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Merci, monsieur le président. J'aimerais d'abord vous remercier de m'avoir invité à prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je suis heureux de me retrouver ici à titre de président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Je suis accompagné de Susan Pollak, notre directrice exécutive. Nous sommes en outre accompagnés de plusieurs de nos principaux collaborateurs qui sont ici à titre d'observateurs et, au cas où il y a quelque chose que nous aurions oublié, nous avons également demandé à Steve Bittle, notre directeur de la recherche de se joindre à nous, ainsi que Sylvie Roussel, notre conseillère juridique principale et plusieurs de nos analystes de recherche.
J'aimerais profiter de l'occasion pour décrire brièvement le rôle et les responsabilités du CSARS. La dernière fois que des représentants du CSARS ont comparu devant ce comité était en 2009 et, comme la composition de votre comité a changé entre-temps, j'aimerais profiter de l'occasion pour décrire brièvement le rôle et les responsabilités du CSARS, après quoi, il me fera plaisir de répondre à vos questions.
Je vous dirai d'abord qu'ayant servi près de neuf ans au CSARS — période durant laquelle j'ai été régulièrement en contact avec de nombreuses organisations aux mandats similaires — je suis convaincu que le modèle canadien est et est reconnu comme étant l'une des fonctions de surveillance les plus solides au monde. Cela ne veut pas dire que le CSARS est à l'abri des changements et des améliorations, mais simplement qu'il constitue un outil efficace pour aider à faire en sorte que l'agence du renseignement de sécurité du Canada, le SCRS, rend bien compte de ses activités.
Comme vous le savez sûrement, le CSARS a vu le jour au même moment que le Canada a créé le SCRS, son service civil de renseignement de sécurité. Avec l'adoption de la Loi sur le SCRS en 1984, le Canada est devenu un des premiers gouvernements démocratiques du monde à établir un cadre juridique détaillé pour les activités de son service de sécurité. Tout aussi important, la Loi sur le SCRS prévoyait un cadre obligeant le SCRS à rendre compte de l'exercice de ces pouvoirs — un cadre qui, dans son intégralité, a résisté à l'épreuve du temps.
Plus précisément, la Loi sur le SCRS définit le mandat de l'État et les limites du pouvoir dont il dispose pour mener ses activités de renseignement de sécurité. Elle décrit également la façon de surveiller le travail effectué par le service au moyen d'un système rigoureux de contrôles politiques et judiciaires, y compris deux organes — munis chacun d'un mandat distinct — chargés de surveiller le nouvel organisme.
Je me garderai de décrire en détail le rôle de l'inspecteur général du SCRS, mais je dirai simplement qu'il s'agit d'un organisme interne qui procure au ministre de la Sécurité publique du Canada un service de surveillance expert à l'égard des activités du SCRS. De son côté, le CSARS est un organisme de surveillance externe qui n'est pas rattaché à un ministre, mais qui relève directement du Parlement, c'est-à-dire à vous, et par conséquent à tous les Canadiens et Canadiennes. Le rôle du CSARS est relativement simple à décrire, mais plutôt complexe à exécuter. Le comité exerce deux fonctions fondamentales: examiner les activités du SCRS et faire enquête sur les plaintes portées contre cet organisme. En vertu de la loi, le CSARS a le pouvoir absolu d'examiner toutes les activités du service et a libre accès à tous ses dossiers, quelle que soit leur classification. Seuls les documents confidentiels du Cabinet font exception.
Nos études se font en évaluant les activités et les opérations du service par rapport à quatre instruments, qui forment ensemble le cadre législatif et stratégique du service. Ce sont la Loi sur le SCRS, les directives ministérielles, les exigences nationales en matière de renseignement de sécurité et les politiques opérationnelles du SCRS.
Dans le cadre de chaque étude, le comité examine plusieurs questions essentielles, notamment: Le SCRS était-il fondé à suspecter une menace à la sécurité du Canada? Le niveau d'enquête était-il proportionnel à la gravité de la menace? Les échanges d'information entre le SCRS et ses partenaires canadiens et étrangers étaient-ils conformes aux ententes et aux mises en garde relatives à de tels échanges? Dernière question, mais non la moindre, l'enquête a-t-elle respecté les droits des personnes qui prenaient part à des activités légales comme des protestations ou des actes de dissidence?
