FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 19 novembre 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte. Bonjour à tous.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur la situation en Somalie, au Soudan du Sud et en République du Congo. Nous aurons deux groupes de témoins. Notre premier témoin est arrivé — nous en attendons un deuxième — et je suis heureux de souhaiter la bienvenue à M. Queyranne, gestionnaire humanitaire à Oxfam Canada.
Si votre témoignage dure de 8 à 10 minutes, nous allons ensuite passer aux questions, mais si Mme A.A.A. Juac arrive entre-temps, nous allons entendre son témoignage après le vôtre.
Sur ce, allez-y quand vous serez prêt.
Excellent. Merci.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de l'invitation à venir témoigner sur la situation en Somalie, au Soudan du Sud et en République du Congo.
Oxfam est présent dans plus de 90 pays pour favoriser le développement à long terme et fournir de l'aide humanitaire en temps de crise. Nos connaissances et recommandations reposent sur le travail effectué par nos partenaires sur le terrain, de même que sur ma propre expérience, car j'ai travaillé dans les trois pays et j'ai vécu dans deux.
Je vais commencer par faire un survol du contexte et des principaux enjeux dans chaque pays, avant de dégager quelques points communs et de vous présenter des recommandations.
La situation en République démocratique du Congo est devenue extrêmement alarmante en raison d'une convergence de facteurs. Le conflit a coûté la vie à plus de six millions de personnes, soit plus que tout autre conflit depuis la Deuxième Guerre mondiale. En plus des 4,5 millions de personnes qui sont actuellement déplacées à l'intérieur du pays, le Congo accueille plus d'un demi-million de réfugiés qui ont fui les crises dans les pays voisins.
La situation humanitaire est tout simplement catastrophique. Treize millions de personnes ont besoin d'aide, dont six millions qui ont besoin d'aide alimentaire, et 2,2 millions d'enfants qui souffrent de malnutrition grave. Au mois d'août dernier, une nouvelle épidémie d'Ebola a été déclarée dans le Nord-Kivu, le territoire de Beni plus précisément. C'est la première fois qu'on assiste à une telle éclosion dans une zone de conflit.
La semaine dernière, sept Casques bleus des Nations unies ont été assassinés dans la zone touchée par l'Ebola. Le conflit vient mettre en péril la lutte contre l'Ebola, risquant ainsi de voir l'épidémie se propager aux pays voisins, notamment l'Ouganda. Les femmes sont touchées de manière disproportionnée par l'épidémie, en raison du rôle traditionnel qui leur est dévolu de prendre soin des malades, et du nombre ahurissant de cas de violence sexuelle dont elles sont victimes. Soixante pour cent des cas probables ou confirmés touchent des femmes ou des filles.
Mais ce n'est pas tout. L'épidémie d'Ebola ayant accru la pression sur le réseau de santé fragile du Congo et les premiers intervenants étant débordés, de nombreuses femmes, en particulier les survivantes de violence sexuelle, sont privées de services essentiels, comme les soins de santé maternelle, sexuelle et génésique.
La participation du Canada à la lutte contre l'Ebola est plus que bienvenue, mais il sera également vital que les pays donateurs comme le Canada s'engagent à fournir un soutien additionnel et continu, car cette lutte demeure cruellement sous-financée. Les fonds devraient servir en priorité à répondre aux besoins des femmes et des filles, et ces fonds ne devraient pas être le fruit d'une ponction sur les fonds, déjà insuffisants, destinés à d'autres crises humanitaires.
La Somalie, quant à elle, demeure aux prises avec de graves problèmes de paix, de sécurité et de développement humanitaire. Les groupes armés lancent régulièrement de violentes attaques, notamment dans l'Est et le Sud du pays. Au début du mois, les attentats à la voiture piégée à Mogadiscio ont fait 50 morts.
De plus, les phénomènes climatiques récurrents causent des souffrances incroyables. En raison de la sécheresse, de nombreux fermiers de subsistance ont été déplacés, perdant ainsi leur gagne-pain. À l'heure actuelle, 2,6 millions de personnes sont déplacées et 4,6 millions ont besoin d'aide humanitaire.
Les gens ayant perdu leur gagne-pain, le tissu social de la Somalie s'en trouve profondément chamboulé, une situation qui touche surtout les femmes. Selon une étude récente menée par Oxfam dans la région nord-ouest du Somaliland, le nombre de ménages dirigés par des femmes a connu une forte augmentation en raison de la désintégration des familles causée par la sécheresse. Les hommes migrent en abandonnant leurs familles pour des raisons économiques. Les femmes qui sont laissées derrière sont vulnérables et débordées; elles doivent assumer de nombreuses responsabilités et l'insécurité qui les accompagne. Qui plus est, les barrières culturelles limitent leur capacité à se trouver d'autres modes de subsistance. Les femmes disent en outre avoir de la difficulté à accéder aux services humanitaires en raison de leur faible capacité à se déplacer.
Cette situation fait ressortir l'urgent besoin d'assortir l'aide humanitaire d'initiatives qui vont contribuer à transformer les rôles traditionnels et les relations hommes-femmes dans les communautés.
Le Soudan du Sud, quant à lui, est enfermé depuis plus de cinq ans dans une crise humanitaire qui empire d'année en année en raison du conflit qui s'éternise. Plus de sept millions de personnes ont maintenant un besoin urgent d'aide humanitaire. Le conflit fait en sorte qu'il est très difficile d'acheminer cette aide aux gens dans le besoin. En 2017, pour la troisième année d'affilée, le Soudan du Sud était considéré comme le pays le plus dangereux du monde pour les travailleurs humanitaires, qui devaient régulièrement faire face à des tirs, à de la détention, aux pillages de leurs installations et à des barrages routiers infranchissables.
Le conflit a mis l'économie à genoux, ce qui a mené à une famine généralisée. Les mariages précoces et forcés, déjà monnaie courante avant la crise, sont en hausse. La pauvreté et la perte des moyens de subsistance font en sorte que le mariage est devenu une source de revenus et de survie. Grâce à la dot de la mariée, versée en argent ou en têtes de bétail, les familles peuvent se nourrir, et le mariage de leur fille fait en sorte que les parents ont une bouche de moins à nourrir.
Les mariages précoces et forcés sont la forme la plus commune de violence sexiste dans le Sud du Soudan, où plus de la moitié des filles sont mariées avant l'âge de 18 ans. Les mariages précoces accroissent les risques pour elles de mourir pendant la grossesse ou l'accouchement, d'être privées d'éducation et de subir de la violence sexiste. Cela accroît en outre les effets négatifs sur la santé et l'éducation de leurs enfants, perpétuant ainsi le sous-développement et la fragilité des sociétés.
La faim et les inégalités hommes-femmes sont, de toute évidence, à la base des mariages forcés dans le Sud du Soudan. Encore une fois, la situation fait ressortir la nécessité d'assortir l'aide humanitaire de mesures pour vaincre les inégalités hommes-femmes.
Cela étant dit, j'aimerais faire les recommandations suivantes, qui peuvent aider les femmes et les filles dans un contexte humanitaire comme celui qui a cours en Somalie, en République démocratique du Congo et dans le Soudan du Sud.
Premièrement, il faut s'attaquer au problème des inégalités hommes-femmes lors des interventions d'aide humanitaire. Les recherches ont révélé que les inégalités hommes-femmes extrêmes sont liées aux conflits et à la fragilité des sociétés. Investir dans la promotion des droits des femmes dans ces pays est un outil puissant pour favoriser une paix et un développement durables. Le Canada, grâce à son plan d'action féministe, y compris sa politique d'aide internationale féministe et son plan d'action national pour les femmes, la paix et la sécurité, trace déjà la voie à suivre sur la scène internationale. Une mesure qui peut donner de très bons résultats, mais qui a peu retenu l'attention jusqu'à maintenant, est l'action humanitaire sexotransformatrice, soit des programmes humanitaires qui visent à transformer les relations de pouvoir et à fournir des moyens d'action aux femmes.
Nous demandons au Canada de financer davantage le travail humanitaire essentiel sur les relations hommes-femmes, en créant une réserve de fonds pour les urgences. La réserve devrait comprendre au moins 15 % de fonds destinés à l'aide humanitaire pour mettre le Canada en phase avec le reste de sa politique d'aide internationale féministe. Le Canada serait ainsi en mesure de financer plus de travail humanitaire pour rééquilibrer le pouvoir entre les hommes et les femmes. Cela pourrait comprendre, par exemple, un programme de travail contre rémunération, qui permettrait aux femmes déplacées prenant soin de leurs familles de participer au programme, remettant ainsi en question les normes sociales sur ce qui constitue un travail.
Il faut aussi des interventions de grande envergure, à l'échelle du système, qui viseraient, par exemple, à renforcer la capacité des organisations locales de défense des droits des femmes d'intervenir dans les crises humanitaires, ou encore à prôner l'inclusion des priorités et des besoins des femmes dans les interventions humanitaires.
Deuxièmement, il faut accroître le soutien offert aux organisations locales de défense des droits des femmes qui font du travail humanitaire dans ces pays. Comme elles comprennent la culture, ces organisations sont souvent les mieux à même de faire le travail humanitaire sexotransformateur dont je vous ai parlé. Le Canada et la communauté internationale ont reconnu l'importance de renforcer la participation des acteurs locaux dans les interventions humanitaires, en s'engageant à verser 25 % de l'aide humanitaire mondiale le plus directement possible à ces organisations d'ici 2020. Le Canada devrait en outre tendre à consacrer un quart de ses fonds destinés aux acteurs locaux aux organisations qui défendent expressément les droits des femmes.
Troisièmement, nous devons protéger l'accès humanitaire et la sécurité des travailleurs humanitaires. Une tendance commune en République démocratique du Congo, en Somalie et dans le Soudan du Sud est la difficulté de fournir l'aide humanitaire en raison des dangers. Le gouvernement canadien et ses missions diplomatiques dans ces pays devraient continuer d'aider les acteurs humanitaires à surmonter les problèmes d'accès systémiques, à soutenir les négociations sur le terrain et à accroître la sécurité des travailleurs humanitaires de première ligne.
J'espère que mon témoignage reflète l'urgence et la gravité des besoins. Il faut faire de l'accès humanitaire une grande priorité.
Enfin, nous devons aussi mieux soutenir les pays qui accueillent des réfugiés. Pour être complète, votre étude devrait également se pencher sur les façons pour le Canada d'aider davantage les pays qui doivent composer avec les conséquences de ces trois crises. L'Ouganda, par exemple, accueille actuellement plus de 1,3 million de réfugiés en provenance du Soudan du Sud, du Congo et de la Somalie. Il est clair que ces pays font plus que leur juste part, d'où l'importance d'accroître le soutien aux collectivités locales qui doivent accueillir des réfugiés dans des pays comme l'Ouganda.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup, monsieur Queyranne.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre deuxième témoin, Mme Juac, de l'Aliab Rural Development Agency, qui est basée à Juba, au Soudan du Sud.
Mme Juac, pourriez-vous nous livrer votre exposé de 8 à 10 minutes, après quoi, nous vous poserons des questions à tous les deux.
Allez-y.
Je m'appelle A.A.A. Juac. Je suis directrice exécutive d'ARUDA, un organisme de développement.
Je salue la politique féministe canadienne qui est mise en oeuvre actuellement au Soudan du Sud pour promouvoir l'égalité entre les sexes et l'autonomie des femmes et des filles, afin de parvenir à des changements concrets, en particulier dans l'éducation, la santé génésique, la lutte contre la violence sexuelle, le mariage précoce des enfants, le développement durable et la paix. Cela nous permet ainsi de participer à la prise des décisions économiques officielles. Certaines d'entre nous font maintenant partie des décideurs.
Depuis le début de la guerre civile au Soudan du Sud en décembre 2013, les parties au conflit se livrent à des attaques généralisées, systémiques et ethniques de civils, y compris à des massacres et à des pillages, à des déplacements forcés, au viol des femmes et des filles et à d'autres formes de violence sexuelle et de mariages forcés, y compris l'esclavage sexuel. Les hommes et les garçons sont aussi victimes de violence.
