemnisé en fonction de la valeur marchande intégrale de cette parcelle de terrain tant que la société pétrolière continuera de s'en servir. Bien sûr, on me la rendra lorsque la société pétrolière n'en aura plus besoin, si cela arrive un jour. Alors voilà quelques exemples.

Dans votre rapport, vous mentionnez les chiffres de 10 p. 100 et de 50 p. 100—et vous savez de quoi il s'agit—mais je vois difficilement comment nous pourrions prétendre qu'il s'agit là d'une indemnisation juste et équitable. Comment pourrait-on prétendre qu'un propriétaire foncier qui ne peut plus exploiter des terres productives ne devrait bénéficier que d'une indemnisation de 50 p. 100. Pourquoi en fin de compte tous les Canadiens—et cela ne se produira pas très souvent—ne devraient-ils pas contribuer à préserver les espèces en péril? Si l'on incorporait un tel principe dans la Loi sur les espèces en péril, personne ne s'y opposerait. L'opposition des uns et des autres disparaîtrait aussitôt.

M. Peter Pearse: Monsieur Mills, le fait est que cette justice approximative à laquelle vous faites allusion quand vous dites que les gouvernements n'hésitent pas à intervenir et à limiter l'utilisation des terres par le public pour des fins publiques sans la moindre indemnisation a été la règle jusqu'à présent.

Là je m'avance peut-être un peu, mais si je comprends bien la Surface Rights Act en Alberta, que vous avez mentionnée si je ne m'abuse, elle concerne surtout une situation où une société pétrolière obtient un intérêt dans une terre qui prend la forme d'une servitude pour laquelle on verse une indemnisation. Mais ce n'est pas incompatible avec mes autres recommandations. Par contre, je ne crois pas me tromper en vous disant qu'en Alberta, comme dans la plupart des autres provinces, le gouvernement de l'Alberta n'a jamais versé une indemnisation pour l'imposition de restrictions touchant l'utilisation de terres.

M. Bob Mills: Si vous me permettez de vous interrompre, un autre exemple serait la décision d'un comté ou d'une administration quelconque de construire un égout pluvial sur un terrain. À ce moment-là, les autorités limitent l'utilisation de ce terrain; on ne peut rien construire par-dessus l'égout pluvial, et toute construction doit se trouver à tant de pieds de distance. Par contre, je continue d'être le propriétaire de ce terrain. Cet égout pluvial existe, et le gouvernement me paie pour avoir le droit d'y installer cet égout pluvial. Donc on part d'une situation où le gouvernement me paie pour cette intrusion et pour les limites qu'il m'impose en ce qui concerne l'utilisation de ce terrain. N'est-ce pas la même chose?

M. Peter Pearse: À mon avis, non. Vous soulevez une question d'ordre juridique, et je dois dire que je ne me sens pas tout à fait à même de vous répondre. Je crois savoir, cependant, que le cas que vous décrivez est analogue à une situation où le gouvernement déciderait de construire une autoroute sur le terrain de quelqu'un. À ce moment-là, le gouvernement exproprie un intérêt dans ce terrain, qu'il s'agisse du terrain intégral ou d'une simple servitude.

Par contre, dans votre exemple, nous avons affaire à une situation très différente. Les autorités n'enlèvent pas les droits de propriété du propriétaire foncier. Voilà justement ce qu'il faut retenir. Le gouvernement vous dit simplement qu'il vous empêchera de faire certaines choses sur vos terres dans l'intérêt du public. Mais vos droits de propriété ne sont aucunement limités, si ce n'est...

M. Bob Mills: Oui, mais cela influe sur mes revenus.

M. Peter Pearse: Oui.

M. Bob Mills: Cette décision a un effet considérable sur moi. Si vous me dites, par exemple, que je ne peux pas faire paître mes animaux sur une demi-parcelle de terrain, ou quelque chose d'analogue, ça pourrait très bien vouloir dire que je ne pourrais plus continuer mes activités agricoles.

M. Peter Pearse: C'est vrai. Mais c'est malheureusement la règle au Canada.

J'ai une propriété où l'on a récemment découvert la présence d'un tertre indien sur lequel je n'ai pas le droit de construire quoi que ce soit. Ça, c'est en Colombie-Britannique. Je ne serais pas surpris d'apprendre qu'il existe des lois de ce genre dans la grande majorité des provinces du Canada. Mais aucune indemnisation n'est prévue. Le gouvernement ne m'enlève rien du point de vue de mes droits de propriété; il m'enlève simplement le droit d'utiliser ce terrain de certaines façons.

• 1245

C'est la même chose pour les règlements municipaux. Quiconque a jamais été propriétaire d'une maison en ville connaît toutes les restrictions qui s'appliquent à la construction d'une maison dans une municipalité, restrictions qui ne sont aucunement compensées; mais si le gouvernement enlève une portion de votre terrain afin d'élargir la rue, vous serez indemnisé. De même, s'il décide d'établir une servitude sur votre propriété et s'accorde donc un intérêt dans votre terrain, encore une fois, vous serez indemnisé.

La distinction entre une expropriation et une restriction réglementaire est difficile à établir, et elle n'est pas très claire dans la législation, à mon avis, mais que je sache, des restrictions n'ont jamais donné lieu à une indemnisation au Canada à défaut de disposition précise dans ce sens. Donc, en ce qui concerne la politique gouvernementale, il s'agit d'un véritable précédent.

Le président: Merci. Nous aurons peut-être un deuxième tour, si c'est possible.

Madame Kraft Sloan, vous avez la parole.

Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je voudrais remercier nos deux témoins d'avoir accepté de comparaître devant le comité.

Il y a eu énormément de discussion concernant les avantages de mesures volontaires par rapport à une approche davantage axée sur la réglementation, et pour la gouverne des membres du comité, je voulais préciser qu'à la page 11 de votre rapport, vous dites ceci:

    Les Canadiennes et les Canadiens acceptent le principe que les gouvernements devraient intervenir par voie de règlement quand cela est nécessaire pour promouvoir le bien public, et nos lois le reflètent.

Vous parlez ensuite de la réglementation touchant l'utilisation des sols en expliquant que cette dernière est un peu plus problématique et un peu plus délicate.

