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AFGH Rapport du Comité

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Rapport complémentaire du Nouveau Parti démocratique

Comité spécial sur l’Afghanistan (AFGH)

Introduction

À la suite du retrait des forces américaines et de l’OTAN de l’Afghanistan, après 20 ans d’intervention militaire, nous avons assisté, horrifiés, à la prise de contrôle de ce pays par les talibans en août 2021. Beaucoup d’Afghans ont fui le pays et cherchent asile ailleurs, tandis que d’autres ont été laissés à leur sort, faute de pouvoir profiter d’une évacuation qui a commencé trop tard et s’est terminée trop tôt.

La situation en Afghanistan se détériore de jour en jour. Les députés de l’ensemble des partis politiques ont tous déclaré leur profonde reconnaissance envers les Afghans qui ont servi le Canada dans ses missions à l’étranger. Les anciens combattants canadiens considèrent ces gens comme faisant partie de la grande famille militaire du Canada. Pourtant, malgré les efforts d’évacuation déployés par le Canada, beaucoup d’Afghans n’ont pas pu partir.

Dossiers perdus entre ministères, exigences concernant les données biométriques et les documents

Alors que le gouvernement canadien a annoncé des mesures spéciales en matière d’immigration (MSI) pour les Afghans, afin qu’ils puissent se mettre en sécurité, à ce jour, de nombreux demandeurs n’ont même pas reçu de réponse d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Brian Macdonald, directeur exécutif d’Aman Lara, une organisation sans but lucratif d’anciens combattants, d’anciens interprètes et de bénévoles, a dit qu’il a une liste de plus de 10 000 personnes coincées en Afghanistan. Il y a des gens qui nous « ont aidés dans nos efforts de guerre [et d’autres] qui ont travaillé à nos côtés pour faire progresser les principes démocratiques du Canada ». Pour dire les choses simplement, « il est inacceptable d’abandonner ces gens dans une situation désespérée aux mains des talibans. Nous devons rétablir notre honneur national et permettre à ces gens de venir au Canada. Chaque vie sauvée constitue une victoire[i] », a ajouté M. Macdonald.

C’est un sentiment partagé par de nombreux témoins qui ont comparu devant le Comité spécial sur l’Afghanistan (le Comité). Cependant, il est de plus en plus clair que c’est la pagaille à IRCC. Comparaissant devant le Comité le 2 mai 2022, la ministre des Affaires étrangères, l’honorable Mélanie Joly, et ses fonctionnaires ont confirmé qu’Affaires mondiales Canada (AMC) avait transmis des dossiers urgents à IRCC pour qu’ils soient traités dans le cadre du programme humanitaire pour les ressortissants afghans ayant besoin de se réinstaller. Par ailleurs, le 9 mai 2022, la ministre de la Défense nationale, l’honorable Anita Anand, et ses représentants ont indiqué que le ministère de la Défense nationale (MDN) avait vérifié et transféré 3 800 demandes à IRCC dans le cadre du programme d’immigration spécial pour les ressortissants afghans (et leurs familles) qui ont aidé le gouvernement du Canada, mais qu’à ce jour, seulement 900 ont été confirmées.

Non seulement il y a d’importants retards dans le traitement des demandes, mais il y a aussi de sérieuses inquiétudes quant au fait que les recommandations d’AMC et du MDN concernant des Afghans vulnérables ou qui ont aidé le Canada dans ses missions en Afghanistan sont introuvables dans le système d’IRCC. Les demandeurs n’ont pas eu de nouvelles d’IRCC; il n’y a eu aucune invitation à présenter une demande au titre des mesures spéciales en matière d’immigration; et aucun numéro G n’a été attribué. En attendant, la vie de ces gens est en péril et la situation est chaque jour plus dangereuse.

Il convient de préciser que les demandes ayant fait l’objet d’une recommandation par le MDN ont été vérifiées pour s’assurer que les personnes concernées avaient une relation de longue date avec le Canada. Le processus de vérification portait sur une combinaison de renseignements : « des dossiers et des attestations personnelles[ii] ». Pour pouvoir être au service de l’armée canadienne, à l’époque, ces gens ont aussi dû subir le processus d’enquête de sécurité. Autrement dit, ils ont déjà fait l’objet d’un contrôle approfondi de la part du gouvernement.