En matière de développement, l'absence de services essentiels offerts aux populations pendant le conflit a fortement compromis l'accès humanitaire et l'accès des civils à l'éducation, aux soins de santé et à la nourriture. Il en est résulté une grande famine. La famine qui a sévi en Soudan du Sud l'an dernier est encore présente. Nous vous remercions du soutien et de l'aide que le Canada a fournis l'an dernier.
Dans les régions rurales, un nombre incalculable de villages ont été détruits. Des milliers d'enfants ont été recrutés comme soldats dans les forces gouvernementales et divers groupes armés, une situation qui nous préoccupe beaucoup. La Commission d'enquête de l'Union africaine a documenté ces atrocités, et quand cela était possible, a identifié les responsables à l'origine du conflit en 2014. Il faut que les responsables répondent de leurs actes. La Commission d'enquête de l'Union africaine a conclu que des crimes de nature systémique ou généralisée relevant du droit international ont été commis, pour appliquer ou promouvoir la politique d'État.
En mars 2018, les rapports de la Commission des Nations unies sur les droits de l'homme au Soudan du Sud sont arrivés à une conclusion similaire. Il a été confirmé que toutes les parties au conflit ont participé aux violations des droits de la personne. Le mois dernier, la Mission des Nations unies au Soudan du Sud et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme ont publié un rapport, dans la foulée de la résolution 2406 (2018) du Conseil de sécurité, dans lequel on conclut que les atrocités commises par toutes les parties constituaient des violations du droit international en matière de droits de la personne.
Human Rights Watch fait partie des organisations présentes au Soudan du Sud, et depuis le début du conflit, la société civile réclame activement des actions. L'accord de paix a donc été signé il y a trois mois et comprend la création d'un tribunal hybride pour le Soudan du Sud, prévu à l'article 5.3.2.1.
Je peux sans doute répondre à vos questions maintenant.
Merci beaucoup à tous les deux.
Nous allons passer directement aux questions, en commençant par M. O'Toole. Allez-y, s'il vous plaît.
Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à nos deux témoins de leurs témoignages aujourd'hui.
Monsieur Queyranne, vous avez parlé du conflit au Congo et du fait que la violence perpétrée par divers groupes empêche la prestation des soins de santé, à la suite en particulier de l'épidémie d'Ebola, et vous avez parlé également de la mort des Casques bleus du Malawi et de la Tanzanie. Pouvez-vous nous parler des répercussions du conflit sur tous les aspects de l'aide humanitaire et des dispositions que prend une organisation comme Oxfam quand elle travaille dans de telles conditions?
Si j'ai bien compris votre question, vous voulez savoir de façon générale quelles mesures sont prises pour nous rendre jusqu'aux gens qui en ont besoin pendant le conflit.
Le conflit au Congo a empiré. Il a commencé au milieu des années 1990. Divers accords de paix ont modifié le conflit et les enjeux régionaux. Le pays a été occupé à un certain moment par des pays voisins qui étaient pour ou contre le gouvernement congolais, et on assiste maintenant à un revirement important du conflit qui est mené par des acteurs locaux armés.
À mon arrivée au Congo, il y avait environ 20 groupes armés différents, et quand j'ai quitté plus tôt cette année, en avril, leur nombre pouvait atteindre 140, qui ont tous des niveaux d'intérêt et d'ambition différents, parfois loin d'être clairs.
La présence des groupes armés dans l'Est du pays, en plus du Sud-Est et, depuis 2016, du centre, a réduit l'espace humanitaire, le terme technique que l'on utilise pour parler de notre capacité à atteindre ceux qui en ont besoin.
Le conflit fait en sorte qu'il est très difficile pour les acteurs humanitaires d'offrir à la population des services qui peuvent sauver des vies et de transporter le matériel dans les zones touchées, et cela limite leur présence. Au cours de mon expérience, j'ai eu à traiter avec divers groupes armés très violents, qui ont fait de la guerre une entreprise, qui comprennent le système humanitaire et savent que l'approvisionnement se fait souvent localement pour soutenir, et ne pas perturber, l'économie locale, et ils ont trouvé des façons d'en profiter. Il est indispensable de négocier avec les groupes armés pour pouvoir se rendre jusqu'aux populations mais aussi pour offrir une aide humanitaire impartiale.
Les organisations comme Oxfam ont des politiques de sécurité très solides pour veiller à ce que leurs employés soient rarement en danger. Nous avons différentes catégories d'employés essentiels et non essentiels. Quand la situation se corse, nous évacuons la plupart de nos employés, mais nous gardons sur place les plus essentiels, soit ceux qui peuvent sauver des vies. Nous avons toujours des gestionnaires de la sécurité qui définissent l'environnement et les règles de sécurité. Nous avons tous les outils nécessaires pour garder la communication, comme des téléphones satellites, des systèmes radio, et nous nous en remettons beaucoup aux mécanismes de coordination en place pour communiquer en tout temps l'information sur la sécurité à nos collègues par le système du Bureau de la coordination des affaires humanitaires — le système en grappes — pour nous assurer d'être en contact avec les organisations qui ont beaucoup plus d'expérience que nous dans certaines zones, pour discuter avec certains acteurs locaux à qui j'ai déjà parlé et qui connaissent beaucoup mieux certaines zones que d'autres, qui connaissent la langue locale et qui comprennent certains points sensibles.
Madame Juac, pouvez-vous nous parler du même sujet au Soudan du Sud? Selon votre expérience personnelle, les problèmes de sécurité dans une partie du pays nuisent-ils à la fourniture de l'aide?
Au cours des trois dernières années, nous avons perdu des centaines de travailleurs humanitaires à cause de problèmes de sécurité qui font en sorte qu'il est difficile pour les ONG d'apporter de l'aide. Certains travailleurs humanitaires ont été kidnappés et d'autres ont été tués, ce qui décourage les grandes organisations d'acheminer de l'aide dans les régions locales et rurales.
Dans certaines régions, il manque un réseau, les routes sont mauvaises, mais des rebelles — les groupes armés — sont présents. Ils peuvent détenir des travailleurs humanitaires pour obtenir de l'argent. L'an dernier, 12 travailleurs humanitaires ont été détenus par les groupes armés qui ont réclamé de l'argent, et toute l'aide, comme la nourriture et les médicaments, a été confisquée. Il y avait suffisamment de nourriture pour sustenter les bénéficiaires pendant six ou neuf mois. Les questions de sécurité ont grandement compliqué l'acheminement de l'aide humanitaire.
Ils se sont servis de femmes pour bloquer l'accès et dire qu'elles ne veulent pas ceci ou cela. Ils rencontrent les organisations et les convainquent, et lorsque les travailleurs arrivent, ils les kidnappent ou les abattent dans certains cas.
Merci à vous deux d'être venus aujourd'hui.
Je veux maintenant aborder le sujet de la gouvernance, car vous venez de parler de sécurité. Au chapitre de la gouvernance, lorsqu'on prend un des deux pays que vous avez mentionnés, soit le Soudan du Sud ou la RDC... Prenons, par exemple, le Soudan du Sud: on constate la présence de 60 groupes ethniques différents. Il n'y a aucune unité au sein du pays. Ils ont essentiellement un produit de base qu'ils vendent dans le monde. Le Soudan du Sud est doté d'une quantité incroyable de terres agricoles arables. En fait, 70 % de ses terres le sont, alors que seulement 4,5 % d'entre elles sont cultivées. Ce pays compte une armée de 230 000 soldats dirigés par 600 généraux. Il compte aussi 10 000 km de routes dont seulement 2 % sont pavées.
Je comprends l'importance de l'aide humanitaire et de la sécurité, mais si nous ne réglons pas la question de la gouvernance et celle de l'infrastructure — les questions essentielles — comment allons-nous pouvoir avancer et offrir une aide humanitaire qui soit crédible? À mon sens, c'est un cercle vicieux: peu importe la quantité de travail que nous essayons d'accomplir ici, les capacités du pays ne suffisent pas. Ne devrions-nous pas nous attacher d'abord à l'infrastructure pour faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire?
D'accord, merci beaucoup.
Absolument, il est important de comprendre le contexte des conflits. Je suis ravi que vous ayez jeté l'éclairage sur l'infrastructure. J'ai déjà travaillé en région rurale au Soudan du Sud. Il n'y a pas de routes et très peu d'autres types d'infrastructures. Il n'existe pas d'infrastructure économique. Vous pouvez constater que cela a une incidence énorme, avec ou sans conflit.
Je dirais que l'argument soulevé en faveur d'un accent sur l'infrastructure ou sur d'autres questions de développement pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire est bien avisé et que ces questions devraient être traitées conjointement. C'est là où on parle des questions de liens, notamment celui entre l'aide humanitaire et le développement. Nous croyons comprendre que pour avoir une incidence sur le plan humanitaire, il nous faut avoir une partie de l'infrastructure essentielle. Si nous fournissons de l'eau et des trousses d'hygiène pendant une intervention d'urgence, nous sauvons des vies et c'est crucial, mais nous ne composons pas avec les questions structurelles de longue date qui ont d'importantes répercussions sur la capacité de rejoindre les personnes dans le besoin.
Selon moi, nous ne devrions pas favoriser une question au détriment de l'autre; nous devrions plutôt les aborder simultanément. Il arrive souvent que ce soit le cas. Nous constatons que des organisations comme Oxfam ont à la fois des programmes d'aide humanitaire et de développement qu'elles gèrent en même temps, parfois dans la même région, car nous comprenons que les solutions temporaires ne suffisent pas et que nous avons besoin d'aller un peu plus loin et d'aborder certaines de ces questions structurelles. Il peut s'agir de construire des routes ou d'améliorer les réseaux d’infrastructure d’approvisionnement en eau afin d'avoir une incidence à plus long terme.
Je peux ajouter quelque chose.
Comme il l'a mentionné, au Soudan du Sud, il y a des généraux qui consacrent leur financement à d'autres choses. Il manque d'infrastructures et un nombre insuffisant de politiques, de règles et de règlements a été mis en place dans le pays. Malgré la guerre au Soudan du Sud, on y avait instauré des règles et des règlements pour aider les bailleurs de fonds qui investissaient dans le pays. Le budget du Soudan du Sud montre que le montant investi au cours des 5 à 10 dernières années est énorme. Quant aux dépenses... le quart qui était consacré aux routes, aux constructions et à l'infrastructure, même aux hôpitaux, s'élève à 0 %. Il est nécessaire de se pencher sur le manque de reddition de comptes.
La seconde partie de ma question porte sur l'influence des acteurs externes en place. À l'heure actuelle, deux acteurs principaux sont engagés dans les affaires du Soudan du Sud. Vous avez la Troïka — les États-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège — ainsi que la Chine. La participation de la Chine diffère un peu de celui de l'autre groupe puisque son engagement n'est pas nécessairement politique, mais plutôt économique et il est très intense dans le Soudan du Sud.
Comme vous le savez, la RDC est le sixième producteur de cuivre au monde et c'est aussi de ce pays que provient la moitié du cobalt sur la planète. Vous pouvez comprendre leur importance pour les piles de téléphones, les véhicules électriques ainsi que d'autres applications industrielles.
Dans ce cas, il y a un conflit entre un acteur qui a des intérêts purement économiques et l'Occident, la Troïka et d'autres pays occidentaux qui s'intéressent davantage à la situation sur le plan de l'aide humanitaire, de la sécurité et du renforcement des institutions.
Comment pensez-vous que ce conflit se réglera alors qu'une entité qui ne s'intéresse qu'à la question économique et l'autre qui se penche sur la question humanitaire ne seront pas d'accord parce que, dans certains cas, le modèle de gouvernance de la Chine est imposé dans certains pays, tandis que l'Occident tient plutôt à s'assurer que les droits de la personne soient respectés et qu'on renforce les capacités sur le terrain?
Dans le cas du Congo, les deux acteurs que vous avez décrits ont un intérêt commun dans les deux sujets que vous avez mentionnés. L'Occident voit le potentiel économique du Congo comme un aspect très important. On parle parfois de « minéraux stratégiques », compte tenu de leur importance pour l'économie mondiale. Vous avez parlé du cobalt et du cuivre. Il s'agit de minéraux majeurs pour l'industrie et l'électronique. Ils ne se trouvent pas dans les régions du Congo touchées par des conflits, mais plutôt dans la province de Katanga ou l'ex-Katanga, au sud-est du pays. Je pense qu'on l'appelle maintenant le Tanganyika et qu'on lui donne quelques autres noms. Les provinces ont été morcelées. Le conflit touche surtout les secteurs miniers, mais il s'agit de secteurs miniers non industriels et artisanaux. Les minéraux sont extraits au moyen de technologies très peu spécialisées et ils se retrouvent ensuite dans les marchés mondiaux. Nous voyons ensuite l'incidence que cela a sur la sécurité et la situation humanitaire.