Un peu plus loin, toujours à la page 11, vous dites ceci:

    Par ailleurs, il est largement accepté que les gouvernements ont le droit de prendre des décisions réglementaires imposant des sacrifices individuels dans l'intérêt général. Les dispositions portant sur l'indemnisation qui figurent dans la Loi sur les espèces en péril ne devraient pas être vues, selon moi, comme un désaveu de cette conception du rôle du gouvernement.

Je voulais lire ces passages pour essayer de clarifier un peu la situation, étant donné que nous parlons beaucoup de mesures volontaires.

J'ai une question à vous poser, monsieur Pearse. Dans votre travail, il est évident que vous avez dû parler à beaucoup de propriétaires fonciers et de représentants de l'industrie et d'autres secteurs. Nous avons justement entendu parler—et le député d'en face en a fait mention tout à l'heure—du syndrome «tue, enterre et tais-toi». Je me demande si vous avez de la documentation à ce sujet, et si vous seriez en mesure de la déposer devant le comité ou de nous proposer des sources d'information.

M. Peter Pearse: Il y a pas mal de documentation sur le sujet. Même si j'ai déjà rangé la plupart de mes documents, je serais très heureux de les réexaminer pour voir si je peux vous trouver des documents qui concernent cette question précise.

Mme Karen Kraft Sloan: Oui. Nous avons déjà fait la demande à plusieurs témoins, mais nous n'avons encore rien reçu. Nous vous saurions donc gré de bien vouloir nous envoyer votre documentation à ce sujet.

M. Peter Pearse: Même si cela concerne des situations où les espèces en péril ont été détruites?

Mme Karen Kraft Sloan: C'est-à-dire que dans bien des cas, on nous fait part de renseignements non scientifiques. En tant que membre du comité, j'ai l'habitude de recevoir ce type de renseignements sur toutes sortes d'autres questions—par exemple, la question de l'harmonisation de la réglementation environnementale fédérale et provinciale. Nous n'avons encore jamais vu de preuves documentées de ce genre de choses. Les gens font souvent allusion à des données non scientifiques, mais il me semble important de savoir ce qui a été rigoureusement documenté pour que nous sachions à quel genre de problème nous avons affaire.

Mon autre question concernant votre travail est celle-ci: d'abord, avez-vous examiné d'autres exemples internationaux d'indemnisation relativement aux espèces en péril, et dans l'éventualité où vous auriez connaissance de faits intéressants à cet égard, pourriez-vous les communiquer au comité?

M. Peter Pearse: Mes exemples internationaux concernaient surtout le Royaume-Uni et les États-Unis. Nous avons déjà parlé des États-Unis, et j'avoue ne pas avoir grand-chose à ajouter à ce que j'ai déjà dit. Je vais voir, cependant, si je peux mettre la main sur quelques références.

Mme Karen Kraft Sloan: Très bien.

Y a-t-il autre chose que vous aimeriez nous dire au sujet des pratiques au Royaume-Uni en ce qui concerne l'indemnisation et les espèces en péril?

M. Peter Pearse: Je suis très réticent à essayer de vous décrire cela au pied levé. J'ai examiné l'information en question, mais cela fait quelque temps. Je crains de ne pouvoir vous faire immédiatement un résumé très cohérent de la situation, mais il y a certainement eu des innovations intéressantes au Royaume-Uni.

Mme Karen Kraft Sloan: Très bien. Merci beaucoup.

Le président: Merci, madame Kraft Sloan.

Madame Redman, vous avez la parole.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

Monsieur Pearse, je voudrais tout d'abord vous remercier pour votre excellent rapport. Je l'ai trouvé très intéressant.

• 1250

À votre avis, faut-il prévoir des mécanismes d'indemnisation pour ce projet de loi?

M. Peter Pearse: Oui. En fait, le fait que ce projet de loi mette l'accent sur l'aspect volontaire me semble militer encore plus pour des dispositions d'indemnisation, mais il faut cependant faire preuve de prudence, pour les raisons que j'ai déjà évoquées.

Si je suis en faveur de l'indemnisation, c'est pour les mêmes raisons qui m'amènent à cautionner ce principe pour d'autres formes d'expropriation, comme nous le disions tout à l'heure; autrement dit, lorsque les gouvernements empiètent sur la propriété privée d'un particulier dans l'intérêt général de la population, la personne dont la propriété est touchée ne devrait pas être la seule à supporter le fardeau. Je voudrais donc que ce principe soit élargi. Il s'agit là d'un précédent, et d'un bon précédent.

Mme Karen Redman: M. Atlin parlait tout à l'heure de la nécessité de prévoir une certaine latitude en matière d'indemnisation, alors que vous, vous avez parlé de certitude. Je voudrais donc connaître votre réaction aux propos de M. Atlin, qui disait qu'il serait peut-être préférable de préciser les modalités d'indemnisation dans le règlement d'application, pour avoir plus de marge de manoeuvre, que de les incorporer dans la loi proprement dite.

M. Peter Pearse: Je comprends très bien cet argument. Il est question de l'équilibre délicat entre la souplesse, d'une part, et la certitude, d'autre part. À mon avis, disposer d'une certaine latitude suppose qu'on peut changer progressivement les choses. Par contre, l'objectif de la certitude suppose un degré de fiabilité et de cohérence sur une période donnée. Donc, je comprends très bien les arguments, et en même temps, je reconnais la valeur de la flexibilité.

Je ne peux pas vraiment y ajouter quoi que ce soit—je n'y ai pas beaucoup réfléchi—si ce n'est que les dispositions doivent être aussi claires que possible. D'ailleurs, il est peut-être vrai que le règlement d'application est avantageux sur ce plan-là, en ce sens qu'il peut être plus détaillé et spécifique que la loi elle-même.

Mme Karen Redman: Votre rapport constitue un excellent point de départ pour une discussion sur une question que vous avez vous-même qualifiée à maintes reprises de très complexe, et de toute évidence, les personnes qui y réagissent ont la même réaction. Pourriez-vous nous dire comment vous avez fait pour en arriver au pourcentage déclencheur de 10 p. 100, par rapport à une indemnisation de 50 p. 100? Vous nous avez dit tout à l'heure que ce pourcentage n'a rien de sacro-saint.

