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ENVI Rapport du Comité

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RAPPORT COMPLÉMENTAIRE : Étude sur les subventions aux combustibles fossiles – Monique Pauzé, députée du Bloc Québécois (Repentigny)

Le Bloc Québécois remercie tous les témoins, citoyens et organisations qui ont participé à cette étude du Comité permanent de la Chambre des communes en Environnement et développement durable. Les mémoires envoyés au Comité, les témoignages et réponses à nos questions ont contribué à développer nos connaissances. Nous remercions aussi les analystes de notre comité pour leur travail, de même que ceux et celles de la Bibliothèque du Parlement.

Le secteur pétrolier et gazier est responsable d’environ 26% des émissions de GES au Canada, ce qui en faisait le secteur économique générant le plus d’émissions en 2019. Depuis 2005, les émissions de ce secteur ont augmenté de 137 %, principalement en raison d’une importante croissance de la production de combustibles fossiles.

S’interroger sur l’octroi constant des subventions à ce secteur d’activité demeure primordial dans le contexte actuel, où l’État doit honorer ses engagements internationaux pris en 2021 en vertu de l’Accord de Paris. Afin d’y parvenir, l’État canadien doit poser des gestes concrets et structurants pour réduire ses émissions de GES de 40-45% (par rapport au niveau de 2005) pour 2030 et atteindre la carboneutralité en 2050.

Si cette étude a occupé un temps démesurément long, c’est bien parce que le sujet est de nature à soulever des positions souvent diamétralement opposées concernant ce qui justifierait, ou non, l’octroi de fonds publics à ce secteur.

Le Bloc Québécois déplore que certains témoignages fussent destinés à induire en erreur, notamment celui évoquant les coûts en hausse de l’énergie solaire et de l’utilisation du charbon nécessaire à la fabrication des panneaux solaires[1] ou encore des déclarations vantant les mérites et l’efficacité de la technologie de capture, utilisation et stockage du carbone (CUSC), sans preuve à l’appui[2] et, enfin, des propos à l’effet que la récupération assistée du pétrole (RAP) serait bénéfique à l’économie comme à l’environnement.

Élimination progressive des subventions : efficace, inefficace

Des engagements variables en 2009, 2012, 2015, des instructions aux lettres de mandat ministérielles de 2021 et des déclarations publiques répétées depuis : comment expliquer l’inaction gouvernementale au sujet des subventions aux combustibles fossiles?

Nous croyons qu’elle s’explique par un « acharnement sémantique » où l’on refuse toute définition établie de ce qu’est une subvention – au sens large – pour favoriser l’établissement d’une définition canadienne du mot subvention spécifique aux énergies fossiles en prenant soin d’y rattacher le tandem efficace-inefficace.  

Cette étude a permis de rappeler que des définitions de ce qui correspond à une « subvention » existent déjà : elles sont précisées au rapport et établies par des organisations internationales tels le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation de coopération et de développement international (OCDE) ou même de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le Canada fait le choix de ne pas les reconnaître.

Cette étude nous a aussi permis de constater la pleine mesure du laxisme du gouvernement en lien avec sa volonté maintes fois exprimée de planifier l’élimination progressive du financement public du secteur des combustibles fossiles, y compris par les sociétés d’État fédérales, telles Exportation et développement Canada (EDC).

La sous-ministre adjointe à la Direction générale de la politique stratégique au ministère de l’Environnement et des changements climatiques (ECCC) a confirmé, par son témoignage[3], que ces démarches étaient toujours au stade de la planification et qu’aucune initiative spécifique visant l’atteinte de cette « élimination progressive » n’était en place.

Pour sa part, la présidente et chef de la direction d’EDC a reconnu ne pas être au courant des définitions internationalement reconnues d’une subvention, tout en précisant qu’EDC n’offrait ni subventions ni allocations. À propos de la pratique voulant que le gouvernement s’engage financièrement - avec l’argent des contribuables – par des garanties de prêt via le Compte du Canada de EDC, il est aussi affirmé qu’il ne s’agirait pas d’une subvention[4].

Le Bloc Québécois est préoccupé par cet aveuglement volontaire de la part d’une organisation qui a consacré 13,6 milliards de dollars en 2021 au soutien des secteurs à fortes émissions de carbone, avec le secteur pétrogazier en tête de liste. L’octroi d’un tel soutien explique pourquoi le Canada est un cancre en matière environnementale, lorsque comparé aux États membres du G20 et de l’OCDE.