Comme l’a indiqué le général Wayne D. Eyre :

« J’ai moi-même reçu de nombreux courriels d’Afghans ayant servi et travaillé avec moi, et je me suis porté garant de leur crédibilité. Oui, ils ont servi avec des Canadiens. Oui, ils ont servi auprès des Forces canadiennes. La confirmation “cette personne a effectivement servi avec moi pendant cette période” constituait la base de vérification — à laquelle s’ajoutaient les relevés d’emploi[iii]. »

Bien que ces gens aient fait l’objet de vérifications de la part du MDN, IRCC leur demande quand même de lui fournir des documents et des données biométriques, qui sont très difficiles à obtenir, avant de pouvoir quitter le pays en toute sécurité pour se rendre au Canada.

Corey Shelson, qui a servi dans les Forces armées canadiennes de 2002 à 2015, a dit : « [L]a lourdeur bureaucratique du processus de demande qui exige que des formulaires pouvant être ouverts uniquement avec Adobe Acrobat Pro DC soient signés, numérisés et retournés, témoigne d’un manque de sensibilité envers la situation sur le terrain et fait courir des risques indus aux personnes touchées[iv]. »

Stephen Peddle, qui a lui aussi servi au sein des Forces armées canadiennes de 2002 à 2015, et a été déployé en Afghanistan pour une durée de huit mois en 2010, a déclaré pour sa part :

« J’ai été consterné par le processus administratif qui m’a été présenté, et je suis un fonctionnaire avec 28 années de service et un ancien haut gradé des FAC. Je ne peux imaginer les efforts consentis par les Afghans dont les vies étaient menacées et qui devaient faire toutes les démarches administratives pour s’extirper de la zone de guerre, en sachant pertinemment que ces gens ont aidé le Canada pendant deux décennies et sont maintenant menacés de mort, encore…[v]. »

À cause de la longueur de ce processus, des Afghans qui ont servi le Canada au péril de leur vie et celle des membres de leur famille courent maintenant un grand danger, car ils sont pourchassés par les talibans.

Hameed Khan, ancien interprète des Forces armées canadiennes, a témoigné devant le Comité et a fait cette mise en garde :

« Nous sommes ici pour vous parler d’une situation de vie ou de mort. Nous demandons à la population canadienne, aux législateurs, aux parlementaires et aux représentants du gouvernement de nous écouter. Nous leur demandons d’écouter nos préoccupations et nos appels à l’aide. Nous avons désespérément besoin de sauver nos familles. Les membres de nos familles se cachent tous, d’une manière ou d’une autre, en passant d’une maison à l’autre. Ils sont pourchassés. Leurs maisons sont fouillées. C’est une situation alarmante.
La plupart des membres de nos familles souffrent de la faim. Nous vivons tous dans la crainte qu’ils vivent leur dernier jour. Nous sommes dans cette situation à cause de notre relation durable avec le Canada. Aucune de nos familles ne mérite cela[vi]. »

Il a poursuivi en donnant aux membres du Comité un aperçu de ce que vivent les membres de leur famille sur le terrain :

« Les talibans ont assassiné toute personne jugée coupable de trahison. La situation ne fait que s’aggraver, car les talibans fouillent les maisons des membres présumés des familles des personnes qui ont travaillé avec les forces de l’OTAN ou de la FIAS. De nombreuses personnes ont brûlé les documents qui établissent un lien entre nos familles et le Canada. Les comptes rendus de première main font état d’une situation déplorable. Les gens meurent de faim, car on vole leurs objets de valeur. Les talibans agressent physiquement non seulement les hommes, mais aussi les femmes qui font partie de la famille d’anciens interprètes[vii]. »

Réunion après réunion du Comité, les témoins ont insisté sur la nécessité d’une action urgente. Ils n’ont eu de cesse de demander que le gouvernement assouplisse les exigences concernant les documents requis. Ils ont aussi appelé le gouvernement à dispenser les gens de se soumettre aux exigences relatives à la collecte de données biométriques jusqu’à ce qu’ils soient en sécurité sur le sol canadien.

Oliver Thorne a rappelé ceci aux membres du Comité :

« Faute de pouvoir fournir des données biométriques en Afghanistan, ce qui leur est impossible sans une présence consulaire canadienne, ils doivent se rendre dans un autre pays avant de pouvoir venir au Canada. Cela signifie que nous devons nous occuper de toutes les formalités administratives pour les faire entrer dans cet autre pays. Il faut savoir que la plupart des personnes à qui nous parlons n’ont pas de passeport. Sans passeport, ils ne peuvent pas obtenir de visa et, sans visa, ils ne peuvent pas entrer dans ce pays[viii]. »

Il a ajouté :

« La solution idéale serait de pouvoir faire venir des gens au Canada sans vérification biométrique et de faire la vérification ici. C’est la meilleure solution[ix]. »

La journaliste Sally Armstrong a abondé dans le même sens, estimant que les Afghans devraient pouvoir trouver refuge quelque part, que ce soit au Canada ou dans un autre pays de manière temporaire, et que l’on règle « les questions biométriques plus tard[x] ».

