:
Je déclare la séance ouverte.
[Français]
Bienvenue à la 19e réunion du Comité permanent de la science et de la recherche.
[Traduction]
Comme vous le savez, la réunion d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin. Nous avons des membres qui assistent en personne dans la salle et à distance à l'aide de l'application Zoom.
Conformément à l'alinéa 108(3)i) et à la motion adoptée par le Comité le jeudi 16 juin, nous nous réunissons dans le cadre de notre première étude sur la recherche et la publication scientifique en français.
J'aimerais faire quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité. Comme vous le savez, pour l'interprétation de ceux qui participent par Zoom, vous avez le choix au bas de votre écran entre le français, l'anglais et le parquet. Les personnes qui sont présentes dans la salle peuvent utiliser les écouteurs et sélectionner le canal de leur choix.
Je rappelle que toutes les observations doivent être formulées par l'entremise de la présidence. Pour les membres dans la salle, comme vous le savez, si vous souhaitez intervenir, veuillez utiliser la fonction « lever la main ». Le greffier et moi gérerons de notre mieux l'ordre des interventions.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos invités. Nous sommes ravis de vous recevoir, et nous avons hâte d'entendre vos témoignages.
Nous accueillons Mme Sylvie Lamoureux, professeure titulaire et chaire de recherche en gestion des langues, qui comparaît à titre personnel. De l'Acfas, nous recevons M. Jean‑Pierre Perreault, président, Mme Anne‑José Villeneuve, présidente de la section de l'Alberta, et Mme Laura Pelletier, chargée de projets, Francophonie canadienne.
Chaque groupe disposera de cinq minutes pour faire leur déclaration liminaire. À quatre minutes et demie, je brandirai cette carte. Je vous ferai savoir qu'il vous reste 30 secondes pour conclure vos remarques.
[Français]
Professeure Lamoureux, vous avez maintenant la parole.
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Madame la présidente, messieurs les vice-présidents, membres du Comité, je tiens à vous remercier de l'invitation à participer à cette première réunion dans le cadre de votre étude sur la recherche et la publication scientifique en français. Je vous félicite pour avoir retenu ce sujet particulier.
La protection et la valorisation de la recherche et de la publication scientifique en français sont importantes, non seulement pour la diffusion et la mobilisation des connaissances, mais également pour la valorisation et l'essor continus de la langue française. Pour reprendre les mots de l'auteur-compositeur-interprète Daniel Lavoie, le français est une langue qui pense, une langue belle et fière.
La recherche et la publication scientifiques en français font couler beaucoup d'encre depuis plus de 40 ans. Les travaux de collègues comme Vincent Larivière, de l'Université de Montréal, et Richard Marcoux, de l'Université Laval, démontrent l'urgence de se pencher maintenant sur cette question.
Tout comme le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, je suis d'avis qu'il faut promouvoir davantage la recherche en français, les publications savantes et celles vulgarisées pour le grand public, non seulement auprès de la communauté scientifique, mais aussi auprès des communautés concernées par les recherches et des communautés francophones en général. Ainsi, nous ferions rayonner le Canada dans la francophonie et au-delà.
J'étais ravie lorsque les Fonds de recherche du Québec ont lancé les prix Publication en français. J'étais même envieuse, puisque nous n'avons rien de tel en Ontario. C'est un bel incitatif pour encourager et valoriser la publication en français.
Je suis reconnaissante des divers appuis offerts aux revues francophones et bilingues canadiennes dans les domaines des sciences sociales, des sciences humaines et des arts et lettres, lesquelles sont majoritairement disponibles en libre accès sur la plateforme Érudit. Cependant, la réalité est que les publications scientifiques en français et la promotion du savoir scientifique en français sont en baisse. Les travaux de Vincent Larivière confirment un déclin important dans la création de nouvelles revues scientifiques en français, dans le monde en général, mais particulièrement au Canada.
