FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le vendredi 4 novembre 2005
¿ | 0905 |
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)) |
M. Denis Tougas (coordonnateur, Table de concertation sur la région des Grands Lacs africains, Forum Afrique Canada) |
¿ | 0910 |
¿ | 0915 |
Le président |
Mme Beth Phinney (Hamilton Mountain, Lib.) |
Mme Lina Holguin (coprésidente, Forum Afrique Canada) |
¿ | 0920 |
Le président |
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC) |
Le président |
M. Denis Tougas |
¿ | 0925 |
Mme Lina Holguin |
M. Kevin Sorenson |
Mme Lina Holguin |
¿ | 0930 |
M. Kevin Sorenson |
M. Denis Tougas |
¿ | 0935 |
Mme Lina Holguin |
M. Kevin Sorenson |
M. Denis Tougas |
¿ | 0940 |
M. Kevin Sorenson |
M. Denis Tougas |
Mme Lina Holguin |
M. Kevin Sorenson |
Mme Lina Holguin |
M. Kevin Sorenson |
Mme Lina Holguin |
¿ | 0945 |
Le président |
M. Denis Tougas |
Le président |
M. Denis Tougas |
¿ | 0950 |
¿ | 0955 |
Mme Lina Holguin |
Le président |
Mme Beth Phinney |
M. Denis Tougas |
Mme Beth Phinney |
Mme Lina Holguin |
Mme Beth Phinney |
Mme Lina Holguin |
À | 1000 |
M. Denis Tougas |
Le président |
Mme Beth Phinney |
M. Denis Tougas |
Mme Beth Phinney |
M. Kevin Sorenson |
M. Denis Tougas |
À | 1005 |
M. Kevin Sorenson |
M. Denis Tougas |
Le président |
À | 1020 |
Le président |
À | 1025 |
Mme Bonnie Campbell (directrice, Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique) |
À | 1030 |
À | 1035 |
Le président |
M. Pierre Pahlavi (chercheur, Institut d'études internationales de Montréal, Chaire de recherche du Canada en politique étrangère et de défense canadienne, Université du Québec à Montréal) |
À | 1040 |
À | 1045 |
M. Kevin Sorenson |
Mme Beth Phinney |
M. Pierre Pahlavi |
M. Kevin Sorenson |
M. Pierre Pahlavi |
À | 1050 |
M. Kevin Sorenson |
M. Pierre Pahlavi |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
Mme Bonnie Campbell |
M. Kevin Sorenson |
M. Pierre Pahlavi |
M. Kevin Sorenson |
À | 1055 |
Mme Bonnie Campbell |
Le président |
Mme Bonnie Campbell |
Á | 1100 |
M. Kevin Sorenson |
Mme Bonnie Campbell |
Á | 1105 |
M. Kevin Sorenson |
Mme Bonnie Campbell |
M. Kevin Sorenson |
Mme Bonnie Campbell |
M. Kevin Sorenson |
Mme Bonnie Campbell |
Le président |
Á | 1110 |
Mme Beth Phinney |
M. Pierre Pahlavi |
Mme Beth Phinney |
M. Pierre Pahlavi |
Mme Beth Phinney |
M. Pierre Pahlavi |
Le président |
Á | 1115 |
M. Pierre Pahlavi |
Le président |
Mme Bonnie Campbell |
Le président |
Mme Beth Phinney |
Le président |
Mme Beth Phinney |
Mme Bonnie Campbell |
Mme Beth Phinney |
Le président |
Á | 1120 |
Le président |
M. Ian Hamilton (directeur général, Fondation canadienne des droits de la personne) |
Á | 1125 |
Á | 1130 |
Le président |
M. Sami Aoun (professeur de sciences politiques, Université de Sherbrooke) |
Á | 1135 |
Á | 1140 |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
Á | 1145 |
M. Ian Hamilton |
M. Kevin Sorenson |
M. Ian Hamilton |
Le président |
Mme Beth Phinney |
M. Kevin Sorenson |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
Prof. Sami Aoun |
Á | 1150 |
M. Kevin Sorenson |
Le président |
M. Ian Hamilton |
Le président |
Á | 1155 |
M. Ian Hamilton |
Le président |
Prof. Sami Aoun |
Le président |
Prof. Sami Aoun |
Le président |
Prof. Sami Aoun |
Le président |
Prof. Sami Aoun |
 | 1200 |
Le président |
Prof. Sami Aoun |
Le président |
M. Ian Hamilton |
Le président |
M. Ian Hamilton |
Le président |
M. Ian Hamilton |
Le président |
M. Ian Hamilton |
Le président |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le vendredi 4 novembre 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¿ (0905)
[Français]
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Bonjour. Bienvenue au Comité des affaires étrangères et du commerce international. Nous poursuivons l'examen de l'Énoncé de la politique internationale.
Notre premier témoin ce matin est, du Forum Afrique Canada, M. Denis Tougas, coordonnateur de la Table de concertation sur la région des Grands Lacs africains. Bienvenue, monsieur Tougas. Nous écoutons votre présentation.
M. Denis Tougas (coordonnateur, Table de concertation sur la région des Grands Lacs africains, Forum Afrique Canada): Merci, monsieur Patry.
Je représente le Forum Afrique Canada, mais je viens plus précisément d'un groupe qui s'appelle Entraide missionnaire, qui existe depuis une quarantaine d'années et qui regroupe 90 communautés ou sections de communautés missionnaires catholiques francophones du Canada. Depuis plus de 15 ans, Entraide missionnaire anime une table de concertation sur la région des Grands lacs africains, qui touche le Rwanda, le Burundi et surtout le Congo. Le Forum Afrique Canada regroupe une quarantaine d'organisations de l'ensemble du Canada qui interviennent d'une manière ou d'une autre, directement ou en solidarité avec l'Afrique.
Nous nous sommes appliqués, en le lisant, à trouver la place de l'Afrique dans l'Énoncé de politique internationale. Quelle place occupera le continent africain lorsque sera appliqué cet énoncé? Si vous le permettez, nous partagerons avec vous certaines de nos inquiétudes. Mme Lina Holguin, qui m'accompagne, est la coprésidente du Forum Afrique Canada.
L'EPI définit maintenant trois priorités pour le Canada: la sécurité des Canadiens, la prospérité du pays et les responsabilités des États envers les citoyens et les autres pays. Ces priorités, d'après nous, devraient commander une politique articulée, intégrée, globale vis-à-vis de l'Afrique, un peu différente de ce que l'on peut retrouver à la lecture des cinq documents. Nous avons remarqué que l'Afrique n'occupe une place importante que dans le volet développement, et pas ailleurs. Cela représente pour nous une lacune. Nous croyons que cela est dû en grande partie à une définition restrictive de la sécurité, mais également à des décisions politiques du gouvernement canadien concernant ce continent qui remontent au début des années 1990.
La sécurité, comme priorité, est définie en termes de réponse à une menace envers le Canada, au détriment de ses obligations internationales relatives à la promotion et à la défense des droits de la personne et à la lutte contre la pauvreté. Selon nous, cela risque d'occulter les problèmes que l'on rencontre sur place, en Afrique. Pourtant, la question sécuritaire — très importante pour le Canada et prioritaire pour le gouvernement canadien — ne devrait pas masquer une situation flagrante.
Je vous donne quelques chiffres, mais je ne vous assommerai pas avec des statistiques sur l'Afrique. Vous les connaissez sans doute, et je ne citerai que les dernières statistiques. L'Afrique se démarque des autres continents par la quantité de conflits qui s'y déroulent, mais surtout par le nombre de victimes qui en découle. Selon le dernier Human Security Report, publié il y a trois semaines, au début du nouveau millénaire, le nombre des victimes des champs de bataille en Afrique subsaharienne était plus grand que celui de toutes les autres régions du monde réunies.
Cela devrait situer l'intérêt du Canada pour sa sécurité vis-à-vis l'ensemble de la sécurité mondiale. Autre statistique assez accablante, c'est aussi en Afrique que l'on trouve le taux le plus élevé de déplacements forcés dans le monde: 13 millions de personnes sont déplacées sur leur propre territoire, et il y a 3,5 millions de réfugiés sur le continent. Cela touche directement les autres priorités énoncées précédemment par le Canada: la responsabilité de protéger et la sécurité humaine. Je pense que le continent africain devrait intéresser le gouvernement canadien au premier titre à ce sujet.
Comme il est énoncé dans le document, l'accent mis sur les États fragiles ou en déroute dans le contexte africain est tout à fait le bienvenu. Cependant, l'EPI ne va pas assez loin dans I'analyse des causes profondes liées à la fragilité des États. Il propose plutôt une lecture de cette fragilité par le biais de la menace et des risques qu'elle comporte pour la sécurité du Canada, et détourne l'attention de la responsabilité de la communauté internationale face aux droits de la personne et face à une justice sociale pour tous.
Également, elle détourne l'attention d'autres facteurs importants qui exacerbent la fragilité des États, tels que l'exploitation des ressources naturelles qui alimente les conflits, la prolifération des armes légères, les investissements irresponsables dont personne ne rend compte et les restrictions imposées à l'aide humanitaire.
Pour marquer son engagement, le gouvernement canadien a entrepris de créer deux mécanismes en vue de contribuer aux efforts déployés autour de la problématique des États fragiles ou en déroute. Vous les connaissez, il s'agit du Groupe de travail sur la stabilisation et la reconstruction et le Fonds pour la paix et la sécurité dans le monde.
Selon nous, ces mécanismes sont un pas dans la bonne direction en ce qui concerne la coordination des ressources pour les interventions canadiennes dans des situations de conflit. Ils vont dans le sens du courant international, la Grande-Bretagne et les États-Unis ayant fait de même. Nous constatons que c'est un important pas en avant.
Cette approche, que l'on appelle la formule 3D, que vous connaissez bien, recèle pour nous deux inquiétudes. La première concerne le renforcement des liens entre l'aide humanitaire et les actions militaires. Nous comptons parmi nos membres des organisations d'aide humanitaire qui voient là un certain danger. En Afrique, au Congo, on a vu des exemples où les humanitaires ont été pris pour cibles parce qu'il y avait des militaires autour d'eux qui devaient les protéger. Nous croyons toujours que devrait être établie une séparation entre les opérations militaires et les opérations d'aide humanitaire. On devrait insister beaucoup plus là-dessus.
L'autre élément d'inquiétude vient, je le répète, de l'accent mis sur l'énoncé de la menace que les États fragiles et en déroute font peser d'abord sur le Canada. C'est ce qui a justifié la création du Fonds pour la paix et la sécurité dans le monde et du Groupe de travail sur la stabilisation et la reconstruction. Ces deux programmes font en sorte que nos propres intérêts de sécurité primeront sur les besoins des personnes.
J'attire votre attention sur la situation qui prévaut maintenant depuis plus de 15 ans. Les troupes canadiennes n'interviennent plus ou presque plus en Afrique, à quelques exceptions près. Le général Dallaire vous l'a sans doute dit une ou deux fois et même à plusieurs reprises. J'insiste là-dessus. Depuis la déroute de la Somalie, les troupes canadiennes ont été très rares sur le continent africain. Si ma mémoire est bonne, la seule autre intervention fut lors de l'Opération Artemis en Ituri, au Congo, où le Canada avait fourni une soixantaine de militaires.
Le Canada préfère maintenant financer des interventions pilotées par l'Union africaine et ses forces de stabilisation. L'Union africaine prévoit elle-même que ses forces de stabilisation seront opérationnelles et efficaces en 2010. Nous trouvons que c'est une bonne idée de l'appuyer, mais il y aura des limites à cet appui et à ce que ces forces pourront faire. Vous savez sans doute mieux que moi que la présidence de l'Union africaine sera donnée au Soudan l'an prochain. Selon nous, cela créera un certain problème.
Depuis le début des années 1990, les troupes canadiennes ont préféré intervenir ailleurs dans le monde. Est-ce que ce nouvel Énoncé de politique internationale consacrera — je ne dirai pas l'abandon — mais du moins cette perte d'intérêt du Canada pour le continent africain? Selon nous, deux tests seront très importants pour connaître l'efficacité ou le bien-fondé des principes qui dirigeront ce groupe de travail. Ce sera l'intervention au Soudan, d'une part, et l'intervention au Congo, d'autre part.
Avant hier, j'ai parlé au directeur adjoint aux Affaires étrangères, M. Denis Chouinard, au sujet de l'Afrique Centrale. Je lui ai demandé comment allaient intervenir ces deux instruments dans les Grands Lacs africains. Il a répondu qu'il travaillait lui-même activement pour que les Grands Lacs africains et le Congo soient inclus. Il n'était pas en mesure de nous faire part du succès de ses démarches ni des critères qui seront adoptés pour choisir un terrain d'intervention.
¿ (0910)
Le Rapport de la Commission pour l'Afrique, qui avait été rédigé par l'équipe de la Grande-Bretagne avant le dernier G8, insistait pourtant fortement sur ce fait. En outre, l'énoncé de la politique demeure silencieux sur l'importance des ressources encore inexploitées en Afrique qui représenteront pour le Canada des occasions de prospérité au cours des décennies à venir. Je ne vous apprends rien. De très nombreuses entreprises canadiennes, particulièrement dans le domaine de la prospection, n'hésitent pas à s'installer dans des États fragiles ou en déroute, là où les risques élevés sont aussi synonymes de plus grands bénéfices. On parle ici d'entreprises en mal de développement rapide, mieux connues sous la désignation de juniors. En ce qui a trait à ce type d'entreprises, le Canada est un champion. C'est ainsi qu'on a vu au cours des dernières décennies de petites et moyennes compagnies canadiennes associées à des conflits sanglants. Comme vous le savez, il s'agissait de l'Angola, du Soudan, du Congo, de la Sierra Leone et d'autres encore, que j'oublie sans doute.
Je vais maintenant citer, tel que nous l'avons traduit, un extrait d'un document de l'OCDE paru la semaine dernière. On y dit ce qui suit:
Les risques élevés rencontrés dans ces zones (en lien avec la corruption et les abus contre les droits humains), créent le besoin d'une attention plus grande pour s'assurer que I'entreprise se conforme à la loi et aux instruments internationaux en vigueur. |
Nous trouvons qu'il s'agit là de faits significatifs auxquels l'énoncé devrait accorder plus d'importance. Dans son rapport portant sur l'exploitation minière dans les pays en développement et sur la responsabilité sociale des entreprises, le Comité des affaires étrangères et du commerce international a bien cerné les problèmes qui sont en cause. Vous faites partie du comité; vous avez donc tous appuyé et signé ce rapport. Je n'insisterai pas sur ce fait. Je tiens à vous faire savoir, cependant, que le Forum Afrique Canada appuie ce rapport et les recommandations qu'il comporte.
Nous pensons que le Canada a l'obligation de baliser les interventions des sociétés canadiennes pour s'assurer que ces activités ne contribueront pas à générer, entretenir ou prolonger des conflits. Ainsi, le gouvernement ne devrait accorder son soutien politique ou financier qu'aux entreprises s'étant montrées socialement responsables et s'étant pliées aux normes internationales en matière de droits de la personne.
On a noté que dans le cadre de sa réponse à votre rapport, le gouvernement se réfugiait derrière l'argument voulant qu'il y ait à l'échelle internationale une absence de consensus en matière de législation. Nous serons présents lorsque des tables rondes auront lieu en vue de discuter de ce rapport. Nous trouvons pour notre part qu'il s'agit là d'un faux-fuyant. D'autres pays, malgré cette absence de législation internationale, n'ont pas hésité à prendre certaines initiatives. Le Canada devrait adhérer aux Voluntary Principles on Security and Human Rights. Ceux-ci ont été adoptés par le Royaume-Uni et les États-Unis. En outre, les Pays-Bas et la Norvège leur ont déjà donné leur appui. Il y a également l'initiative qui porte sur la transparence des industries extractives de la Grande-Bretagne et la campagne « Publiez ce que vous payez » qui, selon nous, en Angola du moins, donne des résultats tangibles. Je vous remercie.
¿ (0915)
Le président: Merci beaucoup, monsieur Tougas.
Monsieur Sorenson.
[Traduction]
Mme Beth Phinney (Hamilton Mountain, Lib.): Vouliez-vous ajouter cela, Lina?
[Français]
Mme Lina Holguin (coprésidente, Forum Afrique Canada): Je vais simplement faire valoir trois points. Nous pensons qu'il est très important que le Canada signe un traité international concernant le contrôle du commerce des armes légères. À cet égard, il y aura en juin 2006 une conférence des Nations Unies. Il serait très important que le Canada puisse y annoncer qu'il sera signataire de ce traité international portant sur le contrôle des armes.
Mon deuxième point porte sur l'aide publique du Canada en matière de développement. Nous considérons que celle-ci devrait être consacrée exclusivement à l'abolition de la pauvreté. Nous aimerions qu'une loi soit adoptée à cet effet. Mon troisième point concerne le 0,7 p. 100. Nous espérons que le gouvernement canadien respectera cet engagement qui vise à lutter contre la pauvreté.
