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ENVI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 26 avril 2001

• 0904

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.)): La séance est ouverte.

Je souhaite la bienvenue à nos témoins de ce matin. Nous allons entendre Dale Gibson, de l'Université de l'Alberta, et Magdalena Muir et Tamra Thomson, de l'Association du Barreau canadien. Si je comprends bien, monsieur Gibson, c'est vous qui allez parler le premier, et vous serez suivi par Tamra Thomson, puis par Magdalena Muir.

Merci et soyez les bienvenus.

M. Dale Gibson (Loi constitutionnelle, Université de l'Alberta): Puis-je commencer?

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): allez-y.

M. Dale Gibson: Bien.

Lorsqu'à l'âge de huit ans, on m'a appris pour la première fois à parler en public, on m'a dit de ne jamais m'excuser au début de mon exposé, mais j'ai cependant ici deux excuses à vous faire. La première, c'est que ma documentation n'a été rédigée qu'en anglais et qu'il me faudra donc attendre avant de vous la remettre. La deuxième, c'est que j'ai un avion à prendre et qu'il vous faudra m'excuser si je dois m'éclipser, probablement avant la fin de la séance. Je vous présente toutes mes excuses.

• 0905

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): À quelle heure devez-vous partir?

M. Dale Gibson: J'espère pouvoir partir vers 10 h 30.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Très bien. Je propose en conséquence que ceux qui ont des questions à poser à M. Gibson le fassent avant 10 h 30.

M. Dale Gibson: Je vous en serais très reconnaissant, madame la présidente. Je vous remercie.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Merci.

M. Dale Gibson: Madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, je suis professeur en droit constitutionnel. Par ailleurs, je pratique assez régulièrement dans ce domaine.

Au cours des années, j'ai beaucoup étudié et beaucoup commenté les interactions entre la Constitution et l'environnement et, à plusieurs reprises, pour des raisons diverses, j'ai été amené à m'intéresser justement à cette question des espèces en péril.

En 1997, j'ai comparu devant votre comité au sujet du projet de loi qui a précédé celui-ci, et j'avais indiqué à l'époque que ce projet de loi semblait partir d'une évaluation trop modeste des pouvoirs constitutionnels du gouvernement et du Parlement du Canada. Je continue à penser que la Constitution confère au Parlement et au gouvernement du Canada des pouvoirs constitutionnels très étendus qui doivent leur permettre de traiter dans tous les domaines de la question des espèces en péril.

Depuis mon intervention de 1997, la loi a été modifiée et j'ai moi aussi travaillé la question. J'ai fait parvenir au greffier, à votre intention, deux études que j'ai réalisées depuis mon exposé en 1997, en collaboration avec d'autres intervenants, au sujet de la Loi sur les espèces en voie de disparition. J'ai eu l'insigne honneur de collaborer dans le cadre de ces études avec l'ancien juge de la Cour suprême du Canada, l'honorable Gérard La Forest qui, avant d'occuper cette fonction, était un grand spécialiste du droit constitutionnel, notamment dans le domaine de l'environnement.

Avec M. La Forest, et en compagnie d'un de mes assistants, nous avons rédigé deux études, que j'ai remises au greffier. La première porte sur «le pouvoir fédéral en matière de droit criminel et la protection fédérale des espèces en voie de disparition», et l'on y examine dans quelle mesure il est possible de faire appel au pouvoir exercé en matière criminelle dans le cadre de cette législation. On y conclut que ce pouvoir confère une très large compétence constitutionnelle au gouvernement fédéral. La deuxième porte sur «les pouvoirs constitutionnels en matière de protection fédérale des oiseaux migrateurs, d'autres espèces transfrontalières ainsi que de leur habitat dans le cadre de la Loi sur les espèces en voie de disparition».

Cette deuxième étude traite de la Loi sur la Convention des oiseaux migrateurs et l'on y conclut que la loi confère là aussi des pouvoirs très étendus, non seulement sur les oiseaux migrateurs, mais aussi sur toutes les espèces qui traversent les frontières, qu'elles soient internationales ou interprovinciales.

En plus de ces études effectuées en 1999, j'ai par ailleurs rédigé tout récemment trois avis juridiques de moindre ampleur, qui ne sont pas tout à fait terminés et qu'avec votre autorisation je ferai parvenir dans une semaine ou deux au comité une fois que j'aurai mis la dernière main aux textes.

L'un de ces avis complémentaires renvoie à la Convention sur les oiseaux migrateurs et traite des effets du protocole. Vous n'ignorez pas qu'un protocole a été ajouté à la convention originale, et j'en ai examiné les répercussions. Plus précisément, j'ai cherché à savoir si, éventuellement, ce protocole affaiblissait les pouvoirs dont disposait à l'origine le Parlement en vertu de l'article 132 de la Loi constitutionnelle. J'en ai conclu qu'il n'y avait aucun affaiblissement de ce pouvoir, et vous en trouverez les raisons dans le rapport que je vous communiquerai bientôt.

• 0910

La deuxième de ces mini-études s'intitule «Different Strokes for Different Folks» et porte sur la possibilité d'appliquer une réglementation différente aux différentes régions du pays. Je connais le principe selon lequel il faut que le Parlement applique des normes uniformes dans tout le pays. L'étude de la jurisprudence me fait dire qu'il n'en est rien. La Cour suprême du Canada a statué à plusieurs reprises que le Parlement canadien pouvait effectivement faire appliquer des normes différentes selon les régions du pays.

Il y a des limites, bien entendu. La charte empêche que l'on fasse preuve de discrimination mais, si l'on respecte ces limites, que la Cour suprême a interprétées de manière très libérale, je conclus qu'il est possible de mettre en application des normes très diverses, tant en vertu du pouvoir que confère le droit criminel qu'au titre des divers pouvoirs dont peut se réclamer le Parlement en vertu de la Constitution.

Dans la troisième des mini-études que je vais vous faire parvenir dans une quinzaine de jours, j'examine plus précisément la question du droit criminel en ce qui a trait au projet de loi C-5, la Loi sur les espèces en péril. Cette étude a été faite avec M. La Forest au sujet du projet de loi C-33, ou éventuellement de l'un de ses prédécesseurs, mais il s'agissait de toute façon d'une législation antérieure, et je me suis donc précisément penché sur le projet de loi C-5 pour savoir quels étaient les problèmes susceptibles de se poser dans ce cas. J'ai relevé certaines difficultés. Je considère que la façon dont la loi a été formulée entraîne des risques sur le plan constitutionnel, et c'est la question que je tiens à évoquer aujourd'hui.

Cette introduction étant faite, je vais donc procéder rapidement à mon exposé.

Je l'ai répété à maintes reprises et je suis sûr que vous connaissez mes arguments, de sorte que je vais en dresser rapidement la liste. Le gouvernement fédéral peut se réclamer de nombreux chefs de compétence pour traiter des espèces en péril. Les pouvoirs dont il dispose en vertu du droit criminel constituent un chef de compétence de première importance. Les pouvoirs sur les pêches dont il dispose en vertu des dispositions du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle lui procurent aussi une compétence très large.

Il y a aussi un troisième pouvoir, que la doctrine évoque moins souvent, c'est le pouvoir exercé en vertu de la propriété publique aux termes du paragraphe 91(1A), que l'on peut invoquer pour toute propriété fédérale. J'imagine qu'il y a aussi par extension le pouvoir découlant du paragraphe 91(24), qui confère au Parlement une large compétence sur les terres réservées aux Indiens.

La Loi sur la Convention des oiseaux migrateurs et un ou deux autres traités anciens peuvent être mis en application par le Parlement et par le gouvernement fédéral en vertu des dispositions de l'article 132 de la Loi constitutionnelle et, je vous le répète, j'ai effectivement conclu dans l'une de ces petites études que ce pouvoir reste toujours d'actualité et est très important.

Enfin, il y a un pouvoir que bien des gens hésitent à invoquer et qui, à mon avis, est peu indiqué dans certaines circonstances, c'est celui de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement, un pouvoir résiduel que le gouvernement fédéral peut invoquer sur des questions qui ne relèvent pas expressément d'autres pouvoirs.

À mon avis, le pouvoir relevant de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement permet au gouvernement du Canada de faire appliquer les traités qui ne sont pas visés par l'article 132—en l'occurrence les traités les plus récents. C'est ainsi que l'on peut faire appliquer à mon avis la Convention de Rio en se réclamant du pouvoir exercé en vertu de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement. J'ai évoqué la question dans des études antérieures. En second lieu, je considère que le pouvoir relatif à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement confère une large compétence sur toutes les espèces transfrontalières et qu'il permet en outre de traiter des cas d'urgence nationale ce qui, à mon avis, est le cas des situations d'urgence en matière écologique.

• 0915

Tous ces pouvoirs sont très forts. Certains d'entre eux font l'objet de controverses, notamment celui de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement, sur lequel les opinions sont partagées. Je dois reconnaître que M. La Forest ne le considère pas d'application aussi générale que moi, tout en reconnaissant cependant son importance. Laissons toutefois de côté le pouvoir qui a trait à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement, qui est sujet à controverses. Il n'en reste pas moins que certains des pouvoirs que je viens d'évoquer ont une très grande force. Les pouvoirs qui s'exercent en matière criminelle, sur les pêches et en vertu des traités de l'empire au titre de l'article 132 ont une application très étendue.

La loi a quelque peu évolué par rapport aux rédactions antérieures. À certains égards, il m'apparaît que l'on a apporté certaines améliorations. On s'inspire un peu plus du pouvoir exercé en matière criminelle pour justifier l'application de normes discrétionnaires. D'autre part, et je suis sûr que de nombreux témoins vous en ont parlé—je ne vais pas vous ennuyer avec ça—le projet de loi a été affaibli sur un certain nombre de points alors qu'il n'était déjà pas très solide au départ.

Je voudrais ce matin consacrer les quelques minutes qui me restent à évoquer deux lacunes qui me paraissent les plus marquantes. Tout d'abord, dans le projet de loi C-5 qui est proposé, on n'adopte pas des positions très fermes sur les espèces qui se trouvent sur les terres provinciales ou territoriales, à moins qu'il s'agisse d'espèces aquatiques ou d'oiseaux migrateurs. Je considère qu'il s'agit là d'une interprétation bien trop restrictive des pouvoirs constitutionnels fédéraux, ou du moins d'un point de vue trop limité. En second lieu, la loi se montre très timorée en ce qui a trait à la protection de l'habitat essentiel où qu'il soit, même sur les terres fédérales.

Les lacunes que j'évoque au sujet de ce projet de loi se trouvent essentiellement aux articles 34, 35, 58 et 61. Je ne les examinerai pas toutes—du moins en détail—mais l'article 34 est très représentatif.

Souvenez-vous que les articles 32 et 33 prononcent au départ des interdictions très générales en ce qui a trait au préjudice infligé aux espèces en péril et à leur résidence. C'est alors qu'à l'article 34 on prévoit immédiatement une restriction très importante en ce sens que, si l'on ne se trouve pas sur des terres fédérales, l'intervention ne peut se faire que si un décret du pouvoir exécutif l'autorise.

On retrouve le même genre de restriction à l'article 35 pour ce qui est des terres territoriales. Bien entendu, il n'y a absolument aucune raison en droit constitutionnel de se préoccuper de la compétence des territoires, même s'il peut très bien y avoir une raison politique. Quoi qu'il en soit, on agit à l'article 35 sur le même principe que celui qui a été adopté pour les provinces.

Pour ce qui est de l'habitat essentiel, même si l'on prévoit à ce sujet des mesures importantes, on affaiblit là encore considérablement la portée des articles 58 et 61 en soumettant leur application à un décret du pouvoir exécutif—non pas à titre exceptionnel, mais pour que leurs dispositions puissent venir s'appliquer au départ.

• 0920

Si, pour des raisons politiques, le gouvernement du Canada a choisi de mettre en oeuvre une loi de faible portée, je n'ai rien à y redire en tant que spécialiste du droit constitutionnel, même si je le déplore en tant que citoyen. Ce que je crains, c'est que ceux qui sont chargés de conseiller le gouvernement lui aient laissé entendre qu'il n'a pas une compétence suffisante en vertu de la Constitution pour aller plus loin. C'est à ce moment-là qu'il me faut intervenir en tant que spécialiste du droit constitutionnel pour dire que cette prudence est malvenue. Cette compétence est en fait très étendue à mon avis.

L'autre reproche que je ferai à la loi a trait à la technique que je viens de décrire. En l'occurrence, on interdit certains agissements, on en fait un délit, et soudainement on nous dit que ce délit n'est constitué qu'à partir du moment où le pouvoir exécutif déclare que cela s'applique à telle ou telle région du pays. J'ai peur qu'en procédant ainsi, en cherchant à se réclamer du pouvoir établi en vertu du droit criminel, on remette justement en cause la possibilité de faire appel à ce pouvoir. Plus précisément, lorsqu'on prononce une interdiction de cette manière—en affirmant que telle ou telle chose va être interdite à condition que le pouvoir exécutif déclare qu'elle va l'être dans certaines régions du pays—on court un grand risque, à mon avis, que la Cour suprême du Canada déclare que l'on ne fait pas appel ici au droit criminel, mais au droit administratif et qu'il s'agit d'une réglementation.