La création de la plateforme Érudit a certes été d'une importance primordiale pour la reconnaissance de la publication scientifique en français au Canada et à l'international. Toutefois, le professeur Richard Marcoux, de l'Université Laval, a mis en évidence la précarité de l'existence même des revues savantes canadiennes, en particulier celles en français ou dans les deux langues officielles, en raison de leur lectorat restreint. Bien qu'elles ne représentent pas une occasion d'affaires pour les maisons d'édition étrangères ni pour les organismes qui pourraient les subventionner, ces publications répondent à un besoin d'information sur des dossiers canadiens importants, d'intérêt non seulement pour le Canada, mais aussi pour le reste du monde.
Les travaux de ce même professeur sur la publication scientifique en sciences humaines au Canada démontrent que les chercheurs francophones vont beaucoup puiser dans les recherches en anglais, sans que leurs collègues anglophones leur renvoient l'ascenseur. C'est un réel problème puisqu'une langue est plus que des mots: c'est une culture et une façon de penser et de voir le monde. Si on l'ignore, on se met des œillères.
Mon expérience de cheffe de file à l'Université d'Ottawa me permet de confirmer que plusieurs jeunes chercheurs s'inquiètent des effets négatifs du fait de publier en français lorsque vient le temps d'évaluer leur dossier de permanence ou de promotion.
Les revues en français ne sont généralement pas indexées. Faire le choix d'être publié en français, c'est choisir d'être moins cité. Certaines personnes considèrent ce choix de façon péjorative au lieu de reconnaitre l'importance de valoriser notre langue et d'assurer une diffusion scientifique dans notre langue.
Comment donc valoriser la recherche et la publication en français chez les chercheurs en devenir du Canada, jeunes et moins jeunes?
Le manque de publications en français me pose des défis lorsque je dois concevoir des cours universitaires en français. Je n'ai d'autre choix que d'avoir recours à des publications en anglais dans un cours qui se donne en français, ce qui est particulièrement problématique pour un cours de maîtrise qui s'intitule « Politique et aménagement linguistique au Canada », par exemple. Comment justifier cette réalité à des étudiants francophones provenant de l'étranger ou à des étudiants qui s'attendent à ce que la totalité, sinon la majorité, de leurs lectures soit en français?
Mes travaux de recherche ne portent pas directement sur ce sujet. Toutefois, ils mettent l'accent sur un effet secondaire — pour ne pas dire pervers — de l'homogénéisation linguistique de la recherche, soit le faible nombre de thèses de maîtrise et de doctorat rédigées en français. Cela vient renforcer le stéréotype voulant que, pour faire de la science, il faut la faire en anglais.
Cela crée un cercle vicieux quand vient le temps de passer d'une école élémentaire à une école secondaire ou de choisir un domaine d'études postsecondaires. À l'université, plusieurs croient que, pour bien réussir et être publié, il faut étudier en anglais, la science étant publiée dans cette langue.
C'est ce que je ressens personnellement lorsque je fais mes recherches, alors que j'entends les jeunes me dire pourquoi ils ont quitté l'école secondaire de langue française, pourquoi ils se sont inscrits dans un programme en anglais ou pourquoi ils ont choisi de faire leur thèse en anglais même s'ils sont inscrits à un programme en français.
En Ontario, les écoles secondaires de langue française ont vu le jour vers 1969...
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Merci, madame la présidente.
Chers membres du Comité, bonsoir. Je vous remercie de nous recevoir.
Je suis Jean‑Pierre Perreault, président de l'Acfas et vice‑recteur à la recherche et aux études supérieures à l'Université de Sherbrooke.
Notre association centenaire, l'Acfas, regroupe les chercheuses et les chercheurs d'expression française au Canada. Notre étude intitulée « Portrait et défis de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada » dévoile que les chercheurs et chercheuses d'expression française représentent 21 % de la communauté de la recherche au Canada, mais que seule la moitié d'entre eux déposent leurs demandes de subventions en français auprès des conseils subventionnaires fédéraux.
Dans ma propre discipline, la biochimie de l'ARN, je n'oserais même pas penser connaître le succès si je soumettais une demande en français. Trois raisons principales expliquent cela.