L'autre acteur que vous avez décrit en Orient a aussi des intérêts humanitaires. Ses soldats font partie de la MONUSCO, la mission de maintien de la paix de l'ONU qui se trouve là-bas. Je dirais que les deux acteurs n'ont pas la même vision pour le pays et la même vision de ce que le pays représente pour eux, mais ils sont tous les deux investis dans les deux dossiers.
Merci à vous deux pour le travail que vous accomplissez. Moi qui ai travaillé à l'étranger, je pense que nous montrons souvent notre gratitude à nos militaires, à juste titre, mais pas suffisamment aux travailleurs humanitaires, en particulier ceux de la société civile, alors je vous remercie.
C'est intéressant, monsieur Queyranne, que vous ayez soulevé la question de la sécurité, tout comme Mme Juac. Un article publié récemment dans le Globe and Mail soulevait précisément cette question, de concert avec les organismes d'aide et la société civile, et faisait valoir qu'ils ont besoin que quelqu'un prenne les devants, parce qu'ils n'arrivent pas à acheminer l'aide humanitaire.
Je me demandais si vous pouviez tous les deux parler de... Y a-t-il une différence entre le besoin d'une meilleure sécurité pour offrir ce que nous appelons l'aide directe — autrement dit, l'envoi de paquets de tentes, de nourriture, etc. — au lieu de l'aide internationale qui essaie de fournir le financement et les compétences aux organisations civiles locales? Dans cette période de dissensions, est-il plus judicieux pour nous d'augmenter l'aide que nous offrons?
Monsieur Queyranne, vous avez peut-être mentionné que vous êtes favorables à ce qu'on augmente l'aide directe entre les organisations civiles au Canada et celles qui se trouvent sur le terrain. Pourriez-vous donner des détails à ce sujet? Demandez-vous deux choses? Demandez-vous au Canada de prendre les devants et de déployer des Casques bleus pour acheminer l'aide humanitaire tout en lui demandant de repenser à sa façon de fournir l'aide en question?
Je dirais les deux. Je ne dirais pas que le Canada devrait envisager de déployer les Casques bleus dans ce sens. Je dirais plutôt que le contexte — et il commence par le haut, avec le gouvernement — aide à définir les enjeux humanitaires sur le plan de la sécurité, par exemple, au Congo.
Nous savons qu'il arrive souvent qu'on constate que les généraux qui sont chargés d'étouffer les rébellions ont ensuite trouvé une façon de générer des profits en vendant des armes aux rebelles qui tuent les propres soldats de ces généraux. Ils se font taper légèrement sur les doigts lorsqu'ils retournent dans la capitale et, une fois libérés, ils finissent par recommencer.
Là où je veux en venir, c'est que les acteurs humanitaires locaux comprennent souvent mieux les choses que les organisations internationales. Oxfam est au Congo depuis plus de 50 ans, soit depuis les années 1960. D'expérience, nous comprenons bien les fluctuations des différents besoins avant le conflit, qui a commencé dans les années 1990.
Vous avez soulevé un argument concernant les différents types d'aide humanitaire. Cette nuance est très importante. Le personnel d'Oxfam ne se contente pas d'offrir une aide matérielle. Nous la combinons avec le perfectionnement des compétences, et parfois la distribution directe de financement en espèces, car nous savons qu'elle peut rehausser les possibilités des gens, qui connaissent un peu mieux leurs besoins que les autres. Cela peut avoir une incidence économique à l'échelle locale, du moment que cela ne crée pas de l'inflation, que les marchés fonctionnent et que les produits sont disponibles.
Nous optons normalement pour une combinaison, une approche à plusieurs volets, à l'égard des systèmes d'aide humanitaire. À titre d'exemple, si nous déterminons que le problème est celui de l'insécurité alimentaire — et il y a toutes sortes de moyens techniques de le faire — nous pouvons offrir... Je l'ai fait. J'ai déjà géré ces projets. Nous versons de l'argent. Nous donnons de la nourriture, que nous obtenons souvent à l'échelon local. Nous passons des marchés avec les agriculteurs locaux ou des associations d'agriculteurs pour qu'ils distribuent une partie de leurs récoltes. Nous fournissons des semences, des outils et un savoir-faire technique afin d'aider à stimuler l'économie et de contribuer à un type de rétablissement.
Aimeriez-vous répondre à ce commentaire?
Madame Juac, vous avez mentionné la situation pénible que vivent les femmes pendant les périodes de bouleversements et tout. Comme vous le savez, le Canada a maintenant une politique d'aide internationale féministe. Vaut-il la peine d'offrir une aide directe aux femmes dans les collectivités rurales ou dans les grands centres urbains pour qu'elles essaient d'influencer davantage la prise de décisions?
Je crois savoir que la société civile au Soudan du Sud souhaite la paix, mais que le gouvernement, comme vous l'avez mentionné, n'affecte pas de ressources pour répondre aux demandes de la société civile.
Selon vous, quelle serait la façon la plus judicieuse d'utiliser l'aide humanitaire canadienne? Pour aider les collectivités à militer en faveur d'une meilleure gouvernance? À quels postes suggérez-vous qu'on affecte l'aide humanitaire canadienne?
Je suggère qu'elle aille aux acteurs locaux qui sont plus en mesure de bien la répartir.
Un investissement dans ces acteurs apporterait des changements dans les collectivités, car tout est une question de conscientisation. Pour faire des changements, il faut agir avec les partenaires locaux. Il faut convaincre les collectivités que c'est la bonne façon de procéder. Certaines personnes ne connaissent pas la politique ou même leurs droits. Nous leur faisons comprendre leurs droits, et elles militent en faveur du changement.
Les acteurs locaux peuvent être plus efficaces que nous.
Il est clair qu'il faut verser l'aide directement, dans la mesure du possible, aux organisations locales, mais absolument pas par l'intermédiaire du gouvernement.
Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux pour votre travail acharné.
Monsieur Queyranne, vous avez mentionné que, sur le terrain, les travailleurs humanitaires n'ont pas la tâche facile. Ce n'est pas sécuritaire. Vous avez aussi dit à M. O'Toole, de l'autre côté, que vous communiquiez très bien entre vous. Ensuite, vous avez des experts pour un secteur et l'autre sur qui vous pouvez compter. Troisièmement, vous demandez que 25 % du financement soit versé à ces travailleurs humanitaires, si nous voulons les appeler ainsi.
Avez-vous un plan sur la façon d'utiliser ce financement entre vous? Quel est l'endroit le plus vulnérable auquel vous voulez consacrer cet argent?
Je ne sais pas exactement comment répondre à cette question.
Me demandez-vous ce que serait le plan?
Si vous demandez que 25 % du financement soit versé aux travailleurs humanitaires, que comptent-ils en faire? Je pensais que vous disiez que vous aviez un assez bon système entre vous. Vous communiquez et tout fonctionne bien, mais le principal problème est la sécurité. Je peux comprendre.
Qu'allez-vous faire de tout cet argent?
La vision est que des organisations comme Oxfam n'ont pas nécessairement besoin d'être dans ces pays à long terme. Je pense que si ces organisations apportent une aide humanitaire pendant ces crises, cela signifie que les crises continuent. Nous voyons une porte de sortie pour ces types d'opérations de secours. Je pense que le fait d'offrir une aide aux acteurs humanitaires locaux ou aux acteurs du développement locaux nous permet de nous retirer.
Comme vous l'avez mentionné, il nous faut un plan. Nous offrons du mentorat aux organisations locales. Nous sommes aussi leur partenaire financier — vous pouvez parler de sous-contrats — pour les amener au niveau qui est acceptable pour différents bailleurs de fonds internationaux de façon à ce qu'elles puissent faire le travail elles-mêmes.
J'ai travaillé avec un certain nombre d'organisations congolaises locales. Nous travaillons en partenariat avec elles — celles qui ont la capacité de le faire — et nous essayons ensuite de les former pour qu'elles soient un peu plus en mesure d'intervenir.
En Somalie, nous amorçons ce qu'on appelle un projet de jumelage. Nous invitons les organisations locales de défense des droits des femmes à essentiellement observer ce que fait Oxfam, à travailler en partenariat avec Oxfam ou d'autres ONG, afin de les habituer aux types d'activités que nous faisons, au type de terminologie que nous utilisons. Le but est de les amener au niveau nécessaire pour qu'elles puissent procéder à une partie des évaluations des besoins...
Oui. C'est essentiel. La Somalie et le Congo sont des pays très dangereux. Il faut donc inclure une formation en sécurité.
Je me demande si ces trois pays ont des priorités différentes en ce qui a trait au développement ou si les trois pays ont la même priorité comme les routes, les ponts et les hôpitaux, par exemple. Comment comparez-vous les trois pays?
C'est difficile à dire. Les trois pays ont des niveaux différents de ressources disponibles pour investir dans l'infrastructure, et la volonté de le faire varie aussi. Le Congo est probablement le pays le plus riche du continent avec des ressources enfouies qui sont évaluées à environ 20 000 milliards de dollars. Il y a un potentiel, mais les investissements dans l'infrastructure essentielle du pays ne correspondent pas à ce potentiel et aux ressources disponibles.
Il a été question plus tôt du Soudan du Sud. L'économie de ce pays repose en gros sur une seule ressource, et le pays en tire beaucoup de revenus, mais cela ne se répercute pas dans le développement de l'infrastructure locale pour diverses raisons.
La Somalie est probablement le pays qui a le plus de problèmes. Une grande partie de l'économie de la Somalie dépend des Somaliens à l'étranger qui envoient de l'argent à leur famille. Cet argent n'a pas tendance à transiter par les autorités, parce que cet argent est distribué.
L'autre député a parlé de l'aide humanitaire et d'autres formes d'aide qui passent par le gouvernement. C'est seulement une partie de l'aide. Nos collègues à Affaires mondiales Canada pourraient vous l'expliquer mieux que moi. Nous avons une approche à plusieurs volets pour ce qui est du développement et du travail humanitaire. Le gouvernement du Canada et les autres pays donateurs soutiennent des organismes comme Oxfam et des organismes multilatéraux comme le Programme alimentaire mondial, l'UNICEF, le HCR et les organismes onusiens en plus d'aider le gouvernement.
Pour ma dernière question, monsieur le président, j'aimerais m'adresser à Mme Juac.
Quel est l'état des soins de santé pour les enfants et les femmes dans la région? Sont-ils facilement accessibles? Est-ce davantage dominé par la population masculine dans la région? Comment cela fonctionne-t-il?
Il n'y a pas d'hôpitaux proprement dits. Les quelques grands hôpitaux ont été construits l'année dernière grâce à du financement provenant de l'ambassade canadienne.
Les femmes et les enfants reçoivent des soins dans les tentes, et cette situation a entraîné beaucoup de décès. Le nombre de décès d'enfants, qui sont mal nourris ou qui contractent des maladies lors des éclosions, n'est pas gérable.
Pour ce qui est des femmes, il y a un nombre élevé d'accouchements prématurés et de décès au moment de l'accouchement en raison d'un manque de soins de santé génésique. Les pays donateurs ont investi dans ce domaine et notamment l'équipement. Toutefois, l'équipement ne se trouve pas à un endroit propice à son utilisation; il finit donc par se dégrader sans une infrastructure adéquate. Le système de santé est très problématique au pays.
Vous avez mentionné que les organismes humanitaires locaux savent évidemment ce qui convient le mieux. Vous avez vécu ces conflits durant des décennies au Congo. Voyez-vous une solution pour les habitants de la région? Quelle est la voie à suivre pour ramener la paix? Le cas échéant, quel rôle le gouvernement canadien peut-il jouer en la matière?
