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NDDN Rapport du Comité

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UN ARCTIQUE SÉCURISÉ ET SOUVERAIN

Introduction

L’Arctique est un territoire vaste, éloigné et inhospitalier qui couvre plus de 40 % des terres émergées et 75 % des côtes canadiennes. Avec une population d’environ 150 000 habitants, dont plus de la moitié sont des Autochtones, l’Arctique constitue un environnement opérationnel complexe et difficile où les infrastructures sont limitées et les coûts d’exploitation élevés. Depuis quelques années, avec les changements climatiques, les avancées technologiques, les perspectives économiques et l’évolution de la situation géopolitique, l’Arctique a pris de plus en plus d’importance sur l’échiquier mondial et est devenu le théâtre de rivalités stratégiques grandissantes, puisqu’autant les pays de l’Arctique que ceux qui en sont éloignés manifestent leurs intérêts politiques, économiques et militaires pour la région. L’Arctique a toujours été une région de coopération et de collaboration, et veiller à ce qu’elle le reste est une priorité pour le Canada.

Les Forces armées canadiennes (FAC) assurent la défense et la sécurité de l’Arctique depuis des décennies, une responsabilité qu’elles ont toujours prise très au sérieux, surtout au plus fort de la Guerre froide, quand l’Arctique représentait à la fois une région stratégiquement importante et une zone tampon entre les États‑Unis et l’Union soviétique. Alors que la Guerre froide se prolongeait et que la menace d’une confrontation militaire entre ces deux super puissances et leurs alliés respectifs s’intensifiait, il est devenu impératif d’assurer la défense de l’Amérique du Nord contre d’éventuelles attaques aériennes et maritimes par l’Arctique.

C’est dans ce contexte que le Canada et les États-Unis ont créé, en 1958, le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), et que le gouvernement canadien a commencé à investir dans la militarisation du Nord. La Guerre froide a poussé le Canada à construire et à exploiter des réseaux de stations radars dans l’Arctique pour détecter les bombardiers et d’éventuels missiles soviétiques, à mener régulièrement des exercices et des opérations militaires dans le Grand Nord et à bâtir des installations de renseignement sur les transmissions, des aérodromes, des dépôts et d’autres infrastructures militaires dans la région. C’est aussi durant la Guerre froide que les FAC ont créé les Rangers canadiens. Petite force mobile faisant partie de la Force de réserve des FAC, les Rangers canadiens patrouillent dans l’Arctique depuis les collectivités où ils sont établis localement, et sont essentiellement « les yeux et les oreilles » des FAC dans le Nord. La plupart des ressources militaires susmentionnées ont été modernisées au fil du temps et servent toujours à assurer la défense et la sécurité dans l’Arctique. À bien des égards, les investissements datant de l’époque de la Guerre froide ont été les fondements sur lesquels le Canada a bâti ses capacités de sécurité dans l’Arctique.

La Guerre froide est terminée depuis longtemps et la situation mondiale avec laquelle doit composer le Canada est aujourd’hui très différente. Sur le front de la sécurité internationale, la nouvelle donne actuelle présente son lot de défis, et les changements climatiques font de l’Arctique une région qui sera plus rapidement accessible que ce à quoi s’attendaient la plupart des scientifiques. Suscitant des intérêts géostratégiques et économiques grandissants, la région n’est plus considérée comme appartenant uniquement aux États arctiques (qui sont le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie et la Suède). D’autres pays, comme la Chine, estiment désormais que l’Arctique présente une multitude d’intérêts. Selon les prévisions, dans les prochaines décennies, les changements climatiques et la fonte des glaces dans l’Arctique permettront d’avoir un meilleur accès à des ressources naturelles considérables et d’ouvrir de nouvelles routes commerciales maritimes. L’augmentation de l’activité humaine dans la région accroîtra la fréquence de diverses interventions d’urgence, comme les opérations de recherche et de sauvetage, ainsi que la présence d’autres menaces, comme la dégradation de l’environnement et les activités illégales. En outre, les prétentions et les intérêts concurrents des États à l’égard de l’Arctique pourraient conduire à de futures tensions dans la région.

Le général Wayne D. Eyre, chef d’état-major de la Défense du Canada, et d’autres témoins du ministère de la Défense nationale (MDN) affirment que le Canada ne fait face à aucune menace militaire immédiate dans l’Arctique, mais reconnaissent que les changements dans le contexte de menaces mondial rappellent l’importance stratégique que revêt l’Arctique pour la défense de l’Amérique du Nord. Même si l’invasion la plus récente de l’Ukraine par la Russie, qui remonte au 24 février 2022, « a eu une incidence considérable sur la collaboration entre la Russie et les autres États de l’Arctique », Jody Thomas, conseillère en sécurité nationale et renseignement auprès du premier ministre du Canada, soutient que la situation en matière de sécurité militaire dans l’Arctique reste stable. Tout en étant d’accord avec le MDN sur le fait que le Canada n’est confronté actuellement à « aucune menace militaire immédiate dans l’Arctique », Jody Thomas reconnaît que l’évolution rapide de l’environnement stratégique souligne l’importance d’avoir des cadres de sécurité, une défense nationale et des modes de dissuasion efficaces dans la région. C’est la raison pour laquelle des efforts sont actuellement déployés afin d’améliorer les capacités, la mobilité ainsi que la présence des FAC dans l’Arctique.

C’est donc dans ce contexte que, le 6 octobre 2022, le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes (le Comité) a adopté une motion pour entreprendre une étude sur la défense et la sécurité dans l’Arctique, motion qui dit ceci :

Que, conformément à l’article 108(2) du Règlement, […] le Comité entreprenne une étude sur la sécurité dans l’Arctique qui comprend, sans s’y limiter, les éléments suivants : la menace de la Russie pour l’Arctique canadien; la menace de la Chine pour l’Arctique canadien; la sécurité de l’archipel arctique canadien; la sécurité du passage du Nord-Ouest et la modernisation du NORAD; que le Comité tienne au moins quatre réunions; que le Comité invite le chef d’état-major des Forces armées canadiennes, le chef du renseignement de la Défense, le commandant de l’Armée canadienne, le commandant de la Marine royale canadienne, le commandant de l’aviation royale canadienne et le commandant du Commandement des opérations interarmées du Canada à comparaître devant [lui]; que le Comité invite des témoins du Nord et autochtones; et que le Comité fasse rapport de ses conclusions et recommandations à la Chambre.

Dans le cadre de cette étude, le Comité a tenu 10 réunions et entendu 46 témoins entre le 18 octobre et le 8 décembre 2022 : des représentants du gouvernement fédéral et des Forces armées canadiennes, ainsi que des universitaires et d’autres intervenants. Le Comité a également reçu des mémoires de la part de personnes n’ayant pas comparu devant lui. En outre, du 7 au 10 novembre 2022, le Comité s’est rendu à Washington, D.C., pour discuter de questions entourant la défense et la sécurité continentales, particulièrement dans l’Arctique.

Le présent rapport fournit un résumé des observations faites par les personnes qui ont témoigné devant le Comité ou qui lui ont soumis un mémoire, ainsi que d’autres informations pertinentes du domaine public. La première partie du rapport présente une analyse des changements récents survenus dans la situation concernant la sécurité à l’échelle mondiale et donne un aperçu des menaces nouvelles et grandissantes pour la sécurité dans l’Arctique. La deuxième traite des manières dont s’y prennent le Canada et les FAC pour surveiller les menaces qui pèsent sur la sécurité et effectuer de la surveillance dans l’Arctique, décrit les lacunes dans la connaissance de l’Arctique et les façons d’y remédier et d’améliorer cette connaissance, et explique le travail de coopération en cours avec les États-Unis pour moderniser le NORAD et faire des investissements destinés à renforcer la surveillance dans l’Arctique. La troisième partie parle de l’état de préparation opérationnelle des FAC dans l’Arctique, en portant une attention particulière aux ressources humaines, aux équipements, aux infrastructures, aux activités de recherche et de sauvetage et aux autres moyens disponibles à la fois pour mener des opérations et pour intervenir en cas de menaces et de situations d’urgence dans la région; elle indique également les améliorations possibles. La dernière partie du rapport fait état des réflexions et des recommandations du Comité.

La région arctique

Cette carte circumpolaire montre l’océan Arctique et les huit États arctiques : le Canada, le Groenland (Danemark), la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie, la Suède et les États-Unis.

Source : Carte produite en 2023 à partir de données tirées du Conseil de l’Arctique, Arctic States; Natural Earth, 1:10m Cultural Vectors, version 5.1.1. Logiciel utilisé : Esri, ArcGIS Pro, version 3.0.2.

Quelques infrastructures des Forces armées canadiennes au Canada

La carte montre le quartier général de la Défense nationale à Ottawa ainsi que les principales bases de l’Armée de terre, de la Marine et de la Force aérienne des Forces armées canadiennes dans le Sud du Canada. Elle localise aussi les principales installations militaires dans l’Arctique, notamment les quatre emplacements d’opérations avancés, le quartier général de la Force opérationnelle interarmées (Nord) à Yellowknife, l’emplacement approximatif de la chaîne de stations radars du Système d’alerte du Nord et d’autres sites militaires dont ceux d’Alert, d’Eureka, de Resolute Bay, de Nanisivik et de Cambridge Bay. En outre, la carte montre l’emplacement des principales installations de la Région canadienne du NORAD au Canada, notamment le quartier général de la 1re  Division aérienne du Canada et de la Région canadienne du NORAD à Winnipeg, et le Secteur de la défense aérienne du Canada à North Bay.

Source : Carte produite en 2023 à partir de données tirées du Ministère de la Défense, Bases et unités de soutien des Forces armées canadiennes et North American Aerospace Defence (NORAD), présentation par le colonel Paul Prévost (État-major interarmées stratégique), 21 avril 2016; Ressources naturelles Canada, Limites administratives au Canada - Série CanVec - Entités administratives et Lacs, rivières et glaciers au Canada - Série CanVec - Entités hydrographiques. Logiciel utilisé : Esri, ArcGIS Pro, version 3.0.2.

Les menaces dans l’Arctique

Depuis quelques années, en raison notamment des changements climatiques, de l’évolution du contexte géopolitique, de l’augmentation des perspectives économiques et des progrès technologiques, et d’autres facteurs les menaces dans l’Arctique changent. Fait particulier, depuis la dernière invasion russe de l’Ukraine, les relations se sont détériorées et les tensions se sont accrues entre les pays de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et la Russie, ce qui a des répercussions sur l’Arctique.

Pour la plupart des témoins, le contexte de sécurité dans l’Arctique est caractérisé par la paix, la coopération, la stabilité et l’absence de menaces militaires imminentes. Plusieurs témoins ont toutefois fait part de leurs inquiétudes au sujet de ce qui pourrait mettre en péril le statu quo dans l’Arctique, à savoir le retour de la rivalité entre grandes puissances, l’évolution rapide de la situation concernant la sécurité à l’échelle mondiale et les tensions croissantes avec des États autoritaires, révisionnistes et expansionnistes de plus en plus agressifs – comme la Russie et la Chine.

Le général Eyre a déclaré que « le monde dans lequel nous vivons est plus dangereux aujourd’hui qu’il ne l’a été depuis la Guerre froide, et peut-être même depuis la veille de la Deuxième Guerre mondiale », ajoutant que « [l]a concurrence stratégique domine à nouveau le paysage géopolitique » et que « [l]’ordre international fondé sur des règles qui, depuis 80 ans, assure notre paix et notre prospérité est fragile, menacé et a besoin d’être défendu ». Selon Kevin Hamilton, directeur général de la Politique de sécurité internationale à Affaires mondiales Canada, la « région [arctique] demeure pacifique » et est placée « sous le signe de la coopération internationale et de la paix » depuis la fin de la Guerre froide. Cela étant dit, il a déclaré que l’Arctique « n’échappe pas aux tensions » et a insisté sur la nécessité de « suivre avec vigilance les répercussions des conflits géopolitiques en cours et des activités de nos adversaires ».

Sur ce point, les témoins se sont attardés sur la définition que l’on devrait donner au terme « menaces » dans le contexte de l’Arctique, en plus de parler des défis inhérents aux changements climatiques, à la situation géopolitique et à la rivalité entre grandes puissances mondiales, ainsi que des ambitions et des actions individuelles et conjointes de la Russie et de la Chine.

Définir les menaces qui pèsent sur l’Arctique

Selon le lieutenant-général (à la retraite) Alain Parent, la « menace » correspond à « un calcul des capacités et de l’intention » de nuire, et pour le lieutenant-général (à la retraite) Walter Semianiw, ces capacités et cette intention « se combinent pour définir s’il s’agit d’un risque faible ou élevé [de menace particulière] ».

Des témoins ont affirmé qu’actuellement, aucun État ne menace militairement le Canada. Le général Eyre a déclaré qu’il n’y a « aucune menace réelle à la souveraineté territoriale [du Canada] aujourd’hui, et [qu’il] n’en prévoi[t] pas non plus dans un avenir proche ». Dans le même ordre d’idées, Kevin Hamilton a indiqué que « la souveraineté du Canada dans l’Arctique existe depuis longtemps et elle est bien établie ». Il a insisté sur le fait que « [c]haque jour, grâce à une vaste gamme d’activités, les gouvernements, les peuples autochtones et les collectivités locales exercent la souveraineté durable du Canada sur les terres et les eaux de l’Arctique ».

Cependant, même s’il a reconnu qu’« à l’heure actuelle, [les FAC ne voient pas] de menace claire à notre souveraineté », le général Eyre a affirmé que « nous ne pouvons pas tenir pour acquis qu’il en sera toujours ainsi », ajoutant que « dans les décennies à venir, il faut s’attendre à ce que cette menace soit plus pesante, et que la protection ténue que nous pouvons assurer sur notre souveraineté aux confins de notre territoire soit contestée ». Il a insisté particulièrement sur le caractère complexe et imprévisible de l’environnement de sécurité dans le monde, qui change rapidement, et il a laissé entendre qu’à cause de la rivalité croissante de pays autoritaires – comme la Chine et la Russie –, le Canada et ses alliés n’ont plus « le luxe de pouvoir [se] concentrer sur un seul concurrent stratégique » et de vivre « dans un environnement de sécurité tripolaire où les démocraties libérales doivent diviser leur attention entre deux concurrents qui emploient des stratégies différentes, mais qui posent un même danger pour la sécurité et la stabilité ».

Tout rappelant les ambitions de la Chine et de la Russie dans l’Arctique, ains que la présence canadienne actuelle limitée dans la région, le général Eyre a dit que le Canada devrait « investir aujourd’hui dans des capacités [militaires] dont nous pourrons disposer dans les décennies à venir », de manière à ce que notre pays soit en meilleure position pour contrer efficacement les éventuelles menaces qui pourraient peser sur notre souveraineté dans l’Arctique. De l’avis du général Eyre, « [a]lors que la Russie, la Chine et plusieurs autres pays expriment un intérêt accru pour l’Arctique, la situation politique dans la région devient de plus en plus complexe et le risque d’une escalade — déclenchée par une erreur de calcul, une mauvaise communication ou un malentendu — devient plus prononcé ».

Même si les témoins s’accordaient généralement pour dire que la souveraineté du Canada dans l’Arctique ne fait l’objet d’aucune menace militaire immédiate de la part d’autres États, certains ont souligné que notre pays est quand même confronté à d’autres types de menaces et de problèmes dans l’Arctique. P. Whitney Lackenbauer, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’étude du Nord canadien de l’Université Trent, a classé ces menaces en deux catégories : celles qui passent par ou au-dessus de l’Arctique, et celles qui visent ou touchent l’Arctique.

Selon M. Lackenbauer, le premier type de menaces est essentiellement de nature militaire et a pour but de frapper des cibles au-delà de l’Arctique. Comme il l’a indiqué,

[i]l s’agit de missiles de croisière, de planeurs hypercinétiques, de missiles balistiques, de bombardiers et de sous-marins. [… C]es armes et ces vecteurs ne sont pas principalement destinés à frapper des cibles situées dans l’Arctique; ils visent l’équilibre mondial du pouvoir et de la dissuasion. Il est donc préférable de les analyser dans un contexte international. […] Cela dit, ils ont effectivement un lien avec l’Arctique, car nous [le Canada et les États-Unis] avons investi ou […] investissons davantage dans les capacités de détection, de dissuasion et de défense contre ces menaces mondiales dans l’Arctique.

Cela dit, M. Lackenbauer a aussi affirmé que la plupart des menaces qui pèsent sur l’Arctique ne sont pas militaires, même si « [c]ertaines menaces hypothétiques sont des menaces militaires cinétiques ». Déclarant que – dans l’éventualité peu probable d’une guerre – les stations radars, les installations de renseignement sur les transmissions, les aérodromes et d’autres infrastructures militaires de l’Arctique pourraient être des cibles en raison de leur importance stratégique, il a ajouté :

J’estime généralement que les menaces militaires traditionnelles ne sont pas les plus graves pour la sécurité de l’Arctique nord-américain. Je pense plutôt à l’ingérence étrangère, notamment aux campagnes de désinformation visant à miner la crédibilité de l’État canadien ou à polariser le débat sur des questions sensibles et à élargir les fractures existantes, dans le but de déstabiliser nos sociétés démocratiques. Cette catégorie pourrait également inclure une [cyber]attaque qui n’atteindrait pas le seuil du conflit armé et qui ciblerait un élément d’infrastructure essentiel en vue de créer la panique et d’obliger le gouvernement du Canada à réorienter ses ressources pour tenter de résoudre le problème.

De plus, M. Lackenbauer a évoqué les changements climatiques et les pandémies, en disant que ce ne sont pas des menaces qui viennent de l’Arctique, mais qui peuvent entraîner des répercussions sur la région.

Les changements climatiques et leurs effets sur l’Arctique

Selon des témoins, les changements climatiques et leurs impacts sur l’Arctique constituent la menace la plus imminente pour le Canada dans la région. Jody Thomas a dit que « [l]es changements climatiques demeurent la menace la plus importante et la plus visible pour l’Arctique et ses habitants ». Elle a également fait remarquer que l’Arctique se réchauffe à un rythme quatre fois supérieur à la moyenne mondiale, ce qui entraîne la fonte de la glace de mer, l’érosion rapide des côtes, une augmentation des précipitations, la dégradation du pergélisol, la détérioration des infrastructures et la migration d’espèces envahissantes. En outre, elle a souligné que le réchauffement rapide de l’Arctique a pour effet d’améliorer l’accès aux ressources du Nord et de permettre le développement éventuel de nouvelles routes maritimes dans l’océan Arctique. Jody Thomas a également déclaré que comme l’Arctique « se réchauffe plus rapidement que le reste de la planète, [...] les hydrocarbures, les minéraux de terres rares et [d’autres ressources] intéressantes sont davantage accessibles ».

Jody Thomas a fait remarquer que la courte saison de navigation, les voies navigables étroites, l’instabilité des conditions de glace, l’insuffisance de données cartographiques produites selon des normes modernes et le manque d’infrastructures de soutien posent actuellement de graves problèmes pour la navigation dans l’Arctique, ce qui a des répercussions sur la sécurité et crée des demandes en ce qui concerne – entre autres – les interventions d’urgence nationales, la sécurité de la navigation ainsi que les opérations de recherche et de sauvetage. De même, le vice-amiral Angus Topshee, commandant de la Marine royale canadienne (MRC), a affirmé que « [l]es changements climatiques ne vont pas nécessairement rendre le Nord plus accessible en mer ». À son avis, ces changements rendent les conditions de navigation dans l’Arctique « plus imprévisibles et, à certains égards, plus dangereuses », parce qu’ils entraînent un déplacement « [d]es glaces vers la limite ouest de l’archipel arctique » ainsi que des icebergs, et « peuvent provoquer des tempêtes et d’autres phénomènes qui complexifient la situation dans le Nord ».

Reconnaissant qu’aujourd’hui, les tensions géopolitiques sont « au premier plan », Kevin Hamilton a dit qu’il « importe de se rappeler que les changements climatiques mondiaux demeurent une grave menace pour l’Arctique et ses habitants, dont les membres des communautés autochtones ». Il a ajouté que les changements climatiques rendent l’Arctique plus accessible, et que « les activités et les intérêts internationaux continueront de croître, notamment de la part de certains États qui ne partagent pas nos valeurs », comme la Chine et la Russie. De plus, toujours selon M. Hamilton, « les Canadiens bénéficient depuis longtemps de la protection offerte par la géographie, en particulier celle des voies d’approche nordiques », mais « [à] mesure que l’Arctique continuera de gagner en importance stratégique au cours des années et des décennies à venir, les protections naturelles offertes par un Arctique éloigné et couvert de glace ne suffiront plus à garantir la sécurité et la souveraineté du Canada ». Pour cette raison, Kevin Hamilton était d’avis que le Canada devrait continuer de travailler avec ses alliés et partenaires régionaux, afin « d’atténuer et de gérer les tensions régionales, de repousser les menaces et de relever les défis communs ».

Pour M. Lackenbauer, « [l]es changements climatiques sont ce qui menace l’existence de l’humanité », et ils constituent « un danger sans équivoque et très présent » pour l’Arctique, où ils ont « les effets les plus directs et les plus pressants … [à] l’heure actuelle ». Il a expliqué que les menaces qui guettent la région sont « principalement la sécurité non armée et la sécurité des missions opérationnelles, c’est‑à‑dire les menaces liées au[x] changement[s] climatique[s] et environnementa[ux] ainsi que les catastrophes aériennes ou maritimes majeures ». De plus, il a dit qu’à ces menaces s’ajoutent les effets des changements climatiques sur les opérations militaires et les infrastructures essentielles dans l’Arctique, notamment les installations de défense.

Stéphane Roussel, professeur à l’École nationale d’administration publique, a abondé dans le même sens, déclarant que la « principale préoccupation » concernant l’Arctique est l’impact des changements climatiques et l’augmentation de l’activité humaine qui s’ensuivra dans la région au cours des prochaines décennies, notamment à cause du tourisme, de la recherche scientifique, de la pêche et d’autres activités économiques. M. Roussel a affirmé que le principal défi qu’auront à gérer les FAC dans les années à venir sera l’augmentation de l’activité humaine dans l’Arctique. Il a fait remarquer que les Forces armées canadiennes sont « généralement le principal moyen » permettant au gouvernement du Canada d’« agir dans une région aussi isolée que [l’Arctique] », et il a indiqué que les FAC font de plus en plus d’interventions de recherche et de sauvetage, d’aide humanitaire et de secours aux sinistrés lors de situations d’urgence causées par des phénomènes météorologiques au pays. Il a laissé entendre que « le recours aux Forces [armées canadiennes] et la pression qui s’exerce sur elles vont aller en augmentant », puisque celles-ci seront appelées de plus en plus à se déployer et à intervenir dans l’Arctique.

Faisant une distinction entre les ressources disponibles dans le Sud et le Nord du Canada, M. Roussel a indiqué que le Sud du pays « peut mettre d’autres ressources à contribution avant de faire appel aux [FAC] » en cas de catastrophe ou autre urgence nationale, alors que « [l]a situation est tout autre dans le Nord ». Il a ajouté que dans l’Arctique « les conditions […] sont extrêmement difficiles et, s’il fallait faire face à un désastre environnemental, à une catastrophe aérienne ou à un naufrage, il n’y existe pas les ressources nécessaires pour les affronter », et a affirmé qu’actuellement, pour faire face à ce genre de situation dans la région, « [l]es seules à disposer de ces ressources, ultimement, sont les Forces armées canadiennes ».