C'est l'un des sujets traités dans l'une des études que j'ai rédigées en compagnie de M. La Forest et, si cela ne vous ennuie pas trop, je vais vous demander de m'accorder encore quelques minutes de votre temps pendant que je vous lis deux paragraphes tirés de cette étude, que vous avez devant vous, parce qu'ils portent précisément sur cette question.

Excusez-moi, j'ai fait une petite erreur. Je vais vous lire un passage de l'une des études que je vais vous faire parvenir dans deux semaines et qui cite l'étude La Forest.

À mon avis, ce sont là des applications douteuses du pouvoir reconnu au gouvernement fédéral en matière de droit criminel. Étant donné que des applications plus ou moins semblables du pouvoir discrétionnaire exercé par un ministère ont été jugées valides sur le plan constitutionnel dans l'affaire d'Hydro-Québec—la Cour suprême du Canada statuant sur une loi du même type—je n'irai pas jusqu'à dire que cela ne relève aucunement du pouvoir reconnu au Parlement du Canada en matière de droit criminel. N'oublions pas, cependant, que les avis étaient très partagés au sein de la Cour suprême dans l'affaire d'Hydro-Québec, puisque la constitutionnalité de la loi n'a été confirmée que par une majorité de cinq juges contre quatre.

De plus, il y a matière à soutenir que les interdictions constitutionnelles prononcées par le projet de loi C-5—et je demande au greffier de noter que j'ai fait une erreur dans mon mémoire, parce que j'ai mentionné le projet de loi C-33 alors que c'est bien le projet de loi C-5 que j'ai examiné—fait appel à une plus grande discrétion administrative et qu'il est donc de nature plus réglementaire et moins susceptible d'être jugé constitutionnel en vertu du pouvoir exercé en matière criminelle que la législation déclarée constitutionnelle par la Cour suprême du Canada dans l'affaire d'Hydro-Québec. Cela s'applique tout particulièrement à l'interdiction prononcée à l'article 61 au sujet de la destruction de l'habitat essentiel sur des terres non fédérales. Non seulement ces dispositions font appel à des considérations administratives assez complexes, mais en outre elles prévoient que le décret vient automatiquement à expiration tous les cinq ans—au paragraphe (5)—ce qui n'est pas une caractéristique que l'on retrouve habituellement dans les interdictions prononcées en matière criminelle.

Comme nous l'avons déclaré avec M. La Forest dans l'étude que nous avons faite en 1999, les difficultés de cette nature ne devraient pas exister. Il serait possible d'y remédier très facilement en prononçant une interdiction générale dans la loi, que viendrait tempérer un pouvoir administratif bien défini permettant de créer des exemptions.

Dire que le délit n'est constitué que si le pouvoir exécutif le déclare n'est pas du tout la même chose que de dire qu'il y a délit mais que le pouvoir exécutif peut prévoir des exemptions. Dans ce dernier cas, il ressort clairement de la jurisprudence qu'il n'y a aucun problème. Dans le premier, on peut fortement en douter—et c'est l'avis que j'ai émis en compagnie de M. La Forest dans l'étude que je vous ai remise.

• 0925

On peut comprendre, madame la présidente, que le gouvernement du Canada ait voulu éviter, dans le cadre de cette loi, des confrontations politiques, des consultations et des négociations provinciales et territoriales et des conflits constitutionnels inutiles. C'est tout à fait compréhensible. Je considère cependant qu'il serait sage de se lancer dans ces consultations et ces négociations en étant pleinement conscient de la portée des pouvoirs constitutionnels fédéraux et tout à fait résolu à s'en servir efficacement si nécessaire. Il m'apparaît tout à fait déplacé de faire appel au pouvoir le plus fort dont dispose le Parlement, en matière criminelle, de la façon contestable que je viens de décrire. Cela risque même de remettre en cause la constitutionnalité du projet de loi.

Teddy Roosevelt a dit un jour que l'on pouvait avancer à pas mesurés à condition d'avoir un gros gourdin à la main. Je comprends bien pourquoi le gouvernement du Canada veut avancer à pas mesurés dans ce domaine: il y a un certain nombre de compétences sensibles dont il faut tenir compte, et il est logique d'avancer à pas mesurés. Il m'apparaît illogique, cependant, de ne pas le faire en ayant à la main le gros bâton constitutionnel dont on est en droit de se prévaloir.

Voilà quels sont mes commentaires, et j'espère pouvoir répondre aux questions que vous voudrez bien me poser. Je vous remercie.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Merci, monsieur Gibson.

Madame Thomson.

Mme Tamra L. Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien): Merci, madame la présidente.

L'Association du Barreau canadien est très heureuse de se présenter aujourd'hui devant votre comité pour donner son point de vue sur ce projet de loi important. L'ABC est une association nationale qui représente plus de 36 000 juristes au Canada et qui s'efforce, entre autres, d'améliorer le droit et l'administration de la justice. C'est à ce titre que nous intervenons aujourd'hui devant votre comité.

Nous vous avons remis une lettre que nous avons rédigée au sujet du projet de loi C-5, ainsi que le mémoire remis en ce qui concerne le projet de loi C-33, qui l'a précédé. Étant donné les similitudes entre l'ancien et le nouveau projet de loi, nous avons pensé qu'il vous serait utile d'avoir les deux documents.

J'ai à mes côtés aujourd'hui Magdalena Muir, avocate en Alberta et ex-présidente de la Section du droit de l'environnement. Je lui demanderai d'aborder les questions de fond que nous avons évoquées dans notre mémoire.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Madame Muir.

Mme Magdalena A. Muir (membre, Section nationale du droit de l'environnement, Association du Barreau canadien): Bonjour, madame la présidente et honorables membres du comité.

La SNDE ABC, soit la Section nationale du droit de l'environnement au sein de l'Association du Barreau canadien, se réjouit de pouvoir vous parler de ses deux derniers mémoires touchant la législation fédérale en ce qui a trait aux espèces en péril. Il s'agit de la lettre envoyée le 24 avril et du mémoire rédigé en l'an 2000.

Personnellement, j'ai une longue pratique de ce projet de loi et de ceux qui l'ont précédé, et je suis très heureuse moi aussi de pouvoir comparaître devant vous.

Je vais d'abord exposer rapidement les grandes lignes de notre intervention d'aujourd'hui. Je rappellerai pour commencer un certain nombre d'interventions faites précédemment par l'ABC et par la SNDE ABC au sujet des espèces en péril. J'évoquerai ensuite un certain nombre de points précis soulevés aussi bien dans le mémoire de septembre 2000 que dans la lettre du 24 avril.

Je précise que je vais me référer à la version anglaise de la lettre et de la petite brochure. Ensuite, je me ferai bien entendu un plaisir de répondre aux questions que vous voudrez me poser au sujet du mémoire ou de mon exposé.

• 0930

L'Association du Barreau canadien dans son ensemble, et la SNDE en particulier, ont largement traité de la question de la Loi sur les espèces en péril. On en voit quelques exemples dans le mémoire de septembre 2000, et je vous renvoie à ce titre aux pages 1 à 4 de cette brochure. J'en évoquerai brièvement les grandes lignes:

—Il y a eu en février 1991 une résolution omnibus traitant de la protection de l'environnement et du développement durable, qui recommandait notamment que le gouvernement fédéral adopte une législation, dans le cadre de la compétence fédérale visant à préserver de manière efficace les espèces menacées d'extinction et leur habitat.

—Je vous renverrai aussi à une lettre signée en juin 1996 par le président de l'ABC ainsi que par le président de la Section nationale du droit de l'environnement, qui portait sur le projet législatif de l'époque. Elle se référait plus particulièrement aux pouvoirs constitutionnels du gouvernement fédéral concernant les espèces en péril et leur habitat.

—Enfin, il y a eu le très long mémoire rédigé en décembre 1996 au sujet de ce qui était à l'époque le projet de loi C-65, qui a précédé les textes dont nous allons discuter maintenant.

—Il y a eu également diverses résolutions adoptées en matière d'environnement par l'ABC dans son ensemble et qui s'appliquent tout particulièrement à notre sujet.

Tamra Thomson a bien exposé les relations existant entre les deux interventions que je vais évoquer aujourd'hui.

Je dois préciser que nous avons jugé que les similitudes existant entre le projet de loi C-33 et le projet de loi C-5 étaient telles qu'il était préférable de ne faire que quelques commentaires supplémentaires. C'est pourquoi je me référerai aux deux interventions.

Nous y relevons six sujets d'inquiétude en ce qui concerne la LEP. J'en dresserai d'abord la liste et je les passerai ensuite en revue. Elles ont trait à la Constitution, au gouvernement fédéral et aux droits ancestraux et issus de traités, à la coopération intergouvernementale et aux obligations du Canada en vertu de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. Il y a aussi des commentaires propres à la LEP et d'autres qui ont trait à l'évaluation environnementale.

On trouvera les observations de nature constitutionnelle en ce qui a trait à la Loi sur les espèces en péril aux pages 4 à 8 de la version anglaise de la brochure, l'essentiel étant résumé à la page 4. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je vais rapidement en faire la paraphrase.

La Section nationale du droit de l'environnement estime depuis longtemps que dans le cadre de la compétence fédérale, le Parlement se doit d'adopter une loi visant à protéger efficacement les espèces en péril et leur habitat. Il faut que cette loi s'applique à un large éventail d'espèces, d'habitats et de territoires, et il est possible de le faire sans que l'on s'écarte de la compétence fédérale. Il est possible par ailleurs, et indispensable, que les provinces comme le fédéral soient liés, comme c'est le cas pour les autres législations fédérales en matière d'environnement. De plus, il faut que la loi lie expressément les organismes et les sociétés d'État. Nous considérons que le gouvernement fédéral a une compétence générale qui lui permet d'adopter des lois sur les espèces en péril ayant une portée très large.

Étant donné les observations faites par le professeur Dale Gibson sur le sujet, qu'il a largement évoqué dans son exposé et dans les mémoires correspondants, je ne reviendrai pas en détail sur la question et je me contenterai de réaffirmer que le gouvernement fédéral a une compétence générale lui permettant d'adopter des lois ayant une portée très large sur les espèces en péril.

Je vous renvoie une fois de plus à la première page de la lettre du 24 avril. Sur le premier point, qui traite des restrictions imposées aux pouvoirs du gouvernement fédéral, voici comment est libellée la première phrase: «Le gouvernement fédéral fait preuve d'une trop grande prudence dans l'interprétation de ses propres pouvoirs constitutionnels».

Sur la deuxième question, qui traite des pouvoirs du gouvernement fédéral en matière de droits ancestraux et issus de traités, je tiens à féliciter le gouvernement d'avoir fait figurer les droits ancestraux et issus de traités à l'article 3 ainsi que dans de nombreuses autres dispositions de la Loi sur les espèces en péril. Les lois du gouvernement doivent respecter avec soin ces droits, quel que soit le chef de compétence fédéral.

Je vais maintenant aborder la question de la coopération intergouvernementale, que nous évoquons aux pages 9 et 10 de notre mémoire. Disons en résumé que l'Association du Barreau canadien et que sa Section du droit de l'environnement ont toujours favorisé la collaboration entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires ainsi que leurs organismes à la condition—très explicite—que cette collaboration ne se traduise pas par une mauvaise protection de l'environnement et par la non-application des lois environnementales.

J'en viens maintenant aux obligations internationales du Canada, mentionnées à la page 10 de la brochure, et aux obligations qui sont aussi les siennes en vertu de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. Le Canada est l'une des parties contractantes de cette convention signée en 1992. L'article 8 de la convention fixe les obligations du Canada pour ce qui est de la protection des espèces en péril et de leur habitat. J'insiste sur l'importance qu'il y a pour le Canada de s'acquitter chez lui de ses obligations internationales et sur la nécessité pour le gouvernement fédéral de faire pour cela pleinement usage des pouvoirs et de la compétence que lui confère la Constitution.

• 0935

Passons à ce qui est en fait au coeur de notre intervention, notamment en ce qui concerne la LEP, et que l'on retrouve aux pages 11 à 18 de notre brochure ainsi que dans notre lettre. Trois grandes préoccupations se font jour. Vous pouvez vous reporter à l'argumentation détaillée de notre mémoire, mais l'on peut dire ici que les préoccupations de la Section nationale du droit de l'environnement se répartissent en trois catégories: l'omission d'accorder une protection complète aux espèces et à leur habitat; le fait que la mise en oeuvre de la loi ne devrait pas dépendre du pouvoir discrétionnaire et de la volonté politique; enfin, l'insuffisance de la participation et des recours du public.

Sur le premier point, l'omission d'accorder une protection complète aux espèces et à leur habitat, j'attire votre attention sur le fait que l'application est limitée aux espèces aquatiques et aux oiseaux migrateurs sur les terres fédérales, et cela à l'exclusion des espèces transfrontalières. Je relève qu'il y a même une application discrétionnaire sur les terres et dans les domaines de compétence fédérale. Le traitement accordé à l'habitat est par ailleurs très problématique.