Premièrement, les conseils subventionnaires ont souvent eu mauvaise réputation sur le plan du traitement des demandes en français. Les évaluateurs évaluent leur propre niveau de bilinguisme, et certains ne comprennent pas complètement la demande francophone qu'ils sont en train de lire. Certains chercheurs francophones ont donc reçu de la part de certains conseils subventionnaires des commentaires expliquant le refus de financement de leur projet qui n'avaient aucun sens.
Le taux de succès des demandes déposées en français est plus bas que celui de celles déposées en anglais. Toute cette situation a créé une méfiance de la part des chercheurs d'expression française. Il y a donc un travail à poursuivre au sein des conseils subventionnaires fédéraux pour renverser la tendance et regagner la confiance de ces chercheurs.
Deuxièmement, en contexte minoritaire, beaucoup de chercheurs francophones travaillent au sein d'une université anglophone, où il n'est tout simplement pas possible de déposer de demande en français, parce que l'université ne pourrait pas la comprendre. C'est notamment pour contrer ce blocage que l'Acfas veut mettre en place un nouveau service d'aide à la recherche en français au Canada.
Finalement, à ces raisons s'ajoute évidemment le contexte international de la recherche, où l'anglais est la langue commune.
Du côté des publications et des communications savantes de langue française, les données de notre étude démontrent un déclin clair et net. Nos répondants, tous en francophonie minoritaire canadienne, indiquent qu'ils publient en anglais pour rejoindre un auditoire plus vaste, pour être davantage cités, pour avoir de meilleures chances d'obtenir des subventions et pour faire avancer leur carrière. L'anglais est d'ailleurs la langue de la majorité des revues savantes prestigieuses, ce qui pèse lourd dans le curriculum vitæ d'un chercheur.
Il est essentiel d'avoir une langue commune en recherche. Cela dit, il ne faut pas oublier la réalité locale. Il y a des connaissances à transmettre à notre communauté et un vocabulaire francophone à développer pour diffuser cette recherche. Les revues savantes francophones jouent d'ailleurs un rôle crucial dans le développement de ce vocabulaire.
On ne peut pas seulement mettre la faute sur l'environnement international de la recherche pour expliquer le déclin que l'on connaît. Comme je l'ai dit plus tôt, il y a au Canada un manque de confiance envers les conseils subventionnaires. Il y a aussi un manque de financement des revues savantes, des activités scientifiques en français et des groupes qui animent ces communautés. Il y a enfin un manque de reconnaissance.
Il faut élargir les critères en fonction desquels on valorise un chercheur au Canada. Il faudrait enfin reconnaître qu'il existe plusieurs profils de professeurs‑chercheurs et qu'ils sont tous aussi excellents les uns que les autres. Certains chercheurs utilisent leur expertise, non seulement pour faire avancer les connaissances, mais aussi pour faire avancer leur société, par exemple en conseillant des groupes communautaires ou en ayant des objets d'étude locaux pour répondre à des préoccupations spécifiques à leur communauté, entre autres. Moins les valoriser simplement parce que leur recherche n'a pas d'incidence internationale n'a aucun sens, selon moi.
Avant de terminer, je tiens à préciser que nos revendications s'inscrivent dans un mouvement international pour le multilinguisme en recherche porté par l'Initiative d'Helsinki.
Je rappelle que je suis accompagné de Mme Anne‑José Villeneuve, professeure en Alberta, qui dirige deux revues savantes, l'une francophone et l'autre bilingue, ainsi que de Mme Laura Pelletier, chargée de projets à l'Acfas.
C'est avec plaisir que nous répondrons à vos questions. Je vous remercie de votre attention.
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Je vous remercie de votre question.
Quand on publie en sciences humaines et en sciences sociales, il est souvent plus facile de diffuser ses travaux dans la langue majoritaire, c'est-à-dire l'anglais, que de le faire en français. Cela dépend évidemment des sujets de recherche. Quand on travaille sur la francophonie, on peut plus facilement publier ses travaux en français. Toutefois, quand on travaille en sciences politiques, en sociologie ou en anthropologie, par exemple, on a un choix beaucoup plus large de revues scientifiques, dont la grande majorité sont en anglais.