M. Peter Pearse: Les 10 p. 100 reposent sur l'article du projet de loi qui prévoit une indemnisation pour toute perte subie en raison des «conséquences extraordinaires» que pourrait avoir l'application de la loi. Mon rapport explique qu'après avoir examiné le pour et le contre, j'ai opté pour les 10 p. 100. Pour tout ce qui est inférieur à cela, je pars du principe que les responsabilités de bonne gestion qui incombent à tout propriétaire foncier supposent que ce dernier doit prendre certaines responsabilités, sans pour autant subir des pertes en raison de conséquences extraordinaires.

Donc, je propose que tout ce qui dépasse une réduction de valeur de 10 p. 100 des terres concernées devrait donner lieu à une indemnisation. C'est de là que vient le pourcentage de 10 p. 100. Il s'agit essentiellement de définir plus précisément l'expression «conséquences extraordinaires».

En ce qui concerne les 50 p. 100, c'est-à-dire le deuxième volet de votre question, qui porte sur l'indemnisation appropriée une fois qu'on a atteint le seuil des 10 p. 100, j'ai essayé d'établir un équilibre raisonnable entre la nécessité d'un engagement public considérable vis-à-vis du fardeau à partager et de la nécessité de préserver l'incitation à collaborer, par opposition au recours que représente l'indemnisation.

Mme Karen Redman: Étant donné votre commentaire selon lequel votre chiffre n'a rien de sacro-saint, êtes-vous d'avis que d'autres formules pourraient éventuellement être envisagées dans ce domaine?

M. Peter Pearse: Si quelqu'un me disait que le pourcentage approprié devrait être 45 p. 100 ou 55 p. 100, je pourrais difficilement avancer de bons arguments pour justifier mon chiffre par rapport aux autres. Autrement dit, cela relève du jugement dans une certaine mesure, et il n'existe aucune méthode empirique permettant d'obtenir un résultat plus définitif. Ces chiffres sont forcément quelque peu arbitraires, et je serais donc réticent à défendre ces pourcentages précis.

• 1255

Par contre, j'exhorte le gouvernement à ne pas trop s'en éloigner, car si vous tombez bien en deçà de ce pourcentage, vous courez le risque que le public n'assumera pas une portion importante des coûts. Par contre, si vous optez pour un pourcentage bien supérieur, vous risquez d'affaiblir les mesures d'incitation à la coopération.

Mme Karen Redman: Je n'essaie pas de vous faire dire des choses, mais serait-il juste de dire que votre rapport a comme thème, «L'indemnisation, si nécessaire, mais pas nécessairement l'indemnisation» par rapport à la mise en oeuvre de ce projet de loi?

M. Peter Pearse: Non, ce n'est pas ainsi que je qualifierais le thème central de mon rapport. J'essaie de définir l'admissibilité ainsi que les types de pertes où l'indemnisation sera justement nécessaire, plutôt que l'inverse, comme vous le disiez. J'essaie de décrire les critères qui vont faire reposer le droit à l'indemnisation sur des assises solides.

Je pensais que nous parlions de chiffres, et je dois dire que si vous n'êtes pas d'accord avec ces deux pourcentages—c'est-à-dire le 10 p. 100 ou le 50 p. 100—il faut surtout éviter de les examiner isolément. On peut passer beaucoup de temps—et je dois dire que ça peut être bien utile—à réfléchir aux relations entre les deux.

Si vous estimez que 50 p. 100 est trop peu, par exemple,—et je suis sûr que bien des gens sont de cet avis—surtout que c'est un chiffre un peu faible par rapport à tous les précédents dont je fais état dans mon rapport, aux États-Unis et ailleurs, et en Nouvelle-Écosse, par exemple. Mais il convient de vous faire remarquer que mon pourcentage de 10 p. 100 est inférieur—autrement dit, le seul est inférieur, par rapport à tous ces précédents.

Autrement dit, il ne faut pas considérer l'un sans l'autre.

Mme Karen Redman: Monsieur le président, est-ce qu'il me reste du temps?

Le président: Le temps de poser une dernière question.

Mme Karen Redman: Merci.

J'aimerais vous poser une question, monsieur Atlin—et je m'empresse de vous remercier, vous aussi, pour votre présence aujourd'hui. Vous êtes de toute évidence un témoin expert, puisque vous avez participé notamment au processus d'examen des évaluations dans le cadre du programme des dons écologiques, comme vous nous l'expliquiez tout à l'heure. Selon certains particuliers et groupes, le processus retenu pour le programme des dons écologiques devrait également inclure une procédure d'évaluation en vue de l'indemnisation. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. David Atlin: Ce n'est pas la première fois que j'entends ce genre de proposition. Pour ce qui est du modèle précis sur lequel repose le programme volontaire des dons écologiques, il ne serait pas possible de reprendre la même formule pour déterminer une éventuelle indemnisation. Mais les principes d'évaluation sont les mêmes. Les types d'expertise sur lesquelles repose le programme des dons écologiques sont également les mêmes. Donc, si vous me demandez s'il serait possible d'élargir le programme, de tirer des enseignements de l'expérience acquise jusqu'à présent et de le modifier, je vous dirais que oui, mais il faudrait nécessairement apporter des changements à la formule.

Mme Karen Redman: Merci.

On aurait dit tout à l'heure que vous souhaitiez répondre lorsque j'ai posé la question au professeur Pearse concernant la latitude à prévoir. Je voulais simplement vous donner la possibilité d'ajouter vos commentaires, si vous le souhaitez.

M. David Atlin: C'est-à-dire que je vous écoutais attentivement à ce moment-là. Quand je parle de «latitude», c'est par rapport au fait que l'évaluation des biens immobiliers évolue avec le temps. Les principes ne changent pas, mais l'économie évolue, les connaissances évoluent, les précédents évoluent sur le marché en fonction de l'évolution des faits objectifs, et donc, l'approche d'évaluation des évaluateurs doit nécessairement évoluer. Je veux simplement m'assurer que le programme, au lieu d'imposer une méthode, laisse le soin aux experts de choisir celle qui leur convient.

C'est pour cela que je préfère qu'on précise les détails dans le règlement d'application, puisque ce dernier nous donne une grande marge de manoeuvre. Par contre, je ne remettais aucunement en question le principe de l'indemnisation. Cela dépasse les limites de mon expertise.

Mme Karen Redman: Merci pour cet éclaircissement. Je n'avais pas non plus conclu que vous remettiez en question les principes eux-mêmes.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, madame Redman.

Je dois dire que je suis bien content que M. Trudeau ait résisté aux pressions qui s'exerçaient sur lui pour inscrire dans la Constitution les droits de propriété.