Géopolitique et rivalité entre grandes puissances mondiales

Les témoins ont déclaré que la rivalité entre grandes puissances et la montée des tensions avec la Russie et la Chine, ainsi que leurs conséquences sur l’Arctique constituent le plus grand défi auquel est confronté le Canada. Jody Thomas a déclaré que l’Arctique est « un endroit qui revêt un grand intérêt pour les alliés et pour les adversaires », que les changements climatiques – qui sont rapides et durables – rendent la région plus accessible à la navigation, et que les technologies commerciales et militaires, qui permettent de relier le Nord au reste du monde, réduisent l’isolement géopolitique que l’Arctique a longtemps connu. Selon elle, le Canada et les États arctiques ayant des vues similaires aux siennes continuent de « promouvoir une “vision à faible tension” pour la région », même si cette vision « se complexifie de plus en plus sous l’effet des frictions géopolitiques actuelles, de la concurrence stratégique et du nombre toujours croissant d’États, à la fois amis et adversaires, qui cherchent à accéder à l’Arctique et à exercer leur influence ». De plus, toujours selon Jody Thomas, « [b]ien que le Canada continue à ne voir aucune menace immédiate d’attaque militaire dans l’Arctique canadien, la région arctique est généralement considérée par le Canada et ses alliés comme un théâtre de concurrence et d’instabilité potentielle ». Elle a insisté sur l’importance de cadres efficaces, en matière de sûreté et de sécurité, ainsi que d’alliances solides et d’une force de dissuasion crédible dans la région.

De même, Jody Thomas a fait remarquer les « l]es États advers[air]es [comme la Russie et la Chine] sont de plus en plus actifs dans la région », et qu’ils « construisent des équipements militaires adaptés à l’Arctique dans le but de s’assurer le contrôle des actifs et des ressources stratégiques ». Selon elle, ces États « cherchent par ailleurs à réaliser des investissements économiques, qui pourraient être mis à profit pour obtenir un effet coercitif ».

Cela dit, pour la plupart des témoins, une guerre entre États de l’Arctique est hautement improbable. M. Lackenbauer a déclaré que comparativement à ce que l’on voit ailleurs dans le monde, la plupart des États de l’Arctique croient que le risque de conflit armé dans la région est relativement faible. Il a ajouté qu’il ne croyait pas que « la probabilité d’un conflit interétatique découlant de différends liés aux ressources, aux frontières de l’Arctique, à la souveraineté des États de l’Arctique ou à l’accès commercial aux voies de navigation soit plus élevée qu’il y a neuf mois ou même cinq ans ». Il a toutefois fait remarquer que « des formes de concurrence interétatique existent déjà sans atteindre le seuil du conflit armé » dans l’Arctique, insistant sur le fait que la guerre hybride, les cyberattaques, le cyber espionnage et les campagnes de désinformations étaient devenus les « piliers centraux » des approches russes et chinoises en matière de concurrence et de guerre stratégiques dans le monde. De plus, Anessa Kimball, professeure à l’Université Laval, a signalé au Comité que « [l]a militarisation croissante de la région causée par une concurrence entre les grandes puissances augmente considérablement le risque de crises accidentelles ».

Des témoins ont affirmé que les changements géopolitiques récents et le retour de la rivalité entre grandes puissances ont et continueront d’avoir des conséquences sur la sécurité dans l’Arctique dans les années à venir. Robert Huebert, professeur agrégé à l’Université de Calgary, a dit considérer que la menace géopolitique, particulièrement dans l’Arctique, est l’« une des menaces existentielles critiques pour la sécurité du Canada ».

Aurel Braun, professeur à l’Université de Toronto, a décrit l’Arctique comme étant une « [r]égion vaste et inhospitalière, mais d’une importance stratégique considérable, [qui renferme] jusqu’à 25 % des réserves de combustibles fossiles dans le monde ». Faisant état de la concurrence grandissante que se livrent certains pays – comme la Russie et la Chine – pour avoir accès à ces ressources, M. Braun a déclaré que le Canada et d’autres pays occidentaux ont tardé à reconnaître l’importance géostratégique croissante de la région, et a insisté sur le fait que ces pays avaient eu tendance, dans le passé, à voir l’Arctique comme « une zone de paix et de coopération, où les priorités sont les échanges culturels, les opérations de sauvetage et la réglementation aérienne », plutôt que comme un « centre d’intérêt géostratégique ». Toujours selon M. Braun, « cette tentative de séparer la région de la géopolitique mondiale a donné lieu à un […] mirage [de] pensées magiques occidentales ». M. Braun a affirmé que le Canada et d’autres pays occidentaux devront « faire face à une dure réalité géopolitique » dans l’Arctique, une région où les aspects politique, économique, environnemental et militaire sont « profondément liés » et où « la Russie joue un rôle démesuré, une situation que les changements climatiques et l’évolution des relations russo-chinoises ont rendu encore plus complexe ».

Des témoins ont insisté sur les nouvelles technologies militaires qui représentent un défi important pour les forces armées de partout dans le monde. Selon le général Eyre, elles « modifient la nature des conflits ». Les témoins ont attiré plus particulièrement l’attention du Comité sur la prolifération des systèmes aériens sans pilote et des missiles de croisière de longue portée volant à grande vitesse, sur le développement rapide de systèmes d’armes hypersoniques et autonomes et sur les nouvelles menaces dans les domaines de l’espace, de l’intelligence artificielle et de la cybernétique. Pour eux, ces technologies, combinées aux menaces militaires existantes et à l’évolution de l’environnement de sécurité mondial, obligent le Canada et les pays de partout dans le monde à s’adapter continuellement à un environnement de menaces multidomaines. De plus, les témoins ont fait état des investissements importants de la Chine et de la Russie dans la modernisation de leurs forces armées, notamment pour les doter des dernières technologies et capacités militaires, afin d’avoir un avantage contre des adversaires potentiels dans des situations de combat. Ils ont parlé plus précisément des investissements de ces pays dans les armes hypersoniques, les missiles balistiques et de croisière ainsi que les systèmes d’armes autonomes.

M. Huebert a déclaré que « la technologie de l’armement » représente un aspect important de la menace géopolitique qui pèse sur le Canada. Il a déclaré que, depuis 1999, la Russie s’est lancée « dans une politique de développement de systèmes d’armement offensif non seulement alimentés par les méthodes conventionnelles, mais aussi alimentés par le nucléaire ». À son avis, la « grande avancée » des Russes, c’est leur capacité à utiliser des véhicules sous-marins de longue portée, comme leurs torpilles nucléaires Poséidon. Expliquant que les investissements russes dans les technologies de l’armement constituent une menace, en raison de la géographie du pays et de sa proximité avec l’Arctique, il a affirmé qu’« [u]n grand nombre de ces systèmes d’armement, tant du point de vue de leurs communications de surveillance que de leurs formes de dissémination, sont basés dans [la région] ».

Pour les témoins, les avancées rapides des technologies militaires ont une incidence sur la sécurité dans l’Arctique. Jody Thomas a fait remarquer que l’Arctique demeure une région stratégiquement importante pour la défense continentale, parce que le Nord « continue d’offrir une voie […] d’attaque potentielle ». Elle a poursuivi en disant que

[l]es avancées technologiques rapides, notamment à l’égard des missiles de croisière et de la technologie hypersonique, et la montée de la concurrence dans de nouveaux domaines tels que l’espace, les technologies émergentes et le cyberespace, ont une incidence sur la manière dont les États font valoir leurs intérêts. Aussi, ces changements renforcent leur capacité à projeter une force militaire dans l’Arctique et à mettre en danger l’Amérique du Nord.

Cela dit, Jody Thomas a aussi fait remarquer que les tensions grandissantes avec la Russie, à cause de son invasion de l’Ukraine, ont amené le Canada et des États arctiques ayant des vues similaires à travailler plus étroitement ensemble « pour veiller à ce que les tensions dans l’Arctique soient gérées de manière responsable ». Selon elle, la collaboration et la coopération circumpolaires entre les États arctiques seront essentielles pour réduire et gérer les tensions dans l’Arctique, et pour s’assurer que la région demeure un endroit où règnent la paix, la coopération et la sécurité.

La menace russe

Des témoins ont expliqué que la Russie représente une menace grandissante pour le Canada et ses alliés dans l’Arctique, se disant particulièrement inquiets de la militarisation de la région de l’Arctique en territoire russe, ainsi que de l’attitude de plus en plus agressive de la Russie envers les États voisins et de son mépris total pour les frontières internationales. Kevin Hamilton a résumé ces préoccupations en ces termes :

Le renforcement du dispositif militaire et les essais d’armes constants de la Russie dans l’Arctique demeurent troublants en soi, mais l’invasion non provoquée de l’Ukraine fait ressortir le mépris total de la Russie pour les principes internationaux de souveraineté et d’intégrité territoriale, les principes fondamentaux qui sous-tendent la coopération dans l’Arctique.

Dans le même ordre d’idées, le général Eyre a déclaré que « [l]a guerre menée illégalement par la Russie en Ukraine, en plus d’être une démonstration alarmante de son mépris pour les frontières internationales établies, a également de sérieuses répercussions pour la sécurité de l’Arctique ». Il a ajouté que la Russie a fait clairement comprendre au monde qu’elle considère que l’Arctique est d’« une grande importance pour sa sécurité et ses intérêts économiques, et elle continue d’y accroître sa présence militaire ».

Des témoins ont parlé aussi des tensions grandissantes entre les pays de l’OTAN et la Russie, à cause de son invasion de l’Ukraine et ils ont évoqué les possibles répercussions sur l’Arctique du débordement de ces tensions, qui ont gagné les affaires circumpolaires régionales. M. Lackenbauer a fait référence à la pause temporaire dans les activités du Conseil de l’Arctique observée par le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède en mars 2022, et – dernièrement – à la reprise limitée des travaux de ce conseil sans la Russie. Kevin Hamilton a fait remarquer pour sa part que « les États arctiques aux vues similaires ont réagi de manière forte et concertée » en « interrompant leur coopération avec la Russie au sein de forums régionaux comme le Conseil de l’Arctique ». Par ailleurs, M. Lackenbauer a insisté sur la nécessité pour le Canada de « maintenir la paix et la civilité dans l’Arctique tout en soutenant [sa] prise de position de principe contre l’agression russe », et de chercher comment notre pays et ses alliés pourraient « éviter un dilemme de sécurité de plus en plus déstabilisant vis‑à‑vis de la Russie dans l’Arctique ».

Le major-général Michael Wright, commandant du Commandement du renseignement des Forces canadiennes et chef du renseignement de la Défense, a affirmé que le Canada « fait face aux menaces de la Russie », et a souligné que « [d]ans le cas de la Russie, cette dernière a des capacités militaires dans l’Arctique et peut décider de passer de la défensive actuelle à l’offensive ». Le général Eyre a mentionné pour sa part que « même si la Russie se concentre sur l’Ukraine où elle a englouti une grande partie de ses forces terrestres », elle conserve « une importante capacité dans les autres domaines, soit la cyberguerre, l’espace, l’air et la mer, en surface et en subsurface ». Indiquant que les menaces sont une combinaison de la capacité et de l’intention de nuire, le lieutenant-général (à la retraite) Parent a affirmé que « la Russie a augmenté ses capacités [militaires] dans l’Arctique » ces dernières années et – comme le montre l’évolution de la guerre de ce pays menée contre l’Ukraine – son « intention est maintenant nébuleuse et sujette à des erreurs de calcul ». Dans le même ordre d’idées, Kevin Hamilton a reconnu que « [l]e renforcement du dispositif militaire et les essais d’armes constants de la Russie dans l’Arctique demeurent troublants en soi », et il a souligné que l’« invasion non provoquée de l’Ukraine fait ressortir le mépris total de la Russie pour les principes internationaux de souveraineté et d’intégrité territoriale, les principes fondamentaux qui sous-tendent la coopération dans l’Arctique ».

Selon Michael Byers, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politique mondiale et en droit international à l’Université de la Colombie-Britannique, « la Russie constitue une menace importante pour la sécurité du Canada, y compris dans l’Arctique, et ce, depuis les années 1950 ». Il a ajouté que « [d]epuis les bombardiers à long rayon d’action transportant des ogives nucléaires, en passant par le développement de missiles balistiques intercontinentaux jusqu’au développement actuel de missiles de croisière et de missiles hypersoniques, il est certain que la Russie constitue une menace pour la sécurité de l’Amérique du Nord ». Il a également attiré l’attention du Comité sur le comportement agressif du régime de Vladimir Poutine sur la scène internationale depuis quelques années, particulièrement depuis l’invasion de l’Ukraine, affirmant que la « menace [russe] n’a jamais été aussi importante » depuis la crise des missiles de Cuba en 1962 et que « [n]ous vivons une époque dangereuse pour ce qui est de la menace russe à l’égard de l’Amérique du Nord ».

M. Braun a indiqué quant à lui que la Russie est le plus grand État arctique et qu’elle a des préoccupations au sujet de l’Arctique et des intérêts dans cette région qui sont légitimes. Selon lui, « [a]ucun autre pays n’a un pourcentage aussi important de sa population qui y réside, et aucun autre pays n’a une part aussi importante de son [produit intérieur brut ou PIB] qui repose sur l’exploitation des ressources et le transport maritime dans la région ». Il a expliqué que la part que représente l’Arctique dans le PIB de la Russie est d’au moins 20 %, comparativement à 1 % pour les États-Unis, et il a laissé entendre que la menace « très importante » de la Russie dans l’Arctique résulte de motivations et d’ambitions qui « vont bien au‑delà [… des] intérêts nationaux légitimes [de ce pays] ».

De même, M. Braun a évoqué trois sources de préoccupations en ce qui concerne la Russie et l’Arctique. Premièrement, il a dit que la Russie de Poutine, « dont le régime personnaliste est de plus en plus autoritaire », est aux prises avec des problèmes internes de légitimité politique, de succession, d’avenir économique et d’identité nationale, et il a avancé que ce régime avait essayé de détourner l’attention de la répression intérieure qu’il exerce et de son échec « à créer un État moderne prospère » en poursuivant des politiques étrangères de plus en plus agressives et en recourant à « l’agression extérieure ». De son avis, l’Arctique n’est pas à l’abri d’une telle agression russe. Deuxièmement, M. Braun a expliqué qu’avec une économie fortement dépendante de l’extraction de ressources énergétiques et avec plus de 60 % de la valeur des exportations constituée de combustibles fossiles, « la Russie a fait de l’Arctique un élément central de son économie et de sa stratégie politique et militaire ». Il a aussi qualifié la Russie de « très mauvais gardien du fragile écosystème de l’Arctique », parce que le pays s’est engagé dans une exploration massive et risquée, et est passé « de la diplomatie des gazoducs à l’utilisation de l’énergie comme arme de guerre ». Enfin, M. Braun a déclaré que, dernièrement, la Russie « s’est engagée dans un renforcement militaire massif » dans l’Arctique, forte notamment d’une série d’armes nucléaires sophistiquées et de pointe ainsi que de systèmes antiaériens avancés. Selon M. Braun, la Russie compte « plus de bases [militaires] au nord du cercle arctique que tous les autres pays réunis » et possède « plus de brise-glaces lourds que tous les autres États ».

Même s’il a dit ne pas croire en la menace d’une invasion de l’Arctique canadien par les Russes, M. Braun a affirmé que tant que la Russie « restera une dictature avec une économie en déroute qui cherche une légitimité politique par la voie d’exploits à l’étranger », qu’elle sera « dépendante de l’énergie » et qu’elle « poursuivra sa dérive de partenaire subalterne de la Chine à vassal de Pékin », elle représentera une « menace croissante » dans l’Arctique que le Canada devra affronter « avec prudence », notamment en ayant « une capacité militaire efficace et crédible ».

Cependant, ce ne sont pas tous les témoins qui considèrent que la Russie représente une menace militaire dans l’Arctique. Adam Lajeunesse, professeur agrégé à l’Université St Francis Xavier, a déclaré que « [d]ans l’Arctique, la Russie n’est ni forte ni confiante » et qu’elle est plutôt « grandement vulnérable et souffre d’une énorme insécurité ». Rappelant que la Russie compte plus de 24 000 kilomètres de côtes arctiques à défendre et que c’est dans l’Arctique russe que se trouvent une grande partie de la capacité nucléaire stratégique de ce pays, une route maritime stratégique, certains des plus grands gisements de gaz naturel et de pétrole au monde et de nombreuses exploitations minières, M. Lajeunesse a indiqué que « [l]es déploiements militaires de la Russie dans le Nord trouvent racine non pas dans une confiante vision de projection de puissance, mais plutôt dans un terrible sentiment d’insécurité envers ces ressources et industries vulnérables ». Il a précisé que la plupart des systèmes d’armes que les Russes ont déployés dans l’Arctique sont essentiellement de nature défensive, ajoutant que

[…] la vulnérabilité de la Russie découle principalement de ce qu’elle possède dans l’Arctique. Contrairement à l’Amérique du Nord, l’économie de la Russie est très étroitement liée aux actifs situés dans l’Arctique. […] Le fait qu’elle possède beaucoup d’actifs très précieux et très vulnérables dans le Nord est la source de cette insécurité.

De même, M. Roussel a déclaré que « les intérêts militaires du Canada dans l’Arctique ne sont pas menacés à court ou à moyen terme ». Selon lui, « l’hostilité ou les tensions avec la Russie [ne devraient pas avoir] une incidence directe [et immédiate] sur les intérêts canadiens dans l’Arctique ». Toujours d’après lui, « [l]a Russie n’a pas signifié de revendications en lien avec le territoire canadien » et « n’a pas d’intérêt stratégique » à le faire. Il a mentionné également que l’invasion ou l’occupation par la Russie du territoire canadien dans l’Arctique constituerait « une agression contre le territoire canadien aux termes de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord » et appellerait une réponse militaire de l’OTAN. Se disant d’accord avec M. Roussel, M. Byers a indiqué :

Pour ce qui est de l’Arctique canadien, la Russie ne va pas l’envahir. […] La Russie n’a pas besoin de l’Arctique nord-américain, et elle échouerait lourdement face à la capacité d’intervention conjuguée de l’OTAN, y compris des États-Unis. Elle ne tentera donc pas une invasion en vue de conquérir ces territoires.

À propos des craintes de militarisation de l’Arctique par la Russie, Kevin Hamilton a tenu à souligner que cette « expansion » se fait dans les territoires russes de l’Arctique. Il a ajouté que « d’un point de vue purement militaire, nous ne percevons pas le renforcement de ses capacités terrestres ou maritimes comme une menace directe, dans la mesure où nous ne pensons pas que les Russes tenteront de lancer une attaque contre le Nord canadien ». Cela étant dit, à son avis, le caractère agressif du régime de Poutine « inquiète » parce que « nous avons vu que [la Russie] a très peu ou pas du tout de respect pour le droit international. Par conséquent, même si, à première vue, nous ne voyons pas l’augmentation des capacités matérielles comme une menace particulière visant le Canada, nous sommes préoccupés par la politique entourant ce genre de renforcement militaire ».

Selon M. Roussel, même si la Russie ne représente pas une menace militaire dans l’Arctique pour le moment, elle demeure une « menace pour le Canada […], notamment dans le domaine de la désinformation et des attaques informatiques ». M. Roussel a rappelé que le Canada a déjà été la cible de désinformation et de cyberattaques de la part de la Russie qui ont perturbé des systèmes informatiques, et il a affirmé que cette « menace vise aussi l’Arctique, puisque les liens Internet d’un grand nombre de communautés [nordiques] qui s’y trouvent sont vulnérables à ces attaques ».

M. Lackenbauer et M. Byers ont pour leur part fait une distinction entre la menace russe dans l’Arctique nord-américain et l’Arctique européen. Selon M. Lackenbauer, on a tendance à voir l’Arctique comme s’il s’agissait d’un seul espace géopolitique, et « la portée de certaines questions et menaces est véritablement circumpolaire, [mais] il est préférable d’envisager certains autres aspects sous un angle sous-régional ». M. Lackenbauer a fait remarquer que certaines « menaces propres à l’Arctique européen diffèrent considérablement des menaces auxquelles est confronté l’Arctique canadien », et – donnant l’exemple des forces terrestres russes postées le long des frontières arctiques des États du nord de l’Europe, particulièrement la Norvège et la Finlande –, il a affirmé que cette menace « est très différente de celle à laquelle le Canada est confronté », puisque celui-ci ne partage aucune frontière terrestre avec la Russie. Laissant entendre que « l’essentiel de l’action se déroule actuellement » dans l’Arctique européen – et non canadien –, M. Byers a dit ceci :

Elle a lieu dans la mer du Nord, la mer de Norvège et la mer de Barents. La prépondérance de la force militaire de la Russie, sa force militaire autre que l’armée de terre — la marine, l’aviation, les missiles balistiques intercontinentaux — se trouve dans le Nord-Ouest de la Russie, dans l’Arctique russe, principalement sur la péninsule de Kola. Ils accèdent aux océans du monde par la brèche située entre le Groenland, l’Islande et le Royaume-Uni, et les forces navales et aériennes de l’OTAN réagissent très activement contre les activités russes dans cette zone.

M. Byers a indiqué par ailleurs que l’activité sous-marine russe a augmenté ces dernières années dans l’Arctique européen, atteignant un niveau maintenant comparable à ce qu’elle était durant la dernière partie de la Guerre froide.

En ce qui concerne l’Arctique nord-américain, M. Huebert a fait remarquer que la menace provient des bombardiers à long rayon d’action, des missiles lancés par sous‑marin, des missiles balistiques et de croisière intercontinentaux, et des armes hypersoniques russes. Selon lui, la menace pour le Canada toucherait les domaines aérospatial et maritime, et viendrait plus précisément de « l’armée de l’air et la marine [russes] …, pas [d]es forces terrestres [russes] ».

La menace chinoise

Des témoins ont attiré l’attention du Comité sur la Chine et ses ambitions à l’égard de l’Arctique. Le général Eyre a souligné le fait que « la Chine, qui s’est autoproclamée “État quasi‑arctique”, aspire également à exercer une influence nordique », et il a affirmé que les « ambitions [de ce pays] d’ouvrir une route de la soie polaire incluent le recours à la route maritime du Nord à travers l’Arctique russe pour l’importation d’énergie et l’exportation de marchandises ». Kevin Hamilton a déclaré pour sa part que « les intérêts de la Chine dans l’Arctique se rapprochent de ceux qu’elle exprime et manifeste dans un grand nombre de régions du monde ». Qualifiant le régime chinois d’expansionniste, M. Hamilton a indiqué que « [l]’Arctique n’est qu’un élément » du plan de la Chine visant à faire étalage de sa puissance et de son influence dans le monde entier.

Selon M. Braun, le Canada doit « faire face à cette réalité » qui est que « la Chine s’intéresse de plus en plus à l’Arctique » pour l’extraction des ressources et le développement d’une « route de la soie polaire » lui permettant de vendre ses marchandises partout dans le monde. M. Byers, qui partageait le point de vue de M. Braun, a affirmé que ce qui intéressait surtout la Chine dans l’Arctique, au cours de la dernière décennie, c’était l’accès à la navigation et aux ressources. Anessa Kimball était d’accord avec M. Byers sur ce point, et a ajouté que les Chinois considèrent l’Arctique comme « une nouvelle région où il y a des biens publics qu’ils ont le droit […] d’explorer et d’exploiter », affirmant que ce pays « continue de chercher un endroit où il y aurait moyen de s’ancrer dans la région ». Selon M. Huebert, « les intérêts de la Chine en matière de sécurité [dans l’Arctique] ne doivent pas être sous‑estimés ».

Des témoins ont exprimé leurs inquiétudes à l’égard du fait que la Chine affirme être un État « quasi-arctique », même si cette désignation n’a aucune signification sur le plan juridique. M. Lackenbauer a laissé entendre que « nous devons tout simplement rappeler à la Chine que l’expression “État quasi arctique” est une idée qui n’a aucun statut juridique. Ce pays n’a de droits internationaux qu’en tant qu’acteur international — au même titre que le reste du monde — dans les zones situées au‑delà des compétences nationales dans [l’Arctique]. Les Chinois n’ont pas de statut spécial ». M. Lackenbauer a invité le Canada à faire preuve de prudence dans sa rhétorique concernant la Chine, affirmant qu’il ne devrait pas « élever » la Chine au « rang de concurrent dans l’Arctique ». Il a ajouté que comme la Chine « n’est pas un État arctique », elle n’a « ni la souveraineté ni les droits associés à un État arctique ».

Cela étant dit, M. Byers a reconnu que la montée en puissance de la Chine et la centralisation du pouvoir par le président Xi Jinping constituent une menace mondiale et sont aussi « très préoccupant[es] » – même s’il n’y a pas de menace « imminente » – pour le Canada. M. Lackenbauer a appelé à la prudence, faisant remarquer que « [l]a Chine représente des risques dans notre Arctique », notamment « par l’entremise de ses activités économiques, et elle soulève des inquiétudes quant à l’intégrité des sciences et de la recherche ».

