:
Merci, monsieur le président.
Chers collègues, c'est avec plaisir que je suis ici aujourd'hui.
Permettez-moi de commencer en disant que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes ont droit à un accès juste et équitable au système judiciaire. Ce dernier devrait pouvoir répondre à leurs besoins dans la langue officielle de leur choix.
Le droit d'avoir accès à la justice dans les deux langues officielles est d'une importance primordiale. Aujourd'hui, j'aimerais faire le point sur les progrès importants réalisés par notre gouvernement afin de promouvoir ce droit.
[Traduction]
Permettez-moi de dire, d’emblée, que je suis fier du travail que la et notre gouvernement ont accompli à ce jour. Nous avons réalisé des progrès importants depuis notre arrivée au pouvoir pour ce qui est de renouveler le processus de nomination des juges, de hausser le nombre de juges bilingues dans nos tribunaux, de tenir de meilleures statistiques et d’accroître notre transparence pour pouvoir faire le suivi de nos progrès, ainsi que d’offrir une meilleure formation à tous les acteurs du système de justice en vue de rehausser le bilinguisme dans nos tribunaux.
Faisant fond sur ces initiatives, notre gouvernement a annoncé un nouveau plan d’action ayant pour objectif de renforcer le bilinguisme des cours supérieures au Canada. Ce plan d’action, présenté par la le 25 septembre 2017, s’articule autour de sept stratégies principales.
Premièrement, dans le cadre du nouveau processus de nominations de juges amorcé en octobre 2016, les candidats sont tenus de remplir un questionnaire exhaustif dans lequel ils doivent préciser si, sans suivre de formations supplémentaires, ils sont capables, tant en anglais qu’en français, de lire et de comprendre des documents de la cour, de discuter de questions juridiques avec leurs collègues, de s’entretenir avec les avocats en cour et de comprendre les présentations orales.
En outre, le plan d’action exige maintenant des candidats qui s’identifient comme étant bilingues de répondre à deux questions supplémentaires, nommément: « Pouvez-vous présider un procès dans l’autre langue officielle? »; et « Pouvez-vous rédiger une décision dans l’autre langue officielle? »
En outre, nous avons rehaussé le niveau de transparence en encourageant le commissaire à la magistrature fédérale à communiquer les parties du questionnaire qui portent sur le bilinguisme et les aptitudes en langues officielles.
[Français]
Le plan d'action propose aux comités consultatifs à la magistrature et au commissaire à la magistrature fédérale des mesures qu'ils devraient adopter pour améliorer l'information recueillie dans les questionnaires de candidature, renforcer l'évaluation des compétences en langue seconde des candidats et accroître l'information sur la capacité linguistique.
La deuxième stratégie introduite par le plan d'action concerne le commissaire à la magistrature fédérale. Le commissaire continuera de jouer son rôle premier, qui consiste à appuyer les comités consultatifs à la magistrature, en plus de gérer le processus de nomination au nom de la .
Quant au plan d'action, le commissaire à la magistrature fédérale aura désormais le mandat d'effectuer des évaluations linguistiques ou d'exécuter des vérifications aléatoires des candidats.
Le commissaire aura aussi à formuler des recommandations à l'intention de la concernant un outil d'évaluation linguistique objectif, toujours dans le but de renforcer le processus de nomination.
Troisièmement, le commissaire examinera le programme actuel de formation linguistique pour les juges, y compris l'amélioration de la composante pratique axée sur la compétence linguistique en salle d'audience.
[Traduction]
Quatrièmement, dans l’optique de mieux mettre en oeuvre les mesures énoncées dans le plan d’action, la a demandé au commissaire de faire en sorte que ses comités consultatifs à la magistrature aient accès à la formation et à l’information sur les droits linguistiques des avocats plaidants.
Cinquièmement, la a aussi demandé au Conseil canadien de la magistrature d’élaborer un programme de formation sur les droits linguistiques des avocats plaidants, qui sera offert aux juges par l’Institut national de la magistrature.
La sixième stratégie appelle le ministère de la Justice à travailler avec l’ensemble des administrations, ainsi que des tribunaux, à trouver les moyens d’évaluer le bilinguisme des cours supérieures. Le gouvernement croit ici que les juges en chef restent les mieux placés pour informer la des besoins de leurs tribunaux, et c’est la raison pour laquelle elle entretient avec eux et ses homologues provinciaux un dialogue constructif.