En règle générale, nos études durent plusieurs mois et comprennent la consultation de milliers de pages de documents par le personnel du CSARS, ainsi que de nombreuses discussions avec le personnel du SCRS. Une fois terminée, l'étude est envoyée au directeur du SCRS et à l'inspecteur général; dans certains cas, nous en faisons parvenir une copie au ministre de la Sécurité publique. Des résumés déclassifiés de ces travaux, qui sont expurgés afin de protéger la sécurité nationale et la vie privée des intéressés, figurent aussi dans le rapport annuel du CSARS au Parlement.
Si le rapport annuel du CSARS est notre premier véhicule de communications pour informer le Parlement et le public de nos travaux, le CSARS dispose également d'un modeste programme de communications. Nous répondons aux demandes d'information des médias et participons à des symposiums nationaux et internationaux qui se rapportent à notre travail; nous participons également à des séminaires présentés dans des universités canadiennes pour expliquer le rôle du CSARS aux étudiants qui font des études dans ce domaine ou dans des domaines connexes. Le site Web du CSARS est une autre source d'information utile au public. On y trouve en effet tous les rapports annuels du CSARS; des discours et présentations; des documents d'information et d'autres publications; et une description de ce que nous sommes et de nos activités.
En ce qui concerne la question des plaintes, vous êtes sans doute au courant que le CSARS étudie les plaintes portées par des particuliers ou des groupes contre le SCRS. Ces plaintes se divisent en quatre catégories. Elles peuvent viser les activités du service, quelles qu'elles soient; les refus d'habilitations de sécurité à des fonctionnaires ou à des entrepreneurs au service du gouvernement fédéral; les plaintes liées à la sécurité nationale dont la Commission canadienne des droits de la personne peut saisir le CSARS; enfin, mais très rarement, les rapports ministériels relatifs à la Loi sur la citoyenneté.
Lorsque le CSARS reconnaît sa compétence en la matière, l'examen de la plainte se fait lors d'une audience quasi-judiciaire présidée par un membre du comité dont le rôle est semblable à celui d'un juge. Une fois l'audience terminée, le membre responsable envoie un rapport contenant ses constatations et ses recommandations au ministre, au directeur du SCRS et, dans les cas concernant l'habilitation de sécurité, à l'administrateur général du ministère concerné. Nous fournissons également au plaignant un compte rendu déclassifié de notre enquête, dans lequel nous lui communiquons le maximum d'information possible sans déroger à notre obligation de protéger la sécurité nationale.
Pour le CSARS, la réunion des études et des plaintes sous un seul organisme s'est révélée avantageuse. Les études nous apportent les connaissances nécessaires pour évaluer et approfondir les plaintes; de leur côté, les plaintes nous ouvrent une autre « fenêtre » sur les opérations du SCRS, particulièrement en ce qui concerne leurs répercussions sur la vie des Canadiens et des Canadiennes ordinaires. Dans certains pays, ces fonctions demeurent séparées, mais l'expérience canadienne nous donne à penser que leur réunion sous un même toit comporte des avantages réels.
Qu'elles soient à propos des études ou des plaintes, les recommandations du CSARS ne sont pas exécutoires. Le plan du Parlement ne prévoyait pas que le CSARS se substituerait au directeur du SCRS, qui relève du ministre, ni au ministre, qui est comptable devant le Parlement. Néanmoins, le SCRS a mis en oeuvre la plupart des recommandations du CSARS et a reconnu publiquement que le CSARS avait fait de lui un meilleur organisme au fil des ans. À la fin de l'année 2003, le directeur du SCRS, Ward Elcock, a déclaré lors d'une conférence publique importante, et je cite:
« Vingt années de surveillance incessante ont donné lieu à de nombreuses recommandations sur la façon dont nous pourrions faire les choses différemment. Bon nombre de ces recommandations ont amené le Service à apporter des ajustements à ses procédures de gestion. Les observations du CSARS ont porté sur le fonctionnement même du Service, y compris la manipulation des sources, les méthodes d'enquête, les décisions en matière de ciblage et d'autres fonctions de base. » [...] « Partageons-nous toujours les vues du CSARS? Pas toujours, mais là n'est pas la question. Il s'agit de veiller à ce que le processus de surveillance continue de susciter le débat sur les façons d'assurer le respect des principes de la loi au fur et à mesure que nous évoluons et que nous nous adaptons aux nouvelles menaces. C'est ce que voulaient les législateurs. »
Après cet aperçu du CSARS, j'aimerais prendre quelques minutes de plus pour vous parler de certains problèmes qui nous préoccupent, les membres du CSARS et moi-même, concernant des activités du SCRS à l'étranger.