Je passe maintenant à la page 2 de la lettre du 24 avril. Je tiens à souligner que ce qui nous inquiète par ailleurs dans le projet de loi C-5, c'est tout ce qui entoure le recours à la liste actuelle des espèces, et la possibilité que cela ne soit pas incorporé directement à la loi en dépit du fait que nous avons mis des années à établir cette liste.

Sur chacun de ces points préoccupants, je vais maintenant faire état de nos recommandations.

Concernant le premier sujet de préoccupation, soit l'omission d'accorder une protection complète aux espèces et à leur habitat, vous pouvez voir que nous recommandons à la page 13 de notre brochure que la portée de la LEP soit élargie de façon à s'appliquer obligatoirement à toutes les espèces et à leur habitat dans le cadre de la compétence fédérale, y compris à toutes les espèces qui franchissent les frontières internationales, provinciales et territoriales.

Le deuxième sujet de préoccupation vient de ce que la loi dépend trop du pouvoir discrétionnaire et de la volonté politique. Le professeur Gibson a évoqué le sujet dans son exposé. Je ferai observer par ailleurs que le gouvernement fédéral dispose d'un grand pouvoir discrétionnaire et qu'il peut aussi agir par voie de délégation de pouvoirs aux provinces et aux autres parties prenantes. On en trouve différents exemples dans les pouvoirs largement délégués, le traitement des programmes de rétablissement, les espèces transfrontalières et les décrets d'urgence. On peut aussi se reporter sur cette question à notre lettre du 24 avril, au point 2 de la page 2.

Nous recommandons à ce sujet de modifier la LEP afin d'exiger des mesures gouvernementales, de supprimer le pouvoir discrétionnaire et de prévoir des critères objectifs sujets à révision. Sans limiter la portée générale de cet énoncé, voici quelles sont les recommandations précises:

—dès que le COSEPAC identifie une espèce en péril, une réglementation devrait automatiquement être adoptée à son sujet;

—la loi devrait prévoir que les programmes de rétablissement ont plein effet et force exécutoire;

—les espèces en péril à l'échelle internationale et interprovinciale devraient bénéficier d'une protection systématique;

—dans les cas d'urgence, le ministre devrait être tenu de prendre des mesures appropriées et, à chaque fois que cela est possible, le terme «peut» devrait être remplacé par «doit».

Le dernier grand sujet de préoccupation est celui de l'insuffisance de la participation et des recours du public. Nous faisons un certain nombre d'observations à ce sujet à la page 15.

De manière générale, la participation du public, que ce soit au moyen de consultations menées au préalable avant l'adoption de la législation, ou du rôle joué par le public lors de la mise en oeuvre de cette législation, a fait l'objet de critiques de la part de la SNDE ABC, que ce soit sur ce projet de loi ou sur d'autres.

Il convient de signaler que l'on a retiré certaines propositions de participation du public, même au sujet de certains textes tels que les décrets de protection des espèces en péril.

Pour ce qui est de la recommandation faite par la Section nationale du droit de l'environnement à la page 17 de la version anglaise du document, précisons qu'il est recommandé de modifier la LEP afin de permettre au public d'accéder à toute l'information disponible, de commenter et de participer à la prise de toutes les décisions autres que les cas d'urgence ainsi que tous les accords autorisés par la loi, et d'exiger des décideurs et des administrateurs et administratrices visés par la loi qu'ils et elles répondent aux observations du public et présentent des rapports détaillés sur l'administration, l'application et le contrôle d'application de la loi, de ses règlements et de tout ordonnance ou accord conclu en conformité.

• 0940

Je pourrais entrer dans les détails, mais je préfère m'en tenir à un exposé bref. Je conclurai donc que ce sont là nos principaux sujets de préoccupations.

Le tout dernier point que je tiens à aborder est celui de la nature de l'évaluation des répercussions environnementales en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale et des interactions avec la Loi sur les espèces en péril. Nous en parlons à la page 18 de la version anglaise de la brochure. Je ferai observer qu'une évaluation environnementale va certes être exigée chaque fois que l'on étudiera la question des espèces fauniques classées ou encore de leur habitat ou de leur résidence, mais cela ne se traduira une fois de plus que par des recommandations étant donné que l'on ne peut procéder qu'à des recommandations dans le cadre d'une évaluation environnementale.

Je vous remercie.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Merci, madame Muir.

M. Mills est le premier sur notre liste.

M. Bob Mills (Red Deer, AC): Merci, madame la présidente.

Merci d'être venu comparaître. J'ai une observation à faire et deux questions à poser.

Tout d'abord, cette loi fait largement appel aux principes de collaboration et de consultation, les poursuites n'étant envisagées qu'en dernier lieu. Je vous entends dire qu'il nous faut avoir un plus gros bâton, sans cependant négliger la carotte. D'autres témoins sont venus nous expliquer qu'il était trop onéreux d'exiger une diligence raisonnable et qu'il serait plus efficace d'exiger qu'il y ait une intention de nuire. Je ne suis pas avocat, je ne suis pas sûr de bien comprendre cette notion et j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Voilà donc pour la première question et pour ce qui est de l'explication.

En second lieu, je ne sais pas si vous êtes familiarisé—j'imagine que c'est le cas—avec la Loi de l'Alberta sur les droits de surface, en vertu de laquelle il convient d'indemniser un propriétaire lorsqu'on lui enlève un terrain ou lorsqu'on l'empêche de l'exploiter. Cette loi est en vigueur depuis une vingtaine ou une trentaine d'années, je crois, et elle a fait preuve de son efficacité. Pour la plupart, les propriétaires terriens en sont assez satisfaits. Elle leur permet d'obtenir une indemnisation. C'est écrit noir sur blanc. C'est dans la loi et c'est une chose qu'ils comprennent.

Je crois savoir, là encore, que dans leur majorité, les propriétaires terriens ne s'opposeront pas à la loi à condition de prévoir une disposition d'indemnisation dans la loi, et non pas dans les règlements d'application. Parce qu'avec les règlements, on ne sait jamais ce qui va se passer. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

M. Dale Gibson: Je vous remercie d'avoir posé ces questions.

Je ne pense pas être en mesure de faire une distinction savante entre la diligence raisonnable et l'intention coupable. Toutefois, ce que j'essayais surtout de faire comprendre, c'est que lorsqu'on reste dans le flou en accompagnant une interdiction prétendument pénale de si et de mais, etc.—ce qui revient à la simple obligation de faire preuve de diligence raisonnable—on risque de se priver soi-même des moyens constitutionnels dont on dispose.

En tant que juriste spécialiste du droit constitutionnel, il m'apparaît bien plus logique d'instituer une infraction pénale très claire que tout le monde comprend bien pour ensuite, dans la mesure où c'est nécessaire, établir des exemptions. C'est tout à fait possible; les tribunaux l'ont autorisé. Ils ont permis que l'on applique des normes différentes en fonction de ce modèle. Ils ont permis qu'il y ait des exemptions dans certains cas. Toutefois, j'affirme qu'en droit pénal il convient au départ de prononcer clairement une interdiction générale, s'accompagnant ou non de l'obligation de faire preuve d'une intention coupable, en ajoutant ensuite les exemptions. C'est la façon la plus sûre d'agir sur le plan constitutionnel.

• 0945

Vous me demandez si je suis familiarisé avec la Loi sur les droits de surface, et je viens justement d'acquérir une propriété en Alberta à l'exclusion des droits miniers. Je vois tous ces puits de pétrole et de gaz qui m'entourent et je me demande quels peuvent bien être mes droits de surface. Je n'ai cependant toujours pas vérifié en quoi ils peuvent bien consister. Je ferais bien de me dépêcher.

Ce que vous me demandez en substance, c'est s'il convient de prévoir une indemnisation dans la loi. Là encore, je ne prétends pas être un maître de la chose politique. Ce n'est pas mon domaine. Je suis bien persuadé qu'il serait bien plus facile d'obtenir l'accord des intéressés si on leur garantissait une juste indemnisation.

En tant que spécialiste du droit constitutionnel, j'ajouterai simplement qu'à mon avis les intéressés vont être protégés, jusqu'à un certain point du moins, par la Déclaration canadienne des droits. Vous aurez tous remarqué que la charte ne protège pas les droits de propriété, mais que ces droits sont effectivement protégés par la Déclaration canadienne des droits, qui est toujours en vigueur. S'il me fallait défendre la cause d'un client n'ayant pas été suffisamment indemnisé dans le cadre d'une loi comme celle- ci, je ferais appel à la Déclaration canadienne des droits. Je considère donc que la Constitution prévoit un droit à l'indemnisation, dans la mesure du moins où cela figure dans la Déclaration canadienne des droits.

M. Bob Mills: Excusez-moi. Est-ce que le propriétaire terrien peut se le permettre?

M. Dale Gibson: Je suis désolé...

M. Bob Mills: Le coût des poursuites intentées en vertu de cette loi n'est-il pas prohibitif pour le propriétaire moyen?

M. Dale Gibson: Effectivement.

Je gagne ma vie en plaidant des causes constitutionnelles et je suis chaque jour au désespoir de voir qu'il y a très peu de gens qui peuvent se permettre d'intenter de telles poursuites en raison de leur coût. D'aucuns vont vous dire que ce sont les avocats qui gagnent trop d'argent. Ce n'est pas le cas. C'est un système très complexe, très onéreux. Vous avez raison, il n'est pas souhaitable de procéder par voie de justice. Si, par conséquent, vous me demandez s'il ne serait pas plus logique de prévoir au départ une indemnisation, je vous répondrai qu'effectivement ce serait plus logique même si ça va m'enlever des clients à long terme.

Le dernier point, c'est en fait le premier que vous avez évoqué... Je l'ai oublié, excusez-moi, je ne pourrai donc pas vous répondre.

Je vais passer la parole à mes collègues.

Mme Magdalena Muir: Merci.

C'est intéressant, je vais vous donner le point de vue du droit de l'environnement, par opposition à celui du droit constitutionnel, et vous allez voir que les deux démarches sont quelque peu différentes.

Je pense que le premier point est celui de la politique du bâton et de la carotte. C'est peut-être aussi à cela que vous pensiez, Dale.

M. Dale Gibson: Oui.

Mme Magdalena Muir: Malheureusement, il semble que les gens réagissent mieux à la carotte lorsqu'il y a un bâton. En règle générale, c'est l'exemple que je vais vous donner, lorsqu'il y a un régime répressif qui est appliqué avec constance, les gens sont d'ordinaire prêts à agir volontairement. Je pense donc que la combinaison s'avère souvent très utile. Sans entrer dans les détails du projet de loi, je suis frappée par le fait que la carotte devient plus acceptable lorsqu'on prévoit un bâton quelconque. La Section nationale du droit de l'environnement et l'Association du Barreau canadien ont adopté des résolutions traitant d'une bonne application des lois fédérales sur l'environnement.

Vous m'avez interrogé ensuite au sujet de la distinction qu'il faut faire entre la diligence raisonnable et l'intention coupable. Je ne sais pas exactement dans quel sens vous utilisez ces expressions et je vais donc vous donner une réponse générale. Vous allez voir qu'il y a ici une certaine différence. Dale faisait référence à la charge de la preuve qui s'applique sur le plan constitutionnel à cette législation en vertu du pouvoir relatif au droit criminel. C'était le sens de sa réponse.

Je vais me placer du point de vue de la loi sur l'environnement, qui fait de la protection de l'environnement une question de réglementation. Prenez le cas de l'arrêt Sault Ste. Marie, où l'on nous dit qu'il est acceptable d'adopter une responsabilité stricte sur les questions d'environnement et de type réglementaire, ce qui fait que l'on n'a pas à prouver l'intention d'avoir commis un préjudice, contrairement à ce qui se passe lorsqu'on se réclame du pouvoir relatif au droit criminel, où l'on a souvent recours à la notion d'intention coupable. Il suffit de prouver que le préjudice a été causé. La loi prévoit généralement certaines dérogations. Ce dispositif a tendance à donner de meilleurs résultats parce que l'on n'a pas à épiloguer pour savoir si telle ou telle personne avait l'intention d'agir de cette manière. On se contente d'apprécier l'effet sur l'environnement. Cette façon de procéder a été entérinée dans l'ensemble des lois fédérales et provinciales sur l'environnement.

• 0950

Excusez-moi de ne pas répondre dans les formes à votre question, mais j'essaie de voir où elle nous mène, à savoir qu'une loi sur l'environnement a tendance à donner de meilleurs résultats lorsqu'on adopte une responsabilité stricte sans chercher à se demander quelle était l'intention.

J'aborderai enfin la question que vous soulevez au sujet de la Loi sur les droits de surface. J'habite en Alberta et je tiens à répondre à cette question étant donné qu'il m'arrive de travailler dans le domaine du gaz et du pétrole.