Dans le même ordre d’idées, Kevin Hamilton a souligné le fait que le Canada « ne per[çoit] pas une menace militaire, une menace militaire maritime, de la part de la Chine dans l’Arctique canadien » actuellement ou dans un avenir raisonnablement prévisible. Cependant, il a avancé l’idée que « notre souveraineté dans l’Arctique pourrait être contestée ». M. Hamilton a ajouté que la Chine augmente ses capacités de projection militaire à l’échelle mondiale, y compris dans l’Arctique, mais a précisé que ce pays n’a pas – pour le moment – la capacité de projeter une puissance militaire vers l’Arctique canadien. Indiquant que les Chinois peuvent déployer occasionnellement des navires de surface – comme des brise-glaces – dans l’Arctique, et qu’ils peuvent entreprendre des activités susceptibles d’inquiéter le Canada dans la région, Il a maintenu que la projection par la Chine d’une « capacité militaire en haute mer depuis l’autre côté [de l’océan] Pacifique vers notre Arctique » n’est pas quelque chose que le Canada considère « comme un défi à l’heure actuelle », même s’« il est fort probable que cela fera problème à l’avenir ». Le major-général Wright a souligné pour sa part que « la Chine [...] est actuellement en train d’explorer et d’effectuer des tests dans l’Arctique », et il a déclaré que le Canada est conscient des « visées militaires [de la Chine] pour cette région ».

Selon Kevin Hamilton, même si la Chine ne fait pas peser pour le moment de menace militaire dans l’Arctique, elle constitue une menace à d’autres égards. M. Hamilton a indiqué que « nous avons vu des activités malveillantes de la part de la Chine visant le Canada sous la forme de menaces hybrides, de cyber activités et de tentatives d’investissement prédateur, alors nous surveillons ces questions de très près ». De plus, le vice-amiral Topshee a fait remarquer que, même si elle n’est pas une « menace directe » pour le Canada à l’heure actuelle, la Chine représente « une menace indirecte envers le système international de règlements et de normes », y compris dans l’Arctique. Pour ce qui est du respect – ou de l’acceptation – par la Chine du statu quo juridique et politique concernant l’Arctique, ainsi que du comportement de ce pays sur la scène internationale et de son agression à l’endroit de Taïwan et d’autres pays, M. Braun a dit « doute[r] que la Chine respecte la légalité internationale ». Selon lui, dans ses relations avec la Chine, le Canada a appris à la fois à « faire preuve d’une extrême prudence » et à se « garder de confier à la Chine quoi que ce soit ».

Coopération sino-russe

Des témoins ont dit qu’autant les relations entre la Chine et la Russie que le renforcement de la coopération entre ces deux pays dans l’Arctique sont une source d’inquiétudes pour le Canada et ses alliés. À leur avis, le fait que ces deux pays révisionnistes et expansionnistes travaillent ensemble comme des alliés dans l’Arctique, pourrait poser un sérieux problème pour le Canada et ses intérêts dans la région au cours des années à venir. Le major-général Wright a indiqué que les relations de coopération sino-russes dans l’Arctique « constitueraient une menace importante à la capacité du Canada de protéger sa souveraineté ». Partageant le point de vue du major-général Wright, le général Eyre a mis l’accent sur le fait que la Russie cherche à saper un ordre mondial fondé sur des règles, tandis que la Chine cherche à le faire tourner à son avantage. Justin Massie, professeur à l’Université du Québec à Montréal, a dit que « [c]e qui se produit présentement, c’est une fragmentation de l’ordre international », qui devient plus volatil en raison de « la consolidation de l’axe sino‑russe » et de « la consolidation du bloc occidental autour d’un noyau dur ».

M. Braun a expliqué les raisons du renforcement de la coopération entre la Chine et la Russie dans l’Arctique, affirmant que « [l]a Russie a une présence militaire très puissante et une présence croissante dans l’Arctique », mais que son « économie est plutôt modeste », c’est pourquoi « elle a […] besoin de l’aide de la Chine ». M. Braun a ajouté qu’à l’opposé, la Chine est une grande économie, qu’elle possède beaucoup de moyens financiers et d’autres ressources, mais qu’elle a besoin d’énergie et de marchés. De plus, il a fait remarquer que « [l]a Chine comprend que l’Arctique est important parce qu’on y trouve beaucoup de combustibles fossiles », ce qui explique pourquoi ce pays est favorable à l’exploration russe dans l’Arctique. À son avis, la Chine veut aussi développer la route maritime du Nord, parce que cela lui permettrait de « réduire de 30 % le temps et la distance nécessaires au transport des marchandises de l’Asie vers l’Europe » et d’augmenter son potentiel d’exportation.

M. Braun a affirmé par ailleurs que les relations entre la Chine et la Russie ont changé ces dernières années, passant d’une relation de partenariat à une relation « dans laquelle la Russie pourrait progressivement devenir un État vassal [de la Chine], auquel cas, la Chine « dicterait sa conduite en fonction de ses propres besoins, qui exigent une exploration effrénée des ressources de l’Arctique ». M. Braun a affirmé que si cela devait se produire, la Chine voudrait « contrôler la route maritime du Nord avec la Russie, ce qui représenterait pour nous un autre type de menace ». M. Braun a ajouté que même si « [l]es actions de la Chine dans l’Arctique ne sont pas en elles-mêmes de nature principalement militaire, […] elles sont menées de concert avec la Russie, et les investissements militaires de ce pays sont importants et croissants » dans la région, une situation qu’il a qualifiée d’« inquiétante ».

De plus, M. Braun a dit craindre que les Canadiens ne passent trop de temps « à essayer de [se] rassurer en disant qu’il n’y a pas de véritable menace extérieure » dans l’Arctique, que cette région est – et sera toujours – épargnée par la géopolitique et les tensions entre États dans d’autres parties du monde, que la paix et la coopération internationale continueront de dominer, et que les menaces russes et chinoises dans la région sont « quelque chose d’indéterminé, de lointain et d’insignifiant ». Toujours selon M. Braun, nous ne pouvons pas « croire à tort » dans quelque chose qui diminuerait les « menaces très importantes qui se sont accumulées » ces dernières années. Attirant l’attention du Comité sur l’expansionnisme militaire et le comportement agressif de la Chine et de la Russie sur la scène internationale, il a indiqué que ces deux pays augmentent leur coopération dans la région arctique, et il presse le Canada « d’affronter la réalité ».

Cela dit, M. Byers a fait valoir que la Chine et la Russie « ne sont pas des ami[e]s », mais plutôt de simples « allié[e]s de convenance », expliquant que les deux pays

ne sont pas amis comme le sont le Canada et les États-Unis. [… et qu’il n’a] pas l’impression que [la] relation [entre la Chine et la Russie] deviendra beaucoup plus étroite en matière de confiance ou d’intégration militaire. Toutefois, […] la Russie est la puissance la plus faible et […] la Chine devient rapidement plus puissante. [… De plus], [l]a Russie et peut-être la Chine pourraient commencer à causer des problèmes. […] Nous devons soutenir les Rangers canadiens dans les missions qu’ils effectuent en dehors des collectivités. […] Nous devons surveiller ce qui se passe.

M. Byers a affirmé également qu’il est important de ne pas négliger la souveraineté de la Russie dans l’Arctique et ses droits souverains en tant qu’État arctique, ce que n’a pas la Chine. Abondant dans le même sens que M. Byers, Kevin Hamilton a fait état des « frictions » entre la Chine et la Russie, dues aux ambitions grandissantes de la première dans la région, et il a ajouté que « [l]es Russes sont très préoccupés par le concept chinois d’une route de la soie polaire parce que cette route passe[rait] très près du territoire russe » et cela entrerait en concurrence avec les intérêts de la Russie dans l’Arctique. Il a indiqué aussi que les Russes craignent également que les Chinois n’exploitent sans autorisation les précieuses ressources dont regorge l’Arctique russe.

Connaissance du domaine et surveillance dans l’Arctique

La connaissance du domaine est une composante fondamentale de l’approche du Canada en matière de sécurité et de souveraineté dans l’Arctique, et la surveillance de la région est essentielle pour détecter les menaces dans l’Arctique et y faire face. Rappelant qu’il peut y avoir des menaces sur terre, en mer, dans les airs, dans l’espace et dans le cyberespace, le général Eyre a déclaré qu’« il est essentiel d’avoir des connaissances dans chaque domaine d’activité dans le Grand Nord », et il a ajouté qu’« il est nécessaire d’avoir la capacité de contrer les menaces dans chacun de ces domaines ». Le vice-amiral J.R. Auchterlonie, commandant du Commandement des opérations interarmées du Canada, a fait la même remarque en insistant sur l’importance de la connaissance multidomaines dans l’Arctique. Selon lui, « [l]a connaissance multidomaines est essentielle. […] Lorsque je parle de connaissance multidomaines, je veux dire ce que nous voyons dans les airs, sur terre, en mer et sous la mer, dans l’espace de l’information, dans l’espace proprement dit et dans le cyberespace ». De plus, à son avis, le Canada doit « avoir une connaissance de tous les domaines dans tous les théâtres d’opérations, mais surtout dans le Nord, pour nous assurer de savoir ce qui se passe […] sur notre territoire, dans nos eaux et dans notre espace aérien souverains ».

Malgré les efforts déployés actuellement pour renforcer les défenses nationales et continentales du Canada, notamment par la modernisation du NORAD, des témoins ont insisté sur la nécessité de relever un certain nombre de défis pour éviter des lacunes dans les capacités de surveillance de l’Arctique au cours des prochaines années. Ils ont mis l’accent notamment sur la connaissance du domaine et la surveillance dans l’Arctique, sur le NORAD et sa modernisation, sur la défense antimissile et sur les différentes façons de renforcer les capacités de surveillance du Canada dans l’Arctique.

Connaissance du domaine et surveillance

Des témoins ont mentionné à plusieurs reprises que l’Arctique est une région très vaste, compliquée et difficile à surveiller. Le brigadier-général Pascal Godbout, commandant de la Force opérationnelle interarmées (Nord), a indiqué que « [l]e Nord canadien est un environnement vraiment unique ». Il a aussi fait remarquer que bien que l’Arctique représente plus de 40 % de la masse terrestre du Canada, la région est « très peu peuplé[e], et seulement 0,4 % de la population canadienne y vit ». Le brigadier-général Godbout a aussi mis l’accent sur le fait que « les infrastructures de transport, d’énergie et de communication sont très limitées » dans l’Arctique. Abondant dans le même sens que le brigadier-général Godbout, Jody Thomas a parlé de la région comme d’un environnement difficile et inhospitalier, « caractérisé par un climat rude, une population clairsemée, des infrastructures physiques et numériques limitées ainsi que des coûts d’exploitation élevés ».

Faisant remarquer que les défis énormes que représente la surveillance d’un territoire aussi étendu ne sont pas nouveaux, M. Roussel a indiqué que « [j]usqu’à présent, aucun gouvernement du Canada, même en temps de guerre, n’a été capable d’apporter de solution satisfaisante aux problèmes que pose une région aussi grande que l’Arctique ». Selon lui, les difficultés auxquelles font face actuellement les FAC pour assurer la surveillance dans l’Arctique sont parfaitement normales, et les FAC les connaissent « depuis très longtemps ».

Selon le vice-amiral Topshee, « [n]ous nous interrogeons plutôt sur notre capacité de surveiller tout l’Arctique ». Tout en disant que la « capacité actuelle de surveillance [du Canada] n’est pas mauvaise », il a reconnu qu’il y a place à l’amélioration et affirmé qu’il y avait « [b]eaucoup d’initiatives » en cours pour améliorer la connaissance de la situation dans l’Arctique. À son avis, la « modernisation du […] NORAD, nous permettra d’améliorer notre capacité de surveiller l’Arctique dans tous les domaines, en particulier dans le domaine maritime ».

Dans le même ordre d’idées, M. Lackenbauer a déclaré que « [l]’amélioration de la connaissance du domaine et la domination de l’information sont essentielles » pour assurer la sécurité du Canada dans l’Arctique, ajoutant que le but de tels efforts doit être « de recueillir, d’analyser et de partager l’information à un rythme pertinent, non seulement entre les décideurs du Canada, mais aussi avec nos alliés et nos partenaires ». Il a affirmé que le Canada devrait à la fois investir et chercher à exceller dans la connaissance du domaine et la surveillance. De même, M. Byers a dit qu’« [e]n ce qui concerne l’Arctique, nous devons maintenir et améliorer notre capacité à voir ce qui s’y passe. C’est la première étape ». Il a rappelé que l’Arctique est « une très, très grande région » qui est « très hostile », et il a déclaré que la Russie constitue une « menace importante » pour le Canada dans l’Arctique. Il a affirmé par ailleurs que la Russie accroît son arsenal de missiles nucléaires, de missiles balistiques et de croisière ainsi que d’armes hypersoniques, et il fait remarquer que – de ce fait – le Canada doit améliorer sa capacité de surveillance dans l’Arctique. Selon lui, le Canada devrait « améliorer [sa] capacité à voir ce qui se passe dans l’espace aérien, y compris dans l’espace proprement dit, ainsi qu’à repérer les missiles potentiels et à suivre ce qui se passe au sol », ainsi qu’en mer, tant à la surface que sous l’eau.

Des témoins ont dit que la connaissance du domaine et la surveillance dans l’Arctique relevaient d’un effort pangouvernemental de coopération entre divers ministères et organismes fédéraux, ainsi que d’échange d’informations avec de nombreuses organisations nationales et internationales. Le vice-amiral Topshee a mis particulièrement l’accent sur l’« excellente coopération » au niveau fédéral « pour assurer la surveillance de l’Arctique […] grâce aux trois centres des opérations de la sécurité maritime que compte le Canada, où coopèrent plusieurs agences et ministères du gouvernement ». Des témoins ont indiqué que parmi les principaux ministères et organismes engagés dans la surveillance de l’Arctique, il y a les FAC, le MDN, la Garde côtière canadienne (GCC), Pêches et Océans Canada, la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Transports Canada, et Environnement et Changement climatique Canada. Jody Thomas a aussi indiqué que « la connaissance du domaine est fondée sur un réseau de systèmes », qui fait appel à une gamme étendue d’équipements et de technologies, comme les navires, les aéronefs, les stations radars, les capteurs et les satellites.

Karen Hogan, vérificatrice générale du Canada, a relevé des lacunes importantes dans les capacités de surveillance du Canada dans l’Arctique qu’elle a mentionnées dans son rapport de novembre 2022 sur un audit de performance récent concernant la surveillance des eaux arctiques par le Canada. Mme Hogan a dit qu’avec cet audit, on a cherché à savoir « si des organisations fédérales clés avaient acquis la connaissance du domaine maritime nécessaire pour réagir aux risques et aux incidents de sûreté et de sécurité associés à la circulation accrue de navires dans les eaux arctiques ». La vérificatrice générale Hogan a insisté sur le fait que la « responsabilité de la surveillance des eaux arctiques canadiennes ne relève pas d’une seule organisation fédérale », et a expliqué que l’audit visait à examiner les activités de surveillance dans l’Arctique de cinq ministères et organismes fédéraux : Transports Canada, Pêches et Océans Canada, la GCC, le MDN, et Environnement et Changement climatique Canada.

Intitulé La surveillance des eaux arctiques, le rapport de la vérificatrice générale conclut qu’au cours de la dernière décennie, ces cinq ministères et organismes fédéraux « avaient décelé des lacunes dans la surveillance des eaux arctiques à plusieurs reprises, mais qu’elles n’avaient[pas] pris les mesures requises pour y remédier ». La vérificatrice générale Hogan a indiqué que « [c]es lacunes comprenaient la capacité limitée à brosser un tableau complet du trafic maritime dans l’Arctique et l’incapacité de suivre et d’identifier les navires qui n’utilisent pas de systèmes de suivi numériques, parce qu’ils n’y sont pas tenus ou parce qu’ils ne respectent pas les exigences ». De plus, Mme Hogan a fait remarquer que l’audit avait aussi permis de constater que « des faiblesses dans les mécanismes appuyant la communication de l’information, la prise de décisions et la reddition de comptes avaient nui à l’efficience » des Centres des opérations de la sûreté maritime du Canada. Selon le gouvernement du Canada, ces Centres ont pour mission « de contribuer à la connaissance du domaine maritime en réunissant le savoir et les compétences des organisations gouvernementales partenaires en vue d’aider à détecter et à évaluer des menaces et des incidents liés à la sécurité maritime et d’appuyer une intervention coordonnée ».

Dans son rapport, la vérificatrice générale a également souligné la nécessité de remplacer et de moderniser les flottes de navires et d’aéronefs du Canada, ainsi que les équipements et les infrastructures nécessaires à la connaissance du domaine maritime. Le rapport dit « qu’il risquait fort » d’y avoir des lacunes en ce qui concerne la surveillance, les patrouilles et la présence du Canada dans l’Arctique dans la décennie à venir, alors que les équipements vieillissants atteindront la fin de leur durée de vie utile avant que les systèmes de remplacement ne deviennent disponibles. De plus, le rapport conclut que les projets d’amélioration de certaines infrastructures dans l’Arctique sont en retard, que leur coût augmente et que leurs capacités sont limitées. Reconnaissant la mesure dans laquelle « [l]a surveillance des eaux arctiques s’appuie sur divers types d’équipement, comme les satellites, les aéronefs et les navires », la vérificatrice générale Hogan a parlé aussi de la constatation de l’audit selon laquelle « une bonne partie de cet équipement était vieillissant et que son renouvellement avait été reporté au point que certaines composantes de cet équipement seront probablement mises hors service avant qu’on ait pu les remplacer ». Elle a indiqué que le remplacement de certains de ces équipements – en particulier les brise-glaces, les aéronefs de patrouille et les satellites – « n’est pas prévu avant de nombreuses années ».

En ce qui concerne les moyens de surveillance dans l’Arctique, la vérificatrice générale a indiqué dans son rapport que les aéronefs de patrouille utilisés pour la surveillance de l’Arctique – notamment le seul Dash 7 qu’utilise Transports Canada pour effectuer des patrouilles de surveillance du domaine maritime canadien et la flotte de CP-140 Aurora de l’Aviation royale du Canada (ARC) – « approchent de la fin de leur durée de vie utile » et doivent être remplacés. De plus, le rapport révèle que même si deux projets d’acquisition de défense visant à remplacer les Aurora par un nouvel aéronef de patrouille multi-missions et un système d’aéronef télépiloté de longue endurance en soient à un stade préliminaire, « aucune stratégie n’a été mise en place pour remplacer » le Dash 7.

De même, la vérificatrice générale Hogan a déclaré que « [l]es satellites s’approchent eux aussi de la fin de leur durée de vie utile et ne répondent pas aux besoins actuels en matière de surveillance ». Dans son rapport, elle a précisé que les capacités actuelles du Canada en matière de surveillance par satellite « ne satisfaisaient pas aux besoins de la [Défense nationale] et d’autres organisations fédérales en ce qui concerne les données d’observation de la Terre », et a affirmé que les satellites de la mission de la Constellation RADARSAT sont déjà pleinement utilisés et ne peuvent pas répondre à toutes les demandes des organisations fédérales concernant les images radars du territoire canadien. De plus, toujours selon le rapport, il pourrait y avoir une lacune dans les capacités, puisque ces satellites devraient atteindre la fin de leur vie utile en 2026 et qu’il faudra attendre encore une décennie avant que soient déployés ceux qui les remplaceront. Le rapport dit qu’en raison de cette lacune, on pourrait « se retrouver pendant des années avec des capacités de surveillance canadiennes limitées dans l’Arctique », et que cela « pourrait entraîner une dégradation importante de la capacité du Canada à détecter et à suivre les navires dans ses eaux arctiques » et « augmenterait probablement la dépendance du Canada envers ses alliés pour obtenir de l’information de surveillance ».

La vérificatrice générale Hogan a aussi attiré l’attention du Comité sur les constatations de l’audit selon lesquelles les projets d’infrastructure destinés à soutenir les navires et les aéronefs exploités par les FAC et d’autres organisations fédérales dans l’Arctique « étaient déficients et accusaient du retard », ce qui nuit à la capacité de maintenir les aéronefs de patrouille et de réapprovisionner les navires dans l’Arctique. En particulier, le rapport de la vérificatrice générale indique que les travaux concernant le projet de l’installation navale de Nanisivik – que le gouvernement du Canada a annoncés en 2007 et qui ont commencé en 2015 – ont connu des retards répétés, de sorte que l’on prévoit maintenant que l’installation sera terminée en 2025. De plus, le rapport dit que l’installation devrait être d’une utilité beaucoup plus limitée que ce qui était d’abord prévu, laissant entendre que comme l’installation ne sera pas équipée pour chauffer les réservoirs de carburant, sa période d’exploitation sera réduite à environ quatre semaines par année. Elle a indiqué qu’à cause de cela, « les navires de la Marine royale canadienne pourraient ne pas être ravitaillés à l’endroit et au moment où ils en auraient besoin ».

Le rapport de la vérificatrice générale conclut que « [d]ans l’ensemble, le gouvernement fédéral n’a pas pris les mesures requises pour combler des lacunes de longue date qui nuisent à sa surveillance des eaux arctiques canadiennes », de sorte que « les organisations fédérales responsables de la sûreté et de la sécurité de la région de l’Arctique n’ont pas une connaissance complète des activités maritimes dans les eaux arctiques et ne sont pas prêtes à réagir aux exigences accrues en matière de surveillance ». La vérificatrice générale Hogan a déclaré que le gouvernement du Canada « doit de toute urgence résoudre ces problèmes de longue date et remettre le renouvellement de l’équipement sur une voie durable afin de protéger les intérêts du Canada dans l’Arctique », en mentionnant explicitement qu’il faut « davantage de bateaux, des bateaux neufs, de nouveaux satellites et de nouveaux aéronefs ». Elle a déclaré que « si aucune mesure n’est prise immédiatement, il y aura des lacunes très importantes [dans les capacités de surveillance] dans la prochaine décennie », ce qui aura des conséquences sur la connaissance du domaine par le Canada dans l’Arctique.

Le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord et sa modernisation

Tout en reconnaissant la contribution du Canada au NORAD, que ce soit en ressources financières, personnel, chasseurs à réaction et autres moyens aériens et infrastructures militaires, des témoins ont souligné l’importance du NORAD pour la défense de l’Amérique du Nord et le besoin urgent de le moderniser, en collaboration avec les États‑Unis. Le 14 août 2021, les gouvernements canadien et américain ont publié une déclaration conjointe sur la modernisation du NORAD indiquant que « le NORAD doit être en mesure de détecter et d’identifier [l]es menaces plus tôt et d’y réagir plus rapidement et de façon plus décisive, y compris les menaces aérospatiales qui traversent nos approches nordiques ». La déclaration commune définit aussi les domaines prioritaires pour les nouveaux investissements. Le 20 juin 2022, le gouvernement du Canada a annoncé son plan de modernisation du NORAD. À ce propos, le vice-amiral Auchterlonie a dit que « [p]our ce qui est des investissements stratégiques », on prévoit dépenser près de 40 milliards de dollars dans la modernisation du NORAD durant les 20 prochaines années. Selon le MDN, au cours des six premières années, on investira environ 4,9 milliards de dollars.

Résumant le plan de modernisation du NORAD, Jonathan Quinn, directeur général de la Politique de défense continentale au MDN, a fait état de cinq domaines clés dans lesquels il faudra investir, à savoir : la détection et la sensibilisation, ce qui suppose « des investissements importants dans la technologie radar transhorizon, qui amélioreront considérablement notre capacité de surveiller les menaces aérospatiales sur le continent »; « la prise de décisions axée sur la technologie, ainsi que dans le commandement et le contrôle, au moyen de l’intelligence artificielle, de l’apprentissage machine et de l’informatique en nuage », ce qui donnera au NORAD « la capacité d’intégrer et d’analyser beaucoup plus rapidement toute l’information provenant de ces capteurs, afin de permettre une prise de décision rapide »; les capacités défensives, notamment l’acquisition de « nouvelles armes aériennes, y compris [d]es missiles air-air à plus longue portée, [qui] permettront à la flotte de chasseurs actuelle et future de se défendre contre les menaces aérospatiales, comme les missiles de croisière »; les infrastructures et les capacités de soutien, dont « un investissement supplémentaire dans les avions de ravitaillement en vol et l’amélioration des infrastructures liées aux avions de chasse partout au pays, dans les emplacements d’opérations avancés du NORAD dans le Nord »; et la recherche et le développement « dans tous les domaines », qui permettront de « veiller à ce que le Canada soit à la fine pointe de la technologie en matière de défense contre les menaces potentielles pour le continent, dans tous les domaines ».