Je tiens d'abord à vous rappeler que tous les membres et le personnel du CSARS sont « astreints au secret à perpétuité », comme le prévoit la Loi antiterroriste adoptée en 2001. Par conséquent, bien que j'aie le droit de parler du travail du CSARS ainsi que de nos principales préoccupations et observations, je ne peux divulguer aucun détail opérationnel ni information classifiée. Malgré cette contrainte, je crois être en mesure de vous formuler des commentaires utiles pour orienter votre examen des activités du SCRS à l'étranger.
Premièrement, le gouvernement et le SCRS ont clairement indiqué qu'au cours des dernières années, le SCRS a élargi ses opérations à l'étranger conformément à son mandat en matière de renseignement de sécurité, c.-à-d. pour protéger la sécurité nationale au Canada. Cela n'a rien de surprenant étant donné l'envergure mondiale de la menace terroriste et la circulation sans limites de l'information et des biens dans le monde moderne. Pour moi, il ne fait aucun doute que la loi autorise le SCRS à agir de cette manière et qu'elle est fondée à le faire en vue d'exécuter son mandat, décrit à l'article 12 de la Loi sur le SCRS.
Cela dit, le passage d'un rôle de simple liaison à un rôle lui permettant de se livrer à des opérations clandestines à l'étranger marque une rupture radicale avec la longue période où le SCRS se concentrait surtout sur le renforcement de la sécurité nationale depuis l'intérieur du pays. Du point de vue du CSARS, un certain nombre de critères entrent en ligne de compte pour que le SCRS puisse exercer efficacement ses activités en matière de renseignement de sécurité à l'étranger.
D'abord, le SCRS a besoin que le gouvernement lui fournisse les directives appropriées pour exercer efficacement ces fonctions élargies et d'une manière conforme aux priorités gouvernementales.
Deuxièmement, le SCRS doit disposer des ressources nécessaires pour mener à bien ses opérations accrues à l'étranger. Il a besoin de fonds, mais aussi de formation.
Troisièmement, l'étendue et la vitesse du passage d'activités principalement nationales à des activités internationales doivent être proportionnelles et adaptées à la menace. De plus, les avantages doivent être mesurables.
Et enfin, la bifurcation des fonctions d'enquête du SCRS doit être contrôlée pour déterminer si elle crée un système réel ou perçu à deux composantes au sein de la communauté des agents du renseignement du service, c'est-à-dire ceux qui travaillent à l'étranger par rapport à ceux qui travaillent au pays, et si des problèmes risquent d'en découler à long terme.
Je tiens à dire, pour conclure, que pendant plus de 24 ans, le CSARS s'est employé à accomplir son travail d'une manière objective, équitable et équilibrée. Nous sommes conscients que dans une société libre, nous devons utiliser toutes les ressources à notre disposition pour contrer les menaces à la sécurité de notre pays, la plus grave aujourd'hui étant le terrorisme. Mais nous devons en même temps maintenir les principes de la responsabilité, de l'équité, de la primauté du droit et du respect des droits individuels.
J'avoue que cette tâche est plus difficile à assumer depuis le 11 septembre 2001, car des allégations d'abus des droits de la personne au nom de la lutte contre le terrorisme ont été rapportées dans de nombreux pays, et le Canada n'est pas exempt à ce chapitre. Le cas de Maher Arar, que le CSARS avait étudié avant que le gouvernement fédéral ne nomme une commission d'enquête indépendante, illustre parfaitement mon propos.
Les membres et le personnel du CSARS sont très fiers de constater que depuis sa création en 1984, le comité a contribué à rendre le SCRS plus professionnel. Nous sommes aussi déterminés à atteindre cet objectif que nous l'étions à l'époque.
Je vous remercie de votre attention et je serai heureux de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Filmon et madame Pollak, je vous remercie d'être présents tous les deux. Mme Pollak avait déjà comparu devant le comité en 2009 ou 2008, si ma mémoire est bonne. Vous disiez alors avoir des doutes au sujet des allégations de torture et du SCRS, mais ce n'est pas mon propos.
J'aimerais qu'on parle du cas d'une citoyenne canadienne, journaliste et auteure. Il s'agit d'une personne qui a dénoncé les extrémistes islamiques et qui a porté plainte contre le SCRS. J'aimerais parler de cette plainte. Elle a déposé une plainte parce que le SCRS a consulté son dossier de crédit le 24 août 2004.