Au sujet de la Loi sur les droits de surface, il nous faut tout d'abord reconnaître que nous sommes effectivement en présence de droits privés reconnus qui sont en concurrence. Il y a le propriétaire en surface, éventuellement un agriculteur ou un éleveur, qui a loué le terrain ou qui possède certains droits de surface, et il y a d'autre part quelqu'un qui a reçu des droits tout aussi valides sur le sous-sol, les deux étant généralement concédés par le gouvernement provincial. Ces droits ne sont en fait partagés que lorsque les gouvernements provinciaux disposaient à la fois des droits sur la surface et sur le sous-sol et en ont concédé séparément la propriété. Ce genre de situation revêt une grande importante pour le régime légal d'indemnisation étant donné qu'il y a deux droits privés clairement reconnus.

Je dirais cependant que lorsqu'on rapproche la législation de l'environnement d'autres législations parallèles en matière de planification, par exemple, la question de l'indemnisation n'est pas vraiment la même étant donné qu'il peut y avoir des règlements qui affectent en quelque sorte la valeur de la propriété, sans toutefois que l'on ait des droits clairement reconnus d'accès et d'aménagement. Je reconnais que la question de l'indemnisation a son intérêt et son importance, mais je dirais que la Loi sur les droits de surface n'est probablement pas le meilleur élément de comparaison. Elle s'applique à des cas où le gouvernement a concédé simultanément deux droits de propriété privée qui entrent en conflit, et plus particulièrement à la façon dont les mesures sont mises en oeuvre.

En matière d'indemnisation, je vous renverrai tout simplement à la lettre du 24 avril. Nous avons indiqué au point 6 qu'il fallait que la loi et ses règlements précisent avec clarté les circonstances dans lesquelles une indemnisation serait possible étant donné que tout régime d'indemnisation soulève de gros problèmes. Il faudra nécessairement équilibrer les intérêts des parties sur le terrain avec l'intérêt du gouvernement, aussi bien pour pouvoir protéger les espèces et leur habitat que pour éviter les abus qu'entraîne un régime d'indemnisation.

La Section nationale du droit de l'environnement est tout à fait disposée à aborder la question de l'indemnisation, mais elle aimerait pour cela attendre d'avoir vu les propositions qui sont faites, que ce soit dans la loi ou dans la réglementation. Nous n'avons pas nécessairement de préférence pour la loi ou pour la réglementation.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Je vous remercie.

En règle générale, chacun dispose de cinq minutes à chaque tour, et cela englobe à la fois les questions du député et les réponses des témoins. En ma qualité de présidente, je vais toutefois exercer un certain pouvoir discrétionnaire ce matin et j'espère que les membres du comité me suivront dans cette voie. Nous avons ici aujourd'hui la possibilité d'examiner avec les témoins des questions d'une grande complexité. J'aimerais bien que les députés posent leurs questions de manière très succincte. Les députés peuvent se montrer aussi incisifs—tout en restant polis—qu'ils le veulent, et je demanderais aussi aux témoins de donner les réponses les plus courtes possibles, compte tenu de la complexité du sujet. Il ne s'agit pas là d'une critique de tout ce qui vient d'être dit jusque-là, mais c'est que le sujet me paraît très important. Je voulais exposer très clairement les principes qui doivent régir nos délibérations ce matin.

Je vais demander au comité de faire preuve d'indulgence parce que M. Mills doit partir très bientôt pour une affaire qui concerne l'un de ses administrés. Il voudrait avoir une petite précision.

M. Bob Mills: Merci, madame la présidente.

Ce que je voudrais vraiment savoir, madame Muir, c'est ceci. Imaginons que je possède un terrain. On ne m'a pas dit et, comme nous l'ont affirmé certains témoins, on ne sait pas toujours qu'il y a une espèce en péril sur ce terrain...éventuellement, personne ne le sait. J'exploite ensuite ce terrain, je fais pousser du foin, je fais paître du bétail, j'agis d'une manière quelconque pour m'apercevoir ensuite qu'il abrite une espèce en péril. J'ai par conséquent nui à cette espèce, je l'ai détruite, etc., en raison de mon action. Pourtant, je ne l'ai pas fait sciemment. Je ne pouvais pas savoir parce que personne ne m'a rien dit, le gouvernement n'avait pas identifié l'espèce, et pourtant j'ai commis une infraction pénale. C'est bien ça?

Mme Magdalena Muir: Nous ne nous sommes pas penchés précisément sur la question et je ne peux donc pas vous en parler en détail. Vous me demandez si, telle que la loi est formulée, il est possible que quelqu'un qui ne savait pas qu'il avait une espèce en péril sur son terrain puisse à un moment donné être jugé pénalement responsable s'il a agi de manière à nuire à cette espèce ou à son habitat?

M. Bob Mills: N'est-ce pas ça la diligence raisonnable?

Mme Magdalena Muir: La diligence raisonnable a de nombreux sens.

Je vous réponds en fait du point de vue de l'économie générale de la loi, de ce que l'on cherche à faire, soit de protéger les espèces, et des moyens qui sont employés pour ce faire. Je dirais que si l'on obtient ce résultat au sujet d'une personne qui n'aurait pas agi sciemment, je ne puis que conclure que ce serait là une conséquence non prévue par la loi, parce qu'il ne me semble pas que ce soit conforme à son intention générale. Je ne peux toutefois rien vous dire de plus parce que nous n'avons pas précisément étudié cette question.

• 0955

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Je vous remercie.

Je rappelle aussi aux députés que M. Gibson doit nous quitter à 10 h 30. Si nécessaire, c'est à lui qu'il faut adresser d'abord vos questions. J'espère que les représentants de l'Association du Barreau canadien comprendront que l'on pourra toujours adresser les questions les concernant après 10 h 30.

Monsieur Herron.

M. John Herron (Fundy—Royal, PC): Mes deux séries de questions s'adressent à M. Gibson. Voyons s'il est en mesure de m'aider dans deux cas bien précis.

Wayne MacKay, de l'université Dalhousie, ainsi que Louis-Paul Cullen, d'Ogilvy Renault, ont émis des réserves précises au sujet de la constitutionnalité du projet de loi. Je n'ai pas assisté à votre exposé, mais mon assistant me fait savoir que vous avez abordé ces questions.

Plus particulièrement, et comme l'a confirmé la Cour suprême dans l'affaire d'Hydro-Québec, le gouvernement fédéral peut, en vertu de la Constitution, faire appel au pouvoir dont il dispose en matière de droit criminel pour s'opposer au préjudice causé à l'environnement. Il s'ensuit que la loi se réclame du droit criminel et que l'on ne devrait pas faire appel au pouvoir discrétionnaire de l'exécutif. Cela dit, c'est directement ce qu'autorise l'article 34, lorsqu'on examine les articles 32, 33 et 34 du projet de loi. Sur ce point, par conséquent, ne convenez-vous pas que le plus facile serait d'abroger l'article 34 du projet de loi de façon à dégager le sens des dispositions des articles 32 et 33? Je pense que ce serait la première solution, mais y a-t-il d'autres articles qu'il conviendrait d'abroger, et pouvez-vous nous les citer?

M. Dale Gibson: Je ne suis pas un rédacteur des lois, mais je vous répondrai évidemment par l'affirmative, effectivement on pourrait se contenter d'abroger l'article 34 et tout irait pour le mieux. Je considère qu'il faut revoir la façon dont l'ensemble de ces articles a été rédigé. Il faut commencer par prononcer une interdiction et prévoir certaines exemptions plutôt que de se montrer permissif dès le départ. Il est certain, toutefois, que l'article 34 est à mon avis l'un de ceux qui posent le plus de problèmes.

J'ai aussi évoqué deux autres dispositions dans mon mémoire, l'article 35—le même genre de dispositions s'appliquant aux terres territoriales, c'est-à-dire aux terres situées dans les territoires—ainsi que les paragraphes relevant des articles 58 et 61...

M. John Herron: Oui, les articles 60 et 61.

M. Dale Gibson: ...où l'on trouve les mêmes dispositions, ou des dispositions semblables, s'appliquant à l'habitat essentiel.

M. John Herron: Bien évidemment, plutôt que d'instituer des exceptions, comme on peut le voir à l'article 34, il serait préférable d'accorder des exemptions par voie de permis ministériels, ce serait plus acceptable sur le plan constitutionnel.

M. Dale Gibson: Oui.

Ce que j'essaie de faire comprendre—et je reconnais que j'ai pris cette idée chez M. La Forest, l'ancien juge de la Cour suprême du Canada—c'est qu'il convient de prononcer une interdiction au départ, sans qu'il soit nécessaire de la confirmer par décret du pouvoir exécutif. Il faut que l'interdiction prononcée soit générale et que les exemptions fassent l'objet ensuite d'un décret du pouvoir exécutif.

M. John Herron: Soyons clairs. Vous considérez par conséquent que la constitutionnalité de ce projet de loi, tel qu'il est formulé à l'heure actuelle, peut être contestée en justice.

M. Dale Gibson: Je dis qu'il y a un gros risque. Il est possible que le précédent de l'affaire d'Hydro-Québec fasse suffisamment autorité et parvienne à le protéger. N'oublions pas cependant que cet arrêt a été prononcé par cinq juges contre quatre à la Cour suprême et qu'il portait sur une autre loi. Je ne prendrais pas un tel risque.

M. John Herron: J'aimerais revenir sur la question de la constitutionnalité du projet de loi. Je suis très heureux de pouvoir prendre connaissance, non seulement de la documentation relative à l'avis rendu par l'ancien juge en chef La Forest, mais aussi de celle que nous a fournie l'Association du Barreau canadien au sujet des oiseaux migrateurs.

• 1000

En prenant connaissance de votre avis sur les oiseaux migrateurs, je peux voir que vous concluez tous deux, avec le juge La Forest, qu'il est pratiquement certain que le gouvernement fédéral a le pouvoir constitutionnel de protéger l'habitat des oiseaux migrateurs en péril. Ma question est double. J'en déduis tout d'abord qu'un projet de loi visant à protéger l'habitat essentiel des oiseaux migrateurs ne peut être attaqué sur le plan constitutionnel. En second lieu, pourriez-vous rapidement nous expliquer d'où le gouvernement fédéral tire sa compétence dans ce domaine.

M. Dale Gibson: Je considère que l'habitat essentiel en général peut être protégé sur le plan constitutionnel. En outre, je précise que l'avis juridique de La Forest et de Gibson va plus loin que les oiseaux migrateurs et s'étend à toutes les espèces transfrontalières. C'est un élément très important.

Il y a plusieurs chefs de compétence aux termes de la Constitution. Pour ce qui est des oiseaux migrateurs, il y a la Loi sur la Convention des oiseaux migrateurs, qui s'appuie sur la convention passée entre la Grande-Bretagne et les États-Unis il y a de nombreuses années, ainsi que le protocole qui est venu récemment s'y ajouter. Lorsqu'on cherche à aller plus loin que les oiseaux migrateurs, on peut s'appuyer à mon avis sur le pouvoir constitutionnel relatif à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement, qui est controversé dans certains cas, mais dont l'application a été clairement reconnue par les tribunaux en ce qui a trait aux phénomènes transfrontaliers, ainsi que les chefs de compétence relatifs au droit criminel, à la propriété et à tous les autres domaines relevant de la compétence fédérale.

M. John Herron: Lorsque je recense ici tous les avis juridiques, je vois que M. La Forest et M. Gibson sont d'accord au sujet des oiseaux migrateurs...

M. Dale Gibson: Et des espèces transfrontalières.

M. John Herron: J'aimerais poser rapidement une question à Mme Muir. Peut-on dire que l'ABC est elle aussi d'accord avec MM. Gibson et La Forest au sujet des oiseaux migrateurs?

Mme Magdalena Muir: Je vous renvoie à la page 7 de la version anglaise de notre mémoire, qui résume bien notre position au sujet des oiseaux migrateurs.

Si je vous donne cette réponse, c'est parce que nous n'avons pas eu la possibilité de revoir l'avis de M. Gibson. Il ne nous a été remis que très récemment. Pour l'essentiel, la Loi sur la Convention des oiseaux migrateurs et ses règlements d'application ont été adoptés pour que le Canada puisse s'acquitter de ses obligations aux termes d'un traité international, en l'occurrence un traité d'empire. La loi et ses règlements mettent en application le traité et réglementent la chasse, les dégâts causés aux nids et les différentes nuisances. Dans la mesure où ils répondent à un objectif fédéral valide, ils peuvent s'appliquer à des activités s'exerçant sur des terres non fédérales. Je ne ferai donc pas ce genre de distinction.

Je veux dire par là que nous considérons qu'il s'agit là d'un pouvoir étendu qui vient s'ajouter à ceux qui s'exercent sur les pêches, sur le droit criminel ainsi que sur la paix, l'ordre et le bon gouvernement. Indépendamment de l'argumentation qui vient d'être faite au sujet de la portée du pouvoir se réclamant du droit criminel, l'ABC considère, sur le plan constitutionnel, qu'il y a de nombreux chefs de compétence fédérale. C'est en fait ce que nous disons aux pages 4 à 8. Il y a tellement de chefs de compétence fédérale pour ce qui est de ce projet de loi que le problème ne se pose pas vraiment.