Merci.
¿ (0920)
[Traduction]
Le président: Monsieur Sorenson.
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC): Je souhaite la bienvenue à Montréal au Comité des affaires étrangères et du commerce international.
Comme vous l'avez dit plus tôt, nous avons discuté quelque temps de cet examen de la politique internationale. Nous avons parlé avec beaucoup de groupes et d'agences qui se consacrent à divers pays dans le monde, et avec un grand nombre qui ont une vision exclusivement canadienne de la situation.
J'aurais trois ou quatre questions, mais je peux attendre un deuxième tour pour certaines d'entre elles. Je vais commencer par l'une de vos dernières observations où vous disiez que l'énoncé de politique n'en dit pas beaucoup au sujet des ressources et que vous souhaitiez y voir des éléments démontrant que nous offrons un soutien politique et financier aux groupes qui se sont montrés responsables.
Comme vous le savez, l'une des directions que l'énoncé de politique nous encourage à prendre est de nous concentrer sur 25 pays essentiellement. Une multitude d'ONG qui effectuaient du très bon travail dans divers pays d'Afrique n'auront peut-être plus l'appui financier qu'elles ont obtenu dans le passé. Peut-être pourriez-vous nous faire quelques commentaires et élaborer un peu à ce sujet.
Par ailleurs, lorsque nous parlons de la pauvreté, qu'il s'agisse de personnes ou même du Canada, d'entreprises ou de pays, certains s'appauvrissent pour de très bonnes raisons et d'autres s'enrichissent pour de très bonnes raisons aussi. Je partage entièrement votre opinion, à savoir que nous devons soutenir les pays qui ont besoin d'aide et nous devons faire tout notre possible pour mettre un terme à la corruption, afin d'atteindre les objectifs de bonne gouvernance que nous nous sommes fixés. Mais, d'un autre côté, lorsque des gens meurent de faim, notre devoir est de leur fournir des vivres. Comment mettre en oeuvre une politique qui nous permette d'atteindre cet équilibre?
Je ne suis pas de ceux qui croient que les problèmes disparaissent à coup de dollars. En fait, nous avons donné de l'argent à des pays où les affaires publiques étaient mal gérées et où régnait la corruption, et où les gens réellement dans le besoin n'ont jamais rien reçu.
C'est un vrai dilemme. Comment ne pas récompenser la mauvaise gouvernance, les mauvaises pratiques, les mauvais traitements infligés par les gens au pouvoir? Comment obtenir un rendement optimal en contrepartie des efforts consentis dans certains de ces pays, et plus spécialement dans certains pays d'Afrique?
Je vous assure que je respecte vraiment les groupes comme le vôtre qui portent leur regard au-delà de leurs frontières, vers les continents qui ont besoin d'aide. J'ai rencontré des membres d'une délégation du Congo la semaine dernière qui m'ont expliqué un peu comment les choses se passaient là-bas, en Ouganda, et qui m'ont parlé des difficultés auxquelles le Congo est confronté. Nous n'avons même pas abordé la question du sida aujourd'hui, des pays de l'Afrique du Sud qui risquent de perdre 25 p. 100 de leur population au cours des prochaines années. Comment pouvons-nous un jour espérer qu'une économie devienne florissante et prospère, lorsqu'un fléau comme le sida fait des ravages comme un feu de forêt à travers le pays? Ne devrions-nous pas avec nos dollars cibler davantage le problème du sida et de la pauvreté? Tout cela est si intimement lié.
Peut-être pourriez-vous faire des commentaires sur quelques-unes de ces réflexions.
Le président: Monsieur Tougas.
[Français]
M. Denis Tougas: Merci.
Lina Holguin pourra m'aider à répondre à ces nombreuses questions.
Je pense que les gens vont applaudir la décision de concentrer l'aide dans 14 pays. Il faut que l'aide soit plus efficace. Je pense que nous nous entendons tous sur ce point.
Je ne voulais pas parler d'aide au développement, car je voulais me concentrer sur la paix et la sécurité. Néanmoins, vous abordez la question et vous avez raison. Il s'agit d'un point très important qui touche l'Afrique dans l'Énoncé de la politique internationale du Canada.
Vous parlez d'équilibrer l'aide. De quel côté devrait-on insister et de quelle manière devrions-nous procéder pour que l'argent se rende aux destinataires et serve au développement et au progrès?
Un regard sur la politique d'aide au développement du Canada permet de voir qu'elle s'aligne complètement et directement sur les consensus internationaux des grandes agences, qui ont souvent constitué des échecs. Néanmoins, on continue à imposer ces conditions, que l'on retrouve souvent sous le titre de « bonne gouvernance ».
Les pays que je connais le mieux sont donc les trois pays d'Afrique centrale. Ces pays ont maintenant rédigé leurs cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté. C'est semblable. Ils ont déterminé maintenant leurs modes de développement, et on voit très bien que cela va dans la même direction.
Ils vont « subir » — je pense que c'est le bon terme — les mêmes politiques internationales d'ouverture de marché et de privatisation de leurs services sociaux. C'est identique pour les trois, avec une couleur particulière pour chaque pays.
Ce qui veut dire qu'on a, avec le temps, imposé à l'Afrique un seul modèle de développement.
Le Canada n'aurait jamais accepté cela. Le Canada ne se serait jamais développé s'il n'avait pas lui-même déterminé son propre modèle de développement.
Je pense que même si on choisit 14 pays sur les 25, il faut au moins conserver une ouverture. Il faut laisser une marge de manoeuvre aux États, aux pays afin qu'ils se développent d'eux-mêmes, au lieu de favoriser l'imposition de conditions.
Lina, voudrais-tu ajouter quelque chose?
¿ (0925)
[Traduction]
Mme Lina Holguin: Vous avez mentionné la question du sida et vous vous demandez si nous devons concentrer nos efforts sur cet énorme problème pour l'économie. C'est un énorme problème, en effet, mais je pense que les pratiques commerciales déloyales entre l'Afrique et le reste du monde, et plus spécialement les pays riches, sont également un problème de taille. Les pratiques commerciales déloyales maintiennent les pays d'Afrique dans la pauvreté ou elles les appauvrit.
M. Kevin Sorenson: Lorsque vous parlez de pratiques commerciales déloyales, vous faites allusion à ce qui se passe à l'Organisation mondiale du commerce actuellement avec les subventions? Vous songez à l'Afrique qui n'a peut-être pas été encouragée à développer son industrie agricole comme...?
Mme Lina Holguin: Je fais notamment référence aux négociations qui ont cours actuellement au sein de l'Organisation du commerce international. Il y a un problème là. Des décisions devront être prises d'ici un mois et ce qui est sur la table actuellement pourrait être un très mauvais marché pour les pays africains, du fait que les États-Unis, l'Union européenne et le Canada exhortent ces pays d'Afrique à ouvrir leurs marchés et à réduire leurs droits de douane. Des collègues d'Afrique nous ont dit récemment lors du symposium parrainé par le Forum Afrique-Canada que ces droits douaniers serviraient au financement de services restreints dans les domaines de l'éducation et de la santé. Le Canada fait actuellement des pressions en ce sens.
Je songe également à la question du dumping. Le Canada appuie l'élimination de cette pratique, mais il ne le crie pas haut et fort.
Il y a aussi le problème des services. Ce qui est sur la table actuellement aura pour effet d'obliger les pays à privatiser progressivement leurs services. Le Canada préconise également cela.
Si le marché actuellement proposé est conclu, la situation en Afrique ne fera qu'empirer. Nous espérons donc que le Canada penchera du côté des pays en développement, parce qu'autrement, nous jouerons un double jeu. Nous voulons protéger notre système de gestion de l'approvisionnement, mais en même temps, nous voulons que d'autres pays ouvrent leurs marchés. Et cela, il faut l'éviter.
¿ (0930)
À propos de la concentration de l'aide, j'ai mentionné qu'il nous faut une une loi pour nous assurer que l'aide canadienne au développement soit expressément versée à la pauvreté et non pas détournée à des fins de sécurité. Je pense que Denis a brièvement abordé la question. Une telle loi devrait, je pense, veiller à ce que les fonds des citoyens canadiens soient dépensés judicieusement. Elle devrait empêcher les investissements arbitraires et les interventions comme celles dont nous avons été témoins en Afghanistan.
M. Kevin Sorenson: Je ne suis pas vraiment d'accord avec la direction que nous devons prendre à l'OMC. Honnêtement, je soutiens une plus grande ouverture des marchés. Je pense que c'est dans le meilleur intérêt du Canada et c'est dans le meilleur intérêt de notre secteur agricole. Je me demandais comment vous pensiez que les choses allaient se dérouler, alors j'apprécie votre franchise.
Examinons maintenant la question des Nations Unies. Des réformes doivent être apportées, nous en avons parlé. Notre premier ministre a été très déçu de la ronde de négociations de septembre à ce chapitre. Je me demande si toute cette organisation en pleine tourmente et à l'avenir incertain... Des projets de loi sont actuellement présentés au Congrès visant le retrait d'une partie des fonds américains si certaines réformes ne sont pas apportées.
Les Nations Unies comptent environ 191 pays membres et les États-Unis contribuent à son financement dans une proportion de 23 p. 100 environ. Le Japon arrive au second rang, avec un financement représentant 19 p. 100 du montant total. C'est près de 42 p. 100 de la note totale. Cela vous donne un bon aperçu de la provenance des fonds des Nations Unies.
Je pense que tout le Canada, le gouvernement, et l'opposition, sans doute, ont été déçus que les trois secteurs – le développement, la sécurité et les secours humanitaires – aient été abandonnés. Je me demande si vous pouvez élaborer un petit peu sur ce qui se passe aux Nations Unies et nous dire en quoi cela touche l'Afrique.
Ce n'est pas un gros point de discussion, les Nations Unies. Nous vous accordons les trente prochaines secondes.
Des voix : Oh, oh!
M. Kevin Sorenson: Vous avez tout le temps que vous voulez.
[Français]
M. Denis Tougas: Ce que je sais des interventions des Nations Unies dans la région que je connais le mieux, l'Afrique centrale, c'est que la MONUC, la mission de l'ONU en République démocratique du Congo, est maintenant la plus grande mission mondiale, avec 18 000 soldats. Je vous le répète, la guerre du Congo a fait, selon les centres de recherche qualifiés, entre 3,5 et 3,8 millions de victimes. C'est beaucoup. Pendant ce temps, à cause des raisons que vous avez évoquées — le financement, les bailleurs de fonds et le reste —, aux Nations Unies, on discutait longuement pour décider si on augmenterait ou non les effectifs. Il y a deux semaines, les effectifs de la MONUC n'ont été augmentés que de 300 militaires, alors que le secrétaire général demandait qu'ils doublent et qu'ils soient d'au moins 25 000 militaires.
Au moment même où se déroulait la crise du Congo, il y avait des problèmes au Kosovo, où il y avait 77 000 troupes étrangères. À nos yeux, de la part des Nations Unies comme de la communauté internationale, il y avait là quelque chose d'odieux. Le général Dallaire parlait de racisme. À mon avis, cela marque encore les Nations Unies.
¿ (0935)
[Traduction]
Mme Lina Holguin: J'aimerais simplement ajouter deux choses.
D'abord, oui, en effet, le sommet de septembre fut un échec. La seule réalisation importante à notre avis fut la question de la responsabilité en matière de protection. De ce point de vue, ce fut toute une réalisation. Il faut maintenant que les pays participants continuent d'avancer sur ce front, parce que c'est la seule réalisation, le seul point positif qui a émergé de ce sommet. Le reste, les objectifs du Millénaire pour le développement, notamment, que nous aurions aimé voir adopter ne se sont pas concrétisés.
Quant au système humanitaire de l'ONU, on y a fait allusion au sommet, des engagements ont été pris visant la réforme de ce système, mais cela ne fonctionne pas et il est maintenant question d'apporter des réformes au Fonds central autorenouvelable d'urgence. Nous espérons que le Canada contribuera à ce nouveau fonds, ainsi que nous l'avons proposé.
Ce fonds sera dorénavant appelé le fonds central d'intervention d'urgence. L'ONU propose un fonds de 500 millions de dollars. Oxfam pense que ce fond devrait être de l'ordre de un milliard de dollars, parce que chaque année l'organisation accuse un manque à gagner de un, 1,2 ou 1,5 milliard de dollars. Cette tendance se maintient depuis les quatre dernières années; ce fonds doit être rapidement disponible pour répondre efficacement aux besoins. L'ONU fait tout ce qu'elle peut avec l'engagement des membres, mais pour ce qui est de l'aide humanitaire, l'argent ne suit pas.
Ce fonds doit être disponible. Le système humanitaire doit être réformé et le Canada doit contribuer à ce fonds. Sa contribution devra être de 37 millions de dollars selon nos calculs. Nous espérons que cette mesure sera annoncée le 14 novembre, lors de la prochaine Assemblée générale.
M. Kevin Sorenson: J'ai une petite question à poser et je passerai ensuite à ma collègue d'en face.
Ce matin aux nouvelles, il est encore quetion des problèmes qui sévissent en Éthiopie et en Érythrée. Un petit article dans le Globe and Mail – de ce matin je crois – signale que 70 000 soldats ont été déployés aux frontières de l'Éthiopie et de l'Érythrée. Des gens des Nations Unies sont là en ce moment, tentant de maintenir une zone tampon, mais il semble encore une fois qu'un conflit soit imminent. Avez-vous des commentaires à faire sur toute cette problématique?
Nous avons présenté une motion – en fait, je ne sais pas s'il s'agit d'une motion qu'un de nos collègues a soumise à notre comité – sur l'Érythrée, une motion incitant l'Éthiopie à reconnaître qu'il y a conflit. Je ne suis pas certain si cette motion visait une aide supplémentaire ou du financement. Je ne crois pas que ce fut le cas.
Pourriez-vous nous parler du conflit entre l'Érythrée et l'Éthiopie?
[Français]
M. Denis Tougas: Avant de répondre à votre question sur l'Éthiopie, j'aimerais ajouter encore un mot sur l'une des responsabilités du Canada au sein des Nations Unies et en Afrique. Le Canada a été un promoteur important de la responsabilité de protéger. L'Union africaine l'a adoptée dans sa constitution. Au cours des mois à venir, ce sera inclus dans une déclaration de principe de paix dans la région des Grands Lacs à la suite de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, que le Canada appuie fortement.
Cependant, cette responsabilité de protéger en est encore au stade de concept. Le Canada — il peut le faire à peu de frais — devrait s'attarder à savoir quelles sont les obligations concrètes rattachées à cela puisque, pour ce que je sais pour l'Afrique des Grands Lacs, on s'apprête à l'inclure dans un traité, et cela ne signifiera rien. Il n'y a pas d'obligations, ce n'est pas mieux défini que cela.
Je pense que le Canada pourrait assumer cette mission, ce travail d'importance en Afrique par rapport à l'Éthiopie et à...
¿ (0940)
[Traduction]
M. Kevin Sorenson: Permettez-moi de vous interrompre ici.
Je pense que nous sommes tous fiers du fait que le droit à la protection fut une initiative canadienne. Sans cette initiative, le sommet de septembre aurait été un gaspillage sur toute la ligne. Il y a eu cette petite perle qui a émergé de notre passage à l'ONU. J'ai la ferme conviction qu'il faut poursuivre en ce sens.
[Français]
M. Denis Tougas: Nous le reconnaissons et nous en sommes très fiers.
En ce qui concerne l'Éthiopie et son voisin, vous avez peut-être suivi le début de cette guerre. C'était insignifiant. Comment était-ce possible? Quand la guerre a commencé, la réponse de l'Union africaine, qui n'était pas encore vraiment sur pied, et de la communauté internationale a été très mince. Ceux qui avaient et qui ont toujours de l'influence sur ces deux pays ont laissé faire, d'après moi. On a donc laissé cette mission des Nations Unies, dont j'oublie le nom, sur le terrain sans qu'elle ne joue — c'est mon analyse — sur le comportement et les objectifs des deux pays, qui ne sont pas vraiment démocratiques, selon ce que j'en connais.
Je vous rappelle qu'il y a eu des manifestations en même temps dans la capitale éthiopienne, après les élections, pour signifier que l'élection de l'actuel président, qui en est à son troisième mandat de cinq ans sans interruption, n'avait pas de sens et que cela ne pouvait continuer ainsi. Le fait de faire cette guerre est également, comme on l'a vu dans le passé, une manière de mobiliser la population ou les troupes. C'est tout.
Avez-vous quelque chose à ajouter Lina?
Mme Lina Holguin: Non, je n'ai rien à ajouter par rapport à la question Éthiopie-Érythrée.
Par contre, j'aimerais faire un petit commentaire au sujet d'un autre conflit qui est en train d'empirer, celui au Darfour.