La plainte a été retenue par vos services et plusieurs rencontres ont eu lieu. La citoyenne en cause est Mme Djemila Benhabib. Vous devez connaître le dossier puisque vous avez signé plusieurs rapports. Mme Benhabib a porté plainte contre le SCRS qui semble avoir enquêté sur elle, et qui a fait une demande à Equifax Canada sur son crédit. Le juge Speaker est arrivé à la conclusion que tout allait bien.
J'ai lu le rapport et j'y ai vu énormément de complaisance. J'en suis arrivée à me demander si le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité traitait correctement les plaintes. Je m'explique. D'une part, un document contient une entrevue avec les différentes parties en anglais, car Mme Benhabib n'a pas pu avoir de service en français. C'est inacceptable pour une institution fédérale. J'aimerais donc savoir pourquoi elle n'a pu obtenir de service en français.
D'autre part, dans ce document, Mme Roussel, qui représente le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, lui dit en français qu'il y aura une entrevue et que le SCRS va témoigner sans qu'elle soit présente. Il s'agit donc d'une audience ex parte. Dans cette audience ex parte, un sommaire sera déclassifié et, dans la mesure du possible, on le lui remettra. Cela lui donnera un aperçu, compte tenu des contraintes de sécurité et des obligations légales de protéger l'information classifiée. On lui dit donc qu'elle aura un résumé.
J'ai vu le rapport du juge. En ce qui a trait à la preuve présentée par le SCRS, tout ce qu'on pouvait lire, c'était des bouts de phrases comme: « Le témoin a déposé », « Le témoin a ajouté », « Le témoin a témoigné », « Il a indiqué que selon son expérience », et « Le témoin a dit ». Qu'est-ce qu'il a dit? On ne le sait pas. C'est tellement caviardé qu'on ne sait même pas ce qu'ils ont contre Mme Benhabib. On ne sait absolument pas ce que le SCRS a contre Mme Benhabib pour justifier une enquête sur elle.
Ma question est simple. Le SCRS avait-il des motifs pour enquêter sur Mme Benhabib? Le SCRS avait-il des raisons de soupçonner une menace pour la sécurité du Canada selon l'article 12?
Qu'en pensez-vous, madame Pollak?
Monsieur le président, j'espère que ce silence n'est pas compté dans mon temps.
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Merci, monsieur le président. J'entends partager mon temps de parole avec M. Norlock.
Je tiens à remercier nos témoins.
Nous comprenons tous fort bien que nous ne sommes plus en 1984. Le monde a changé et cette évolution a obligé le SCRS à changer lui aussi.
Je tiens tout de même à apporter une petite précision au sujet de ce qui a été dit dans un comité antérieur — non pas le nôtre, mais le comité sur l'Afghanistan — au sujet des problèmes qui se sont posés. Je demande aux représentants de la presse ou à toute personne qui s'intéresse à la question, de prendre connaissance, dans les bleus du 5 mai, du témoignage du représentant du SCRS. Ils pourront constater qu'un peu avant 17 h 15, un des membres du comité, M. Dosanjh, a posé au représentant du SCRS une question de caractère hypothétique. Il l'a plusieurs fois réitérée, bien que le représentant du SCRS ait dit souhaiter ne pas répondre à une question hypothétique.
L'échange s'est poursuivi sous cette forme et enfin, M. Dosanjh a dit ceci:
Donc, ce que vous dites, c'est que si vous essayez d'obtenir des éléments de preuve pertinents qui confirmeraient ceux qui ont été obtenus sous la torture et si vous n'y arrivez pas —parce que vous vous trouvez sur un champ de bataille dans un pays déchiré par la guerre —, et si vous avez ce sentiment persistant que quelque chose pourrait arriver à nos troupes... Si vous tentez d'obtenir ces renseignements, mais sans succès, vous intervenez quand même sur la foi des renseignements dont vous disposez déjà si la vie de nos troupes en dépend.
Personne au Canada ne s'attendrait à ce que le SCRS ou quelqu'un d'autre écarte un tel renseignement si cela risquait de mettre des vies en péril.