M. John Herron: Je vous remercie.

Je n'ai plus de questions à poser, madame la présidente, mais j'aimerais dire ici que M. Gibson semble avoir des inquiétudes. Parmi les spécialistes, il y a déjà Wayne MacKay, de l'université Dalhousie, et Louis-Paul Cullen, d'Ogilvy Renault, un éminent spécialiste du droit constitutionnel, qui s'inquiètent de la constitutionnalité de certains articles du projet de loi. À mon avis, il est indispensable que MM. MacKay et Louis-Paul Cullen soient ajoutés à la liste des témoins que va entendre notre comité.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Merci, monsieur Herron. J'en parlerai avec le président en titre de notre comité.

Nous ne manquons pas d'apprécier la comparution des témoins d'aujourd'hui. Il est indéniable que l'ABC jouit depuis très longtemps d'une grande réputation dans ce domaine. M. Gibson est un éminent spécialiste des questions constitutionnelles. Il arrive d'ailleurs que la Cour suprême lui demande son avis lorsqu'elle doit prononcer certaines de ses décisions.

• 1005

M. Dale Gibson: Il m'est aussi arrivé de perdre des causes devant cette cour.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Nous en reparlerons plus tard. Vous êtes trop modeste.

M. John Herron: En fait, Louis-Paul Cullen était dans l'autre camp dans l'affaire d'Hydro-Québec. On gagne certaines causes, on en perd d'autres, c'est bien ça?

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Bien, monsieur Comartin. Nous allons essayer de nous en tenir à des interventions de sept minutes environ.

M. Joe Comartin (Windsor—St. Clair, NPD): Merci, madame la présidente.

Toujours dans la même veine, monsieur Gibson, nous avons votre avis et, bien évidemment, les points sur lesquels l'ancien juge en chef La Forest est d'accord avec vous. L'Association du Barreau va dans le même sens. Si l'on excepte les fonctionnaires du ministère de la Justice, qui nous ont fait d'étranges commentaires lorsqu'ils ont comparu devant nous il y a un mois environ, savez-vous s'il y a dans ce pays un juriste, ou quelqu'un ayant une formation de juriste, qui n'est pas d'accord avec vous?

M. Dale Gibson: Je n'ai pas fait de sondage, mais la question que vous me posez est intéressante, parce que je crois que j'avais déjà exprimé cet avis en 1994, au sujet des espèces en voie de disparition. J'ai été informé que l'on n'était pas du même avis au ministère de la Justice. J'ai rencontré les avocats du ministère de la Justice et j'ai exposé mon point de vue. Nous ne nous sommes pas mis d'accord, mais nous avons bien discuté.

Depuis cette date, je n'ai jamais entendu un autre avis divergent à l'exception de celui qui est régulièrement émis par le ministère de la Justice, et je n'ai d'ailleurs jamais entendu personne appuyer cet avis. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas d'autres, mais je n'en ai jamais entendu parler depuis que j'ai publié à l'origine mon étude, en 1990 ou à peu près vers cette date.

M. Joe Comartin: Qu'en est-il des autres spécialistes de la Constitution au sein des différentes écoles de droit du pays. Y a- t-il des avis divergents en ce qui les concerne?

M. Dale Gibson: Je n'ai pas évoqué la question avec eux, mais je n'ai pas entendu parler d'avis contraire.

M. Joe Comartin: Est-ce que votre opinion a été publiée dans un recueil juridique—le vôtre et celui du juge La Forest?

M. Dale Gibson: Les avis juridiques La Forest et Gibson? Non, ils ont été émis à l'intention du Sierra Legal Defence Fund et je crois bien que c'est la première fois aujourd'hui qu'ils sont rendus publics. Ils vous sont communiqués aujourd'hui avec l'autorisation du Sierra Legal Defence Fund.

M. Joe Comartin: Il n'y a pas eu de décisions de justice allant à l'encontre de vos positions ou de celles de l'Association du Barreau, n'est-ce pas?

M. Dale Gibson: Non, pas à ma connaissance.

M. Joe Comartin: Laissons cela de côté et passons maintenant aux questions se rapportant à l'intention coupable, à la diligence raisonnable et à la responsabilité stricte.

Mon expérience s'est faite dans d'autres domaines—pas seulement dans le secteur de l'environnement, mais plus précisément dans celui de la santé et de la sécurité. Nous avons eu des difficultés à obtenir des condamnations lorsque nous ne faisions pas appel à l'intention coupable, lorsque nous nous en tenions à la diligence raisonnable ou à la responsabilité stricte. Je dirais que cela s'explique surtout par le fait que la justice se sent mal à l'aise lorsqu'elle doit condamner des gens selon des critères de responsabilité stricte parce qu'elle a un préjugé favorable pour la notion d'intention coupable, avec laquelle, traditionnellement, elle est davantage familiarisée. Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet? Est-ce que cette loi est très différente d'autres lois que l'on retrouve, par exemple, dans le domaine de la santé et de la sécurité ou, comme l'a indiqué Mme Muir, d'autres lois relatives à l'environnement? Est-ce que pour l'essentiel tout se tient?

M. Dale Gibson: Je ne peux pas vous donner un avis définitif, monsieur Comartin, mais je dirai cependant qu'il y a quelques années, au sujet d'une loi sur la circulation routière en Colombie- Britannique, la Cour suprême du Canada a jugé que la responsabilité absolue était contraire à l'article 7 de la charte.

Il est très difficile d'établir une distinction nette entre une responsabilité stricte acceptable et une responsabilité absolue inacceptable et je ne me suis pas penché sur cette loi en me demandant où pourrait bien se trouver la ligne de démarcation. Je me contenterai de préciser que plus on s'éloigne de la notion d'intention coupable, plus on risque d'être contesté en vertu des dispositions de l'article 7.

Je ne peux pas en dire plus et c'est peut-être davantage que je ne puis en dire en toute confiance.

• 1010

M. Joe Comartin: Il serait peut-être préférable de poser la question à Mme Muir.

Madame Muir, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez précisément de cette question. Y a-t-il une différence significative? Est-ce que nous avons franchi une limite comparativement à d'autres lois provinciales en matière d'environnement?

Mme Magdalena Muir: Après que l'honorable député a quitté la salle, j'ai cherché à voir quelles étaient ses préoccupations en feuilletant le texte. Je vous renvoie à l'article 97 du texte du projet de loi—vous l'avez devant vous, sinon je vais vous le lire—qui traite des infractions et des peines. Je ferai une ou deux observations et je répondrai ensuite à votre question en ce qui concerne les lois comparables en matière d'environnement, parce que je ne connais pas celles qui ont trait à la sécurité et à la santé.

On nous dit que «quiconque» peut commettre une infraction et être passible d'une peine, ce qui comprend aussi bien les personnes morales que les personnes physiques. Par la suite, les articles 98 et 99 se réfèrent aux dirigeants d'une personne morale et aux infractions commises par un agent ou un mandataire. Mon premier commentaire sera donc de dire que ces infractions s'étendent à toutes les personnes, morales ou physiques—voilà quelle est leur portée véritable, il ne s'agit pas seulement des personnes, mais des sociétés et de la façon dont elles se comportent.

Si l'on fait appel à cette responsabilité stricte, c'est en partie en raison de la portée des actes que l'on vise et éventuellement de la difficulté à repérer les comportements intentionnels et coupables d'une personne morale. On voit qu'à l'article 100 on tient compte de la diligence raisonnable en disculpant une personne qui a pris les précautions voulues.

Il est intéressant de relever—et je regrette de ne pas avoir pensé à le dire en réponse à une question antérieure—que l'on évoque les peines prononcées en établissant une distinction selon que l'auteur de l'infraction a agi intentionnellement, imprudemment ou par inadvertance. Voilà qui résout en partie la question d'un agriculteur ayant agi sans le savoir.

Ce que je veux dire par là, c'est qu'il semble que la loi ait une portée très étendue et que telle est bien l'intention en ce qui concerne les infractions. Il ne s'agit pas simplement de viser les particuliers, mais aussi les personnes morales, un tribunal ayant tout à fait la possibilité d'apprécier les différentes situations et de n'imposer éventuellement aucune peine.

C'est parce qu'elles s'appliquent à un tel éventail de situations que, de manière générale, les lois sur l'environnement comportent des pouvoirs étendus. Sans procéder à une analyse de texte, lorsqu'on compare ce projet de loi à d'autres lois fédérales portant sur l'environnement, il n'y a là rien d'anormal étant donné la diversité des situations que l'on vise.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Je vous remercie.

Le prochain intervenant devait être M. Reed, mais je vais donner la parole à Mme Scherrer, qui sera suivie de Mme Redman.

[Français]

Mme Hélène Scherrer (Louis-Hébert, Lib.): Je vous remercie, madame la présidente.

J'ai l'impression que tout ce domaine légal, c'est du chinois pour moi ce matin. J'ai un petit peu de difficulté à m'y retrouver.

Je veux revenir sur un point que M. Gibson a signalé aujourd'hui en identifiant deux faiblesses par rapport à certains articles, dont les articles 32, 33, 34 et 35, où la faiblesse identifiée, selon ma compréhension, était le fait qu'on laissait le gouvernement fédéral se donner un pouvoir discrétionnaire dans le domaine de certaines interventions principalement, par exemple en ce qui concerne les territoires dits provinciaux.

Ma compréhension de ces articles était la suivante. J'avais l'impression que le gouvernement fédéral, par le biais de cette loi, se donnait une possibilité d'intervenir là il n'y avait pas de juridiction provinciale ou encore là où la juridiction provinciale était faible. Vous y voyez encore une faiblesse. Est-ce que la loi constitutionnelle ne reconnaît pas le pouvoir des provinces? Est-ce que votre suggestion était que le gouvernement mette en place une loi qui viendrait par-dessus tout ça, une loi qui ne prendrait pas en considération ou ne reconnaîtrait pas le pouvoir des provinces? Est-ce que ça ne serait pas considéré comme une ingérence que de ne pas reconnaître le pouvoir des provinces?

[Traduction]

M. Dale Gibson: Merci.

Vous avez raison, cette loi fait l'objet de deux critiques, deux faiblesses ont été relevées. Tout d'abord, j'ai considéré que le Parlement du Canada n'avait pas assez fait usage des pouvoirs constitutionnels dont il disposait. C'était le premier point.

• 1015

En second lieu, en cherchant à faire appel au pouvoir dont il disposait en matière de droit criminel, il a pour l'essentiel mis en place un mécanisme réglementaire et non pas un ensemble d'interdictions, ce qu'exige la Constitution lorsqu'on fait appel au pouvoir du droit criminel, qui est fondamentalement de type répressif et non pas réglementaire. Je disais donc que si l'on faisait usage du pouvoir relatif au droit criminel, il fallait prononcer des interdictions, comme c'est la règle dans ce cas.

Mais votre question porte aussi, je pense, sur les rôles respectifs des régimes fédéraux et provinciaux. Les provinces ont à mon avis une compétence très étendue lorsqu'il s'agit de traiter des espèces en péril et de différentes questions liées à l'environnement. Cette compétence provinciale étendue chevauche la compétence fédérale. Vous n'ignorez pas que lorsqu'il y a un chevauchement entre les compétences fédérales et provinciales, la compétence fédérale prime. Selon la stratégie que j'ai préconisée, il faut que le gouvernement du Canada soit prêt à faire usage de ses pouvoirs dans toute la mesure du nécessaire, tout en respectant le droit pour les provinces d'agir comme elles estiment devoir le faire. Si les provinces font un bon travail, il n'y aura aucun conflit avec la loi fédérale—il se peut d'ailleurs que les provinces fassent un meilleur travail que le Parlement fédéral. Je ne demande pas au Parlement fédéral de chercher à se substituer aux provinces ou à gêner leur action. Je propose que le gouvernement fédéral soit prêt à faire usage au maximum de ses pouvoirs pour s'assurer que les provinces font le nécessaire et n'apporte ensuite que le complément qui relève du Parlement fédéral.

Il faut espérer qu'il y ait collaboration et non pas concurrence entre les provinces et le gouvernement du Canada. Je n'ai rien contre la collaboration car je considère que c'est ainsi que l'on doit appliquer les constitutions. Je m'oppose, par contre, à ce que le gouvernement du Canada prétende que les pouvoirs dont il dispose ne sont pas aussi étendus qu'ils ne le sont en réalité.

Mme Hélène Scherrer: Avez-vous un commentaire à ajouter?

Mme Magdalena Muir: J'aimerais faire un commentaire. Je n'ajouterai qu'une ou deux choses, car le professeur Gibson a traité la question de manière très exhaustive.