Les revues reconnues comme étant en français portent souvent sur les sciences humaines et sociales en général ou, encore plus souvent, sur la francophonie. Quand on fait de la recherche sur ce dernier sujet ou sur la langue en général, le nombre de revues scientifiques en français ou bilingues est évidemment plus grand que lorsqu'on fait de la recherche sur un autre sujet.
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Merci, madame la présidente.
Merci, monsieur Perreault et madame Lamoureux.
Madame Lamoureux, vous avez piqué ma curiosité quand vous avez parlé des travaux du chercheur Vincent Larivière. À la lecture d'une de ses publications datant de 2018, j'ai appris qu'il y avait de moins en moins de revues scientifiques en français au Canada. On y mentionnait qu'entre les années 1940 et la fin des années 1980, la part de l'anglais était relativement stable et se situait autour de 80 %, alors que celle du français était d'environ 10 %. Toutefois, à partir du tournant des années 2000, il y a eu un déclin du français.
Comment expliquez-vous ce déclin majeur à partir des années 2000, alors qu'auparavant, il existait un équilibre entre la langue de publication et le nombre de chercheurs?
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Le nombre de chercheurs n'est pas le seul facteur. Dans les années 1940, au doctorat, l'obligation d'apprendre une langue autre que celle dans laquelle on étudiait était normale.
Vers la fin des années 1990 et au tournant de l'an 2000, les universités ont commencé à éliminer cette obligation d'apprendre soit une langue étrangère, soit l'autre langue officielle canadienne, et ce, même pour des doctorants en histoire du Canada. Il est pourtant difficile d'imaginer étudier l'histoire de notre pays sans pouvoir en lire une certaine partie.
C'est dans les années 1980 qu'ont été lancées le plus grand nombre de revues, mais, depuis, on constate un déclin. Ce phénomène fait écho à la mondialisation et à l'homogénéisation croissante vers l'anglais.
Ce n'est pas tout que de lancer une nouvelle revue, par contre. Il faut aussi des gens pour la gérer et la financer. Si le lectorat n'est pas très important, l'entreprise est beaucoup plus difficile. D'ailleurs, il y a quelques années, il y a même eu une chute assez importante du financement de revues québécoises.
Ce sont donc plusieurs facteurs comme la mondialisation et une perte du multilinguisme de l'intelligentsia universitaire qui contribuent à expliquer la situation actuelle.
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J'ai 56 ans, et l'espérance de vie est très élevée dans ma famille. Or, bien que ce soit un beau rêve, je pense qu'il ne se réalisera pas durant ma vie, à cause de la liberté de l'enseignement, des programmes universitaires et de leur internationalisation. Il ne faut pas oublier qu'une telle pratique ne s'appliquerait pas qu'aux universités bilingues et francophones, mais aussi aux universités anglophones.
À l'heure actuelle, il faut non seulement considérer la question des publications en français, mais aussi celle de la valorisation de la recherche sur la francophonie. Si je veux publier un article en anglais au sujet de mes études en Ontario français, ce n'est pas très sexy. Je reçois de belles lettres de rejet qui mentionnent:
[Traduction]
« Nos lecteurs ne s'intéressent pas à ce sujet. Veuillez essayer une revue francophone. »
[Français]
Toutefois, si je veux vraiment communiquer et démontrer les liens entre ce que je fais et ce que fait le pays de Galles, je perds cette possibilité. Ce sont deux sujets.
Comment alors conscientiser les gens? Nous pourrions toujours demander au commissaire aux langues officielles de travailler de concert avec les universités.
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Merci beaucoup. C'est gentil de votre part.
On l'a souligné tantôt et je l'ai dit d'emblée dans ma présentation: le financement des revues savantes pour leur permettre d'exister, de s'épanouir et de faire de la promotion, c'est une chose. Cependant, il faut aussi penser à mieux soutenir les activités scientifiques en français et les organisations qui les mettent sur pied. Il y a manifestement eu une rupture au cours des 10 ou 20 dernières années, durant lesquelles on a observé une diminution progressive du financement. En combinant l'augmentation des coûts à cette diminution du financement, on se retrouve dans la situation actuelle.