Si nous commençons par le Congo, nous constatons que bon nombre des problèmes partent d'en haut, et il y a cette idée selon laquelle, si les choses s'améliorent au sommet, comme le prévoit la Constitution, cela aura alors des répercussions sur le terrain. En ce qui a trait à la situation politique, nous constatons que les élections prévues n'auront peut-être pas lieu. Elles sont reportées depuis bon nombre d'années, et cela crée énormément d'anxiété au sein de la population. Il y a régulièrement de nombreuses manifestations.
La force de maintien de la paix de la MONUSCO, qui se compose d'environ 17 000 soldats, soit la plus importante force de maintien de la paix dans le monde actuellement, redéploie ses ressources, son personnel et le reste vers l'ouest et la capitale et elle s'éloigne des zones de conflit pour avoir une plus grande influence politique. Pour contribuer à faciliter la tenue des élections, la force de maintien de la paix a essayé quelques fois d'encourager le gouvernement à accepter son aide, parce qu'elle est d'avis que, si vous commencez par le sommet et que vous influencez le gouvernement, cela pourrait avoir une réelle incidence sur le terrain dans les zones de conflit.
Certaines nuances que j'ai apprises en travaillant au Congo durant quelques années est que l'existence des groupes armés ne dépend pas seulement des circonstances; ils ont tendance à avoir des liens politiques. Ils ont tous tendance à avoir des députés à Kinshasa qui représentent en gros leurs intérêts et qui leur donnent une raison d'exister. Les groupes armés se composent aussi de beaucoup de militaires mécontents qui s'imaginent que, s'ils disparaissent dans la brousse et qu'ils tuent des gens pendant quelques années, cela leur donnera une place à la table de négociation et qu'ils monteront en grade dans l'armée.
Je vais laisser ma collègue vous parler du Soudan du Sud, mais je dirais qu'une approche axée sur la dimension politique et la diplomatie serait aussi la meilleure voie à suivre en Somalie. Nous voulons éviter de seulement nous concentrer sur les crises humanitaires; nous voulons également régler les crises qui nuisent à la paix et à la sécurité. Il faut vraiment avoir une approche plus globale, et je crois qu'il faut pour ce faire mettre l'accent sur la dimension politique.
En ce qui concerne le Soudan du Sud, l'accord de paix qui a récemment été signé n'inclut pas tous les groupes armés. Il y a donc encore des groupes qui n'ont pas signé l'accord, et il y a le spectre d'un autre combat si la mise en oeuvre ne se déroule pas bien.
Nous devrions nous concentrer principalement sur la manière de mettre en oeuvre cet accord en chargeant les organismes locaux de la surveillance de l'accord et en aidant la population à s'approprier l'accord. Si les gens se l'approprient, je crois que la mise en oeuvre se déroulera bien. Cependant, si ce n'est pas inclusif, je ne crois pas que cela ira pour le mieux.
Au Comité, vous avez parlé d'une approche « diplomatique » et « ascendante ». Quelles mesures précises le Canada devrait-il prendre? Nous offrons de l'aide humanitaire continue, et certains l'accaparent ou la volent, par exemple. Vous affirmez ensuite qu'au sommet les autorités ne s'en préoccupent pas. Disons que nous prenons la décision de nous attaquer à ce problème. Que devrions-nous faire exactement?
Pour le Soudan du Sud, je crois qu'il faut actuellement mettre l'accent sur la gouvernance, parce que toute l'aide humanitaire et tous les plans ne se dérouleront pas bien si nous n'avons pas de système de gouvernance en place. Qui plus est, les relations seront difficiles.
Dans le cas du Congo, j'ajouterais que les élections sont essentielles. La tenue d'élections permet à la population d'avoir l'assurance que leur gouvernement et leurs représentants respectent la Constitution qu'ils ont eux-mêmes adoptée. Comme je l'ai mentionné, des élections sont prévues depuis plusieurs années et elles sont régulièrement reportées. Cette situation crée beaucoup de frustration, et de nombreuses manifestations éclatent. Le gouvernement débarque ensuite de manière musclée et il utilise des munitions réelles pour réprimer ces manifestations.
Je dirais que le Canada doit au moins intensifier ses efforts pour demander le respect de ces normes de gouvernance, et cela passe en premier par la tenue d'élections.
Merci, monsieur le président, et merci aux témoins.
Monsieur Queyranne, j'ai écouté attentivement votre témoignage. J'ai été sidérée d'entendre la statistique selon laquelle environ la moitié des filles subissent un mariage précoce et forcé, ainsi que les conséquences horribles qui en découlent. J'espère que mes collègues libéraux étaient en train d'écouter parce qu'ils ont présenté le projet de loi C-75, qui aura pour effet de réduire les peines prévues pour ce crime ici au Canada en infligeant soit une amende, soit une peine de deux ans moins un jour sur déclaration sommaire de culpabilité.
Les raisons qui poussent des gens à marier de force des enfants sont différentes dans le contexte canadien. Je comprends que, dans la région à l'étude aujourd'hui, c'est parce que les gens n'ont pas les moyens de se nourrir. Dans ma circonscription, un collège vient de remporter le prix Enactus à l'échelle mondiale pour avoir sorti de la pauvreté 330 000 personnes en Zambie en enseignant à 75 000 agriculteurs comment pratiquer l'agriculture sans travail du sol et comment se servir des profits réalisés pour investir dans les infrastructures d'irrigation, se lancer dans la culture et la production d'arachides et une foule d'autres initiatives, mais ils auraient peur de le faire en l'absence d'un bon plan de sécurité dans leur région.
Oxfam semble être une bonne organisation qui parvient à acheminer l'aide sur le terrain et à proposer ce genre d'idées. Y a-t-il d'autres organisations et, le cas échéant, lesquelles?
Il y a beaucoup d'organisations. Je ne les considère pas comme des rivales, mais comme des collègues. Si vous voulez que j'en énumère quelques-unes...
... j'inclurais Aide à l'enfance, qui a une présence ici au Canada, plus précisément à Toronto. Il y a également la Croix-Rouge, une organisation de premier plan, ainsi que Care Canada.
Mentionnons aussi le Conseil norvégien pour les réfugiés, le Conseil danois pour les réfugiés et le Comité international de secours. S'ajoutent à cela quelques organisations françaises, comme Action contre la faim, qui a également une présence ici.
Ce sont toutes des organisations bien établies qui peuvent faire le travail, malgré les risques pour la sécurité.
D'accord.
Je voulais parler un peu de l'épidémie d'Ebola. En fait, j'ai pris connaissance d'une situation lorsque j'étais à l'Organisation mondiale de la Santé. Je n'en avais pas entendu parler auparavant. Ce que j'ai appris était vraiment effrayant parce que, lorsque l'épidémie a éclaté, elle s'est propagée vers une ville voisine, mais il n'y avait aucun plan pour empêcher les gens de quitter cette ville et de voyager à l'étranger.
Y a-t-il un bon programme d'intervention en cas de pandémie dans l'un ou l'autre de ces pays, d'après vous, pour gérer des situations comme l'épidémie d'Ebola?
Je crois que l'insécurité nuit aux efforts. Comme je l'ai mentionné, c'est la première fois que l'épidémie d'Ebola frappe une zone de conflit. Si je ne me trompe pas, il y a eu 10 éclosions au Congo depuis la découverte de la maladie en 1976. C'est la première fois que cela arrive dans une zone de conflit.
On a assisté à une flambée d'Ebola plus tôt cette année dans la province de l'Équateur, à l'extrémité ouest du pays, puis une semaine ou deux après que le tout a été déclaré terminé, une autre éclosion est survenue dans cette zone de conflit.
Le territoire de Beni, dans la province du Nord-Kivu, est actuellement aux prises avec une éclosion d'Ebola, en plus d'être assailli par un certain nombre de groupes armés, notamment l'ADF, un groupe ougandais qui est là depuis les années 1990 et qui est devenu très actif en 2014. Il a intensifié ses actes de violence depuis l'éclosion d'Ebola. On espérait que ces groupes armés ne feraient pas obstacle aux équipes d'intervention contre le virus Ebola, mais c'est tout le contraire qui s'est produit. Ils semblent avoir multiplié leurs activités depuis la déclaration de l'épidémie.
Il est très difficile d'empêcher les gens de se déplacer. Beaucoup d'habitants de la région comptent sur le commerce, notamment avec l'Ouganda, pour gagner leur vie; on trouve donc des commerçants ordinaires qui transportent des marchandises tous les jours. On a beau réglementer certains de ces mouvements, il y a toujours moyen de les contourner. Je me rappelle avoir travaillé plus tôt cette année dans le nord-est du Congo, à la frontière de l'Ouganda, et il y avait, en plus du poste frontalier officiel, 10 passages frontaliers non officiels — essentiellement, de simples sentiers à travers la forêt.
Permettez-moi de passer à une autre question.
En ce qui concerne les soins de santé, l'autre message que j'ai retenu, madame Juac, c'est qu'il n'y a essentiellement aucun soin de santé, mais j'ai également entendu dire que, dans les zones de conflit, des médecins se font tuer. C'était là un grand sujet de préoccupation dont je n'avais jamais entendu parler à l'Organisation mondiale de la santé.
Pouvez-vous me dire si cela se produit au Congo? Est-ce le cas en Somalie et au Soudan du Sud?
Absolument, nous observons ce genre d'incidents au Congo. Nous voyons des travailleurs de la santé se faire attaquer. Je crois que c'est aussi bien par des groupes armés que par des citoyens inquiets.
Il y a beaucoup de problèmes de communication et de malentendus au sujet du conflit; c'est pourquoi l'une des principales mesures prises par Oxfam dans la lutte contre l'Ebola porte sur les relations et la sensibilisation à l'échelle communautaire afin d'expliquer aux gens ce qu'est le virus Ebola et comment on peut le contracter. Il ne s'agit pas seulement d'éviter les poignées de main, de se laver les mains plus souvent, et cetera; les gens doivent aussi faire confiance aux travailleurs de la santé. À l'heure actuelle, certains pensent à tort que ce sont les travailleurs de la santé et les hôpitaux qui propagent la maladie; par conséquent, les gens préfèrent des types de soins de santé plus traditionnels, ce qui ne fait qu'aggraver la situation.
C'est la même chose au Soudan du Sud.
Des médecins sont enlevés et emmenés ailleurs pour soigner les soldats blessés dans des zones de conflit. Certains d'entre eux meurent en protégeant des femmes ou des enfants. Le problème, c'est que chaque fois que les groupes armés savent qu'il y a un médecin, ils font appel à ses services, même pour des choses qui dépassent son mandat.
C'est un grave problème. Nous avons perdu une soeur — elle était médecin — dans une des zones de conflit. Il est donc nécessaire d'assurer une sécurité appropriée pour les médecins et les intervenants humanitaires. Il faut une politique qui puisse les protéger.
Merci beaucoup.
Madame Juac, ma question concerne plus précisément les femmes.
Je sais que nous parlons des femmes comment étant les principales victimes, celles qui sont les plus durement touchées, mais pouvez-vous me parler un peu des femmes comme solutions? Les femmes dans les postes décisionnels font-elles partie des processus de paix? Sont-elles élues à l'intérieur des structures de gouvernance pour participer au maintien de l'ordre... à tous ces rôles que les femmes peuvent jouer?
Je sais que vous étiez ici récemment dans le cadre du programme Sister-to-Sister, à l'occasion duquel nous nous sommes rencontrées. Il s'agit d'une initiative qui vise à enseigner la promotion des droits de la femme. J'ai aussi vu des programmes qui permettent aux femmes de convertir leurs histoires locales en un langage international, sachant qu'il s'agit de la résolution 1325 de l'ONU, ou de traduire ces récits en un langage qui sera compris par la communauté internationale.
Pouvez-vous me dire comment le Canada peut soutenir les femmes afin qu'elles soient des solutions, et pas seulement des victimes?
Aux termes de l'accord de paix, les femmes ont droit à un taux de participation de 35 % grâce à l'action positive. Malheureusement, jusqu'ici, le gouvernement et les parties n'ont pas mis en oeuvre cette disposition conformément à l'accord.
En ce qui concerne l'armée et les autres forces de sécurité, les femmes comptent pour 6 % des plus hauts gradés de l'armée, 10 % des policiers et 15 % des agents de sécurité nationale. Dans la fonction publique, les femmes représentent 45 % du personnel des ministères et 60 % des députés. Toutefois, les nouveaux changements entraîneront une réduction de 40 % de l'effectif féminin, selon le nouvel accord de paix qui a été signé.