Tout d'abord—ce sont des observations qui figurent à la page cinq de notre mémoire, de sorte que je vais m'y référer plus ou moins—la compétence partagée en matière d'environnement est la règle et non pas l'exception. Dans de nombreux cas, il s'agit d'espèces que l'on a clairement le droit de réglementer—qu'il s'agisse des poissons, des espèces marines, d'eau douce ou d'eau salée, des oiseaux migrateurs, qui relèvent d'un traité de l'empire, ou d'espèces qui traversent les frontières provinciales ou dont l'habitat se retrouve dans plusieurs régions. Dans un tel cas, je considère que le gouvernement fédéral a clairement un rôle à jouer. En cas de chevauchement, ou si ce sont les provinces qui en ont la charge, je pense qu'il faudrait éventuellement pouvoir disposer d'un mécanisme de règlement administratif pour éliminer les conflits ou remédier aux faits accomplis. Toutefois, pour de nombreuses espèces qui ne semblent pas respecter ce que l'on peut considérer comme étant des frontières politiques arbitraires, il est parfois tout à fait indispensable d'avoir une approche globale.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Je vous remercie.

Monsieur Reed, puis madame Redman.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci, madame la présidente.

Madame Muir, pourriez-vous nous exposer plus en détail votre conception des mécanismes de participation du public.

• 1020

Mme Magdalena Muir: C'est une question de nature générale, dont la portée est très large. Pourriez-vous me la répéter et éventuellement la préciser? Vous me parliez de la participation du public?

M. Julian Reed: Je sais qu'il y a dans certaines provinces des lois qui favorisent la participation du public et il y a même une loi qui dispose, par exemple, que n'importe quelle personne peut intervenir ou arrêter un projet. Je connais personnellement un collègue qui est passé par là. Finalement, après six mois de retard, l'auteur du projet s'est retrouvé avec des intérêts de 50 000 $ à payer, et les objections de deux citoyens, qui ont pu se prévaloir de la loi, ont été jugées spécieuses et inspirées par une réaction émotive face au projet. Voilà ce qui se passe, à mon avis, lorsque la participation du public va trop loin et qu'un particulier peut agir de cette manière sans encourir personnellement aucune responsabilité pour ses folles poursuites.

Mme Magdalena Muir: Je ne crois pas que ce soit important pour les faits en cause, mais vous vous référez à une procédure administrative, à une consultation officielle à laquelle quelqu'un s'est opposé?

M. Julian Reed: Non.

Mme Magdalena Muir: Il serait peut-être préférable que je vous dise ce que doit être à notre avis la participation du public et vous pourrez ensuite faire les objections qui s'imposent sur certains points.

M. Julian Reed: Très bien.

Mme Magdalena Muir: Les faits que vous évoquez me paraissent s'appliquer à une situation bien particulière, alors que nous cherchons à placer la participation du public dans un cadre très général—sans vouloir pour cela négliger vos préoccupations détaillées. Dans l'ensemble des lois sur l'environnement—et il est probable que c'est une évolution qui s'est faite au cours des 10 ou 20 dernières années—le rôle joué par le public est bien plus large. On a pu le voir dans différentes lois que nous avons appuyées. Il s'est agi par exemple d'informer le public concernant la nature d'une espèce ou d'un enjeu; de le faire participer ou de lui donner la possibilité de commenter d'une manière ou d'une autre les prises de décisions, qui peuvent porter ici sur le classement des espèces ou sur les accords visant à les protéger; de mettre en place une certaine forme de responsabilisation; enfin, dans d'autres lois encore, de la possibilité d'intenter certains recours privés au cas où le gouvernement fédéral ne ferait pas appliquer ses propres lois. Il y a donc tout un éventail de mesures autorisant la participation du public. C'est généralement ce que nous avons préconisé.

Nous avons ensuite cherché précisément, vous trouverez ces commentaires aux pages 15 à 17, à définir les enjeux et les problèmes. Lorsqu'on considère la chose dans son ensemble, il semble que cette loi, telle qu'elle est proposée à l'heure actuelle, ne favorise pas suffisamment la consultation, la participation et les recours publics. Ainsi, vous avez écarté la possibilité d'intenter, dans le cadre de poursuites civiles indépendantes, un recours obligeant le ministre à prendre des mesures de protection. Même si ce genre de recours a des limites qui lui sont propres, on devrait au moins autoriser le public à l'intenter dans ce domaine.

Quant à la délégation de pouvoirs, si vous déléguez les pouvoirs fédéraux à un tiers, qu'il s'agisse d'une province ou d'un organisme administratif, comment vont être transférées certaines de ces obligations, concernant l'information ou la participation? Comment va-t-on pouvoir commenter des ententes qui sont souvent privées?

• 1025

Les commentaires ont porté sur le classement lui-même ainsi que sur la nature de la participation à l'ensemble des travaux du comité. Ils ont porté sur la participation du public aux programmes de rétablissement et aux accords d'indemnisation. Par conséquent, la participation du public, du moins telle que nous l'avons envisagée, est très large et touche différents domaines, la qualité de l'information, l'information donnée dans les différents accords, la possibilité de consulter ces derniers.

M. Julian Reed: Madame Muir, vous avez bien mis le doigt sur la question des recours privés. Est-ce qu'une personne qui intente un recours privé doit encourir une responsabilité?

Mme Magdalena Muir: Il nous faut envisager en quoi consiste le recours privé. Parlons d'un point de vue théorique.

Aux termes de la Loi sur les pêches, par exemple, je peux intenter un recours privé pour essayer d'obliger le gouvernement à faire appliquer la loi. Il est interdit de rejeter des substances toxiques dans les eaux que fréquentent les poissons. Imaginons que le ministère responsable de cette loi, que ce soit Pêches et Océans Canada ou un autre organisme, si ce pouvoir a été délégué à un gouvernement provincial, décide de ne pas faire appliquer cette loi. En vertu de ce texte de loi, un simple citoyen a la possibilité de dire au gouvernement fédéral qu'il existe une loi d'application obligatoire, que le gouvernement fédéral ne respecte pas cette obligation, et qu'il va intenter un recours privé pour l'obliger finalement à faire ce que la loi exige. Pourquoi quelqu'un qui s'efforce de faire appliquer une loi en vigueur, qui devrait de toute façon être appliquée, devrait-il encourir une responsabilité?

M. Julian Reed: Ce que je vous dis, c'est que certaines réactions du public sont purement émotives et ne tiennent pas compte des faits, mais qu'elles risquent de bloquer un projet. Il se peut que l'intéressé pense avoir une bonne raison d'intervenir. Si ces motifs s'avèrent spécieux, si la réaction est purement émotive, le citoyen en cause n'encoure-t-il pas une responsabilité?

Mme Magdalena Muir: Je voulais vous faire comprendre que tous les cas de figures sont possibles, selon les situations. S'il s'agit par exemple d'essayer de faire autoriser par voie réglementaire un projet énergétique et qu'une personne financée par un concurrent vient se mettre en travers du projet en évoquant des motifs écologiques, essayant de le retarder pour désavantager l'auteur du projet face à la concurrence, il est possible qu'une sanction s'impose. Si l'on intente un recours parce que l'on estime qu'une loi fédérale d'application obligatoire n'a pas été suivie d'effet, et si le gouvernement a décidé, comme c'est sa prérogative, d'adopter une loi me donnant le droit d'intenter un recours, ou du moins de forcer une enquête dans un tel cas, je ne crois pas qu'une sanction s'impose. Je vous répondrai donc que tout dépend des circonstances.

La vice-présidente (Karen Kraft Sloan): Merci, madame Muir. Il y a des cas, à mon avis, où le gouvernement agit davantage pour des motifs politiques qu'en fonction des faits.

Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, madame la présidente.

La politique de la protection de l'habitat en vertu du projet de loi C-5 est celle de la carotte. On incite les gens à faire le nécessaire et il est bien évident que l'on ne peut pas légiférer en matière de participation volontaire. Les situations peuvent varier selon les circonstances locales. De plus, il sera de la plus haute importance de répertorier l'habitat pour assurer la survie et le rétablissement des espèces figurant sur la liste. Le projet de loi C-5 vise à instaurer un climat de confiance et de collaboration entre les parties, sans faire usage du bâton, parce que nous voulons éviter que l'on ait recours à l'extermination et à la politique de la terre brûlée, que vous connaissez tous. N'êtes-vous pas d'accord pour dire que pour instaurer un tel climat, pour qu'il y ait véritablement un rétablissement des espèces sur le terrain, il faut que l'on invite les gens à coopérer volontairement?

Mme Magdalena Muir: Je pense que nous abordons ici avant tout la question de la collaboration entre les gouvernements et même entre les différents intervenants privés. Ai-je raison de dire que vous nous parlez des interactions entre différents paliers de gouvernement, mais aussi avec les particuliers?

Mme Karen Redman: Oui, effectivement.

• 1030

Mme Magdalena Muir: Voilà pourquoi je disais tout à l'heure que nous avons toujours été en faveur d'une collaboration entre les organismes du gouvernement fédéral et ceux des provinces et des territoires, ainsi qu'entre les gouvernements et les intervenants privés, à condition que cette collaboration ne se traduise pas par une suppression de la protection de l'environnement ou par une non- application des lois sur l'environnement.

Même si, au sens large, nous sommes tout à fait d'accord pour dire qu'une participation volontaire est préférable, que la collaboration est très souhaitable, il arrive que cette collaboration donne de meilleurs résultats lorsqu'il existe par ailleurs des exigences strictes. Ce qui nous inquiète au sujet du pouvoir discrétionnaire, c'est que même la protection de l'environnement est de nature discrétionnaire, en tenant compte du fait qu'il y aura éventuellement des coûts, des difficultés ou des points de vue différents. Il est possible que rien ne se fasse en l'absence d'un minimum d'exigences obligatoires concernant la protection des espèces ou de leur habitat.

Nous estimons qu'il est préférable d'avoir un cadre d'application obligatoire et d'instaurer la collaboration des parties prenantes dans ce cadre. C'est essentiellement de cette façon qu'opère notre régime fédéral. C'est par l'intermédiaire d'accords administratifs, d'accords d'équivalence.

Mme Karen Redman: Au sujet des mesures de sauvegarde, je voulais en fait poser une question à M. Gibson, mais il a dû nous quitter avant que je puisse le faire. Il nous a effectivement bien décrit ces mesures de sauvegarde qui permettent au gouvernement fédéral d'intervenir lorsqu'un gouvernement provincial ne veut pas ou ne peut pas le faire. Je vous dirais que l'intervention peut se faire à trois niveaux mais qu'elle favorise au départ une participation volontaire, aussi bien des particuliers que des provinces et des territoires, dont on reconnaît le rôle.

Mme Magdalena Muir: Ce pouvoir discrétionnaire est en fait très étendu parce qu'il ne se limite pas aux terres fédérales ni même aux incidents qui se produisent sur ces terres. Je pense que c'est nécessaire à partir du moment où nous avons une loi qui vise à protéger à la fois les espèces et leur habitat. On ne devrait pas avoir à se demander au départ si l'on peut agir de telle ou telle manière. À partir du moment où l'on a le pouvoir discrétionnaire d'appliquer des mesures de sauvegarde, il semble préférable de se placer dans une situation exigeant au préalable que l'on protège les espèces en péril ainsi que leur habitat et que l'on prévoit ensuite des exemptions plutôt que d'accorder dans un premier temps le pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures de protection.

Disons qu'à notre avis il serait préférable de faire l'inverse dans la loi.

Mme Karen Redman: Pour que ce soit bien clair, vous ne voyez aucun inconvénient à ce qu'il y ait des exemptions.

Mme Magdalena Muir: Prenons différents exemples. Imaginons que dans une zone donnée, les parties prenantes aient passé un accord ou se soient entendues sur une méthode de protection des espèces et de leur habitat. Voilà qui justifie certainement une exemption, il n'est pas nécessaire dans ce cas d'imposer une méthode à partir du moment où les différentes parties ont passé un accord de leur plein gré et où la province protège bien l'espèce ou son habitat.

Mme Karen Redman: L'article 126 fait état des obligations concernant la transparence et le devoir de rendre des comptes au public dans le projet de loi C-5 et l'on y traite du rapport annuel du ministre, des programmes d'évaluation et de rétablissement du COSEPAC ainsi que de l'organisation d'une table ronde. Que pensez- vous de ces différentes mesures incorporées à la loi.

Mme Magdalena Muir: Je suis effectivement en train de consulter l'article 126. Quels sont exactement les paragraphes auxquels vous vous référez, pour être sûre que je n'oublie rien?

Mme Karen Redman: Je faisais tout simplement une référence générale au rapport annuel prévu à l'alinéa a), qui traite de l'évaluation du COSEPAC et de la réponse du ministre.

Mme Magdalena Muir: Je dirais que la portée de l'obligation d'information que prévoit l'article 126 est bonne. Tel que je la comprends, il y a eu en substance une amélioration par rapport à ce qui était prévu antérieurement. On couvre davantage de sujets.

Je ferais simplement observer, de manière générale, qu'il ne s'agit pas ici d'exiger des données précises et que la communication de l'information entre les parties est probablement le meilleur moyen d'apaiser les inquiétudes. En élaborant un rapport annuel, en fixant différentes conditions et en étendant la portée de ces rapports, le gouvernement fait preuve d'un grand dynamisme et s'efforce d'apaiser les craintes des parties, qui ont au moins l'impression que l'on tient compte de leurs préoccupations et que la population est informée. C'est une mesure qu'il convient d'appuyer résolument.

