Passer au contenu

AANO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
PDF

38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 15 février 2005




Á 1110
V         Le vice-président (M. Jeremy Harrison (Desnethé—Missinippi—Rivière Churchill, PCC))
V         M. Michael DeGagné (directeur général, Fondation autochtone de guérison)

Á 1115
V         La présidente (Mme Nancy Karetak-Lindell (Nunavut, Lib.))
V         M. Ted Quewezance (président intérimaire, National Residential School Survivor Society)

Á 1120

Á 1125

Á 1130

Á 1135
V         La présidente
V         M. Michael A. Cachagee (directeur, Children of Shingwauk Alumni Association)
V         La présidente
V         M. Michael A. Cachagee

Á 1140

Á 1145
V         La présidente
V         M. Robert Joseph (chef, Indian Residential School Survivors Society)

Á 1150

Á 1155
V         La présidente
V         M. Jim Prentice (Calgary-Centre-Nord, PCC)
V         La présidente
V         M. Jim Prentice

 1200
V         M. Robert Joseph
V         M. Michael A. Cachagee

 1205
V         La présidente
V         M. Bernard Cleary (Louis-Saint-Laurent, BQ)
V         La présidente
V         M. Michael A. Cachagee
V         M. Bernard Cleary
V         La présidente
V         M. Bernard Cleary
V         La présidente
V         M. Michael A. Cachagee
V         M. Bernard Cleary

 1210
V         La présidente
V         M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD)

 1215
V         M. Robert Joseph
V         M. Pat Martin
V         M. Michael A. Cachagee

 1220
V         M. Pat Martin
V         La présidente
V         L'hon. Roy Cullen (Etobicoke-Nord)

 1225
V         La présidente
V         M. Michael A. Cachagee
V         L'hon. Roy Cullen
V         M. Robert Joseph
V         L'hon. Roy Cullen
V         M. Robert Joseph
V         L'hon. Roy Cullen
V         La présidente
V         La présidente
V         M. David Paterson (avocat, David Paterson Law Corporation)

 1240
V         M. Russell Raikes (avocat, Service du contentieux, Cohen Highley LLP)
V         M. Craig Brown (National Consortium of Residential School Survivors' Counsel)

 1245
V         La présidente
V         M. Jeremy Harrison

 1250
V         M. David Paterson
V         M. Jeremy Harrison
V         M. David Paterson

 1255
V         La présidente
V         M. Jeremy Harrison
V         La présidente
V         M. Bernard Cleary
V         M. Russell Raikes
V         M. Craig Brown
V         M. Bernard Cleary
V         La présidente
V         M. Pat Martin
V         M. Craig Brown
V         M. Pat Martin
V         M. Craig Brown
V         M. Pat Martin
V         M. Craig Brown
V         M. Pat Martin
V         M. Craig Brown

· 1300
V         M. Pat Martin
V         M. Craig Brown
V         M. Pat Martin
V         M. Russell Raikes
V         M. Pat Martin
V         La présidente
V         M. Lloyd St. Amand (Brant, Lib.)
V         M. Russell Raikes
V         M. Lloyd St. Amand
V         M. Russell Raikes
V         M. Lloyd St. Amand
V         M. Russell Raikes
V         M. Lloyd St. Amand
V         M. Russell Raikes
V         M. Lloyd St. Amand
V         M. Russell Raikes
V         M. Lloyd St. Amand
V         M. Russell Raikes
V         M. Lloyd St. Amand
V         M. Russell Raikes
V         M. Lloyd St. Amand
V         M. Russell Raikes
V         M. Lloyd St. Amand
V         M. Russell Raikes

· 1305
V         M. Craig Brown
V         M. Lloyd St. Amand
V         M. David Paterson
V         M. Lloyd St. Amand
V         M. David Paterson
V         M. Lloyd St. Amand
V         M. David Paterson
V         La présidente










CANADA

Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord


NUMÉRO 018 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 15 février 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

Á  +(1110)  

[Traduction]

+

    Le vice-président (M. Jeremy Harrison (Desnethé—Missinippi—Rivière Churchill, PCC)): La séance est ouverte.

    Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous menons une étude sur l'efficacité du Mode alternatif de règlement des conflits concernant les pensionnats autochtones.

    Nancy arrivera dans 15 minutes environ, je le remplace donc en tant que président pendant ce temps.

    Nous consacrons la première partie, entre 11 h et midi, aux témoins de la Fondation autochtone de guérison, Michael DeGagné, directeur général et Wayne Spear, agent de communications principal. De la National Residential School Survivors' Society, nous avons Ted Quewezance. De Children of Shingwauk Alumni Association, nous avons Michael  Cachagee, directeur. De Indian Residential School Survivors' Society, nous avons Robert Joseph, chef.

    Je pense que nous avons prévu environ 10 minutes pour chaque exposé. Je vous demande d'être le plus rapide possible car nous avons commencé en retard aujourd'hui.

    Sur ce, nous donnons la parole à M. DeGagné de la Fondation autochtone de guérison.

+-

    M. Michael DeGagné (directeur général, Fondation autochtone de guérison): Je vous remercie beaucoup de nous avoir donné cette occasion. Nous sommes très heureux d'avoir été invités et de pouvoir présenter notre point de vue au comité. Je salue tous les députés ici présents, le président du comité, mes collègues et amis du mouvement des guérisons des pensionnats assis à cette table.

    Mon exposé vise à vous présenter quelques antécédents de la Fondation autochtone de guérison. La Fondation de guérison est l'une des organisations qui participent à la guérison communautaire faisant partie de l'éventail des options mises à la disposition des survivants des pensionnats. La Fondation autochtone de guérison a été établie le 31 mars 1998 dans le cadre de la réponse gouvernementale à la Commission royale sur les peuples autochtones, pour promouvoir la réconciliation entre les personnes autochtones et les personnes non autochtones, pour investir efficacement un fonds unique de 350 millions de dollars (plus les intérêts) dans des services et activités de guérison communautaires visant à traiter les séquelles des abus physiques et sexuels commis dans les pensionnats indiens canadiens, y compris les répercussions inter-générationnelles. Son mandat d'une durée de 11 ans se terminera le 31 mars 2009.

    La Fondation autochtone de guérison est une société à but non lucratif, administrée par des Autochtones et dotée de personnel autochtone. Sa politique générale est établie en vertu de ses règlements et de l'accord conclu et dûment signé par le gouvernement fédéral. Nous avons un conseil d'administration composé de 17 membres dont deux sont des représentants du gouvernement. La Fondation est responsable de sa gestion devant le gouvernement du Canada et les Autochtones; elle s'acquitte de cette obligation, notamment par un accord de financement, les nominations au conseil d'administration, des rapports et vérifications des états financiers annuels, des vérifications de conformité proactives, des évaluations intérimaires indépendantes, il y en a eu trois, 27 rencontres régionales dans lesquelles nous avons dû recueillir le soutien et entendre les points de vues des Autochtones impliqués dans ce mouvement et des présentations périodiques aux organisations autochtones et aux cadres supérieurs de la fonction publique.

    La mission de la Fondation autochtone de guérison est d'appuyer les peuples autochtones et de les encourager à concevoir, à développer et à renforcer des démarches de guérison durable qui s'attaquent aux séquelles des abus sexuels et physiques. J'attire tout particulièrement votre attention sur le fait que notre mandat vise essentiellement les abus sexuels et physiques subis dans les pensionnats et qu'il s'y limite. Nous ne nous occupons pas, et nous ne le pouvons pas en vertu de notre accord conclu avec le gouvernement, de la langue et de la culture. Toutefois, c'est dans les domaines de la langue et de la culture que les communautés réclament le plus de l'aide.

    Où nous nous situons dans le règlement global de la question des pensionnats dont nous avons héritée est ce dont je vais parler maintenant. L'engagement du gouvernement en faveur du Mode alternatif de règlement des conflits vise à régler les demandes de compensation plus rapidement que le règlement devant tribunal. Le but de ces modalités est d'évoluer vers une étape dépassant la situation conflictuelle actuelle. La Fondation autochtone de guérison s'appuie sur un rapport du gouvernement « La dignité retrouvée » publié par la Commission du droit du Canada en 2000. Ce rapport indiquait que la compensation n'est qu'une des mesures de réparation. Les réparations devraient aussi comprendre des compensations financières, l'accès à des programmes de guérison et d'éducation, des monuments commémoratifs, des forums de la vérité et l'information du public.

    En conséquence, la Commission du droit recommande des choix à proposer aux survivants—nous appuyons entièrement cette recommandation—et d'encourager, de faire connaître et de promouvoir des initiatives venant des collectivités, ce que nous avons toujours appuyé depuis la création de notre Fondation, il y a sept ans. La compensation est une option importante. Par ailleurs, il faudrait qu'au moment où les compensations versées aux individus et aux collectivités commencent à affluer, cette obtention de montants d'argent se fasse dans un environnement de guérison. La guérison est essentielle pour que les Autochtones aient la capacité nécessaire de s'attaquer à leurs problèmes sociaux et économiques pressants et de les résoudre. Pour que les Autochtones réussissent à remédier de façon holistique et efficace aux séquelles découlant du Régime des pensionnats, il faudra établir des partenariats stratégiques de longue durée ayant une expertise confirmée et nécessaire pour faciliter la guérison communautaire et le développement et le renforcement des capacités axées sur la collectivité. Une expertise de cette qualité, c'est l'apport de la Fondation autochtone de guérison au processus.

Á  +-(1115)  

    En date d'octobre 2003, la Fondation autochtone de guérison a engagé ses ressources—environ 425 millions de dollars (c'est-à-dire 350 millions plus intérêts)—auprès de 1 340 projets communautaires.

    Nous avons terminé la version provisoire du rapport final qui présente en détail nos activités et nos réalisations. Nous avons publié trois évaluations provisoires. Nous commençons à réduire nos effectifs, alors que notre mandat tire à sa fin. Cela entraînera une perte de connaissances et de compétences spécialisées et techniques, non seulement pour la Fondation autochtone de guérison, mais aussi pour la communauté où le travail est accompli. Dans le cadre du scénario actuel, le financement de ces projets se terminera le 31 mars 2007 et nous fermerons nos portes en septembre 2008. Même si tous les fonds sont engagés, nous continuons à transmettre le message au gouvernement et aux Canadiens que la guérison vient tout juste de commencer. La réconciliation et le rétablissement exigent une planification, un effort et des ressources de longue durée.

    Ce que nous léguons est étayé dans nos travaux et évaluations. Cent trente mille personnes ont participé à nos projets de guérison, pour la première fois pour beaucoup d'entre elles. Vingt-six mille personnes ont participé à la formation et 3 000 collectivités—ce qui comprend les communautés d'intérêt—ont été desservies d'une façon ou d'une autre.

    Advenant la fermeture de la Fondation autochtone de guérison, comme le prévoit son mandat actuel, le gouvernement du Canada s'expose à perdre les acquis suivants : la capacité d'assurer un continuum de traitement maximisant le potentiel d'avantages à long terme; l'obtention d'avantages assurée grâce à l'expérience et aux connaissances et compétences spécialisées acquises dans le domaine de traitement de traumatismes liés au pensionnat dans la collectivité; la possibilité de faire des recherches plus poussées et d'évaluer les incidences durables du financement communautaire; un véhicule de connaissances apolitique ayant un dossier bien établi, particulièrement bien placé à la confluence des questions concernant les pensionnats et les attentes/exigences de la vérificatrice générale en fait d'efficacité par rapport aux coûts de transparence et de responsabilité. Nous croyons être un modèle autochtone de prestations de services aux collectivités autochtones ayant obtenu des résultats très positifs.

    En conclusion, nous jugeons, ainsi que le propose la Commission du droit du Canada, qu'il est primordial d'offrir un choix aux survivants. Les survivants devraient avoir une série d'options offertes comprenant une combinaison de mesures de guérison et de compensation. Deuxièmement, pour vraiment assurer le règlement des demandes actuelles et futures, le gouvernement devrait contextualiser l'attribution de compensations en l'intégrant à une stratégie globale, à long terme, permettant de traiter de façon significative les effets du traumatisme institutionnel historique. Dans ce cadre de guérison, les avantages tirés d'une compensation seraient accrus, globaux. Finalement, comme les initiatives communautaires de guérison ont permis d'obtenir des résultats importants, la Fondation autochtone de guérison recommande de saisir la possibilité de recourir à notre organisation ou à une autre organisation similaire pour la prestation de ressources à plus long terme ou d'établir une autre source d'appui aux projets.

    Je vous remercie beaucoup de votre attention. Nous croyons que la guérison est un très bon sujet d'actualité; c'est un élément très positif des actions menées par le gouvernement et les Autochtones à ce jour, les répercussions de cet investissement ont été importantes et durables.

    Merci.

+-

    La présidente (Mme Nancy Karetak-Lindell (Nunavut, Lib.)): Merci beaucoup de votre exposé.