Pour ce qui est de la participation des femmes, il faut accroître les efforts de défense de leurs intérêts. L'année dernière, le gouvernement canadien a organisé un grand événement pour les femmes et les forces de l'ordre, y compris les femmes des régions rurales, ce qui leur a permis de mieux comprendre leurs droits et la façon dont elles peuvent aller de l'avant.
J'aimerais remercier nos deux invités.
Madame Juac, je sais que vous êtes venue de loin, alors nous sommes très heureux d'avoir pu vous compter parmi nous aujourd'hui. Vos deux témoignages étaient importants pour nous.
Chers collègues, nous allons maintenant faire une pause de deux minutes, le temps de permettre aux nouveaux témoins de s'installer, puis nous reprendrons nos travaux. La séance est suspendue.
Nous reprenons.
Nous allons maintenant entendre notre second groupe de deux témoins. Nous recevons Georgette Gagnon du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, et Susan Stigant, de l'organisme United States Institute of Peace.
Mesdames, je vous demanderais de faire chacune une déclaration de 8 à 10 minutes, et je sais que mes collègues auront ensuite beaucoup de questions à vous poser.
Madame Gagnon, voulez-vous commencer?
Bonjour.
Au nom du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, je vous remercie de me donner l'occasion de parler des façons dont le Canada peut mieux s'attaquer aux questions liées aux conflits, à la violence fondée sur le sexe, à la justice et au respect des droits de la personne en Somalie, en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud.
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme intervient activement dans ces trois pays. En République démocratique du Congo, le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l'homme, doté de 150 membres du personnel répartis dans 19 endroits, est la principale composante de la mission de maintien de la paix des Nations unies, MONUSCO. Au Soudan du Sud, la Division des droits de l'homme, qui compte un effectif de 91 personnes dans 10 bureaux locaux, relève, pour sa part, de la MINUSS. En Somalie, le Groupe des droits de l'homme et de la protection, qui compte à son actif 33 membres du personnel répartis dans 6 endroits, fait partie de la mission des Nations unies pour l'assistance en Somalie.
Nos équipes des droits de la personne, que j'ai l'honneur de superviser à l'échelle mondiale, remplissent leurs fonctions conformément au mandat qui leur est confié par le Conseil de sécurité. Ainsi, elles assurent la surveillance, la tenue d'enquêtes, la production de rapports, la médiation et la défense des intérêts relativement aux principaux enjeux en matière de droits de la personne, et elles offrent un soutien technique au gouvernement, à la société civile et à d'autres intervenants pour prévenir les violations et y mettre fin et pour modifier les politiques et les pratiques, en adéquation avec le mandat mondial du Haut-Commissariat, soit celui de promouvoir et de protéger de manière impartiale et indépendante les droits fondamentaux de tous les humains, partout dans le monde.
Comme vous le savez, les conflits qui sévissent en République démocratique du Congo, en Somalie et au Soudan du Sud demeurent parmi les plus violents et les plus persistants au monde. Les populations civiles de ces pays ont porté tout le poids de cette violence, qui a eu des effets dévastateurs sur les collectivités, les moyens de subsistance et les gens.
Dans le cadre de notre rapport sur les récentes violations des droits de la personne dans l'État d'Unité, dont on vient de parler, mes collègues ont interviewé une fille de 14 ans dans le comté de Leer. Elle nous a dit:
Toute la violence dont j'ai été témoin... Jamais je ne pourrai l'oublier. Comment oublier l'image d'un vieil homme égorgé au couteau avant d'être brûlé? Comment oublier l'odeur des corps en décomposition de vieillards et d'enfants se faisant dévorer par des oiseaux? Ces femmes mortes pendues à un arbre?
C'est notre travail, notre obligation — et je dirais notre obligation à nous tous — de ne jamais oublier et de déployer tous les efforts nécessaires en matière de protection et de prévention. L'objectif principal des Nations unies est de protéger les civils en République démocratique du Congo, en Somalie et au Soudan du Sud. Nous mettons l'accent sur l'analyse des signes précurseurs et des risques en vue de protéger la population civile grâce à la surveillance, à la défense des intérêts et à la mobilisation de ceux qui ont le pouvoir d'agir pour éviter les préjudices causés aux civils.
Le renseignement lié aux droits de la personne vise les auteurs de crimes, qu'il s'agisse de gouvernements, de forces progouvernementales, de groupes armés ou d'éléments antigouvernementaux, ainsi que leurs méthodes et leurs agissements — présents et passés. Ce renseignement oriente la stratégie des Nations unies en matière de protection des civils, renforçant ainsi la protection physique assurée par les Casques bleus et le levier politique des Nations unies pour empêcher les atrocités de masse.
En République démocratique du Congo, au cours des 10 premiers mois de 2018, nous avons documenté environ 5 703 cas de violation des droits de la personne, une hausse de 14 % par rapport à la même période l'an dernier — signe que la sécurité s'est détériorée à l'approche des élections de décembre.
En Somalie, notre équipe a recensé 1 010 victimes civiles. Il s'agit là du nombre de morts et de blessés rien qu'en septembre 2018, dont 55 % sont attribuables à Al-Chabaab et 22 % à des acteurs étatiques. Cela montre les répercussions implacables du conflit sur les civils et la nécessité d'assurer une prévention plus ciblée.
Nous exhortons le Canada à augmenter son soutien, d'une part, à l'amélioration des efforts de protection des civils pour consolider les mécanismes d'alerte précoce menant à une intervention rapide et, d'autre part, à la reddition de comptes entre vous, les chefs de mission et d'autres intervenants pour la protection des civils.
En Somalie, les démarches en vue de rétablir l'autorité de l'État ont donné des résultats encourageants. Nous demandons au Canada d'accorder la priorité aux obligations en matière de droits de la personne dans les activités de lutte contre le terrorisme qu'il appuie par le renforcement des capacités des forces de police et de sécurité. Sans une diligence raisonnable en matière de droits de la personne, ces opérations risquent de nourrir la violence et l'extrémisme, ce qui sape les efforts visant à renforcer les institutions garantes de la primauté du droit.
C'est un exemple récent tiré d'un de nos rapports. En juillet de l'année dernière, quatre civils accusés d'être affiliés à Al-Chabaab ont été exécutés. L'une des victimes était un Somalien rentré d'Éthiopie qui avait été détenu pendant sept mois sans inculpation. Deux autres avaient été arrêtés quelques mois avant leur exécution, et le quatrième a été arrêté la veille de son exécution. Aucun lien entre les victimes et Al-Chabaab n'a été confirmé, et le ministre de la région a déclaré qu'en principe, leur exécution aurait dû faire suite à un jugement de culpabilité rendu par un tribunal reconnu. Ce qui s'est passé, c'est que les familles des victimes ont reçu la diya et que les policiers qui ont mis ces hommes à mort ont été relâchés.
L'impunité demeure une préoccupation de taille en Somalie. Les exécutions extrajudiciaires, les enlèvements, les tortures et les violences sexuelles ne font l'objet d'aucune enquête. Cette impunité prend des proportions exagérées lorsque les victimes sont des femmes et des filles, ce qui exige des efforts supplémentaires. Outre la faiblesse du cadre juridique, le droit coutumier contribue à l'impunité des auteurs de violences sexuelles, les chefs traditionnels servant de médiateurs auprès des familles des victimes dans un processus en vertu duquel la justice pour la victime est remplacée par l'indemnisation de sa famille.
Comme nous l'a dit une fille: « La police a relâché les quatre hommes qui m'ont violée en groupe. Ceci est arrivé après que ma famille et les familles des coupables se sont entendues sur le versement d'une indemnisation. On ne m'a pas consultée, on ne m'a pas donné d'argent non plus, et les hommes étaient libres de violer à nouveau. Je suis très mécontente de la façon dont cette affaire a été traitée et j'en veux à ma famille et à cette police qui est censée protéger les gens comme moi de tels incidents. »
Notre équipe a soutenu le ministère somalien des Femmes et des Droits de l'homme dans la société civile pour l'élaboration d'un projet de loi sur les délits sexuels, projet de loi que le cabinet a récemment adopté, mais auquel les chefs religieux continuent de s'opposer. Nous appuyons également des unités spécialisées dans la lutte contre la violence à l'égard des femmes et des enfants, et la violence sexuelle liée aux conflits. Une formation est dispensée à l'armée nationale somalienne. Nous sommes d'avis que le Canada devrait augmenter son soutien, y compris à la société civile somalienne, pour lutter contre la violence fondée sur le sexe et renforcer les droits des femmes et des filles.
En République démocratique du Congo, avec l'appui du Canada, nous aidons les femmes et les filles victimes de la violence sexuelle endémique liée au conflit à obtenir un meilleur accès à une assistance médicale et psychosociale. Nous apportons également notre soutien aux autorités congolaises quant à la protection de ces victimes avant, pendant et après les procès des responsables de ces violences sexuelles liées au conflit. Bien entendu, les gens s'inquiètent des représailles.
Comme signe encourageant, il convient de mentionner qu'entre le mois d'août et le mois d'octobre de cette année, 43 soldats et 13 policiers ont été condamnés pour des crimes contre les droits de la personne, y compris pour des violences fondées sur le sexe et pour des violences sexuelles.
Malheureusement, au Soudan du Sud, il n'y a pas eu beaucoup de poursuites pour violations des droits de la personne et, en août, le président Kiir a accordé une amnistie générale aux commandants rebelles sans tenir dûment compte de leur possible implication dans des crimes internationaux, envoyant ainsi le message que les auteurs de ces crimes ne seront pas poursuivis et que l'impunité est la règle. Aucun progrès n'a été réalisé en ce qui concerne la création du tribunal hybride.
Le Canada pourrait accroître son appui et étoffer son plaidoyer quant à la nécessité impérative de tenir rigueur aux auteurs de violations graves des droits de la personne et de crimes de guerre, y compris en ce qui a trait à la violence sexuelle perpétrée au Soudan du Sud, en Somalie et en République démocratique du Congo.
La protection de l'espace civique et démocratique est un autre élément essentiel de la protection des droits de la personne et du soutien aux acteurs nationaux des droits de la personne. En Somalie, nous faisons la promotion de la participation des femmes à la vie publique et à la commission nationale des droits de la personne. L'appui du Canada est nécessaire pour édifier et renforcer ces institutions civiles.
Nous documentons également l'augmentation des violations et des attaques à l'endroit de la liberté d'expression.
Au Soudan du Sud, l'intimidation, la surveillance, les menaces et le harcèlement ciblant les militants nationaux des droits de la personne et les journalistes ont empêché ces personnes d'exposer les réalités de la guerre et de la corruption, et de dénoncer ceux qui devraient être tenus responsables. Nous aimerions collaborer davantage sur ces questions. En août, à Djouba, l'organisme Journalistes pour les droits humains a tenu un forum avec l'appui d'Affaires internationales Canada pour promouvoir la liberté de la presse.
Nous encourageons le Canada à appuyer les travaux qui protègent l'espace civique. En République démocratique du Congo, à l'approche des élections présidentielles, il serait impératif de veiller à ce que le processus électoral ne soit pas entaché par une restriction de l'espace civique et démocratique.
En septembre, nous avons rendu compte de la répression violente par le gouvernement des manifestations pacifiques de la société civile et des partis d'opposition, et nous avons exhorté les autorités à respecter la liberté d'expression et le droit qu'ont les populations de tenir des assemblées pacifiques. Nous et nos collègues nationaux des droits de la personne avons besoin de l'appui du Canada pour demander aux autorités congolaises de mettre fin au harcèlement et à l'intimidation des militants de la société civile, dont les détentions au secret.
Les mesures axées sur l'édification de la confiance prévues aux termes de l'accord du 31 décembre 2016 sur l'ouverture de l'espace politique et le respect des droits et libertés fondamentaux n'ont pas encore été mises en œuvre, et l'élection est dans quelques semaines.
En terminant, et pour répondre à la question au sujet de ce que le Canada peut faire pour être mieux en mesure de réagir face aux conflits, à la violence fondée sur le sexe, à la justice et aux droits de la personne en République démocratique du Congo, en Somalie et au Soudan, je dirais qu'il doit se faire l'ardent défenseur d'une paix durable et de la prévention des conflits par la justice, la responsabilisation et une meilleure protection des civils. Le Canada doit également renforcer son soutien politique et financier pour protéger les espaces civil et démocratique ainsi que la participation des femmes dans la vie publique sous toutes ses formes.