La vice-présidente (Karen Kraft Sloan): Merci, madame Redmond.

Nous avons fait un premier tour et la présidente souhaiterait poser une ou deux questions.

Ce qui inquiète nombre d'entre nous au sujet du pouvoir discrétionnaire, c'est que bien souvent il n'est pas exercé, notamment lorsqu'il s'agit de lois sur l'environnement ou qui font état de préoccupations environnementales, le gouvernement fédéral étant autorisé à intervenir si les provinces n'agissent pas. Ces pouvoirs discrétionnaires ne sont pas exercés. C'est une première chose.

• 1035

En second lieu, ce pouvoir discrétionnaire peut s'exercer dans les deux sens. Le gouvernement fédéral peut en fait agir dans bien des domaines alors qu'il ne l'avait pas fait par le passé, de sorte que la population ne sait pas vraiment où on s'en va, quelles vont être les règles. C'est pourquoi j'ai apprécié vos commentaires en ce qui a trait à l'application volontaire et à la nécessité d'user à la fois de la carotte et du bâton. Monte Hummel, du Fonds mondial pour la nature, nous a conseillé de faire usage d'un bâton en mousse, mais il faut bien qu'il y ait un bâton quelque part.

Je m'aperçois par ailleurs que vous semblez avoir une bonne connaissance et une grande expérience du droit de l'environnement. Je me demande si vous avez des documents qui répertorient, évoquent et décrivent clairement cette politique de «l'extermination et de la terre brûlée» dont vous nous avez parlé.

Mme Magdalena Muir: Excusez-moi...? La politique «de l'extermination et de la terre brûlée»?

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): De nombreux témoins et de nombreux intervenants sont venus nous parler ici de la politique «d'extermination et de la terre brûlée». Si j'ai bien compris, cela revient à dire que ceux qui ont une espèce en péril sur leur terrain les exterminent et les font disparaître rapidement pour ne plus avoir à en parler. Il y a d'autres cas répertoriés de personnes qui souhaitent vendre leurs terrains. Elles ne veulent pas avoir affaire à des espèces en péril et, par conséquent, elles les exterminent ou elles les font disparaître, s'il s'agit d'une plante, par exemple. Ce n'est pas au fusil que l'on va exterminer une plante, mais on peut l'arracher et l'enterrer. On peut aussi tuer les chouettes des terriers et les lancer, par exemple, par- dessus la clôture du voisin. Ce serait donc parce que la loi est trop restrictive et parce qu'elle impose des obligations trop lourdes que l'on détruit et que l'on tue de nombreuses espèces en péril, tout simplement pour s'en débarrasser.

Mme Magdalena Muir: Je peux vous dire que j'en ai entendu parler, mais c'est généralement au sujet de la Loi sur les espèces en voie de disparition des États-Unis, et j'imagine que c'est de là-bas que nous viennent ces inquiétudes. Voilà une question qui ne manque pas d'intérêt. Doit-on s'abstenir de protéger une espèce ou un habitat parce que si l'on s'efforce de le faire on court le risque que la population désobéisse à la loi et tue les espèces en question?

Voilà qui m'apparaît, tout d'abord, comme étant une solution extrême. C'est presque de la désobéissance civile ou un acte criminel. J'insiste cependant sur le fait qu'à partir du moment où l'on a un pouvoir discrétionnaire, il faut qu'il soit appliqué à bon escient et de manière uniforme. Sinon, on adopte des mesures draconiennes et imprévisibles. Le pouvoir discrétionnaire pose des problèmes. Il se peut qu'il ne soit pas exercé, surtout lorsqu'on se met à déléguer des pouvoirs parce qu'à partir de ce moment-là il n'est même pas nécessaire d'agir de manière uniforme. Les mesures peuvent devenir imprévisibles.

Sous les feux de l'actualité, une action qui n'aurait entraîné qu'une réprimande jusqu'alors risque d'encourir toutes les foudres de la loi. Je pense que c'est là que le pouvoir discrétionnaire peut poser de gros problèmes. C'est une chose que l'on connaît bien et qui arrive parfois au sujet des lois provinciales sur l'environnement. Lorsqu'un problème fait les manchettes, le risque que des accusations soient portées augmente. C'est en partie la grande raison pour laquelle nous avons demandé que l'on supprime le pouvoir discrétionnaire et que l'on établisse des normes scientifiques plus objectives, parfois même au point d'envisager des accords ou une application volontaire.

C'est peut-être une opinion personnelle, mais je me demande si la politique «de l'extermination et de la terre brûlée» est vraiment à envisager et si ce n'est pas simplement une solution extrême. Prenons le cas, par exemple, des éleveurs ou des agriculteurs, qui sont très attachés à leurs terres. Certains d'entre eux pourraient enfreindre la loi, mais je pense que l'on trouvera parmi eux les plus ardents défenseurs de l'environnement, à condition de leur donner un bon cadre d'intervention. À condition éventuellement qu'il y ait une certaine indemnisation ou encore des crédits d'impôts ou certains avantages financiers, les intervenants seront tous prêts à collaborer.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Effectivement, et on n'a pas manqué d'en donner la preuve devant le comité. C'est simplement que nous avons beaucoup entendu parler de la politique «de l'extermination et de la terre brûlée». Lorsque j'ai participé en 1997 aux délibérations du comité sur le projet de loi précédent, le projet de loi C-65, j'avais déjà entendu évoquer ce phénomène, mais je cherche toujours à avoir les preuves de ce genre de chose.

• 1040

Je me demande si vous êtes familiarisé avec le groupe de travail sur les espèces en péril. Il regroupe des représentants des différents secteurs industriels ainsi que des écologistes qui opèrent par voie de consensus. Il faut avouer que c'est un groupe bien spécial de personnes qui s'intéressent aux lois sur l'environnement. Il a fait un excellent exposé devant notre comité, il ya quelques semaines. Connaissez-vous ce groupe?

Mme Magdalena Muir: Je connais le fonctionnement général de ce groupe et je sais qu'il agit par la voie de la collaboration. Je crois savoir aussi qu'il nous a fait des propositions dont la portée est plus large que les dispositions actuelles du projet de loi qui nous est présenté, et qui pourraient aller plus loin, peut- on supposer, dans la voie de la protection des espèces et de leur habitat. Je n'ai pas toutefois devant moi le mémoire qu'il a effectivement présenté.

Je vous dirais cependant qu'à mesure que les lois sur l'environnement vont évoluer, les démarches de ce genre, faisant appel au consensus, vont se multiplier. Vous allez assister à une collaboration entre les secteurs industriels, les écologistes et le public. En dépit du fait que certains problèmes écologiques rejaillissent sur le secteur de l'énergie, la collaboration est grande sur de nombreux points. J'ai bien l'impression que c'est la tendance de l'avenir. C'est une bonne tendance, mais c'est ce que nous réserve l'avenir.

Considérons simplement la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Il y avait un comité consultatif sur la réglementation composé de représentants de l'industrie, du gouvernement et des différents ministères ainsi que des groupements écologistes. Je dirais que finalement la chose est très courante.

Si vous pouvez me citer une observation précise qu'a pu faire ce groupe, je me ferai un plaisir de la commenter, mais je n'ai pas son mémoire devant moi et je n'en connais pas tous les détails.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Je m'intéresse à la proposition de règlement extrajudiciaire des conflits qui résulte de ses discussions et, si vous pouvez le faire maintenant, j'aimerais que vous nous commentiez brièvement la chose. Sinon, serait-il possible—et je sais que tout le monde est très occupé, que chacun a sa carrière, etc.—si vous ne pouvez pas commenter la chose maintenant, que vous fassiez parvenir au comité un bref commentaire sur la question des règlements extrajudiciaires des conflits? Nous serions heureux d'en prendre connaissance.

Mme Magdalena Muir: Pouvez-vous me dire brièvement en quoi consiste le règlement extrajudiciaire des conflits?

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Excusez-moi. Je n'ai pas le document sur moi. C'est pourquoi j'avais pensé que si vous saviez quelque chose...

Mme Magdalena Muir: Nous sommes tout disposés à examiner cette question et à la commenter. Je ne peux pas vous dire pour l'instant à quel point ces commentaires seront détaillés, mais ce sera certainement intéressant.

Je tiens à vous dire qu'il nous est déjà arrivé de faire des commentaires au sujet de procédés d'application volontaire relevant d'autres lois, de sorte que c'est un sujet qui ne nous est pas étranger.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Très bien. Merci beaucoup.

Monsieur Comartin, lors du deuxième tour.

M. Joe Comartin: Merci, madame la présidente.

Dans le même ordre d'idée, si vous faites des commentaires au sujet des REC, pourriez-vous nous préciser comment pourrait fonctionner le mécanisme d'indemnisation? La question a été évoquée et on en a assez longuement discuté—je ne vous demande pas d'en parler dès maintenant, mais nous aimerions simplement avoir une réponse par écrit.

Mme Magdalena Muir: Je vous répondrais qu'il serait plus facile d'apporter des commentaires si l'on pouvait se référer à un projet déterminé. Est-ce que l'on a déjà proposé à votre comité un mode d'indemnisation que vous êtes susceptible d'envisager dans vos recommandations?

M. Joe Comartin: Il y a le rapport Pearse, qui est un rapport très complet.

Mme Magdalena Muir: J'ai examiné le rapport Pearse, mais l'on n'y traite que des principes généraux. Avez-vous un cadre précis dont vous envisagez l'application?

M. Joe Comartin: Non, nous sommes encore en train de formuler...la proposition du gouvernement doit faire l'objet d'un règlement, mais nous n'avons pas encore ce règlement.

Mme Magdalena Muir: Nous envisagerons certainement la chose, mais je dois vous dire qu'en l'absence de régime d'indemnisation précis, il nous est difficile d'entrer davantage dans les détails.

M. Joe Comartin: Je pense que nous pouvons envisager quelque chose en provenance...nous avons entendu dire que dans d'autres lois sur l'environnement il y a certaines dispositions à ce sujet dans le pays. Avez-vous une idée de la façon dont ça pourrait fonctionner, tout particulièrement en ce qui concerne la méthode...

Mme Magdalena Muir: Nous pouvons certainement nous pencher sur la question, mais les rapprochements ne sont pas automatiques, ne l'oubliez pas. C'est pourquoi je vous ai fait des commentaires précis au sujet de la Loi sur les droits de surface. À mon avis, on ne peut pas comparer directement les deux situations.

M. Joe Comartin: J'aimerais enchaîner sur la question posée par M. Reed. Pour tout ce qui a trait à la participation du public, vous n'avez à aucun moment évoqué dans votre mémoire les poursuites intentées par les particuliers. Il s'agit en l'occurrence du droit pour les particuliers d'intenter en bonne et due forme des poursuites contre une société ou contre le gouvernement pour les obliger à appliquer la loi. Est-ce que votre association a une position à ce sujet?

Mme Magdalena Muir: Nous avons en fait évoqué la chose. Reportez-vous à la page 15 de notre mémoire, où nous mentionnons qu'il y a des dispositions qui figuraient antérieurement dans la loi mais qui ont été retirées. Il s'agit en l'espèce de la possibilité d'intenter des poursuites pour que soient protégées les espèces en péril. Si vous permettez, j'ai ici les mémoires que nous avons rédigés par le passé et je vais vérifier pour savoir quels commentaires nous avons faits au sujet du projet de loi C-65 afin de voir si nous avions prévu des dispositions détaillées.

• 1045

Je n'ai que les pages impaires de notre mémoire précédent, et non pas les pages paires, sur lesquelles figurait l'article 60. Nous avons donc traité la question dans notre mémoire antérieur. Je vais vous citer la chose de mémoire, si vous le voulez bien, puisque je n'ai pas les pages correspondantes, mais dans ce mémoire rédigé en décembre 1996 au sujet du projet de loi C-65, à la page 10, nous avons mentionné les mesures de protection, mais malheureusement je ne peux pas vous les citer textuellement parce que je n'ai ici que les pages 9 et 11.

M. Joe Comartin: Je n'ai pas la copie de ce mémoire. Je n'étais pas là à l'époque, pourriez-vous nous le faire parvenir?

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Oui, ce serait très utile. Si je me souviens bien, les particuliers ne pouvaient intenter des poursuites qu'à un certain nombre de conditions, ce qui rendait la chose très difficile, mais ces dispositions figuraient néanmoins dans le projet de loi, ce qui ne manque pas d'être inquiétant lorsqu'on voit qu'elles ne figurent plus dans le nouveau texte. J'ai relevé avec intérêt vos commentaires au sujet de la participation du public étant donné que les fonctionnaires nous ont dit que cette participation avait été très grande tout au long de la procédure.

Monsieur Comartin, voulez-vous ajouter rapidement quelque chose?