Monsieur Laliberte, c'est-à-vous, suivi du président.

• 1300

M. Rick Laliberte (Rivière Churchill, Lib.): Peut-être que nos deux témoins pourraient essayer de trouver une solution au problème que voici: Dans quelle mesure les dispositions concernant l'indemnisation en raison de conséquences extraordinaires de l'application de la loi s'appliquent-elles aux terres publiques, où il est question d'utilisateurs, plutôt que de propriétaires fonciers...? La plupart des terres du Nord sont des terres publiques, mais en même temps ces terres sont largement utilisées—pour des opérations forestières et minières, ou pour des permis de pourvoirie, le plus souvent pour les touristes. Mais il y a aussi les utilisateurs traditionnels, c'est-à-dire les Autochtones, il y a les baies qui constituent une source de nourriture essentielle à la faune, et l'exploitation de ces ressources à des fins de subsistance, et pas nécessairement pour leur valeur pécuniaire. J'ai vu mes deux premiers colverts samedi après-midi. Quelle valeur peut-on y rattacher?

S'il est question d'indemnisation et de coopération, eh bien, je ne sais quelle proportion des terres canadiennes sont des terres publiques, mais je pense qu'il convient d'y réfléchir un peu. J'aimerais bien savoir ce que vous en pensez.

M. Peter Pearse: Vous soulevez une question très importante, c'est-à-dire la mesure dans laquelle les dispositions d'indemnisation devraient s'appliquer aux terres publiques au Canada. Il ne fait aucun doute que la plupart des terres au Canada sont des terres publiques, et la majorité de nos grandes industries primaires misent sur leur droit d'utiliser les terres publiques, plutôt que de terres privées qui devraient, d'après ma recommandation, être les seules à faire l'objet du régime d'indemnisation de la Loi sur les espèces en péril.

Si je propose que les utilisateurs de terres publiques soient exclus—en fait, je ne propose pas l'exclusion de tous les utilisateurs, seulement de ceux qui utilisent les terres publiques—c'est parce que cette politique sur les espèces empiriques au Canada est censée reposer sur la collaboration entre les administrations provinciales, fédérale, et territoriales. Ces dernières s'engagent à adopter des règlements et politiques visant à protéger les espèces en péril au Canada, et ce pour respecter les obligations internationales du Canada.

La Loi sur les espèces en péril confie au gouvernement fédéral certaines responsabilités à cet égard, dans la mesure où l'habitant critique se trouve dans des terres fédérales, dans des eaux visées par la Loi sur les pêches, dans des zones de passage des oiseaux migrateurs, ou dans d'autres secteurs qui relèvent de la responsabilité fédérale. Au Canada, la très grande majorité des terres relèvent directement de la responsabilité des administrations provinciales et territoriales, et dans une certaine mesure, des gouvernements autochtones, dont tous s'engagent à protéger les espèces en péril.

Aux termes de la loi, le gouvernement fédéral est habilité à appliquer des restrictions réglementaires à des terres provinciales et territoriales qui donnent lieu à une indemnisation, là où le ministre est d'avis que les mesures de protection prises par les administrations territoriales et provinciales sont insuffisantes. Dans ce contexte, il serait illogique que le gouvernement fédéral, ayant déterminé que l'action d'un gouvernement provincial ou territorial est insuffisante, décide de lui verser une indemnisation. Mon rapport recommande ainsi que les provinces et les territoires ne bénéficient d'aucune indemnisation lorsque les mesures de protection sont jugées insuffisantes.

L'autre question qu'il reste à régler est celle-ci: qu'en est-il des utilisateurs privés des terres publiques provinciales et territoriales? Là j'ai recommandé que ceux-ci soient indemnisés chaque fois qu'il y a empiétement sur une terre qui fait l'objet d'un intérêt juridique. Dans bien des cas au Canada, les industries primaires mènent leurs activités selon diverses formules—permis, concessions, etc.—qui n'accordent aucun intérêt dans la terre proprement dite. De fait, les gouvernements provinciaux savent fort bien qu'il s'agit d'instruments très fragiles du point de vue de la protection des droits. Même certaines formes de droits de longue durée, notamment dans le secteur forestier, ne confient pas aux utilisateurs un intérêt dans la terre; il les autorise à couper une certaine quantité de bois d'oeuvre dans une certaine zone et durant une certaine période.

• 1305

Dans de tels cas, les gouvernements provinciaux eux-mêmes décident fréquemment d'imposer des restrictions réglementaires en vue de protéger les ressources halieutiques, l'eau, la faune, le caractère esthétique de la zone concernée, etc., sans pour autant jamais offrir d'indemnisation. Il ne s'agit pas d'un empiétement en droit. Le contrat qu'il signe ne met pas le titulaire à l'abri d'interventions gouvernementales.

En l'occurrence, comme je viens de le dire, là où les droits contractuels ou juridiques ne sont pas atteints, il ne doit pas y avoir d'indemnisation. Par contre, s'il y a atteinte à un intérêt juridique, une indemnisation s'impose. Je recommande ainsi que les titulaires de droits privés, et non pas le propriétaire des terres concernées, soient indemnisés.

M. Rick Laliberte: Du point de vue indemnisation, avez-vous tenu compte du chapitre 11 de l'ALENA? Certaines de ces sociétés d'État mènent des opérations multinationales de grande envergure. Si l'on décide d'invoquer l'ALENA, c'est leur argent et leurs revenus qui seront touchés en raison de ces mesures. Avez-vous tenu compte de cela?

M. Peter Pearse: Oui, effectivement. Je regrette d'avoir à vous dire que le chapitre 11 constitue un texte juridique très complexe, si bien que je ne peux pas vous donner de réponse définitive à cet égard. Je peux vous dire, cependant, que d'après ce que j'ai pu comprendre, le chapitre 11 concerne surtout l'expropriation des biens immobiliers. Ce n'est pas de ça qu'il s'agit ici. Il pourrait éventuellement s'agir de cela si une intervention réglementaire était jugée correspondre à une expropriation, pour reprendre les termes de l'ALENA. Mais de façon générale, nous parlons de réglementation dont l'impact ne correspond pas tout à fait à celui d'une expropriation.