[Français]
Septièmement et finalement, le gouvernement s'engage aussi à consulter les provinces et les territoires afin de mieux cerner et comprendre leurs besoins et de collaborer avec eux.
Cette initiative exigera également une collaboration avec les ONG qui sauront nous présenter les défis auxquels font face les justiciables issus des communautés de langue officielle en situation minoritaire qui exigent un accès égal au système de justice.
[Traduction]
De concert avec les efforts précédents de notre gouvernement en vue de rehausser le bilinguisme de nos cours supérieures, nous croyons, monsieur le président, que ces sept stratégies du plan d’action fonctionnent et que les résultats sont éloquents.
Les statistiques les plus récentes du commissaire à la magistrature fédérale révèlent qu’entre octobre 2016 et 2017, on avait reçu 997 candidatures à la cour supérieure. De ce nombre, 300 candidats avaient affirmé posséder les quatre aptitudes en langues officielles dans leur questionnaire. Plus important encore, 24 des 74 juges nommés ont dit posséder les quatre aptitudes, si bien qu’un bon tiers de tous les nouveaux juges nommés aux cours supérieures pendant la dernière année son bilingues. Les résultats sont considérablement plus marqués dans les administrations où le bilinguisme est prioritaire, comme dans le nord-est de l’Ontario — 71 % — et à Montréal, où 100 % des juges nommés au cours de la dernière année étaient bilingues.
En outre, monsieur le président, prenez pour exemple la nouvelle juge en chef de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, Mary Moreau, qui a participé à de nombreuses causes marquantes concernant les droits linguistiques avant d’être nommée juge et qui a, depuis, contribué à une publication de la Cour sur les droits linguistiques des accusés.
Comme vous pouvez le voir, on a accompli de nombreuses choses, mais il reste du travail à faire. Avec l’aide du Comité et des discussions sérieuses, nous y arriverons.
[Français]
En conclusion, le plan d'action propose de nouvelles mesures importantes dans les domaines de la collecte d'information, de la formation et de la collaboration concertée entre de nombreux intervenants. Nous sommes heureux du fait que ce plan répond aussi à de nombreuses recommandations de l'étude de 2013 du commissaire fédéral aux langues officielles effectuée en partenariat avec ses homologues de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Nous nous réjouissons à la perspective de lire votre rapport et nous vous savons gré de l’étude diligente que vous menez. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
[Français]
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
La jurisprudence est le moteur de toute évolution législative dans les sociétés. Nous devons lire les décisions antérieures pour nous assurer de pouvoir savoir comment nous allons
[Français]
évoluer en tant que société.
Ce que je veux vraiment savoir, c'est si on a répondu directement à cela.
Des témoins sont venus nous faire part de situations que je trouve tristes. Par exemple, un praticien anglophone du Québec n'était pas capable d'obtenir une décision dans la langue dans laquelle il avait plaidé. Ailleurs, la situation inverse se produit aussi. Par exemple, il est difficile d'obtenir une décision en français au Manitoba. On nous a dit que des avocats qui plaidaient en anglais au Québec, par exemple, ne recevaient pas de décisions en anglais. En fait, ils n'auront jamais accès à la jurisprudence dans cette langue. Conséquemment, au Canada anglais, à l'extérieur du Québec, il est impossible de suivre l'évolution du droit au Québec et l'interprétation québécoise du droit dans la langue de Shakespeare.
Ma question était plutôt de cet ordre.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui.
Je vais continuer dans le même ordre d'idées que mon collègue M. Arseneault, en ce qui a trait à la formation et à l'information.
Souvent, quand il est question d'une cour bilingue ou d'une magistrature bilingue, on pense qu'il s'agit d'avoir un juge qui peut comprendre une cause dans les deux langues officielles. Cependant, cela va plus loin. Si le sténographe, par exemple, ou si les membres de l'équipe de gestion de la cour ne sont pas bilingues, ce sera très difficile pour les justiciables d'être entendus dans leur langue. Souvent, bien que le juge soit bilingue, si l'équipe en place ne l'est pas, cela cause de grands retards.