Il faut donc se donner des moyens très concrets pour redresser la situation. Comme je l'ai dit, c'est une chose d'inscrire la recherche en tant qu'élément fondamental dans le cadre de la révision de la Loi sur les langues officielles, mais encore faut-il ensuite prendre les mesures nécessaires pour pleinement atteindre les objectifs de la Loi.
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Je vous remercie de la question.
La première des deux revues que je dirige s'appelle Arborescences. Son port d'attache est le Département d'études françaises de l'Université de Toronto. En fait, je la codirige avec un professeur de cette université. Il s'agit d'une revue d'études littéraires, linguistiques et pédagogiques de langue française qui s'intéresse spécifiquement aux études françaises et francophones. La plupart des articles dans cette revue sont en français et chaque numéro est thématique.
En ce moment, nous n'avons la capacité de publier qu'un seul numéro par année. La direction, la gestion et le roulement d'une revue scientifique exigent du travail bénévole de la part de chercheurs et de chercheuses. Ce sont eux qui reçoivent les textes, évaluent les soumissions, font des recommandations et vont assurer tout le processus de publication. C'est extrêmement lourd. Tant et aussi longtemps que cette recherche ne sera pas valorisée, moins de personnes vont se porter volontaires pour effectuer ce travail.
La deuxième revue que je codirige est La revue canadienne de linguistique, publication bilingue de l'Association canadienne de linguistique. Cette revue porte sur l'étude scientifique des langues. Nous en publions quatre numéros par année. Il y a deux codirectrices, deux codirecteurs et une assistante...
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Merci, madame la présidente.
Je remercie également les témoins et les experts qui se joignent à nous aujourd'hui pour discuter de ce dossier très important.
Il y a plusieurs années, j'étais étudiant en sciences sociales à l'université. Déjà à l'époque, il était pratiquement impossible pour un étudiant ou une étudiante qui n'avait pas la capacité de lire en anglais de faire un baccalauréat. On parle ici de sciences sociales, et non de biochimie ou de sciences de la santé, un domaine que M. Perreault a évoqué. Les chiffres que les témoins nous présentent ne donnent pas l'impression que la situation s'est améliorée.
Madame Lamoureux, vous avez utilisé tantôt un mot que je n'ai pas beaucoup aimé. Vous avez en effet parlé de la « crainte » des chercheurs de publier en français, ces derniers ayant le sentiment, voire la certitude, que leurs publications dans cette langue seront moins diffusées, moins citées, et qu'elles auront moins d'importance. Pour ces raisons, ils seront portés à publier en anglais.
Comment peut-on inverser cette tendance et remonter cette pente glissante?
On ne peut pas inventer de nouvelles revues. En fait, les universités et les centres de recherche peuvent le faire, mais pas le gouvernement fédéral, que ce soit ici ou à l'étranger. Comment peut-on soutenir ces chercheurs pour qu'ils publient en français alors que leur carrière, d'après ce que j'ai compris, risque d'en souffrir?
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Il y a 10 ans, les possibilités étaient plus grandes qu'aujourd'hui dans certains établissements francophones et bilingues hors Québec. Les gens sont conscients des défis puisque l'étude de l'Acfas a vraiment créé des espaces de discussion au sein des comités responsables des promotions et des permanences.
Les chercheurs qui étudient la francophonie et qui veulent publier en français, mais qui n'ont pas le privilège d'être dans un établissement francophone ou bilingue, doivent faire valoir auprès des scientifiques, de façon globale, l'importance de cette recherche et de sa publication en français, ce qui représente tout un travail de conscientisation. Le fait qu'une publication n'a pas le même indice de citations que la revue Nature ne signifie pas que la recherche qui y est publiée manque de crédibilité ou de pertinence.