Le lieutenant-général Alain Pelletier, commandant adjoint du NORAD, a insisté sur le fait que le NORAD a toujours sa pertinence et son importance pour la défense de l’Amérique du Nord, y compris de l’Arctique. Il a rappelé que le Canada et les États-Unis ont officiellement créé le NORAD en 1958 en tant que commandement militaire binational et a affirmé que cela fait maintenant plus de 60 ans que le NORAD défend avec succès l’Amérique du Nord en s’acquittant de ses trois missions principales : l’alerte aérospatiale, le contrôle aérospatial et l’alerte maritime. Dans le contexte des missions du NORAD, le lieutenant-général Pelletier a défini l’«Amérique du Nord » comme étant « l’Alaska, le Canada, les États-Unis continentaux, Porto Rico et les îles Vierges américaines, y compris les zones d’identification de défense aérienne, les approches aériennes, les zones maritimes et les approches maritimes ». Selon le lieutenant-général Pelletier, le NORAD fournit également « des services intégrés d’alerte et d’évaluation des attaques de missiles, une mission qui couvre l’ensemble du globe ».

De même, le lieutenant-général Pelletier a indiqué que le NORAD a toujours su s’adapter, en fonction des besoins, aux changements touchant l’environnement de sécurité dans le monde et aux avancées technologiques. Il a expliqué que depuis 60 ans, « la menace pour l’Amérique du Nord a évolué, passant d’une approche nordique d’aviation à longue portée à une menace tous azimuts, dans tous les domaines ». Il a ajouté que « pour la première fois de […] l’histoire collective de défense binationale [du NORAD], nous avons maintenant deux concurrents stratégiques, soit la Russie et la Chine, tous deux dotés d’armes nucléaires, et un troisième acteur, soit la Corée du Nord ».

Au sujet de l’importance de l’Arctique pour le NORAD, le lieutenant-général Pelletier a indiqué qu’« [e]n raison des changements climatiques en cours, la Russie, la Chine, de même que d’autres pays sont de plus en plus intéressés par l’Arctique », ce qui inquiète le NORAD, parce que « le plus court chemin pour attaquer l’Amérique du Nord passe par l’Arctique ». Le lieutenant-général Pelletier a fait part de ses inquiétudes au sujet de la militarisation par la Russie de son territoire arctique, et a fait état d’une augmentation – ces dernières années – du nombre de fois où le NORAD a dû faire décoller ses chasseurs à réaction pour intercepter des avions militaires russes volant près de l’espace aérien nord-américain dans l’Arctique. Le lieutenant-général Pelletier a même déclaré qu’en 2022, le nombre d’interceptions d’aéronefs russes était « l’un des plus élevés [… p]eut-être depuis 2014 ».

Selon le lieutenant-général Pelletier, pour exécuter « efficacement » les missions qui nous sont assignées par le NORAD, « nous devons devancer nos concurrents mondiaux, dissuader nos adversaires, contrer et vaincre les menaces grâce à la connaissance de tous les domaines, à la domination de l’information et à la supériorité décisionnelle, et être intégrés à l’échelle mondiale avec nos alliés ». Il a affirmé que la modernisation du NORAD est essentielle « à la défense de l’Amérique du Nord » et qu’elle « aidera à faire face à l’évolution des menaces liées aux missiles et aux défis en matière d’alerte maritime ». Le lieutenant-général Pelletier a ajouté que « [c]omme les menaces continuent d’évoluer rapidement et que l’Arctique devient de plus en plus accessible », le Canada et les États-Unis doivent « mettre en place […] des capacités essentielles qui amélioreront notre connaissance du domaine, permettront des opérations persistantes et donneront aux décideurs nationaux suffisamment de temps pour prendre des décisions clés ».

Des témoins ont insisté sur l’importance du NORAD pour la sécurité dans l’Arctique. Selon Kevin Hamilton, la relation de partenariat qu’entretient le Canada avec les États-Unis dans le cadre du NORAD revêt « une importance cruciale pour la sécurité dans l’Arctique ». De même, Andrea Charron, professeure agrégée et directrice du Centre d’étude sur la défense et la sécurité à l’Université du Manitoba, a fait remarquer que « [l]e NORAD est le principal facteur de dissuasion dans l’Arctique nord-américain », ce qui, selon elle, est une situation qui ne risque pas de changer dans le futur.

Aussi, des témoins ont mis l’accent sur les consultations à mener auprès des communautés autochtones, dans le cadre de la modernisation du NORAD. À ce propos, le général Eyre a déclaré que « la consultation va revêtir de plus en plus d’importance tandis que nous allons administrer tous ces projets pour nous assurer que nous comprenons bien les enjeux et instaurons un respect mutuel de sorte d’éviter toute surprise ». Jonathan Quinn, qui était d’accord avec le général Eyre sur ce point, a dit que la consultation était « primordiale » et a ajouté que le MDN avait déjà commencé à consulter des dirigeants autochtones, ainsi que des gouvernements provinciaux et territoriaux, dans le cadre de l’élaboration des propositions de modernisation du NORAD. Il a précisé que le MDN avait reçu « de nombreux commentaires excellents sur les priorités locales » et les avait ajoutés « aux exigences des Forces armées canadiennes afin de chercher de façon proactive des occasions de tirer des avantages mutuels ».

Tout en soulignant la nécessité de moderniser le NORAD, les témoins ont admis de manière générale que cet ambitieux projet coûtera cher. Anessa Kimball a indiqué que l’une des choses « très importantes à ce stade‑ci est de réfléchir à ce dans quoi le Canada va investir lorsqu’il modernisera le NORAD ». Anessa Kimball a expliqué que « [d]ans le passé, il était plus logique d’avoir des emplacements fixes » dans l’Arctique, comme des stations radars au sol, mais a ajouté qu’à l’avenir, il faudra probablement « penser à certains de ces aspects pour prévoir une plus grande mobilité », ce qui donnera « au Canada une plus grande flexibilité dans ses capacités ».

De manière générale, les témoins ont accueilli favorablement les annonces faites jusqu’à présent pour moderniser le NORAD, même si certains d’entre eux estimaient que l’on pourrait en faire plus. David Perry, président de l’Institut canadien des affaires mondiales, a exprimé des réserves au sujet du financement consacré actuellement à la modernisation du NORAD, estimant qu’il est insuffisant et limité « essentiellement à une série d’investissements dans les infrastructures et l’aérospatiale ». Faisant remarquer qu’il n’y a pas de fonds destinés aux capacités navales, il a dit que « moderniser le NORAD est un bon premier pas dans le renforcement des […] défenses [canadiennes] dans l’Arctique », mais il a ajouté que le Canada devrait aussi « chercher à tabler sur ces investissements dans les infrastructures de défense et les ressources aérospatiales en y ajoutant des capacités navales sous-marines et des équipements de défense aérienne et antimissiles intégrée, pour être en mesure aussi bien de mieux comprendre ce qui se passe dans nos eaux côtières que de mieux défendre notre pays contre la menace des missiles ». À son avis, ces nouveaux investissements devraient aller notamment « dans des systèmes [technologiques] supplémentaires de détection/d’alerte qui pourraient informer ces systèmes de missiles [de défense], ainsi que dans certains mécanismes permettant effectivement d’abattre un missile si nous le souhaitons ».

Dans le même ordre d’idées, M. Huebert a préconisé des améliorations dans le domaine aérospatial en insistant sur la nécessité de veiller à ce que les quatre emplacements d’opérations avancés dans le Nord soient « capables d’opérer 24 heures sur 24, sept jours sur sept », malgré la rudesse des conditions dans l’Arctique. Il a également souligné la nécessité de disposer d’aéronefs pour intervenir à partir de ces emplacements d’opérations avancés, dont des chasseurs à réaction et des avions de ravitaillement en vol. Dans ce contexte, il a exhorté le Canada à faire l’acquisition, le plus rapidement possible, de chasseurs à réaction F-35 pour remplacer les CF-18 vieillissants de l’ARC, ainsi que de nouveaux avions ravitailleurs pour s’assurer que l’ARC dispose des « capacités de ravitaillement en vol pour faire face à la menace que [la Russie] et [la Chine] posent à long terme ».

Mme Charron et James Fergusson, professeur au Centre d’étude sur la défense et la sécurité à l’Université du Manitoba, ont déclaré pour leur part que la modernisation du NORAD devrait prévoir un élargissement de la mission – au-delà de l’alerte aérospatiale, du contrôle aérospatial et de l’alerte maritime – pour englober tous les environnements – aérien, spatial, maritime, terrestre et cybernétique – pour l’ensemble de l’Amérique du Nord. Selon eux, le NORAD a besoin de capacités multidomaines pour affronter les menaces nouvelles et émergentes. M. Fergusson s’est demandé, en particulier, s’il n’était pas temps « d’élargir ce système de mission en visant en fait la mise en place d’une véritable force intégrée de commandement pour la défense de l’Amérique du Nord ». Il a aussi proposé que le Canada et les États-Unis songent à intégrer le Danemark (Groenland) et éventuellement l’Islande, dans l’Accord du NORAD, pour couvrir efficacement « des voies d’accès à l’Amérique du Nord en provenance de l’est ». Cependant, Jonathan Quinn a indiqué que le Canada et les États-Unis ont convenu d’un mutuel accord qu’il y avait « suffisamment à faire, à l’époque, pour augmenter les capacités du NORAD de s’acquitter de son mandat actuel d’alerte aérospatiale, de contrôle aérospatial et d’alerte maritime sans même chercher à [...] élargir [le mandat du NORAD] ».

Des témoins ont également insisté sur la nécessité de remplacer le Système d’alerte du Nord, qui compte 11 emplacements télécommandés à longue portée et 36 emplacements radars télécommandés à courte portée situés sur le littoral de l’océan Arctique, système qui arrive à la fin de sa vie utile. Le lieutenant-général Pelletier a résumé les limitations du Système d’alerte en ces termes :

[C]e système, en soi, est très limité dans sa capacité de détection réelle des menaces que présentent actuellement la Russie et, dans l’avenir, la Chine, vu que, particulièrement, la menace chinoise risque d’arriver par la côte ouest, alors que le système, conçu au début des années 1980, visait à détecter une menace provenant de l’Arctique.

M. Fergusson a aussi insisté sur la nécessité de moderniser le Système d’alerte du Nord en disant que ce système ne permet pas de suivre des missiles de croisière ou des armes hypersoniques. Selon M. Byers, « [n]ous devons moderniser le Système d’alerte du Nord pour fournir une surveillance et une assistance continues à nos alliés américains », notamment au moyen de « radars transhorizon ». Toujours selon M. Byers, « [c]es stations radars situées dans le Nord sont notre principale contribution à la sécurité de l’Amérique du Nord ». Il a ajouté :

Si nous assurons une surveillance radar dans l’Arctique, c’est pour préserver la capacité de nos amis et voisins américains à lancer des missiles [nucléaires] dans l’éventualité d’une première frappe russe. … [Le] Système d’alerte du Nord [nous protège en nous donnant] l’assurance que la Russie sera détruite si elle lance [une attaque contre] l’Amérique du Nord. […] Nous devons [maintenir la logique de] la destruction mutuelle assurée qui est le mécanisme de dissuasion nucléaire qui nous protège depuis les années 1960.

En outre, des témoins ont parlé du système radar transhorizon, que le Canada envisage de développer pour remplacer le Système d’alerte du Nord dans le cadre de la modernisation du NORAD. Expliquant que ce nouveau système permettrait d’assurer une couverture complète de l’ensemble du territoire du Canada, y compris de ses archipels arctiques, Jonathan Quinn a dit que « l]a contribution canadienne au nouveau système de surveillance à multiples volets consistera à mettre sur pied un site pour le radar transhorizon près de la frontière canado‑américaine qui permettra de surveiller les confins du territoire canadien. Un deuxième site dans le Haut-Arctique, au Canada, permettra de voir au-delà du pôle [Nord] ». Il a ajouté que le MDN prévoit que les systèmes radars du Haut-Arctique seront opérationnels environ deux ans après le système se trouvant dans les latitudes plus basses, ce qui devrait se faire vers « la fin de la décennie 2020 ».

En attendant, des plans sont en cours pour maintenir le Système d’alerte du Nord opérationnel jusqu’à son remplacement, puisque le gouvernement du Canada a annoncé – en janvier 2022 – qu’un contrat de soutien en service avait été conclu avec la Nasittuq Corporation pour le maintien et l’entretien du Système d’alerte du Nord pour une période initiale de sept ans, suivie de quatre périodes d’option de deux ans chacune. Jonathan Quinn a indiqué que la signature de ce contrat de 500 millions de dollars était à la fois un pas dans la bonne direction et un exemple du type d’occasions d’affaires que la modernisation du NORAD peut offrir aux collectivités du Nord. Clint Davis, président-directeur général de la Nunasi Corporation, a fait remarquer que la Nasittuq Corporation – dont la Nunasi Corporation est actionnaire – « a dû considérablement augmenter le nombre d’employés » et la formation, et qu’elle offre des occasions d’emplois aux Inuits. Il a également fait référence au contrat de 112 millions de dollars accordé à la Nasittuq Corporation, que le gouvernement a annoncé en octobre 2022, pour la fourniture de services de soutien à la Station des Forces canadiennes (SFC) Alert; un contrat d’une durée initiale de huit ans et demi qui permettra de créer de nouvelles perspectives d’emploi pour les Inuits. Clint Davis a indiqué par ailleurs que la Nasittuq Corporation fournit des services à la Station des Forces canadiennes (SFC) Alert depuis 2012.

Des témoins ont prédit que l’attribution de nouveaux contrats dans le cadre de la modernisation du NORAD ouvrira de nouvelles perspectives pour les collectivités autochtones dans les années à venir. Jonathan Quinn a déclaré que les « améliorations aux infrastructures du Nord qui sont inscrites au plan de modernisation du NORAD », comme l’amélioration des emplacements d’opérations avancés à Yellowknife, Inuvik, Iqaluit et Goose Bay, « créeront des possibilités d’emploi pour les Autochtones et favoriseront la croissance économique ». Toujours selon M. Quinn, à mesure que le MDN « lancer[a] d’autres projets d’infrastructures dans le Nord et […] établi[ra] des sites pour le [système de] radar transhorizon, les résidents du Nord devraient avoir davantage de débouchés ». Abondant dans le même sens que Jonathan Quinn, Kevin Hamilton a déclaré que « [p]our ce qui est de la modernisation du NORAD et des investissements militaires dans le Nord, [le MDN] examinera toutes les possibilités de créer des emplois pour les populations locales et de mettre une partie de l’infrastructure au service des populations civiles ».

Clint Davis a souligné l’« effet très positif » des contrats militaires sur les collectivités du Nord, faisant valoir que les retombées sont « considérables » et que la modernisation du NORAD aura « un impact générationnel ». Selon lui, ces contrats permettent d’offrir non seulement de la « formation et de[s] possibilités d’emploi » pour les communautés locales, mais aussi des « occasions d’approvisionnement » pour les entreprises et les sociétés de développement inuites locales, ce qui contribue à « la réconciliation économique » puisque « le revenu net est réinvesti dans l’intérêt de la collectivité [locale] ». M. Davis a ajouté que les collectivités et entreprises locales se réjouissent des débouchés et des contrats à long terme qui pourraient résulter de la modernisation du NORAD dans les années à venir.

Défense antimissiles

Des témoins ont fait part de leurs préoccupations concernant l’absence de système de défense antimissiles au Canada, laissant entendre que notre pays est actuellement dans une situation de vulnérabilité due au fait qu’il n’a pratiquement aucun moyen d’intercepter des missiles ennemis de quelque type que ce soit. Les témoins ont également parlé de l’absence de participation du Canada à la défense contre les missiles balistiques (BMD), ainsi que de l’annonce faite par le gouvernement du Canada en février 2005 selon laquelle le Canada ne s’engagerait pas avec les États-Unis dans un programme de BMD.

Jonathan Quinn a déclaré que « [b]ien que la politique canadienne en matière de défense antimissile[s] balistique[s] n’ait pas changé, le Canada a toujours joué un rôle important dans l’alerte contre les attaques de toutes les menaces aérospatiales » – incluant les missiles balistiques – grâce au NORAD, et il a affirmé que le Canada « continue[ra] de jouer ce rôle ». Il a également attiré l’attention sur les investissements dans la modernisation du NORAD qui « amélioreront [la] capacité [de notre pays] à faire ces contributions ».

Selon certains témoins, le gouvernement du Canada devrait revoir sa décision de 2005 de ne pas participer au système de défense antimissiles balistiques des États-Unis. Soulignant les investissements chinois et russes dans les missiles balistiques et de croisière ainsi que dans les armes hypersoniques, M. Fergusson a déclaré qu’« il est devenu nécessaire pour nous de disposer d’équipements nous permettant d’intercepter les missiles en plein vol », ce qui aurait « des incidences sur la politique canadienne depuis longtemps établie concernant la défense antimissile[s] balistique[s] ». Dans le même ordre d’idées, le lieutenant-général (à la retraite) Parent a laissé entendre qu’il est temps d’« adopter la défense aérienne intégrée et la défense antimissiles dans leur ensemble » et de « réévaluer » la décision de 2005, et a ajouté qu’« en ne faisant pas partie du système antimissile[s], nous manquons de crédibilité, parce que nous choisissons ainsi ce contre quoi nous voulons nous défendre, alors que notre défense devrait être totale ». Affirmant que le système « fonctionne » et qu’il se déclenche en opposant « missile contre missile », le lieutenant-général (à la retraite) Parent a reconnu que le système avait été conçu à l’origine pour contrer « la menace terroriste de la Corée du Nord » et pas « pour combattre la Russie ou la Chine ». Cela dit, il a indiqué que le système permettrait quand même de nous défendre en cas d’attaque de la Russie ou de la Chine, « parce qu’un missile est un missile, quelles que soient les circonstances ».

Cependant, un certain nombre de témoins étaient d’avis que le Canada ne devrait pas faire partie du système de défense antimissiles balistiques des États-Unis et qu’il devrait investir plutôt dans un autre type de système de défense antimissiles capable de faire face aux menaces posées par tous les types de missiles. Ces témoins ont fait remarquer que la menace que représentent les missiles aujourd’hui ne se limite pas aux missiles balistiques, mais comprend également les missiles de croisière avancés, les armes hypersoniques, les drones armés et d’autres systèmes d’armes aériennes non couverts par le système américain. M. Perry a indiqué que « [l]es missiles nous posent des menaces plus diversifiées qu’il y a 20 ans », et a ajouté que « [d]ire qu’il est spécifiquement nécessaire de se concentrer sur un seul type de [missiles], est […] une réponse tout au mieux incomplète, car il existe une gamme de scénarios possibles contre lesquels nous devons améliorer nos défenses ». Jonathan Quinn a déclaré pour sa part que les missiles de croisière « préoccupent de plus en plus » le NORAD, et le major-général Iain Huddleston, commandant de la Région canadienne du NORAD, a ajouté que les armes hypersoniques représentent un « défi […] de taille » pour le NORAD. Dans le même ordre d’idées, Jody Thomas a fait observer que

[l]es missiles balistiques constituent certes une menace importante contre notre sécurité, mais ce n’est pas la seule, car il y a aussi les missiles hypersoniques et les missiles de croisière, de même que les armes récentes à très longue portée qui peuvent atteindre les côtes du Canada. Auparavant, il fallait positionner un navire, un sous-marin ou un bombardier près du Canada, mais il est désormais possible de lancer des missiles d’outre-mer et d’atteindre l’Amérique du Nord. Il est important d’avoir une vue d’ensemble de la menace que représentent les missiles et avoir une idée claire de la réaction appropriée pour l’Amérique du Nord, plutôt que de nous concentrer uniquement sur la défense antimissile[s] balistique[s].

Le général Eyre a reconnu que la décision du gouvernement du Canada de faire partie du système de défense antimissiles balistiques des États-Unis est une « question de politique », mais a insisté sur le fait qu’il est « très difficile de traiter séparément les divers types de menaces » – c’est-à-dire les missiles balistiques – quand il y a « divers types de menaces [de missiles] auxquelles nous sommes exposés ». En parlant plus particulièrement des missiles balistiques, des missiles de croisière, des armes hypersoniques et des missiles lancés par sous‑marin, par exemple, il a expliqué que les alliés du Canada se tournent maintenant vers des systèmes intégrés de défense antimissiles qui se concentrent sur l’éventail grandissant des menaces posées par les missiles. Le général Eyre a dit ceci :

[J]e crois que les politiques en matière de défense antimissile balistique sont de moins en moins pertinentes. En effet, nos alliés recourent maintenant au concept de défense aérienne et antimissile intégrée, qui repose sur trois systèmes : un système de capteurs, un système de défense contre les menaces, et un système de commandement et de contrôle. Comme tous ces systèmes sont bien intégrés en un seul réseau et que les menaces sont multiples, comme les menaces hypersoniques et les divers missiles, dont les missiles de croisière, il est difficile de ne cibler qu’une menace en particulier. La défense aérienne et antimissile intégrée est le concept de l’avenir.

Des témoins ont fait état de la nécessité, pour le Canada, de se doter d’un système intégré de défense aérienne et antimissiles. Le général Eyre a fait observer que « comme on l’a vu en Ukraine d’après le nombre de missiles russes interceptés, il est effectivement payant de pouvoir compter sur un système de défense aérienne antimissile[s] ». Selon M. Perry, le Canada a besoin de se doter d’une « défense aérienne et antimissile[s] intégrée qui serait capable de répondre à un large éventail de mécanismes de lancement possibles ». S’exprimant au sujet de l’approche souhaitée, il a dit ceci :

[L]a meilleure défense consiste à se doter d’un ensemble de systèmes intégrés et superposés qui peuvent nous défendre contre divers types de missiles lancés contre nous. [… U]n système qui peut faire face à un vaste éventail de menaces de missiles différentes d’une manière cohérente et intégrée, qui n’a pas besoin de reposer sur l’amalgame de matériels technologiques disparates, mais qui a au départ été conçu pour être intégré.

Outre les missiles, des témoins ont mis l’accent sur la menace que pose la prolifération des drones. Le major-général Conrad Mialkowski, commandant adjoint de l’Armée canadienne, a indiqué que les FAC « surveillent de très près » les développements mondiaux concernant les drones, et prennent part à des discussions avec les alliés sur de possibles solutions pour lutter contre les systèmes aériens sans pilote. Il a insisté toutefois sur le fait que « [l]es Forces armées canadiennes n’ont pas encore choisi de réponse précise à [la menace posée par les drones], parce que l’émergence de la technologie est rapide ». Le major-général Mialkowski a indiqué que détecter et neutraliser les drones dans l’« environnement opérationnel de l’Arctique […] est un domaine qui mérite notre attention continue ». Souscrivant aux propos du major-général Mialkowski, M. Massie a affirmé que le Canada a sous-financé « les défenses antiaériennes contre l’usage de drones de surveillance ou de frappe par les Russes ou d’autres puissances étrangères ».

Renforcement de la surveillance du Canada dans l’Arctique

Soutenant que le Canada devrait améliorer ses capacités de surveillance ainsi que la connaissance du domaine dans l’Arctique, des témoins ont fait état de lacunes dans les capacités existantes et lancé plusieurs propositions. Ils ont préconisé l’adoption de mesures qui permettraient au Canada d’améliorer sa connaissance du domaine dans la région, notamment des investissements dans des systèmes de détection sous-marine, des sous‑marins, des satellites, des drones et des avions de surveillance.