Merci.
Bonsoir. Je suis ravie d'être ici. Merci de continuer à attirer l'attention sur la situation au Soudan du Sud, en Somalie et en République démocratique du Congo.
Je m'appelle Susan Stigant. Je suis la directrice actuelle des programmes pour l'Afrique du United States Institute of Peace, l'USIP.
Pour ceux d'entre vous qui ne le sauraient pas, l'USIP est un organisme indépendant et non partisan qui a été créé par le Congrès américain il y a plus de 30 ans et qui a pour mission de prévenir, de gérer et de résoudre les conflits violents dans le monde. Étant donné qu'il s'agit d'un organisme indépendant et non partisan, les opinions que j'exprimerai ici sont les miennes et elles ne représentent pas celles de l'USIP.
En prévision de la séance d'aujourd'hui, j'ai eu l'occasion de lire les transcriptions et les mémoires des autres témoins, et je pense qu'ils ont très clairement documenté la fragilité des trois pays à l'étude. Ils ont souligné la profondeur de la crise humanitaire et fait ressortir certaines des pires choses que les humains font à leurs semblables dans le monde entier.
Ils ont mis en relief le rôle crucial que jouent la société civile canadienne et la société civile nationale dans la conception et la prestation de l'aide au développement. Ils ont souligné la nécessité de trouver des solutions politiques aux conflits et ils ont donné des exemples clairs d'engagements que le Canada pourrait prendre pour faire avancer ses objectifs stratégiques.
Plutôt que de parler de la dynamique particulière de chaque pays, j'ai choisi de faire ressortir trois thèmes qui, à mon avis, trouvent un écho dans chacun de ces trois pays.
Tout d'abord, je crois qu'il est utile de regarder au-delà de l'horizon, à la fois vers l'avant et vers l'arrière. Souvent, nous nous concentrons sur l'urgence et sur les affaires pressantes qu'on nous signale — et c'est quelque chose que nous devons faire. Il s'agit de problèmes sérieux sur le plan des droits de la personne et sur le plan humanitaire. Cependant, cela nous laisse peu de temps pour réfléchir à ce qui était et à ce qui sera.
Par exemple, en ce qui concerne la République démocratique du Congo, l'accent est présentement mis sur les élections qui doivent se tenir le 23 décembre, ou peut-être un peu plus tard. C'est une tâche colossale, avec 100 000 bureaux de vote, de nouvelles machines de vote, une logistique poussée et très peu de capacité à cet égard, avec les efforts de rassemblement de l'opposition qui s'en vont à vau-l'eau et la société civile qui se débat. Dans une vaste mesure, la priorité a été de veiller à faire en sorte que ces élections se tiennent et que le président Kabila ne se présente plus.
L'histoire des élections en République démocratique du Congo nous dit que la communauté internationale doit s'attendre à des conflits postélectoraux. Nous savons qu'il est très probable que l'opposition rejettera les résultats. Nous savons qu'il est très probable qu'il y aura un tollé de désenchantement en raison de la violence et de l'action des groupes armés. Nous savons qu'il y aura probablement de la confusion et du chaos autour du dépouillement, de la compilation et de la communication des résultats.
Invariablement, nous avons vu que les élections en République démocratique du Congo poussent les gens à descendre dans la rue pour protester, ce qui donne souvent lieu à une réaction brutale de la part du gouvernement.
En fin de compte, nous nous retrouverons avec un nouveau gouvernement qui héritera de tous les défis du passé et qui devra partir de plus loin encore pour essayer d'instaurer cette dynamique que nous estimons nécessaire, c'est-à-dire une saine relation entre l'État et la société.
Aujourd'hui, nous devons nous préparer à ce qui se passera tout de suite après les élections et ultérieurement. Cela signifie un engagement et des efforts d'intégration soutenus auprès de la société civile et des partis politiques. Ces transitions qui se produisent très rapidement sont souvent l'aboutissement d'une très longue période de développement. Or, comme nous sommes tellement concentrés sur l'immédiat, il arrive que ces subtilités nous échappent.
Un peu de la même façon, au Soudan du Sud, nous nous sommes beaucoup focalisés sur la réussite de l'accord de paix revitalisé. Ce que j'entends continuellement, c'est que c'est tout ce que nous avons et que c'est la meilleure perspective pour les Sud-Soudanais.
J'ai vécu et travaillé six ans au Soudan du Sud, durant cette période qui a suivi la signature de l'accord de paix global et que les gens appelaient « les bons jours ». Je peux vous assurer que les Sud-Soudanais espéraient beaucoup plus que ce qu'ils endurent aujourd'hui.
C'est un équilibre qui est difficile à atteindre. Vous entendez clairement l'espoir et la détermination qu'ont les Sud-Soudanais de tirer le meilleur parti de ce qui est là. La porte est ouverte, calez votre pied dans l'entrebâillement, maintenez-le là et prenez tout ce que vous pourrez prendre. Toutefois, nous voyons aussi une entente qui ne change pas fondamentalement la logique qui a présidé à la mise au point d'un accord de partage du pouvoir qui a échoué non pas une, mais deux fois. À vrai dire, les probabilités semblent plutôt défavorables.
Les garants sont une paire improbable de pays — l'Ouganda et le Soudan —, qui n'ont pas été souvent d'accord ces derniers temps, mais qui ont tout de même fini par s'entendre sur ce point. Cela ne veut pas dire que la communauté internationale ne doit pas faire de son mieux pour tirer le meilleur parti de la situation actuelle, mais cela signifie aussi qu'il faut un plan de rechange clair.
Par exemple, la fin de l'accord de paix est fondée sur une transition électorale étalée sur trois ans. Je voudrais rappeler que cette guerre civile est née des affrontements politiques qui ont précédé les élections qui devaient se tenir en 2015. Quelle stratégie devons-nous adopter pour modifier la donne et faire en sorte que le résultat soit différent cette fois-ci?
Je trouve également que l'on accorde moins d'attention à certaines dimensions de l'économie politique du conflit. Le conflit n'est pas un parallèle de l'économie. Le conflit, c'est l'économie. Il est important que nous comprenions comment l'aide et les autres engagements interviennent dans cette dynamique.
Sur le plan économique, on a aussi peu parlé de l'injection massive de fonds qui sera nécessaire pour stabiliser l'économie. Lors d'un atelier que nous avons tenu récemment, nous avons demandé aux gens de calculer sur une serviette de table ce qu'il en coûterait pour stabiliser cette économie, et il a été question d'environ 400 millions de dollars pour la première année. Cela ne servirait qu'à soutenir les livres qui sont actuellement en circulation. Dans un article bouleversant du Washington Post d'aujourd'hui, on apprend qu'un professeur agrégé de l'Université de Djouba doit économiser pendant plus de deux mois pour être en mesure d'acheter un poulet pour nourrir sa famille. Voilà où l'inflation est rendue dans ce pays.
Mon deuxième thème concerne le rééquilibrage des dynamiques régionales et interrégionales. Nous avons souvent tendance à examiner les politiques et les approches en fonction d'un seul pays. Cependant, en ce qui concerne la République démocratique du Congo, nous savons que les relations avec l'Ouganda, le Rwanda et les autres pays des Grands Lacs sont cruciales, et que le rôle de l'Afrique du Sud quant à la promotion d'une solution politique sera déterminant pour la suite des choses.
La Somalie est particulièrement intéressante à cet égard. Nous avons toujours compris le positionnement stratégique de ce pays en ce qui concerne la sécurité maritime et la piraterie. Nous nous sommes moins intéressés à ce qui se passe dans la région de la mer Rouge. Nous considérons souvent la mer Rouge comme la frontière entre l'Afrique, d'une part, et le golfe et le Moyen-Orient, d'autre part, mais nous constatons de plus en plus que les dynamiques interrégionales en matière de sécurité, d'économie et de politique ont un impact sur la paix et la sécurité dans la Corne de l'Afrique.
Par exemple, au cours de la dernière année, la division qui existe dans le golfe entre l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis d'un côté et le Qatar de l'autre, commence, semble-t-il, à avoir une incidence sur l'engagement dans la Corne de l'Afrique. Le gouvernement fédéral somalien a adopté une position officielle stipulant qu'il allait rester neutre à l'égard de cette division. Toutefois, on a laissé entendre que le premier ministre recevait des fonds du Qatar et que le Qatar était peut-être favorisé. Peu de temps après, des négociations ont commencé entre les Émirats arabes unis et certains des États membres fédéraux en Somalie au sujet de la construction de ports — un intérêt économique et sécuritaire stratégique pour les Émirats arabes unis relativement à la guerre au Yémen. Cela a encore miné l'équilibre délicat que l'on tente d'établir entre le gouvernement fédéral à Mogadiscio et les États membres fédéraux de l'extérieur.
Il s'agit d'un problème multilatéral classique qui exige une solution multilatérale, mais il n'y a en ce moment aucun forum qui soit adapté à la poursuite de cet objectif. Le Conseil de l'Union européenne a appelé à la création d'un nouveau forum sur la mer Rouge. L'Union africaine et l'Autorité intergouvernementale pour le développement réfléchissent à la manière de faire avancer les choses, mais encore faut-il déterminer la direction à prendre.
Mon troisième thème porte sur les occasions qui nous sont données de relier le national à l'international. Je sais que beaucoup de députés ici présents ont dans leur circonscription respective bon nombre de gens qui viennent du Soudan du Sud, de la Somalie ou de la République démocratique du Congo. Nous savons que les conflits et la violence ne sont plus circonscrits à des espaces finis. En raison de la technologie et de la circulation des personnes, un conflit dans un pays d'Afrique aura vraisemblablement une incidence sur d'autres populations. Nous savons également que l'inverse peut se produire: les tensions et les discours dangereux qui circulent dans les médias sociaux peuvent avoir une incidence concrète sur la violence dans le pays.
Nous avons la possibilité d'interpeler les populations de la diaspora et de comprendre que les profondes divisions que nous voyons au sein d'une communauté se reflètent également ici, au Canada. À cet égard, je vous recommande de jeter un coup d'oeil à une initiative récemment proposée par le gouvernement australien pour faciliter le dialogue entre les membres de la diaspora du Soudan du Sud.
En pensant à l'avenir, à la façon dont le Canada pourrait prioriser l'engagement, j'encouragerais d'abord un élargissement de l'ouverture. Bien souvent, nous nous focalisons sur les pays, alors qu'il serait essentiel d'avoir une stratégie régionale. L'Union européenne et les Nations unies ont des envoyés qui couvrent la Corne de l'Afrique et qui examinent les choses dans une perspective régionale plus large. Cela permet d'adapter les priorités en fonction des différents pays. Cela permet à un seul ambassadeur de se déplacer et d'avoir accès aux chefs d'État. C'est plus que ce que n'importe quel ambassadeur — même un ambassadeur hors du commun — peut réaliser à lui seul. Je sais que le Canada a déjà eu une envoyée spéciale au Soudan et au Soudan du Sud — la sénatrice Jaffer, entre 2002 et 2006 — et qu'il a maintenant l'expérience de Bob Rae, au Myanmar.
Ma deuxième recommandation concerne la capacité catalytique du Canada. Je suis frappée par le degré de cohésion et l'émergence d'un discours sur la participation des femmes et les principes de Vancouver en matière de maintien de la paix. J'ai été éblouie par la réussite qu'a connue le Canada lors de son intervention au Soudan du Sud. J'ai vu que le Canada a constitué un groupe de travail sur les enfants soldats et contribué à encourager un débat très important qui n'était pas aussi actif qu'il le devait. J'ai en outre constaté que le Canada considérait qu'il était prioritaire de faire participer les femmes au processus de paix et qu'il a collaboré avec ONU Femmes à cette fin.
Cependant, même si ces activités sont importantes, j'ai été frappée par les initiatives diplomatiques dans le cadre desquelles l'ambassade a visité des projets d'aide au développement mis en oeuvre dans le pays, leur conférant ainsi une grande visibilité. Il s'agissait principalement d'initiatives relatives à la santé maternelle et infantile visant à faire en sorte que les membres des communautés voient les femmes pas seulement comme des victimes, mais aussi comme des survivantes.