[Traduction]
C'est au Darfour qu'Oxfam consacre l'essentiel de son programme. Nous travaillons avec 700 000 personnes. C'est énorme. La sécurité y est de plus en plus précaire et il devient difficile de poursuivre notre travail humanitaire.
De plus, j'ai entendu dire que le Canada contribue à l'Union africaine. Nous y envoyons des hélicoptères. Nous fournissons également du matériel dont une partie est entreposée à Dakar. Nous avons 105 véhicules blindés de transport de troupes au Dakar, mais je constate que seulement 25 de ces véhicules ont obtenu des permis pour entrer au Soudan.
Quand nous entendons cela, nous nous disons qu'effectivement, nous avons contribué. Nous éprouvons de la fierté lorsque nous entendons le premier ministre Martin annoncer que 170 millions de dollars seront versés à l'Union africaine. Mais lorsque nous apprenons que ces véhicules blindés et le matériel que nous avons envoyé n'arrivent pas à destination, et lorsque nous entendons dire que...
Je ne sais pas si vous avez suivi le reportage de Sylvain Desjardins la semaine dernière, à Radio-Canada. Il a longuement élaboré – et c'est sur le Web – sur l'Union africaine et ses énormes problèmes de logistique, parce qu'elle n'a pas d'équipement; l'équipement est entreposé à Dakar. Il a également mentionné dans ce reportage que des hélicoptères canadiens arborant le merveilleux drapeau canadien ne sont pas utilisés parce qu'on ne leur accorde pas de permis. Le gouvernement canadien ne parle pas haut et fort de cela non plus.
M. Kevin Sorenson: Quelles raisons évoquent-ils pour ne pas utiliser...
Mme Lina Holguin: Le gouvernement soudanais les en empêche. C'est un problème bureaucratique.
M. Kevin Sorenson: Nous n'avons pas les hélicoptères les plus sûrs qui soient, mais nous serions portés à croire qu'ils auraient pu être utilisés.
Mme Lina Holguin: Je crois qu'il faudra assurer un suivi de cette affaire; c'est le peu d'information que j'en ai. Beaucoup de reportages de Sylvain Desjardins ont été présentés à ce sujet la semaine dernière, à Radio-Canada. Il est très informé; il est revenu la semaine dernière seulement.
¿ (0945)
[Français]
Le président: Monsieur Tougas, j'aimerais vous poser quelques petites questions rapidement.
Vous avez dit qu'en Afrique, actuellement, il n'y avait pas de soldats de maintien de la paix en provenance des pays du Nord — de Blancs, pourrait-on dire, par rapport aux Noirs —, surtout à la demande de l'Union africaine. Vous savez très bien que l'Union africaine ne veut pas voir les gens du Nord essayer de régler les problèmes. Tout ce que veulent les forces opérationnelles — vous l'avez bien mentionné aussi —, c'est avoir une certaine logistique. Elles veulent que le Canada et d'autres pays du Nord les aident sur le plan des opérations, pour qu'elles arrivent à fonctionner et voir de quelle façon nous pouvons mieux les aider.
Vous avez également dit qu'on voulait imposer aux trois pays de l'Afrique centrale un seul modèle de développement. Enfin, vous avez parlé des grandes agences. Vouliez-vous parler de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international?
M. Denis Tougas: Exactement.
Le président: Je voudrais que vous développiez un peu cette question. Vous avez des connaissances du Burundi, du Rwanda, du Congo. Un témoins venu plus tôt nous a parlé du Burundi. Selon lui, si la communauté internationale ne fait rien d'ici les cinq prochaines années, nous allons revivre la situation qui existait au Rwanda. Nous aurons un génocide au Burundi, probablement avec les mêmes acteurs, si on peut parler ainsi.
J'aimerais avoir votre opinion sur le Burundi. En effet, si ce témoignage s'avère véridique, il est possible que la responsabilité de protéger ne veuille pas simplement dire qu'il faut agir au point de vue militaire, mais qu'il faut aussi faire de la prévention, chose que nous voulons tous. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.
Dans le même ordre d'idées, vous avez dit que l'Union africaine était une chose formidable et qu'elle était dans la constitution, mais que c'était simplement un concept. De quelle façon peut-on évoluer pour que ce soit plus qu'un concept? On sait, comme mon collègue l'a mentionné, que c'est probablement la seule chose très positive qui soit ressortie du Sommet du Millénaire +5 aux Nations Unies. C'est quand même une très grande percée, car il y a trois ou quatre ans, on n'aurait jamais pensé pouvoir intervenir dans des États souverains. Maintenant, c'est beaucoup plus avancé. Le Conseil de sécurité se penchera aussi là-dessus, ce qui sera quand même une première.
De quelle façon voyez-vous une amélioration afin, à partir d'un concept, de vraiment pouvoir agir en termes de prévention?
M. Denis Tougas: Merci.
Par rapport aux demandes de l'Union africaine, il faut préciser certaines choses. Les interventions de l'Union africaine, maintenant les forces de stabilisation, ont eu lieu à deux endroits, au Burundi et au Darfour. C'est tout. Ses capacités se limitent à cela. Au Burundi, on a vu ses limites très rapidement. Elle n'a pas pu sortir de la capitale et elle a très vite réclamé le soutien des Nations Unies, qui ont envoyé sur place une mission d'observation du Burundi. Il faut applaudir et soutenir l'Union africaine qui réclame d'assurer elle-même la sécurité. Mais en a-t-elle les moyens? Absolument pas.
Il a été question d'envoyer des troupes de l'Union africaine déloger des armées que l'on appelait les Interhamwe. Ce sont les miliciens rwandais qui sont toujours dans l'est du Congo et qui continuent de faire des victimes. L'Union africaine est sur place depuis un mois pour tenter d'évaluer les effectifs dont elle aura besoin. Elle évalue pour le moment à 45 000 le nombre de personnes nécessaires. C'est impossible, cela n'a aucun sens.
Il n'y a plus eu de Blancs — pour reprendre vos termes — qui sont intervenus depuis le retrait des États-Unis après la débâcle de la Somalie et depuis celui de la Belgique après ses 11 morts à Kigali. Depuis, toutes les missions des Nations Unies, et non pas de l'Union africaine, sont composées de militaires en provenance de pays en émergence: des Pakistanais, des Népalais, des Indiens ou des Guatémaltèques, avec les résultats que l'on sait. L'intervention la plus musclée de Blancs a été quand, en Sierra Leone, la Grande-Bretagne est allée à la rescousse de cette mission qui était encerclée. Ils ont envoyé 5 000 militaires, et cela a été réglé en peu de temps parce qu'ils avaient l'infrastructure nécessaire, mais surtout parce qu'ils avaient la volonté de faire quelque chose.
Il est arrivé la même chose en Ituri, au Congo, que je connais mieux, où il y avait des massacres entre les Hemas et les Lendus. La mission d'observation des Nations Unies, la MONUC, n'y arrivait pas. Lorsque je visitais les gens sur place, les Guatémaltèques me disaient avoir reçu l'ordre de leur état-major de ne pas intervenir si c'était dangereux. Il n'était pas question de courir le risque de se faire tuer. La France, devant ces massacres et ce qu'on annonçait comme un génocide, a pris en main la mise sur pied de cette opération Artémis, et le Canada est intervenu. En trois mois, à l'été 2003, on a changé complètement la donne en Ituri. Ces troupes sont arrivées et sont intervenues là où il y avait des massacres et des combats. Cela a complètement changé la donne. Je crois qu'il est faux de dire que l'Union africaine ne veut pas de militaires blancs sur le terrain. Je crois plutôt que des pays comme le Canada ne l'offrent pas.
En ce qui a trait au Burundi, je ne partage pas l'opinion de l'interlocuteur précédent. Il y existe actuellement un danger. Pour ceux qui suivent bien la question des Grands Lacs, le Burundi donne maintenant l'impression d'une transition qui va de l'avant et qui semble tenir. Le pays est en guerre depuis 1993, et les gens sont épuisés, ils n'en peuvent vraiment plus. Il y a eu une volonté, une mobilisation populaire malgré les menaces des différents groupes rebelles qui ne voulaient pas d'élections, avec les résultats qu'on a connus.
Le danger repose maintenant sur le fait que la communauté internationale a promis une aide de 1 milliard à 1,5 milliard de dollars, et que cette aide n'arrive pas. Il n'y a pas d'économie au Burundi. On ne peut pas parler de produit intérieur brut ou de choses de ce genre, ces statistiques n'existent pas. C'est un pays complètement détruit.
Il y a eu une grève des enseignants l'été dernier. Ils n'ont pas eu d'augmentation et ils ne sont pas payés pendant des mois. Devant la menace que cela comportait en regard des élections prochaines, la Belgique est allée immédiatement payer ces fonctionnaires. En effet, l'État n'a pas de moyens: l'économie est à zéro. Cette somme de 1,5 milliard de dollars qui avait été promise n'arrive pas, et c'est là où il y a urgence.
J'attire votre attention sur ce que votre interlocuteur a sans doute tenté de vous dire, à savoir qu'en matière d'aide au développement, le Canada refuse systématiquement de mettre les pieds au Burundi. Nous avons sur place une compatriote énergique, Mme Carolyn McAskie. Cette dernière, qui est responsable de la mission d'observation des Nations Unies, y a joué un rôle important au cours des dernières années. Elle n'hésite pas à se déplacer. Chaque fois qu'elle vient au Canada, elle fait le tour des ministères et demande pourquoi notre gouvernement n'offre pas son appui au Burundi. La réponse est toujours la même, à savoir que le Canada a choisi 14 pays et que le Burundi n'en fait pas partie. Elle a invoqué tous les arguments possibles, mais le Canada a développé une politique régionale à l'égard de la région des Grands Lacs, y inclus le Burundi.
¿ (0950)
Il faut maintenir la paix. Une recrudescence des tensions dans un des trois pays risquerait de faire en sorte que le conflit se prolonge ou que certaines régions demeurent instables. C'est là une situation qui a comme effet d'ouvrir la porte à tous les trafics, étant donné qu'il y a beaucoup de ressources naturelles au Congo. S'il y a une chose qu'on peut faire ici aujourd'hui, c'est inciter le Canada à continuer de donner son appui à cette transition politique qui, jusqu'à présent, donne beaucoup d'espoir à ces trois pays.
Pour ce qui est de concrétiser la responsabilité de protéger, il y a encore du travail à faire. Encore une fois, il s'agit de se demander comment il est possible d'appliquer concrètement ce concept d'un pays à l'autre. Mon expérience me dit que les pays des Grands Lacs ne vont pas l'appliquer. Étant donné l'animosité qui les oppose et la frilosité qui prévaut encore face à cette souveraineté nationale, les populations devraient à mon avis reprendre l'élaboration de ces concepts. C'est ce qui va, à moyen terme, permettre de réaliser cette responsabilité de protéger.
Lina, voudrais-tu ajouter quelque chose?
¿ (0955)
Mme Lina Holguin: Non.
[Traduction]
Le président: Avez-vous des questions, madame Phinney?
Mme Beth Phinney: Oui, j'ai quelques questions sur ce qui a été dit au début.
Vous avez souligné l'importance de définir certaines lignes de conduites que les sociétés devraient adopter lorsqu'elles vont dans les pays d'Afrique pour y exploiter les ressources, et de la nécessité d'adopter des lois ayant une portée internationale. N'avez-vous pas dit ensuite que nous devrions offrir une aide financière aux sociétés qui observent ou qui se conforment à la réglementation et qui font des affaires de manière transparente? C'est une bonne idée. Qu'avez-vous dit ensuite?
J'aimerais savoir si vous connaissez des pays qui font cela et comment ils s'y prennent.
[Français]
M. Denis Tougas: Ce n'était pas le sens de mes propos, madame. Je disais que l'ensemble des mécanismes canadiens en matière de soutien aux entreprises devrait s'appliquer uniquement à celles qui démontrent clairement qu'elles prennent à coeur leur responsabilité sociale. Cependant, il faut pouvoir évaluer cela. Ma proposition va dans ce sens. Plusieurs entreprises ne demandent pas de soutien quand elles vont dans ce genre de pays: elles ne veulent pas être embêtées par qui que ce soit. Or, cette situation devrait cesser.
[Traduction]
Mme Beth Phinney: J'ai simplement dit que j'étais d'accord avec cette idée. Je préfère la formule de l'incitation à celle du châtiment, alors je croyais que vous alliez proposer des moyens pour inciter les sociétés à faire cela.
J'ai été en Colombie, comme je l'ai mentionné à Lina. J'ai vu, et surtout, j'ai entendu parler des dommages que certaines sociétés établies dans des pays comme la Colombie ou dans des pays d'Afrique peuvent faire. Si nous pouvions les inciter à observer les règles, les droits de la personne, et ainsi de suite, ce serait bien.
Lina, vous parliez de l'aide au développement. Vous avez dit que nous devrions disposer d'une loi qui permettrait au Canada de désigner les pays qu'il entend soutenir. Par la suite, vous avez nuancé votre propos en disant que nous devrions disposer d'une loi selon laquelle l'argent ne serait consacré qu'à la pauvreté et non à d'autres causes.
Cela m'inquiétait que vous proposiez une loi qui désigne les pays que nous allons soutenir. Il serait alors difficile d'appuyer les pays en fonction des besoins du moment; un pays peut avoir besoin de soutien une année et l'année suivante un autre en a besoin à son tour. Nous pourrions difficilement rectifier le tir si une telle loi était adoptée.
Donc, ce que vous vouliez dire, c'est que nous devrions nous assurer que l'argent va à la pauvreté et non pas à la défense ou à quelque autre fin?
Mme Lina Holguin: Oui, exactement. Je n'ai pas dit que nous devrions avoir une loi qui détermine le pays à qui nous offrirons notre appui; j'ai parlé d'une loi qui garantira que notre aide au développement sera consacrée à l'éradication de la pauvreté.
Mme Beth Phinney: D'accord. À ce propos, l'ACDI a décidé récemment de n'appuyer que 25 pays. Je ne sais pas le nombre exact de pays auxquels elle venait en aide auparavant, mais ce nombre a été réduit. Est-ce que cela pose problème? L'agence a choisi les 25 pays qu'elle soutiendra.
Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?
Mme Lina Holguin: Pour ce qui est de la concentration de l'aide, je pense que si nous nous éparpillons et que nous essayons de fournir de l'aide un peu partout nous n'obtiendrons pas de bons résultats non plus. La concentration des efforts est une bonne chose. Cependant, je ne suis pas certaine que les pays sélectionnés sont ceux que le Canada devrait soutenir. La concentration est la solution, effectivement, mais il faut également être en mesure de mieux faire ce que nous sommes en mesure de faire.
Les secteurs qui ont besoin d'aide sont ceux de l'éducation, de la santé... je ne me souviens pas de tous les secteurs qui figurent dans l'énoncé de politique. Mais l'agriculture n'y figure pas. On ne fait pas explicitement référence à l'agriculture ou si peu. Pourtant, le moyen de subsistance d'une bonne partie de la population des pays d'Afrique est l'agriculture.
Je ne sais pas si vous avez quelque chose à ajouter à cet égard.
À (1000)
[Français]
M. Denis Tougas: J'aimerais de nouveau parler de votre inquiétude face à l'aide canadienne et au fait qu'elle devrait être consacrée à la réduction de la pauvreté. Je suis d'avis qu'il y a une menace dans ce sens. Vous savez sans doute mieux que moi qu'à l'OCDE, il y a deux ans, un comité a voulu élaborer une politique destinée à élargir le type de dépenses pouvant être incluses dans l'aide publique au développement. Il a alors été question de tout ce qui touchait la formation de la police et le soutien aux services de sécurité dont auraient besoin certains pays. C'est ici que la frontière devient très ténue. La formation des policiers et la restructuration des services de sécurité, par exemple, représentent des sommes énormes qui peuvent drainer une grande partie de l'aide publique au développement. La levée de boucliers provenant de divers pays et groupes a fait en sorte que ce comité ralentisse ses travaux et reporte son rapport à l'an prochain, voire à l'année suivante.
Selon moi, la proposition de Lina, à savoir que le Canada adopte une loi pour faire en sorte que son aide publique au développement ne soit consacrée qu'à la réduction de la pauvreté, est tout à fait appropriée. Cela éviterait que nous ayons à nous débattre pour que ces fonds publics ne soient pas consacrés à des restructurations de systèmes de sécurité. Bien souvent, ce genre de dépense n'a pas d'influence sur la réduction de la pauvreté.
Le président: Je voulais simplement vous dire, avant de terminer...
[Traduction]
Je regrette; est-ce que vous vouliez une question aussi?
Mme Beth Phinney: J'aimerais que vous nous fassiez part de vos commentaires sur le ministère des Affaires étrangères qui était étroitement lié au Commerce international auparavant. Maintenant, le Commerce international semble être devenu une entité distincte.
Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?