Selon les témoins, la principale lacune en matière de surveillance dans l’Arctique réside dans la détection des menaces et des activités sous-marines. Ces témoins ont rappelé que le Canada ne dispose pas actuellement des capacités lui permettant de détecter des sous-marins, des drones sous-marins et d’autres types de systèmes submersibles naviguant dans l’océan Arctique. Le lieutenant-général (à la retraite) Parent a dit qu’il ne pensait pas « que nous ayons totalement conscience de tout ce qui navigue dans l’Arctique », ajoutant que « le plus gros problème se situe sous la surface. On sait ce qu’on sait et pour savoir, il faut exercer une surveillance continue ».

Des témoins ont demandé que l’on investisse dans des systèmes de capteurs sous‑marins. Le général Eyre a affirmé qu’au Canada, « nous pouvons et nous devons faire plus » pour la surveillance dans l’Arctique, particulièrement sous l’eau, ajoutant que « notre emprise sur l’Arctique serait beaucoup plus sûre grâce à une meilleure connaissance du domaine [sous-marin] ». Étant d’accord avec le général Eyre, M. Huebert a indiqué que l’« [on] n’a pas du tout abordé la question de la modernisation de notre capacité d’écoute sous-marine. […] Quoi qu’il en soit, il faut s’y attarder ».

Mettant l’accent sur les lacunes en matière de surveillance maritime, le vice-amiral Topshee a déclaré que « [n]ous pouvons toujours mieux faire ». Cela dit, il a mentionné l’existence d’initiatives destinées à améliorer la détection sous-marine. À titre d’exemple, il a décrit la mise à l’essai réussie par la Marine royale canadienne (MRC) d’un nouveau système de sonar sous-marin portable – appelé sonar remorqué actif/passif enroulable – qui a été installé sur le navire de patrouille extracôtier et de l’Arctique (NPEA) NCSM Harry DeWolf lorsqu’il a transité par le passage du Nord-Ouest l’année dernière, système qui a permis de « détecter des sous-marins ».

Dans le même ordre d’idées, David Perry a affirmé que le Canada a besoin de la technologie de détection sous-marine pour surveiller l’Arctique. Il a déclaré que les « capteurs sous-marins seraient quelque chose qui devrait nous intéresser [notamment les] dispositifs acoustiques », que l’on « peut immerger dans des endroits prioritaires afin d’entendre ce qui s’y passe et d’en apprendre un peu sur ceux qui y sont actifs, sans qu’il soit nécessaire d’avoir un navire ou un sous-marin sur place ».

Le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a dit que le Canada doit absolument se doter d’une capacité de détection sous-marine, en indiquant qu’actuellement, « la connaissance de ce qui se passe sous les mers […] dans le Nord du Canada sont le domaine le plus faible » pour ce qui est de la surveillance. À son avis, le Canada n’a rien, dans sa « boîte à outils », lui permettant de détecter des sous-marins étrangers transitant par le Nord, et « [i]l existe aujourd’hui des technologies qui pourraient être mises en place dans nos principaux passages maritimes pour savoir ce qui se passe sous nos eaux ».

La plupart des témoins étaient aussi favorables à l’acquisition de sous-marins; à ce propos, le vice-amiral Auchterlonie a dit que le remplacement des sous-marins canadiens de la classe Victoria par une nouvelle classe de sous-marins était « essentiel à la souveraineté et à la sécurité du Canada », spécialement dans l’Arctique. Il a expliqué que « [p]our ce qui est de la souveraineté dans le Nord » et « en termes de capacité, un sous-marin apporte une capacité importante de dissuasion et de souveraineté », surtout s’il peut « mener des opérations dans le Nord ».

M. Perry a déclaré pour sa part qu’il est impératif que le Canada aille de l’avant avec le projet de remplacement de ses quatre sous-marins de la classe Victoria. Insistant sur la nécessité d’envisager très sérieusement l’achat de nouveaux sous-marins, il a dit :

Nous devons globalement envisager de remplacer ces sous-marins soit par de nouveaux sous-marins comme tels, soit par un système de véhicules sous-marins téléguidables — peut-être en collaboration — et des dispositifs de détection supplémentaires nous permettant de détecter les sous-marins étrangers pouvant opérer dans les eaux et les approches côtières canadiennes.

Considérant les sous-marins comme des moyens essentiels de surveillance et de dissuasion, M. Perry a dit qu’actuellement, « nous ignorons qui se trouve dans nos eaux. Nous pourrions peut-être obtenir une partie de cette information de certains de nos alliés s’ils […] sont [en Arctique], mais sans y avoir nos propres sous-marins, nous comprenons mal la situation dans nos eaux côtières ».

Selon M. Massie, « l’une des principales carences [dans les capacités de surveillance de l’Arctique] est l’absence de planification budgétaire ou opérationnelle du remplacement de la flotte de sous-marins canadiens », qui est selon lui capital pour assurer la sécurité dans les eaux canadiennes. À son avis, « [q]ue l’on considère le passage du Nord-Ouest comme étant canadien ou comme faisant partie des eaux internationales, il faudra cette capacité. Le fait de ne pas planifier ce remplacement présentement peut laisser craindre qu’on perde cette capacité, ou bien qu’on doive abandonner d’autres priorités de la défense ».

Des témoins ont également appelé le gouvernement du Canada à envisager d’acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire pouvant naviguer dans des eaux glacées pour effectuer des opérations dans l’Arctique. Expliquant les avantages d’avoir ce type de sous-marin dans l’environnement maritime arctique, le lieutenant-général (à la retraite) Parent a affirmé que « [l]e meilleur moyen de dissuasion » dans le Nord serait un sous-marin capable de naviguer dans un environnement de glaces et « espérons-le, un sous-marin nucléaire qui pourrait y rester » pendant de longues périodes. Il a avancé que si la présence d’un sous-marin nucléaire canadien dans les eaux de l’Arctique était connue, « personne ne nous attaquera » et n’entrera dans ces eaux, ajoutant que « [n]ous [aurions] là un effet dissuasif parce que les dommages infligés [aux intrus étrangers] seraient trop élevés ». Actuellement, la Chine, les États-Unis, la France, l’Inde, le Royaume-Uni et la Russie disposent de sous-marins nucléaires. L’Australie envisage de faire l’acquisition d’une flotte de sous-marins nucléaires pour sa marine nationale dans le cadre de l’accord AUKUS qu’elle a conclu avec les États-Unis et le Royaume-Uni, et d’autres pays, comme le Brésil, songent aussi à s’équiper de sous-marins nucléaires[1]. À la fin des années 1980, le Canada prévoyait acheter une flotte de 10 à 12 sous-marins nucléaires, mais le projet a été abandonné avec la fin de la Guerre froide[2].

Cependant, tous les témoins n’étaient pas d’accord sur la pertinence pour le Canada de se doter de sous-marins nucléaires, et certains ont avancé que l’achat et l’entretien de telles ressources navales seraient extrêmement coûteux. M. Massie a averti que « si l’on devait investir dans une nouvelle flotte de sous-marins à propulsion nucléaire comme le font les Australiens, cela coûterait tellement cher qu’il faudrait amputer des budgets accordés à d’autres priorités de la défense canadienne ».

Des témoins ont mis l’accent également sur la nécessité pour le Canada d’améliorer ses capacités spatiales pour effectuer de la surveillance dans l’Arctique. M. Byers a indiqué que le Canada a « une très bonne surveillance spatiale en ce moment », avec les trois satellites lancés en 2019, faisant partie du système de la mission Constellation RADARSAT, qui ont été « construits pour la sécurité de l’Arctique » et qui sont « nos yeux dans le ciel de l’Arctique ». Cela dit, il a précisé que ces satellites ont une durée de vie de sept ans et qu’ils devront bientôt être remplacés. M. Byers a déclaré qu’« il faut maintenant lancer le processus d’approvisionnement en vue de leur remplacement ». Selon lui, le renouvellement de la mission de la Constellation RADARSAT figure « bien en haut de [la] liste » des priorités.

Faisant valoir qu’« [i]l est très difficile d’avoir des capacités de communication et de surveillance dans l’Extrême-Arctique », le lieutenant-général Eric Kenny, commandant de l’ARC, a insisté sur l’avantage de l’utilisation de satellites, de manière combinée avec des drones, des radars et d’autres systèmes de surveillance, pour obtenir une évaluation plus claire des menaces et des activités dans l’Arctique. À son avis, « [l]a réalité, c’est que nous devons d’abord être en mesure de déceler les menaces à notre souveraineté […] afin de les prévenir ou de les repousser au besoin ». Il a déclaré que le MDN travaille actuellement sur « la mise en place d’une infrastructure satellitaire pour les opérations dans l’Arctique », et indiqué que l’accent est mis sur « les communications dans l’Extrême‑Arctique » ainsi que sur « la surveillance depuis l’espace » par satellite.

De même, le lieutenant-général Kenny a reconnu que le MDN et les FAC doivent travailler en coopération ainsi qu’en partenariat avec d’autres ministères et organismes fédéraux, le secteur privé et nos alliés, pour échanger de l’information et obtenir la meilleure évaluation possible de la situation avec des moyens spatiaux. Selon lui :

L’espace est de plus en plus congestionné et contesté, et il est concurrentiel. … [Les] militaires […] ne devr[aient]ions pas [se] concentrer uniquement sur [leurs] nos propres programmes [satellitaires]. [Ils doivent] travailler en partenariat avec les industries commerciales, l’Agence spatiale canadienne et nos alliés […] parce que les satellites ont une durée de vie limitée, et nous ne pouvons malheureusement pas simplement nous en débarrasser une fois qu’ils sont là sans les remplacer. […] La redondance et la résilience découlent d’une capacité accrue, que ce soit par l’entremise de l’industrie commerciale, de partenariats privés ou de l’armée.

Le lieutenant-général Kenny a averti que « si nous ne travaillons pas en étroite collaboration avec nos fournisseurs commerciaux de services par satellite », il y a un risque que « nous ne réussi[ssions] pas aussi bien que nous le pourrions à l’avenir ».

Des témoins ont dit qu’en plus d’investir dans la technologie des satellites pour assurer les communications et la surveillance dans l’Arctique, le Canada devrait collaborer plus étroitement avec ses alliés dans l’espace. M. Huebert a plaidé en faveur du remplacement de la mission de la Constellation RADARSAT par une nouvelle capacité satellitaire et proposé que le Canada envisage également de se « joindre aux Américains et aux Européens pour bénéficier de leur capacité de surveillance par satellite ».

Jonathan Quinn a expliqué quant à lui que la modernisation du NORAD passe par le remplacement de la mission de la Constellation RADARSAT par un dispositif qui appartiendrait au MDN et aux FAC, plutôt que de continuer avec l’approche actuelle, à savoir un système de satellites appartenant au gouvernement qui fournit des services à divers ministères et organismes fédéraux, dont le MDN et les FAC. À son avis, le développement d’un système de satellites propre au MDN et aux FAC est nécessaire pour « répondre à la demande croissante dans le domaine de l’observation terrestre dans l’Arctique et dans le cadre d’autres missions un peu partout dans le monde, et remplir les exigences du contexte de sécurité […] Le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes auraient entre autres les capacités de communiquer des renseignements à un niveau de classification plus élevé que dans les autres ministères ».

Des témoins ont aussi mis l’accent sur la nécessité, pour le gouvernement du Canada, d’acheter des drones pour la surveillance dans l’Arctique. Selon M. Massie, il y a « un sous‑investissement important du Canada dans les drones », et la guerre en Ukraine a prouvé l’utilité des drones dans les combats et d’autres opérations militaires. M. Massie a affirmé que les drones pourraient être utiles dans l’Arctique et ailleurs, faisant valoir que « le Canada a absolument besoin d’autres drones, que ce soit pour la surveillance aérienne, le renseignement et la reconnaissance. C’est un créneau [dans lequel] nous devrions investir, […] mais nous ne le faisons pas ». De l’avis du lieutenant-général (à la retraite) Semianiw, « la présence de drones sans pilote de grande et de moyenne taille qui patrouillent dans l’Arctique en étroite collaboration avec les Rangers [canadiens] accroîtrait notre capacité de détecter les menaces terrestres sur les 2,6 millions de kilomètres carrés du Nord canadien ».

Le lieutenant-général Kenny a fait remarquer que les FAC sont en train de procéder à l’acquisition d’une flotte de drones dans le cadre du projet de Système d’aéronefs télépilotés, drones qui pourraient éventuellement servir à faire de la surveillance dans l’Arctique. Il a indiqué que « [s]i tout va bien, d’ici 2024, nous aurons obtenu un contrat pour acheter des drones qui seront basés à deux endroits, Greenwood en Nouvelle-Écosse, et Comox en Colombie‑Britannique », ajoutant qu’« [i]ls auront aussi la capacité de décoller à partir de Yellowknife et d’y atterrir ». Le lieutenant-général Kenny a expliqué qu’avec ces drones, les FAC auront « la capacité d’effectuer des missions partout au Canada pendant de longues heures, ce que nous n’avons pas présentement. Cette capacité est très importante pour notre souveraineté ». Reconnaissant que le processus d’acquisition du Système d’aéronefs téléguidés est toujours en cours, il a mentionné que les exigences de haut niveau du projet requièrent que les drones « puissent voler dans l’Arctique et mener leurs missions à partir d’endroits comme Yellowknife ».

Par ailleurs, le lieutenant-général Kenny a affirmé, en ce qui concerne « [l]es drones ou le projet de Système d’aéronefs télépilotés, … [que l]orsque le projet sera réalisé, dès 2026, nous prévoyons parvenir à une meilleure connaissance du domaine [dans l’Arctique], du moins du point de vue aérien et terrestre ». À propos de la modernisation du NORAD, il a dit que ces drones, combinés aux nouvelles capacités spatiales de surveillance et de communication ainsi qu’aux radars transhorizon, donneront au Canada « cette connaissance du domaine » dont il a besoin dans l’Arctique.

Enfin, des témoins ont souligné la nécessité pour le Canada de faire l’acquisition de nouveaux aéronefs de patrouille à long rayon d’action pour remplacer la flotte d’avions CP-140 de l’ARC. M. Byers a fait remarquer que les « avions de patrouille à long rayon d’action Aurora sont vieux de 40 ans », et il a ajouté que même s’« [i]ls fonctionnent encore très bien, […] nous devrions les renouveler ». M. Roussel, qui était d’accord avec M. Byers, a appelé le gouvernement du Canada à aller de l’avant avec l’acquisition d’aéronefs de patrouille à long rayon d’action afin de « mettre en place une capacité [de surveillance] très mobile dans l’Arctique ».

Disponibilité opérationnelle dans l’Arctique

De concert avec leurs partenaires fédéraux et territoriaux, les FAC jouent un rôle essentiel pour assurer la sécurité dans l’Arctique tout en faisant respecter la souveraineté du Canada dans la région. Il n’en demeure pas moins que l’environnement opérationnel arctique est difficile et exige le déploiement de beaucoup de ressources; qui plus est, la présence permanente de membres des FAC et les infrastructures à l’appui des opérations dans le Nord sont limitées. Des témoins ont avancé que l’intensification de l’activité commerciale dans l’Arctique, l’intérêt géopolitique accru pour cette région et les changements climatiques exerceront une pression supplémentaire sur les ressources militaires. Selon les témoins, ces facteurs soulèvent des interrogations sur la capacité des FAC à assumer leurs responsabilités en matière de souveraineté et de sécurité dans la région et à relever les défis dans un environnement arctique marqué par une augmentation de la concurrence et de l’instabilité.

Le brigadier-général Godbout a indiqué que la présence permanente des FAC dans le Nord est assurée par environ 340 membres de l’Équipe de la Défense. Basée à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, et relevant du Commandement des opérations interarmées du Canada (COIC), la Force opérationnelle interarmées (Nord) (FOIN) dirige les opérations des FAC dans le Nord. Le brigadier-général Godbout a expliqué en quoi consistent les activités du COIC dans le Nord, à savoir : « la démonstration d’une présence visible et constante; la surveillance et le contrôle; le soutien aux populations et aux communautés du Nord; et la coopération avec l’ensemble du gouvernement ». Avec des détachements à Iqaluit, au Nunavut, ainsi qu’à Whitehorse, au Yukon, la plupart des membres de la FOIN sont basés à Yellowknife et regroupés dans les unités militaires suivantes :

  • le 440e escadron de transport et ses quatre aéronefs CC-138 Twin Otter;
  • la Compagnie de Yellowknife du Loyal Edmonton Regiment, qui est la première unité de la réserve à être stationnée dans l’Arctique;
  • le 1er Groupe de patrouilles des Rangers canadiens, qui compte plus de 1 700 Rangers canadiens répartis dans 61 patrouilles, et 1 400 Rangers juniors au sein de 44 patrouilles, dans 65 collectivités du Nord.

La FOIN répond aux demandes d’aide des FAC pour porter secours à des sinistrés ou intervenir en cas d’incident majeur; elle dirige également les opérations de recherche et de sauvetage au sol effectuées par les FAC. La FOIN est aussi responsable de la surveillance des zones continentales et maritimes couvrant un territoire de près de 8,8 millions de kilomètres carrés, qui s’étend jusqu’au pôle Nord et, à l’ouest, jusqu’à la frontière du Yukon et de l’Alaska, ainsi que les zones maritimes de la baie d’Hudson, de la baie d’Ungava et de la baie James.

En plus de la FOIN, il y a 47 stations radars du Système d’alerte du Nord réparties un peu partout dans le Nord, ainsi que le Centre d’entraînement des FAC dans l’Arctique, qui se trouve à Resolute Bay, au Nunavut, et est utilisé périodiquement tout au long de l’année pour l’entraînement aux opérations par temps froid et les exercices dans l’Arctique. L’aéroport Mike Zubko d’Inuvik sert aussi d’emplacement d’opérations avancé pour l’ARC et le NORAD. À la SFC Alert, les FAC colligent le renseignement d’origine électromagnétique et assurent le maintien des installations de radiogoniométrie haute fréquence pour appuyer les opérations de recherche et de sauvetage. De plus, à Eureka, au Nunavut, les FAC hébergent une station météorologique de l’Extrême-Arctique, et l’installation navale de Nanisivik, sur l’île de Baffin, au Nunavut, est un port en eau profonde qui accueillera la station de ravitaillement naval de Nanisivik lorsqu’elle sera ouverte.

Comme l’a expliqué le général Eyre, la capacité de conduire des opérations dans l’Arctique dépend des quatre composantes de la « disponibilité » que sont « le personnel, l’équipement, la formation et le maintien des capacités ». Selon le général Eyre, il est essentiel d’investir dans chacune de ces composantes pour avoir « une présence beaucoup plus importante et constante dans le Nord […] avec des moyens venant du Sud ».

Les témoins s’entendaient pour dire que l’évolution rapide du contexte stratégique dans le Nord justifie une posture dissuasive crédible soutenue par des investissements dans l’équipement; les opérations de recherche et de sauvetage; le personnel; les infrastructures.

Équipement

Les FAC considèrent l’Arctique comme un théâtre expéditionnaire et – tout comme pour les missions à l’étranger – elles se déploient avec toutes les capacités dont elles ont besoin pour mener des opérations dans la région. Des témoins ont souligné la nécessité, pour les FAC, de disposer des bons outils pour exercer un contrôle dans leurs champs de compétence dans l’Arctique, notamment de moyens de dissuasion et de défense contre les incursions dans les espaces aériens et maritimes. Selon ces témoins, pour fonctionner dans l’environnement changeant de l’Arctique, il faut de l’équipement adapté et des capacités mobiles renforcées pour s’assurer que le personnel peut être déployé rapidement et efficacement depuis le sud du Canada. Les témoins ont donc parlé plus particulièrement des moyens maritimes et aériens dans l’Arctique, des déficits de capacités, ainsi que des conséquences des retards en matière d’investissement et d’approvisionnement.

Le général Eyre a affirmé que pour défendre le Nord canadien, notre souveraineté dans cette région et les voies d’approche nordiques donnant accès au Sud du Canada, nous devons assurer « une présence militaire soutenue et visible » dans l’Arctique. Selon le vice‑amiral Topshee, « [l]es capacités actuelles de tous les services des Forces armées canadiennes sont suffisantes pour assurer la souveraineté et la sécurité du Nord canadien, et pour contrer les menaces auxquelles nous faisons face aujourd’hui et celles de demain ». Remettant en cause cette affirmation, M. Huebert a plutôt déclaré que la capacité du Canada à faire respecter sa souveraineté « est une question qui [l]’empêche de dormir la nuit ». Anessa Kimball a avancé pour sa part, que compte tenu de l’incertitude entourant les visées de la Russie et de la Chine sur l’Arctique, la configuration actuelle des moyens de défense en Amérique du Nord « manque de vigueur pour dissuader les incursions dans les espaces aériens et maritimes ». Dans un mémoire qu’il a soumis au Comité, M. Braun dit que la réponse militaire canadienne aux menaces géostratégiques, économiques et environnementales dans la région « a été au mieux tiède[3] ». Quant au général Eyre, même s’il ne voit pas de menace immédiate à la souveraineté territoriale du Canada, il a déclaré qu’« [i]l ne faudrait pas qu’un jour cette souveraineté soit menacée, car notre présence dans cette région est limitée ».

Des témoins ont discuté de l’importance de disposer de capacités de déglaçage pour assurer la sécurité dans l’Arctique, rappelant que la Garde côtière canadienne (GCC) gère la flotte nationale de brise-glaces composé de 19 brise-glaces légers, moyens et lourds qui facilitent l’accès aux eaux libres au printemps, afin de permettre l’ouverture de la pêche, le réapprovisionnement des collectivités nordiques, les opérations de recherche et de sauvetage en mer, les interventions en cas d’incidents environnementaux et la recherche scientifique. Ils ont indiqué également que l’on compte chaque année entre 50 et 80 demandes de déglaçage dans le Nord, et que la GCC exploite généralement de six à neuf navires pour effectuer diverses missions dans l’Arctique. Cependant, l’essentiel de la flotte de brise‑glaces de la GCC approche de sa fin de vie utile. Le NGCC Louis S. St‑Laurent et le NGCC Terry Fox – tous deux des brise-glaces polaires lourds de classe 4 – sont entrés en service en 1969 et 1983 respectivement. Dans le cadre de la Stratégie nationale d’approvisionnement en matière de construction navale, le gouvernement du Canada va faire l’acquisition de six brise-glaces de programme et de deux brise‑glaces polaires. Neil O’Rourke, commissaire adjoint pour la région de l’Arctique de la GCC, a affirmé que les nouveaux brise-glaces polaires « seront plus grands et plus puissants que les brise-glaces lourds actuels et permettront à la Garde côtière [canadienne] d’opérer dans l’Arctique canadien tout au long de l’année avec des capacités accrues pour soutenir une variété de tâches, et de fournir une capacité inégalée à ce jour par la flotte actuelle ». Les témoins ont indiqué que le Chantier naval de Seaspan à Vancouver et le Chantier naval Davie de Lévis, au Québec, construiront chacun un navire; la construction devrait commencer en 2025, et au moins un des deux brise-glaces devrait être livré d’ici 2030.

Comme il faudra assurer le maintien des capacités de déglaçage pendant la construction des nouveaux brise-glaces polaires, des témoins ont fait état des plans du gouvernement du Canada pour fournir un soutien provisoire. Ils ont déclaré qu’en 2018, le gouvernement avait annoncé l’achat de trois brise-glaces commerciaux moyens au Chantier naval Davie, qui a converti et livré ces navires à la GCC entre 2018 et 2022. Neil O’Rourke a indiqué qu’un quatrième brise-glaces commercial léger « sera prêt à servir pour la saison de déglaçage de 2023, et que ces quatre brise-glaces provisoires « permettront à la Garde côtière [canadienne] d’assurer un service ininterrompu lorsque certains de nos navires sont mis hors service pour subir des travaux de prolongation de la durée de vie ». Il a expliqué que les plans actuels prévoient des travaux pour prolonger la durée de vie du NGCC Louis S. St‑Laurent pendant la morte-saison afin de pouvoir maintenir le brise-glaces en service jusqu’en 2030, date à laquelle le nouveau brise-glaces polaire sera prêt. Comme le NGCC Louis S. St‑Laurent est actuellement le seul navire de la flotte de la GCC à pouvoir se rendre dans l’Extrême-Arctique, sa mise hors service avant la livraison d’un nouveau brise-glaces polaire pourrait sérieusement limiter les capacités de déglaçage du Canada. Nicholas Swales, directeur principal au Bureau du vérificateur général, a indiqué que « la prolongation de la durée de vie du matériel n’est pas toujours aussi importante qu’on l’espère », et il a rappelé qu’il y a eu des cas où des navires de la GCC dont on avait prolongé la durée de vie utile avaient été mis hors service plus rapidement que ce qu’on avait prévu au départ. Toutefois, Robert Wight, directeur général de l’Approvisionnement des navires à la GCC, a affirmé que cette dernière demeure convaincue qu’elle pourra « continuer à envoyer sept à neuf navires dans l’Arctique, selon les besoins, et à garder le Saint‑Laurent ouvert, ainsi que les Grands Lacs, jusqu’à l’arrivée de la nouvelle flotte ».