Mon collègue a évoqué des accords que nous aurions conclus avec le NDS. Cent quarante-trois Canadiens ont perdu la vie en Afghanistan. Il ne peut assurément pas s'attendre à ce que le SCRS ne recueille pas tous les renseignements nécessaires, non pas, certes, par l'emploi de la torture, mais par l'intermédiaire de services étrangers. On espère simplement que le CSARS, dans le cadre de la mission qui lui est confiée, exerce un certain contrôle sur ce genre de situation.
Quelqu'un souhaite-t-il ajouter quelque chose à ce que je viens de dire?
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Je comprends fort bien ce que vous voulez dire. Je peux vous répondre qu'au cours de mes neuf années au sein du CSARS, d'abord en tant que simple membre, puis en tant que président, j'estime avoir exercé mes fonctions sans le moindre esprit partisan.
Les membres du comité savent que j'ai été nommé au comité par le gouvernement libéral de M. Chrétien, puis nommé président par le gouvernement libéral de M. Martin et que notre comité comprend des gens de diverses tendances politiques. Le comité s'est toujours acquitté de sa mission dans un esprit non partisan, dans le respect des diverses obédiences politiques de ses membres.
Nous sommes pleinement conscients des responsabilités qui nous incombent et je peux vous assurer que, lorsque nous nous penchons sur les activités du service, notre principal souci est de protéger les intérêts de tous les Canadiens. Il nous faut pour cela faire preuve d'un maximum d'indépendance, à la fois à l'égard de l'opinion et des divers autres motifs qui pourraient nous inspirer; malheureusement, nous avons parfois dû relever des manquements. Nous ne mettons aucunement en cause, cependant, les motifs ou le professionnalisme des personnes en question. Comme dans toute autre organisation, il y a parfois des erreurs et nous en faisons état dans notre examen et dans nos rapports annuels.
Il me semble juste d'ajouter qu'avec le temps le professionnalisme des agents du service s'est accru, ce qui a entraîné une amélioration de la manière dont ils font leur travail, et si vous croyez au progrès, vous admettez, je pense, que ce service est un bon exemple de gens qui ne cessent de s'améliorer et je crois d'ailleurs que chacun en est convaincu.
Cela ne facilite aucunement notre travail, car il ne nous faut jamais perdre de vue qu'il s'agit du comportement d'êtres humains et que, effectivement, des erreurs sont parfois commises.
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Vous savez, ce que je peux vous dire sur ce point ne sera de ma part qu'une simple opinion.
Nous nous réunissons régulièrement, tous les deux ans au moins, avec les représentants d'organisations de divers pays qui font essentiellement le même travail que nous. J'entends par cela les 10 ou 12 pays avec qui nous entretenons des rapports particulièrement bons. Vous avez sans doute entendu parler des « cinq yeux », mais il y a de nombreux autres pays avec lesquels nous entretenons de bons rapports, des pays solidement démocratiques avec des organisations de sécurité et de renseignement très bien établis. Cela nous offre l'occasion d'effectuer des comparaisons au niveau du fonctionnement de ces diverses organisations.
Une des choses que nos partenaires étrangers apprécient beaucoup chez nous c'est que nous avons voulu — et nous y sommes effectivement parvenus — faire abstraction de considérations politiques dans le cadre de notre examen de ce qui est sans doute, ici comme ailleurs, l'aspect à la fois le plus délicat et éventuellement le plus intrusif du domaine de la sécurité et du renseignement. Il existe, effectivement, le risque de porter préjudice à des personnes, de commettre de graves atteintes aux droits individuels et aux droits de la personne. C'est un domaine d'activité très délicat. Nous sommes parvenus dans une grande mesure à écarter les considérations d'ordre politique. Depuis plus de 25 ans, nous fonctionnons de manière efficace et non partisane. Nos collègues de l'étranger apprécient cela chez nous.
Ils apprécient le fait que les membres et les collaborateurs de notre comité ont accès, hormis les documents confidentiels du Cabinet, à tout ce qui concerne les opérations du Service de renseignement de sécurité, et qu'aucun détail ne peut nous être caché. Cela va bien au-delà de ce qu'il en est dans la plupart des autres organismes de surveillance ou d'examen des autres pays. D'après eux, c'est un grand avantage qui n'existe pas, par exemple, lors des délibérations d'un comité du Congrès américain ou, au contraire, les considérations politiques interviennent et où de nombreux détails peuvent leur être cachés par les services opérationnels.