[Français]
M. Denis Tougas: Pas vraiment.
[Traduction]
Mme Beth Phinney: D'accord.
M. Kevin Sorenson: J'ai lu un document illustrant les endroits où sont établies les sociétés énergétiques canadiennes dans le monde. Nous en avons 31 en Lybie, 19 au Nigeria, 16 en Algérie et six en Guinée équatoriale. Il y en a six en Afrique du Sud, cinq ou six au Chad, et le même nombre au Soudan et au Ghana. Le Kenya en a trois et le Bangladesh... On trouve des sociétés énergétiques canadiennes dans toute l'Afrique, et c'est bien, je suppose.
Ce que nous voulons faire ici au Canada, c'est d'adopter des lois qui favorisent la prospérité des Canadiens au pays et à l'étranger, mais parmi ces sociétés, en voyez-vous qui posent problème dans certains de ces pays. Je sais qu'une société canadienne a déjà été à l'origine d'un important soulèvement au Soudan; elle n'y est plus maintenant.
À votre connaissance, y a-t-il des sociétés canadiennes qui posent problème?
[Français]
M. Denis Tougas: Non. Mon inquiétude ne porte pas sur la présence d'entreprises canadiennes, et ce, dans quelque domaine ou pays en développement que ce soit. Nous pouvons maintenant chiffrer le problème. On dit dans l'Énoncé de la politique internationale que les investissements étrangers, entre autres ceux du Canada et des États-Unis, sont une mesure qui permet d'améliorer la coopération canadienne. J'oublie ici le terme exact qui est employé. Pour sa part, la Banque mondiale est d'avis que l'investissement international est un moteur de développement pour les pays en voie de développement. Or, il s'avère que cet argument est totalement faux dans bien des situations.
Les exemples les plus concrets que je connaisse sont ceux du Ghana et de la Tanzanie. D'importants investissements canadiens ont été faits dans le secteur minier. Or, une étude de la situation a permis de constater, plusieurs années plus tard, que ni les communautés locales ni l'État n'avaient profité de ces investissements en matière de développement. En revanche, les entreprises canadiennes avaient augmenté leurs revenus et s'étaient développées.
C'est le cas d'une petite compagnie canadienne établie au Congo nommée Anvil Mining. Tout à fait modeste à ses débuts, elle est maintenant en phase de croissance. Au Canada, on peut se féliciter lorsqu'une compagnie canadienne progresse. Or, quand on est sur place et qu'on constate dans quelle situation sont la région et le pays, on en conclut que cette situation est insensée. Aucun résultat visible ne découle du développement de cette compagnie. On ne tolérerait pas une telle chose ici.
À (1005)
[Traduction]
M. Kevin Sorenson: Ne créent-elles pas des emplois? Est-ce la mine de diamants?
[Français]
M. Denis Tougas: Qu'il s'agisse de cobalt ou d'autres produits, les compagnies offrent toutes des emplois. Je pense cependant qu'ayant étudié la révision de la Banque mondiale sur l'industrie extractive, vous avez pu constater que toutes les ouvertures réclamées qui ont eu l'aval de l'ensemble des pays africains, du moins ceux que je connais, ont fait en sorte de faciliter considérablement pour les entreprises le rapatriement de leurs bénéfices. Cela leur a permis également de maintenir des emplois occupés par des étrangers plutôt que par des gens de la région. En fin de compte, les bénéfices sont souvent insignifiants. C'est ce qu'on note dans les pays où cette situation a été documentée. Cela n'a donc pas eu d'effets positifs.
Il s'agit d'un problème moral, et non d'un problème économique relié à la prospérité du Canada.
Le président: Merci.
[Traduction]
Notre prochain témoin est un spécialiste des activités minières en Afrique.
[Français]
Je veux simplement vous dire que si en termes d'aide au développement, le Burundi n'est pas inclus dans les 14 pays africains en question, il reste que du côté des ententes bilatérales, un tiers des sommes pourraient être disponibles.
Si Mme Carolyn McAskie revient au Canada — et cela s'applique à tous les gens des Nations Unies —, on serait très heureux de la recevoir à ce comité ou au Sous-comité des droits de la personne et du développement international.
Merci beaucoup de vous être déplacés ce matin, madame Holguin et monsieur Tougas.
Nous allons faire une pause de cinq minutes.
À (1020)
Le président: Nous reprenons l'étude de l'Énoncé de politique internationale du Canada. Nous accueillons Mme Bonnie Campbell, directrice du Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique, ainsi que le professeur et chercheur de l'Université du Québec à Montréal, M. Pierre Pahlavi, de l'Institut d'études internationales de Montréal, Chaire de recherche du Canada en politique étrangère et de défense canadienne. Bienvenue.
Nous allons commencer par Mme Campbell.
À (1025)
Mme Bonnie Campbell (directrice, Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique): Je vous remercie de l'occasion que vous nous donnez de présenter notre mémoire.
Je suis professeur d'économie politique et je vais aborder les propos que j'avance sur la base de l'intérêt pour le développement international, notamment en Afrique.
Il existe à l'heure actuelle un postulat largement répandu voulant que l'investissement étranger dans les pays pauvres mène directement à la croissance économique, au développement durable et à la réduction de la pauvreté. Cette équation a inspiré diverses initiatives canadiennes visant notamment à appuyer l'Afrique. Elle s'inscrit en toile de fond sur l'énoncé de politique internationale dont on discute ce matin.
En ce qui concerne cette hypothèse, ce peut être le cas, mais cette équation est loin d'être simple. Dans des cas que nous avons étudiés et dans certaines circonstances, l'investissement dans les pays riches en ressources naturelles peut en fait alimenter des conflits violents et représenter un obstacle au développement économique et social.
Considérant l'importance des entreprises minières canadiennes en Afrique, à la fin de 2003, des sociétés de toutes tailles cotées en bourse détenaient des intérêts dans près de 550 propriétés minières de 36 pays d'Afrique. Ce nombre ne cesse d'augmenter. Le Canada est le pays qui compte le plus grand nombre de sociétés d'exploration en Afrique au monde, devant les États-Unis, l'Australie et l'Europe.
Considérant aussi le leadership largement reconnu de notre pays en matière d'industries minières sur le plan mondial et les engagements souscrits par notre gouvernement en matière de participation au développement durable et à la réduction de la pauvreté en Afrique, le Canada conserve, par le biais de sa politique étrangère, une responsabilité unique de participer à la gouvernance globale dans l'exploitation des ressources minières en Afrique, mais ailleurs également.
La reconnaissance de cette responsabilité a été éloquemment reflétée dans le 14e rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de juin 2005, qui porte sur l'exploitation minière dans les pays en développement.
La réponse du gouvernement offerte en octobre dernier nous fait faire plusieurs pas en arrière et ne peut être décrite que comme un désengagement. Cette réponse est très décevante.
La seule explication pour ce décalage entre le sérieux des recommandations et tout le travail que cela a représenté, d'un côté, et le peu d'empressement, la vision à très court terme et cette frilosité de la réponse du gouvernement serait le manque d'engagement politique réel de la part du gouvernement dans ce domaine crucial, infiniment plus important que tous nos budgets d'aide quant aux retombées humaines, économiques et environnementales ainsi que sur le plan de notre réputation internationale.
Pour illustrer cette absence de prise de responsabilités de la part de notre gouvernement, je mentionnerai très brièvement trois enjeux clés de la réponse du gouvernement, soulevés en réponse au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Premièrement, l'affirmation que la responsabilité première pour veiller à ce que les grandes entreprises respectent les lois nationales, comme répond le gouvernement, revient au pays hôte. Il serait difficile, théoriquement, d'être en désaccord. Cela paraît tout à fait raisonnable et, évidemment, cela devrait être le cas, de façon ultime.
Cependant, la réponse du gouvernement nous paraît tout à fait insuffisante à la lumière des réalités sur le terrain, des résultats de nos recherches et surtout des rapports produits et largement diffusés par les institutions financières multilatérales.
Après une vingtaine d'années d'accommodements structurels, dont un des objectifs clés était le retrait de l'État, la réduction des budgets et des interventions, c'est la Banque mondiale elle-même qui, dans certains de ses rapports qui portent notamment sur le secteur minier, nous écrit qu'après plusieurs années de réductions budgétaires, les institutions gouvernementales... Elle parlait de Madagascar, mais on pourrait dire la même chose de la Guinée, du Ghana, du Mali, etc. On a étudié ces pays. En fait, la Banque mondiale reconnaît qu'après ces années de réductions budgétaires, les institutions gouvernementales ne disposent pas des ressources humaines et financières nécessaires à l'application de la loi. La Banque mondiale l'a écrit. Il est difficile de voir comment, dans les circonstances, notre gouvernement peut dire que c'est au pays hôte que revient la responsabilité.
Comme on peut le deviner, cette situation fait que la responsabilité et la surveillance de ce qui se passe ainsi que la conformité aux normes sont confiées aux exploitants privés. Cela, parce que la capacité des États locaux à remettre en question ces pratiques n'est pas satisfaisante. À long terme, cette responsabilité devrait évidemment revenir aux gouvernements locaux et aux communautés concernées.
À (1030)
En ce sens, nous recommandons que le gouvernement soit beaucoup plus attentif à la conceptualisation des réformes des législations minières. Les incitions actuelles de ces dernières, qui visent à stimuler l'investissement privé, sont si généreuses qu'elles peuvent s'avérer incompatibles avec les objectifs de développement économique et social et la protection de l'environnement.
Nous avons publié en Suède une série d'études qui, le mois dernier, ont été repris par la CNUCED pour documenter ses travaux sur la nécessité de repenser le rôle de l’investissement étranger. Il y a donc une panoplie d'études là-dessus, et il faut être attentif à la conceptualisation des réformes des législations minières.
Deuxièmement, il nous apparaît impératif que le gouvernement reconnaisse les avantages à long terme associés au renforcement de la légitimité et de la capacité des gouvernements africains à appliquer leurs propres réglementations et à en surveiller la conformité. Le Canada doit collaborer avec les gouvernements locaux et les divers acteurs — les entreprises privées, les institutions financières et les ONG — pour mobiliser les ressources techniques et financières dont les États ont besoin pour assurer la sécurité de leurs propres populations et le développement de leur pays.
Dans ce contexte de fragilisation des États se pose la question de la responsabilité des entreprises et des Principes directeurs de l'OCDE. Disons-le clairement, les codes de conduite volontaire ne sont pas satisfaisants. En ce qui a trait aux Principes directeurs de l'OCDE, d'autres pays, comme les pays scandinaves — on en a parlé plus tôt ce matin — , se sont montrés beaucoup plus dynamiques en ce sens que le Canada, en demandant par exemple l'ouverture d'enquêtes à la suite de la réception de plaintes. Le Point de contact national de la Finlande a récemment été renforcé par la création d'un comité consultatif composé de représentants des entreprises, des syndicats et des ONG. La Suède est beaucoup plus active aussi. Le minimum auquel on pourrait s'attendre du Canada serait qu'il s'engage à développer des mesures de surveillance. Ces dernières devraient être effectives et contraignantes, en cas de conduite irresponsable sur le plan social et environnemental ou de violation des droits de la personne. Pour ce faire, il conviendrait de renforcer le rôle du Point de contact national. C'était la recommandation 3 du rapport du comité permanent.
À la suite de l'examen de l'Énoncé de la politique internationale, nous recommandons également une clarification, une formalisation et un renforcement du rôle et du mandat du Point de contact national, afin de garantir sa capacité d'agir de façon plus efficace en ce qui a trait à la surveillance, à l'évaluation et, si nécessaire, à l'introduction de mesures correctives, notamment en zone de conflit.
Le troisième enjeu que j'aimerais soulever concerne justement la responsabilité particulière du Canada en zone de conflit.
Les enjeux touchant la sécurité et les activités minières ont été documentés à maintes reprises, notamment dans une référence très intéressante de la Revue des industries extractives de décembre 2003. L'une des recommandations demande que le Groupe de la Banque mondiale n'accorde aucun soutien aux entreprises qui effectuent des activités en zone de conflit. La réponse du gouvernement du Canada en cette matière est plus que décevante. Le Canada suggère que les normes relatives à la responsabilité sociale ne permettent pas encore — combien de temps faudra-t-il attendre? — « d'élaborer un régime international complet régissant les activités des entreprises présentes dans des zones de conflit ou des États fragiles. »
Nous sommes convaincus qu'il est nécessaire, tout comme la Commission pour l'Afrique l'a recommandé pour les pays de l'OCDE, que le Canada assume ses responsabilités dans l'élaboration et la mise en oeuvre de directives claires et complètes pour les entreprises en exploitation dans les zones à risque élevé, et que ces directives soient intégrées aux Principes directeurs de l'OCDE.
Compte tenu des répercussions importantes de ces enjeux sur la réputation internationale du Canada, nous recommandons que notre Point de contact national dépose chaque année au Parlement un rapport qui fasse état des plaintes déposées, des enquêtes réalisées et des recommandations proposées. Le fonctionnement de notre propre système parlementaire doit aussi faire preuve de transparence.
Par ailleurs, deux tiers des compagnies minières cotées en bourse sont des petites sociétés minières et, selon Ressources naturelles Canada, leur nombre est en croissance. Étant donné l'importance de ces petites sociétés, définies comme ayant moins de 4 millions de dollars d'investissements dans les activités d'exploration; étant donné aussi que ces sociétés sont moins assujetties à des contrôles et qu'elles sont moins aptes à livrer des comptes publics que les grandes compagnies; étant donné enfin que ces petites sociétés ont, presque par définition, tendance à exercer leurs activités dans des zones à risques: il est donc nécessaire de mettre en place des mécanismes pour surveiller la présence des entreprises canadiennes, notamment en zone de conflit, et plus particulièrement les activités des petites sociétés minières.
À (1035)
Cette réalité exige à nouveau du gouvernement canadien un engagement clair envers la mise en place de tels mécanismes. À cette fin, nous recommandons que toute entreprise prévoyant investir dans un pays désigné comme zone de conflit devrait inclure dans son évaluation du risque les incidences potentielles de sa présence, incidences et impacts sur les droits de la personne et sur le plan humanitaire.
On considère maintenant qu'il est essentiel d'avoir un impact environnemental. Cela a pris du temps mais nous l'avons.
Quant aux impacts en matière humanitaire et sur les droits, je souligne qu'ils faisaient l'objet de la 2e recommandation du rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Pour conclure, contrairement à ce qui est suggéré dans la réponse du gouvernement au rapport du comité permanent à l'effet que, et je cite: « D'autres progrès sont nécessaires [...] avant que le gouvernement ne puisse s'engager à donner pleinement suite à ces recommandations », nous considérons que le Canada, en tant que membre actif de la communauté internationale, membre de l'OCDE, de la Banque mondiale et du FMI, se doit de jouer un rôle de leader en assumant les responsabilités que ce rôle lui impose.
Considérant l'importance des intérêts en jeu, il ne s'agit plus seulement, contrairement à ce qui est suggéré, de favoriser la responsabilité sociale des entreprises opérant à l'étranger. La réputation internationale du Canada dépend aujourd'hui de la capacité de notre gouvernement à manifester sa volonté d'assurer un suivi des investissements qu'il appuie et qu'il encourage.
À cette fin, nous demandons que les recommandations très mûries et nuancées du rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international soient acceptées dans les plus brefs délais. Nous voulons enfin souligner qu'il est nécessaire que l'Énoncé de politique internationale du Canada démontre clairement, tout en le précisant, l'engagement du Canada envers ce sujet de toute première importance.
Si tel avait été le cas, le type de réponse que le gouvernement a donné le mois dernier au rapport du comité permanent n'aurait pas été admissible. La responsabilité des entreprises, si importante qu'elle soit, ne devrait pas masquer celle de notre propre gouvernement.
Merci de votre attention.
Le président: Merci, madame Campbell.
Monsieur Pahlavi.
M. Pierre Pahlavi (chercheur, Institut d'études internationales de Montréal, Chaire de recherche du Canada en politique étrangère et de défense canadienne, Université du Québec à Montréal): Bonjour et merci.
Je vais vous parler de diplomatie publique. Il s'agit de cette branche de la politique étrangère qui avait été démantelée, oubliée, remisée au placard, au lendemain de la guerre froide. Elle effectue aujourd'hui un retour au devant de la scène avec un nombre croissant de décideurs et de responsables de politique étrangère qui considèrent qu'elle est devenue un élément essentiel dans le contexte international de la révolution de l'information et de l'interdépendance économique.
Pour les petites et moyennes puissances, elle constitue un attrait particulier, car elle offre la promesse de remédier à leur faiblesse relative, combler leur déficit de puissance brute, acquérir une influence sur la scène internationale et jouer un rôle qu'elles ne pourraient acquérir en s'appuyant exclusivement sur leurs ressources de puissances économiques et militaires.