Tout cela revient à la question de la formation et de la part du budget de 40 millions de dollars au cours des cinq prochaines années qui y sera consacrée. Quel est le plan en vue de répartir ces fonds de façon précise?
Je sais que M. Arseneault en a parlé, mais j'y reviens quand même, parce que je crois que la formation est une question très importante. Il y a des collèges qui offrent une formation en justice en français. Dans ma province, en Ontario, je pense entre autres au Collège Boréal. Cette formation est offerte également au Nouveau-Brunswick et dans d'autres collèges ailleurs au Canada. Nous avons donc les ressources nécessaires.
Quel est le plan en vue d'appuyer la formation destinée à ceux qui veulent intégrer le système judiciaire, de manière à faire progresser le plan d'action?
:
Merci de votre question, monsieur Lefebvre.
Je voudrais simplement préciser un élément. Quand le secrétaire parlementaire parle de l'enveloppe de 40 millions de dollars, il s'agit de l'enveloppe actuelle, qui couvre la période de 2013 à 2018. Si on parle du prochain plan d'action, de l'initiative horizontale qu'élabore Patrimoine canadien et qui comprend un volet de justice, évidemment, nous ne pouvons pas en discuter aujourd'hui, parce que c'est encore en élaboration au cabinet.
Cela étant dit, le ministère contribue actuellement à la formation des intervenants des tribunaux judiciaires à divers niveaux.
Par exemple, une somme d'environ 600 000 $ par année est versée au Centre canadien de français juridique, qui est situé à Winnipeg. Il joue le rôle de partenaire des administrations provinciales et territoriales précisément en ce qui a trait à la formation de leurs avocats de la Couronne, de leurs greffiers, de leurs agents de probation, et ainsi de suite.
Il y a aussi la mise sur pied du Réseau national de formation en justice. On tente ici d'utiliser une approche concertée. Vous avez fait allusion au Collège Boréal. Le ministère a financé ce collège au cours de la présente année financière dans le cadre d'une étude visant à cerner les besoins en matière d'interprétation juridique et de transcription judiciaire. Il y a en effet une pénurie dans ce domaine dans l'ensemble du pays. Nous étudions présentement cette situation.
:
Merci, monsieur le président.
Monsieur Mendicino, je vous remercie d'être parmi nous cet après-midi.
J'aimerais seulement faire un commentaire, mais soyez assuré que ce n'est pas partisan. Je ne sais trop par où commencer, mais je me lance.
Je voudrais réitérer la demande de mon collègue du NPD, c'est-à-dire que nous aimerions obtenir le nom des experts constitutionnels qui ont conseillé votre gouvernement avant que vous en arriviez à votre prise de position sur le projet de loi , si tel est le cas.
Également, je voudrais vous dire que de nombreux politologues se sont penchés sur cette question, de même que des sociologues. C'est un grave problème qui perdure au Canada depuis 1982. M. Donald Savoie, éminent professeur à l'Université de Moncton, auteur de Governing from the Centre, l'a bien démontré. J'ai été stagiaire au bureau du premier ministre et j'ai pu voir ce processus qui est très dangereux pour la démocratie canadienne, c'est-à-dire que maintenant le pouvoir au Canada se concentre au bureau du premier ministre et au ministère de la Justice. Les deux ensemble vont évaluer tous les projets de loi pour déterminer si un de ceux-ci ou un article en particulier d'un de ceux-ci pourrait être contesté devant la Cour suprême et jugé anticonstitutionnel.
Cette pratique se veut positive et légitime, mais le problème est que cela crée des distorsions dans les politiques publiques. On ne devrait pas se fier à l'interprétation d'avocats ou d'experts constitutionnels au sein du ministère de la Justice selon laquelle une loi pourrait être considérée anticonstitutionnelle par un juge. Nous avons le droit, en tant que législateurs, de prétendre qu'un tel projet de loi a du sens et qu'il devrait aller de l'avant, peu importe ce qu'en pensent les experts constitutionnels.
Si cette question de constitutionnalité importe vraiment à votre gouvernement, pourquoi ne feriez-vous pas un renvoi à la Cour suprême sur la question du bilinguisme des juges? Ce serait la moindre des choses à faire pour qu'il y ait moins de distorsions dans nos politiques publiques et dans notre pouvoir législatif.