    Je prie le comité de m'excuser d'être en retard; j'ai été retenu par d'autres engagements.

    Nous passons à la National Residential School Survivors' Society représentée par M. Quewezance. Je crois comprendre que vous êtes le président intérimaire de cette société.

    Bienvenue.

+-

    M. Ted Quewezance (président intérimaire, National Residential School Survivor Society): Je m'appelle Ted Quewezance, je suis le président de la National Residential School Survivors' Society.

    Je suis un survivant des pensionnats. Je viens d'une famille de 14 enfants. Notre famille totalise 76 années passées au pensionnat. Notre famille a cinq pères différents. Des abus sexuels et physiques ont été commis au sein de notre famille.

    Tout d'abord au nom de la Residential School Survivors' Society, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord sur l'efficacité du Mode alternatif de règlement des conflits.

    La Société nationale des survivant des pensionnats indiens est une organisation réunissant des survivants autochtones, métis et inuits des pensionnats indiens de tout le Canada. L'idée d'une telle société a émergé lors d'une réunion informelle de groupes de survivants en août 2003 qui ont reconnu l'importance de former une organisation nationale pour travailler ensemble afin de mieux servir les survivants.

    Un groupe de travail provisoire composé de représentants d'organisations de survivants de tout le Canada s'est réuni lors de rencontres et téléconférences qui ont abouti à la création d'un conseil d'administration provisoire. Ce dernier a formellement créé l'organisation et ouvert ses bureaux en 2004.

    La société, qui est dirigée par des survivants, a été développée pour être le moteur commun de nos expériences de partage, guérison et éducation et pour être un moyen de parler d'une seule voix et de nous défendre par nous-mêmes en tant que groupe.

    La Société représente une famille, étant donné que pour beaucoup d'entre nous, les autres membres sont la seule famille que nous avons connue étant enfants.

    En tant qu'organisation la Société a pour but de restaurer ce qui nous a été pris. C'est un catalyseur afin de promouvoir la guérison, la force et la confiance, la restauration, la justice et la réconciliation pour tous les individus familles et communautés, et ce afin de s'assurer que l'histoire des pensionnats indiens soit connue et comprise de tous les Canadiens et qu'elle ne soit jamais oubliée.

    Créée et dirigée par des survivants, la Société se veut une voix nationale apolitique, travaillant dans le meilleur intérêt des survivants et de leurs descendants. La société promeut et encourage les besoins de guérison, de restauration et de réconciliation des survivants et de leurs descendants de la manière suivantes : En recevant et en rassemblant les informations des membres de la Société, des survivants et des groupes de survivants concernant leurs besoins et inquiétudes; en fournissant l'information nécessaire sur les options pour répondre à ses besoins et inquiétudes; en fournissant des informations et en facilitant les opportunités pour les survivants et groupes de survivants d'établir des réseaux au niveau local, régional et national; en créant des relations de travail entre les groupes autochtones locaux, régionaux et nationaux, le gouvernement fédéral, les autres organisations gouvernementales, non gouvernementales et privées, y compris les églises; en représentant les survivants au niveau national en présentant leurs inquiétudes et points de vue sur les problèmes liés au pensionnats, aux gouvernements, aux organisations non gouvernementales et aux médias.

Á  +-(1120)  

    En ce qui concerne l'efficacité du Mode alternatif de règlement des conflits, les inquiétudes des survivants et groupes de survivants se focalisent principalement sur trois domaines : La nécessité de trouver un règlement rapide et facile aux réclamations faites surtout pour les personnes âgées et malades; la nécessité de continuer des initiatives de guérison et de réconciliation dans les communautés et celles ayant lieu dans les anciens pensionnats; la nécessité de promouvoir plus de connaissances et d'éducation sur l'histoire et l'héritage des pensionnats indiens à tous les niveaux et partout au Canada. Chacun de ces points peut faire l'objet de plus amples développements.

    En ce qui concerne le règlement rapide des conflits, surtout pour les personnes âgées et les malades, on dit souvent que justice retardée est justice refusée. La justice est également refusée quand elle est trop difficile ou trop chère à obtenir. Le Mode alternatif de règlement des conflits est vu par beaucoup de survivants, particulièrement par les personnes âgées, comme trop lent, trop difficile et trop coûteux par rapport aux règlements qui ont été obtenus ou qui pourraient l'être.

    Beaucoup de survivants sont déjà disparus sans règlement définitif concernant les abus dont ils ont souffert. Cela a été bouleversant pour eux et demeure une source de douleur pour leurs familles, les communautés et les autres survivants. Beaucoup d'autres sont frustrés de l'attente pour des réclamations déjà approuvées et en processus de traitement. D'autres sont inquiets de voir ce qu'ils vont devoir traverser ou ont déjà commencé à traverser pour effectuer leurs demandes de réclamation. Une considérable anxiété créée par la procédure adoptée demeure un souci constant. Les personnes se demandent si le coût total de l'initiative du Mode alternatif de règlement des conflits en vaut vraiment la peine. L'information à travers le pays semble se limiter aux centres urbains. Les communautés éloignées semblent être moins bien informées.

    En ce qui concerne les solutions de rechange du Mode alternatif de règlement des conflits actuel, les survivants soutiennent généralement une approche qui inclurait une compensation pour tous ceux et toutes celles qui ont été pensionnaires des écoles, les réclamations individuelles spéciales seraient prises en charge par un Mode alternatif de règlement des conflits amélioré.

    Au sujet de la continuation des initiatives pour la guérison et la restauration ayant lieu dans les communautés ou dans les anciens pensionnats, les survivants et groupes de survivants soutiennent ardemment la continuation des initiatives entreprises dans les communautés ou dans les anciens pensionnats, en particulier celles qui intègrent des points de vue et pratiques culturels traditionnels. Ils sont dévoués à se rétablir eux-mêmes, leurs familles, leurs communautés et leurs Nations, à restaurer ce qui a été enlevé. D'une manière plus spécifique, la reconstruction de la famille et de la communauté et la restauration de la culture et de la langue s'avèrent un élément important.

Á  +-(1125)  

    Les opportunités permettant de participer à des activités de guérison tels que des ateliers; des retraites de groupes ou de familles; l'accès et le partage de photos, de souvenirs et d'histoires sur les expériences vécues dans les pensionnats avec d'anciens camarades, la famille et les amis, des réunions d'école et cercles de partage; des sessions d'informations et expositions; et autres activités et projets de la même veine sont perçus comme très désirables et efficaces. Beaucoup souhaitent pouvoir accéder aux registres et histoires des pensionnats pour confirmer leurs souvenirs et les souvenirs que leurs parents et aïeux leur ont transmis.

    Ils veulent partager ces informations avec leurs descendants mais trouvent souvent difficile et coûteux d'obtenir de telles informations. Ils suggèrent que de telles activités de restauration, en particulier effectuées avec les églises, le gouvernement, les écoles et les groupes communautaires, sont très désirables et efficaces.

    Il est très important que les survivants eux-mêmes soient impliqués dans de telles initiatives. Ils veulent reprendre possession de leurs expériences et guérisons. Ils veulent aussi être partie prenante d'une stratégie à long terme.

    Le Mode alternatif de règlement des conflits ne prend en compte que les réclamations d'abus individuelles. C'est évidemment très important, ce genre de réclamations doit être amélioré et continue, pourtant, beaucoup de survivants dont certains ont été victimes d'abus ne sont pas intéressés à faire des réclamations, mais sont profondément dévoués à leur famille et au processus de guérison communautaire. À leurs yeux, les conséquences traumatiques des abus commis dans les pensionnats sont beaucoup plus vastes que le Mode alternatif de règlement des conflits sous sa forme actuelle.

    L'expérience des pensionnats indiens et son histoire devraient être connues, reconnues et abordées à travers tout le Canada. Les survivants et groupes de survivants considèrent l'éducation des autres Canadiens autochtones ou non comme cruciale pour la guérison, la restauration et la réconciliation nationale. Comment répondre aux défis posés par les impacts du système des pensionnats qui ne sont pas relevés par les cours de justice ou par des réclamations faites avec le Mode alternatif de règlement des conflits?

    Il y a un besoin profond pour une éducation sur les pensionnats indiens, d'une stratégie de vérité et de réconciliation qui aborde les conséquences profondément ressenties de la politique canadienne des pensionnats s'étalant sur plus d'un siècle; une politique qui a affecté tous les Canadiens, autochtones ou non. Tant que les projets de partage, de guérison et d'éducation et de restauration de ce qui a été pris ne seront pas compris et acceptés par tous les Canadiens, les conséquences des abus ayant existé dans des proportions incroyables dans les pensionnats seront répétés indéfiniment à travers le pays et ce tant que le soleil brillera et que les rivières couleront.

    C'est une part importante de l'histoire canadienne qui continuera de peser négativement sur nous tous, sur ce que nous sommes, sur ce que nous faisons et sur nos relations jusqu'à ce que tous ensemble, sous le leadership de nos gouvernements, nous parvenions à guérir, à se rétablir et à réconcilier nos nations.

Á  +-(1130)  

    Les survivants, leurs familles et leurs communautés, attendent toujours de vraies excuses nationales de la part du Premier ministre du Canada ainsi qu'une vraie stratégie nationale de la part du gouvernement canadien. Ces dernières devront aborder véritablement en notre nom et pour nous tous, en tant que Canadiens, notre tragédie nationale et notre honte nationale.

    Pour terminer, personne dans ce pays n'a reconnu une responsabilité juridique de ce qui nous est arrivé à tous, aux petits enfants, des années 30 à 40 jusqu'aux années 60.

    La National Residential School Survivors' Society remercie le Comité permanent des affaires autochtones de la Chambre des communes du Canada pour son invitation et l'opportunité qui lui a été offerte de faire entendre les voix des survivants des pensionnats.

    Je vous remercie beaucoup.

Á  +-(1135)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup de votre témoignage. Nous le prenons à coeur.

    Nous passons maintenant à M. Michael Cachagee, directeur général de Children of Shingwauk Alumni Association.

+-

    M. Michael A. Cachagee (directeur, Children of Shingwauk Alumni Association): Bravo.

+-

    La présidente: Merci. C'est l'une des seules choses où je n'ai pas commis de faute aujourd'hui.

+-

    M. Michael A. Cachagee: Salutations. Wachiyea.

    Tout d'abord, je souhaiterais remercier les membres du comité pour leur invitation et l'occasion qu'ils ont offerte à notre association de parler aujourd'hui d'un problème si profondément douloureux et qui suscite tant de passion que celui de l'héritage des pensionnats indiens.

    La création du système des pensionnats indiens au Canada peut être considérée comme un des chapitres les plus noirs, regrettables et perturbants de l'histoire des relations entre les colons européens et les peuples premiers de l'île de la Tortue. Sans entrer dans une longue description de ce qui s'est passé dans les pensionnats indiens, la présentation d'aujourd'hui se focalise sur les pour et les contre du Mode alternatif de règlement des conflits (MARC).

    Comme le savent la plupart des survivants et survivantes des pensionnats, le MARC est une création unilatérale du gouvernement canadien. Sa raison d'être et son unique but sont d'assurer une indemnisation des personnes victimes d'actes criminels pendant leur séjour dans ces écoles financées par le fédéral, mais contrôlées et gérées par les églises. Le MARC est décrit par ses concepteurs, ou plus exactement promu et défini, comme un processus qui est censé être plus rapide et moins pénible qu'un recours normal devant les tribunaux.

    En 2004, l'Association des anciens des enfants de Shingwauk a été une des organisations sélectionnées pour mener un projet pilote financé par le fédéral. Ce projet avait pour objectif de fournir de l'information au public et d'expliquer les procédures de demande d'indemnisation dans le cadre du MARC. Je suis un des anciens choisis par notre association pour commencer à établir des contacts avec les survivant et les survivantes de l'Ontario et du Nord du Québec. Une estimation prudente du nombre des survivants et survivantes que j'ai rencontrés au cours de l'année 2004 se situe entre 500 et 600 personnes.

    De façon générale, la réaction de la plupart des survivants qui ont assisté aux séances d'information sur le MARC en a été une de colère et, ensuite, de perplexité face au fait que les trois éléments que le Canada a choisi de retenir dans le cadre du MARC sont par nature criminels. Les actes de sévices physiques, de sévices sexuels et d'isolement injustifié étaient les trois seuls éléments que l'on pouvait mentionner dans nos présentations. Tous les autres impacts négatifs du traitement réservé aux survivants et survivantes des pensionnats n'étaient pas ouverts à discussion au cours de nos séances d'information sur le MARC. Inutile de préciser qu'après la conclusion des séances d'information sur le MARC, les discussions étaient empreintes d'une émotion extrême.