Parmi ces puissances, le Canada commence à considérer la diplomatie publique non seulement comme un troisième pilier, ce qui est fait depuis longtemps, et comme un moyen de diffuser ses valeurs à l'étranger, mais également un moyen de servir ses objectifs stratégiques dans l'arène internationale. C'est ce qui ressort notamment à la lecture de l'Énoncé de politique internationale du Canada.
Je rappelle que la diplomatie publique, ou mass diplomacy, est cette branche de la politique étrangère qui englobe l'ensemble des programmes culturels, éducationnels, d'information et de télécommunication et qui vise à influencer les opinions publiques étrangères dans le but de créer un contexte favorable à la réalisation des objectifs de politique étrangère. D'une certaine façon, la diplomatie publique est l'alter ego de la diplomatie classique. Pour paraphraser Clausewitz, on pourrait dire que la diplomatie publique est l'extension de la diplomatie classique par d'autres moyens, ces moyens étant les satellites, l'Internet, la télévision ainsi que la participation d'alliés extérieurs issus de la sphère culturelle.
Pourquoi alors avoir davantage besoin d'une diplomatie publique canadienne qu'il y a cinq ans ou dix ans? La diplomatie de masse canadienne répond à la prise en compte du développement d'un contexte nouveau, au développement d'échanges d'informations ainsi qu'aux moyens de télécommunication, les fameux NTIC, qui sont les nouvelles technologies de l'information et de la communication.
On se rend compte aujourd'hui que l'on vit dans un environnement hypermédia saturé par les images et l'information. C'est un contexte dans lequel la politique étrangère dépend de plus en plus de la perception et des opinions publiques étrangères. Dans ce contexte, les Affaires étrangères considèrent qu'il est désormais primordial de donner, et je cite: « une visibilité accrue au Canada et de lui permettre d'être mieux entendu et compris » à l'extérieur.
Jusqu'ici, toutes les initiatives entreprises par le Canada pour défendre son image à l'extérieur se sont avérées payantes et satisfaisantes. Le Canada bénéficie aujourd'hui d'une image favorable dans le monde, et cette stratégie qui consiste à défendre une cause sur la scène médiatique devant les opinions publiques s'est avérée fructueuse. On lui impute notamment des réussites comme l'interdiction des mines terrestres antipersonnel, l'aide apportée pour mettre fin à l'utilisation d'enfants soldats ou la création de la Cour pénale internationale.
Malgré les résultats passés, on se rend compte aujourd'hui que les efforts dans ce domaine ne sont pas suffisants. On peut lire notamment, dans l'Énoncé de politique internationale du Canada, que:
Pour porter ses fruits, notre politique étrangère doit aller au-delà des bonnes intentions et des idées novatrices et ne pas compter que sur une solide réputation [...] Notre stratégie vise à mettre en place une diplomatie adaptée à la mondialisation de la planète [...] une stratégie plus solide et plus dynamique en matière de diplomatie publique afin de s’assurer que le Canada fasse clairement entendre et comprendre sa voix et ses idées, ce qui nous permettra de former les coalitions nécessaires pour atteindre nos objectifs. |
Quels sont les objectifs concrets assignés à la diplomatie publique? Le premier vise à soutenir le partenariat nord-américain, c'est-à-dire tout simplement développer l'image du Canada auprès du public américain et éviter que ne se développe un fossé psychologique entre les deux nations.
Les Affaires étrangères se sont notamment engagées à renforcer la capacité canadienne en matière de diplomatie publique, notamment en faisant en sorte que les États-Unis connaissent mieux le Canada et en représentant davantage les idées, la culture et l'innovation canadiennes. Concrètement, il s'agit d'agir sur des façonneurs d'opinions et des décideurs clés, en plus des programmes culturels, éducationnels et de télécommunications, tout en ciblant les opinions publiques américaines dans leur généralité.
À (1040)
À la lecture de l'Énoncé de la politique internationale du Canada, il ressort qu'Affaires étrangères Canada met l'accent surtout sur l'utilité sécuritaire de la diplomatie publique. Il semblerait que l'on considère la diplomatie publique comme étant un outil mieux adapté que les approches classiques fondées sur l'utilisation exclusive de la force brute militaire et économique pour appréhender adéquatement de nouveaux défis et de nouvelles menaces de nature environnementale, sociale et idéologique.
On considère notamment que la diplomatie publique peut être utile dans le traitement prophylactique des catastrophes naturelles et de leurs conséquences sur la sécurité humaine. L'idée est de fournir aux populations concernées l'information nécessaire pour les aider à réagir en temps utile à ces catastrophes afin d'en réduire les conséquences.
Le Canada agit notamment avec l'aide d'intermédiaires sur le terrain comme l'ACDI et le Fonds canadien d'initiatives locales, le FCIL. Le Canada agit également avec l'OTAN, par des programmes comme [Note de la rédaction: inaudible] qui consiste à mettre en commun les capacités technologiques pour aider à anticiper et mieux administrer les catastrophes environnementales comme les tsunamis, les tremblements de terre ou les inondations.
De la même manière, on considère que la diplomatie publique peut être utile pour la gestion des crises et des tragédies humanitaires créées par les États en déroute et les États fragiles. L'idée, encore là, est d'agir sur les variables ou les déterminants socioculturels qui accroissent ces crises, dans le but d'apporter une aide au développement de la gouvernance locale et à l'établissement d'un État de droit.
La diplomatie publique est également considérée comme un outil dans la lutte antiterroriste. Divers programmes, échanges universitaires, initiatives médiatiques et dialogues avec les sociétés civiles sont destinés à informer les populations qui seraient susceptibles d'être soumises à l'influence intégriste. L'idée est d'agir ainsi de manière préventive sur les climats psychologique et idéologique qui profitent au développement des réseaux terroristes. Au sein d'Affaires étrangères Canada, on considère qu'il s'agit de la première ligne de défense contre le recrutement des terroristes.
De manière moindre, la diplomatie publique est également considérée comme une arme de persuasion massive dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Comme le note le Département d'État américain, la mission de la diplomatie de masse dans ce domaine est d'aider à promouvoir et à renforcer les normes et les principes internationaux qui fondent les différents régimes de non-prolifération. Le Canada semble avoir opté pour une diplomatie publique multiforme.
À (1045)
[Traduction]
M. Kevin Sorenson: Veuillez m'excuser, l'interprète a de la difficulté à vous suivre, vous serait-il possible de ralentir un petit peu. C'est très bien, mais je veux m'assurer que les anglophones comprennent bien eux aussi.
Mme Beth Phinney: En avez-vous une copie?
M. Pierre Pahlavi: Oui, mais pas ici.
M. Kevin Sorenson: Oh, d'accord. Allez-y un peu plus lentement. J'ai une compagnie de vente aux enchères et vous parlez comme certains de mes encanteurs, c'est donc dire, très vite.
M. Pierre Pahlavi: C'est mon français.
[Français]
Le Canada semble donc avoir opté pour une diplomatie publique flexible et multiforme. Il mène cette diplomatie publique multilatérale dans les forums d'action internationale comme l'ONU, l'UNESCO ou l'Organisation internationale de la Francophonie.
Il s'agit de ce que les spécialistes italiens appellent une diplomatie publique « bureaucratico-entrepreneuriale », c'est-à-dire une diplomatie publique décentralisée, délocalisée qui réduit le leadership d'Affaires étrangères Canada à un minimum de coordination et qui sous-traite au maximum la mise en oeuvre des programmes à des médiateurs privés étrangers extérieurs. Il s'agit donc d'une diplomatie publique privatisée.
Le Canada a déjà pris l'habitude de travailler avec des organismes autonomes. L'idée est d'agir avec ces acteurs extérieurs, car les publics étrangers sont de plus en plus sceptiques vis-à-vis de tout ce qui est considéré comme des programmes entrepris sous la bannière gouvernementale. Par conséquent, le Canada agit avec des acteurs autonomes, comme le Corps canadien, l'ACDI, des acteurs indépendants comme Droits et Démocratie, le Centre parlementaire, Élections Canada et le Centre de recherches pour le développement international. Plus intéressant encore est le fait que le Canada ait commencé à travailler également avec des acteurs extérieurs, en appuyant des médias d'information libres et en aidant également des coalitions politiques modérées à l'extérieur.
Cette privatisation présente des avantages, et le Canada doit aller de l'avant en ce sens. Elle présente des avantages, car elle permet de tirer profit de la complémentarité des structures gouvernementales et de l'apport de ces acteurs extérieurs. Elle permet également de bénéficier de l'expérience de terrain de ces acteurs extérieurs, de tirer profit de leur expertise et, plus important encore, de leur crédibilité. On sait aujourd'hui que la diplomatie publique britannique agit notamment avec l'aide d'acteurs extérieurs comme Amnistie Internationale ou Oxfam. Le Canada doit également prendre l'habitude de travailler avec ces acteurs extérieurs, qui sont crédibles aux yeux des opinions publiques extérieures.
Passons aux recommandations. Le Canada fait énormément d'efforts dans le domaine de la diplomatie publique. Cependant, celle-ci agit toujours dans le cadre d'une structure sous-financée et héritée de la période de la guerre froide. Il y a d'abord urgence à fournir à la diplomatie publique canadienne la capacité budgétaire qu'exige son fonctionnement. La diplomatie publique canadienne porte le nom de troisième pilier, mais elle est encore aujourd'hui le parent pauvre de la politique étrangère canadienne. Elle ne dispose que de 8 p. 100 du budget total de 1,7 milliard de dollars. À titre de comparaison, l'Australie investit 10 p. 100 du budget de sa politique étrangère dans la diplomatie publique, la Grande-Bretagne, 27 p. 100, l'Allemagne, 33 p. 100 et la France, 37 p. 100. La diplomatie publique américaine à elle seule comprend l'équivalent de tout le budget de la politique étrangère canadienne.
Je vous remettrai le document contenant des recommandations plus précises, mais il y a quatre points sur lesquels il est essentiel d'insister.
Il s'agit d'abord du développement d'un leadership décisionnel, c'est-à-dire d'une agence spécialisée dans le domaine de la diplomatie publique, selon le modèle...
À (1050)
[Traduction]
Sous-secrétaire à la diplomatie publique.
[Français]
qui existe aux États-Unis.
Il est également important de développer, au sein d'Affaires étrangères Canada, un programme autonome spécialisé dans le domaine de la diplomatie publique, des organes spécialisés dans le domaine éducationnel, culturel et des organes spécialisés dans le domaine des télécommunications. Les Britanniques agissent par le biais de la BBC, et le Qatar a acquis une influence extraordinaire grâce à Al-Jazira. Le Canada ne dispose pas encore d'un organe de communication globale.
Il est également important de développer les mécanismes qui permettent de forger des alliances avec des partenaires extérieurs et de faire intervenir des spécialistes du monde des télécommunications, du marketing et des relations publiques.
Enfin, il est également primordial de mettre en place un programme d'évaluation de la diplomatie publique. Sans ce programme d'évaluation, on ne saura pas si la diplomatie publique est un programme pertinent. Il est donc urgent de mettre en place ce système de jaugeage et d'estimation.
Au cours des années à venir, le défi consistera donc à incorporer une diplomatie publique digne de ce nom dans la nouvelle architecture de la politique étrangère canadienne. Parallèlement à la reconstruction du leadership décisionnel et à la réforme structurelle des Affaires étrangères, le renforcement du troisième pilier...
[Traduction]
M. Kevin Sorenson: Ralentissez un peu afin qu'ils puissent suivre le rythme.
[Français]
M. Pierre Pahlavi: Tout simplement, la diplomatie publique canadienne porte le nom de troisième pilier. C'est un nom extrapolé, exagéré. La diplomatie publique canadienne aujourd'hui n'existe quasiment pas, il faudrait la développer. Dans un monde de l'image, dans un monde de l'hypermédia, dans un monde où ce qui se passe dans le coeur et les esprits de 7 milliards d'individus compte de plus en plus, la diplomatie publique pourrait devenir, pour le Canada, un atout majeur.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Vos derniers propos sont très intéressants. En effet, il y a quelques années, cela faisait l'objet d'une de nos recommandations dans un rapport du comité au sujet des relations canadiennes avec les pays du monde musulman. Nous voulions que le Canada soit très présent par l'entremise de Radio-Canada ou autrement, parce qu'on avait noté que c'était très insuffisant. Alors, nous approuvons cette dernière recommandation.
[Traduction]
Monsieur Sorenson, c'est à vous maintenant. Lentement.
M. Kevin Sorenson: J'ai trouvé la journé des plus intéressantes.
Je ne suis pas certain que vous soyiez tous les deux d'accord – vous n'êtes pas obligés, bien sûr.
Mme Bonnie Campbell: [Note de la rédaction: inaudible]
M. Kevin Sorenson: Vous êtes du même bâtiment, de la même université...
M. Pierre Pahlavi: En fait, nous aurions dû nous rencontrer auparavant, mais j'y suis depuis moins longtemps.
M. Kevin Sorenson: J'ai deux questions, et ensuite nous ferons un tour ou deux et peut-être que chacun de vous répondra à ces questions différemment; je ne suis pas certain... je vais y aller avec deux peut-être.
À l'intention de Mme Campbell, croyez-vous que les sociétés canadiennes puissent avoir des répercussions sociales dans les pays où elles exercent leurs activités? C'est bien en principe. En principe, dis-je bien. Je le croirais aussi.
Cinquante-trois sociétés canadiennes sont établies en Chine et, effectivement, notre gouvernement discute à l'occasion avec la Chine de ses préoccupations en ce qui concerne les droits de la personne avec la Chine. Nous parlons des violations des droits, mais comment pouvons-nous nous attendre à ce que ces sociétés aient réellement un impact sur la Chine, lorsque, par exemple, nous voyons ce qui se passe dans d'autres petits pays d'Afrique comme ceux que nous avons mentionné plus tôt... je sais que c'est à cela que vous faites songez... et nous semblons d'avis que la société Talisman devrait être un peu plus proactive. J'en ai entendu parler. Cette société n'est plus au Soudan maintenant, mais comment peut-on demander à ces entreprises d'améliorer la situation de ces pays?
Beaucoup de gens qui travaillent dans ces pays vivent dans la crainte, dans des enceintes entourées de murs hautement surveillés. Nous envoyons de l'argent par l'entremise de l'ACDI dans bon nombre de ces pays. C'est bien beau de vouloir rendre ces sociétés ou ces entreprises responsables de la manière dont les activités politiques sont menées dans ces pays, mais je ne suis pas certain que ce soit vraiment réaliste.
Monsieur Pahlavi, le Canada a obtenu des résultats formidables dans les secteurs miniers et pétroliers et dans les sables bitumineux. En fait, d'après des statistiques – je ne sais pas si c'est exact – si on comparait les exportations de l'Alberta à elle seule à d'autres pays dans le monde, cette province serait le sixième plus important exportateur. Je ne sais pas si c'est exact, mais je pense que nous ne sommes pas loin de la vérité. Ce ne sont peut-être pas les exportations à elle seule; il s'agit peut-être du pétrole qui s'y trouve, parce que nous en avons encore beaucoup dans les sables bitumineux.
Quoi qu'il en soit, ces réussites des 20-25 dernières années ont vraiment permis aux sociétés canadiennes de percer sur les marchés étrangers. Nous avons vu beaucoup de sociétés, de jeunes sociétés, d'anciennes sociétés qui ont fait d'énormes profits dans l'industrie pétrolière et gazière. Nous les en félicitons. Nous croyons que le profit est un élément positif qui donne à chacun le goût de se retrousser les manches et de tenter sa chance.
Vous l'avez dit, à juste titre, le rôle de notre gouvernement devrait être de créer un climat économique qui favorise la prospérité au pays et à l'étranger.
Nous avons des consulats, des ambassadeurs, et nous avons également des commissaires dans certains pays. Considérez-vous que leur rôle premier pourrait être de favoriser le commerce et d'établir des réseaux entre les sociétés canadiennes et certains pays, croyez-vous qu'ils pourraient être les promoteurs des approches dont parlait Mme Campbell? Ces délégués commerciaux pourraient-ils intervenir et se porter à la défense des droits de la personne et de l'environnement? Je pense que l'occasion nous est donnée d'agir au Congo et en Lybie. Vous parlez d'interventions diplomatiques, mais peut-être que ces gens pourraient assumer certaines responsabilités qui iraient de pair avec le développement de ces pays.
Peut-être aimeriez-vous faire quelques commentaires à ce sujet. Et madame Campbell, auriez-vous quelque chose à nous dire à propos de l'OMC?
À (1055)
Mme Bonnie Campbell: Effectivement.
Le président: C'est tout pour le moment.
Mme Bonnie Campbell: Je vais répondre à votre question en trois étapes.