J'ai moi-même vécu les expériences avec les organismes subventionnaires dont parlait M. Perreault. J'ai soumis une demande en français et, dans les commentaires que j'ai reçus en réponse, on allait jusqu'à remettre en question l'obtention de mon doctorat! L'année suivante, j'ai traduit ma demande avant de la soumettre, et elle s'est classée parmi les meilleures demandes de mon comité. En tant que Franco‑Ontarienne, j'ai eu beaucoup de difficulté à accepter cette situation. L'important, par contre, c'est que j'ai obtenu ma subvention.
Pour ce qui est de mon choix de publications, comme je suis professeure titulaire, je ne vis pas le même stress, mais je peux être un modèle. Si on ne fait pas valoir l'importance de la recherche et de la publication en français auprès des non-francophones, il sera pratiquement impossible de faire disparaître ces craintes et de créer un sentiment de sécurité permettant à un chercheur d'assumer son identité en tant que chercheur francophone ou chercheur en matière de francophonie.
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Merci, madame Lamoureux. Je vais maintenant aborder un autre sujet avec vous et avec M. Perreault.
Il a été question des universités francophones et anglophones, des centres de recherche et des demandes de subvention. Ce que je vais dire est peut-être complètement loufoque.
Les francophones représentent 2 % de la population de l'Amérique du Nord, mais il y a des centaines de millions de francophones dans le monde. Or, personne n'a encore parlé de la francophonie internationale. Est-ce qu'un travail de collaboration ou de soutien pourrait être fait, de façon plus large, avec nos amis français, suisses, belges et africains? Dans beaucoup de pays africains, le français est la langue d'usage ou la langue utilisée pour la recherche.
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Je n'ai malheureusement pas de chiffres à vous fournir.
J'ai été professeure invitée en Allemagne pendant six mois dans le cadre d'un programme d'études canadiennes, pour faire valoir la francophonie canadienne en contexte linguistique minoritaire. Au départ, ce programme a été créé grâce à l'appui financier du gouvernement du Québec.
En Inde, plus de 300 universités offrent des programmes d'études canadiennes, surtout en anglais. En revanche, elles s'intéressent aussi à la francophonie canadienne. Cela encourage le multilinguisme chez les étudiants lorsqu'ils savent que les études sont souvent publiées en français.
En ce qui concerne la question de l'incidence de l'anglais sur les publications dans d'autres langues nationales, des études très importantes menées depuis une quinzaine d'années démontrent qu'il y a de fortes pressions sur les universités étatiques de pays qui ont une langue majoritaire autre pour augmenter l'offre de programmes en anglais et les publications en anglais.
Le Canada a la chance de faire partie de la francophonie internationale. Le français est une langue qui dépasse les frontières de notre pays, mais le très grand problème de voir comment diffuser les publications en français demeure.
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Nous n'avons pas de chiffres à vous fournir sur cet élément, malheureusement.
Toutefois, j'insiste vraiment sur le fait que la convergence vers l'anglais se fait dans beaucoup de pays et que les difficultés de publier dans une langue autre que l'anglais n'existent pas qu'au Canada. Il n'y a pratiquement plus de revues publiées en italien, en espagnol, en allemand ou en japonais. L'exception est la Chine, parce qu'on y fait beaucoup plus de recherches scientifiques qu'il y a 25 ans. Sinon, un déclin se constate dans toutes les langues.
Comme je l'ai mentionné dans mon mot d'ouverture, nos revendications sont vraiment axées sur l'Initiative d'Helsinki, qui veut favoriser le multilinguisme dans le milieu de la recherche.
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Monsieur Perreault, est-ce que je peux me permettre d'ajouter un commentaire?
Je vais prendre l'exemple des Pays‑Bas, où la représentation est importante. Si on enseigne majoritairement en anglais, on envoie le message aux étudiants et aux étudiantes que la recherche et la vie scientifique se passent en anglais. Ce n'est pas le bon message à envoyer aux néerlandophones qui étudient en anglais.