    La réaction d'étonnement qui a suivi est peut-être la partie la plus difficile de cette expérience, lorsqu'on a présenté le dépliant sur la demande expliquant tout ce qui était nécessaire pour qu'un plaignant puisse faire une demande. Bien que les responsables du MARC aient souligné que les deux groupes prioritaires étaient les personnes âgées et les personnes dont la santé était précaire, on n'a fait peu de cas des besoins spéciaux, de la langue, de la culture et du passé de ces groupes. Il n'y a jamais eu de services de traduction ou de solutions quelconques pour surmonter les barrières linguistiques qui existent dans les collectivités des Premières nations du Nord. On n'a pas pris en compte non plus la question des dépenses encourues par les survivants et les survivantes âgés qui désiraient participer, mais dont les ressources financières étaient limitées.

    Notre association d'anciens, de sa propre initiative et à même ses ressources financières, a créé un glossaire de la terminologie utilisée dans la demande d'indemnisation en vertu du MARC et a traduit ces termes en cri et en oji-cri. En outre, et à plusieurs reprises, nos travailleurs remplissant les demandes d'indemnisation en vertu du MARC ont dû aider financièrement des survivants âgés afin qu'ils puissent regagner leurs foyers et leurs collectivités une fois les séances d'information terminées.

    Ce ne sont que quelques exemples des lacunes que nous avons constatées dans le MARC. Ce serait un euphémisme que de dire que le MARC actuel a échoué pour ce qui est de répondre aux demandes et aux attentes des survivants et survivantes. Cette procédure a échoué lamentablement pour ce qui est de traiter la multitude des fautes et des abus dont ont été victimes ces personnes alors qu'elles étaient obligées de vivre dans ces pensionnats.

    De plus, et ce qui est une insulte de plus pour les survivants, la Couronne a récemment annoncé son intention de payer des millions de dollars par année pour engager des enquêteurs privés chargés de vérifier le bien-fondé des demandes des survivants et survivantes. La plupart, sinon la totalité, des personnes responsables des abus sont décédées. Cela me rend malade de voir la Couronne dépenser plus de temps et d'argent à remettre en question la véracité des propos des survivants qu'à les indemniser. Plus de 250 millions de dollars ont été dépensés jusqu'ici dans le cadre de la Résolution des questions des pensionnats indiens, mais seulement une fraction de cette somme a été versée aux survivants et survivantes.

Á  +-(1140)  

    S'il y a une question qui est restée clairement présente dans mon esprit pendant toute la durée de ce processus et après avoir rencontré les survivants et survivantes, c'est la nécessité pour le gouvernement canadien de reconnaître toute la gravité et la multiplicité des torts causés aux peuples autochtones dans ces pensionnats. Le fait de les réduire aux trois seuls éléments contenus dans le MARC constitue une injustice à l'endroit de tous les Canadiens et Canadiennes.

    Je crois que si le Canada et les églises veulent aller au-delà de la situation actuelle, une nouvelle approche s'impose. Je vais vous fournir des exemples de solutions que je considère réalisables et qui permettraient de répondre aux défis posés par cette période sombre de l'histoire du Canada.

    L'Assemblée des Première nations a entrepris une révision complète et critique du MARC dans sa forme actuelle et indique dans son rapport final un certain nombre de changements qui pourraient être apportés. De même, un consortium d'avocats qui défendent les victimes a fait un travail semblable et a recommandé des changements au gouvernement canadien. J'insiste fortement sur le fait qu'il faudrait songer sérieusement à adopter bon nombre de ces recommandations dans le cadre d'un nouvel accord sur la résolution des questions des pensionnats indiens.

    La reconnaissance de la totalité des torts causés et des répercussions continuelles et intergénérationnelles de l'héritage des pensionnats indiens mérite l'application d'une mesure de réparation sérieuse et immédiate. Trop de nos survivants et survivantes sont partis en emportant avec eux une douleur insurmontable et le souvenir d'avoir été arrachés à leurs familles et envoyés dans un environnement étranger et destructeur.

    Une indemnisation individuelle fondée sur l'expérience du survivant dans le pensionnat doit être la position de référence chaque fois que l'on envisage la réconciliation.

    De même, la réconciliation doit prendre en considération le rétablissement et la conservation des langues et des cultures autochtones. Entreprendre une telle initiative exige non seulement des ressources humaines et financières, mais plus important encore, elle donne également au Canada l'occasion de remplir son rôle et ses obligations précisés dans les traités, qui établissent la relation entre la Couronne et de nombreuses Premières nations dans ce pays. Le besoin de définir et de contrôler nos propres établissements d'enseignement correspond davantage à ce que les Premières nations croyaient qu'on leur promettait lorsque l'éducation a été mentionnée dans les discussions aboutissant à la signature du traité.

    Le dernier élément que je désire aborder aujourd'hui est le concept et l'application de la composante guérison par rapport à l'héritage du système des pensionnats indiens et plus important encore, par rapport aux survivants eux-mêmes.

    Je suis un survivant. J'ai passé plus de 12 ans dans trois pensionnats indiens différents du Nord de l'Ontario et je n'accepte pas d'être jugé comme ayant des problèmes de santé mentale quelconques. En tant que survivants, nous ne sommes ni des inadaptés au plan émotionnel ni des incompétents mentaux au bord de l'autodestruction, comme beaucoup dans l'industrie des pensionnats indiens voudraient le faire croire. Nous sommes vos anciens, vos enseignants et vos dirigeants, et nous sommes les protecteurs de nos nations et nous demandons à être traités avec le respect et l'honneur dus à de telles personnes.

    Le fait de réduire les souffrances que nous avons endurées dans les pensionnats à quelque chose que l'on peut classer comme une maladie mentale traitable équivaut à une revictimisation des survivants et des survivantes et constitue un manque de respect extrême. Beaucoup trop de gens au pays ont un intérêt à maintenir la statu quo et la nouvelle et prospère « industrie des pensionnats indiens » pendant que les véritables gestes de justice et de réconciliation deviennent plus obscurs et brouillés pour les survivants.

    Pour conclure, je veux vous remercier du temps et de l'énergie que vous avez consacrés à l'étude de la question des pensionnats indiens. Je vous implore, à titre de député, de retourner à la Chambre et de relever le défi qui vous attend. Vous avez la responsabilité de trouver et de mettre en oeuvre une solution honorable, une solution qui aidera à guérir et à rétablir la relation sacrée, fixée par traité, entre la Couronne et de nombreuses Premières nations de l'île de la Tortue.

    Meegwetch. Merci.

Á  +-(1145)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Nous accueillons maintenant la dernière personne à prendre la parole pour cette première heure, le chef Robert Joseph, qui représente l'Indian Residential School Survivors' Society.

    Soyez le bienvenu.

+-

    M. Robert Joseph (chef, Indian Residential School Survivors Society): Merci. Bonjour à tous.

    Mon nom est chef Joseph. On m'a demandé de parler au nom de l'Indian Residential School Survivors' Society. Je suis accompagné de la directrice générale, Sharon Thira.

    Comme vous pouvez le voir, je porte mes habits de cérémonie en signe de respect pour nos traditions parlementaires et pour le comité permanent, évidemment. Nous sommes vraiment reconnaissants d'avoir l'occasion de vous parler aujourd'hui de cette grave question qui se pose à nous en ce moment.

    L'Indian Residential School Survivors' Society existe depuis dix ans. C'est-à-dire que nous avons dix ans d'expérience à essayer d'apporter une solution au problème des pensionnats. En fait, dans l'annonce du gouvernement fédéral concernant le rapport Rassembler nos forces, il a été fait mention de notre association comme d'un modèle de succès provincial. Alors, nous avons fait un certain travail, nous avons des antécédents. Nous avons eu certains succès. Nous avons encore des aspirations ambitieuses qui n'ont pas encore été réalisées.

    Il y a des moments dans la vie où les hommes et les femmes sont appelés à faire des choses extraordinaires, des moments où nous devons faire la chose honorable, des moments où nous sommes forcés de nous élever au-dessus de la solution simple ordinaire et de nous battre pour en arriver à la solution difficile, fondée sur le principe. Nous sommes à l'un de ces moments. Nous vous invitons, vous et le Canada, à venir entreprendre ce genre d'exercice avec nous.

    Lorsque nous avons entendu parler de la Déclaration de réconciliation pour la première fois, nous avons espéré que cela fournirait une réponse de ce genre, mais ce n'était pas la réponse. Lorsque nous avons entendu parler du Mode alternatif de règlement des conflits pour la première fois, nous avons pensé que cela pourrait être la réponse englobante dont les survivants avaient tant besoin. Mais ce n'est pas le cas. Alors, du point de vue d'un survivant, quelle observation utile peut-on faire au sujet du MARC?

    Comme solution de rechange au recours en justice au civil, le MARC devait être une façon plus humaine et plus rapide d'obtenir une indemnisation, et nous trouvons que c'est le cas. Pour les personnes malades et âgées, le MARC promettait d'accélérer les demandes, et il semble que ce soit le cas. Pour les personnes qui ont fait l'objet d'abus sexuels et qui sont capables d'en parler, le MARC est effectivement une meilleure solution que les tribunaux. Mais au-delà de ces cas, le MARC ne répond pas aux besoins de la majorité des survivants en matière de réparation globale.

    Alors, dans sa forme actuelle, le MARC n'est, ni plus ni moins, qu'une solution de remplacement imparfaite et incomplète pour les survivants qui ont fait l'objet de sévices sexuels et physiques. Le groupe de travail national des Autochtones, de l'église et du gouvernement fédéral comprend cela et s'efforce continuellement d'améliorer le modèle. D'un point de vue légal étroit et occidental, on pourrait dire de lui qu'il est de calibre mondial, mais il résout peu de choses. Il n'a pas une grande valeur.

    Pour que nous et le Canada puissions tourner la page sur ce chapitre de notre histoire commune, nous avons besoin d'une réponse plus étendue que ce que le MARC peut offrir. Alors, nous devons tenir compte ici de la voix des survivants. Au cours des dix dernières années, plus de 40 000 survivants dans plus d'une centaine de groupes de discussion et d'ateliers en Colombie-Britannique nous ont dit ce que devrait être cette réponse plus étendue. Des excuses, une indemnisation, un financement en vue de la guérison et une réconciliation future.

    En ce qui concerne les excuses, les survivants veulent des excuses complètes données par le Premier ministre à la Chambre des communes. Juste la semaine dernière, nous nous sommes rendus dans un groupe de discussion à Port Alberni et c'est exactement ce que ces gens ont dit: il devrait y avoir des excuses par le Premier ministre à la Chambre des communes. Ces excuses apporteront la reconnaissance et la validation tant nécessaires des abus commis dans les pensionnats, étape nécessaire pour que puisse commencer le processus de guérison.

Á  +-(1150)  

    Pour que des excuses fassent leur effet, elles doivent être comprises et exécutées en respectant les symboles, comme le rituel dont il s'agit. Elles doivent offrir la possibilité de transformation de toutes les personnes concernées. Dans le cas d'un système imposé à l'échelle nationale, comme le système des pensionnats, la transformation ne peut survenir à moins que les acteurs principaux dans le rituel y participent—les excuses, le premier ministre et la Chambre des communes. Rien de moins, car n'importe quoi d'autre aurait l'air du message pascal du pape transmis par un prêtre dans une chapelle.

    En ce qui concerne l'indemnisation par une somme forfaitaire, les survivants ont droit à une réparation financière pour les souffrances et les douleurs—la perte de la langue et de la culture, la perte de la famille et de l'enfance, la perte de l'estime de soi, les toxicomanies, la dépression et le suicide—qu'ils ont endurées et ils réclament cette réparation. Le système des pensionnats n'a pas réussi à éduquer les peuples autochtones, nous condamnant, pour la plupart, au rang d'ouvriers non qualifiés, propres à travailler dans les industries primaires ou à être prestataires du système de bien-être social. Pour compenser ces pertes, toute reconnaissance par le Canada doit nécessairement comprendre un paiement forfaitaire symbolique aux survivants.

    Un paiement forfaitaire tiendrait compte de toutes les pertes importantes. D'autres groupes ont reçu une indemnisation pour un tort qui leur a été causé, comme les Japonais canadiens et les victimes du sang contaminé par l'hépatite C. En négligeant de répondre aux besoins des survivants des pensionnats et en les forçant à passer par un processus coûteux comme le MARC, le Canada accepte le risque d'être accusé de racisme institutionnel encore une fois. Cette partie de l'histoire a été reconnue. Pourquoi alors des survivants meurent-ils sans qu'il y ait eu résolution de leur situation?

    Nous appuyons la solution de l'APN concernant une indemnisation par un montant forfaitaire où le critère d'admissibilité serait la fréquentation d'un pensionnat, sans les limites imposées par les sévices sexuels ou physiques. Ceux qui ont fait l'objet de sévices sexuels et physiques pourraient alors avoir la possibilité d'exiger une indemnisation additionnelle dans le cadre du MARC. De plus, le modèle B du MARC est une insulte pour les survivants. On devrait l'éliminer.