Selon moi, la voie à privilégier serait, au contraire, que vous fassiez comme lorsque vous étiez dans l'opposition, c'est-à-dire que vous votiez en faveur de ce projet de loi et que, si jamais un problème à cet égard survenait, vous laissiez les Canadiens contester le projet de loi devant la Cour suprême et que vous laissiez les juges eux-mêmes en discuter dans leurs écrits intellectuels.
Alors, pourquoi ne feriez-vous pas un renvoi sur la question pour vraiment avoir l'opinion des juges eux-mêmes, au-delà des experts payés par le gouvernement au sein du ministère de la Justice?
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Vous m'octroyez seulement quatre minutes? Pourtant, M. Clarke en a eu huit. Cela dit, M. Clarke a soulevé de si bons points que je me dois de les souligner.
Premièrement, il a dit qu'il fallait prendre des décisions sans laisser les avocats déterminer la légalité des dispositions proposées. Or le Parti conservateur, avant même de partir, a créé des lois pour s'assurer que cela allait être non constitutionnel, repoussant ainsi d'un an ou deux la prise d'une vraie décision favorable. Les neuf fois où les conservateurs ont fait des renvois à la Cour suprême, celle-ci a jugé que les dispositions en cause étaient non constitutionnelles. Ils ont fait neuf renvois à la Cour suprême; pour eux, c'était un jeu. Ils ont envoyé tout cela à la corbeille. Voilà qui est très intéressant.
Mon collègue a aussi dit que si les Canadiens voulaient contester, ils allaient le faire. Or on parle ici du gouvernement qui a aboli le Programme de contestation judiciaire. Donc, on établit des lois, on dit que les gens n'auront qu'à les contester, tout en sachant très bien qu'il n'y a pas d'argent pour les contestations et qu'on peut ainsi continuer le travail. C'est incroyable.
Monsieur Clarke, cela ne s'adresse pas à vous personnellement, mais à votre parti. Nous savons comment ces gens ont voté.
Monsieur Mendicino, je veux vous remercier de votre travail et de votre présence parmi nous aujourd'hui. J'aimerais surtout vous remercier pour le plan d'action. Ce plan, dont l'élaboration a commencé il y a un an, va nous guider et nous aider à atteindre la réussite dans l'avenir. C'est extrêmement important.
Vous avez parlé des montants octroyés. Je souhaiterais que votre ministère demande que l'enveloppe budgétaire de 40 millions de dollars ainsi que la somme de 2 millions de dollars destinée à la traduction judiciaire soient augmentées. Ce serait essentiel.
Que faites-vous pour encourager les gens à devenir bilingues? Voilà ma question. Quelles sont les stratégies possibles?
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Je n'ai presque plus de temps.
J'aurais aimé que vous me répondiez oui. J'espère que vous allez dire à la qu'une réponse positive est nécessaire. Vous êtes déjà en retard; cela fait deux ans que je le demande. Ce n'est pas nouveau, ce n'est pas d'hier.
Ensuite, comme M. Darrell Samson le dit dans sa lettre, vous êtes en train de travailler à un projet de loi pour régler le problème de bilinguisme des juges à la Cour suprême. Est-ce que cela touche la Loi sur les langues officielles et, si oui, de quels articles s'agit-il? Comme je n'ai plus de temps pour entendre votre réponse, pouvez-vous envoyer les informations au Comité?
Enfin, une des recommandations de l'ancien commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser, était de « mettre en place un processus visant à évaluer de façon systématique, indépendante et objective les compétences linguistiques ». Vous êtes passés de une à quatre questions, mais cela demeure de l'autoévaluation. Cela représente-t-il une évaluation « systématique, indépendante et objective des compétences linguistiques », oui ou non?
Je suis Jacques Fournier. Je suis juge en chef de la Cour supérieure du Québec.
J'en suis à mon troisième témoignage devant le Comité permanent des langues officielles. Je suis allé vous voir il y a un an et demi. J'étais allé vous voir il y a près de 20 ans, alors que le président de votre comité, M. Paradis, présidait un comité semblable. C'était un comité mixte, à l'époque, il me semble. Je vais tenir exactement les mêmes propos que ceux que j'ai tenus à l'époque, pour enfoncer le clou, au risque de me répéter.