À mon avis, cela devrait commencer par la base. Il devrait y avoir des cours en français et en anglais, des professeurs qui sont capables d'enseigner dans les deux langues, et il faudrait valoriser l'apprentissage d'une langue autre que l'anglais dans le cursus universitaire. C'est par là que tout commence. Ensuite, à la maîtrise, au doctorat, puis dans la vie universitaire, on pourra avoir cette valeur ajoutée.
Sinon, le message qu'on envoie dès le baccalauréat, c'est que le français ou les langues autres que l'anglais ne sont pas importants dans la vie universitaire.
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Merci, madame la présidente.
Merci aux témoins de comparaître ce soir.
Je veux tout d'abord parler de toute la question des établissements postsecondaires et de ce qu'elles font. Je pense que nous avons entendu ce soir des témoignages sur ce que font les provinces. Dans certains cas, des exemples ont été donnés à l'extérieur de la province de Québec. Les universités — et probablement les collèges aussi — nous ont fait part de certains défis à relever en ce qui concerne les organismes subventionnaires.
J'espère obtenir des recommandations qui mettent l'accent sur une stratégie dans le cadre de laquelle tous ces intervenants règlent le même problème et les enjeux qui ont été relevés par tous les témoins.
Madame Lamoureux, puis‑je commencer avec vous? Que doit‑il se passer dans le secteur des établissements postsecondaires? Bien sûr, cela implique les provinces et ensuite, avec le gouvernement fédéral, comment pouvons-nous regrouper tous ces éléments dans une stratégie qui commence à régler certains des problèmes de confiance qui ont été relevés par M. Perreault et certains des autres problèmes que les témoins ont soulevés ici ce soir?
[Traduction]
Mon cerveau passe à l'anglais pour cette réponse. Ce n'est pas parce que vous l'avez posée en anglais; c'est juste ainsi.
Bien que les universités relèvent des provinces, le financement important pour la recherche — à tout le moins à l'extérieur du Québec, car le Québec a le Fonds de recherche du Québec que j'envie tant — passe par les organismes de financement, qui relèvent du gouvernement fédéral. S'il y a moyen de combiner cela avec une mesure prévue dans la Loi sur les langues officielles et peut-être dans le financement des langues et de l'éducation qui est partagé entre les provinces et le gouvernement fédéral — qui pendant longtemps ne concernait que l'enseignement primaire et secondaire, mais qui a de plus en plus ajouté le secteur postsecondaire —, alors je pense que nous pourrions avoir une stratégie. Tant qu'il n'y aura pas une proposition de valeur réelle entourant la recherche en français et de la recherche sur la francophonie pour guider cela, je pense que ce sera difficile.
Ce que vous n'avez pas entendu dans mes 30 dernières secondes et que je ne pouvais pas dire, c'est qu'il y a une mise en garde. Si nous ne l'avons pas au niveau postsecondaire, pourquoi alors les enfants devraient-ils s'inscrire en français dans les écoles primaires et secondaires? À mon sens, ce n'est pas seulement une question de science. C'est une question de vitalité des communautés de langue française, surtout dans un contexte minoritaire. L'effet d'entraînement est beaucoup plus important que les simples publications, car les gens le voient.
Pourquoi est‑ce que je choisis d'étudier en français pour mes études postsecondaires? C'est parce que j'espère être capable d'appliquer la langue. Si nous ne réglons pas ce problème, alors pourquoi est‑ce que je fais mes études de premier cycle en français ou mes études secondaires en français? On entend des jeunes dire, « J'ai assez de français en huitième année parce que je sais que je dois étudier en anglais pour réussir en neuroscience ».
[Français]
C'est ma réponse à votre question.
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Merci, madame la présidente.
Ma question s'adresse aux gens de l'Acfas.
Dans votre rapport intitulé « Portrait et défis de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada », vous relevez que le taux de succès des demandes en anglais était supérieur dans le cas de certains organismes subventionnaires, dont les Instituts de recherche en santé du Canada. On parle d'un taux de succès de 38,5 % en anglais, contre 29,2 % en français.
Comment expliquez-vous cet écart? Les chercheurs francophones sont-ils moins intelligents que les chercheurs anglophones?