    La troisième chose que veulent les survivants, et dont ils ont besoin, c'est la guérison. L'héritage des pensionnats a créé un groupe complexe de symptômes qui dépasse celui du syndrome de stress post-traumatique ordinaire. Ajouter les éléments de rupture culturelle et de racisme et vous obtenez un cocktail génocidaire. Ces réactions sont devenues normalisées dans les familles et les systèmes communautaires, et nous sommes constamment témoins de la dévastation de nos collectivités. Le cycle doit être rompu, mais les interventions thérapeutiques occidentales, bien qu'elles conviennent aux résidents ordinaires des villes, ne sont pas souvent efficaces pour les peuples autochtones non urbains.

    Comme on le recommandé dans le rapport de l'an 2000 de la Commission du droit du Canada sur les sévices infligés aux enfants dans des établissements canadiens, intitulé La dignité retrouvée: La réparation des sévices infligés aux enfants dans les établissements canadiens, les victimes ont besoin de participer, au niveau de la base, dans la conception et la mise en application de leurs propres programmes de guérison. Ce qu'il faut ici, ce sont des programmes de guérison communautaires qui font une place aux pratiques autochtones et culturellement spécifiques auxquelles les survivants peuvent s'identifier, hâtant ainsi leur guérison.

    À la Fondation autochtone de guérison, nous avons un système pour attribuer des fonds à ce genre de programme. Le dossier de la Fondation parle de lui-même. Elle a reçu 4 590 demandes, mais n'a pu financer que 1 337 programmes. Cela démontre clairement la nécessité de ces programmes.

    Un élément directement relié à cette question est une préoccupation qui découle du nouveau processus MARC. Pour la première fois, un survivant peut recourir à un processus d'indemnisation sans que personne d'autre, sauf des fonctionnaires, le sache. Comme les fonctionnaires ont une tâche administrative précise à accomplir, ils ne sont pas outillés pour évaluer le degré de risque que comporte pour les survivants le fait de participer à ce processus. Sans des programmes de soutien communautaire, nous avons peur des effets qu'aura sur les survivants le fait de remplir cette très longue demande d'indemnisation. Nous déplorons déjà un cas de suicide.

    Par conséquent, nous recommandons fortement que la Fondation autochtone de guérison soit dotée de fonds additionnels pour financer des programmes communautaires pour le soutien tant nécessaire de tous les survivants.

    Enfin, les survivants veulent la réconciliation. Dans sa Déclaration de réconciliation, le gouvernement fédéral reconnaît que la réconciliation est un processus continu. Les survivants sont d'accord. Nous voulons la réconciliation, la réconciliation avec nous-mêmes, avec nos familles, avec nos collectivités—et également, avec le Canada. Alors que nous devons composer avec nos souffrances, nos douleurs et les pertes que nous avons subies, nous savons que notre culture et nos traditions s'inscrivent dans un besoin d'équilibre et d'harmonie—la réconciliation. Et une enquête publique est évidemment un processus de réconciliation.

Á  +-(1155)  

    Les Canadiens n'en savent pas suffisamment au sujet de l'héritage des pensionnats. Les survivants ont un besoin impérieux de raconter leur histoire. Tout processus de recherche de la vérité, une enquête publique, sera au coeur d'une réconciliation ultime. Si nous pouvons faire cela ensemble, nous pouvons préparer la scène mondiale à la manifestation d'une véritable conciliation.

    En résumé, nous devons donner une nouvelle vie et un nouveau sens à la Déclaration de réconciliation qui a été faite si courageusement par le Canada. Le Canada doit être continuellement guidé par les principes et les objectifs établis dans sa déclaration. Un dialogue et une collaboration soutenus entre le Canada et ses peuples autochtones doit avoir lieu pour assurer la propriété mutuelle et la crédibilité du document.

    Il faut mettre un accent approprié et consacrer des ressources appropriées aux initiatives visant à promouvoir la réconciliation. Des excuses de la part du premier ministre devant la Chambre des communes mettraient beaucoup d'accent sur la guérison et la réconciliation. L'indemnisation forfaitaire, telle qu'elle est proposée par l'Assemblée des Premières nations dans son étude du MARC, favoriserait beaucoup la guérison et la réconciliation et aiderait à rétablir l'équilibre et l'harmonie dans les relations entre les Autochtones et les autres Canadiens. La nécessité de prolonger le mandat et le financement de la Fondation autochtone de guérison est impérative; négliger de le faire aurait un prix beaucoup trop élevé.

    La tâche nous revient alors—principalement à vous, mais à nous également. Ma tâche est de vous dire ce qui m'est arrivé, de vous dire ce que j'ai vu, de vous dire ce que j'ai entendu. Nous ne voulons pas marcher à la tombe sans avoir entendu que cette situation n'était pas de notre faute ou de la faute de nos parents. Nous avons besoin que vous vous leviez et que vous nous disiez maintenant que vous nous entendez et que vous êtes désolé de ce qui est arrivé.

    Nous avons besoin que vous regardiez au-delà du cas particulier de la grand-mère qui ne parlera jamais de sa douleur, mais dont les enfants ont été les témoins silencieux des répercussions quotidiennes de cette douleur. Nous avons besoin que vous regardiez les hommes qui ont bu et qui ont bu jusqu'à ce que leur douleur ne puisse plus être apaisée par l'alcool, de sorte qu'ils ont dû s'enlever la vie pour mettre un terme à leur douleur. Nous avons besoin que vous regardiez nos enfants, qui ont été frappés encore et encore par le bras très long et invisible de la discipline et de la douleur qui régnaient dans ces écoles. Nous avons besoin que vous regardiez, que vous écoutiez, et que vous fassiez quelque chose.

    Enfin, toutes les parties doivent travailler ensemble pour amener une résolution des problèmes des survivants et la réconciliation pour tous. Le gouvernement, les églises, les organismes autochtones comme l'APN et d'autres, les survivants, les avocats des victimes comme Baxter et d'autres devraient se réunir dans un sommet pour parler de ces choses. Nous sommes d'accord avec le consortium Baxter pour dire que si jamais il y a une entente négociée, elle devrait être supervisée par les tribunaux.

    Merci beaucoup d'avoir écouté aujourd'hui.

+-

    La présidente: Merci beaucoup, chef.

    Nous allons commencer les questions adressées à ces témoins en donnant la parole aux Conservateurs dirigés par M. Jim Prentice.

+-

    M. Jim Prentice (Calgary-Centre-Nord, PCC): Avons-nous le temps de poser des questions?

+-

    La présidente: Nous allons prendre le temps d'en poser. Nous allons d'abord faire un tour de table.

+-

    M. Jim Prentice: Merci pour ces exposés réfléchis, et merci d'avoir eu le courage de venir nous parler aujourd'hui d'un sujet que vous maîtrisez et que j'ai moi-même beaucoup de mal à saisir. Encore une fois, merci.

    Comme nous n'avons pas beaucoup de temps, j'aimerais vous poser une question au sujet du MARC. Chef Joseph et Michael, vous avez participé aux projets pilotes. J'ai du mal à comprendre comment le processus a pu dérailler à ce point. Les chiffres varient selon les rapports, mais d'après ce que j'ai compris, nous avons jusqu'à maintenant consacré plus de 125 millions de dollars au MARC. Or, moins de 50 demandes ont été réglées, et je fais abstraction ici des projets-pilotes, et moins de un million de dollars ont été versés en guise d'indemnités. Nous avons dépensé 125 millions de dollars, mais avons versé moins de un million de dollars aux demandeurs.

    Je n'arrive pas à comprendre comment le système a pu dérailler à ce point, surtout qu'il a fait l'objet de projets pilotes pendant plusieurs années. Je me demande si vous pouvez nous aider à comprendre, nous expliquer ce qui s'est passé, nous dire si des rapports de suivi étaient remis au gouvernement.

  +-(1200)  

+-

    M. Robert Joseph: Une des particularités des projets pilotes, c'est que, dans tous les cas, les demandeurs ont choisi de participer au MARC en tant que groupe. Il a fallu entre un et trois ans pour mettre en place les projets pilotes, sauf que le recours au MARC s'est fait en groupe, ce qui veut dire que les personnes se réunissaient par groupes de 20, 30, 40 ou plus pour présenter une demande. Le nouveau modèle avait surtout été conçu pour traiter les demandes de survivants qui réclamaient, à titre individuel, une compensation pour sévices physiques et sexuels.

    Ce qui a en outre compliqué l'entrée en vigueur du nouveau modèle, c'est que le Canada ne possédait pas les capacités voulues pour le mettre en oeuvre immédiatement, avec efficacité. Il n'y avait pas suffisamment d'arbitres, et le MARC comportait de nombreuses lacunes administratives qui empêchaient le Canada de le mettre en place avec célérité.

    M. Hughes m'a dit qu'ils vont tenir 40 ou 50 audiences. C'est beaucoup moins que ce qui a été prévu, même pour la première année, parce qu'ils ne possèdent pas les capacités et les ressources administratives voulues pour lancer le programme. M. Hughes m'a dit, hier, qu'ils espèrent examiner, au cours du nouvel exercice, au moins 1 000 demandes.

+-

    M. Michael A. Cachagee: J'ai travaillé sur les lignes de front, sur le terrain, et les problèmes étaient nombreux. Par exemple, il y avait, dans le MARC lui-même, des concepts qui étaient étrangers aux Premières nations. Prenons, par exemple, l'isolement injustifié. Nous avons dépensé 10 000 $ pour établir un glossaire, et nous l'avons fait de notre propre initiative, de notre propre chef. L'isolement injustifié est un concept qui est étranger aux Premières nations. Nous n'y avons jamais eu recours. Lorsqu'est venu le temps de le faire traduire, il a fallu préparer une description longue de trois pages et demie pour expliquer aux demandeurs ce qu'était l'isolement injustifié.

    Le formulaire de demande comprenait également de nombreux concepts qui étaient eux aussi étrangers. Nous ne pouvions pas vraiment les traduire en un ou deux mots. Les demandeurs étaient carrément effrayés. Ils ne savaient pas comment réagir.

    Le procès civil, par exemple, est une procédure que les Premières nations ne connaissent pas. Nous n'intentons pas de poursuites contre nos membres. Nous n'utilisons pas les tribunaux de cette façon. Nous comprenons fort bien le système pénal. Si vous commettez une infraction, vous devez vous présenter devant un juge, qui va vous imposer une peine, une amende ou vous déclarer non coupable. C'est une façon plutôt simple de décrire le système. Toutefois, le procès civil et tout ce qu'il implique est un concept étranger. On ne leur a jamais expliqué ce que c'était. Quand vous prenez un processus qui repose sur des concepts étrangers aux Autochtones et que vous l'appliquez aux Premières nations, cela ne peut pas fonctionner. Beaucoup d'entre eux ont réagi avec inquiétude.

    Par ailleurs, dans les petites collectivités, tout le monde—et c'est ce que se passe dans les petites villes du Canada—sait ce qu'une personne reçoit par la poste. Les sévices sexuels et physiques étant les deux éléments qui servent de fondement au MARC, bon nombre de personnes plus âgées, surtout les grand-mères, hésitaient à présenter une demande parce qu'elles seraient encore une fois montrées du doigt. Elles recevaient du courrier, et une personne se faisait dire, ah, ta grand-mère a été agressée sexuellement par un prêtre et que c'est pour cette raison qu'elle présente une demande. Ces nuances propres à une collectivité n'ont jamais été prises en compte.

    Encore une fois, on se retrouve devant un préjugé racial. Ce document a été créé dans un contexte anglo-canadien et imposé aux Premières nations. Ceux qui vivent en milieu urbain—j'ai l'habitude de dire qu'ils sont tellement détachés de la réalité qu'ils ne savent plus de quelle couleur est l'herbe—n'ont pas de mal à le comprendre. Cela fait partie de leur milieu.

    Il y a un autre point qu'il convient de mentionner concernant les anciens et les handicapés. Bien que bon nombre d'entre eux aient passé 10 ou 12 ans dans un pensionnat, la plupart en sortaient, en moyenne, avec un niveau de sixième parce qu'ils n'allaient à l'école qu'une demi-journée. Ils ne comprenaient pas du tout le sens des mots utilisés dans le formulaire, la terminologie, et c'est pourquoi nous avons eu tellement de problèmes. Nous avons passé beaucoup de temps avec eux, mais ils ne pouvaient pas vraiment comprendre certaines des questions qui étaient posées.

    J'ai visité de nombreuses collectivités qui sont de tendance chrétienne. Si vous ne vous familiarisez pas avec le protocole en vigueur dans cette collectivité, vous ne saurez pas qu'il y a des questions qu'il ne faut pas poser. Il ne faut pas parler publiquement de tout ce qui touche au sexe ou aux agressions sexuelles.