Je pense, premièrement, qu'il est très important de faire la distinction entre la situation d'un pays comme la Chine et ceux de l'Afrique, parce que la capacité d'obtenir des investissements de l'étranger et d'en bénéficier diffère considérablement d'un pays à l'autre. Je répondrai à votre question en vous demandant dans quelles circonstances les stratégies de rentabilité contribuent-elles aux stratégies de développement de ces pays et en quoi ces stratégies de rentabilité peuvent-elles renforcer les stratégies de développement? Cela demande beaucoup de réflexion. Il n'y a pas de réponse facile, mais nous en savons plus que nous ne le laissons voir.
Les stratégies des investisseurs doivent renforcer les stratégies de développement et s'y intégrer. Leurs visées ne doivent pas être à court terme ni avoir été établies de l'extérieur; elles doivent cadrer dans une stratégie de développement à long terme. Cette approche peut être un point de départ d'une longue réflexion.
Ce que je veux dire, c'est simplement que lorsque nous parlons de contribution, nous parlons de stratégies de développement qui peuvent être renforcées ou non par la présence d'un investissement étranger. Je pense à l'étude de la CNUCED publiée en septembre, une très bonne étude sur la nécessité d'une redéfinition de l'investissement étranger. Une multitude d'enjeux clés y sont abordés et on y fait de nombreuses recommandations.
Quant au rôle des sociétés, s'il vous plaît, je voudrais être bien comprise. Les entreprises ne sont pas responsables des activités politiques de certains pays. En fait, ainsi que l'a dit un interprète récemment, leur responsabilité doit être radicalement redéfinie. On leur demande d'agir à tous les niveaux de la société. Elles ne devraient pas s'occuper de la mise en place d'infrastructures sociales. Le rôle d'une entreprise est de faire des affaires. Les États doivent se donner les moyens d'offrir des services, parce qu'ils sont capables de les offrir, et c'est ce qui les amène à rendre des comptes.
Á (1100)
M. Kevin Sorenson: Je suis d'accord avec vous, sauf que des gens viennent à mon bureau pour me parler des atrocités qui se produisent au Soudan et au Darfour, et ils ont bien raison. Nous avions une société pétrolière là-bas. « Nous avons construit des infrastructures pour avoir accès aux ressources, et maintenant, ces guérillas pourries se servent de ces infrastructures, ce qui fait que nous sommes indirectement impliqués ». C'est ce qu'on nous dit.
Quand nous revenons au pays et que nous entendons ces récits... je pense parfois que nos attentes vis-à-vis de ces gens, de ces entreprises qui investissent, qui créent des emplois, qui font tout en leur pouvoir pour que ça fonctionne sont trop élevées. Je ne pense pas que quiconque cherche à violer les droits de la personne, mais quand je reviens ici, je reçois des gens à mon bureau d'Ottawa qui cherchent à exercer des pressions parce qu'une route a été utilisée par les mauvaises personnes dans ces pays.
Mme Bonnie Campbell: Je suis d'accord avec vous. Nous devons essayer de clarifier les règles de base et c'est pourquoi nous sommes à examiner les activités de l'industrie de l'extraction, et c'est le but de la commission Blair sur le non-investissement dans les zones de conflit. Nous devons nous donner, ainsi qu'aux sociétés, de solides directives, afin que ces dernières n'investissent pas dans ces pays.
Ce qui m'inquiète, nous en avons parlé ce matin, c'est ce qu'à annoncé l'agence Reuter, il y a deux jours, à propos d'une société, dont le vice-président, une personne très aimable, Tenke, à qui j'ai parlé, pense que c'est le moment d'aller à Katanga avec Phelps Dodge, afin d'y exploiter une importante mine de cuivre et de cobalt. Cette mine, d'après l'article de l'agence, se trouve dans la région de Katanga. Nous avons parlé ce matin de ce qui se passe au Congo. L'article conclut ainsi : « ... qui est riche en or et en cuivre et sous la menace de groupes armés ». Pourquoi une société canadienne s'y est-elle rendue le 2 septembre. N'est-elle pas au courant des directives? N'y a-t-il pas de directives. C'est le problème que nous soulevons. Bien sûr, les rendements sont intéressants.
Je vais maintenant passer à un autre point. La responsabilité des entreprises doit être radicalement redéfinie. Les appels d'offres doivent être effectués dans la transparence, les entreprises doivent faire état de leurs revenus, les banques doivent revenir à des pratiques plus transparentes. Telles sont les responsabilités des entreprises. Elles n'ont pas à s'occuper de la construction des écoles, des routes, ni à offrir des services de santé, parce qu'une fois l'exploitation terminée, les gens n'ont plus ni eau ni services de santé.
En Afrique, là où les États ont été affaiblis, nous ne pouvons garantir que l'entrée de capitaux renforcera les stratégies de développement à long terme. Laissez-moi vous donner un dernier exemple de ce qui se passe en Afrique de l'Ouest.
Le gouvernement nous dit que les investissements étrangers entraîneront la croissance et réduiront la pauvreté. Je fais une étude pour Oxfam actuellement sur ce qui se passe au Burkina Faso et au Mali. Ces pays produisent du coton, mais vu la situation dans ce secteur – et ceci nous amène à la question de l'OMC – ils exploitent maintenant les mines d'or, un minerai dont la valeur d'exportation dépasse maintenant celle du coton.
Le Mali a adopté des lois – et le Burkina Faso lui a emboîté le pas – pour attirer des capitaux étrangers. Des investissements ont été effectués dans les mines d'or. Trois milles emplois ont été créés. Le coton en créait trois millions. Ces investissements ont également eu pour effet de démanteler les sociétés cotonnières, en raison des réformes qu'il a fallu introduire, de la privatisation des sociétés cotonnières qui, soit dit en passant, avaient donné de très bons résultats, et c'est dans les zones du coton qu'il y avait eu réduction de la pauvreté.
Je n'en dirai pas plus, si ce n'est que les objectifs du Millénaire pour le développement serviront maintenant d'assise à nos cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté. Que se passe-t-il dans ces deux pays? En 1999, le Mali occupait la 153e place sur l'indice du développement humain. Le pays performe bien selon cet indice, mais en 2002, il a connu un recul, passant au 174e rang au classement. Le Burkina Faso, qui occupait la 159e place, est maintenant au 175e rang. Les sociétés paragouvernementales de coton du Burkina Faso étaient extrêmement rentables, et les coûts de production peu élevés. Cette industrie a été démantelée et on a demandé au pays de produire de l'or.
Aucun contrôle n'est exercé sur le rythme de production de l'or actuellement au Mali. En fait, on procède par ce qu'on appelle communément de l'écrémage; les sociétés exploitent en surface et quittent les lieux avant la fin de la période d'exonération fiscale, soit après cinq ans. Elles quittent comme elles l'ont fait à Syama... et quand elles partent, il n'y a ni école, ni service de santé, ni eau. C'est là que se situe la responsabilité sociale des entreprises. Si les priorités ne sont pas mises à la bonne place, lorsqu'elles se retirent il n'y a plus rien.
Nous devons revenir aux principes de base. Les États ont la responsabilité de s'occuper du bien-être social de la population et c'est ainsi qu'ils acquièrent toute leur légitimité, qu'ils adoptent des pratiques transparentes et qu'ils instaurent des régimes démocratiques. Les réformes que nous proposons actuellement au nom de l'ouverture à l'investissement privé ne permettent pas à ces pays d'acquérir de la légitimité et de se comporter de manière responsable vis-à-vis des populations.
Á (1105)
M. Kevin Sorenson: Je sais que j'ai très peu de temps et je veux lui répondre aussi, mais d'après ce qu'a dit Mme Campbell, nous n'avons qu'une société ou deux au Mali, n'est-ce pas?
Mme Bonnie Campbell: Nous en avons plusieurs; j'ai les chiffres. Je pense que des entreprises canadiennes sont actuellement actives dans 20 endroits différents.
M. Kevin Sorenson: D'accord. Je sais que dans le secteur de l'énergie, nous n'en avons que deux.
Mme Bonnie Campbell: Une note en bas de page : L'or au Mali, d'après les chercheurs... Nous avons des chiffres selon lesquels les ressources en or ne seront pas très abondantes d'ici 2013 et nous faisons l'exploration de gisements de pétrole actuellement au Mali et dans les environs. On sait que l'industrie pétrolière n'est pas un facteur de réduction de la pauvreté.
M. Kevin Sorenson: Mais je suis allé en Lybie avec le premier ministre et une centaine de sociétés canadiennes y étaient pour répondre à des appels d'offre – je parle d'« appels d'offres » – et la plupart de leurs soumissions étaient rejetées. J'écoute tout cela et je me demande si en fait... Nous devons nous faire valoir pour accéder à certains de ces pays. Il ne suffit pas d'acquérir des droits de mines ou d'exploration; il faut faire des soumissions en vue d'obtenir un contrat. Généralement, le pays retient le plus bas soumissionnaire. Nous avons parfois les mains liées et les entreprises ne peuvent faire ce qu'elles veulent, parce que...
Une voix: Je ne crois pas que vous considériez ces choses comme étant problématiques... [Note de la rédaction: Inaudible]
Mme Bonnie Campbell: Monsieur Sorenson, les pays d'Afrique dont nous parlons ne sont pas en mesure d'appliquer une réglementation. C'est pourquoi lorsque le gouvernement dit que c'est la responsabilité des gouvernements hôtes, nous répliquons que ce n'est pas si facile, qu'il se dérobe à ses responsabilités politiques dans certains cas.
Je suis tout à fait d'accord avec vous qu'il puisse y avoir un processus d'appel d'offres en Chine et en Lybie . Ce n'est pas un processus ouvert et il n'y a pas de mal à cela. Ce qui nous préoccupe, ce sont les conséquences des investissements étrangers sur le développement dans des pays qui ne sont pas en position – parce qu'ils n'ont pas l'espace politique nécessaire ni n'ont la capacité, ainsi que la Banque mondiale l'a constaté – d'appliquer leur propre réglementation. La mondialisation ne peut être laissée sans gouverne, parce que nous nous retrouvons face à toutes sortes de situations extrêmement regrettables. Les chercheurs qui se trouvent en Afrique apprennent dans des conférences universitaires que telle ou telle entreprise au Mali ou au Ghana pose problème et les histoires d'horreur ne cessent de croître.
Le président: Madame Phinney.
Á (1110)
Mme Beth Phinney: J'aimerais que vous sachiez, madame Campbell, que je suis 100 p. 100 d'accord avec ce que vous dites. Je pense que notre gouvernement est responsable d'établir certaines normes à l'égard des entreprises qui font des affaires à l'étranger. J'aimerais signaler à ma collègue que si les entreprises canadiennes – et nombreuses sont celles qui se comportent maintenant en bons citoyens corporatifs – qui sont actifs au sein des collectivités, qui paient et donnent en retour pour ce qu'elles ont obtenu des collectivités, que ce soit par des dons de charité ou en incitant leur personnel à appuyer les organismes caritatifs... Ces mêmes principes peuvent être appliqués dans d'autres pays. Je ne vois absolument pas pourquoi nous n'établirions pas les normes d'ici aux entreprises qui font des affaires à l'étranger. Voilà ce que je voulais vous dire.
J'ai une question ou deux à poser à M. Pahlavi.
D'abord, vous avez mentionné que nous avons maintenant des actionnaires de l'extérieur dans le secteur dont vous avez parlé. J'aimerais savoir qui sont ces actionnaires. Vous avez mentionné certaines stations de radio, je crois; je ne suis pas sûre. J'aimerais que vous répondiez à cette question.
Vous avez dit que nous consacrons 8 p. 100 de notre budget dans ce secteur, que la Grande-Bretagne y consacre 25 p. 100, la France, 37 p. 100. Quelle est la contribution des États-Unis?
M. Pierre Pahlavi: Elle est d'environ 10 p. 100 actuellement. Elle n'est pas si élevée, mais c'est relatif : dans les affaires militaires, elle est encore élevée. Le budget des États-Unis consacré à la diplomatie publique n'est pas si considérable, mais si l'on tient compte de ses dépenses sur le plan militaire, en termes absolus, il est assez élevé.
Mme Beth Phinney: Est-ce à dire qu'ils pourraient séparer la diplomatie publique...
M. Pierre Pahlavi: Non, je dis simplement que le budget des États-Unis consacré aux affaires étrangères peut sembler assez mince, mais en termes absolus, il est important.
Mme Beth Phinney: D'accord.
Le but est de tout cela est de faire passer le message. Parfois cela fonctionne et parfois cela ne fonctionne pas. Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet également?
M. Pierre Pahlavi: Si vous me permettez, je les ferai en français.
[Français]
C'est absolument vrai. À partir du moment où on diffuse un message à l'extérieur, on ne connaît pas l'impact qu'il aura; on n'en connaît pas la conséquence à l'extérieur. C'est la même chose dans le cas des firmes privées: une campagne publicitaire peut nuire à l'image de marque d'une firme. Cependant, Joseph Nye, qui est spécialiste en soft power, a bien fait remarquer que l'image négative est beaucoup plus grande quand ce message n'est pas contrôlé. Par exemple, Coca-Cola a beaucoup nui à l'image des États-Unis à l'extérieur, dans certains pays comme l'Iran et l'Arabie Saoudite. À partir du moment où ce message est plus encadré et coordonné, on est plus à même d'en contrôler l'impact. On ne parle pas d'un contrôle gouvernemental absolu, mais simplement d'une réorientation, d'une rediffusion dans ce sens.
Quant à savoir quels sont les partenaires à l'extérieur du Canada, il y a énormément d'ONG canadiennes et des ONG locales. Il y a également des chaînes de médias, comme vous l'avez dit. Cela peut être multiforme. Il peut même y avoir l'Organisation internationale de la Francophonie. TV5 est un exemple de la manière dont le Canada peut diffuser son image par le biais d'un organe qui ne lui appartient pas officiellement. C'est un forum qui appartient à plusieurs pays et qui peut permettre au Canada de diffuser son image. Il est bien entendu que le contrôle est moins grand, mais la crédibilité est meilleure, dans le sens où ce n'est pas le message officiel du Canada.
Le président: Merci.
Monsieur Pahlavi, vous avez parlé de la diplomatie de masse et la diplomatie publique. De quelle façon pourrait-on pratiquement remédier au fossé psychologique entre le Canada et les États-Unis?
Madame Campbell, vous avez parlé du Mali ainsi que du Burkina Faso, où nous sommes passés de la culture du coton à la recherche des mines d'or. En raison des subventions européennes et des États-Unis, il n'y a plus de marché pour le coton. On parle d'une région qui compte 3 millions d'habitants. En raison du fait que le Mali et le Burkina Faso sont passés de la culture du coton à la recherche des mines, avez-vous remarqué une augmentation de la violence, comme cela se produit dans d'autres pays et dans la région des Grands Lacs lorsque les compagnies minières étaient présentes?
Á (1115)
M. Pierre Pahlavi: Pour ce qui est du fossé psychologique entre les États-Unis et le Canada, ce dernier a déjà mis en place différents programmes, entre autres des programmes classiques de la diplomatie publique, c'est-à-dire des programmes d'éducation, des échanges culturels, des échanges d'étudiants, des échanges de chercheurs. Il y a également des programmes de télécommunications, lorsque c'est possible de placer une annonce pour agir massivement sur la population. Il y a aussi des actions plus ciblées, qui sont dirigées vers les façonneurs d'opinions et les décideurs clés.
Le président: D'accord, merci.
Madame Campbell.
Mme Bonnie Campbell: Pour répondre à votre question au sujet de la violence, je dirais que de façon indirecte, les effets sur l'environnement, la société et la santé ne sont pas maîtrisés. Nous recevons beaucoup d'information à savoir que les effets sont très néfastes. Des gens ont été déplacés. Dans ces cas, nous n'avons pas d'information quant à leur résistance, comme cela arrive souvent.
Il y a une semaine, quelqu'un qui revenait du Ghana nous a dit qu'il y avait de plus en plus de militarisation des activités minières dans certaines régions du pays, parce que les communautés plus anciennes résistent. Au Mali, le phénomène est plus récent.
Quant aux retombées socio-environnementales, les informations concernant les effets sur la santé des populations sont des plus inquiétantes. Cependant, je ne peux en parler, parce que rien n'a encore été prouvé.
Le président: Merci.
[Traduction]
Madame Phinney, vous aviez une question
Mme Beth Phinney: J'aimerais simplement mettre fin à la discussion sur une note positive.
Existe-t-il des entreprises canadiennes qui se comportent en bons citoyens corporatifs à l'étranger?
Une voix: Nous en avons des centaines.
Le président: Effectivement, il y en a.
Mme Beth Phinney: Je ne sais pas s'il y en a des centaines. Peut-être y en a-t-il dont nous n'entendons pas parler?
Mme Bonnie Campbell: Oui, bien sûr qu'il y en a. Mais il y a aussi des entreprises qui créent des problèmes. Nous sommes convaincus qu'il existe des moyens de les régler si nous ne nous défilons pas. Je pense que le gouvernement a la responsabilité d'intervenir là où aucun contrôle n'est exercé.
Mme Beth Phinney: Je voulais simplement signaler qu'il y en a.