À cause du refus du gouvernement canadien d’agir pour régler ces questions essentielles, de nombreuses personnes commencent à se sentir trahies. Ghulam Faizi, un autre ancien interprète pour les Forces armées canadiennes, a dit sans détour :

« Le gouvernement fédéral — et surtout IRCC — devrait cesser de se livrer à des jeux politiques avec nous, car c’est une question de vie ou de mort pour nos parents et nos frères et sœurs[xi]. »

À ce jour, les témoins qui ont comparu ont déclaré : « Aucune famille n’est arrivée. Aucun membre de nos familles n’est arrivé[xii]. » En fait, dans 65 % des demandes aucun numéro G n’a été assigné.

Ce qui est plus troublant encore, c’est que d’anciens interprètes afghans, qui avaient fait une deuxième grève de la faim sur la Colline du Parlement, ont expliqué au Comité que le gouvernement, au lieu d’agir rapidement, leur a demandé de remplir plus de formulaires et de fournir plus de documents.

Il est on ne peut plus évident que ces gens ont besoin que le gouvernement réduise les exigences en matière de documentation, au lieu de les augmenter. Comme l’a dit M. Faizi :

« Si vous vous rendez chez les talibans et demandez un passeport familial, les premières questions qu’ils vous posent sont les suivantes : “Pourquoi avez-vous besoin d’un passeport pour chaque membre de votre famille? Pour qui avez-vous travaillé? Avez-vous eu des liens avec des membres étrangers de l’OTAN?”. Ils commencent à vous cibler et à enquêter sur vous[xiii]. »

Ce qu’a dit Ahmad Shoaib, également ancien interprète pour les Forces armées canadiennes, devrait faire réfléchir le gouvernement canadien :

« Les interprètes afghans qui étaient autrefois des héros pour le gouvernement du Canada ne valent plus rien aujourd’hui parce qu’ils sont stressés, déprimés, paniqués et mentalement instables, car la vie des membres de leur famille et de leurs proches est menacée. […] Nous voulons que les membres de nos familles soient évacués vers un pays tiers pour nous assurer qu’ils sont en sécurité et qu’ils ne deviennent pas les victimes de notre relation durable avec le gouvernement canadien[xiv]. »

Les mesures spéciales en matière d’immigration pour l’Afghanistan et celles pour l’Ukraine

Les témoins ont également fait remarquer qu’il existe une différence notable entre les mesures d’urgence en matière d’immigration prises pour la crise humanitaire en Afghanistan et celles mises en place pour l’Ukraine. De nombreux témoins ont demandé que le gouvernement du Canada offre aux Afghans des mesures spéciales en matière d’immigration semblables à celles offertes aux Ukrainiens.

La déclaration la plus poignante a été probablement celle d’Hameed Khan, qui a dit :

« Ce que nous demandons à IRCC et au gouvernement canadien, c’est de nous traiter de manière équitable. Nous sommes des êtres humains, nous aussi. Nous saignons, nous aussi. Nous avons lutté à vos côtés. Nous étions vos alliés[xv]. »

Élargissement et prolongation des mesures spéciales en matière d’immigration

Enfin, dans un mémoire qu’elle a soumis au Comité, Lauryn Oates, directrice générale, Femmes canadiennes pour les femmes en Afghanistan, a écrit ceci :