Le système juridique canadien est un système bijuridique. Nous le disons, nous l'affirmons haut et fort et nous en avons fait une loi. Nous avons un système de droit public basé sur la common law. Nous avons un système de droit fédéral dans lequel nos juges à tous les niveaux, incluant la Cour d'appel, la Cour supérieure et la Cour du Québec, rendent d'excellents jugements, j'en suis convaincu.
Le problème que nous vivons, et ce, depuis toujours, c'est que la population du Québec, incluant ses juges, est normalement bilingue, par contre le bilinguisme est plus rare à l'extérieur du Québec, et encore plus chez les magistrats. Ce n'est pas une critique, c'est un constat.
Des jugements sont rendus dans toutes sortes de domaines en droit public, en droit fédéral, en droit criminel et en droit de la faillite, entre autres. En ce qui concerne les jugements qui sont rendus à l'ouest du Québec, soit de l'Ontario jusqu'aux Rocheuses, et à l'est du Québec, soit dans les Maritimes, c'est comme si ces régions étaient bordées d'une espèce de rideau ou de pellicule qui n'est pas perméable des deux côtés. La jurisprudence du Québec est influencée par celle des autres provinces canadiennes, particulièrement en droit de la faillite et en droit criminel, qui est un droit extrêmement important, mais le contraire ne peut pas se produire. Notre jurisprudence ne s'exporte pas. Le mur est imperméable vers l'est et vers l'ouest; rien ne sort du Québec. Ici, nous avons une façon de penser qui est due à notre formation de civilistes, mais qui influence nos réflexions en droit criminel et, évidemment, en droit de la faillite, parce que c'est une forme de droit privé. Notre façon de penser n'est pas exportée et elle n'enrichit pas le corpus législatif canadien, alors que le corpus législatif canadien vient enrichir le nôtre.
Pour différentes raisons, je me suis beaucoup penché sur la volonté qu'avaient les Pères de la Confédération, soit les constituants du Parlement d'Angleterre, quand ils ont voulu que le Canada ait un système juridique unique. On voulait une unité de pensée d'un bout à l'autre du pays. Toutefois, l'unité de pensée ne peut pas venir d'un côté de la clôture seulement. Les idées doivent voyager et il doit y avoir une influence mutuelle. C'était la volonté des Pères de la Confédération. C'est une réalité que nous ne vivons pas encore, mais que nous souhaitons vivre.
Mon propos est le même depuis 20 ans. Les juges du Québec sont capables de rendre d'excellents jugements. On en a eu un exemple parfait à la Cour suprême. Il faudrait que ces jugements profitent à l'ensemble de la population canadienne, de la même façon que les juges des juridictions de common law rendent d'excellents jugements qui profitent à toute la population. Ce que nous voulons, c'est une forme de réciprocité. C'est vous qui allez décider, car vous êtes les élus, mais ce que nous souhaitons, c'est une forme de réciprocité pour enrichir le système juridique canadien.
Voilà l'essentiel de mon message.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Paradis, vous avez également été bâtonnier du Québec, tout comme M. Fournier, qui est maintenant juge en chef à la Cour supérieure du Québec. Nous avons donc tous les trois en commun la fonction de bâtonnier.
Je vous remercie de me recevoir.
Je suis bâtonnier du Québec depuis le 15 juin 2017. J'ai été élu pour un mandat de deux ans à la tête du Barreau du Québec.
Vous avez reçu la personne qui m'a précédé dans ce poste, Mme la bâtonnière Claudia P. Prémont, le 4 avril 2017. Peu de choses ont changé depuis ce témoignage. Cependant, à la suite de l'invitation que vous m'avez envoyée, il m'apparaissait important de réitérer succinctement certaines positions du Barreau du Québec et d'ajouter une mention concernant le futur juge en chef de la Cour suprême du Canada.
En ce qui a trait au bilinguisme à la Cour suprême du Canada et à la magistrature de nomination fédérale, le Barreau du Québec réitère le droit d'être entendu par un juge dans l'une ou l'autre des deux langues officielles du pays. Il s'agit d'un droit fondamental dont tous les citoyens doivent pouvoir jouir sans l'aide d'un interprète. C'est une question d'égalité de statut de nos langues officielles et des citoyens.