À ce double égard, et en raison aussi d'un personnel qui a su acquérir avec le temps une excellente connaissance de la manière dont fonctionne le service, le comité est bien armé pour obtenir les renseignements dont il a besoin et en tirer les conclusions qui s'imposent. Nos homologues à l'étranger ont beaucoup d'estime pour la manière dont cela se passe au Canada.
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Merci, monsieur le président.
Je suis heureux de me trouver parmi vous aujourd'hui pour vous parler du rôle que le SCRS joue à l'étranger afin de protéger les intérêts du Canada en matière de sécurité nationale.
Cela fera bientôt un an que j'ai été nommé directeur du SCRS, et j'aimerais souligner l'importance d'entretenir un dialogue éclairé et ouvert sur la sécurité nationale au Canada. Il n'y a pas de meilleur endroit que le Parlement pour faire progresser ce dialogue, et je suis donc très heureux d'avoir été invité ici aujourd'hui.
Comme vous le savez, le directeur adjoint de la Collecte à l'étranger du SCRS, mon collègue, M. Coulombe, a pris la parole la semaine dernière devant le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan, et il est certain que ses propos et nos délibérations aujourd'hui se recouperont en partie. Je préciserai volontiers tout point soulevé à la suite de son témoignage de la semaine dernière.
[Français]
Mon allocution aujourd'hui se divisera en trois volets. Je vous donnerai d'abord un bref aperçu de ce que le SCRS est autorisé à faire à l'extérieur du Canada, parce que je ne crois pas que cela a toujours été bien compris, même par les observateurs de l'appareil du renseignement de sécurité. Je vous expliquerai ensuite pourquoi, à mon avis, le SCRS doit être actif à l'extérieur du Canada, dans le cadre de son mandat général qui consiste à assurer la sécurité du Canada. Enfin, je vous donnerai une idée de ce que le SCRS fait à l'étranger, afin de fournir au comité des exemples concrets pour éclairer les travaux d'aujourd'hui.
[Traduction]
Les principales fonctions du SCRS sont définies à l'article 12 de la Loi sur le SCRS. Nous devons recueillir, analyser et conserver des informations et des renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada. L'expression « renseignements de sécurité » désigne ce type de renseignements. Nous devons ensuite faire rapport de ces renseignements au gouvernement du Canada et le conseiller à cet égard.
Exerçant ces pouvoirs généraux, le SCRS recueille des renseignements sur diverses menaces particulières pesant sur la sécurité du Canada, qui sont définies au sens large dans la Loi sur le SCRS et précisées dans les directives du ministre de la Sécurité publique. Le terrorisme, l'espionnage et les activités influencées par l'étranger font partie de ces menaces.
Le fait que la Loi sur le SCRS ne limite pas le territoire où le service peut recueillir des renseignements de sécurité est particulièrement pertinent par rapport à nos délibérations d'aujourd'hui. Bref, si une menace pèse sur la sécurité du Canada, nous pouvons recueillir des renseignements sur celle-ci au pays ou à l'étranger. C'est là un point crucial, car, comme je l'expliquerai plus tard, les menaces sont rarement confinées de façon pratique dans cet espace géographique distinct qu'on appelle « le Canada ». Les menaces, comme la pollution de l'air ou les espèces migratrices, restent rarement longtemps au même endroit et ont tendance à ne pas respecter les frontières. Elles se déplacent, et le SCRS doit donc bouger lui aussi.
Ceux qui ont rédigé la Loi sur le SCRS ont reconnu ce fait important. L'idée que le SCRS doit pouvoir être actif à l'étranger s'est toujours imposée. D'ailleurs, la Commission McDonald, qui a fourni un rapport exhaustif en 1981 sur ce à quoi devrait ressembler un service canadien de renseignements de sécurité, a déclaré ce qui suit:
« Nous ne croyons pas que [le Service] doive limiter ses contre-mesures et la collecte de renseignements au seul territoire canadien. Si les enquêtes de sécurité amorcées au Canada doivent s'arrêter aux frontières, nous risquons de perdre des sources d'information et des renseignements importants pour la sécurité nationale. »
De même, en avril 1984, le Solliciteur général de l'époque, Robert Kaplan, a déclaré ce qui suit lorsqu'il a comparu devant un comité de la Chambre des communes pour soutenir l'adoption de la Loi sur le SCRS:
« Rien n'oblige, de par la loi, que toutes les activités du Service canadien du renseignement de sécurité se déroulent au Canada. Je crois que ce serait beaucoup trop restrictif [...] »
Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, avec les représentants duquel vous venez de vous entretenir, a également reconnu notre mandat de collecte de renseignements à l'étranger. Dans son rapport annuel 2003-2004, le CSARS rend compte de son examen des opérations du SCRS à l'étranger et explique qu'il a « déterminé que [la Loi] confère clairement au SCRS le mandat de mener des activités d'enquête à l'étranger et [...] conclu que de telles opérations se multiplieront sans doute à mesure que s'aggravera la menace du terrorisme international. »
La situation est semblable pour bon nombre de nos pendants internationaux qui, comme le SCRS, sont conscients que la collecte de renseignements de sécurité doit être définie de façon thématique — en fonction de la menace — et doit être indifférente à la source ou à l'emplacement de ces menaces. Tout simplement, les fonctions du service s'étendent au-delà des frontières canadiennes parce que le Canada a des intérêts au-delà de ces frontières, et que les menaces savent nous trouver où que nous soyons.