M. Rick Laliberte: Pourrais-je demander à nos deux témoins de s'attaquer à cette question-là? Peut-être qu'on devrait envisager plus d'un modèle pour régler le problème de l'indemnisation. Chez nos voisins du Sud, il y a énormément de terres publiques qui font l'objet de droits, comme nous l'avons sur par l'entremise de différents dossiers. Dans le Nord, ce n'est pas nécessairement le cas.

Moi je suis d'une région où les villages sont séparés les uns des autres par une distance de 100 à 200 kilomètres. Personne n'a jamais vécu parmi nous; nous sommes les seuls à avoir habité ces terres. Maintenant on se heurte à un problème: nous n'avons pas d'intérêt en droit dans ces terres. Nous n'avons pas non plus droit à une indemnisation. Dans le Sud, les terres publiques exploitées à des fins agricoles sont utilisées depuis plusieurs centaines d'années déjà, mais dans le Nord, c'est tout à fait différent. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait envisager une autre approche en matière d'indemnisation dans le Nord, par rapport au Sud?

M. Peter Pearse: Quand vous parlez des gens qui y habitent, je présume que vous parlez des peuples autochtones.

M. Rick Laliberte: Eh bien, je parle de tout le monde—de tous ceux qui vivent dans le Nord et qui n'ont pas nécessairement de droits dans un bien-fonds. Ils habitent des villages, mais ils vivent de la terre. Vous savez, la vie n'émane pas des canalisations d'eau et des égouts installés dans nos collectivités. Ces choses-là existent simplement pour nous fournir des services publics. Mais la vie émane de la terre, des eaux, de l'air. Comment définir cela? On essaie de tout réduire à l'aspect pécuniaire, mais j'essaie de vous expliquer que dans le Nord, l'aspect pécuniaire n'est pas nécessairement l'aspect le plus important.

Pour ce qui est du problème de l'indemnisation, les transactions immobilières ne sont pas très fréquentes dans nos localités. Nos banques ne veulent pas entendre parler d'hypothèques. C'est un environnement complètement différent, et il serait peut-être bon qu'on examine la question de l'indemnisation et des mesures coopératives sous un angle tout à fait différent.

M. Peter Pearse: Je vous ai demandé si vous parliez surtout des intérêts des peuples autochtones parce que mon rapport englobe une section qui concerne d'importantes modalités spéciales touchant les terres autochtones.

Mais je recommande également dans mon rapport, de façon générale, que...

M. Rick Laliberte: Permettez-moi de vous donner un autre exemple.

Le président: Ce sera votre dernière question.

M. Rick Laliberte: Oui.

Prenons l'exemple des puits de carbone. On s'intéresse beaucoup aux puits de carbone à cause du Protocole de Kyoto. Les puits de carbone se trouvent forcément dans les terres aménagées, si bien que les entreprises qui ont les grandes concessions forestières sont celles qui ont tout le crédit pour ce genre de phénomène. Les grandes compagnies comme Weyerhaeuser et Tolko—ce sont elles les titulaires des concessions d'aménagement forestier—semblent être tout à fait prêtes à s'en attribuer tout le crédit.

• 1310

Ce que j'essaie de vous dire, c'est que bon nombre de ces utilisateurs traditionnels des terres, bon nombre de villages, ont la possibilité d'utiliser les terres, ou devraient pouvoir influencer l'utilisation des sols, si vous voulez, tout comme les comtés et les municipalités rurales du Sud. Dans le Nord, ça n'existe pas. Peut-être qu'on devrait donc justement tenir compte de cette différence de structure.

Essayer d'appliquer une solution conçue pour le Sud à un environnement du Nord ne marche pas, et c'est pourtant cela qu'on semble proposer en ce qui concerne l'indemnisation.

M. Peter Pearse: Je sais que c'est une opinion qu'on entend fréquemment. Je suis certainement sensible à la tendance des autorités à vouloir appliquer aux territoires des règlements et formules qui sont plutôt conçus pour le contexte provincial. Il ne fait aucune doute que cela présente certaines difficultés.

À cet égard, j'insiste cependant sur le fait que mon rapport recommande que seules les personnes dont les droits juridiques sont violés—et pas les autres—bénéficient d'une indemnisation. De nombreux intervenants ont fait valoir, toutefois, qu'il faudrait indemniser non seulement les propriétaires fonciers, mais aussi les travailleurs des industries et collectivités qui subissent un préjudice.

Mais que je sache, il n'existe aucun précédent en droit d'expropriation, ni dans aucun autre droit, qui justifierait que des personnes autres que celles dont les droits de propriété sont violés bénéficient d'une indemnisation. Cela ne veut pas dire que ces collectivités, ces travailleurs et d'autres ne subissent pas pour autant un préjudice, comme nous l'avons observé dans le domaine agricole et dans le secteur des pêches au Canada. Mais il me semble que ces problèmes-là nécessitent une aide gouvernementale, qui ne devrait pas pour autant prendre la forme d'une indemnisation. Il devrait plutôt s'agir d'une aide économique en vue de faciliter la transition d'une aide à la formation ou de ce genre de choses.

Le président: Merci, monsieur Laliberte.

J'ai quelques questions à poser aux témoins. Dans votre liste des 10 commandements, professeur Pearse, votre quatrième point fait mention de «sacrifices extraordinaires». Pourriez-vous nous définir le terme «extraordinaires»?

M. Peter Pearse: Mon point de départ était la définition du terme qu'on retrouve dans le dictionnaire, c'est-à-dire inhabituelle et remarquable.

Mes réflexions sur la question m'ont amené à proposer le chiffre de 10 p. 100. C'est-à-dire que si la propriété d'une personne subie une perte de valeur de plus de 10 p. 100, par rapport à la valeur globale de cette dernière, j'indique qu'à mon sens, il s'agit là d'un impact important qui devrait donner lieu à une indemnisation.

Le président: Et un technicien de quelle discipline devrait être appelé à déterminer que les 10 p. 100 sont atteintes?

M. Peter Pearse: Ce travail devrait être fait par des évaluateurs professionnels et indépendants.

Le président: Merci.

Vous avez parlé tout à l'heure de la nécessité d'éviter que le régime d'indemnisation proposé ne nuise aux efforts de collaboration. Je pense que là vous soulevez un point très important. En fait, plus j'entends vos arguments à cet égard, moins j'ai tendance à appuyer le principe de l'indemnisation. C'est une sensation agréable que de se dire qu'on est propriétaire foncier, et c'est vrai jusqu'à un certain point, mais c'est également une illusion, si on pousse ce concept jusqu'au bout de sa logique. Le fait est que les terres n'appartiennent à personne en réalité. Mais là je risque de lancer une discussion qui frise la politique, et il faut surtout éviter de polluer l'air dans ce comité.