    Donc, le processus était truffé de problèmes qui n'ont jamais été pris en compte. Le document a été pondu dans un bureau d'Ottawa et envoyé ensuite aux Premières nations.

  +-(1205)  

+-

    La présidente: Merci.

    M. Cleary, du Bloc.

[Français]

+-

    M. Bernard Cleary (Louis-Saint-Laurent, BQ): Merci, madame la présidente.

    Tout d'abord, je félicite les témoins pour leurs interventions.

[Traduction]

+-

    La présidente: Nous avons de la difficulté à vous entendre.

+-

    M. Michael A. Cachagee: Nous avons eu le même problème, la semaine dernière, à Vancouver. Mon collègue du Québec ne parlait pas l'anglais, mais il me comprenait quand je m'exprimais dans ma langue. Vous parlez peut-être le cri.

[Français]

+-

    M. Bernard Cleary: Je ne le parle malheureusement pas.

[Traduction]

+-

    La présidente: Il faut débrancher le tout et ensuite démêler les fils.

[Français]

+-

    M. Bernard Cleary: Je voulais que vous m'entendiez surtout pour que je puisse vous féliciter pour vos merveilleux témoignages.

    Je suis moi-même autochtone. Je suis un Innu de Mashteuiatsh, à Pointe-Bleue. J'ai eu l'occasion, à maintes et maintes reprises, de travailler dans nos communautés.

    Ça ne fonctionne toujours pas. On va y arriver. On a du temps devant nous.

[Traduction]

+-

    La présidente: C'est du chinois pour vous? Vous pouvez augmenter le volume.

+-

    M. Michael A. Cachagee: On aurait peut-être dû continuer en chinois.

    Des voix : Oh, oh!

[Français]

+-

    M. Bernard Cleary: D'abord, je veux vous féliciter pour la qualité de vos interventions. Vous nous avez fait comprendre des choses que nous comprenions, mais que nous n'avions pas pu toucher du doigt comme nous l'avons fait en écoutant vos témoignages.

    Comme je vous le disais tout à l'heure, je suis moi-même un Innu de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean. J'ai eu l'occasion de travailler aux dossiers autochtones pendant 40 ans, et depuis quelques mois, je suis député et porte-parole pour le Bloc québécois.

    J'ai décidé de m'impliquer en politique pour faire avancer un peu plus le dossier autochtone. J'étais plutôt un guerrier, mais aujourd'hui, j'espère pouvoir vous aider d'une façon différente.

    J'ai cru comprendre de vos propos que vous étiez tous malheureux de ce qui se passait présentement. Il y a toujours des processus compliqués qui prennent beaucoup de temps. Comme autochtones, nous sommes toujours empêtrés par ces choses. Les gens ayant l'instruction dont vous parliez tout à l'heure, vous ne vivrez probablement pas assez vieux pour recevoir les compensations nécessaires pour tout ce dont vous avez souffert. Malheureusement, encore une fois, il sera trop tard. Si cela continue, il ne restera plus de ces gens qui avaient été placés dans des pensionnats. Donc, le gouvernement doit faire tout ce qui est possible pour changer cela. Vous demandez simplement des excuses. Ce n'est pas compliqué.

    L'ancienne ministre des Affaires autochtones et du Développement du Grand Nord, Mme Jane Stewart, après la commission royale, a reconnu que tout ce qui était dans le rapport était exact et que le Canada en était peu fier. Si le Canada en est peu fier, qu'il prenne donc les moyens pour que ceux qui ont vécu tout cela puissent au moins avoir des fins de jour agréables, afin qu'ils ne soient plus amers et puissent arriver à des résultats. Ce n'est pas si compliqué. Ce sont les fonctionnaires qui compliquent tout. On n'est pas capable de faire des choses simples. On n'est pas capable d'arriver à des solutions faciles. Il faut toujours que ce soit compliqué, si bien qu'on vous enterre dans des processus dans lesquels vous vous perdez.

    Je comprends que vous soyez perdus là-dedans, car je le suis souvent, moi aussi. J'ai vécu là-dedans et je suis aussi perdu. Vous comprenez que nous--j'allais dire de ce côté-ci de la table comme de l'autre--allons essayer de faciliter les choses. On ne peut pas accepter, surtout après vos demandes, que ce long processus retarde encore, encore et encore les solutions.

    La guérison est un beau principe, mais c'est long. Lorsqu'on amorce un processus de guérison à un certain âge... Imaginez-vous la longueur de tout cela. Cependant, avant que le processus de guérison ne soit mis en branle, il pourrait y avoir d'autres formes de règlement du conflit. Les compensations ne doivent pas arriver après. Elles doivent arriver avant, afin que celui qui amorce un processus de guérison le fasse avec optimisme.

    Présentement, vous amorcez le processus de guérison sans savoir ce qui arrivera au bout. Vous n'êtes pas en mesure d'évaluer ce qui arrivera.

  +-(1210)  

    On doit vous dire ce qui arrivera. On doit tout simplement dire qu'on s'excuse et qu'on vous donne ce que vous avez mérité. De notre côté, nous allons y travailler.

    Merci, madame la présidente.

[Traduction]

+-

    La présidente: Merci.

    Monsieur Martin, s'il vous plaît.

+-

    M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD): Merci, madame la présidente.

    Je tiens à vous remercier d'avoir eu le courage et la force de venir nous rencontrer aujourd'hui pour nous parler de ce qui constitue, je suis d'accord avec vous, un chapitre honteux de notre histoire. Cette expérience n'est qu'un échec catastrophique aux proportions épiques.

    Ma circonscription de Winnipeg-Centre compte 16 000 membres des Premières nations, Métis et Inuit qui s'identifient comme tels dans le questionnaire de recensement. Je vois tous les jours l'impact intergénérationnel qu'a provoqué cette insulte historique.

    Vous avez dit que le premier ministre du Canada devrait, et vous qualifiez cela de point de départ important, se lever à la Chambre et présenter des excuses publiques. Je suis d'accord avec vous. Je me joins à vous pour demander au premier ministre du Canada de présenter publiquement des excuses. S'il vous entend, comme nous vous avons entendu aujourd'hui, il devrait agir sans délai, puisque, à mon avis, il n'y a rien qui l'empêche de le faire.

    Notre étude aujourd'hui porte sur le mode alternatif de règlement des conflits. D'après les chiffres fournis par M. Prentice, nous avons un programme qui gaspille 99 p. 100 des fonds qui lui sont consacrés, et qui ne livre que 1 p. 100 du produit sous forme d'indemnités. Ce programme est un échec. Il est l'illustration parfaite de ce que n'importe quelle institution ou organisation, société ou entreprise, qu'elle soit privée ou publique, qualifierait d'échec retentissant. C'est un désastre.

    Quand on a annoncé que la Fondation autochtone de guérison allait recevoir 350 millions de dollars, le grand public a pensé, à tort, qu'elle allait prendre le nombre de survivants, diviser les 350 millions par le nombre de survivants, et distribuer à chaque personne x nombre de dollars. Il n'y a rien de plus faux.

    Certains d'entre vous ont laissé entendre qu'un seul critère devrait être utilisé pour déterminer l'admissibilité à une indemnité, soit la preuve de fréquentation. Autrement dit, la personne qui est en mesure de démontrer qu'elle a fréquenté un pensionnat entre telle ou telle année devrait avoir droit à une indemnité, sans qu'elle ne soit obligée de revivre à nouveau l'expérience, ainsi de suite.

    Ma question s'adresse à ceux qui veulent bien y répondre. À combien devrait s'élever le montant forfaitaire versé à chacune des personnes, entendu que certaines infractions criminelles bien précises appellent une indemnité supérieure au montant forfaitaire? Est-ce que quelqu'un a pris la peine de faire ce calcul?

  +-(1215)  

+-

    M. Robert Joseph: Je ne l'ai pas fait, mais j'ai rencontré, récemment, des survivants qui faisaient partie d'un groupe de discussion, en Colombie-Britannique. Ce qu'ils veulent que nous fassions comprendre au comité et au gouvernement, c'est que le montant des indemnités à verser devrait être fixé par un groupe d'experts indépendants. C'est tout ce que m'a dit, jusqu'à maintenant, le groupe de la Colombie-Britannique.

    Les autres témoins ont peut-être des chiffres à vous fournir.

+-

    M. Pat Martin: Je voudrais faire un bref commentaire avant que vous ne cédiez la parole au prochain intervenant.

    Nous avons demandé à un groupe indépendant d'examiner le montant de l'indemnité qui devrait être versée aux anciens combattants autochtones. Il a jugé que chaque personne devait recevoir entre 150 000 $ et 420 000 $. Le gouvernement fédéral a versé à chacun des anciens combattants 20 0000 $, en plus de leur faire signer une quittance dans laquelle ils s'engageaient à ne pas demander plus. Je tiens tout simplement à signaler que le montant fixé par un groupe indépendant peut être beaucoup plus élevé que ce que le gouvernement fédéral est prêt à offrir.

+-

    M. Michael A. Cachagee: Monsieur Martin, c'est une question que l'on m'a souvent posée lors des séances d'information publiques.

    Quand on décide de verser un montant forfaitaire, on laisse entendre que tout le monde a vécu la même expérience, sauf que ce n'est pas le cas, et l'histoire nous le montrera bien. Ceux qui ont fréquenté des pensionnats dans les années 30 et 40 ont subi des sévices inimaginables.

    Je vais vous donner un exemple. Il y avait, dans les années 40, et j'étais jeune garçon à l'époque, un dépôt de glace dans l'école, à Chapleau. Un jour, nous avons vu un homme qui s'affairait à nettoyer un quartier avant de boeuf, à enlever les asticots, à les laver avec du vinaigre. Nous lui avons demandé ce qu'il allait en faire. Il a répondu : « C'est ce que vous allez manger ce soir ». Voilà comment les choses se passaient dans les pensionnats. Nous étions essentiellement des enfants que l'on forçait à travailler dans les années 30, 40 et au début des années 50.

    La présidente de notre association est ici. J'ai oublié de vous la présenter. Elle s'appelle Irene Barbeau. Nous avons l'habitude de blaguer au sujet d'une photo qui se trouve dans nos archives et qui montre un groupe de survivants d'un pensionnat devant un restaurant A&W en train de manger des hamburgers. Je lui dis : « Ce n'était pas notre cas. Nous n'avons pas vécu cela. » C'est le genre de choses... Nous mangions du boeuf avarié et non des hamburgers de A&W. Les indemnités devraient être versées selon une échelle graduée. Je pense, en fait, qu'il y a déjà suffisamment de plafonds en place, et que nous devrions être en mesure de trouver une formule équitable qui contenterait tout le monde.

    J'ai un ami qui vit à Fort Severn. Il est maintenant grand-père. Il a passé douze ans et demi dans des pensionnats, et en est sorti avec un niveau de cinquième. Il a dit, en pensant à la société dominante et à toutes les années qu'il a passées sur le marché du travail: « Je n'ai rien à laisser à mes petits-enfants, sauf peut-être un vieux skidoo ou quelque chose du genre. Mon confrère, lui, qui fait partie de société dominante, peut laisser une foule de privilèges à ses petits-enfants. »

    Voilà le constat qu'il fait.

  +-(1220)  

+-

    M. Pat Martin: Avons-nous le temps d'entendre ce que Ted a à dire?

+-

    La présidente: Nous allons maintenant céder la parole à M. Cullen.

+-

    L'hon. Roy Cullen (Etobicoke-Nord): Merci, madame la présidente, et merci à tous les témoins pour les exposés qu'ils nous ont présentés aujourd'hui.

    D'abord, chef Joseph, je compatis avec vous et je trouve malheureux qu'une telle chose se soit produite. Nous devons maintenant nous attaquer à ce problème, essayer de trouver une solution juste et efficace. Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet, et je pourrais moi aussi en parler longuement, sauf que nous n'avons pas beaucoup de temps.

    D'abord, monsieur DeGagné, vous avez dit que compensation et guérison vont de pair, et je suis d'accord. Le gouvernement est en train d'examiner des pistes de solution qui comportent un processus de guérison. J'avoue que je trouve bizarre la façon dont le mode alternatif de règlement des conflits a été mis sur pied. Il y avait des projets pilotes, et des membres des Premières nations y ont sûrement participé. Or, on se rend compte, sur le terrain, comme vous le dites, que le programme ne fonctionne pas... Il a dû y avoir des membres des Premières nations qui ont participé à ces projets pilotes, à l'élaboration de certains critères. Je suis donc étonné de voir que le processus a déraillé, puisque c'est ce que vous laissez entendre.

    Par ailleurs, lorsque le gouvernement a annoncé la mise sur pied du MARC, en décembre 2002 si je ne m'abuse, il y avait de nombreux aspects du programme qui n'avaient pas encore été définis. Les mécanismes, les critères n'avaient pas encore été établis. On ne pouvait pas commencer à régler ou à examiner immédiatement les demandes. Il fallait mettre sur pied une infrastructure. Vous deviez participer au processus, à l'élaboration des critères.