[Français]
Il existe plusieurs raisons essentielles pour lesquelles le SCRS doit consacrer une quantité croissante de ses ressources à la collecte à l'étranger. Premièrement, comme je l'ai déjà mentionné, les menaces se déplacent. Compte tenu de la mondialisation, notre monde est lié et interconnecté. Les affaires internationales ne relèvent plus exclusivement des États et des ministères des Affaires étrangères. L'explosion des relations sociales, commerciales et politiques soude le monde et nous rend plus interdépendants que jamais. Si l'interdépendance peut être une formidable source de puissance, elle apporte aussi son lot de difficultés. Sous l'impulsion de nombreuses forces mondiales, nos frontières deviennent plus poreuses. Pour protéger notre sécurité nationale, nous devons les renforcer et les surveiller de plus loin.
[Traduction]
Il ne s'agit pas là d'une simple théorie de sciences politiques, mais d'une dure réalité, que je peux illustrer au moyen de quelques exemples.
Internet a permis aux terroristes de se servir des technologies de réseautage social pour accroître leur force de frappe, puisqu'ils peuvent se réunir dans le monde virtuel pour faire du recrutement, élaborer des plans et exécuter des actes de terrorisme. Cependant, ce déploiement des tentacules d'Internet dans toutes les sociétés, tous les ordinateurs et tous les foyers a d'énormes répercussions. Jamais encore un aussi grand nombre de personnes mal intentionnées n'avaient eu un accès instantané et complet à tous les coins du monde. Il est devenu beaucoup plus facile pour ceux qui se trouvent à l'étranger de planifier et d'organiser des attentats contre le Canada ou ses alliés. Il est aussi plus facile pour les jeunes Canadiens, excités par un appel à l'action pervers, de se radicaliser et de commencer à susciter des préoccupations sur le plan de la sécurité, au Canada ou à l'étranger. Cela dit, je ne voudrais pas donner l'impression que je suis hostile à l'Internet. C'est simplement qu'il nous faut faire face aux conséquences de certaines utilisations.
De tous ces sujets de préoccupation en matière de sécurité, la menace que représentent al-Quaïda, les groupes qui y sont affiliés et ses partisans reste notre priorité numéro un. Naturellement, nous nous intéressons surtout à ceux qui, au Canada, souscrivent à de tels mouvements et prônent le recours à la violence comme moyen d'atteindre leurs objectifs. À cet égard, je peux vous dire qu'en ce moment, le SCRS fait enquête sur plus de 200 personnes dans notre pays dont les activités satisfont à la définition de terrorisme telle qu'énoncée dans la Loi sur le SCRS.
En plus du travail qu'il fait pour contrer la menace que ces individus représentent pour le Canada, le SCRS joue un rôle international important en protégeant d'autres personnes contre les menaces en provenance du Canada. Par exemple, l'implication de citoyens canadiens dans des organisations terroristes étrangères — dont bon nombre sont inscrites sur la liste des entités terroristes en vertu du Code criminel du Canada — est un phénomène relativement nouveau. Certains Canadiens jouent même des rôles de premier plan dans de telles organisations. Le Canada a une obligation internationale de collaborer avec ses partenaires pour s'assurer que ses citoyens ne planifient ni n'exécutent des actes de terrorisme à l'étranger.
Certains d'entre vous pourraient être surpris d'apprendre que le SCRS s'intéresse dans le cadre de ses enquêtes à un nombre inquiétant de citoyens canadiens ou de résidents permanents qui sont allés à l'étranger pour participer à des activités terroristes. Les présumées allées et venues de ces individus couvrent toute la planète, touchant des pays qui se situent principalement au Moyen-Orient, dans certains secteurs de l'Afrique et en Asie du Sud, mais aussi en Europe et dans les Amériques.