Des témoins ont attiré l’attention du Comité sur le rôle que joueront les navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique (NPEA) de la classe Harry DeWolf pour faire respecter la souveraineté et assurer la sécurité dans le Nord. Selon le gouvernement du Canada, les NPEA – qui navigueront dans le Nord entre juin et octobre dans des glaces de première année – sont conçus pour « effectuer une surveillance armée des eaux du Canada, y compris de l’Arctique; renforcer la souveraineté du Canada en collaboration avec les partenaires des Forces armées canadiennes et d’autres ministères; [et] améliorer notre capacité à faire respecter la souveraineté du Canada[4] ». Les témoins ont indiqué également que la Marine royale canadienne recevra six NPEA; trois de ces navires ont déjà été livrés et les trois autres devraient l’être d’ici 2027. Ils ont ajouté que deux autres de ces navires seront construits pour la GCC après que la Marine royale canadienne aura reçu livraison des siens.

Selon le vice-amiral Topshee, la flotte de navires de la classe Harry DeWolf « promet de respecter l’énoncé des besoins et nous aurons en fait un navire de qualité supérieure à ce que nous espérions au départ ». Il a ajouté que « [l]’an dernier, le Harry DeWolf a traversé l’Arctique par le passage du Nord-Ouest et a fait le tour de l’Amérique du Nord. C’est la première fois qu’un navire de guerre canadien le fait depuis 1954, ce qui témoigne de notre capacité d’opérer dans l’archipel arctique canadien ». M. Lajeunesse a souligné la polyvalence des NPEA, qui permettent d’effectuer toute une série de tâches :

Les navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique constituent une plateforme qui peut transporter du personnel de Pêches et Océans [Canada], de la GRC, de Transports Canada ou des agents de [l’Agence des services frontaliers du Canada]. Ce sont de gros navires efficaces et polyvalents qui peuvent aider d’autres ministères à faire leur travail. Simultanément, ils nous permettent de voir et d’entendre ce qui se passe dans les eaux arctiques. Ils peuvent pratiquement se rendre partout où tous les autres types de navires, à part les gros brise-glaces, peuvent aller. […] Ces navires constituent une bonne solution combinée à une surveillance aérienne accrue, à une surveillance par satellite et peut-être plus tard, à une surveillance [sous-marine].

De même, les témoins ont souligné la capacité des NPEA d’appuyer différents ministères fédéraux, étant donné que la GCC n’a pas de responsabilités constabulaires, à savoir le pouvoir de faire appliquer la loi, qui est essentiel pour intercepter des navires n’ayant pas été autorisés à entrer dans les eaux canadiennes. Neil O’Rourke a expliqué que la GCC n’a pas l’habitude d’avoir à bord de ses navires des représentants de la GRC ou de Transports Canada lorsqu’elle mène des opérations dans l’Arctique, mais il a affirmé qu’en cas d’urgence, des représentants de la GRC ou de Transports Canada pourraient arriver sur un navire de la GCC « en 30 minutes par hélicoptère ». Il a fait remarquer qu’il existe différents modèles de garde côtière dans les États arctiques, et que la Garde côtière américaine a « des responsabilités supplémentaires en matière d’application de la loi et de réglementation qui relèvent au Canada soit de la GRC, soit de Transports Canada ». À propos des modèles en vigueur dans d’autres pays, Neil O’Rourke a indiqué ceci :

La garde côtière norvégienne, par exemple, fait partie de sa marine, mais elles sont distinctes. Je ne parlerai pas des Russes. La garde côtière américaine […] est un amalgame de notre ministère des Transports, de la Garde côtière canadienne et de la GRC. Et puis il y a les Danois. […] En Finlande, ce rôle relève des gardes-frontières, un peu comme si on combinait l’Agence des services frontaliers du Canada et la Garde côtière [canadienne].

Étant donné que la GCC est responsable des brise-glaces lourds et que les NPEA ne sont pas faits pour naviguer dans les eaux arctiques toute l’année, le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw s’est demandé s’il y avait des lacunes dans les capacités maritimes et a posé les questions suivantes : « Comment pourrions-nous assurer une présence navale armée dans le Nord pendant toute l’année? Faut-il armer la Garde côtière [canadienne]? Faisons-nous construire des brise-glaces pour la Marine royale canadienne ou achetons-nous des sous-marins qui peuvent aller sous la glace? ».

En décrivant le rôle joué par les moyens aériens des FAC dans la défense et la sécurité dans l’Arctique, des témoins ont insisté sur la place centrale que joueront les futurs avions de chasse dans la réalisation des engagements du Canada envers le NORAD et dans la défense contre les incursions aériennes étrangères dans l’Arctique. M. Perry a déclaré que les nouveaux avions de combat sont « extrêmement importants et se font attendre depuis longtemps ». Le 9 janvier 2023, après la dernière réunion du Comité portant sur cette étude, le gouvernement du Canada a annoncé un investissement estimé à 19 milliards de dollars pour l’acquisition d’« une nouvelle flotte de quatre‑vingt‑huit avions de chasse F‑35, grâce à un accord […] conclu avec le gouvernement des États‑Unis et Lockheed Martin avec Pratt and Whitney ». L’annonce indique que les quatre premiers appareils devraient être livrés en 2026, que d’autres livraisons suivront en 2027 et 2028 et que la flotte complète sera « arrivée à temps pour permettre le retrait progressif des chasseurs CF-18 d’ici la fin de 2032 ».

Des témoins ont indiqué qu’il fallait maintenant s’assurer que les nouveaux avions de combat soient capables d’effectuer et d’appuyer des missions dans l’Arctique, y compris celles menées de concert avec les alliés du Canada. Selon ces témoins, les infrastructures – comme les emplacements d’opérations avancés – doivent être adaptées rapidement pour accueillir les nouveaux avions de combat. Selon M. Huebert, « [n]ous devons nous assurer que les bases d’opérations avancées — les aérodromes à partir desquels nous opérerions — sont capables d’opérer 24 heures sur 24, sept jours sur sept, même dans un environnement arctique. Une crise ne va pas attendre le beau temps ». Le major-général Huddleston a mentionné pour sa part que « la livraison des F-35 se fera en même temps qu’un énorme investissement dans les infrastructures qui appuiera adéquatement les chasseurs et la défense de leurs infrastructures au Canada, ce qui comprend la rénovation et la modernisation de tous les emplacements d’opérations avancés dans le Nord, afin de soutenir adéquatement les F-35 ». Le lieutenant‑général (à la retraite) Parent a indiqué qu’il faut moderniser les emplacements d’opérations avancés pour la sécurité des avions de combat, en raison de la « technologie de pointe » dont sont équipés les F-35. Jonathan Quinn a indiqué quant à lui qu’«[i]l s’agira de mettre à niveau les installations des [FAC] dans le Nord, à Yellowknife, à Inuvik, à Iqaluit et à Goose Bay, en modernisant les infrastructures pour accueillir le futur avion de chasse et différents types d’avions, pour élargir la nature des opérations qu’on pourra mener à partir de ces emplacements stratégiques ».

M. Huebert a fait remarquer que puisque tous les alliés du Canada, à l’exception de la Suède « ont opté pour [le F-35] », on aura besoin de capacités de ravitaillement compatibles avec cet appareil dans l’Arctique. Qualifiant la capacité actuelle de ravitaillement en vol des FAC de « limitée », le lieutenant-général Pelletier a expliqué que « [l]e Canada et l’Aviation royale canadienne ont provisoirement appuyé nos opérations avec leurs ravitailleurs tactiques, le C‑130H et l’Airbus, lequel possède également une plateforme polyvalente. Pour les interventions habituelles, nous comptons sur les ravitailleurs états-uniens ». Cependant, il a réaffirmé que le plan de modernisation du NORAD prévoit « d’augmenter les capacités stratégiques de ravitaillement en vol de l’Aviation royale canadienne, ce qui permettra de participer davantage à notre activité et de mieux l’appuyer. Non seulement augmenterons-nous notre posture de réponse, mais, également, nous élargirons la portée de nos interventions dans le vaste Arctique canadien ».

Étant donné que le développement des capacités nécessaires pour mener des opérations dans l’Arctique est long et coûteux, des témoins se sont demandé si les niveaux actuels d’investissement – combinés aux processus d’acquisition – pouvaient donner aux FAC les moyens dont elles ont besoin assez rapidement pour défendre l’Arctique dans un environnement en constante évolution. M. Fergusson a déclaré que les investissements annoncés récemment dans le cadre de la modernisation du NORAD sont « essentiels », mais il a ajouté que « l’échéancier prévoyant un engagement de 4,9 milliards de dollars […] sur six ans et de 40 milliards de dollars sur 20 ans fait en sorte que nous allons prendre beaucoup trop de retard par rapport au contexte de menace avec lequel nous devons composer pour pouvoir nous assurer une position crédible de défense par dissuasion. Nous accusons du retard et nous allons demeurer vulnérables pendant longtemps ». M. Perry a affirmé que « le Canada doit avec urgence renforcer ses défenses arctiques ». Tout en admettant qu’il sera de plus en plus difficile d’assurer la sécurité dans l’Arctique dans les décennies à venir, et rappelant les « défis que représente le développement des capacités et des infrastructures requises pour mener des opérations dans cet environnement rigoureux », le général Eyre a affirmé qu’« il faudra des décennies pour que nous soyons prêts ».

Des témoins ont dit que pour éviter les lacunes dans les capacités, le gouvernement du Canada devrait accorder la priorité aux projets qui contribuent à assurer la défense et la sécurité dans le Nord et lancer les processus de renouvellement connexes le plus rapidement possible. La vérificatrice générale Hogan a insisté sur le fait que « [l]a surveillance efficace dans l’Arctique dépend des navires, des aéronefs et des satellites, qui sont tous vieillissants. Le gouvernement doit de toute urgence résoudre ces problèmes de longue date et remettre le renouvellement de l’équipement sur une voie durable afin de protéger les intérêts du Canada dans l’Arctique ». Les témoins étaient conscients que pour répondre à ces besoins, il faudra engager des dépenses supplémentaires. Selon M. Perry, « la difficulté à laquelle nous faisons face actuellement, c’est que nos engagements en ressources et notre capacité de mettre en œuvre les ressources engagées ne sont pas en phase » avec les pressions nationales, continentales et internationales auxquelles font face les FAC. M. Perry a expliqué que pour corriger cette « inadéquation entre la capacité et l’intention », nous devons « relever notre capacité d’engager et de dépenser davantage de ressources sur de nombreux fronts ».

Compte tenu du temps que cela prend souvent pour mener à bien un projet d’approvisionnement en matière de défense, entre les premières étapes et la livraison finale, des témoins ont dit craindre que les processus d’approvisionnement du gouvernement du Canada n’aient été préjudiciables à la défense et à la sécurité dans l’Arctique, citant comme exemple ce qui s’était passé avec le poste de ravitaillement de l’installation navale de Nanisivik. Évoquant « le rythme glacial de nos […] investissements dans la défense de l’Arctique », M. Perry a déclaré que

[s]ur les cinq projets prévus dans la stratégie de défense de 2008 « Le Canada d’abord » en vue de renouveler les principales plateformes d’équipement des Forces armées canadiennes, trois — le remplacement de nos frégates et de nos destroyers, l’acquisition de nouveaux avions de chasse et l’achat d’avions de patrouille maritime — permettraient d’améliorer significativement nos défenses dans l’Arctique. Aucun de ces trois projets n’a encore accouché d’un seul avion ou navire. Les échéanciers actuels nous amènent entre 2025 et le milieu des années 2030.

Des témoins ont indiqué que les retards d’approvisionnement entraînent généralement des augmentations de coûts. Selon M. Perry, à cause de l’inflation, le MDN « perd plusieurs dizaines de milliards de dollars en pouvoir d’achat en raison des divers retards dans l’approvisionnement ». Pour éviter ces retards, la vérificatrice générale Hogan a demandé que les projets soient assortis d’exigences et d’étapes clairement définies; Nicholas Swales a indiqué pour sa part que la prise rapide de décisions pourrait améliorer les processus d’approvisionnement. Revenant sur la constatation de la vérificatrice générale du Canada selon laquelle les satellites d’imagerie radar arrivent – ou vont arriver – à la fin de leur durée de vie opérationnelle prévue bien avant le lancement de leurs remplaçants, il a affirmé que « [l]es décisions se prennent une fois qu’il est trop tard pour obtenir les résultats souhaités dans les délais ».

Des témoins ont aussi mis l’accent sur la nécessité de s’attaquer aux retards d’approvisionnement pour s’assurer de l’acquisition, le plus rapidement possible, des capacités dont le Canada a besoin pour l’Arctique. Neil O’Rourke a pressé le gouvernement fédéral de « continuer à offrir son appui et d’aligner le plan sur les dates de livraison » afin que les brise‑glaces soient construits conformément au calendrier prévu. À propos des plans de modernisation du NORAD, M. Perry a indiqué qu’il faut modifier en profondeur le système d’approvisionnement actuel pour éviter de se retrouver dans des situations où « il faudra attendre deux ou trois décennies avant que ces investissements engendrent des moyens de défense opérationnellement utilisables ».

Recherche et sauvetage

Des témoins ont expliqué qu’au Canada, la recherche et le sauvetage sont une responsabilité partagée entre les administrations fédérales, provinciales, territoriales et municipales, de même qu’avec des collectivités et des organismes bénévoles; ils ont précisé par ailleurs que les FAC dirigent les opérations aériennes fédérales de recherche et de sauvetage, tandis que la GCC s’occupe du volet maritime, avec le soutien aérien des FAC. Ils ont indiqué également que bien que les opérations de recherche et de sauvetage au sol relèvent de la responsabilité des intervenants provinciaux, territoriaux et municipaux, les Rangers canadiens peuvent – sur demande – être mis à contribution lors de telles opérations dans les communautés où ils sont déployés. De plus, les témoins ont souligné que deux organismes bénévoles, à savoir l’Association civile de recherche et de sauvetage aériens (ACRSA) et la Garde côtière auxiliaire canadienne, appuient également les opérations de recherche et de sauvetage dans l’Arctique.

La conduite des opérations de recherche et de sauvetage est l’une des principales missions des FAC. Les FAC et la GCC coordonnent les interventions nationales en matière de recherche et de sauvetage aériens et maritimes par l’entremise des Centres conjoints de coordination des opérations de sauvetage (CCCOS) situés à Victoria, en Colombie-Britannique, à Halifax, en Nouvelle-Écosse, et à Trenton, en Ontario[5]. Le CCCOS de Trenton couvre les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, y compris le nord de l’île de Baffin[6]. À part les quatre aéronefs de transport utilitaire CC-138 Twin Otter du 440e Escadron de Yellowknife, les FAC n’ont pas de ressources spécialisées de recherche et sauvetage basées dans l’Arctique canadien[7].

Des témoins ont avancé que sous l’effet des changements climatiques, les ressources naturelles et les routes maritimes de l’Arctique deviendront plus facilement accessibles, ce qui devrait faire augmenter le nombre de missions de recherche et de sauvetage. En outre, Anessa Kimball a averti que « [l]a militarisation croissante de la région causée par une concurrence entre les grandes puissances augmente considérablement le risque de crises accidentelles ». Cependant, reconnaissant que le déploiement avancé dans l’Arctique peut prendre beaucoup de temps, des témoins ont attiré l’attention du Comité sur les délais d’intervention fédéraux en matière de recherche et de sauvetage. Ils ont fait observer que les efforts de recherche et de sauvetage pouvaient être entravés par les processus logistiques difficiles et longs associés à l’envoi d’aéronefs des bases du Sud du Canada vers le Nord, surtout si l’on tient compte du ravitaillement en carburant et des changements d’équipage. Concernant les opérations de recherche et de sauvetage maritimes, Neil O’Rourke a rappelé que « les gens ne se rendent pas forcément compte que le déplacement de navires ou de ressources d’une partie de l’Arctique à l’autre peut prendre plusieurs jours ».

Peter Kikkert, professeur en Politiques publiques et gouvernance à l’Institut de gouvernement Brian Mulroney de l’Université St Francis Xavier, a déclaré que « les changements environnementaux rendent les opérations de recherche et sauvetage plus fréquentes, et l’exécution réelle de ces opérations est plus difficile ». Des témoins ont insisté sur le rôle essentiel que jouent les intervenants locaux en matière de recherche et de sauvetage dans le Nord, compte tenu des distances à parcourir ainsi que de la connaissance qu’ils ont des conditions géographiques et de l’état de la mer et des glaces. Ils ont affirmé qu’avec des moyens limités et l’augmentation du nombre de missions de recherche et de sauvetage, ces intervenants font face à toute une série de difficultés, et que les systèmes locaux de recherche et de sauvetage sont soumis à de nouvelles pressions à cause de la multiplication des demandes d’intervention. M. Kikkert a précisé qu’il y a plus de 200 missions publiques de recherche chaque année, au Nunavut, et beaucoup d’autres qui ne sont pas déclarées par les voies officielles. Il a indiqué qu’un groupe de recherche et de sauvetage de Cambridge Bay « a été mobilisé par les opérations de secours d’écotouristes faisant du ski entre Cambridge Bay et Gjoa Haven ».

Neil O’Rourke a déclaré pour sa part que la GCC a pris des mesures pour jouer un plus grand rôle dans les missions de recherche et de sauvetage dans l’Arctique. Il a expliqué qu’en juillet 2018, la GCC a ouvert sa première station d’intervention maritime de l’Arctique à Rankin Inlet, au Nunavut, où elle a travaillé en étroite collaboration avec les collectivités locales pour renforcer la Garde côtière auxiliaire canadienne. En outre, il a ajouté que la Garde côtière canadienne a

pu fournir des fonds aux collectivités pour qu’elles puissent se procurer un navire de recherche et sauvetage destiné à faire partie de la Garde côtière [auxiliaire canadienne]. Nous sommes très heureux d’avoir maintenant 32 collectivités qui participent à ce programme — 46 navires et plus de 430 bénévoles — dans le cadre de notre force auxiliaire dans le Nord. C’est un atout important pour la recherche et le sauvetage, surtout lorsqu’il s’agit de recherche et de sauvetage communautaires.

M. Kikkert s’est réjoui de l’expansion des unités de la Garde côtière auxiliaire canadienne qui, selon lui, « exploitent les connaissances locales approfondies du milieu marin, développent de nouvelles compétences et améliorent les délais et l’efficacité des interventions ». Neil O’Rourke a préconisé pour sa part l’établissement de nouvelles stations de recherche et de sauvetage dans l’Arctique, semblables à la station d’intervention maritime de l’Arctique basée à Rankin Inlet.

Des témoins ont rappelé que plusieurs ministères et organismes fédéraux mènent des opérations dans l’Arctique, laissant entendre qu’ils n’avaient pas de stratégie coordonnée en matière de recherche et de sauvetage qui tienne compte à la fois des priorités des Autochtones et de la réalité du terrain. M. Kikkert a plaidé en faveur d’investissements supplémentaires dans des initiatives qui « habilitent les intervenants locaux, améliorent les capacités communautaires et permettent d’économiser de l’argent en réduisant la nécessité de déployer un aéronef Hercules ou Cormorant en provenance du Sud, ce qui coûte généralement des centaines de milliers de dollars pour chaque vol ». Madeleine Redfern, cheffe de l’exploitation de CanArctic Inuit Networks Inc., a fait remarquer que la bureaucratie fédérale dans le Nord a été très précaire, de sorte qu’on a appelé à une plus grande participation des Autochtones pour garantir davantage de stabilité dans les projets et les programmes du Nord.

M. Kikkert a prôné « le rétablissement immédiat d’une table ronde permanente sur la recherche et le sauvetage dans l’Arctique ou dans le Nord par le Secrétariat national de recherche et de sauvetage » afin de donner plus de cohésion et de stabilité aux efforts de recherche et de sauvetage dans l’Arctique. Selon M. Kikkert, réunir les premiers intervenants locaux, ainsi que les décideurs du Nord et du Sud, faciliterait à la fois l’élaboration conjointe d’une stratégie globale en matière de recherche et de sauvetage dans l’Arctique qui permettrait de relever adéquatement les défis propres à la région en la matière, et « l’établissement de relations, l’amélioration de la communication, le partage des pratiques exemplaires et des leçons apprises en matière de prévention et d’intervention en matière de [recherche et de sauvetage], la synchronisation des efforts, la planification des opérations de sauvetage de masse et les discussions entourant le parcours de base, le positionnement préalable et/ou la passation de marchés avec les principales unités de [recherche et de sauvetage] dans l’Arctique ».

À cause du partage des responsabilités et d’infrastructures de télécommunications limitées, les opérations de recherche et de sauvetage sont compliquées par des problèmes de coordination et de communication. Concernant les capacités radio à très haute fréquence qui permettent aux navigateurs de communiquer avec la GCC et d’autres services d’urgence, Neil O’Rourke a déclaré que ces capacités n’existent pas dans le Nord, « hormis quelques poches », de sorte que les gens finissent par appeler le système fédéral de recherche et de sauvetage parce qu’ils n’ont aucun autre moyen de communication. Il a ajouté que « nous aurons déployé des ressources à un coût énorme pour le gouvernement du Canada, et tout ça, en théorie, aurait pu être évité s’il y avait eu un [meilleur] moyen de communication ». Dave Taylor, directeur de l’ACRSA, a lui aussi évoqué des problèmes de communication, indiquant qu’il peut s’avérer difficile pour les bénévoles de l’ACRSA de communiquer efficacement avec les Rangers canadiens, qui utilisent des radios dont les transmissions sont chiffrées.

Faisant observer que les intervenants locaux sont bien placés pour faire des interventions de recherche et de sauvetage à petite échelle, mais qu’ils ont des capacités limitées pour affronter des situations d’urgence complexes et à grande échelle, des témoins ont fait part de leurs inquiétudes au sujet de l’état de préparation aux opérations de sauvetage de masse. Le vice-amiral Auchterlonie a dit que la navigation dans l’Arctique est « exceptionnellement dangereuse », et qu’environ 150 navires transitent par le Nord chaque année, essentiellement pour faire du ravitaillement. Des témoins ont dit que même si les eaux arctiques deviennent navigables pendant de plus longues périodes de l’année, le voyage n’en est pas moins risqué. Jody Thomas a fait la mise en garde suivante :

[L]a glace pluriannuelle, à mesure qu’elle fond, descend de la calotte polaire et se trouve dans les eaux navigables. Elle est beaucoup plus dangereuse pour la navigation. […] Les conséquences et le désastre écologique qui pourraient découler d’un accident maritime, comme l’échouement d’un navire, seraient considérables. Nous devons nous y préparer.

M. Kikkert a dit pour sa part qu’en « cas d’événements très peu probables, mais à conséquences élevées, comme une opération de sauvetage de masse [… ce sera] une situation où tout le monde mettra la main à la pâte, ce qui nécessitera une collaboration de grande ampleur entre les gouvernements fédéral, territoriaux et régionaux, mais aussi avec nos partenaires internationaux ». Des témoins ont indiqué qu’aucun État arctique ne peut à lui seul gérer une opération de sauvetage de masse. Neil O’Rourke a parlé des résultats d’un exercice international de recherche et de sauvetage réalisé en 2021 et qui a démontré qu’il fallait au moins quatre jours pour qu’un navire de n’importe quel pays de l’Arctique atteigne le pôle Nord. Rappelant que ces « dimensions internationales sont essentielles à une intervention adéquate de recherche et sauvetage », M. Kikkert a ajouté qu’« [i]l n’y a rien de plus complexe et de plus difficile qu’une opération de sauvetage de masse dans l’Arctique. Plus il y aura de planification et plus nous pourrons établir de relations en prévision de cela, mieux ce sera ».