    Quand on compare le montant des indemnités aux coûts administratifs du programme, on se demande s'il n'y a pas lieu d'accélérer le versement des dédommagements. Il me semble que lorsqu'on met en place un programme qui tourne rondement, les coûts administratifs devraient être moins élevés que les coûts de règlement.

    L'Assemblée des Premières nations a produit un rapport très détaillé que le gouvernement est en train d'examiner. Le processus qui a été mis sur pied pourrait sans doute faire l'objet de certaines améliorations. Toutefois, vous proposez un changement beaucoup plus profond, puisque vous dites que les indemnités devraient être versées du simple fait qu'une personne s'est retrouvée dans un pensionnat. Je ne sais pas ce que cela pourrait coûter au gouvernement. Je ne sais pas non plus comment les Canadiens en général réagiraient si l'on acceptait de verser un montant forfaitaire à une personne tout simplement parce qu'elle s'est retrouvée dans un pensionnat. Il y a peut-être des personnes—corrigez-moi si je me trompe—qui n'ont pas vécu une expérience aussi négative dans ces établissements.

    Le MARC, comme vous le savez, est un programme volontaire. Si on a décidé de le limiter aux personnes qui ont subi des sévices physiques, sexuels et d'isolement, c'est parce qu'on voulait accélérer le processus. Lorsqu'on aborde les questions de langue et de culture, le règlement des dossiers devient plus compliqué du point de vue juridique.

    Cela dit, j'ai hâte d'entendre les autres témoins que nous allons rencontrer. Si l'un d'entre vous souhaite faire un commentaire au sujet de l'accélération du versement... Êtes-vous en train de dire que le programme ne pourra jamais être administré de façon raisonnable, par rapport aux coûts de règlement? Ou êtes-vous en train de dire que nous devrions revoir toutes les modalités du programme?

  +-(1225)  

+-

    La présidente: Qui veut répondre?

    Monsieur Cachagee.

+-

    M. Michael A. Cachagee: Je vais répondre. C'est ce que je ne cesse d'entendre sur le terrain. À la connaissance de la plupart des survivants, et c'est ce dont je me suis aperçu, nulle part au Canada jusqu'ici a-t-il été prévu un mode alternatif de règlement des conflits pour réparer des actes malfaisants et des actes criminels. Les gens à qui j'ai parlé en sont offusqués parce que, comme je l'ai dit plus tôt, lorsqu'ils commettent un acte criminel, ils sont traînés au tribunal devant un juge. Lorsque ces trois éléments sont définis comme étant de nature criminelle et planifiée—sévices physiques, sévices sexuels et isolement injustifié—ils veulent savoir pourquoi tout d'un coup il existe un mode alternatif, par rapport à ce qu'ils ont vécu. Il semble une fois de plus que justice soit rendue de deux façons différentes. C'est l'une des premières questions qu'ils posent—pourquoi nous présente-t-on cette forme de réparation? Je vous en fais part à la fois comme déclaration et comme question.

+-

    L'hon. Roy Cullen: Allez-y.

+-

    M. Robert Joseph: Lorsque le programme a été annoncé, on essayait encore d'en préciser de nombreux éléments techniques. À partir du moment où l'annonce a été faite en novembre, jusqu'en août et septembre, près de 800 à 900 demandes ont été présentées au MARC. La semaine dernière, on en était à 1 200 demandes, si je ne me trompe.

    Pendant assez longtemps, on ne pouvait même pas commencer à donner suite à ces demandes initiales, parce que RQPIC n'était pas prêt, n'avait pas la capacité voulue pour commencer à examiner les demandes, les envoyer aux arbitres, mettre tous les arbitres en place afin de commencer à rendre des décisions. C'est pour cela que les coûts administratifs sont élevés en raison du nombre peu élevé de demandes qui donnent lieu à des audiences. Il se peut que ces coûts diminuent, mais à l'heure actuelle ils sont beaucoup trop élevés. Ils correspondent à près de quatre fois, je crois—les coûts administratifs des dommages-intérêts qui ont été versés.

    Il se peut que les choses aillent légèrement mieux, mais il me semble que c'est excessivement coûteux.

+-

    L'hon. Roy Cullen: Les gens chargés des programmes... parlons-nous simplement d'inefficacité ou est-ce parce qu'ils ont essayé de comprendre, peut-être pas très bien, selon vous, les critères et la façon dont le programme pourrait être mis en oeuvre?

    J'aimerais revenir au point soulevé par M. Cachagee. À mon avis, c'est le temps qui est un élément du problème que posent les accusations criminelles. Il est maintenant pratique d'attendre pour régler les choses rapidement.

    Chef Joseph, les gens chargés du programme sont-ils simplement inefficaces?

+-

    M. Robert Joseph: Tout d'abord, ils ne disposaient pas de la capacité voulue pour commencer. Ils n'étaient pas prêts. Ils essaient encore de rattraper le temps perdu et d'être prêts.

    On ne peut pas parler de leur efficacité pour l'instant, parce qu'on n'a pas eu le temps de décider si, oui ou non, une fois que tout sera en place, ils pourront donner suite à de nombreuses demandes et organiser des audiences. Nous ne le savons pas.

    J'imagine que d'ici quelques mois, nous serons en mesure de savoir plus précisément où ils en seront.

+-

    L'hon. Roy Cullen: Dans le cadre du processus, ils doivent établir des lignes directrices, embaucher et former des gens.

+-

    La présidente: Monsieur Cullen, désolée, nous allons devoir terminer; je m'en excuse.

    J'ai accordé une demi-heure de plus à ce groupe pour leurs témoignages. J'aimerais en profiter maintenant pour vous remercier tous de vos excellents exposés. Un autre groupe de personnes devait nous parler pendant une heure, mais je ne pense pas que ce sera possible. Encore une fois, merci beaucoup pour vos exposés et merci d'être venus pour nous faire part de vos expériences.

    La séance est suspendue pendant une minute environ pour nous préparer à accueillir les autres témoins.

  +-(1230)  


  +-(1235)  

+-

    La présidente: Je déclare de nouveau la séance ouverte afin d'accueillir le prochain groupe de témoins.

    J'aimerais vous remercier profondément de la patience que vous avez manifestée ce matin. Comme vous le savez, ces exposés sont parfois très difficiles et nous aimons donner l'occasion aux gens qui viennent de loin d'avoir le temps de parler de leurs expériences aux membres du comité, car c'est à peu près le seul moment où nous allons les voir. Nous essayons donc d'être très flexibles, si le temps le permet. Par conséquent, merci encore de votre patience.

    Je vois que nous avons trois témoins : M. Craig Brown, du National Consortium of Residential School Survivors' Counsel; M. Paterson, de David Paterson Law Corporation; et M. Russell Raikes, de Cohen Highley LLP.

    Monsieur Paterson, allez-y.

+-

    M. David Paterson (avocat, David Paterson Law Corporation): Merci, madame la présidente et honorables membres du comité.

    J'aimerais commencer par deux observations très rapides. Tout d'abord, j'ai ici le rapport hebdomadaire de Résolution des questions des pensionnats indiens Canada de lundi dernier où il est indiqué que jusqu'à présent, 65 semaines plus tard, quelque 50 décisions ont été rendues dans le cadre de ce mode de règlement des conflits. Entre aujourd'hui, date à laquelle commencent ces audiences, et mardi prochain, date où elles se terminent, 50 survivants des pensionnats seront morts. Je pense qu'il est important de souligner l'urgence de ce processus, lequel ne peut pas bien sûr répondre, comme il le faudrait, à la crise qui se produit sous nos yeux.

    J'aimerais également souligner que nous recherchons ici et devant les tribunaux une forme de réparation universelle, supervisée judiciairement.

    Honorables députés, nous représentons des avocats de diverses régions du pays. Je représente moi-même des requérants dans le contexte d'affaires liées aux pensionnats indiens depuis 1994, en Colombie-Britannique. M. Raikes est l'avocat chargé du recours collectif Cloud de l'école Mohawk, et M. Brown est l'avocat chargé du recours collectif Baxter. Nous tous participons au processus Baxter lui-même et au consortium national, qui intervient ici et qui a mis sur pied une stratégie nationale de traitement des litiges qui englobe diverses affaires, dont celles dont nous nous occupons tous. Je suis l'avocat chargé de l'affaire Blackwater, qui a débuté en 1996 et qui devrait faire l'objet d'une audience à la Cour suprême du Canada au mois de mai prochain.

     Ce sont les plaignants à l'origine du procès Blackwater qui ont mis en évidence, pour la première fois, la nécessité d'instaurer un processus visant à répondre aux requêtes des pensionnats indiens dans notre pays. Même si les pensionnats indiens avaient fait l'objet de débats publics, ils n'avaient jamais été à l'ordre du jour national jusqu'au moment où un groupe de jeunes gens très courageux—eh bien, ils ne le sont plus vraiment—a engagé des procédures judiciaires; tout d'un coup, cette question est devenue digne d'intérêt.

    Depuis le début de l'affaire Blackwater, dont le procès a duré trois ans, les survivants n'ont cessé de présenter leurs requêtes devant les tribunaux, servant ainsi de moteur à chaque initiative gouvernementale prise à cet égard: les premières excuses gouvernementales en 1997, la création de la fondation de guérison en 1998, les échanges exploratoires en 1998 et 1999, les projets pilotes qui ont débuté en 1999 et le processus fédéral de règlement des requêtes mis sur pied en 2003. Les requérants devant les tribunaux sont encore ceux qui, aujourd'hui, orientent l'évolution de la politique gouvernementale.

    Toute les initiatives fédérales mentionnées ci-dessus poursuivaient les mêmes objectifs, soit isoler les survivants qui saisissaient les tribunaux de leurs causes, arriver à des compromis pour ne pas avoir à confronter ce qui semblait une masse critique de requérants potentiels, et diminuer la possibilité pour le gouvernement d'avoir à accorder un dédommagement judiciaire. Le gouvernement a toujours eu pour politique, et c'est encore le cas aujourd'hui, d'accorder une réparation minime à ceux dont les requêtes, selon lui, allaient presque certainement aboutir devant les tribunaux afin, essentiellement, de n'accorder pratiquement rien aux autres.

    Jusqu'à présent, de 12 000 à 13 000 survivants ont présenté leurs requêtes devant les tribunaux. Plusieurs milliers de plus ont retenu les services d'un avocat pour les représenter dans le contexte de recours collectifs et ils n'apparaissent pas dans le recensement gouvernemental des parties plaignantes, qui est publié de temps à autre par le ministère. Huit cent de plus ont présenté leurs requêtes dans le cadre du processus fédéral de requêtes. Le rapport du gouvernement indique en fait 1 200 personnes, mais 445 d'entre elles participent également à la procédure judiciaire.

    Nous prévoyons que le gouvernement va chercher sous peu à imposer unilatéralement une nouvelle refonte de son processus de requêtes. Au cours de ce travail de révision, le gouvernement a expressément refusé de nous accorder à nous-mêmes et à l'Assemblée des premières nations la possibilité de rencontrer les avocats des milliers de requérants qui considèrent que seul un jugement ou un règlement judiciaire dans le contexte d'un procès représente la meilleure façon d'arriver à un règlement juste et forcé des requêtes présentées.

  +-(1240)  

    Nous croyons qu'aucun règlement juste de la question n'est possible, ce qui relègue au second plan des milliers de requérants qui ne peuvent prendre part au processus. Nous convenons avec eux que seul un règlement approuvé de façon indépendante et rendu exécutoire par les tribunaux peut réellement garantir un règlement significatif des questions mises en évidence par ces survivants. Il serait foncièrement inapproprié de les reléguer au second plan.

+-

    M. Russell Raikes (avocat, Service du contentieux, Cohen Highley LLP): Tout d'abord, je vous remercie de me donner la possibilité de débattre de ces questions.

    Comme l'a indiqué David, je suis l'avocat des familles et des élèves qui ont fréquenté le Mohawk Institute Residential School à Brantford, en Ontario. Cette affaire porte le nom de Cloud et un groupe de trois juges de la Cour d'appel de l'Ontario a récemment certifié à l'unanimité qu'il s'agissait d'un recours collectif. C'est le premier recours du genre et le plus avancé qui soit intenté par des pensionnats indiens au Canada.

    Je sais que nos débats d'aujourd'hui portent essentiellement sur le programme MARC, si bien que j'ai pensé vous lire ce que la Cour d'appel a eu à dire à cet égard :

Je ne suis pas d'accord que le système MARC modifie la conclusion que le recours collectif est la procédure préférable. C'est un système mis en place unilatéralement par l'un des [défendeurs] dans le recours actuel et il pourrait être démantelé unilatéralement sans le consentement des [anciens élèves]. Il ne porte que sur les sévices physiques et sexuels. Il plafonne le montant de l'indemnisation possible et, surtout dans ces circonstances, par rapport au recours collectif, il partage les lacunes de l'accès à la justice en ce qui concerne les recours individuels. Il ne se compare pas favorablement à un procès ordinaire.