Quant à la nomination d'un juge en chef bilingue, à mon avis, on parle beaucoup du bilinguisme fonctionnel. À fortiori, le prochain juge en chef devra pouvoir lire sans problème les jugements dans l'une ou l'autre des deux langues officielles, comprendre parfaitement les deux langues et pouvoir parler ou poser des questions dans une langue ou l'autre.
De plus, comme le Canada est un pays de tradition bijuridique, le Barreau du Québec croit qu'il est de bon aloi que le prochain juge en chef soit de tradition civiliste.
Quant à l'obligation de rédaction et d'adoption des lois dans les deux langues officielles, je vous rappelle la position du Barreau du Québec. En vertu de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, l'Assemblée nationale, comme le Parlement canadien, se doit d'adopter et de publier ses lois dans les deux langues officielles. Le Parlement fédéral pourrait apporter une assistance technique et une aide financière au Québec pour favoriser la rédaction et la traduction des projets de loi québécois.
En ce qui a trait à la traduction des jugements rendus par les tribunaux québécois, je me range dans une large mesure à l'opinion du juge en chef Jacques Fournier. Un grand nombre de jugements sont rendus au Québec dans des matières communes à toutes les provinces et à tous les territoires du Canada, par exemple le droit familial, le droit criminel, le droit constitutionnel et le droit commercial. Malheureusement, cette richesse judiciaire n'est accessible qu'aux personnes qui comprennent le français. Une réelle accessibilité à la justice requiert que toute la documentation légale et judiciaire soit disponible dans les deux langues officielles du Canada.
Nous demandons donc au ministère de la Justice du Canada de collaborer avec les différents acteurs québécois, dont le ministère de la Justice du Québec, les tribunaux et SOQUIJ, afin d'apporter de l'aide financière en vue d'élaborer une stratégie qui permettra de favoriser la traduction de la jurisprudence québécoise rédigée en français et de la faire connaître partout ailleurs au pays.
Merci beaucoup, monsieur le président.
:
Merci, monsieur le président.
Monsieur Fournier, monsieur Grondin, bonjour.
Nous avons entendu beaucoup de témoins. D'ailleurs, monsieur Grondin, des gens de votre organisme se sont présentés devant nous. Comme vous l'avez dit, l'argent que SOQUIJ aimerait recevoir pour être capable de traduire les jugements est un élément important. Selon ce que j'ai compris du témoignage du , 40 % des fonds prévus serviront à la formation et à l'information. Comme le budget total est d'environ 8 millions de dollars par année pour une période de cinq ans, ce n'est pas dans ce budget qu'on trouvera l'argent nécessaire pour atteindre l'objectif.
Monsieur Fournier, c'est la troisième fois en plusieurs années que vous témoignez devant le Comité permanent des langues officielles. Vous avez l'impression de vous répéter. Compte tenu du plan d'action du gouvernement actuel, avez-vous l'impression que vous vous répéteriez encore si vous étiez toujours en poste dans 20 ans?
L'objectif du gouvernement, dans son souci d'avoir un processus ouvert et transparent, est d'avoir le plus de juges bilingues possible au Canada. Or je comprends de votre intervention que les juges du Québec, puisqu'ils sont bilingues, sont capables de lire et de comprendre l'ensemble des jugements rédigés en anglais, mais que l'inverse n'est pas le cas, évidemment, étant donné que la majorité de la jurisprudence du Québec est uniquement en français et que les juges anglophones ailleurs au Canada ne peuvent pas la comprendre.
Dans un monde idéal, l'ensemble des juges des cours supérieures et de la Cour suprême du Canada seraient bilingues et tout le monde pourrait comprendre les documents dans les deux langues. La réalité est qu'il faudra énormément de temps avant que cela arrive, selon ce que vous dites.
:
Vous avez très bien compris mon propos.
Si vous me le permettez, je vais ajouter un commentaire.