[Français]
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons nous arrêter quelques instants.
Á (1120)
Le président: Nous reprenons maintenant l'examen de l'Énoncé de la politique internationale.
Les témoins suivants sont le directeur général de la Fondation canadienne des droits de la personne, M. Ian Hamilton, ainsi que le professeur Sami Aoun, de l'Université de Sherbrooke.
Bienvenue. La parole est à vous, messieurs.
M. Ian Hamilton (directeur général, Fondation canadienne des droits de la personne): Merci.
Je vais parler en anglais.
[Traduction]
Monsieur le président et honorables députés, je voudrais vous remercier de m'avoir invitée à comparaître devant votre comité ce matin.
Je représente la Fondation canadienne des droits de la personne et il me fait plaisir de partager avec vous certaines de nos réflexions sur l'Énoncé de la politique internationale. J'aimerais, pendant le peu de temps que je dispose, faire trois choses : donner un bref aperçu des 38 années consacrées à la formation en droits de la personne, au Canada et à l'étranger, partager notre vision du rôle que devrait jouer le Canada dans le monde et faire certaines recommandations en ce qui a trait à l'Énoncé de la politique internationale.
Comme vous le savez peut-être, la Fondation canadienne des droits de la personne a été établie à titre d'organisation non gouvernementale à but non lucratif en 1967 par un groupe de juristes et d'activistes, dont John Humphrey, un illustre Canadien et l'un des rédacteurs du texte original de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Au cours de notre longue histoire, nous n'avons cessé d'orienter nos efforts sur la formation en droits de la personne, afin de mettre en place une culture mondiale des droits de la personne.
J'ai le plaisir de vous annoncer que notre conseil d'administration a récemment approuvé un nouveau nom pour notre organisation. Lorsque Industrie Canada aura approuvé l'amendement de nos lettres patentes, notre organisation s'appellera Equitas International Centre for Human Rights Education. Ce nouveau nom nous aidera à mieux communiquer la véritable nature et la portée de notre travail de formation en droits de la personne, au Canada et à l'étranger, en nous fondant sur les principes d'équité, de justice, de démocratie et de paix.
Nous ne sommes pas un organisme de surveillance comme le groupe Amnistie internationale ou Human Rights Watch. Nous visons plutôt, en collaboration avec notre personnel à Montréal et nos partenaires du monde entier, à élaborer et à offrir des programmes de formation qui permettront à d'autres organisations de défense des droits de la personne d'améliorer l'efficacité des moniteurs, des militants et des éducateurs. Notre programme de formation en droits de la personne qui aura bientôt 27 ans réunit à Montréal, bon an mal an, plus de 120 participants en provenance de plus de 60 pays. Outre notre programme canadien, nous offrons également des programmes de formation spécialisés en Afrique, en Asie, en Europe centrale et en Europe de l'Est, et d'ici la fin du mois, nous lancerons un nouveau programme qui s'adressera à l'Iraq et au Moyen-Orient.
Nos évaluations régulières et nos déplacements à l'étranger nous ont permis de constater que ces programmes donnent d'excellents résultats. Les organisations avec lesquelles nous travaillons ont davantage confiance en elles et sont devenues plus efficaces. Dans un certain nombre de pays, nos partenaires ont joué un rôle déterminant dans les importants changements apportés sur le plan politique et législatif.
Voici brièvement trois exemples. En Thaïlande, nos partenaires ont joué un rôle actif dans la création d'une nouvelle commission nationale sur les droits de la personne. Au Kenya, nos partenaires ont participé à une campagne visant à ce que le gouvernement adopte une loi sur l'accès universel à l'éducation primaire et elle a donné de très bons résultats. Plus récemment, en Indonésie, nos partenaires ont défendu avec succès la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
De plus, nous sommes devenus le centre névralgique d'un réseau mondial de milliers d'anciens étudiants qui collaborent activement à la prestation des programmes de formation en droits de la personne, partout dans le monde.
Il faut comprendre que ce travail visant à donner les moyens de régler des problèmes exige un engagement à long terme. Les défis sont énormes, mais le Canada a les ressources et l'expertise pour véritablement changer les choses.
Comme vous le savez, la promotion des droits de la personne et de la gouvernance démocratique est un pilier de notre politique étrangère depuis des décennies. C'est un secteur où le Canada a indéniablement quelque chose à offrir au monde. Le Canada mérite sa réputation de défenseur des droits de la personnes, des valeurs démocratiques et de paix et les Canadiens peuvent être fiers de ces accomplissements.
La défense et la promotion vigoureuses des principes relatifs aux droits de la personne font en sorte que la politique étrangère canadienne reflète les valeurs canadiennes et contribue à notre prestige et à notre influence à l'échelle internationale. Dans le monde actuel, la promotion des droits de la personne doit être envisagée comme une stratégie essentielle qui contribuera à l'élimination de la pauvreté et des conflits, de même qu'à l'établissement de la prospérité, de la paix et de la sécurité dans le monde, et cette approche permettra non seulement l'instauration d'une bonne gouvernance, mais aussi d'une gouvernance démocratique.
Il y a un an, nous avons envoyé une lettre au premier ministres – vous trouverez une copie de cette lettre dans les trousses qui vous ont été distribuées – cosignée par Amnistie internationale, le Conseil canadien pour la coopération internationale et les initiatives canadiennes oecuméniques pour la justice et Droits et démocratie. Dans cette lettre nous faisons valoir que les droits de la personne doivent demeurer la priorité des relations du Canada à l'étranger et qu'ils doivent être intégrés à tous les niveaux des relations internationales canadiennes, y compris le commerce international, les investissement à l'étranger et les politiques financières.
Á (1125)
J'aborderai maintenant l'Énoncé de la politique internationale. Je dois dire avec regret que même si la protection des droits de la personne demeure une préoccupation dans le nouvel énoncé, on n'y accorde pas la même importance que dans les énoncés politiques antérieures, notamment dans l'énoncé intitulé Le Canada dans le monde.
J'aimerais également mentionner que cette décote se reflète dans certaines de nos dernières expériences de travail avec l'Agence canadienne de développement international.
La stratégie de développement durable adoptée en 2004 par l'ACDI reconnaît le lien entre les droits de la personne et le développement, mais cette stratégie ne trouve toujours pas écho dans la programmation de l'Agence. Nous sommes particulièrement inquiets de voir que dans les pays comme l'Indonésie et le Rwanda où les droits de la personnes sont tragiquement bafoués, les programmes axés sur les droits de la personne de l'ACDI ont carrément été éliminés. L'engagement dans les programmes axés sur les droits de la personne ne devrait pas être laissé à la discrétion des particuliers. Vu l'importance primordiale des droits de la personne dans le processus de développement, il faudrait en faire un thème transsectoriel et qu'il soit présent dans tous les programmes d'aide offerts par l'ACDI dans les pays en développement et les pays en transition, et les budgets devraient être alloués en conséquence.
Un autre point important de l'énoncé de la politique privilégie une plus grande concentration des pays. Nous reconnaissons le bien-fondé d'accorder la priorité à certains pays et nous comprenons qu'il faille travailler et investir dans les États renégats ou en sérieuse difficulté, mais nous estimons que l'énoncé de politique n'a pas proposé de mécanismes ni de stratégie clairs sur la manière dont le Canada interviendra dans les pays qui ne sont pas couverts par ces priorités. Surtout, il est important d'élaborer des mécanismes pour appuyer les programmes visant à renforcer les droits de la personne et les gouvernements démocratiques dans les pays non prioritaires et de tenir compte des initiatives locales mises en oeuvre dans ces pays.
J'aimerais signaler que ces programmes ne nécessitent pas toujours des investissements à grande échelle. Comme le veut l'adage, « vaut mieux prévenir que guérir ».
Cela vaut tout particulièrement pour l'Asie centrale. Dans notre exposé présenté devant le comité le 13 avril 2000, nous avons fait valoir l'importance du soutien canadien des droits de la personne en Asie centrale. Compte tenu de la fragilité de cette région et de son importance stratégique, l'engagement canadien est maintenant plus important que jamais.
Le dernier point que j'aimerais soulever relativement à l'énoncé de la politique a trait à l'importance des partenariats et des mécanismes adaptés. Les organisations de la société civile canadiennes et locales ont énormément d'expérience et d'expertise pour assurer l'efficacité des investissements du gouvernement dans la promotion des droits de la personne. Le rôle important qu'elles jouent devrait être renforcé par l'entremise de l'Énoncé de la politique internationale.
Beaucoup d'organisations canadiennes engagées dans la promotion des droits de la personne, nous compris, recevons l'appui de la Direction générale du partenariat canadien de l'ACDI. Il importe, lorsque nous établissons de nouveaux mécanismes, comme le programme Solidarité Canada, de renforcer les mécanismes existants qui se sont révélés efficaces.
Le Canada doit également adapter ses interventions d'aide à l'étranger en fonction des besoins. Au cours des dernières années, l'ACDI n'a pas offert autant de mécanismes pour l'élaboration de programmes adaptés. Ainsi, le gouvernement étouffe les occasions d'innover proposées par la société civile. Peu importent les mécanismes que l'ACDI choisira d'établir, il importe qu'ils soient mis en place pour réagir rapidement aux idées innovatrices qui viennent de la société civile.
En conclusion, si le Canada veut miser sur sa tradition et son expérience dans le secteur des droits de la personne et de la gouvernance démocratique et ne pas se contenter de s'asseoir sur ses lauriers, la politique internationale canadienne devrait explicitement faire des droits de la personne une priorité transsectorielle. Un mécanisme approprié doit être mis en place et être renforcé, afin de mobiliser l'expertise et les idées novatrices de la société civile, au Canada et dans les pays partenaires.
Je vous remercie de votre attention et j'espère avoir l'occasion de poursuivre cette discussion durant la période de questions et réponses.
Merci beaucoup.
Á (1130)
Le président: Merci, monsieur Hamilton.
Passons maintenant à monsieur Sami Aoun, s'il vous plaît.
[Français]
M. Sami Aoun (professeur de sciences politiques, Université de Sherbrooke): Monsieur le président, je suis ravi d'être parmi vous. C'est un privilège pour moi de témoigner devant vous, honorables membres du comité.
Je vais regrouper mes remarques en trois parties. Cela consistera d'abord à souligner quelques points forts, puis à souligner quelques points à consolider, et enfin, à souligner quelques points qui demeurent ignorés ou occultés.
Pour ce qui est des points forts, disons que nous sommes ravis de voir que l'énoncé comporte malgré tout quelques points de repère fort intéressants. C'est une bonne boussole ou, comme le disent les journalistes et les gens de la radio, une bonne feuille de route. Il nous permet de nous faire une idée de ce que prévoit faire le Canada, à tout le moins au cours des prochaines années. J'ai relevé un autre point fort, à savoir que l'énoncé constituait une bonne grille de lecture. Je ne veux pas dire par là que tous les éléments y sont, mais le document nous permet d'analyser l'état du monde au XXIe siècle.
L'effort d'intégration et de cohésion qui caractérise cet énoncé est le deuxième point fort que j'y ai noté. On cherche à en finir avec le compartimentage un peu malheureux qui a dominé l'ensemble de nos politiques. On parle ici d'une autre vision du monde. Cette volonté de cohérence représente à mon avis un effort louable et une amélioration en termes de qualité.
Le troisième et tout aussi important point fort que j'ai noté est ce bon arrimage entre l'idéal identitaire et la politique étrangère du Canada. Au moins, on constate cette fois-ci un certain nivellement vers le haut pour ce qui est de l'affirmation identitaire canadienne. Cette dernière est fondée sur le droit à la différence, la liberté, l'égalité au sein de la citoyenneté et la promotion de ces valeurs à l'extérieur du pays. Cela fait certainement du Canada une puissance douce, c'est -à-dire une autorité à la fois morale mais non interventionniste, qui n'est ni imprégnée d'impérialisme ni tentée par le colonialisme. Heureusement, cette autorité morale tend davantage à être proposée qu'à être imposée. Je crois qu'il s'agit là d'un point très intéressant.
En outre, j'ai remarqué qu'à la suite des événements du 11 septembre, on avait réussi, avec malgré tout quelques hésitations, à bien concilier l'approche de M. John Manley, soit la priorisation de la sécurité, et celle de M. Axworthy, qui porte sur la sécurité humaine. C'est d'autant plus louable que la menace, même si on ne la dramatise pas, est réelle et non fictive. Ce nouvel arrimage, qui est intéressant, rendra à mon avis la diplomatie canadienne plus efficace.
J'inclus dans les points forts le fait qu'on réhabilite le diplomate. Au cours des dernières années, on considérait malheureusement le diplomate davantage comme un placier ou un commissionnaire que comme la personne qui exprime la vision, l'âme et les intérêts du Canada de façon articulée. Heureusement, le diplomate a repris un rôle central, ce qui est intéressant. J'espère que cette directive sera réellement prise en considération.
Pour ce qui est des quelques points à consolider, je dirai qu'il y a toujours lieu de poser un regard critique sur la militarisation du monde, ce phénomène intégré aux relations internationales. Dans le cadre de ces relations, il faut voir si la militarisation des États se fera dans un monde westphalien ou dans un contexte qui dépassera ce stade. À cet égard, je crois que l'énoncé devrait reprendre quelques idées relatives à l'interventionnisme canadien. L'approche devrait à mon avis prioriser la démocratie, les droits de la personne, la négociation, la médiation et, surtout, la réhabilitation de la diplomatie. Je sais qu'à cet égard, il y avait quelques éléments à souligner, mais ceux-ci n'étaient pas au centre des préoccupations abordées dans l'énoncé.
Á (1135)
Si vous le permettez, je vais maintenant parler de quelques domaines occultés. Je ne sais pas si ce problème est attribuable à l'expert dans ce domaine, mais je constate que le monde islamique a été occulté. Je comprends tout à fait qu'on ait mis l'accent sur l'Inde, la Chine et le Brésil. Je trouve cela pertinent et avisé. Toutefois, n'oublions pas que malgré ses problèmes internes et externes, le monde de l'Islam compte quelque 1,3 milliard de personnes. En outre, les membres des diasporas musulmane et arabe qui sont établis au Canada sont passablement actifs, ce qui est sans aucun doute un avantage. Il est vrai que le monde musulman est aujourd'hui sous tutelle, qu'il est un champ de bataille et un lieu de règlements de comptes. Par contre, il est vrai également qu'il pourrait devenir pour l'Amérique du Nord en général et pour le Canada en particulier un des plus intéressants partenaires qui soit. C'est pourquoi je suggère qu'on pose un regard différent sur la situation. On parle des États [Note de la rédaction: inaudible], mais on devrait aussi mettre l'accent sur les États-bourreaux, les États dictatoriaux et les oppressions.
Il serait bon de mettre en évidence un rôle que la diplomatie canadienne pourrait jouer auprès des forces libérales, démocratiques, rationalistes et modernistes qui se trouvent au sein de ces sociétés musulmanes, à savoir les accompagner sans nécessairement exercer des pressions sur elles. J'espère n'offenser personne en disant que ces leaders et ces penseurs se sentent orphelins. Ils se sentent coincés entre l'étau que sont pour eux leur État oppresseur et l'hégémonie agressive américaine. Dans ce contexte, personne ne les aide à prendre la parole ou à contribuer à des décisions. Ils sont nombreux à être dans cette situation. Dans le monde musulman, l'effort déployé à l'égard de la démocratie et de la raison d'État est quand même louable, mais on a besoin d'un coup de pouce de la part de la diplomatie canadienne.
Un autre phénomène est également occulté, selon moi. Comment le Canada pourrait-il s'acquitter de tout cela sans toutefois faire cavalier seul? Il s'agirait entre autres de faire appel aux autorités des Nations Unies, aux ligues et associations pour les droits de la personne. Là-bas, certaines autorités politiques régionales ne respectent pas leur mandat, à savoir combler le fossé entre les riches et les pauvres. Il semble qu'en matière de gestion, ces personnes abandonnent leurs responsabilités. On voit donc à la fois une richesse honteuse et une misère abjecte.
Malgré le fait que ma lecture ait été un peu rapide, j'aimerais aborder un autre point, qui me semble lui aussi occulté. Il s'agit du rôle des diasporas en général et de celui des diasporas musulmane et arabe ici, au Canada. Il faut les aider à passer de la consultation à la participation. Je crois que l'énoncé est muet à ce sujet. II serait très intéressant de voir comment ces membres de la diaspora pourraient procéder à une intégration réfléchie et volontaire. En outre, dans le cadre de la politique étrangère du Canada, ils pourraient devenir un rouage important en matière de prise de décision .
Je me trouve présentement devant des politiciens, qui sont aussi des décideurs. Je vous dirai donc, pour conclure, que tout repose sur l'équilibre qui existe entre le bon vouloir et le pouvoir réel du Canada. Je crois que cet équilibre est possible. La question primordiale n'est pas l'image du Canada, mais l'efficacité de sa diplomatie.