    Ce sont les propos tenus par M. le juge Goudge en son nom, bien sûr, ainsi qu'au nom des juges Moldaver et Catzman, pour la Cour d'appel de l'Ontario.

    Le modèle MARC que vous avez devant vous et que vous examinez a été conçu par des bureaucrates et pour des bureaucrates. Comme l'a indiqué la Cour d'appel, c'est un modèle unilatéral dont la portée est limitée, qui plafonne le montant des indemnisations et qui partage les lacunes de l'accès à la justice.

    Je vais terminer par ceci: nous parlons ici d'enfants, mais il s'agit maintenant de grands-parents. Les gens qui se présentent à mon bureau veulent parler de ce qui leur est arrivé quand ils étaient enfants. Ce sont maintenant des grands-parents qui arrivent au terme de leur vie.

+-

    M. Craig Brown (National Consortium of Residential School Survivors' Counsel): Merci, encore une fois, madame la présidente, de me donner la possibilité de venir parler devant vous au nom du consortium national et des clients que nous représentons.

    Le consortium est un groupe formé de 20 cabinets d'avocats de toutes les régions du pays qui intervient au nom des survivants des pensionnats indiens depuis plus de 10 ans. Plus de 6 500 survivants sont engagés dans des poursuites en vue d'obtenir réparation pour les préjudices qu'ils ont subis dans les pensionnats.

    Le consortium a mis au point une stratégie nationale de traitement des litiges, dont M. Paterson a fait mention, qui englobe les principales initiatives juridiques de chaque province, ce qui permet de coordonner les efforts déployés, appuyés par l'ensemble du groupe. Cette stratégie s'occupe essentiellement du recours collectif national Baxter. Les 85 000 victimes des pensionnats indiens se retrouvent dans ce recours qui est actuellement sur le point d'obtenir la certification en Ontario. Cette certification est rendue possible et est facilitée par le recours collectif Cloud de M. Raikes, et nous pensons que le recours collectif Baxter sera certifié dans peu de temps.

    La stratégie de traitement des litiges rassemble les milliers de survivants qui ont eu le courage de saisir les tribunaux en vue d'obtenir réparation pour les préjudices qu'ils ont subis. Ces survivants sont au premier rang du combat pour la justice et sont ceux qui ont pris des risques et vécu les difficultés qui sont nécessairement inhérents à tout procès public. Les requêtes de ces survivants ne sont pas prises en considération dans le contexte du programme de règlement des conflits du gouvernement.

    Nos clients rejettent collectivement les demi-mesures du règlement des conflits et demandent un dédommagement complet pour tous les préjudices qu'ils ont subis dans les pensionnats. Nos clients condamnent la stratégie gouvernementale qui ne fait que retarder les choses et qui est source de frustration en ce qui concerne les procès relatifs aux pensionnats indiens, dans toutes les régions du pays.

    Le consortium propose comme solution de rechange un régime global de dédommagement, exposé dans le plan Baxter, le plan du recours collectif qui est du domaine public et qui a été publié en juillet 2003.

    Notre plan se rapproche beaucoup—et ce n'est pas une coïncidence, car c'est un plan sensé—des propositions de l'APN publiées à la fin de l'année dernière. Nous appuyons ces propositions, car nous avons beaucoup en commun avec l'APN. Ces propositions permettraient un dédommagement universel à toutes les victimes des pensionnats indiens pour tous les préjudices qu'elles ont subis dans ces pensionnats.

    Toutefois, le consortium irait un peu plus loin que ces propositions APN, pour arriver à un programme de dédommagement approuvé par les tribunaux et supervisé judiciairement, qui ne pourrait pas être unilatéralement modifié ou supprimé par quelque partie que ce soit. Un tel règlement approuvé par les tribunaux, selon le modèle du règlement du recours collectif relatif à l'hépatite C, permettrait enfin de donner suite à toutes les demandes, passées, présentes et, plus important encore, à venir, ce qui satisferait toutes les parties à cette tragédie nationale.

    Le consortium recommande que l'effort de règlement à cet égard vise essentiellement à négocier un règlement équitable, efficace, global et exécutoire de toutes les revendications présentées par d'anciens élèves des pensionnats indiens, sous l'autorité de la Cour supérieure de l'Ontario dans le cadre du recours collectif national Baxter. Ces recommandations figurent dans le document écrit qui, je l'espère, a été distribué aux membres du comité; il s'agit de notre première recommandation, ou suggestion.

    Nous recommandons en deuxième lieu que tout règlement global soit mis en oeuvre avec l'approbation et sous la supervision de la cour, du début à la fin.

    Enfin, à propos du gaspillage des ressources, lesquelles devraient, en fin de compte, revenir aux victimes de cette tragédie, nous recommandons que les fonds que le gouvernement consacre à l'administration des demandes de dédommagement des anciens élèves, notamment dans le cadre du règlement des conflits, fassent l'objet d'une vérification immédiate du Bureau de la vérificatrice générale du Canada.

    Merci.

  +-(1245)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup pour votre exposé.

    Nous allons commencer par M. Harrison, du Parti conservateur.

+-

    M. Jeremy Harrison: Merci, madame la présidente.

    J'aimerais tout d'abord remercier nos témoins de leur présence aujourd'hui et de leur témoignage sur ce qui se passe véritablement dans le cadre du processus MARC.

    J'aimerais toutefois commencer, madame la présidente, par manifester mon désaccord avec le secrétaire parlementaire, M. Cullen, qui prétend que les 125 millions de dollars dépensés jusqu'ici, dont 1 million a servi effectivement au règlement des requêtes, représentent en quelque sorte un coût initial. C'est parfaitement ridicule : 1 million sur 125 millions de dollars, le reste étant consacré à l'administration? S'il s'agit d'un coût initial, ça n'a aucun sens. Il est totalement inacceptable que moins de 1 p. 100 des fonds du programme ait servi jusqu'à présent à régler ces requêtes.

    J'aimerais commencer par demander, peut-être à David, comment, dans la pratique, fonctionne ce processus MARC. Pourriez-vous peut-être en parler davantage et nous dire aussi si vous savez pourquoi seulement 1 million des 125 millions a été jusqu'ici dépensé pour le règlement des demandes?

  +-(1250)  

+-

    M. David Paterson: Je vous remercie.

    Il existe incontestablement des frais de démarrage, mais l'inefficacité extraordinaire est en fait intégrée dans le système. J'aimerais vous décrire deux audiences que j'ai eues récemment et qui illustrent bien mon propos. Il s'agissait de deux audiences portant sur des réclamations faites selon le modèle B, c'est-à-dire dont le règlement est plafonné à 3 500 $. Les deux réclamations ont été faites par des personnes de plus de 70 ans, de sorte que le règlement était accéléré, et elles ont été réglées beaucoup plus rapidement que ce n'est le cas habituellement.

    Dans les deux cas, il a fallu tenir des audiences. C'est une particularité du système. Ces audiences ont eu lieu à Duncan, en Colombie-Britannique. Dans chaque cas, le gouvernement a produit trois classeurs de documents représentant les résultats de sa recherche sur les pensionnats et tous les documents qu'il avait pu trouver sur chacune des trois personnes. Les audiences se sont tenues dans un hôtel de Duncan dont il a fallu louer les installations pour deux jours. Les deux audiences étaient prévues des jours distincts, mais consécutifs, et il a fallu faire venir des arbitres distincts pour chacune des audiences. L'un est venu de Vancouver par avion pour une journée et l'autre, d'Ottawa pour l'autre journée,. Était également présent un arbitre des réclamations fédérales, un conseiller juridique qu'on a fait venir de Vancouver. Il y avait en plus un conseiller du processus qu'on a fait venir de Vancouver. Moi-même, j'y suis allé de Surrey. Mes frais de déplacement seront également, en fin de compte, défrayés par le contribuable.

    Résultat, une personne a reçu un règlement de 1 400 $ et l'autre, de 3 500 $. Elles avaient été pensionnaires dans des établissements tenus par l'Église catholique romaine qui n'a pas conclu d'entente de partage des coûts avec la Couronne, et elles avaient fréquenté l'école avant 1969, de sorte que ces montants seront amputés de 30 p. 100, ce qui donne à peu près 980 $ et à 2 700 $ respectivement comme règlement.

    Nous évaluons à quelque 20 000 $ pièce le coût de traitement de ces réclamations et nous prévoyons que ce serait le cas de toutes les réclamations de modèle B. Elles représentent 40 p. 100 à peu près des 1 200 réclamations déposées jusqu'ici.

    Donc, l'inefficacité, sur le plan du coût, ne s'explique pas par des frais de démarrage; en fait, elle fait partie du processus. Il semble que nous ayons mis sur pied un processus extraordinairement coûteux pour régler ce qui s'avère être des réclamations peu élevées.

+-

    M. Jeremy Harrison: J'ai donc raison de croire que le coût peut s'élever à au moins 20 000 $ par réclamation quand le montant maximal prévu pour le règlement d'une réclamation du modèle B est de 3 500 $? Or, le gouvernement a déjà interjeté appel d'au moins une décision accordant 1 500 $ à une dame âgée de 88 ans.

    Peut-être pourriez-vous nous donner votre avis à ce sujet, car j'estime que c'est tout simplement scandaleux.

+-

    M. David Paterson: Le problème, c'est que nous avons mis en place un processus destiné à vérifier tous les détails de chaque cas. Nous avons mis en place un processus extrêmement compliqué pour décider qui a droit à l'indemnisation. Plutôt qu'un processus de règlement des litiges comme on se plaît à l'appeler constamment—règlement des litiges, MARC ou je ne sais trop quoi—, ce que nous avons, c'est une espèce de service d'assurance; le processus ressemble davantage à un mode de règlement des réclamations qu'à un mode de règlement des litiges.

    Il faut préciser que la réclamation n'est pas déposée auprès du processus de règlement des litiges, mais bien auprès du gouvernement, qui l'examine et décide si elle est recevable ou pas aux termes de son régime plutôt byzantin. S'il décide de ne pas la transmettre pour règlement, c'est fini. Elle ne va pas plus loin. C'est ainsi que le gouvernement a récemment décidé qu'il rejetterait toutes les réclamations d'anciens élèves du pensionnat baptiste du Yukon. Il a en effet reclassifié cet établissement comme n'étant pas un pensionnat et a simplement rejeté toutes les réclamations.

    On ne soumet pas la réclamation à un processus d'arbitrage, mais bien au gouvernement.

    Dans le cas particulier qui nous occupe, on a prétendu qu'en fait, l'arbitre, en faisant preuve d'un certain jugement indépendant, avait débordé de son champ de compétence et était allé à l'encontre de la légère modification juridictionnelle du programme gouvernemental. Essentiellement, le gouvernement a adopté comme position que, s'il n'a pas expressément prévu une forme particulière de sévice ou une nature particulière d'agression sexuelle ou je ne sais trop quoi encore, l'arbitre n'a pas le pouvoir discrétionnaire de la considérer comme étant analogue à autre chose. Elle est simplement exclue du programme.

    Voilà donc le genre de processus auquel nous sommes confrontés. Et l'idée même d'interjeter appel d'une décision de 1 500 $, avec la brochette d'avocats et tout le reste que cela comporte, dépasse, à vrai dire, l'entendement.

  +-(1255)  

+-

    La présidente: Il vous reste 30 secondes environ.

+-

    M. Jeremy Harrison: C'est...

+-

    La présidente: Préférez-vous laisser un autre utiliser ces secondes? D'accord.

    Je suis sûre que M. Cleary saurait quoi faire de ces 30 secondes de plus.

[Français]

+-

    M. Bernard Cleary: Dans les 30 secondes qui me sont allouées, je vais poser une courte question. J'espère que vous allez pouvoir trouver la réponse.

    Vous semblez sceptiques quant à la possibilité de réussir à passer à travers ce dossier. Le groupe a-t-il proposé au gouvernement une forme de négociation générale afin qu'il y ait une seule table à laquelle on tenterait de régler l'ensemble du dossier? Avez-vous évalué cette formule et l'avez-vous proposée?

[Traduction]

+-

    M. Russell Raikes: Pour vous répondre brièvement, nous l'avons fait fois après fois après fois. La réponse a toujours été : « Nous ne sommes pas intéressés à discuter avec vous à moins que vous n'acceptiez de le faire selon nos conditions, c'est-à-dire que nous sommes disposés à examiner seulement des motifs très restreints et une portée très limitée pour régler des réclamations ».

    Souhaitiez-vous ajouter quelque chose?