• 1315

Je préfère donc vous demander ceci: si l'on ne prévoyait aucune indemnisation, ce projet de loi serait-il mieux accueilli? À ce moment-là, rien ne risquerait de nuire aux efforts de collaboration.

M. Peter Pearse: Votre conclusion me semble tout à fait juste. Je serais le premier à reconnaître qu'on pourrait avancer de très solides arguments, en se fondant sur des politiques gouvernementales de longue date qui sont bien établies, pour justifier l'absence totale d'indemnisation. On pourrait aussi faire valoir de bons arguments en faveur d'une indemnisation intégrale.

Nous parlons ici d'un changement de politique, et à cet égard, j'exhorte le gouvernement à faire preuve de prudence en redéfinissant sa politique. Certains sont d'avis que je suis trop prudent, alors que d'autres estiment que ce que je propose est trop généreux. À mon sens, le partage des pertes importantes, jusqu'à concurrence de 50 p. 100 répond aux critères énoncés dans la loi. C'est un pourcentage considérable, mais pas assez pour compromettre les encouragements à la collaboration.

Monsieur Caccia, vous faites justement allusion à la tâche la plus difficile et délicate du travail qui n'a été confié. Dans le cadre de mon étude, lorsque je discutais avec les intervenants de cette question précise, j'avais l'impression que pour eux, il s'agissait d'un principe qu'ils considéraient isolément. Je me voyais sans arrêt dans l'obligation de leur rappeler le contexte plus large—c'est-à-dire la tradition, les politiques établies, et toutes les petites nuances qui sont rattachées à cette disposition d'indemnisation—et surtout le fait que si cette loi est efficace, tout cela sera sans importance. Si nous réussissons à mettre en oeuvre une politique qui donne de bons résultats, nous n'aurons pas recours à toutes ces interventions obligatoires qui donnent lieu à l'indemnisation.

Ce serait, d'ailleurs, de l'avis de tous, une bien meilleure idée. Ce serait tellement préférable de conserver l'encouragement à collaborer et de donner la priorité à cette approche-là, plutôt que d'avoir à recourir à la réglementation et à l'indemnisation.

Il s'agit d'un compromis, un compromis qui cherche à équilibrer des intérêts contradictoires. Comme je vous l'ai déjà dit, cet aspect-là a constitué sans aucun doute l'aspect le plus difficile de mon travail.

Le président: Mais ne pensez-vous pas que vous avez mis le doigt sur le véritable enjeu dans la dernière phrase que vous avez prononcée en réponse à M. Laliberte? Vous disiez qu'en réalité, au lieu d'indemniser les gens, le rôle des gouvernements devrait consister à créer des programmes et à prendre des initiatives afin d'aider ceux qui sont touché par une certaine mesure, afin qu'ils puissent bien faire la transition vers une autre activité, qu'ils bénéficient d'un certain revenu et qu'ils peuvent trouver un emploi dans un autre secteur?

M. Peter Pearse: Oui, absolument.

Le président: Ne s'agit-il pas là de la solution du problème que vous venez de définir?

M. Peter Pearse: Oui, et je suis bien content que vous ayez soulevé la question. J'ai l'impression que j'aurais dû en parler tout à l'heure.

Dans bien des cas, l'indemnisation devrait prendre des formes autres que pécuniaires. C'est d'autant plus vrai pour les peuples autochtones, d'ailleurs—et c'est justement ce que j'affirme dans la partie de mon rapport qui traite des dispositions spéciales pour les peuples autochtones; mais il en va de même pour d'autres propriétaires privés, les peuples non autochtones et des entreprises qui dépendent des industries primaires.

Par exemple, les agriculteurs ont souvent fait valoir que même une indemnisation intégrale pour une portion de terrain qu'ils ne peuvent plus utiliser ne compense pas complètement leur perte du point de vue de la viabilité de toute l'opération agricole, et qu'ils préféreraient ainsi que cette compensation prenne la forme d'accès à d'autres terres. Les compagnies forestières avant le même argument. Au lieu de recevoir une indemnisation pécuniaire, elles préféreraient de loin être compensées sous forme d'accès à d'autres zones d'exploitation forestière, de façon à pouvoir conserver l'intégrité de leurs opérations ou de leur entreprise.

• 1320

J'ai donc fini par recommander qu'il n'y ait pas de restriction quant aux formes que pourrait prendre la compensation. Mais d'après les principes de l'expropriation, d'après ce que j'ai pu comprendre, le gouvernement doit normalement offrir d'abord un règlement en espèces. Ensuite, si les deux parties sont d'accord, elles peuvent discuter entre elles et opter pour un règlement de valeur égale qui prendrait une autre forme. Dans bien des cas, il me semble que les parties concernées pourraient préférer cette solution-là.

Le président: Qu'arriverait-il aux propriétaires fonciers qui négocient une compensation mais qui continuent à mener leurs activités, et qui ne respectent donc pas les dispositions de la loi? Quel serait le rôle du ministre à ce moment-là?

Supposons qu'une province n'applique pas les dispositions de la loi parce que le ministre fédéral a l'autorisation mais non pas l'obligation de faire appliquer le projet de loi C-5. Il pourrait arriver qu'une province reste complètement inactive. Qu'arriverait-il à ce moment-là?

M. Peter Pearse: Examinons le premier cas, c'est-à-dire qu'une entreprise cause un préjudice à un habitat critique et qu'un règlement soit adopté pour l'empêcher de le faire. Supposons que l'on conteste ce règlement devant les tribunaux, et que l'entreprise continue entre-temps à causer un préjudice à l'habitat en question. Il s'agirait alors de savoir si l'entreprise peut faire l'objet de poursuites alors qu'elle négocie ou essaie de conclure un marché. Beaucoup d'intervenants m'ont vivement encouragé à faire en sorte qu'ils ne puissent faire l'objet de poursuite durant la période où ils étaient en négociation ou essaient de conclure un marché.

Dans mon rapport, je rejette cette formule et j'indique qu'elle me semble tout à fait imprudente et inadéquate, puisqu'elle encouragerait de longues négociations et des poursuites judiciaires interminables, du moins elles pourraient avoir cet effet. Elle favoriserait ce genre de choses, ce qui ne me semble pas approprié.