Le Canada peut bien se répéter qu’EDC ne subventionne pas ce secteur, les organisations internationales, elles, font leurs calculs et analysent les faits indépendamment des tergiversations du Canada.

Témoignages experts sur la capture, l’utilisation et le stockage de carbone - CUSC

Des spécialistes de la politique énergétique, des universitaires et autres experts de ces questions ont été spécifiques dans leurs propos et clairs dans leurs réponses aux questions formulées par les membres du comité[5].

Ils ont souligné à grands traits que le gouvernement fédéral ne devait pas fournir de mesure d’aide ou de subventions pour la CUSC, certains témoins critiquant sévèrement cette technologie, la caractérisant ni plus ni moins comme une bouée de sauvetage, un moyen de faire perdurer l’industrie qui est à la source même de la crise climatique. 

Une lettre envoyée en janvier 2022[6] et signée par plus de 400 universitaires, scientifiques et experts demandant au gouvernement de ne pas financer cette technologie immature, extrêmement coûteuse, impossible à déployer à temps et qui cumule les échecs partout où elle fut tentée, n’a pas eu l’effet espéré. Malgré les preuves techniques et scientifiques évoquées et l’incontestable fait que la CUSC soit utilisée pour la RAP, le gouvernement lui a tout de même fait une place de choix dans le budget 2023. Deux signataires de cette lettre ont été invités à témoigner lors de cette étude.

Le Bloc Québécois tient à citer un des signataires de cette lettre, M. Éric Pineault (professeur à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal) qui n’a pu être entendu lors de sa comparution à distance, faute d’avoir reçu un casque d’écoute fonctionnel. 

« Sur le marché international, est-ce qu’on envoie le bon signal en disant que notre capacité de recherche et notre marge de manœuvre fiscale vont dans le prolongement d’un modèle qui vise à rendre moins polluant le pétrole le plus polluant qui existe sur le marché ? [...] La technologie du CUSC n’est pas cohérente avec une stratégie de transition[7]. »

Aucune recommandation ne fait écho aux propos tenus par les témoins ayant une position critique face à la CUSC.

Nous comprenons qu’il soit nécessaire de produire un rapport qui focalise sur les propos des témoins et sur les contenus des mémoires qui furent transmis aux membres. Or, nous ne pouvons passer sous silence le caractère irréconciliable des politiques publiques et de l’action gouvernementale mises de l’avant depuis le mois de mars 2022, peu de temps avant que le comité ne débute ce travail.

Les derniers mois ont confirmé ce que nous redoutions : le gouvernement du Canada poursuit sa politique de la « sourde oreille » à l’égard du mauvais usage des fonds publics, allant même jusqu’à accentuer ses aides financières au secteur des combustibles fossiles.

Subventionner la source du problème – EDC et le Compte du Canada

Parallèlement à cette étude, EDC recevait de nouvelles garanties de prêts de la part du gouvernement du Canada au bénéfice de l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain. Le Bloc Québécois considère que ce modus operandi – par l’entremise du Compte du Canada – est assurément une subvention, bien qu’elle apparaisse camouflée.

  • Le Compte du Canada est utilisé pour les opérations qu’EDC ne peut appuyer, mais que le ministre du Commerce international estime être dans l'intérêt national. […]
  • Les opérations portées au Compte du Canada sont négociées, signées et administrées par EDC de la même manière que celles qui sont portées au Compte de la Société, à la différence près que les risques sont assumés par le gouvernement fédéral.
  • Avant de s'engager dans une opération portée au Compte du Canada, EDC doit obtenir l'autorisation du ministre du Commerce international et l'assentiment du ministre des Finances. Les opérations supérieures à 50 millions de dollars ou celles qui sont de nature sensible doivent être soumises au Cabinet pour une approbation de principe[8].

Nous devons aussi dénoncer le comportement trompeur du gouvernement qui, à la suite d’une garantie de prêt de 10 milliards de dollars[9] pour le projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain (en mai 2022) et par l’entremise de la ministre des Finances, s’était rapidement engagé à ne plus verser de fonds publics à ce projet. Pourtant, en 2023, il fait volte-face : de nouvelles garanties de prêts sont octroyées en mars et mai. On estime que le coût total de ce projet s’élève à 30,9 milliards de dollars.