+-

    M. Craig Brown: J'aimerais simplement ajouter que la solution évidente, logique et humaine au problème serait de réunir tous les intéressés, particulièrement maintenant que les études et les rapports sont terminés, que le programme MARC a été lancé et s'est révélé un échec et que la Cour d'appel de l'Ontario a rendu une décision—l'arrêt Cloud—selon laquelle ce problème se prête à un recours collectif. Il est logique que toutes les parties se réunissent et essaient de négocier un règlement humain et complet.

    C'est ce que nous demandons au gouvernement de faire depuis longtemps et, jusqu'ici, nos requêtes sont tombés dans l'oreille de sourds. Nous ferions bon accueil à toute aide qu'on pourrait nous donner.

[Français]

+-

    M. Bernard Cleary: Je n'ai plus de questions. Il ne me reste plus qu'à souhaiter que les choses se passent comme cela.

[Traduction]

+-

    La présidente: Monsieur Martin.

+-

    M. Pat Martin: Je vous remercie.

    Je vous suis reconnaissant de cette occasion de vous rencontrer et d'entendre votre exposé. Je suis d'ailleurs désolé qu'il faille se hâter, parce que nous venons d'entamer le fond de questions que j'aimerais bien creuser avec vous.

    Sous le titre « Gestion financière scandaleuse », dans votre mémoire, vous soulignez que 27 p. 100 des ressources du Contentieux des affaires civiles, au ministère de la Justice, sont mobilisées pour régler les revendications des anciens élèves des pensionnats. Pouvez-vous nous donner une idée approximative du nombre d'avocats que cela représente?

+-

    M. Craig Brown: Nous croyons qu'il s'élève à plus de 200.

+-

    M. Pat Martin: Plus de 200, dites-vous?

+-

    M. Craig Brown: Plus de 200 avocats répartis un peu partout au pays. Ils représentent de loin probablement le plus important cabinet spécialisé dans un problème au Canada.

+-

    M. Pat Martin: Rien ne pourrait faire frémir autant les contribuables que l'idée de plus de 200 avocats dont le compteur tourne pour empêcher qu'on rende justice à des personnes âgées qui ont été agressées sexuellement à l'école. L'idée est tout simplement renversante. Quel gaspillage des ressources!

    Lorsque j'ai posé des questions aux autres témoins tout à l'heure, j'ai peut-être causé un malentendu. Le montant n'est pas de 350 millions de dollars. Il s'agit là du montant réservé à la Fondation autochtone de guérison. Les fonds que le ministre des Finances a mis de côté pour régler les réclamations d'anciens élèves des pensionnats se rapprochent davantage d'un milliard et demi de dollars, n'est-ce pas?

+-

    M. Craig Brown: Quand le programme a été annoncé, nous avions cru comprendre qu'il était de 1,7 milliard de dollars et que 40 p. 100 environ de ce montant iraient à l'administration. C'est ce qui était prévu au départ.

+-

    M. Pat Martin: Ils étaient donc disposés à avoir des « pertes en cours de distribution », comme on les appelle dans le domaine de l'électricité. Ils étaient disposés à perdre 40 p. 100 du montant. C'était planifié. En fonction de ce qui s'est passé jusqu'ici, à combien s'élèveraient les pertes en cours de distribution, si nous continuons ainsi?

+-

    M. Craig Brown: À notre avis, ces pertes représenteront beaucoup moins que le quart de l'argent qui est dépensé pour régler des réclamations par opposition à une administration à long terme. Ce sont nos projections. Il est très difficile d'obtenir des données. Manifestement, le ministère chargé de régler cette question n'est pas très bavard à ce sujet. C'est là notre meilleure prévision.

·  +-(1300)  

+-

    M. Pat Martin: Donc, il s'agit du long terme, même selon le rapport de quatre pour un que vous citez au début, c'est-à-dire que pour chaque dollar investi dans l'indemnisation, 4 $ sont consacrés à l'administration. Cela après avoir tenu compte des frais de démarrage, une fois que la poussière sera retombée. Le rapport de quatre pour un était déjà scandaleusement élevé, mais la situation est dix fois pire, puisque nous parlons de moins de 1 million de dollars versés pour chaque tranche de 100 millions de dollars absorbée par l'administration.

+-

    M. Craig Brown: Le hic, entre autres, c'est que les gens ne se prévalent pas du régime. Des 12 000 ou 14 000 personnes dont la poursuite est en instance, aucune n'a fait appel au régime. Voilà 65 semaines que le programme est sur pied, et seulement 1 200 réclamations ont été faites. Donc, on a bâti une maison que personne ne viendra visiter.

+-

    M. Pat Martin: Oui. À un moment donné, il faut savoir lâcher prise.

+-

    M. Russell Raikes: C'est parce que le programme comporte une lacune fondamentale. C'est un programme unilatéral qui a une portée limitée et qui est trop difficile. Avez-vous vu le formulaire de demande à remplir? C'est incroyable.

+-

    M. Pat Martin: Non, je ne l'ai pas vu, mais j'en ai entendu parler.

    Je vous remercie.

+-

    La présidente: Monsieur Martin, je vous remercie.

    C'est maintenant au tour de M. St. Amand.

+-

    M. Lloyd St. Amand (Brant, Lib.): Merci, madame la présidente.

    Je crois savoir qu'on a contesté la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario sur un point de procédure. Quels sont les chefs de dommage dans le recours collectif? C'est bien ce qui fait l'objet d'un appel, n'est-ce pas?

+-

    M. Russell Raikes: Non. Soyons clairs : dans l'affaire Cloud, la Couronne a attendu jusqu'à trois jours avant l'expiration de la période d'appel de 60 jours pour demander l'autorisation d'interjeter appel. Il faut donc qu'elle soit autorisée à interjeter appel avant de pouvoir le faire réellement. Ce processus entraînera de six à huit mois de retard supplémentaire. La Couronne n'interjette appel que de l'autorisation du recours collectif.

+-

    M. Lloyd St. Amand: Voilà qui est juste. Revenons donc à ma question initiale. Quels sont les chefs de dommage dans le recours collectif?

+-

    M. Russell Raikes: On demande des dommages-intérêts d'ordre général pour la douleur et la souffrance causées par les sévices physiques et sexuels, la perte de la langue et de la culture, les mauvais traitements et les mauvais soins lorsque ces personnes étaient pensionnaires, y compris les séquelles psychologiques et le coût futur des soins à long terme.

+-

    M. Lloyd St. Amand: Je résume: sévices physiques, sévices sexuels, séquelles émotionnelles, puis perte de la langue et de la culture. C'est bien cela?

+-

    M. Russell Raikes: C'est l'essentiel, oui.

+-

    M. Lloyd St. Amand: La perte de la langue et de la culture représente-t-elle un nouveau chef de dommage en jurisprudence canadienne?

+-

    M. Russell Raikes: Je crois que...

+-

    M. Lloyd St. Amand: Sauf votre respect, je crois qu'il y a probablement moyen d'y répondre par oui ou non.

+-

    M. Russell Raikes: Je vous remercie de cette précision, mais je sais moi aussi comment contre-interroger.

    En peu de mots, un pareil chef est nouveau, en ce sens que nul ne l'a invoqué comme une atteinte à un droit autochtone, mais il existe des cas où des dommages-intérêts ont été accordés en tenant compte de la perte de la culture et de la position sociale. Ce sont là des affaires décidées et, en fait, j'ai vu un mémoire de la Couronne où il en est question.

+-

    M. Lloyd St. Amand: Un mémoire de la Couronne. Vous parlez d'une affaire criminelle?

+-

    M. Russell Raikes: Non.

+-

    M. Lloyd St. Amand: D'accord, mais vous parlez alors d'une poursuite de la Couronne?

+-

    M. Russell Raikes: Oui.

+-

    M. Lloyd St. Amand: Vous avez parlé de demi-mesures, et certains termes que vous employez, que ce soit intentionnel ou pas, sont incendiaires.

    Si vous me permettez de me faire l'avocat du diable pour un instant, j'ai l'impression que le gouvernement fédéral a tourné le dos à certains moyens de défense évidents qui étaient à sa disposition et qu'il a délibérément décidé d'instruire les causes selon leur mérite. Ai-je raison?

+-

    M. Russell Raikes: Ce n'est pas l'expérience que j'en ai.

+-

    M. Lloyd St. Amand: Comment donc les divers plaignants ont-ils réussi à contourner les délais de prescription de quatre ans prévus pour les agressions physiques, dans ce cas-là?

+-

    M. Russell Raikes: Je ne peux parler que de notre cause à nous, dans laquelle la Couronne n'a pas encore déposé de mémoire de défense. Je sais qu'elle a contesté la motion visant à faire autoriser un recours collectif en arguant que l'affaire devrait être rejetée en raison du délai de prescription et du temps écoulé. Je sais que, dans le cas de David, elle a soutenu en réalité que les indemnités devraient être réduites parce que, même si le pensionnat était horrible et l'expérience, mauvaise, les réclamations sont interdites par les délais de prescription. Donc, on devrait obtenir moins de compensation pour les agressions sexuelles.

    David pourrait probablement vous l'expliquer mieux que moi.

·  -(1305)  

+-

    M. Craig Brown: D'après notre propre expérience, la Couronne n'a jamais renoncé à quelque moyen de défense que ce soit, n'a jamais sauté l'occasion d'interjeter appel, n'a jamais renoncé à poursuivre un organisme religieux ou d'autres qui pourraient partager la culpabilité avec elle. En fait, dans le recours collectif Baxter, elle a fait des réclamations contre des tiers, contre 81 églises et organismes religieux du pays tout entier en vue, d'après nous, de ralentir le processus.

+-

    M. Lloyd St. Amand: Vous êtes donc en train de dire que la Couronne a en fait invoqué comme défense, dans des poursuites, les délais de prescription?

+-

    M. David Paterson: Les délais de prescription et l'immunité de la Couronne avant 1953, effectivement.

+-

    M. Lloyd St. Amand: En ce qui concerne les Églises qui, je crois savoir, tenaient ces divers établissements, que font-elles pour indemniser les victimes? Vous est-il permis d'en parler?

+-

    M. David Paterson: En règle générale, les Églises ont produit des défenses analogues devant les tribunaux. Il n'y a pas eu de distinction établie devant les tribunaux entre les défenses produites par les Églises et celle qu'a déposée la Couronne.

+-

    M. Lloyd St. Amand: Les Églises sont-elles en cause dans la composante MARC de cette affaire?

+-

    M. David Paterson: Certaines le sont, d'autres pas. Les Églises anglicane et presbytérienne ont passé des accords pour financer certaines de ces poursuites dont une des conditions est qu'elles s'opposent aux réclamations pour perte de langue et de culture. L'Église unie n'a pas conclu d'entente formelle de ce genre, en partie parce que la condition ne lui plaisait pas. L'Église catholique, que je sache, n'a pas conclu d'accord, à l'exception de certaines affaires liées au pensionnat Lejac, dans le nord de la Colombie-Britannique.

    J'aimerais préciser simplement qu'on s'est entièrement consacré, que ce soit devant les tribunaux ou dans le cadre du processus de règlement des litiges, à essayer de réduire le fondement de la responsabilité, d'empêcher que la preuve porte sur l'expérience entière du pensionnaire et de la limiter plutôt à la composante qui correspond aux agressions physiques et sexuelles et ainsi de suite, un processus que mes clients, dont bon nombre sont déjà passés devant les tribunaux et ont fait l'expérience du processus, ont jugé incroyablement pénible. En fait, le processus, qu'il s'agisse du règlement de litiges ou de poursuites judiciaires, ne s'intéresse pas à leur expérience globale du pensionnat. Ce qui les intéresse, c'est de savoir qui a touché qui et où, pendant combien de temps et combien de fois.

    Il s'agit là d'un processus extrêmement pénible et il semble que le système soit conçu de telle façon que nous sommes disposés à dépenser des centaines de millions de dollars pour faire en sorte de ne pas indemniser la mauvaise personne, plutôt que de diriger ces fonds vers l'indemnisation de personnes qui ont été pensionnaires dans ces écoles. Il se peut fort bien que quelques-uns disent que c'est un système merveilleux et que, dans un monde parfait, elles iraient à nouveau dans un pensionnat—mais je ne les ai pas rencontrées. Je ne connais personne qui pense ainsi. Il me semble par ailleurs que l'argent pourrait être beaucoup mieux dépensé, avec plus d'efficacité et de rapidité, en identifiant les personnes qui ont été pensionnaires dans ces établissements et en les indemnisant sur le champ.

    Comme je l'ai dit, 50 d'entre eux meurent chaque semaine. Il est plus que temps d'agir.

-

    La présidente: Je vous remercie beaucoup.

    Je tiens à vous remercier tous d'être venus ce matin. Quant à ceux qui ont fait des exposés durant la seconde moitié de la réunion, la version résumée nous a fort bien servis, et je vous en suis reconnaissante.

    Comme il est déjà un peu plus de 13 heures, le comité ajourne ses travaux jusqu'à jeudi prochain.