Il convient également de mentionner que le service s'intéresse activement aux activités liées à la menace d'un certain nombre de non-citoyens qui ont des liens avec le Canada — parce qu'ils ont déjà résidé ici ou parce qu'ils y ont de la famille.
[Français]
De façon beaucoup plus générale, évidemment, énormément de gens entrent au Canada et en sortent. Comme le fait remarquer le ministre de la Citoyenneté, de l'Immigration et du Multiculturalisme dans son rapport annuel de 2009, le Canada peut être fier de sa tradition d'ouverture envers les nouveaux immigrants venus de partout dans le monde. Le Canada a le plus haut niveau relatif d'immigration parmi les grands pays occidentaux. En 2010, nous comptons accueillir environ 250 000 résidents permanents. Cette ouverture sur le monde est une caractéristique du Canada. Elle constitue une facette essentielle de notre identité.
Toutefois, de plus en plus de citoyens canadiens ont de solides attaches à leur patrie. Il s'agit souvent de pays en crise, de quasi-États ou de refuges de groupes terroristes. Le Canada est donc de plus en plus actif dans un monde plus complexe et turbulent. Pour protéger notre sécurité nationale, nous devons connaître ce monde, ce que nous ne pouvons pas faire simplement en lisant des articles spécialisés. Nous devons recueillir des renseignements à l'extérieur du Canada pour bien comprendre ce qui se passe. Tout comme nous entretenons d'étroites relations sociales, commerciales et diplomatiques, nous devons nouer d'excellents rapports dans le secteur du renseignement.
[Traduction]
Le récent épisode d'enlèvements par des terroristes est probablement l'exemple le plus tangible de l'importance de notre travail à l'étranger. Malheureusement, ces incidents se sont produits dans des parties du monde où le Canada a une faible présence diplomatique ou dans des endroits où les liens diplomatiques de quelque nature que ce soit sont rares.
Notre absence d'engagement diplomatique dans certains pays fort turbulents ne devrait cependant pas nous limiter dans nos interventions pour aider nos citoyens en détresse. Nous devons trouver des façons d'entrer en contact avec les entités étrangères en pareille situation. C'est en cela que le SCRS peut être efficace et l'a été.
Au cours des trois dernières années, un nombre alarmant de citoyens canadiens ont été enlevés par des éléments extrémistes dans certaines des régions les plus dangereuses du monde. Dans plusieurs cas, on confie à des services du renseignement clés la tâche d'obtenir la libération des otages étrangers. Il n'est pas inhabituel pour ces services d'insister pour que le SCRS soit le point de contact exclusif pour le Canada.
Bien que nos arrangements avec certains organismes étrangers aient parfois fait l'objet de critiques, la confiance que nos homologues étrangers accordent à nos services a mené directement à la libération sécuritaire de citoyens canadiens détenus à titre d'otages à l'étranger. Dans certains cas spécifiques comme les enlèvements par des terroristes, le gouvernement du Canada, par l'entremise du SCRS, n'a d'autre choix que d'engager des pourparlers avec d'organismes étrangers du renseignement étrangers, où qu'ils se trouvent, s'il s'agit de protéger des Canadiens. C'est la raison pour laquelle le SCRS doit continuer de cultiver et de maintenir un réseau aussi vaste de relations dans le domaine du renseignement, qui compte actuellement plus de 275 organismes dans quelque 150 pays du monde.
À mon avis, le fait de reculer devant de tels engagements constituerait une forme de désarmement unilatéral dans un monde dangereux. Cela nous rendrait hautement inefficaces. Ce serait un peu comme d'être assis dans la section non fumeur d'un restaurant minuscule, de se sentir fier d'avoir fait autant de progrès en matière de santé alors que la fumée se dirige vers soi. Dans un monde dangereux, je soutiens que cette approche ne serait pas réaliste.
[Français]
Des agents du service à l'étranger recueillent des informations et entretiennent des relations avec les services de renseignement étrangers tirant partie de ces relations pour protéger le Canada et d'autres pays contre les menaces qui pèsent sur leur sécurité. Il s'agit d'un élément essentiel de tout système international d'échanges de suivis de renseignements. Le Canada peut ainsi...