Le budget 2023 – des mesures fiscales au bénéfice du secteur pétrogazier

Le budget fédéral 2023[10] est bel et bien le reflet de ce que le Bloc Québécois redoutait. Tandis que cette étude sur les subventions aux combustibles fossiles se déroulait, l’engouement de l’industrie pour la CUSC (également exprimé par les représentants de l‘industrie aux audiences du comité) a convaincu le gouvernement : le crédit d’impôt à l’investissement et le crédit d’impôt pour les technologies propres donneront accès à plusieurs dizaines de milliards en avantages fiscaux.

Le Bloc Québécois considère que ces mesures sont irresponsables et injustifiables dans le contexte actuel :

  • Irresponsables: une véritable lutte aux changements climatiques requiert des investissements importants, mais surtout le déploiement accéléré et à grande échelle de technologies propres (en priorisant les énergies renouvelables). Leur mise en place effective nous permettra de réduire nos émissions de GES, d’honorer nos engagements en vertu de l’Accord de Paris et surtout de réduire notre dépendance aux énergies fossiles.
  • Injustifiables: les bilans financiers (2022) des grandes sociétés pétrogazières canadiennes présentent des profits records, inégalés dans l’histoire de cette industrie au Canada et avoisinant les 38 milliards de dollars (220 milliards de dollars au niveau international)[11]. Devant l’enrichissement inqualifiable des dirigeants et des actionnaires, nous croyons qu'il serait juste que ces entreprises participent davantage et qu’elles ne puissent se prévaloir de fonds publics pour des projets comme la CUSC.

À l’égard des 21 recommandations formulées au rapport, le Bloc Québécois est d’avis qu’elles auraient dû être étudiées davantage. Les recommandations 17 et 18 reflètent toute l’incohérence des actions gouvernementales : il n’y a absolument aucun intérêt à considérer les autres recommandations si ces deux propositions reçoivent la faveur du gouvernement.

Le Bloc Québécois dénonce vigoureusement ces incohérences qui, à terme, nous feront faillir à nos engagements en vertu de l’Accord de Paris.

Notre recommandation pour cette étude était formulée comme suit:

Que le gouvernement du Canada, conformément :

    1. À son engagement auprès du G7 et G20;
    2. À ses objectifs de réduction d’émissions de GES pour 2030 et de carboneutralité pour 2050, confirmés par des engagements internationaux en vertu de l’Accord de Paris et de l’Accord de Glasgow;
    3. À son engagement d’éliminer toutes formes de subventions aux combustibles fossiles dès 2023
  • a) concrétise sans tarder l’élimination des subventions à l’industrie des combustibles fossiles et qu’il planifie l’arrêt des financements publics dirigés vers ce secteur, y compris par les sociétés de la Couronne;
  • b)planifie, avec le plus grand soin et avec grande écoute pour les travailleurs et communautés autochtones, la transition énergétique;
  • c) s’assure que les fonds publics destinés au soutien du secteur énergétique soient exclusivement dirigés vers les énergies renouvelables, prioritairement aux projets mettant à profit des technologies prêtes pour la commercialisation et un déploiement;
  • d) finalise pour la fin de 2023 l’examen réalisé par les pairs (sous le G20) et portant sur les subventions aux combustibles fossiles, en jumelage avec l’Argentine, examen consenti en 2018 et incomplet à ce jour; et
  • e) procède à la publication du rapport et la synthèse découlant de cet examen dès sa complétion.

Le Bloc Québécois considère qu’une subvention efficace aux combustibles fossiles, ça n’existe pas: toute subvention au secteur des combustibles fossiles est inefficace.  

Nous sommes d’avis que les seuls soutiens admissibles devraient être ceux voués à la requalification et au soutien de transition de la main-d’œuvre issue de ce secteur, vers les industries qui visent à produire des énergies renouvelables.


[1] Craig Galinowski est président et associé directeur à la société Carbon Infrastructure Partners Inc., une organisation de capital-investissement dédiée à la production pétro-gazière et à la promotion de fonds d’investissements pour la CSC. Témoignage complet: Témoignages - ENVI (44-1) - no 13 - Chambre des communes du Canada (ourcommons.ca)

[5] Jason MacLean, Justin Leroux, Aaron Cosbey, Annie Chaloult, Normand Mousseau, David Gooderham, Christina Hoicka, Simon Langlois-Bertrand, Eddy Perez, Dale Beugin, Julia Levin

[9] Ottawa approuve un prêt de 10 milliards - Oléoduc Trans Mountain | Ottawa approuve un prêt de 10 milliards | La Presse – 11 mai 2022