Je recommande donc dans mon rapport que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire dans ce domaine, de sorte que si l'entreprise en question posait un grave préjudice à un habitat critique, il puisse entamer des poursuites, après avoir donné l'avis nécessaire, même s'il n'y avait pas encore de règlement définitif.

Le deuxième cas que vous mentionnez, monsieur Caccia, concerne une situation où une province déciderait de ne pas respecter la loi. En réalité, ce cas n'est peut-être pas tout à fait hypothétique, étant donné que les provinces ont des positions fort différentes sur la question. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'exhorte le gouvernement à faire preuve de prudence en appliquant ces dispositions.

La loi autorise le gouvernement fédéral à prendre des mesures si les provinces ne le font pas, et donc pour répondre à votre question, je suppose que rien dans ce projet de loi n'empêcherait le ministre fédéral de prendre toutes les mesures qu'il juge nécessaires pour protéger l'habitat critique lorsqu'une province refuse de collaborer.

Je pense que l'aspect qui vous intéressait le plus concernait son pouvoir discrétionnaire, et le fait de savoir s'il devrait être tenu d'intervenir plutôt que d'avoir le pouvoir discrétionnaire d'intervenir.

En réalité, je ne sais pas. Le Canada est un pays tellement compliqué sur le plan politique qu'une loi peut parfois finir par vous lier les mains. Je n'ai donc pas vraiment d'opinion sur la question.

Le président: Merci beaucoup, vos commentaires étaient très utiles.

J'ai l'impression que M. Mills, et peut-être d'autres collègues aussi, voudraient un deuxième tour.

• 1325

Monsieur Mills, pourrais-je vous demander d'occuper le fauteuil quand vous aurez fini de poser vos questions. Je dois aller à la Chambre pour discuter du Règlement. Allez-y.

M. Bob Mills: Je voudrais vous citer quelques exemples réels. Un agriculteur de ma circonscription électorale, ou plutôt sa famille, possède un terrain depuis 104 ans. Depuis environ 80 ans, cet agriculteur protège presque 100 acres de son terrain en raison de sa beauté naturelle, de la présence de la faune, etc. Il fait tout cela sans bénéficier de compensation aucune—il n'obtient rien. Il adore ça. Il veut laisser tout cela à ses petits-enfants. Il craint, cependant, que cette nouvelle loi l'empêche quelque part de le faire, et il dit qu'il préférerait labourer le tout que de permettre au gouvernement de le prendre en charge.

J'ai un autre exemple à vous citer de l'époque où j'ai travaillé pour le Service canadien de la faune en tant que biologiste de terrain responsable du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta. Pendant l'hiver, nous préparions une représentation graphique des aires de reproduction des canards et des voies, et l'été, nous offrions un chèque aux agriculteurs pour éviter qu'ils prennent leur foin ou fassent quoi que ce soit à l'habitant avant une certaine date. Ces agriculteurs étaient indemnisés; on leur remettait un chèque sur-le-champ lorsqu'ils signaient l'entente. Ils étaient contents, la faune pouvait se reproduire, et tout allait bien.

Une table ronde était tenue samedi dans une localité rurale, pas dans ma circonscription électorale, mais tout près, et un bureaucrate représentant le gouvernement nous a dit: «Le projet de loi C-5 est sur le point d'être adopté, c'est comme ça que ça va être, et il n'y aura pas d'indemnisation, parce que le gouvernement peut procéder par voie réglementaire». Vous pouvez vous imaginer la réaction des 90 agriculteurs qui étaient dans la salle, lorsqu'ils ont entendu les propos de ce fonctionnaire au sujet du projet de loi C-5. Voilà le message qu'on communique aux gens.

Il me semble, étant donné que tout sera précisé dans la réglementation et qu'on ne sait pas trop ce que tout cela veut dire, que... Vous savez, si l'on doit tout préciser dans la réglementation, c'est comme si on nous disait: «Faites-nous confiance, nous sommes le gouvernement». Si l'on précise tout dans le projet de loi proprement dit, au moins c'est clair et net pour tous et les agriculteurs sauront à ce moment-là, «Oui, il va y en avoir», ou «Non, il n'y en aura pas».

Comme je les connais assez bien, si l'on décide qu'il n'y en aura pas, j'entrevois déjà la réaction des gens. Ce sera comme aux États-Unis. Nous aurons une loi qui ne donne rien, et qui ne permettra certainement pas de protéger les espèces en péril.

Elle est aussi importante que cela, cette question d'indemnisation, à mon avis. Qu'on le veuille ou non, c'est ça le point de vue des gens sur le terrain.

M. Peter Pearse: Je voudrais réagir à votre remarque générale concernant la déformation des faits et la façon de communiquer le message. Comme vous, j'ai constaté que ce point de vue est très courant. Les propriétaires fonciers, exploitants de ranchs et agriculteurs de toutes les régions du pays sont très inquiets, en partie parce qu'ils ont vraiment été lésés ces derniers temps par les interventions réglementaires, d'origine plutôt fédérale que provinciale.

À maintes reprises, mes interlocuteurs m'ont dit: le gouvernement va nous prendre nos terres; mais en réalité, les formules qu'on m'a demandé d'élaborer doivent s'appliquer spécifiquement et explicitement à des situations où le gouvernement ne souhaite pas enlever des terres. Si le gouvernement enlève des terres à quelqu'un, il s'agit alors d'une expropriation, alors que ce n'est pas ça mon mandat. Je suis chargé de proposer quelque chose pour une situation où l'intéressé continuera d'être le propriétaire de son bien-fonds, mais fera l'objet de restrictions quant à l'usage qu'il peut en faire.

Une autre question du même ordre concerne votre exemple au sujet de la protection des marécages et de la sauvagine. Tout le monde s'accorde à reconnaître—surtout les gens des Prairies qui ont participé le plus directement à ces projets de protection des marécages et de la sauvagine—que le système que vous avez décrit correspond à l'idéal. Les gens devraient bénéficier de mesures d'encouragement et de paiements raisonnables pour avoir entrepris des projets dans l'intérêt du public. Tout le monde souhaite qu'il en soit ainsi. L'indemnisation dont on parle est censée constituer un dernier recours lorsque cela devient impossible—c'est-à-dire, s'il est impossible de conclure une entente, si les mesures d'encouragement sont insuffisantes, ou encore si les gens en veulent au gouvernement par principe et refusent de participer à quelque programme volontaire que ce soit. Ils auront donc plutôt tendance à vouloir lui mettre des bâtons dans les roues, auquel cas, en dernier recours—et on espère que cela arrivera rarement—le gouvernement exercera son droit d'imposer des restrictions par voie réglementaire et offrira une indemnisation aux intéressés afin de réduire leur charge.