Non seulement les jugements ne sont pas lus par nos collègues des autres provinces en raison de la barrière linguistique, mais la doctrine n'est pas influencée. Vous savez, les professeurs à l'université enseignent ce qu'ils comprennent, du moins nous l'espérons. La production jurisprudentielle du Québec se trouve un peu marginalisée. Elle n'influence pas la jurisprudence canadienne, c'était là le premier élément de mes propos, mais elle n'influence pas non plus la doctrine. C'est une roue qui tourne: la jurisprudence enrichit la doctrine et la doctrine enrichit la jurisprudence.
La barrière linguistique pourrait être levée si les jugements étaient traduits. Je ne parle pas de traduire les quelques centaines de milliers de jugements qui peuvent être rendus au cours d'une année. Il faudrait qu'un comité éditorial puisse déterminer quels jugements sont importants dans les matières de droit fédéral. Il faudrait pouvoir traduire davantage de jugements importants. Ce qui se fait maintenant est minimal.
C'est ainsi à la Cour suprême, où les traductions sont faites de façon automatique, évidemment. La Cour fédérale aussi procède de cette façon. Chez nous, si nous avions un comité éditorial, il pourrait cibler les jugements rendus récemment qui revêtent une importance pour le reste du Canada. Il pourrait s'agir de droit autochtone, par exemple, où il y a beaucoup de contestations. C'est un droit en émergence.
Nous rédigeons de bonnes décisions au Québec, du moins je le crois. Malheureusement, celles-ci n'influencent pas le reste de la jurisprudence canadienne. En revanche, nous nous faisons influencer tant et plus par la jurisprudence canadienne. Quelque chose là-dedans ne fonctionne pas, étant donné qu'on a voulu instaurer un système bijuridique.
:
Bonjour, monsieur le juge Fournier et maître Grondin.
Avant de devenir député, j'exerçais la profession d'avocat en Acadie. Comme on le sait, le Nouveau-Brunswick est une province officiellement bilingue. Vous avez dit plus tôt qu'il y avait deux murs opaques à l'est et à l'ouest du Québec et que cela empêchait vos voisins de vous lire. Curieusement, dans mon cas, la situation est tout à fait inverse. Lorsque j'ai commencé à pratiquer le droit en tant que francophone, Quicklaw venait à peine de faire son apparition, Internet n'était pas encore adéquat et nous n'arrivions pas à obtenir des données. Pour être en mesure de lire des décisions en français, j'allais donc lire celles qui provenaient du Québec, entre autres celles qui concernaient le droit criminel et le droit de la faillite.
Je connais très bien la situation. Il est vrai que le Canada anglais ne connaît pas le legs et l'évolution juridiques de la société québécoise, qui fait partie du Canada. C'est une lacune importante. Il faut vraiment rétablir les faits. Cela dit, j'aimerais vous poser une question pratique.
Comment les choses se passent-elles, chez vous, en ce qui a trait aux décisions de la Cour d'appel? La province de Québec exige-t-elle que vos décisions soient traduites simultanément, avant même qu'elles soient rendues publiques?
Des représentants du QCGN sont venus témoigner devant le Comité, il n'y a pas très longtemps, et ils nous ont dit qu'il s'agissait réellement d'une grande inquiétude en matière de jurisprudence.
Ne lâchez pas votre bâton de pèlerin, monsieur le juge. Continuez.
Je pense qu'il faut absolument aller voir ce qui se fait ailleurs. Je me souviens que, quand j'étais étudiant, nous avions rencontré des juristes de la Louisiane. Je viens d'une province où l'on pratique en français un droit anglais, mais en Louisiane, c'est l'inverse: on pratique encore le droit civil. C'est un système hybride, c'est-à-dire qu'on pratique le droit civil et la common law, mais en anglais. C'est le monde à l'envers. À mon avis, il y a quand même lieu de regarder ce qui se fait à l'extérieur du Québec, dans le but d'apporter des pistes de solution plausibles.
Vous parlez de 1 600 décisions provenant de la Cour d'appel, mais le volume n'est pas le même au Nouveau-Brunswick. On ne peut pas comparer 1 600 décisions à environ 200 décisions au Nouveau-Brunswick.
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Il y en a. C'est ce que je disais tout à l'heure à M. Arseneault. À l'occasion, la Cour d'appel va rédiger son jugement dans les deux langues, mais cela demeure une pratique marginale.
SOQUIJ va devenir maître d'oeuvre en ce domaine, prochainement.