« IRCC mettra fin au programme des mesures spéciales [en matière] d’immigration (MSI) lorsque les dernières places seront remplies (le gouvernement s’étant engagé à accueillir 40 000 Afghans). Les autres demandeurs sont invités à envisager d’autres solutions, comme le parrainage privé, qui nécessite toutefois la désignation du HCR. Or, on le sait, il est pratiquement impossible pour les Afghans au Pakistan d’obtenir cette désignation du HCR dans ce pays, et des rapports crédibles dénoncent la corruption au sein de SHARP […] Nous avons reçu des témoignages de première main d’Afghans qui ont tenté d’obtenir la désignation de réfugié du HCR pour la première fois en septembre 2021, sans aucun progrès à ce jour. On nous a dit qu’il faudra “des années” pour que ces personnes obtiennent le statut de réfugié du HCR. Pour cette raison, le parrainage n’est pas une solution réaliste pour la plupart des Afghans.
En outre, l’objectif du MSI était de fournir une voie d’accès aux Afghans qui sont venus en aide au Canada. Or, le Canada n’a pas été en mesure d’aider toutes les personnes admissibles dans le cadre de ce programme en 2021-2022. Il y a également eu un manque de transparence dans le processus de référence et de sélection en ce qui concerne les personnes qui ont été sélectionnées et celles qui n’ont pas eu de nouvelles. Le gouvernement canadien peut rectifier cette situation en s’assurant qu’il existe toujours des options viables pour les personnes laissées pour compte[xvi]. »

Étant donné que des milliers de personnes dont les demandes ayant fait l’objet de recommandations de la part d’AMC et du MDN sont « perdues » dans le système d’IRCC, et que de nombreuses autres sont incapables d’avoir accès aux organismes de recommandation partenaires du gouvernement, il est impératif que le programme des MSI soit prolongé.

Le NPD soutient fermement et pleinement ces appels à l’action. Il demande instamment au gouvernement du Canada d’adopter les recommandations suivantes.

Recommandations

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada s’assure qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada réduise les exigences en matière de documentation et permette aux Afghans persécutés de remplir les formalités administratives et de fournir les données biométriques une fois qu’ils seront en sécurité sur le sol canadien.

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada offre aux Afghans des vols d’évacuation dans des pays tiers.

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada applique aussi à l’Afghanistan les mesures spéciales en matière d’immigration qu’il a prises pour l’Ukraine.

Recommandation 4

Que le gouvernement du Canada élargisse et renouvelle pour une année les mesures spéciales en matière d’immigration visant les Afghans, afin de donner à ceux qui sont admissibles une autre chance de présenter une demande.


[i]    AFGH, Témoignages, 28 février 2022, 18:55 (Brian Macdonald, directeur exécutif, Aman Lara).

[ii]   AFGH, Témoignages, 9 mai 2022, 19:52 (général Wayne D. Eyre, chef d’état-major de la Défense, Forces armées canadiennes).

[iii]   AFGH, Témoignages, 9 mai 2022, 19:53 (général Wayne D. Eyre, chef d’état-major de la Défense, Forces armées canadiennes).

[iv]   AFGH, Témoignages, 28 février 2022, 19:40 (Corey Shelson, à titre personnel).

[v]    AFGH, Témoignages, 28 février 2022, 19:55 (Stephen Peddle, ancien combattant en Afghanistan, à titre personnel).

[vi]   AFGH, Témoignages, 11 avril 2022, 15:43 (Hameed Khan, ancien interprète, Forces armées canadiennes, à titre personnel).

[vii] AFGH, Témoignages, 11 avril 2022, 15:43 (Hameed Khan, ancien interprète, Forces armées canadiennes, à titre personnel).

[viii] AFGH, Témoignages, 14 février 2022, 20:16 (Oliver Thorne, directeur général, Réseau de transition des vétérans).

[ix]   AFGH, Témoignages, 14 février 2022, 20:16 (Oliver Thorne, directeur général, Réseau de transition des vétérans).

[x]    AFGH, Témoignages,  28 mars 2022, 20:18 (Sally Armstrong, journaliste).

[xi]   AFGH, Témoignages, 11 avril 2022, 15:37 (Ghulam Faizi, ancien interprète, Forces armées canadiennes, à titre personnel).

[xii] AFGH, Témoignages, 11 avril 2022, 15:45 (Hameed Khan, ancien interprète, Forces armées canadiennes, à titre personnel).

[xiii] AFGH, Témoignages, 11 avril 2022, 16:00 (Ghulam Faizi, ancien interprète, Forces armées canadiennes, à titre personnel).

[xiv] AFGH, Témoignages, 11 avril 2022, 15:49 (Ahmad Shoaib, ancien interprète, Forces armées canadiennes, à titre personnel).

[xv] AFGH, Témoignages, 11 avril 2022, 16:13 (Hameed Khan, ancien interprète, Forces armées canadiennes, à titre personnel).

[xvi] AFGH, mémoire, 2 juin 2022 (Dr. Lauryn Oates, directrice générale, Femmes canadiennes pour les Femmes en Afghanistan).