Personnel

Des témoins ont attiré l’attention du Comité sur les tâches accomplies par le personnel des FAC stationné dans l’Arctique, précisant qu’il effectue des patrouilles de surveillance et de sécurité; réalise des exercices annuels de protection du territoire; fournit des services aériens de recherche et de sauvetage; et exploite et entretient des installations militaires. Le général Eyre a fait remarquer que pour assurer la disponibilité opérationnelle dans l’Arctique, il faut pouvoir compter sur « les bonnes personnes » dans le Nord. Cela dit, certains témoins ont laissé entendre que les besoins permanents et criants des FAC en personnel ne sont pas sans conséquences sur les opérations dans l’Arctique. Selon M. Huebert, « [n]ous ne recrutons pas assez de gens. Nous ne les formons pas adéquatement. Nous ne parvenons pas à obtenir les chiffres nécessaires pour contrer les menaces des temps modernes ». M. Huebert a ajouté que, de ce fait, « nous sommes confrontés à une catastrophe ». Partageant son point de vue, M. Roussel a conclu que la pression combinée à laquelle sont confrontées les FAC, à cause du manque de recrues et de l’augmentation de la demande pour les services des FAC dans le Sud, « est le principal défi auquel on va devoir faire face au cours des prochaines années, et cela concerne directement l’Arctique canadien ».

Le général Eyre a dit que ce qui l’« inquiète énormément », ce sont les difficultés de recrutement et de rétention des FAC, et il a ajouté que les FAC tentent de procéder à une « reconstitution » de leurs effectifs par le biais du plan de reconstitution annoncé récemment. Le vice-amiral Topshee a parlé de ce plan, disant que « [l]a cheffe du personnel militaire travaille à un certain nombre d’initiatives pour veiller de façon générale à la qualité de vie des militaires et de leurs familles. […] Bon nombre de ces initiatives attendent toujours l’approbation du Conseil du Trésor ». Des témoins ont indiqué qu’il existe des pénuries critiques de personnel dans certaines professions, au sein des FAC, notamment de pilotes. Qualifiant la situation de « crise de personnel », le major-général Huddleston a confirmé que l’Aviation royale canadienne (ARC) avait « perdu trop de pilotes de chasse », et le lieutenant-général Kenny a déclaré que l’ARC se concentre actuellement sur le recrutement, l’accélération des processus de formation et la rétention des membres expérimentés. Le major-général Huddleston a dit pour sa part que l’ARC avait changé récemment sa structure de rémunération et qu’elle revoyait son approche « de service obligatoire après l’obtention du brevet de pilote ». Il a ajouté toutefois que ce genre d’initiative « n’est certainement pas une panacée », et a affirmé que la priorité des stratégies de rétention de l’ARC doit être « principalement de corriger les processus et les politiques afin d’encourager nos pilotes à rester chez nous ».

De même, le major-général Mialkowski a donné la liste des professions dans lesquelles il y a des pénuries importantes; il a parlé notamment des métiers dans les transmissions, les communications et les systèmes informatiques, ainsi que des ingénieurs travaillant dans le programme d’acquisition et de développement des capacités dans le domaine terrestre, des médecins spécialistes des Services de santé des Forces canadiennes et du personnel administratif, en particulier des gestionnaires des ressources humaines et des finances. Neil O’Rourke a expliqué que même si la GCC n’a pas connu une baisse de ses effectifs, « [i]l y a une pénurie internationale de marins ». Il a dit, qu’à la GCC, on a « parfois été contraints d’immobiliser des navires parce qu’il nous manquait un cuisinier ou un ingénieur et que nous n’étions pas en mesure d’en trouver un dans notre effectif. C’est certainement un problème pour nous, et nous nous efforçons de remédier à cet état de choses ».

D’après certains témoins, la formation joue un rôle central dans la capacité des FAC à mener des opérations dans l’Arctique. Ceux-ci ont souligné l’importance de déployer les capacités arctiques dans le cadre d’exercices pour dissuader les adversaires potentiels, expliquant que l’opération NANOOK était l’exercice d’entraînement le plus visible des FAC dans le Nord. Le major-général Mialkowski a affirmé que l’opération NANOOK rassemble des ressources des FAC de partout au pays, dont des Rangers canadiens, et des partenaires étrangers. Faisant état de l’approche pangouvernementale adoptée dans le cadre de l’opération NANOOK, le major-général Peter Scott, chef d’état-major du Commandement des opérations interarmées du Canada, a déclaré que « le succès [des exercices de 2022] a été retentissant », et il a ajouté que des partenaires de la Belgique, de la Corée du Sud, des États-Unis, de la France et du Japon avaient été conviés à y participer.

Étant donné le caractère changeant de l’environnement arctique, des témoins ont demandé qu’il y ait davantage de formation et d’exercices. Le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a souligné l’importance des exercices dans le Nord et la nécessité d’en organiser plus. D’accord avec le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw, le général Eyre a ajouté que les FAC doivent « investir et continuer à offrir de la formation dans le Nord et à accroître la formation dans cet environnement difficile ». M. Kikkert a affirmé pour sa part que les exercices dans le Nord devraient être à la fois maintenus et élargis pour inclure plus de partenaires, car ils « contribuent grandement à préparer le Nord à faire face à certains des problèmes de sûreté et de sécurité auxquels il sera confronté dans un proche avenir ». Selon des témoins, les changements climatiques compliquent les choses, car ils ont pour effet d’écourter les périodes d’entraînement. Magali Vullierme, chercheuse à l’Université de Montréal, a donné l’exemple des exercices de patrouille des Rangers canadiens qui avaient été perturbés à cause de conditions météorologiques de plus en plus imprévisibles.

Selon Mme Charron, les FAC devraient envisager d’organiser des exercices conjoints inter‑alliances dans l’Arctique – comme l’exercice Arctic Edge des États-Unis, l’opération NANOOK et les exercices de l’OTAN – pour développer la confiance et montrer aux Russes que « nous réalisons nos opérations ensemble ». Mme Charron a également affirmé que les exercices dans l’Arctique devraient mobiliser tous les domaines, parce que « c’est le genre d’exercices auxquels nous devons nous préparer. Un événement lié au changement climatique surviendra et un adversaire en profitera et tirera parti du manque de résistance sur le terrain ».

Des témoins ont parlé du rôle des Rangers canadiens dans le soutien à la défense et à la sécurité de l’Arctique. Ils ont expliqué en quoi consistent les activités des Rangers canadiens, qui vivent dans les régions éloignées et côtières du Canada, en insistant sur leurs tâches relatives aux patrouilles dans les postes du Système d’alerte du Nord, au soutien des opérations de recherche et de sauvetage au sol, à la participation aux opérations dans le Nord et, sur demande, à l’assistance en cas d’urgence. Les Rangers canadiens reçoivent un fusil, des munitions et un chandail à capuchon rouge distinctif en guise d’uniforme; ils sont payés lorsqu’ils sont en service et sont dédommagés en fonction d’un taux d’utilisation de l’équipement pour l’utilisation de leurs propres véhicules et équipement quand ils prennent part à des activités approuvées. Le major-général Mialkowski a expliqué que le profil type du Ranger canadien c’est quelqu’un d’environ 48 ans, qui travaille 13 jours par année comme Ranger et a 13 ans de service. Le 1er Groupe de patrouille des Rangers canadiens a son siège à Yellowknife et compte 1 700 Rangers canadiens, qui sont responsables des trois territoires du pays ainsi que d’une partie du Nord de la Colombie-Britannique. Beaucoup de Rangers canadiens sont des Inuits. En 2022, les Rangers canadiens ont célébré leurs 75 ans d’existence.

Des témoins ont indiqué que comme les Rangers canadiens sont des membres à part entière de leur communauté, ils contribuent à tisser des liens solides entre les FAC et les populations du Nord. En effet, les FAC profitent des connaissances du terrain qu’ont les Rangers et, en retour, la formation et les capacités qu’acquièrent ces Rangers contribuent au renforcement de la résilience de leur communauté. Selon Mme Vullierme, les Rangers canadiens jouent un rôle important dans le renforcement de la sécurité des personnes dans le Nord. Mme Vullierme a précisé que le programme des Rangers juniors canadiens, qui vise à enseigner aux jeunes des communautés éloignées des compétences pratiques et culturelles, amène « toute une volonté de tendre vers un mieux-être global et holistique de ces communautés ». M. Roussel a indiqué pour sa part que le programme des Rangers canadiens « fonctionne très bien » et a ajouté qu’« [i]l y a consensus sur le fait que les Rangers canadiens sont importants et qu’on doit les conserver ».

Dans ce contexte, des témoins ont fait remarquer qu’il est possible de fournir davantage de soutien aux Rangers canadiens. Le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a dit que « le soutien qu[e] reçoivent [les Rangers canadiens] … en ce qui concerne l’équipement, la formation et la logistique, doit être considérablement amélioré pour que les Rangers soient prêts à détecter une menace moderne et à y réagir ». Le général Eyre a précisé que le programme des Rangers canadiens est « un outil très important pour accroître notre connaissance de la situation », et laissé entendre que l’on pourrait avoir besoin de plus de ressources.

Les témoins s’entendaient généralement pour dire que le programme des Rangers canadiens pourrait être renforcé, mais n’étaient pas tous d’accord sur la manière d’utiliser les ressources supplémentaires. Le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a plaidé en faveur d’une expansion du programme et de la professionnalisation des Rangers canadiens, ajoutant que « [l]’expansion des forces de réserve à Whitehorse, à Yellowknife et à Iqaluit avec de nouvelles forces à Resolute Bay serait le moyen le plus économique et le plus efficace de disposer de forces terrestres sur le terrain dans le Nord, là où c’est nécessaire, rapidement ». M. Roussel a pour sa part émis des réserves, indiquant que le programme des Rangers canadiens « fonctionne probablement au maximum et il serait difficile de créer de nouvelles patrouilles et de leur donner des tâches supplémentaires ». Selon lui « il ne faut donc pas créer de nouveaux liens, mais bien cultiver ceux qu’on a déjà ». Il a laissé entendre que même s’il y a plus de communautés dont des membres voudraient intégrer les patrouilles de Rangers canadiens, « le gain ne peut être que marginal à ce stade-ci ».

M. Kikkert a expliqué que plutôt que d’augmenter leur nombre, certains Rangers canadiens – comme Calvin Aivgak Pedersen, bénévole pour le projet de recherche et de sauvetage de Kitikmeot – voudraient recevoir plus de formation et acquérir plus d’expérience pratique[8]. Mme Vullierme, qui était d’accord avec M. Kikkert, a parlé de l’objectif de fournir aux Rangers canadiens actuels une meilleure formation plutôt que d’en recruter de nouveaux. Concernant le type de formation à donner, M. Kikkert a précisé que les Rangers canadiens sont souvent appelés à répondre à des urgences dans leur collectivité et qu’ils aimeraient recevoir de la formation propre aux difficultés qu’ils rencontrent, comme les feux de forêt ou les inondations. Reconnaissant que les Rangers canadiens voudraient acquérir plus d’expérience opérationnelle, Calvin Aivgak Pedersen a indiqué que le 1er Groupe de patrouilles des Rangers canadiens a besoin de soutien administratif et de personnel supplémentaires à son quartier général pour rendre possible l’acquisition de cette expérience.

M. Kikkert a indiqué que les Rangers canadiens sont à l’aise d’utiliser leur propre équipement– comme les motoneiges et les bateaux – lorsqu’ils sont en patrouille, et a insisté sur le fait que le taux d’utilisation de l’équipement n’a pas suivi l’évolution de l’inflation. Concernant les propositions de Calvin Aivgak Pedersen, M. Kikkert a fait valoir qu’une revalorisation du taux d’utilisation de l’équipement permettrait aux Rangers canadiens d’investir dans leurs propres machines, outils et équipement, ce qui les rendrait plus efficaces durant les patrouilles.

Des témoins ont souligné l’importance, pour le Canada, de s’engager dans une coopération multilatérale avec ses alliés et partenaires pour faire face à l’évolution des défis dans l’Arctique. Évoquant les changements climatiques et les effets déstabilisants du mépris de la Russie pour l’ordre international fondé sur des règles, ces témoins ont plaidé en faveur d’une action concertée entre pays aux vues similaires pour gérer les tensions et promouvoir la sécurité dans la région. M. Byers a affirmé que « [c]’est le moment pour les pays qui pensent de la même manière de s’unir », et il a donné l’exemple de la résolution de la question de la frontière maritime et du différend au sujet de l’île Hans entre le Canada et le Danemark pour illustrer de quelle manière les différences de vue sur des questions de territoires peuvent se régler « par la négociation, et non par l’invasion ». M. Lackenbauer a dit que l’on pourrait adopter une approche semblable à l’égard des revendications qui se chevauchent entre le Canada et les États-Unis au sujet du passage du Nord-Ouest, et il a suggéré que les deux pays aient des « discussions ouvertes » sur cette question.

Des témoins ont parlé aussi des répercussions de la plus récente invasion de l’Ukraine par la Russie sur les travaux du Conseil de l’Arctique. Heidi Kutz, haute représentante et directrice générale des Affaires arctiques, eurasiennes et européennes à Affaires mondiales Canada, a déclaré que « [l]e Canada et ses partenaires aux vues similaires ont condamné l’invasion lancée par la Russie et déclaré qu’elle était contraire aux principes de souveraineté et d’intégrité territoriale, qui sont essentiels au Conseil de l’Arctique ». Elle a précisé qu’immédiatement après l’invasion, tous les États arctiques, à l’exclusion de la Russie, ont interrompu les travaux du Conseil de l’Arctique. Depuis, ces États ont recommencé à coopérer entre eux. Kevin Hamilton a fait remarquer que « [l]e Canada continue de travailler en étroite collaboration avec ses partenaires autochtones et étatiques aux vues similaires afin de promouvoir la collaboration et de poursuivre le travail important du Conseil de l’Arctique sur des projets qui n’impliquent pas la participation de la Russie ».

M. Lackenbauer s’est dit préoccupé par le fait que sept des membres du Conseil de l’Arctique aient interrompu leur coopération avec la Russie, notamment au chapitre de la recherche scientifique et de la collaboration avec les membres permanents[9]. Il a dit que le Conseil de l’Arctique est « un forum tout à fait novateur qui permet aux Autochtones de participer aux affaires internationales », et a affirmé que les perturbations dans ses travaux réduisaient la capacité des peuples autochtones à contribuer aux discussions sur l’Arctique. Dans un document présenté au Comité, Mme Charron a mis en garde contre une approche où deux camps s’affrontent, à savoir les « sept pays de l’Arctique » d’un côté et la Russie de l’autre, faisant valoir que « [l]a Russie doit savoir que nous sommes toujours ouverts à discuter des sujets importants et pragmatiques que sont les opérations de recherche et de sauvetage, les changements climatiques, la pollution et la réconciliation avec les Autochtones, et c’est sur l’Arctique que l’on doit miser, vu l’importance que lui accorde la Russie[10] ». Mme Charron a prédit que le Conseil de l’Arctique pourrait jouer un rôle dans la normalisation éventuelle des relations avec la Russie après la fin du conflit et « la récupération par l’Ukraine de tous les territoires annexés ».

Aussi, des témoins ont parlé des intérêts de l’OTAN dans l’Arctique sur fond de tensions géopolitiques grandissantes. Ils ont rappelé que cinq des huit États arctiques sont membres de l’OTAN et ajouté que l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’Alliance porterait ce nombre à sept. Les témoins ont affirmé également que le Canada doit être prêt à répondre aux menaces visant le territoire d’un des membres de l’OTAN, y compris dans l’Arctique. M. Massie a affirmé que « [n]ous devons être en mesure de faire notre part pour assurer la défense conjointe de l’OTAN, ce qui suppose de disposer des moyens nécessaires ». De l’avis du lieutenant-général (à la retraite) Parent, le Canada et ses alliés « doivent veiller à ce qu’il n’y ait pas d’écart ou de ligne de démarcation entre la partie européenne de l’Arctique et la partie nord-américaine de l’Arctique ». Selon M. Lackenbauer, « nous devons synchroniser nos efforts de défense intérieure liés à l’Arctique avec ceux de nos alliés » pour être en mesure de « faire face, de manière crédible et concertée, aux menaces communes […] d’une manière rationnelle, proportionnée et efficace du point de vue des ressources ».

M. Fergusson a fait remarquer pour sa part qu’une augmentation du nombre d’exercices des alliés dans l’Arctique pourrait « favoriser l’intégration, l’interopérabilité et l’établissement d’un système de commandement et de contrôle centralisé pour contrer les menaces dans l’Arctique ». Il a toutefois signalé que les priorités de l’OTAN dans l’Arctique pourraient être différentes de celles du Canada, parce que l’Alliance « s’intéresse à un ensemble de problèmes liés à la sécurité des membres de l’OTAN ou à la sécurité de l’Europe », tandis que le Canada se concentre sur d’autres aspects de la sécurité dans l’Arctique, notamment la défense nationale et continentale.

Des témoins ont dit que le renforcement de la coopération entre les alliés dans l’Arctique pourrait influer sur la perception qu’a la Russie des menaces militaires dans la région. Selon M. Fergusson, certaines activités – comme les réunions de représentants de sept États de l’Arctique et des ministres de la Défense l’OTAN – sont problématiques, parce que cela « signifie que l’Amérique du Nord et l’OTAN s’unissent et que […] cette association sera utilisée pour menacer la Russie ». Partageant le point de vue de M. Fergusson, Mme Charron a ajouté qu’il est important de continuer à recourir à des mesures destinées à accroître la confiance – comme celles consistant à s’informer mutuellement des exercices dans l’Arctique – pour réduire les tensions régionales.

Conscients que les changements climatiques sont un facteur d’instabilité dans l’Arctique, des témoins ont trouvé encourageante la coopération entre le Canada et l’OTAN pour la création d’un Centre d’excellence de l’OTAN sur le climat et la sécurité. M. Lackenbauer a affirmé que les changements climatiques dans l’Arctique constituent une menace, et que « nous devons nous doter des capacités idoines maintenant » et chercher à anticiper de quelles façons les facteurs de stress environnementaux influeront sur les rivalités géopolitiques dans la région. Il a dit que la création de ce centre d’excellence représente un « pas dans la bonne direction ». Kevin Hamilton a confirmé que ce centre, qui sera basé à Montréal, s’intéressera aux impacts des changements climatiques sur l’environnement de sécurité dans l’Arctique. Selon Anessa Kimball, le Canada pourrait travailler plus étroitement avec l’OTAN dans d’autres domaines lui permettant de renforcer son expertise en matière de sécurité dans l’Arctique, par exemple en se joignant aux centres d’excellence de l’OTAN sur la sécurité énergétique et les opérations dans le Nord.

Infrastructures

Des témoins ont fait valoir que le développement des infrastructures sera essentiel pour soutenir les opérations dans le Nord et assurer la sécurité dans l’Arctique dans les années à venir. À propos du volet préparation du « maintien des capacités », le général Eyre a dit que « nous ne pouvons pas nous contenter d’approvisionner nos troupes ou nos gens aux confins du territoire, car nous devons aussi investir dans les infrastructures afin que nos effectifs aient accès aux plateformes de soutien ». Il a insisté sur les grandes distances qui séparent les « nœuds d’infrastructures » dans l’Arctique, et a indiqué qu’il fallait « renforcer le réseau » pour assurer une présence beaucoup plus importante des FAC dans la région.

Laissant entendre que l’immense déficit d’infrastructures dans le Nord entrave la capacité des FAC à mener des opérations dans l’Arctique, des témoins ont également déclaré que ce déficit constitue un risque pour la défense et la sécurité nationales. Calvin Aivgak Pedersen a affirmé qu’il « faut améliorer la sécurité dans le Nord. En effet, nous n’avons qu’un petit nombre de quais où vos navires peuvent jeter l’ancre. Et nous n’avons qu’une poignée également de pistes où vos gros avions peuvent atterrir [...] Comment voulez-vous établir une base viable quand vous n’avez pas d’installations qui peuvent accueillir votre matériel?[11] ». Jessica Shadian, présidente et cheffe de la direction d’Arctic360, a fait remarquer que – du point de vue des Américains – l’état des infrastructures essentielles du Canada dans le Nord compromet la sécurité continentale.

Les témoins ont identifié toute une série de besoins en matière d’infrastructures et, conscients des annonces faites jusqu’à présent au sujet de la modernisation du NORAD, ils ont souligné l’importance d’améliorer les aéroports et les pistes d’atterrissage. Mme Shadian a rappelé que les collectivités de l’Arctique sont « accessibles par avion ». Clint Davis a fait observer pour sa part qu’« [a]ucune route ne relie les communautés du Nunatsiavut », et a ajouté qu’« il est absolument essentiel de s’assurer que nous avons la bonne piste d’atterrissage et la bonne infrastructure aéroportuaire en place. C’est donc un investissement essentiel ». Partageant le point de vue de Clint Davis, Les Klapatiuk a pressé le gouvernement du Canada de s’occuper en priorité de la mise à niveau des infrastructures aéroportuaires. Il a aussi mis l’accent sur la nécessité de disposer de hangars à l’emplacement d’opérations avancé d’Inuvik, où son entreprise – International Logistical Support Inc. – possède et exploite un hangar quatre saisons de 21 000 pieds carrés appelé « hangar vert ». Selon Les Klapatiuk, jusqu’à tout récemment, le « hangar vert » servait aux opérations du NORAD et des FAC, notamment grâce aux services de ravitaillement qu’il offrait, mais le MDN n’a pas encore renouvelé le contrat avec son entreprise. À son avis, l’« abandon de [ce contrat] est une perte d’infrastructure qui a une incidence sur le NORAD, sur notre défense et sur les services de recherche et sauvetage ».

Exprimant un point de vue différent, le major-général Huddleston a déclaré que même si le « hangar vert » est utile pour l’entreposage ou l’accueil de contingents importants ou d’aéronefs, « il n’est pas essentiel au NORAD, ni aux opérations de recherche et de sauvetage dans le Nord ». Il a ajouté :

Ce hangar était utile pour le déploiement avancé de notre aéronef de transport tactique Hercules. Il n’était utilisé qu’à cette fin. Les emplacements d’opérations avancés d’Inuvik suffisent entièrement à soutenir les F-18. Nous n’utilisons plus l’aéronef de transport tactique Hercules pour appuyer cette mission. Par conséquent, nous n’avons pas besoin du hangar vert pour soutenir les opérations du NORAD.

Des témoins ont parlé de la nécessité de disposer d’infrastructures énergétiques pour permettre les opérations des FAC dans l’Arctique pendant toute l’année; à ce propos, le vice‑amiral Auchterlonie a indiqué que « le carburant est essentiel aux opérations [dans le Nord] ». Affirmant que le poste de ravitaillement de Nanisivik jouera un rôle dans le maintien d’une présence à long terme des FAC dans la région, il a également insisté sur le fait que ce poste « est maintenant en mesure d’alimenter non seulement les ressources militaires, mais aussi les ressources de la Garde côtière [canadienne] dans le Nord ». Neil O’Rourke a confirmé qu’« [à] l’heure actuelle, [la Garde côtière canadienne] … ravitaill[e] essentiellement de navire à navire dans le Nord et [sera] en mesure d’éliminer au moins une partie de ce ravitaillement de navire à navire qui se produit actuellement en utilisant l’installation de Nanisivik une fois qu’elle sera ouverte ».

Selon des témoins, autant les FAC que les collectivités du Nord doivent pouvoir compter sur des infrastructures énergétiques fiables et abordables. Rappelant que 52 des 53 collectivités inuites et tous les sites du Système d’alerte du Nord dépendent du diesel, Clint Davis a déclaré que c’est « le moment de réfléchir à ce que nous pouvons faire pour intégrer l’énergie renouvelable à certains de ces sites dans le cadre de la modernisation du NORAD ». Madeleine Redfern a dit quant à elle que « [l]’hydroélectricité, l’énergie solaire, l’énergie éolienne et la géothermie sont aussi des options, mais elles dépendent des conditions géographiques », et – citant une étude de faisabilité en cours – elle a laissé entendre que d’autres collectivités tributaires du diesel, comme Iqaluit, pourraient envisager de se doter de petits réacteurs modulaires.