Ces initiatives ont également permis de mettre en évidence le fait que le Soudan du Sud ne se limite pas à Djouba, mais comprend aussi ceux qui vivent en dehors de cette ville. Ces démarches ont clairement fait comprendre que la communauté internationale surveillait la situation et voyait ce qu'il se passait à l'extérieur de la capitale.
Ma troisième recommandation concerne l'expérience et l'expertise du Canada. Ce dernier possède une expérience sans pareille dans la gestion de conflit, la diversité et la promotion du pluralisme. Ce genre d'approche vaudrait son pesant d'or, car la Somalie poursuit l'élaboration de son régime fédéral et cherche à voir comment elle pourrait le mettre en oeuvre. Le Soudan du Sud tente de déterminer s'il conservera 32 États ou s'il réduira ce nombre à 10; au bout du compte, toutefois, c'est une question de relations entre les gouvernements du centre et des États.
Le rôle du Parlement dans un régime fédéral est une question extrêmement difficile et importante, et le Canada peut jouer un rôle à cet égard.
Je terminerai avec quelque chose qui est, je pense, le plus important et que j'ai gardé pour la fin: l'admission du fait que la population est incroyablement jeune dans ces trois pays. L'Afrique sera le continent le plus jeune. Dans certains pays, les jeunes constituent plus de 70 % de la population. Dans notre intervention, nous devons penser à la manière dont nous travaillerons avec la prochaine génération. Comment la protéger des difficultés, de la corruption systémique et des conflits qui hantent ces pays? Comment pouvons-nous commencer à forger précocement des relations avec les jeunes?
Je terminerai sur une note personnelle en vous remerciant. J'ai commencé ma carrière au sein du Programme de stages internationaux pour les jeunes mis en oeuvre par ce qui s'appelait alors le MAECI, programme dans le cadre duquel j'ai travaillé avec le centre parlementaire de l'Afrique du Sud. Je pense que la participation des jeunes s'applique tant au Canada qu'à nos partenaires en Afrique.
Merci.
Nous vous remercions toutes les deux de ces observations fort instructives. Nous allons maintenant entamer les tours de questions.
Monsieur McCauley, c'est vous qui lancez le bal.
Bienvenue et merci de ces renseignements. La question est d'une telle ampleur que je ne sais même pas par où commencer. Je ferai donc appel à votre patience, car je vais passer du coq à l'âne.
Quel rôle le Soudan du Nord joue-t-il dans les problèmes du Soudan du Sud?
Cette question s'adresse à vous deux.
Le Soudan a été l'hôte de la dernière ronde de pourparlers de paix, et la région le considère certainement comme étant le maître d'oeuvre de l'accord de paix intervenu avec l'Ouganda. Nous avons entendu des propos incroyables selon lesquels le processus de paix ne s'est pas effectué de manière entièrement volontaire. Nous avons eu vent d'affaires d'intimidation et de coercition, particulièrement de l'opposition, ce qui est préoccupant. Nous savons que tout accord signé sous la contrainte est moins susceptible de réussir.
Dans le cadre de la normalisation des relations entre les États-Unis et le Soudan, laquelle a mené à la levée de sanctions plus tôt cette année, le Soudan s'est engagé à ne pas intervenir, c'est-à-dire à ne pas s'en prendre aux groupes de l'opposition. Les observateurs semblent dire qu'il tient parole.
Le Soudan souhaite avant tout que le pétrole recommence à couler. Des sommes substantielles sont dues au gouvernement du Soudan et la situation économique est mauvaise, pire encore peut-être que celle du Soudan du Sud.
Vous avez évoqué les enfants-soldats. Selon notre document d'information, 99 % des enfants-soldats enlevés en Somalie sont des hommes. Nous nous soucions beaucoup de la santé des mères, des jeunes femmes et des jeunes filles, mais risquons-nous de ne pas porter suffisamment attention aux jeunes hommes également dans le cadre de notre approche?
Je ne critique pas ce que nous faisons en mettant l'accent sur les femmes, car c'est très important. Mais oublions-nous peut-être d'aider les hommes?
J'ai parlé d'une situation de « oui, et ». Nous disons de plus en plus que notre travail ne concerne pas que la paix et la sécurité des femmes, mais également le renforcement de la paix et de l'égalité entre les sexes, sachant que nous devons comprendre les relations entre les filles et les garçons et les hommes et les femmes pour atteindre cet objectif.
Je pense que c'est là un point important à prendre en compte.
Oui, et dans certaines de nos interventions, la surveillance porte beaucoup sur les jeunes. Nous notons comment les enfants de moins de 18 ans sont touchés, économiquement et de toute autre manière, par le conflit, en portant réellement attention à la manière dont les filles et les garçons vivent différemment la situation, comme ma collègue l'a indiqué. Les filles souffrent encore de manière disproportionnée, raison pour laquelle nous en parlons plus souvent.
Cela ne signifie pas que les garçons n'ont pas besoin de toutes sortes de formes d'aide, particulièrement au chapitre de l'éducation. Il y a du recrutement forcé, vous savez. De nombreux enfants sont encore recrutés de force.
De toute évidence, les besoins sont immenses dans les trois pays, et nous affectons des ressources dans la région. Ces ressources sont toutefois limitées. Devrions-nous continuer ce que nous faisons ou nous retirer pour mettre l'accent sur d'autres domaines? Nous avons parlé des élections, de la formation d'une société civile et de l'instauration d'une structure pour fournir des services, assurer le maintien de l'ordre et établir la démocratie. Devrions-nous nous concentrer sur une tâche et laisser nos alliés s'occuper du reste?
Sommes-nous sur la bonne voie en ne nous éparpillant pas, mais en affectant des ressources limitées dans un éventail de domaines?
Je pense que dès qu'il est possible de coordonner les activités avec des partenaires internationaux, c'est la situation idéale; quelques expériences et projets ont d'ailleurs été mis en oeuvre aux termes d'une entente ou d'un partenariat avec le pays hôte. Ces initiatives, qui sont le fruit de négociations, font l'objet d'une entente et sont dirigées par le pays.
Selon moi, les ressources se font rares dans tous les pays du monde. Ce qui prime, c'est d'assurer la prévisibilité et la durabilité au lieu de chercher à tout faire. Je pense que nous constatons, particulièrement dans les programmes relatifs à la démocratie, à la gouvernance et au maintien de la paix, que l'argent coule à flot juste avant les élections, puis se tarit au cours des trois années subséquentes; il est donc très difficile de maintenir notre élan. Il est toutefois possible de faire beaucoup avec relativement peu d'argent, et je pense qu'il en va de même dans d'autres secteurs.
Pourquoi procédons-nous ainsi, appuyant le pays jusqu'aux élections, puis nous retirant apparemment de l'affaire ensuite? Est-ce parce c'est ce qui fait les manchettes ou qui suscite de l'intérêt, ou parce que nous ignorons comment fournir de l'aide adéquatement?
À mon avis, c'est en grande partie parce que... Les nouvelles qui font les manchettes attirent l'attention des gens. Nous affirmons que les élections ne sont pas un événement, mais un processus, mais ces belles paroles ne trouvent toutefois pas nécessairement leur écho dans la manière dont nous planifions nos interventions. Comme vous l'avez fait remarquer, quand les choses semblent bien aller... Le Kenya constitue un excellent exemple. Ce pays a connu des élections très difficiles ces dernières années, mais dès que les choses semblent rentrer dans l'ordre, l'argent est réaffecté à d'autres dossiers où la situation semble bien pire. Je pense que nous avons là une leçon à tirer sur l'importance de maintenir le cap et de continuer d'épauler nos partenaires.
Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Je dirai simplement que selon mon expérience, dans les nombreux pays où j'ai travaillé, les États donateurs et membres, comme nous les appelons aux Nations unies, accordent la priorité à différents domaines et assument diverses parties du travail. C'est donc ce que feront les Canadiens et les Suédois pour éviter les doublons et pour veiller à ce que les projets s'effectuent à long terme et non à court terme, bien que l'on ait parfois besoin de projets à court terme en cas d'urgence ou de crise.
L'instauration d'institutions et de la primauté du droit, la réforme du secteur de la sécurité et la mise en oeuvre du processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration exigent un travail à long terme. Il en est ainsi, que cela nous plaise ou non.
Je voulais vous remercier toutes les deux de vos témoignages très convaincants et instructifs.
Madame Stigant, vous avez débuté votre carrière au sein du Programme de stages internationaux pour les jeunes du MAECI. C'est également mon cas, et j'ai travaillé en Bosnie avec l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, un pays où vous avez également travaillé, il me semble, madame Gagnon. Je pense que vous étiez directrice du pays dans le cadre de l'Initiative de développement national au Soudan du Sud alors que j'étais directrice de pays en République démocratique du Congo.
Une grande partie de vos propos m'interpellent beaucoup, mais ce qui est aussi quelque peu fâchant, c'est qu'en 2011, j'ai abordé les mêmes sujets, traitant de la durabilité après les élections, des investissements dans les institutions et les structures de gouvernance et de la participation des femmes. Or, il semble que sept ans plus tard, nous en soyons encore au même point.
Ma première question concerne ce que Mme Gagnon a dit sur la reddition de comptes. Vous avez énuméré de nombreux domaines de reddition de comptes, notamment de la part des chefs de missions des Nations unies sur la protection des civils. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Nous pourrons ensuite discuter un peu plus des autres méthodes de reddition de comptes, mais dites-nous-en davantage au sujet de la communauté internationale et des Nations unies en particulier.
Vous savez peut-être qu'au cours de la dernière année et demie environ, les Nations unies se sont penchées sur la manière dont leurs troupes de maintien de la paix et les pays fournissant des troupes peuvent mieux assurer la protection des civils. Je ne parle pas de l'exploitation et des agressions sexuelles, mais simplement de la protection des civils.
Un certain nombre d'études ont été réalisées sur la question, et j'ai participé à deux enquêtes spéciales lancées par le secrétaire général en 2016 sur des attaques menées contre des sites de protection des civils dans le Soudan du Sud. Ces initiatives ont mené à la création d'un cadre de reddition de comptes des chefs de mission sur la protection des civils obligeant chaque intervenant dans le cadre de la mission, qu'il s'agisse de l'armée, des instances politiques ou des organismes de sécurité, à prendre certaines mesures pour protéger les civils de manière proactive et efficace. Ces deux enquêtes avaient en effet révélé l'existence de lacunes et de problèmes parce que les civils n'étaient pas protégés sur ce qu'on appelait les sites de protection des civils.
On a considérablement travaillé au problème. Les réponses sont claires; elles sont là. Les Nations unies ont pris la question avec le plus grand sérieux et ont instauré ce cadre, auquel tous les généraux et les dirigeants politiques doivent adhérer et au titre duquel ils doivent rendre des comptes.
D'autres initiatives sont également en cours au sein des Nations unies.
Merci.
Toujours sur la question de la reddition de comptes, je voudrais interroger Mme Stigant au sujet de la responsabilité du gouvernement.
Nous savons qu'à bien des endroits, les groupes armés sont soutenus ouvertement, tacitement ou même secrètement par les forces progouvernementales.
Comment pouvons-nous faire en sorte que ces pays disposent d'une meilleure structure de gouvernance? Les élections jouent un rôle déterminant à cet égard. Cependant, comme vous l'avez souligné, le simple fait de changer de gouvernement ne modifie pas entièrement la dynamique et les pressions. Comment pouvons-nous assurer une meilleure reddition de comptes entre le gouvernement et la population civils, particulièrement envers les femmes?
Voilà une excellente question, qui ferait probablement un bon sujet de dissertation.
Je pense que d'un point de vue très tactique, si nous pensons au Soudan du Sud, l'accord de paix a permis l'établissement d'un cessez-le-feu qui fonctionne. La reddition de comptes en temps opportun pose toutefois un problème, et les rapports, plutôt que d'arriver plus rapidement, arrivent plus lentement. Le problème est moins technique que politique et dépend de la volonté des gouvernements régionaux de présenter ces rapports.
En outre, quand ces rapports arrivent, ils sont de nature très vague, indiquant que toutes les forces devaient cesser le combat au lieu de préciser qu'un nombre donné de combattants devrait se tenir à telle distance d'un endroit, et ce, de manière vérifiable.