M. Joe Comartin: Non, c'est très bien comme ça, madame la présidente, je vous remercie.

Mme Magdalena Muir: Nous pourrions ajouter certaines choses à ce que nous avons dit dans notre mémoire antérieur. Sans que ce soit très long, nous pourrions faire figurer dans notre réponse un minimum d'observations au sujet des poursuites intentées par les particuliers.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Ce serait très utile. Je vous remercie.

Mme Magdalena Muir: J'ai dit un minimum d'observations.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Très bien. Nous sommes très heureux du travail que vous avez accompli jusqu'à présent.

Monsieur Reed.

M. Julian Reed: Merci, madame la présidente.

La liste du COSEPAC comprend des espèces qui sont jugées en péril au Canada, mais non aux États-Unis. La vie se moque des frontières politiques. Par conséquent, n'est-ce pas en soi une justification du pouvoir discrétionnaire?

Mme Magdalena Muir: Est-ce que le scénario envisagé est celui d'une espèce protégée au Canada, mais non aux États-Unis? S'agit-il d'une espèce jugée en péril en fonction de normes scientifiques objectives?

M. Julian Reed: On nous a parlé—je crois que c'était hier, d'une espèce d'oiseaux qui n'apparaît que rarement au Canada. Elle est inscrite au Canada sur la liste des espèces en péril, mais elle n'est pas du tout en péril à moins que l'on s'en tienne aux frontières politiques. Il m'apparaît que c'est en soi la meilleure justification du pouvoir discrétionnaire, sans que l'on ait pour cela à remplacer les «peut» par des «doit» dans la loi.

Mme Magdalena Muir: Bon. Vous prenez le cas d'une espèce qui n'apparaît que rarement au Canada mais qui n'est peut-être pas en danger sur son territoire habituel.

J'aimerais tout d'abord faire un commentaire au sujet de cette liste. Je pense qu'il est important de l'incorporer à la loi. Il faudrait établir un calendrier pour régler toutes ces questions pratiques lorsqu'il s'agit de savoir si telle ou telle espèce doit vraiment figurer sur la liste. Étant donné le nombre des espèces, il est bien possible qu'il y en ait quelques-unes qui soient mal classées, mais voilà des années que dure cette opération. Je crois savoir que cette liste était l'aboutissement d'un certain consensus scientifique, qu'elle était en quelque sorte légitimement constituée, du moins au départ, et qu'il y a longtemps qu'elle est en cours d'élaboration. Je considère qu'une loi ne comportant pas la liste des espèces en annexe n'est qu'une coquille vide. À partir du moment où cette liste des espèces a été constituée sur la base de critères scientifiques et où l'on reconnaît que la procédure d'élaboration a été jusqu'à présent valide, il est alors logique qu'elle soit intégrée à la loi, en prévoyant éventuellement un certain délai de six mois ou d'un an pour pouvoir remettre en cause éventuellement tel ou tel classement. Il convient toutefois de l'incorporer à la loi.

• 1050

D'autres questions se posent. Dans le cas que vous venez de décrire, soit celui d'un oiseau assez commun qui ne se trouve que rarement sur le territoire, une radiation de la liste s'impose probablement. Si l'on retrouve chez nous une espèce qui, pour des raisons de frontières, n'est pas protégée dans un autre pays, mais qui est véritablement en péril, en dépit du fait que nous ne pouvons pas nécessairement encourager notre voisin à le protéger, je crois que nous avons une raison valable de protéger cette espèce et son habitat.

Il est toutefois intéressant de relever, lorsqu'on compare notre situation à celle des États-Unis et du Mexique, que ces derniers protègent davantage leurs espèces en péril que nous, et qu'en faisant usage de notre pouvoir discrétionnaire, nous n'allons pas dans le même sens qu'eux, nous nous en éloignons. Ce seront donc peut-être davantage les États-Unis qui auront à se plaindre du fait que nous ne protégeons pas nos espèces aussi bien qu'eux.

M. Julian Reed: Puis-je vous raconter une petite anecdote?

On a découvert dans la rivière Mississippi, en Ontario, trois spécimens d'un poisson appelé suceur ballot. La découverte de cette espèce rare a amené l'annulation d'un projet hydroélectrique sur la rivière Mississippi. Après enquête, on a constaté que le suceur ballot était une espèce très commune de meunier noir. On la retrouve dans toute l'Amérique du Nord. Elle se trouvait là dans l'un de ses habitats situés les plus au nord. À mon avis, en l'absence d'un pouvoir discrétionnaire dans un tel cas, une application obligatoire va s'imposer dans presque toutes les situations.

Mme Magdalena Muir: Aux termes de la loi actuelle, c'est le cabinet fédéral qui décide du classement des espèces. On ne nous dit pas que ce classement va s'appuyer sur des critères scientifiques objectifs. Il y a donc en substance un pouvoir discrétionnaire et une politisation pour chaque espèce figurant sur la liste. Les difficultés que vous évoquez pourraient certainement être écartées en prévoyant effectivement un mécanisme permettant de déterminer objectivement quelles sont les espèces devant figurer sur la liste en donnant la possibilité au gouvernement, à titre exceptionnel et dans les cas particuliers que vous venez de décrire, de retirer une espèce de la liste au motif qu'on ne la trouve peut-être pas au Canada mais qu'elle occupe ailleurs un territoire étendu.

Si l'on permet que les espèces soient classées en vertu d'une décision politique, il se peut qu'un grand nombre d'espèces ne figurent pas sur la liste parce qu'éventuellement elles dérangent l'exploitation forestière, elles entrent en conflit avec l'exploitation manière, notamment dans le secteur du gaz et du pétrole, ou encore avec l'agriculture. Donc, au lieu de dire que ces espèces ont besoin de protection, que leur habitat doit être protégé, on perd son temps à faire des compromis et à se demander si l'on peut se permettre de les classer sur la liste. Quels compromis faut-il faire, comment les mettre en oeuvre et jusqu'à quel point?

M. Julian Reed: J'ai mon idée à ce sujet, mais...

Mme Magdalena Muir: Je raisonnais simplement d'un point de vue théorique.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Merci, monsieur Reed et madame Muir.

J'avais cru comprendre, lorsque nous avons entendu les représentants du COSEPAC ainsi que le Dr Scudder, lorsque nous avons évoqué le cas de ces espèces qui se retrouvent au Canada et que l'on peut considérer ici comme étant en péril, sans qu'elles le soient aux États-Unis, où leur population est abondante, que cela s'expliquait entre autres par le fait qu'il s'agissait de variétés géographiquement distinctes.

Mme Magdalena Muir: Il pourrait s'agir de populations distinctes, même si c'est une espèce commune.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Tout à fait.

Je pense que vous avez eu raison de le signaler, monsieur Reed, mais il nous faudra revoir le compte rendu de nos délibérations parce que, si je comprends bien, ceux qui ont révisé les listes ont pris bien soin de tenir compte de tout cela, sachant que si une espèce se retrouve à l'occasion au Canada, et donc en petit nombre, elle ne peut pas vraiment être considérée comme étant en péril si sa présence n'est qu'occasionnelle. Toutefois, s'il s'agit d'une population distincte qui, au fil des années, en est venue à occuper un territoire à part, le problème est différent. C'est pratiquement devenu une sous-espèce, j'imagine, mais sur un territoire distinct.

Il me paraît important par ailleurs que notre comité se penche sur une autre question qui a été soulevée hier—et cette question ne manque pas d'être évoquée chaque fois que l'on se retrouve dans des réunions internationales—à savoir que le Canada est un grand pays dans lequel on retrouve une bonne partie des ressources naturelles du monde. C'est l'un des seuls endroits sur la terre où l'on retrouve nombre de ressources naturelles importantes, du fait de l'étendue de son territoire. Le problème, bien entendu, c'est qu'à l'image de tous les pays développés, nous empiétons sur la nature et sur l'habitat des espèces, mettant celle-ci en péril.

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Il est important de ne pas oublier, c'est ce qu'on nous a expliqué hier, que les individus qui se trouvent à la limite de leur habitat ont leur importance pour l'ensemble de l'espèce, parce qu'il faut qu'ils puissent exister dans les marges. Ils font preuve d'une plus grande souplesse pour s'adapter et, par conséquent, ils sont plus importants pour la survie de l'espèce que les individus bénéficiant de meilleures conditions au coeur de leur habitat, là où la vie est un peu plus facile et où la nourriture est plus abondante. Par conséquent, lorsque nous considérons les espèces en péril au Canada, tout particulièrement les espèces transfrontalières, bien souvent ces populations revêtent une grande importance pour la survie de l'ensemble de l'espèce.

Mme Magdalena Muir: C'est intéressant. Je ferai rapidement deux observations.

Tout d'abord, cela nous fait comprendre toute la différence qu'il y a entre les scientifiques et les avocats, ou même entre les différents types de politiques, lorsqu'il s'agit de définir une espèce ou un écosystème, et la nécessité, pratiquement, de séparer les deux choses. Toutefois, lorsqu'on se penche sur certaines populations, par exemple celle des bélugas, une espèce que je connais bien, il y a une population dans l'ouest de l'Arctique que se partagent le Canada, les États-Unis et la Russie, qui est très abondante et qui soulève un grand nombre de problèmes internationaux. Il y a une autre population dans la baie d'Hudson, qui n'est aucunement menacée, tout particulièrement autour du Manitoba, et il y a une aussi dans l'est de l'Arctique, dont la situation n'est peut-être pas aussi enviable. Chaque population a donc bien souvent une signature génétique particulière et peut effectivement vivre dans des conditions totalement différentes.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Je pense que cela nous ramène à ce que nous avons dit tout à l'heure, et il est bien dommage que M. Herron n'ait pas pu assister à cette discussion entourant le fait que la loi—d'ailleurs pas nécessairement la loi, mais la façon dont on la fait respecter—peut être appliquée différemment selon les régions du pays. Il est indéniable qu'il a souvent évoqué cette question des différents paliers d'application.

Mme Magdalena Muir: C'est ce qui doit se passer à l'intérieur du pays, mais il faut bien voir aussi, à mon avis, qu'en raison de leur importance, un certain nombre d'espèces comme les ours polaires, certaines baleines ou encore la harde de caribous de la Porcupine sont gérées au niveau international, souvent en collaboration avec les Premières nations et plusieurs paliers de gouvernement au Canada de même qu'avec les États-Unis.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Très bien. Y a-t- il d'autres questions pour nos témoins?

Je vous remercie. Cette séance a été très utile. N'étant pas avocate, je complique parfois la tâche de mon personnel. Je ne sais pas si mes collègues seront d'accord avec moi, mais pour ma part j'ai bien apprécié le fait que vous nous ayez apporté tous ces éclaircissements. Avec M. Gibson, vous avez souligné des points très importants.

Voulez-vous faire un récapitulatif?

Mme Magdalena Muir: C'est davantage une question de procédure. On nous a demandé des précisions sur un certain nombre de points et j'aimerais savoir quel est le délai fixé pour cela par le comité en fonction éventuellement de deux dates: la date à laquelle il aimerait obtenir ces renseignements, et la date à laquelle il en a réellement besoin.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Il faudrait que cela nous parvienne dans les deux ou trois prochaines semaines. Je sais que vous êtes très occupés et qu'il faut un certain temps pour préparer ce genre de documents. Par conséquent, si vous pouviez nous faire parvenir cette documentation... Il nous faudra en plus la faire traduire. Vous pourriez en discuter plus tard avec le greffier, qui vous aidera à résoudre les plus...

Mme Magdalena Muir: C'est parfait. Je pense que c'est possible en deux ou trois semaines. Nous avons aussi des services de traduction internes à l'ABC.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Vous pouvez nous faire parvenir ces documents dans la langue officielle de votre choix, mais il faut que ce soit dans l'une des langues officielles.

Mme Magdalena Muir: Nous préférons faire ce travail chez nous étant donné que nous sommes avocats et que nous voulons que le texte fasse également foi en anglais comme en français.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Ça nous convient parfaitement.

Je vous remercie une fois encore.

Monsieur Comartin.

M. Joe Comartin: Il s'agit de la motion de Mme Carroll. Les procès-verbaux du comité n'indiquent toujours pas que nous avons reçu une lettre du ministre.

La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Oui.

M. Joe Comartin: En outre—et j'imagine que cela figure dans les procès-verbaux de notre comité—je crois savoir, d'après ce que m'a dit l'un des participants, que les trois projets de rétablissement qui étaient en cours se poursuivent en dépit de la décision prise par un administrateur des Maritimes, et qu'en fait le comité continue à fonctionner d'une manière ou d'une autre. Je pense que les espèces concernées, dans les trois cas, étaient des oiseaux. Les travaux se sont effectivement poursuivis en ce qui les concernent dans le cadre du programme de rétablissement, et je voulais que ce soit consigné dans les procès-verbaux de notre comité.

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La vice-présidente (Mme Karen Kraft Sloan): Très bien. Je vous remercie, monsieur Comartin.

Je remercie tous les participants pour leur collaboration et pour la patience dont ils ont fait preuve aujourd'hui. La séance est levée.

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