Des témoins ont indiqué qu’il est prioritaire de susciter un plus grand intérêt du secteur privé pour l’Arctique, mais ont insisté également pour que les collectivités et les sociétés de développement autochtones puissent participer à tous les aspects de la planification des affaires dans le Nord. Madeleine Redfern a mis l’accent sur le fait que des représentants et des collectivités inuits veulent passer de la phase de consultation à la phase de réalisation de projets principalement détenus et exploités par des Inuits, rappelant que « les habitants du Nord doivent faire partie de la solution ». Les Klapatiuk a dit que les projets ne présentent trop souvent aucun avantage économique à long terme pour les collectivités du Nord. Mme Shadian a déclaré, quant à elle, qu’on a mis l’accent sur le rapprochement entre les investisseurs du Sud du Canada et les sociétés de développement autochtones du Nord afin que « les entrepreneurs du Nord décrivent les projets existants dans le Nord » susceptibles d’intéresser les financiers de Bay Street. Madeleine Redfern a dit être favorable à la participation des Inuits au capital dans le cadre de grands projets, « pour que nous puissions en profiter au‑delà de la formation ou des emplois », affirmant que les entreprises et les sociétés de développement inuites sont « de très bons partenaires commerciaux, et notre expérience devrait être mise à profit à toutes les étapes de la planification de la sécurité nationale ». Clint Davis était d’accord sur la nécessité d’attirer davantage d’investissements dans la région pour favoriser « une construction […] plus durable dans l’Arctique ».

Mme Shadian a déclaré que le « rôle du Nord sera vital » dans la stratégie canadienne sur les minéraux critiques. Cependant, à son avis, l’intérêt grandissant des entreprises étrangères pour les minéraux critiques de l’Arctique représente un risque pour la sécurité nationale qui ne doit pas être sous-estimé. Attirant l’attention sur le déficit d’infrastructures, elle a fait valoir que les entreprises étrangères « combleront le vide si nous ne nous plaçons pas en tête de file dans ce domaine ». M. Massie était d’accord avec Mme Shadian sur ce point, et a affirmé que les États révisionnistes utilisent souvent des stratégies qui se situent sous le seuil du conflit armé. Il a expliqué que ces stratégies, comme les investissements dans les infrastructures essentielles et les métaux rares et d’autres ressources naturelles, sont une menace pour le gouvernement du Canada. Madeleine Redfern a dit s’inquiéter des tentatives de « Huawei [d’offrir] ses solutions techniques pour relier 70 de nos communautés du Nord » et de Shandong – une entreprise chinoise – « d’acquérir TMAC Resources, une mine située dans la région de Kitikmeot [au Nunavut] ».

À propos de l’intérêt qu’ont les États-Unis à investir dans les minéraux critiques au Canada, Mme Shadian a déclaré que « [n]ous possédons ce que le monde désire ». Elle s’est ensuite demandé si le Canada « ne devrait […] pas pouvoir décider où ses chaînes d’approvisionnement seront construites et quelle sera leur destination ». Aussi, elle a invité le gouvernement du Canada à « faire tout son possible pour protéger ses intérêts nationaux afin de décider lui-même de l’orientation et de l’avenir de son économie des minéraux critiques ».

De l’avis de témoins, il existe un besoin criant d’infrastructures de télécommunications pour appuyer la défense et la sécurité dans l’Arctique, ainsi que pour servir les populations du Nord. Le lieutenant-général (à la retraite) Parent a dit que « l’élément principal » serait le développement d’infrastructures de communication « à l’échelle du Nord » qui permettrait à la fois de répondre aux besoins des FAC et aux besoins des habitants du Nord. Selon Madeleine Redfern, les infrastructures de télécommunications existantes dans le Nord sont détenues et exploitées par « des entreprises du Yukon ou du Sud », alors qu’elles « peuvent et devraient appartenir aux Inuits du Nunavut ». Toujours selon elle, le Fonds pour la large bande universelle du gouvernement du Canada, qui peut octroyer jusqu’à 50 millions de dollars pour des projets d’Internet mobile qui profitent principalement aux peuples autochtones, n’entraîne pas de redondance des télécommunications dans les collectivités nordiques et éloignées. Trouvant cette situation « extrêmement inquiétant[e] », Madeleine Redfern a expliqué que « [l]orsque Télésat tombe en panne à cause de la météo […] nous perdons des services de télécommunications partout dans l’Arctique ». C’est pourquoi, selon elle, cette région est vulnérable et, si un réseau tombe en panne, il faut pouvoir compter sur « une transition harmonieuse vers un autre réseau » afin d’avoir toujours une connaissance de tous les domaines. Pour remédier à cette vulnérabilité, Madeleine Redfern a mis de l’avant les efforts de CanArctic Inuit Networks visant à poser 4 500 kilomètres de câbles sous-marins de fibre optique destinés à relier « les communautés inuites des quatre régions de l’Inuit Nunangat » et à répondre aux besoins des collectivités, du secteur privé et des FAC, ainsi qu’à des objectifs environnementaux.

Des témoins ont dit que les changements climatiques exacerberont probablement les besoins en infrastructures dans le Nord. Rappelant que « les changements climatiques sont une réalité bien concrète pour les résidents du Nord canadien », Ross Fetterly, professeur au Collège militaire royal du Canada, a affirmé que les populations du Nord sont face à « une double menace : des infrastructures inadéquates soumises à un climat qui se réchauffe rapidement ». Il a fait remarquer que tous les ordres de gouvernement, au Canada, ont mis du temps à adapter les infrastructures aux changements climatiques, ce qui est un problème particulièrement grave pour le Nord, où le coût des infrastructures est élevé. En plus de dire que les changements climatiques posent des problèmes d’ordre budgétaire et opérationnel ainsi que des problèmes de capacités pour les FAC, M. Fetterly a pressé tous les ordres de gouvernement dans le Nord de « mettre à jour leurs politiques, leurs règlements et leurs normes en matière d’infrastructures en même temps que leurs codes du bâtiment afin de tenir explicitement compte des répercussions complexes et graves des changements climatiques dans le Nord ».

Soulignant que les investissements dans des infrastructures polyvalentes sont essentiels pour assurer la prospérité et la sécurité dans l’Arctique, des témoins ont indiqué que la modernisation du NORAD était une occasion de miser sur de telles infrastructures et d’assurer la participation pleine et entière des Inuits. Selon Clint Davis, « les priorités fédérales en matière de réconciliation et de sécurité nationale peuvent s’appuyer mutuellement dans l’Arctique ». Il a ajouté que les entreprises inuites sont « prêtes à travailler avec l’armée et avec d’autres ministères fédéraux pour dresser des plans répondant aux besoins de sécurité, tout en respectant la souveraineté, les droits et le mode de vie de nos collectivités ».

Le lieutenant-général Pelletier a indiqué pour sa part que les investissements dans la modernisation du NORAD contribueront au développement d’infrastructures polyvalentes, « que ce soit un hangar ou le prolongement ou l’amélioration de pistes d’atterrissage, qui vont profiter à la communauté militaire, mais aussi aux communautés locales ». Cependant, compte tenu de l’ampleur du déficit d’infrastructures, des témoins ont dit douter que les collectivités du Nord puissent profiter à long terme des investissements dans la défense. Mme Shadian a affirmé que « [p]our ce qui est de l’aide que le NORAD apporte aux habitants du Nord, [elle] ne croi[t] pas aux retombées de l’infrastructure », et ajouté qu’« il n’est pas possible d’avoir une conversation sur la modernisation du NORAD sans parler des investissements majeurs nécessaires dans les communications à large bande et sans s’assurer que le Nord renferme un volume important d’approvisionnements énergétiques à faibles émissions de carbone fiables et uniformes. De plus, cette conversation ne peut être indépendante des besoins sociaux et économiques dans le Nord[12] ».

Des témoins ont insisté sur l’importance d’avoir une vision stratégique globale pour le développement des infrastructures dans l’Arctique. Évoquant les progrès limités réalisés à ce jour, ils ont attribué le manque de collaboration multidisciplinaire en la matière au travail de divers ministères et organismes, qui se fait en silos, et à la rigidité des structures et des processus fédéraux. Selon Madeleine Redfern, « [les ministères fédéraux] ne savent tout simplement pas comment prendre des bouts de mandats différents et des fonds différents et les intégrer pour soutenir un investissement intelligent qui permet de réaliser de grands progrès ». D’accord avec Madeleine Redfern, M. Lackenbauer a déclaré que « [d]ans la mesure du possible, nous devons synchroniser la réponse aux déficits en infrastructures dans le Nord qui créent des vulnérabilités en matière de sécurité, afin de remédier aux inégalités sociales, sanitaires et économiques qui persistent dans cette région ». Il a ajouté toutefois que « [p]our [cette approche], le gouvernement du Canada doit faire les choses différemment ».

Mme Shadian a indiqué que « nous devons savoir ce que nous avons. Nous devons faire un inventaire complet des infrastructures essentielles existantes qui peuvent être utilisées à des fins polyvalentes, ainsi que de leur état d’entretien et de leur état de dégradation[13] ». Aussi, elle a affirmé que « [n]ous avons besoin d’une vision, alors nous devrions avoir une idée de ce que nous allons faire ». Partageant l’avis de Mme Shadian, Madeleine Redfern a proposé que les investissements en matière de défense soient assortis d’« une stratégie d’investissement dans les infrastructures vraiment exhaustive qui mobilise le secteur privé, des mines aux investisseurs, les gouvernements du Nord et du Canada, et bien sûr, les communautés et les peuples autochtones, qui veulent en faire partie ».

Réflexions et recommandations du Comité

L’environnement arctique est en pleine transformation. On voit poindre dangereusement dans la région les intérêts militaires et économiques grandissants d’États révisionnistes comme la Russie et la Chine. Longtemps caractérisé par la paix, la coopération et l’ordre international fondé sur des règles, l’Arctique risque désormais d’être déstabilisé par l’intensification des tensions géopolitiques.

Avec une hausse des températures qui dépasse de loin la moyenne mondiale, l’Arctique est aussi frappé directement par les changements climatiques, ce qui a des conséquences sur l’accès aux ressources circumpolaires et aux routes maritimes. Comme de plus en plus de pays s’intéressent à cette région pour ses attraits économiques, les FAC, le MDN et d’autres entités fédérales, ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux et les populations du Nord devront faire face à toute une série de nouveaux défis causés par l’augmentation de l’activité humaine dans la région. Le Comité est convaincu, étant donné les problèmes complexes et interreliés auxquels est confronté l’Arctique, que les FAC doivent être en mesure de défendre les intérêts nationaux du Canada tout en répondant aux exigences changeantes en matière de sécurité et de protection de la souveraineté.

Il est presque certain qu’il n’existe aucune menace immédiate d’attaque militaire dans l’Arctique canadien, mais les changements qui s’opèrent dans le contexte de menaces mondial rappellent l’importance stratégique que revêt l’Arctique pour la défense de l’Amérique du Nord. Le Comité est conscient de l’ampleur et de la portée des investissements russes et chinois dans les capacités dans l’Arctique, et il craint que les lacunes en matière de surveillance dans le Nord ne vulnérabilisent le Canada.

Il ne fait aucun doute que les investissements dans la modernisation du NORAD sont essentiels, non seulement pour assurer la défense continentale, mais aussi pour accroître la connaissance du domaine dans l’Arctique au cours de années à venir. Cependant, malgré les investissements annoncés et attendus, le Comité est certain qu’il reste d’importantes lacunes à combler dans la surveillance et la connaissance du domaine de l’Arctique, particulièrement au chapitre de la surveillance des activités sous-marines dans l’océan Arctique. Pour remédier à ces lacunes et renforcer la surveillance multidomaines du territoire arctique canadien, il faut investir davantage dans la surveillance, notamment dans des drones, des capteurs sous-marins et de nouveaux sous-marins, ainsi que dans des avions de patrouille et des systèmes satellitaires spatiaux.

Il est également urgent que le Canada améliore ses capacités expéditionnaires et son niveau de préparation pour mener des opérations dans l’environnement arctique. Le Comité reconnaît, étant donné la présence permanente limitée des FAC dans le Nord, qu’il est impératif que du personnel des FAC puisse être déployé rapidement dans la région et soit adéquatement formé pour mener des opérations dans l’environnement rigoureux de l’Arctique, et aussi que l’équipement miliaire puisse fonctionner – seul ou conjointement avec celui des alliés – dans les conditions difficiles de la région.

Jusqu’à présent, les efforts visant à améliorer les capacités dans l’Arctique ont été freinés par les défis constants que doivent relever les FAC, particulièrement au chapitre du recrutement et de la rétention de personnel et de l’achat d’équipement. Le Comité s’est penché sur quelques-uns de ces défis dans le cadre d’autres études, et se félicite que le général Eyre et d’autres officiers aient reconnu que les FAC traversent une crise de personnel qu’elles s’efforcent de régler en reconstituant leurs effectifs. Parallèlement à cela, les retards et l’augmentation des coûts ont des conséquences sur plusieurs projets d’approvisionnement susceptibles d’améliorer grandement les défenses dans l’Arctique. Malheureusement, l’achat de nouveaux brise-glaces polaires, d’avions de combat et d’aéronefs de ravitaillement en vol prendra encore des années, pour ne pas dire des décennies, avant de se concrétiser. Si on ne fait rien, les problèmes actuels et ceux qu’on n’a pas vus venir pourraient nuire à la capacité des FAC de mener des opérations dans l’Arctique.

Par ailleurs, on ne peut assurer une défense et une sécurité globales de l’Arctique sans faire des investissements judicieux et tournés vers l’avenir dans les infrastructures du Nord. Le Comité est donc d’avis que le déficit d’infrastructures dans le Nord canadien est un obstacle majeur à la défense et à la sécurité, au développement économique ainsi qu’à l’amélioration de la qualité de vie des habitants et des collectivités autochtones et du Nord. Ces collectivités, tout comme les FAC, doivent avoir accès à des sources d’approvisionnement en énergie abordables, à des réseaux de télécommunications fiables et à des moyens de transport appropriés. Dans ce contexte, il existe des possibilités d’investissements liés à la défense permettant de favoriser le développement d’infrastructures polyvalentes.

Globalement, le Comité souscrit à l’un des principaux messages livrés par les témoins, qui est de regarder « au-delà de l’horizon ». Puisque l’environnement arctique est en pleine transformation, il est clair que le moment est venu de faire les bons investissements pour accroître la surveillance et la connaissance du domaine dans l’Arctique, ainsi que pour renforcer les capacités et améliorer le niveau de préparation des FAC, afin de leur permettre de répondre rapidement aux menaces et aux défis changeants dans un environnement de plus en plus imprévisible. Le gouvernement du Canada doit prendre des mesures – rapidement et avec détermination – pour que l’Arctique demeure une région où règne la paix, la coopération et la sécurité dans les décennies à venir.

Par conséquent, à la lumière de ce qui précède, le Comité fait les recommandations suivantes :

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada lance immédiatement le processus d’acquisition de capacités de surveillance sous-marine pour détecter et surveiller la présence de menaces étrangères à notre sécurité nationale dans l’Arctique canadien.

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada lance de toute urgence un processus d’acquisition visant à remplacer les sous‑marins de la classe Victoria; ces nouveaux sous-marins devront être capables de naviguer sous les glaces afin de mener des opérations dans les eaux de l’Arctique canadien.

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada réexamine sa politique de longue date concernant le programme américain de défense antimissiles balistiques.

Recommandation 4

Que le gouvernement du Canada règle de toute urgence la crise de personnel dans les Forces armées canadiennes en accélérant le recrutement de nouveaux membres et en se donnant comme objectif de compléter le processus d’embauche en moins de six mois pour s’assurer de disposer des effectifs nécessaires à la défense de notre territoire arctique maintenant et dans l’avenir.

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada fasse une évaluation exhaustive de nos infrastructures, militaires et civiles, ainsi que des entreprises et des activités dans les filières des ressources naturelles, des mines et des minéraux dans l’Arctique canadien, dans le but de planifier la modernisation du NORAD, d’élaborer une stratégie d’investissement dans les infrastructures essentielles et de protéger les intérêts canadiens contre des acteurs étrangers malveillants.

Recommandation 6

Que le gouvernement du Canada investisse dans la formation technologique dont les Forces armées canadiennes ont besoin pour nous défendre contre les menaces futures que font planer des technologies nouvelles et émergentes déjà utilisées ou développées par nos adversaires.

Recommandation 7

Que le gouvernement du Canada dépose à la Chambre des communes le calendrier de modernisation de nos emplacements d’opérations avancés dans l’Arctique, en indiquant également quand ceux-ci seront équipés pour recevoir des chasseurs F-35.

Recommandation 8

Que le gouvernement du Canada prolonge la saison d’ouverture de l’installation navale de Nanisivik afin que les infrastructures essentielles se trouvant dans l’Extrême-Arctique canadien soient disponibles plus longtemps.

Recommandation 9

Que le gouvernement du Canada lance immédiatement le processus d’approvisionnement pour choisir de nouvelles capacités stratégiques de ravitaillement en vol pouvant être utilisées dans l’Arctique.

Recommandation 10

Que le gouvernement du Canada prenne des mesures pour accroître la disponibilité de ses hangars dans l’Arctique, particulièrement à Iqaluit et Inuvik, afin de s’assurer que ses infrastructures demeurent disponibles pour répondre aux besoins futurs.

Recommandation 11

Que le gouvernement du Canada commence à remplacer tous les aéronefs désuets utilisés dans les opérations de surveillance et de recherche et sauvetage dans l’Arctique, notamment les appareils Aurora, Twin Otter et Cormorant.

Recommandation 12

Que le gouvernement du Canada s’engage de manière proactive auprès de nos alliés américains afin d’établir un plan pour accélérer la modernisation du NORAD et pour répondre aux nouvelles menaces aériennes et de missiles.

Recommandation 13

Que le gouvernement du Canada s’assure, dans la mesure du possible et conjointement avec les gouvernements territoriaux et autochtones et les sociétés de développement autochtones, que les infrastructures militaires dans l’Arctique canadien bénéficient également aux populations qui y vivent, de manière à combler le déficit d’infrastructures de ces dernières.

Recommandation 14

Que le gouvernement du Canada augmente la présence de l’Aviation royale canadienne et de la Marine royale canadienne dans l’Arctique, et qu’il s’assure que les infrastructures et les moyens sont en place pour appuyer de nouvelles ressources des Forces armées canadiennes.

Recommandation 15

Que le gouvernement du Canada augmente la présence de la Réserve des Forces armées canadiennes dans les trois territoires du pays afin d’assurer la sécurité et la protection de notre souveraineté jusqu’aux confins de notre territoire.

Recommandation 16

Que le gouvernement du Canada, en consultation avec les collectivités autochtones et du Nord et les dirigeants autochtones, accélère le développement et le déploiement de sources d’énergie propre et renouvelable, y compris, éventuellement, de petits réacteurs nucléaires modulaires pour l’Arctique canadien qui permettront de fournir l’énergie propre nécessaire pour appuyer la modernisation du NORAD et pour stabiliser les besoins locaux en infrastructures énergétiques.

Recommandation 17

Que le gouvernement du Canada travaille avec des entreprises détenues par des Autochtones à la mise en œuvre de projets d’installation de câbles sous-marins pour la fibre optique et de projets d’infrastructures de technologies de l’information afin d’offrir une couverture Internet plus étendue et abordable partout dans l’Arctique.

Recommandation 18

Que le gouvernement du Canada renforce le processus d’examen de la vente d’entreprises canadiennes exerçant des activités dans l’Arctique à des entités détenues ou contrôlées, en tout ou en partie, par des gouvernements étrangers.

Recommandation 19

Que le gouvernement du Canada s’assure de manière proactive qu’aucun logiciel ou matériel utilisé dans la mise à niveau des infrastructures du NORAD n’a été développé ou fourni par des pays adversaires.

Recommandation 20

Que le gouvernement du Canada accélère le renouvellement de son système de surveillance depuis l’espace, à savoir celui de la mission de la Constellation RADARSAT lancée en 2019.

Recommandation 21

Que le gouvernement du Canada revalorise immédiatement le taux d’utilisation de l’équipement pour les Rangers canadiens, puis qu’il ajuste ce taux annuellement en fonction de l’augmentation de l’inflation.

Recommandation 22

Que le gouvernement du Canada améliore les occasions de perfectionnement pour les Rangers canadiens, notamment en augmentant les possibilités d’acquérir de l’expérience opérationnelle et de suivre de la formation sur les interventions en cas d’urgence. Pour permettre l’augmentation du nombre de ces occasions, le gouvernement devrait fournir au 1er Groupe de patrouille des Rangers canadiens des ressources administratives supplémentaires.

Recommandation 23

Que le gouvernement du Canada mette en place, par l’entremise du Secrétariat national de recherche et de sauvetage, une table ronde permanente sur la recherche et le sauvetage dans l’Arctique réunissant des représentants des gouvernements fédéral, territoriaux et autochtones, ainsi que des premiers intervenants locaux. La table ronde devrait faciliter l’établissement de relations, l’amélioration de la communication et la mise en commun de pratiques exemplaires sur la recherche et le sauvetage, ainsi que la planification des opérations de sauvetage de masse.

Recommandation 24

Que le gouvernement du Canada examine les possibilités d’améliorer les capacités de recherche et de sauvetage localement, notamment par le développement des capacités radio à très haute fréquence et d’autres moyens de communication dans l’Arctique pour appuyer les missions de recherche et de sauvetage.

Recommandation 25

Que le gouvernement du Canada crée de nouvelles stations de recherche et de sauvetage maritimes partout dans l’Arctique canadien.

Recommandation 26

Que le gouvernement du Canada réforme les processus d’approvisionnement pour la défense du pays afin que les systèmes d’armes et équipements militaires majeurs soient fournis aux Forces armées canadiennes plus rapidement et dans le respect des budgets, et qu’il donne la priorité au développement des capacités contribuant à la défense et à la sécurité dans l’Arctique.


[1]              Institut international d’études stratégiques, The Military Balance 2023, p. 18–489 [disponible en anglais seulement].

[2]              Voir, par exemple : Marc Milner, Canada’s Navy: The First Century, Toronto, University of Toronto Press, 1999, p. 291–293 [disponible en anglais seulement].

[3]              Document soumis au Comité par Aurel Braun, Ph. D., « La réalité froide derrière l’offensive de charme russe : Pourquoi le Canada a besoin d’une politique réaliste pour l’Arctique », Aurel Braun et Stephen J. Blank, Institut Macdonald-Laurier, avril 2020, p. 18.

[4]              Gouvernement du Canada, « Navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique », 8 février 2023.

[5]              Gouvernement du Canada, « Recherche et sauvetage », 20 janvier 2022.

[6]              Gouvernement du Canada, « Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage », 11 août 2022.

[7]              Gouvernement du Canada, « 440Escadron de transport », 19 février 2019.

[8]              Calvin Aivgak Pedersen n’a pas été en mesure de livrer son témoignage devant le Comité en raison de difficultés techniques. M. Kikkert a intégré la déclaration de Calvin Aivgak Pedersen aux réponses aux questions des membres du Comité, et cette déclaration a également été présentée au Comité.

[9]              Une caractéristique notable du Conseil de l’Arctique est l’inclusion officielle des organisations représentant les peuples autochtones en tant que membres permanents « ayant des droits de consultation complets en ce qui concerne les négociations et les décisions du Conseil » [traduction]. Les membres permanents prennent part aux délibérations du Conseil de l’Arctique, mais les décisions sont prises de manière consensuelle par les huit États membres.

[10]            Document soumis au Comité par Andrea Charron.

[11]            Document soumis au Comité par Calvin Aivgak Pedersen.

[12]            Document soumis au Comité par Jessica Shadian, Ph. D., « Mot d’ouverture de Jessica Shadian : Construire des infrastructures stratégiques polyvalentes et à utilisateurs multiples dans le Nord canadien », Arctic 360, 4 octobre 2022.

[13]            Ibid.