Je pense aussi qu'on pourrait renforcer ce mécanisme en ajoutant des mesures de surveillance très précises à certains égards, notamment en ce qui concerne la vulnérabilité de certains groupes, comme les enfants soldats, au recrutement. On pourrait aussi mieux surveiller la violence fondée sur le sexe. Un mécanisme consiste à travailler avec ce qui est là.
Nous savons que c'est essentiel pour la transformation globale de la relation. Nous savons qu'une relation saine entre l'État et la société rend les pays résilients aux chocs, qu'ils découlent de catastrophes naturelles ou d'un conflit. Nous le savons. Nous savons également qu'un grand nombre de gouvernements n'ont pas la capacité ou la volonté d'apporter ce changement.
Les pays dont nous parlons se trouvent dans des régions très difficiles; les pays voisins ne sont donc pas disposés à déployer des efforts pour effectuer un changement porteur de transformation.
J'ajouterais que sur le plan du changement, la présence d'un nombre accru de femmes en politique et dans des postes de direction peut être porteur de transformation.
Je voudrais également poser une question sur le ciblage...
Je tiens à vous remercier toutes les deux. Vous possédez manifestement de nombreuses années de solide expérience.
J'espère que vous nous remettrez vos mémoires écrits, car la discussion était difficile à suivre tant elle était approfondie. Je veux vraiment vous remercier.
Madame Stigant, j'ai remarqué que vous avez évoqué le forum de la mer Rouge. La Bibliothèque du Parlement, qui réalise des recherches pour notre compte, a fait remarquer qu'il y a plus d'un million de réfugiés somaliens dans la Corne de l'Afrique et au Yémen.
Compte tenu de ce qu'il se passe dans ce pays actuellement, pourriez-vous nous indiquer comment cette situation influence la résolution des problèmes en Somalie?
C'est une excellente question, car les deux situations sont interreliées. Les gens pensent normalement que le Yémen et l'Arabie saoudite sont proches l'un de l'autre, alors qu'en fait, si on examine la carte, Addis et la Somalie sont géographiquement plus près du Yémen.
La dynamique comporte plusieurs niveaux. Sachez notamment qu'en raison du conflit au Yémen et des alliances qui ont été conclues, les alliances et des divisions influencent l'interaction entre les pays du Golfe et du Moyen-Orient dans la Corne de l'Afrique. Je ne veux pas que vous présumiez que les intentions sont mauvaises, car il s'est passé des choses très positives. Les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ont joué un rôle de catalyseur très important dans la conclusion récente de l'accord entre l'Éthiopie et l'Érythrée. Si ces pays ne sont pas calibrés, d'une certaine manière, cela risque de diviser les parties et de compliquer encore les choses.
Pour ce qui est de la question de la Somalie et du Yémen, Georgette peut probablement mieux traiter des problèmes relatifs aux droits de la personne. On se préoccupe notamment du retour de certains combattants et de la perception de ces retours afin de voir comment on peut gérer adéquatement la situation. Je pense que c'est un domaine auquel il faut travailler davantage.
Nous avons constaté que ce dossier échappe à ceux qui, au sein du gouvernement américain, s'occupent de l'Afrique et du Proche-Orient. Nous avons donc réalisé certains travaux pour tenter de voir comment nous pourrions combler les manques au sein de la bureaucratie. Je pense que la situation est la même dans le système des Nations unies et, probablement, du Canada.
Oui, j'ai remarqué que l'OCDE et le Fonds pour la paix placent le Yémen devant plusieurs de ces pays africains pour ce qui est de la fragilité des États, alors je comprends le travail supplémentaire que vous devez faire.
Madame Gagnon, je vous remercie beaucoup pour toute l'information que vous nous fournissez. Sans tenir compte de tous les problèmes que vous avez soulevés, est-ce que vous laissez entendre que le Canada pourrait contribuer davantage aux initiatives des Nations unies et également, ou plutôt, que l'aide fournie par le Canada pourrait être ciblée? Par exemple, un procureur que je connais en Colombie-Britannique qui vient tout juste de prendre sa retraite est envoyé au Myanmar par les Nations unies pour travailler auprès des procureurs dans ce pays afin d'essayer de leur enseigner comment traiter les violations des droits de la personne dans les tribunaux.
J'aimerais savoir précisément ce que vous suggérez que le Canada fasse dans le cadre du rôle qu'il a à jouer pour cibler davantage son aide dans ces pays en particulier.
Je ne proposais pas nécessairement que le Canada augmente simplement son soutien à divers organismes des Nations unies. Je proposais plutôt que ce soutien soit davantage ciblé, qu'il soit destiné à la société civile, par exemple, ou à une organisation des Nations unies ou d'autres organismes multilatéraux. Je pensais à des types d'initiatives que le Canada devrait à mon avis appuyer d'une manière qui conviendrait. Bien entendu, je souhaite toujours davantage d'argent pour le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme. Je ne ferais pas bien mon travail si je ne faisais pas cette demande.
Il s'agit vraiment selon moi de déterminer le type de travail et le mécanisme de financement qui permettraient le mieux d'obtenir un changement sur le plan des politiques et des pratiques.
Croyez-vous qu'il soit possible que l'aide contribue à améliorer le système judiciaire? Est-ce que ce système est assez indépendant du gouvernement dans ces pays pour qu'on puisse observer des améliorations?
Je le répète, je pense que tout dépend du pays, de la région, de l'État et du tribunal en question, car il y aura toujours des alliés. En République démocratique du Congo, on a connu des réussites avec les tribunaux mobiles dans le cadre de poursuites de militaires et de politiciens. Les efforts dans ce domaine s'intensifient.
Je crois que d'autres témoins ont parlé de la liberté de la presse. Est-ce qu'il faudrait en parler davantage, faire connaître les bonnes mesures qui sont prises, et faire savoir à la population que des gens interviennent et que...
Tout à fait. C'est pourquoi j'ai dit qu'il est impératif de protéger la sphère publique et l'espace démocratique, précisément la liberté de la presse, les journalistes et les défenseurs des droits de la personne, qui sont de plus en plus ciblés et muselés dans ces trois pays parce qu'ils critiquent leur gouvernement, comme ils doivent le faire.
Nous croyons qu'il faut davantage soutenir ces groupes et leurs efforts.
Je vous remercie, monsieur le président.
J'aimerais faire suite à la question que Mme Duncan a posée à Mme Gagnon au sujet de l'impunité.
Vous avez parlé d'un manque de responsabilité et d'impunité, ce qui amène les gens à penser qu'ils peuvent s'en tirer et ne pas subir de conséquences.
Qu'est-ce qui contribuerait principalement à accroître la responsabilité — vous avez parlé de documenter les cas — de sorte que, même si on ne peut pas s'occuper du cas d'un contrevenant dans l'immédiat, nous pouvons démontrer que ce sera fait ultérieurement?
C'est l'un des objectifs de documenter les cas, de créer un dossier et bien entendu de dresser un profil.
Les noms des contrevenants figurent dans un grand nombre de nos rapports publiés récemment sur le Soudan du Sud.
C'est l'objectif. Ce sera peut-être dans un tribunal ou au moyen de sanctions ou d'autres mesures de responsabilité. Nous ne sommes pas limités au système judiciaire.
C'est nous en collaboration avec... Il y a également des groupes locaux qui documentent les cas, mais vous savez peut-être qu'il existe une commission au Soudan du Sud qui relève du Conseil des droits de l'homme des Nations unies et qui a présenté un rapport sans précédent qui mentionne précisément pour chaque crime quels militaires et dirigeants politiques sont responsables.
Non, pas particulièrement, mais parfois, dans les rapports que nous avons préparés, les noms figurent dans une annexe confidentielle. Les dirigeants des Nations unies et les États membres au Soudan du Sud étaient d'avis que la divulgation des noms des responsables était très importante et pouvait susciter des changements. Je crois savoir que certains dirigeants militaires ont été démis de leurs fonctions, mais d'autres ne l'ont pas été, bien sûr.
Je le répète encore une fois, tout est une question de volonté politique et il faut que les personnes influentes rappellent à l'ordre ceux qui laissent ces personnes agir comme elles le font.
On envoie le message que, tôt ou tard, on s'occupera du cas de ces personnes. Si quelqu'un pense, par exemple, qu'il peut violer une jeune fille et qu'il n'a ensuite qu'à payer pour s'en tirer, je dois dire très honnêtement que cela devient une forme de prostitution, que la jeune fille le veuille ou non. S'il y a une certaine responsabilité à assumer, et qu'il est clair que la personne ne peut pas s'en tirer, cela contribuerait à modifier les comportements dans l'avenir au lieu d'attendre qu'ils changent. Vous avez dit qu'on travaille actuellement sur l'impunité.
C'est l'objectif, à savoir de prévenir et de dissuader.
Tenir les gens responsables et préciser clairement qu'une personne sera emprisonnée ou sanctionnée ou qu'elle sera assujettie à une interdiction de voyager ou qu'on lui imposera une sanction pécuniaire, c'est ce qu'il faudrait vraiment faire à mon avis au Soudan du Sud...
En ce qui concerne l'interdiction de voyager, si l'ensemble des autres nations s'entendent pour dire que, peu importe si la personne a payé ou non pour ne pas répondre de ses actes, elle devra le faire dans leur pays...
Est-ce que nous y avons recours pour montrer très clairement que, si quelqu'un commet un crime sans en subir les conséquences dans sa région, il devra répondre de ses actes dès qu'il sortira de cette région, car les Nations unies s'en occuperont? Est-ce que cela est clair pour les contrevenants?
Probablement pas. L'exemple classique est celui du président du Soudan, qui est assujetti à toutes sortes d'interdictions de voyager. Il a été accusé par la Cour internationale de justice. Il lui est interdit de voyager dans certains pays, car il sera arrêté.
Il y a des pays qui le laissent entrer, et la situation est la même pour certaines des personnes assujetties à des interdictions de voyager et à des sanctions économiques.
Devrions-nous nous pencher sur ces pays qui ne respectent pas l'interdiction de voyager? Ont-ils une raison particulière de ne pas le faire ou des motifs économiques...?
Habituellement... ou il se peut qu'ils soient des alliés de cet État, mais il faut avoir recours à tous les outils. On les utilise, mais on pourrait probablement les utiliser d'une manière un peu plus efficace.
Ma collègue a peut-être quelque chose à dire à ce sujet.
Je dirais seulement que le respect de ces mesures dépend uniquement, ou largement en tout cas, des membres du Conseil de sécurité de l'ONU et des représentants diplomatiques. Le système des Nations unies en tant que tel n'est pas en mesure de le faire. Cette responsabilité appartient aux États membres, et particulièrement à ceux qui font partie du Conseil de sécurité. Je crois que c'est...
Y a-t-il des membres du Conseil de sécurité qui n'appliquent pas ces mesures ou qui sont laxistes dans des cas où ils ne devraient pas l'être?
Qui sont-ils? Quels pays membres du Conseil de sécurité permettent à ces contrevenants de continuer ce qu'ils font? C'est pour cela que nous sommes réunis ici, mais si vous ne vous sentez pas à l'aise de les nommer, ne le faites pas.
Tout dépend du pays en question et de la situation. En ce qui concerne le Soudan du Sud, il a été possible d'amener les membres du Conseil de sécurité à agir. En ce qui concerne d'autres pays, comme le Yémen, c'est beaucoup plus difficile, car il n'y a pas de consensus. Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni sont largement du même avis, mais la Russie et la Chine ont souvent une opinion contraire.
C'est l'un des défis auxquels est confrontée en ce moment cette organisation multilatérale, alors il faut adopter différentes approches en matière de diplomatie.
Je vous remercie beaucoup toutes les deux. Vous avez parcouru de longues distances pour être ici, depuis Genève et Washington.
Nous avons eu une réunion de deux heures très profitable avec des témoins qui nous ont brossé un portrait très détaillé d'un certain nombre des questions qu'étudie le Comité. Je vous remercie beaucoup de votre présence aujourd'hui et d'avoir passé la deuxième heure de notre réunion avec nous.
Chers collègues, je vous rappelle que la réunion de mercredi est annulée. Nous nous réunirons de nouveau à la même heure lundi prochain.
Je vous remercie beaucoup.
La séance est levée.
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