La traduction d'une décision est souvent demandée par un citoyen pour une raison quelconque: soit il n'est pas satisfait du jugement, soit il l'est tellement qu'il veut l'afficher dans sa langue. Toutefois, les traductions sont pitoyables. Il y a des fois où l'on jurerait que c'est un ordinateur qui a traduit littéralement le texte. Cela dit, la traduction d'un jugement demeure une pratique marginale. Par conséquent, les budgets qui sont alloués aux traductions, comparativement à l'importance que j'y accorde personnellement en tout cas, sont insuffisants.
Ce que nous savons et ce que nous disons, c'est qu'une institution paragouvernementale existe, qu'elle est capable d'agir maintenant et qu'elle est en train de s'équiper pour porter le ballon. L'occasion est belle de parler à ce porteur de ballon pour savoir jusqu'où on va le mener.
En tant que Canadien francophone formé en droit civil, je trouve qu'il est important qu'on sache, dans le reste du pays, ce que j'écris et ce que je pense. Le « je » est évidemment générique, ici. Je ne parle pas de moi; je n'écris presque plus.
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Un instant, il faut faire attention. SOQUIJ fait la traduction de jugements, mais c'est en marge de sa mission. La mission de SOQUIJ est vraiment de recueillir la jurisprudence, de définir quels jugements ou quels arrêts, dans le cas des cours d'appel, sont les plus importants, d'en faire des résumés et de les faire publier dans des journaux spécialisés. Telle est la mission de SOQUIJ. Parallèlement à cela, de façon marginale, je le dis bien, l'organisme s'occupe de traduction. Ce n'est toutefois pas sa mission première.
Quand je parle de quatre, six, sept ou huit personnes, je ne parle que du comité éditorial qui va lire les jugements.
Maintenant, grâce à la diffusion électronique, tout est accessible. Il y a des avocats qui lisent des jugements et encore des jugements et qui, à un moment donné, en trouvent un qui est d'intérêt. Un auteur de recueils d'arrêts va en faire un résumé et, de là, la diffusion de ce jugement va devenir plus importante, parce qu'un utilisateur qui fait une recherche avec des mots clés va savoir qu'il est dans le bon domaine.
On peut enrichir cette même mission et décider que, désormais, on va ajouter une étape, soit examiner le droit fédéral et le droit criminel pour déterminer quelles décisions sont importantes pour une raison précise, et qu'on va les traduire et les exporter.
Cela se ferait d'abord au niveau de la Cour d'appel, en raison de son autorité, mais il y a aussi beaucoup de jugements qui sont rendus dans les tribunaux d'instance. Par exemple, les causes entendues à la Cour du Québec relèvent à 99 % du droit criminel. Même au Québec, c'est un fait qui est souvent ignoré. Il y a d'excellents juges à la Cour du Québec qui peuvent rendre d'excellents services à toute la communauté canadienne. C'est cela, le point de vue.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur le juge en chef, monsieur le bâtonnier, bonjour. C'est un honneur de vous rencontrer, même si c'est par l'entremise de la téléconférence. Je m'appelle Alupa Clarke et je suis député de la circonscription de Beauport—Limoilou, au Québec.
Vous avez parlé d'un comité éditorial qui pourrait sélectionner des jugements phares. Pour ma part, j'y vois un certain danger, et je vais vous expliquer pourquoi.
Selon moi, il faudrait que tous les jugements soient traduits systématiquement. Comme vous le savez bien, l'activisme judiciaire est un phénomène réel. Dans le cas du droit criminel, les jugements sont plus objectifs, rationnels, basés sur des faits et des preuves tangibles. Pour ce qui est des jugements à caractère constitutionnel, cependant, c'est autre chose. Vous avez fait allusion, monsieur le bâtonnier, à un article de la Loi constitutionnelle de 1867. J'adore cela; j'aime vraiment m'accrocher à 1867. Cela dit, le comité éditorial pourrait s'adonner à de l'activisme judiciaire en choisissant des jugements favorables à une certaine interprétation de la Constitution pour la province de Québec. Vous voyez un peu où je veux en venir.
Dans ce cas, comment peut-on avoir bon espoir que ce comité éditorial ne s'adonnera pas à de l'activisme judiciaire, ce que nous ne voudrions surtout pas voir advenir?