• 1330

M. Bob Mills: Je suis d'accord, mais il s'agit de bien communiquer l'intention.

Le président: Mais la certitude de pouvoir toucher une indemnisation pourrait encourager les gens à faire preuve d'esprit de contraction.

M. Peter Pearse: Oui. Cela nous ramène à la nécessité d'éviter de compromettre l'incitation à la collaboration. On ne veut surtout pas instituer un programme qui encouragera les gens à préférer la restriction réglementaire, simplement pour toucher l'indemnisation. Nous avons déjà eu des programmes gouvernementaux qui favorisaient ce qu'on appelle dans les prairies «l'agriculture mercenaire».

Le président: Merci.

Monsieur Comartin, vous avez la parole.

M. Joe Comartin: Merci, monsieur le président.

Ayant lu votre rapport, professeur, je dois dire que je ne suis pas d'accord avec votre recommandation que les collectivités, par opposition aux propriétaires fonciers individuels, soient indemnisées. En même temps, j'essayais d'imaginer une situation hypothétique qui pourrait donner lieu à ce genre de chose—c'est-à-dire que la désignation des espèces en péril et la protection de l'habitat auraient une incidence très négative sur l'ensemble de la collectivité. J'ai eu beau chercher, je n'ai pas réussi à trouver une situation où cela pourrait vraisemblablement se produire. Est-ce parce que je manque de créativité? Est-il vrai que cela pourrait se produire si cette loi s'applique?

M. Peter Pearse: À mon avis, il faut bien se rendre compte que cela pourrait se produire, et bien des experts vous diraient même que c'est probable. Si vous avez des doutes à ce sujet, je vous encourage à examiner l'expérience des États-Unis relativement à la chouette tachetée. Il y a des zones entières de la région du nord-ouest du Pacifique aux États-Unis où certaines localités ont subi de graves préjudices en raison de l'invocation par les autorités américaines des droits que leur confère la Endangered Species Act afin de protéger la chouette tachetée. Des collectivités entières ont assisté à la disparition de leur base économique et ont beaucoup souffert à cause de cela.

Il existe certaines espèces au Canada, qui se trouvent dans l'une ou l'autre catégorie selon la mesure dans laquelle elles sont menacées, sont un peu semblables en ce sens qu'il leur faut de vastes zones d'habitat pour être protégées. Dans ma province, nous avons le caribou des forêts. Je peux vous dire que l'industrie forestière de la Colombie-Britannique est très inquiète devant la perspective d'avoir à protéger le caribou des forêts, dont l'aire de distribution géographique est extrêmement vaste. Elle a absolument besoin du bois des grandes forêts anciennes et serait tenue de mettre en oeuvre des mesures de protection qui risqueraient de compromettre leur accès à la ressource.

Je pense qu'il y a d'autres exemples de situations qui pourraient donner lieu à un bouleversement social considérable. Cela pourrait même se produire dans le secteur des pêches. Je ne crois pas que ce soit exagéré de croire que la perturbation de l'activité pourrait être très grave dans certains cas.

Voilà qui m'amène, monsieur Comartin, à profiter de votre question pour vous encourager à tenir compte d'un autre élément. J'ai déjà dit que les gouvernements doivent faire preuve de prudence dans ce domaine. Selon mes observations, le gouvernement fédéral n'avait vraiment pas une idée bien précise de l'étendue du problème. Ayant parlé à certains experts de la faune au Canada, à l'extérieur de la ville d'Ottawa, je peux vous dire que nombreux sont ceux qui considèrent le travail de protection d'un nombre croissant d'espèces en péril comme un défi de taille. Cette question risque effectivement d'être très problématique.

Que je sache, nous n'avons pas de très bonnes statistiques. Le gouvernement ne dispose pas de bonnes informations sur l'étendue du problème ou sur le coût de tout cela. À mon avis, il faut avoir cette information en main avant que le gouvernement n'accepte à la légère le principe de l'indemnisation intégrale pour chaque éventuelle intervention. Ce problème pourrait avoir des conséquences importantes au Canada.

Le président: Monsieur Comartin, je vous donne la parole mais soyez bref, je vous prie.

• 1335

M. Joe Comartin: Je voudrais surtout faire un commentaire. Je dois partir pour prendre la parole au sujet d'un projet de loi, professeur, car sinon, j'aurais contester votre interprétation. D'après ce que je sais du dossier de la chouette mouchetée, d'abord, l'information qui circule actuellement n'est pas tout à fait juste puisqu'elle est surtout fondée sur des non- scientifiques, et deuxièmement, le ralentissement économique qui a touché l'industrie forestière de la région du nord-ouest du Pacifique n'avait rien à voir avec la chouette mouchetée. Je n'ai malheureusement pas le temps d'en discuter avec vous maintenant ou de vous trouver les études pertinentes. Mais nous pourrions peut-être en rediscuter à un moment donné.

Merci, monsieur le président.

Le vice-président (M. Bob Mills): Il n'y a plus de noms sur la liste. Est-ce que ça va pour tout le monde?

Je voudrais remercier nos invités pour leur présence.

Je suis convaincu, professeur Pearse, qu'au fur et à mesure que nous poursuivrons notre étude du projet de loi, nous aurons tous des questions à vous soumettre et des conseils à vous demander. Encore une fois, nous avons tous beaucoup apprécié votre témoignage, qui a suscité énormément de débat. Je reviens à ma question de tout à l'heure—les communications me semblent être l'aspect le plus difficile de ce projet de loi, comme vous l'avez vous-même reconnu. Merci.

Je voudrais informer les membres du comité que la réunion qui devait se tenir après la période des questions a été annulée. Nous nous réunirons donc demain. Cependant, il n'y aura pas de réunion lundi prochaine. Cette réunion-là a été reportée au 29 mai. Mais de toute façon, vous recevrez l'avis à vos bureaux.

La séance est levée.

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