Je vous remercie infiniment.
Á (1140)
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer aux questions.
Monsieur Sorenson.
[Traduction]
M. Kevin Sorenson: Je vous remercie de votre présence.
Je n'ai pas beaucoup de questions, mais j'aimerais d'abord mentionner le fait que notre comité, il y a deux ans peut-être, a réalisé une étude assez exhaustive sur les relations entre le Canada et le monde musulman. Je crois même que M. Aoun nous en a glissé quelques mots. Ce rapport est excellent; il précise le rôle des musulmans dans le monde et l'influence qu'ils exercent sur la politique canadienne et sur le rôle que doit jouer le Canada.
J'aimerais rapidement poser une question à M. Hamilton. Croyez-vous que l'ACDI doive verser de l'argent à la Chine qui a une très forte économie? Nous entendons parler de la Chine chaque fois que le premier ministre ou quiconque voyage à l'étranger. Nous, membres de l'opposition, demandons au premier ministre s'il a ou non eu l'occasion de soulever la question des droits de la personne avec les dirigeants de la Chine. À peu près tous les mois, nous pouvons être certains que les adeptes du Falun Gong viendront au Parlement et sur la Colline pour nous faire part de leurs préoccupations, tout comme d'autres viendront pour soulever la question du Tibet et d'autres enjeux.
Croyez-vous que l'ACDI doive verser de l'argent à la Chine dont l'économie est forte actuellement? Combien d'argent votre organisation a-t-elle reçu de l'ACDI?
Á (1145)
M. Ian Hamilton: Je vous remercie d'avoir posé ces questions.
Je crois que je vais d'abord répondre à la dernière. Nous recevons du financement uniquement en fonction des projets que nous présentons; nous soumettons donc des propositions et nous recevons les fonds en conséquence. Notre plus importante source de financement est encoure aujourd'hui l'ACDI. Nous recevons de 1,2 million à 1,4 million de dollars par année de cette agence.
M. Kevin Sorenson: Quelle doit être l'importance d'un projet pour qu'il puisse être considéré?
Avez-vous un plan général de ce que vous allez faire l'an prochain? Combien de projets prévoyez-vous mettre en oeuvre?
M. Ian Hamilton: Actuellement, la plus importante contribution de l'ACDI provient du programme international de formation en droits de la personne. En gros, cela représente un million de dollars par année. Ce programme nous permet d'accueillir quelque 20 activistes des droits de la personne à Montréal pour une formation étalée sur trois semaines et nous prévoyons un suivi des activités, c'est-à-dire que nous les accompagnons une fois qu'ils sont de retour dans leur pays, afin d'assurer que la formation est mise en pratique.
Le programme que nous sommes sur le point de lancer au Moyen-Orient s'échelonnera sur trois ans et le budget sera d'environ deux millions de dollars. Nous attendons l'accord de financement. Je crois que c'est un bon exemple des engagements du Canada envers le monde musulman.
Je suis inquiet, comme je l'ai mentionné plus tôt, de la situation en Indonésie, un autre pays musulman pour lequel nous avons obtenu du financement de l'ACDI, mais conformément à sa nouvelle politique et la nouvelle structure des programmes de développement, le volet des droits de la personne a été éliminé.
Quant à votre première question au sujet de la Chine, nous recevons des participants de la Chine à notre programme de formation à Montréal depuis 1995. Nous avons remarqué des changements depuis. Cette initiative favorise certainement une plus grande ouverture. Au tout début, nous sentions une très forte résistance, mais maintenant, nous sentons une véritable ouverture et les participants semblent mieux disposés à souscrire à ce que nous faisons dans le cadre de ce programme.
Je crois qu'il est important de continuer à sensibiliser la Chine aux enjeux liés aux droits de la personne. En fait, cette semaine justement, nous avons accueilli une délégation de membres du Comité mixte Canada-Chine des droits de la personne et nous avons rencontré quelques représentants du gouvernement et des universités.
Je pense que le Canada a un rôle à jouer et quelque chose à offrir en ce qui touche la promotion de la transition vers la démocratie. Compte tenu de la puissance économique de la Chine, je ne crois pas que ces initiatives exigent des investissements faramineux, et je pense qu'il est encore aujourd'hui très important d'appuyer les échanges d'expériences et de soutenir certaines organisations des droits de la personne qui commencent à prendre leur essor en Chine.
Le président: Madame Phinney.
Mme Beth Phinney: Je n'ai pas de question.
M. Kevin Sorenson: Puis-je revenir alors à M. Aoun très rapidement?
Le président: Oui, bien sûr.
M. Kevin Sorenson: Croyez-vous que l'islam fait suffisamment d'efforts pour promouvoir certains droits de la personne? Nous parlons toujours de ce que fait le Canada. Nous savons que le monde islamique a subi un véritable choc après le 11 septembre. Beaucoup d'entre eux ont eu le sentiment de faire l'objet de stéréotypes, d'être d'emblée considérés comme des partisans du terrorisme et nous savons que c'est faux. Nous savons que l'islam est une religion pacifique, mais certains segments ne le sont peut-être pas. Croyez-vous que l'islam en fait assez?
Prof. Sami Aoun: Non, pas du tout.
[Français]
Je ne crois pas que l'ensemble de l'espace musulman fasse assez d'autocritique. Il y a une mentalité de déni qui est toujours là. On utilise malheureusement la religion et ses principes, ce qui cause un dérapage. Mais cela provoque aussi, ce qui est peut-être positif, un débat sur les grandes idéologies chez les musulmans et les penseurs. Le débat tourne autour de cette question: en fait-on assez? Les sociétés musulmanes, les États musulmans et les pouvoirs musulmans en font-ils assez pour améliorer, pas nécessairement l'image, mais les interprétations de leurs principes de base et leurs valeurs, et pour les concilier avec les valeurs de la modernité ou avec ce que la mondialisation véhicule comme menaces et comme espoirs?
Il y a un débat profond sur ce qu'on appelle libérer l'Islam de sa prise d'otages. L'Islam a été pris en otage par au moins deux acteurs: les États ou les gouvernements en place et les groupes et les groupuscules, Al-Qaïda en particulier. Par rapport à cette prise en otage de l'Islam, on devrait quand même participer. Comme que je le disais au sujet de la responsabilité interne, il faut les accompagner dans ce débat pour trouver une interprétation de leur religion qui soit en concordance avec les valeurs de l'humanisme, de la modernité et de la nouvelle vision du monde fondée sur les droits de la personne, sur le multiculturalisme et sur le droit à la différence.
Malheureusement, non, les efforts ne sont pas suffisants, ils sont limités. Il y a la domination d'une interprétation. Par exemple, dans le cas de l'Irak, il faut se libérer de l'occupant. Quand on donne priorité à l'occupation et à l'hégémonie, on justifie alors, au nom de la religion, la violence contre cet occupant. Quand un tyran, un dictateur ou un pouvoir en place utilise la religion pour légitimer son pouvoir, on voit, dans l'opposition, des gens qui utilisent la religion pour l'intimider ou le renverser. C'est le cas aussi dans beaucoup de pays arabes, comme le Yémen, l'Algérie et peut-être aussi la Syrie aujourd'hui. Je crois que le monde musulman en général est sous le seuil de la responsabilité imposée. Il préfère encore se voir victime plutôt que de chercher à se rendre plus responsable. C'est cela en résumé.
Á (1150)
[Traduction]
M. Kevin Sorenson: Merci.
Le président: J'ai une question pour M. Hamilton. C'est la première fois que les membres de ce comité entendent parler d'étudiants chinois qui viennent au Canada pour y suivre une formation en droits de la personne. Je dois dire que la question des droits de la personne en Chine est soulevée chaque fois que ce comité siège. J'aimerais que vous me disiez, si vous le pouvez, combien d'étudiants sont venus au pays il y a deux ans, combien il y a trois ans, pour nous donner une idée. Je crois que des gens de la Chine sont venus à Ottawa cette semaine ou la semaine dernière, afin de discuter des droits de la personne. Pour nous, c'est peu, mais c'est un début. Nous aimerions avoir de plus amples renseignements à ce sujet.
Mon autre question concerne le partage des affaires étrangères et du commerce international. L'idée sous-jacente à l'énoncé de politique vise actuellement à assurer une meilleure coordination entre la défense, le développement et le commerce. Vous avez dit que nous n'avons pas accordé une place aussi importante aux droits de la personne dans le présent énoncé de politique comparativement aux énoncés antérieurs. Nous sommes un peu choqués de cette décision, parce que les parlementaires étaient contre ce partage, mais c'est fait maintenant. Nous envisageons ce que vous appelez un décret, je crois, mais une décision a été prise. Si vous voulez vendre de petites armes, cela ne relève plus des affaires étrangères; cela relève du commerce international. Nous considérons que nous sommes perdants dans tout cela. J'aimerais que vous nous fassiez part de vos commentaires là-dessus.
Je poserai ma question à M. Aoun ensuite.
Monsieur Hamilton.
M. Ian Hamilton: Merci, monsieur le président.
En réponse à votre question sur la Chine, je pense que la délégation rencontrera celle que nous avons rencontrée mercredi.
Le président: D'accord.
Á (1155)
M. Ian Hamilton: Depuis 1995, 20 personnes ont été accueillies en provenance de la Chine. Au départ, nous en accueillions une ou deux par année et, au cours des deux ou trois dernières années, nous en avons accueilli en moyenne de quatre à cinq par année.
Au départ, les premiers invités étaient des représentants d'institutions gouvernementales, comme la fédération panchinoise des femmes. Mais progressivement, ce sont des représentants des établissements universitaires et des centres des droits de la personne. Cette année, nous avons reçu des gens provenant de différentes parties de la Chine qui travaillaient sur des questions touchant le VIH/sida et les droits de la personne.
En plus d'inviter des gens à Montréal, nous planifions une rencontre en Chine l'an prochain. Nous serons accompagnés d'anciens étudiants et nous explorerons avec eux différents moyens de continuer à les soutenir dans leurs efforts pour offrir des programmes de formation en droits humains en Chine.
Quant à la manière dont les affaires étrangères et le commerce international sont gérés, les derniers développements survenus à cet égard m'inquiètent. Je ne crois pas qu'ils soient positifs. Je ne crois pas qu'il soit vraiment de notre ressort de commenter la manière dont le gouvernement organise les divers ministères; notre véritable rôle est d'assurer une cohérence politique.
Je pense que nous entendons de bien beaux discours, plus particulièrement sur le rôle du Canada dans la promotion des droits de la personne, mais lorsque vient le temps d'agir, nous devenons très vite à court de mots. Il est important, je crois, qu'il y ait cohérence, peu importe les arrangements institutionnels, et les droits de la personne posent dorénavant des problèmes qui exigent la participation de tous les ministères. Si le commerce international doit devenir une entité distincte, il devra alors devra pointer son écran radar sur les droits de la personne.
Je crois que nous avons entendu plus tôt la professeure Campbell nous parler de cela, et plus particulièrement de la question du commerce.
[Français]
Le président: Professeur Aoun, vous avez parlé du rôle des diverses diasporas, qui sont dans une phase de consultation ou dans une phase d'intégration. Avez-vous l'impression que parfois les diverses diasporas, provenant de quelque pays que ce soit, essaient de trouver des solutions pour leurs pays d'origine, mais nuisent plutôt que d'aider? Selon le moi, les solutions doivent provenir aussi du pays d'origine, mais les diasporas s'impliquent énormément, tout en vivant au Canada ou aux États-Unis, par exemple.
Prof. Sami Aoun: Vous parlez du Canada et des États-Unis. Me demandez-vous si les diasporas vivant au Canada apportent leur aide à leurs pays d'origine?
Le président: Aident-elles vraiment leurs pays d'origine...
Prof. Sami Aoun: Je comprends.
Le président: ...en intervenant au Canada? Elles essaient d'intervenir à la manière canadienne, mais peut-être pas à la manière de leurs pays d'origine.
Prof. Sami Aoun: Oui.
Le président: Qu'en pensez-vous?
Prof. Sami Aoun: Ce phénomène a différentes facettes. Il faut d'abord se pencher sur la représentativité ou la légitimité de ceux qui parlent au nom de leurs communautés diasporiques. Il n'y a pas de mécanisme clair, net et démocratique permettant de s'assurer que ces personnes représentent vraiment des intérêts canadiens ou des intérêts des communautés canadiennes, parce que le processus démocratique — leur élection — n'est pas vraiment consensuel.
D'autre part, plusieurs représentants des diasporas constituent plutôt des antennes des régimes, des forces de l'opposition ou de la société civile de leurs pays d'origine, ce qui brouille les cartes. On ne sait pas au juste s'ils font la promotion de leur propre régime ou s'ils font la promotion d'autres groupes ou groupuscules qu'ils représentent.
La troisième facette est la suivante. Cela répondra peut-être directement à votre question. Leurs interventions ont-elles un impact plus négatif que positif là-bas? Cela dépend. Parfois, ces gens ont une idée utopique de leur pays d'origine. Il y a longtemps qu'ils sont ici, ils sont un peu déphasés, ils ne constituent plus des acteurs sociaux là-bas. Ils sont quand même marginalisés. On les consulte quelque peu ou on leur demande un peu d'argent et d'aide, mais ils ne sont pas nécessairement des acteurs actifs. Parfois, on le remarque de plus en plus souvent, ils sont plus des échos de leur pays d'origine que des gens qui peuvent s'y impliquer d'une façon très efficace, ce qui est malheureux.
En ce qui a trait à leur intégration dans la politique étrangère d'ici, je crois que, jusqu'à maintenant, ils n'ont pas eu la possibilité et n'ont pas mis en place de mécanismes leur permettant de devenir des acteurs dans l'élaboration de l'ordre du jour et de la politique étrangère. Ils ont par contre une influence très importante sur les élus, mais un peu moins sur le milieu culturel. Surtout, ils n'ont presque aucune influence sur la bureaucratie et le Sénat.
 (1200)
Le président: Merci.
En terminant, j'aimerais aborder la question du déploiement des Forces armées canadiennes dans certain pays. Certains sont en faveur de cela, d'autres s'y opposent. Le Canada pourrait-il faire plus que ce qu'il fait présentement en Irak? Pouvez-vous nous faire part rapidement de votre opinion, monsieur Aoun?
Prof. Sami Aoun: Je crois, après les déclarations et les félicitations de M. Pettigrew à la suite du référendum sur la constitution, qu'il fallait, par exemple, ouvrir des forums canadiens pour une initiation au vote et aux élections. Il faut ouvrir le débat sur la culture démocratique et ne pas se contenter d'un vernis de démocratie. On doit informer les gens du fait que le vote n'est qu'un petit aspect d'une culture démocratique, et non pas l'aspect le plus réducteur de la culture démocratique. Personnellement, je me demande pourquoi Ottawa n'a pas joué le rôle d'Oslo. Pourquoi, jusqu'à maintenant, Ottawa n'arrive-t-il pas à devenir une couveuse d'accords de paix comme le Pacte de Genève, l'Accord d'Oslo II, la déclaration d'Alexandrie ou quelque chose de similaire?
Le président: Monsieur Hamilton, vous avez la parole.
[Traduction]
M. Ian Hamilton: Permettez-moi d'ajouter quelque chose à propos de l'Iraq...
Le président: Oui, bien sûr.
M. Ian Hamilton: ... parce que nous-mêmes, il y a plus de deux ans, avons reçu à Montréal des gens de l'Irak, dans le cadre de notre nouveau programme sur le Moyen-Orient, et sur l'Irak plus particulièrement.
Le rôle du Canada dans ce pays est à mon avis de voir au-delà des élections et des constitutions et de penser à instaurer une culture des droits de la personne. Si le Canada est en quête d'un créneau, ce pourrait être celui de travailler avec la société civile à l'élaboration de programmes de formation, de faire connaître les normes internationales sur les droits de la personne et de travailler avec le peuple irakien à l'établissement de mécanismes appropriés au niveau national, afin de promouvoir et de protéger les droits de la personne. Je pense que le Canada pourrait jouer un rôle à ce chapitre. Il a commencé d'ailleurs à jouer ce rôle, mais qu'il y a encore beaucoup à faire.
Le président: En guise de conclusion, vous venez de mentionner que vous avez un nouveau programme pour le Moyen-Orient. Si vous avez des informations à ce sujet, ce serait bien que vous en fassiez part à nos chercheurs ou à notre greffière, s'il vous plaît.
M. Ian Hamilton: Cela nous fera plaisir de vous en faire part. Nous prévoyons signer une entente de financement d'ici la fin du mois et nous serons alors heureux de vous fournir toutes les informations à ce sujet.
Le président: Nous nous intéressons à tout, comme vous pouvez le constater.
M. Ian Hamilton: C'est entendu. Je vais m'assurer de vous envoyer cela au début de la semaine prochaine.
[Français]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Aoun.
La séance est levée.