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HUMA Rapport du Comité

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Opinion dissidente de l’Opposition officielle

À titre de députés de l’Opposition officielle, nous tenons à remercier les nombreux témoins qui ont comparu devant le comité ainsi que ceux qui ont présenté un mémoire dans le cadre de l’étude du programme de l’assurance-emploi (AE).

Nous avons entamé cette étude du programme de l’assurance-emploi avec ouverture. Lors de l’étude du rapport, nous avons soutenu les recommandations qui favorisent l’évaluation des mesures du programme de l’assurance-emploi, celles qui protègent les plus vulnérables d’entre nous ainsi que celles qui portent sur une plus grande transparence et sur une meilleure efficacité.

Préoccupations

Nous avons toutefois rejeté les recommandations qui éliminent les mesures mises de l’avant par l’ancien gouvernement lors de sa réforme majeure de l’assurance-emploi en 2013. À notre avis, ces mesures doivent être maintenues, car elles ont un impact positif sur l’emploi ainsi que sur le comportement des citoyens quant aux prestations d’assurance-emploi. L’objectif principal de cette réforme était de faciliter le retour au travail des chômeurs en les aidant à se trouver un emploi. La réforme a misé sur la responsabilisation des chômeurs qui reçoivent des prestations et nous sommes d’avis que c’était un pas dans la bonne direction. D’ailleurs, la Fédération canadienne des contribuables a affirmé devant le comité que « nous estimons qu'un système trop généreux peut encourager des gens à ne pas rechercher un emploi ou à ne pas en accepter un, alors qu'ils pourraient le faire»[1], et nous appuyons cette citation.

De plus, nous estimons que le rapport adopté par le comité n’est pas balancé en termes d’opinions divergentes quant à la réforme de l’assurance-emploi. Sur 80 citations de témoins contenues dans le rapport, 42 se sont avérées être négatives envers les mesures mises de l’avant par l’ancien gouvernement conservateur contre seulement 15 qui se sont exprimées en faveur de ces mesures. Sur les 27 témoins cités, à peine 7 témoins ont eu des commentaires positifs à l’égard des mesures mises de l’avant par l’ancien gouvernement. Certains témoins exprimant une opinion différente de la majorité des témoins entendus ne sont pas cités dans le rapport malgré la pertinence de leurs arguments. Par exemple, la Fédération canadienne des contribuables a témoigné en personne devant le comité et n’est pourtant pas citée dans le rapport alors que six mémoires ont été mentionnés bien que les auteurs n’aient pas témoigné devant le comité.  

Peu d’effets sur l’AE

Une des lacunes importantes du rapport à notre avis est qu’il ne reflète pas le fait que « bien des témoins aient reconnu qu’en réalité, peu de personnes ont perdu leurs prestations d’AE en raison de ces nouvelles définitions (…) ».[2]

Voici quelques citations de témoins qui soutiennent cette affirmation :

Selon Hans Marotte, représentant du Groupe de travail interprovincial sur l’AE, « (…) il est vrai que je n'ai pas eu à traiter un très grand nombre de cas liés à la réforme conservatrice. »[3]

Selon Marie-Hélène Arruda, coordonnatrice du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi, « pour ce qui est de l'emploi convenable, en effet, on a recensé peu de cas d'exclusion pour refus d'emploi convenable. »[4]

Selon Judith Andrew, commissaire représentant les employeurs à la Commission de l’assurance-emploi du Canada, « (…) en dépit des craintes exprimées très ouvertement, bien peu de prestataires ont été exclus du régime en raison des changements prévus par cette initiative. »[5]

Selon Paul Thompson, sous-ministre adjoint principal, Direction générale des compétences et de l’emploi au ministère de l’Emploi et du Développement social, « nous n'avons pas de données précises sur l'impact total, si ce n'est que ces nouveaux règlements ont contribué à un très petit nombre d'exclusions. »[6]  

Ces citations sont lourdes de sens et confirment que les changements au programme d’assurance-emploi effectués en 2013 étaient les bons et qu’ils ont eu un impact positif sur la société canadienne. Pourtant, le rapport exclut cet élément essentiel. Si la grande majorité des témoins s’entendent sur le fait que la réforme n’a pratiquement empêché personne au Canada d’obtenir des prestations, il nous apparait évident qu’elle a atteint son objectif. Le rapport adopté par le comité aurait dû être un reflet de cette réalité.

La responsabilisation des prestataires, la saine gestion des fonds publics, ainsi que l’allègement de la bureaucratie sont des préoccupations constantes pour notre caucus de l’Opposition officielle.

À titre de membres de ce comité, nous tenons à exprimer notre position sur quelques recommandations contenues dans le rapport et avec lesquelles nous sommes en désaccord.

Responsabiliser les prestataires

La recommandation 1 demande au gouvernement fédéral d’examiner le critère d’admissibilité « motifs de cessation d'emploi valables » afin que les prestataires d’assurance-emploi qui trouvent un nouvel emploi pendant une période de prestations puissent encore avoir accès à leurs prestations si ce nouvel emploi ne leur convient pas.

Le cœur même de la réforme de l’ancien gouvernement était de responsabiliser les prestataires d’assurance-emploi et de les inciter à privilégier un emploi à toutes autres formes de prestations. Si le gouvernement va de l’avant avec cette recommandation, les prestataires pourront maintenant « magasiner » un emploi alors qu’ils collectent toujours leurs prestations.

Nous sommes conscients que ce ne sont pas tous les types d’emplois qui conviennent à tous. Toutefois, cette recommandation ouvre la porte à ce que les prestataires refusent des emplois décents sous seul prétexte que ceux-ci ne leur conviennent pas. Selon nous, les raisons de refuser un emploi doivent être sérieuses et exceptionnelles. À notre avis, « ne pas convenir » n’est pas un motif de cessation d’emploi valable.

Dépenses incontrôlables

La recommandation 2 demande au gouvernement fédéral de prendre les mesures immédiates afin d’abolir le critère d’admissibilité de 910 heures d’emploi assurable pour les personnes qui deviennent ou redeviennent membres de la population active.

Le critère d’admissibilité de 910 heures d’emploi assurable nous apparait raisonnable car il s’applique aux personnes n’ayant pas accumulé 490 heures de travail avant la période de référence. Il nous apparait juste que cette personne accumule davantage d’heures d'emploi assurable durant la période de référence pour avoir droit aux cotisations d’assurance-emploi.

En adoptant cette recommandation, le comité laisse toute la latitude au gouvernement d’établir son propre critère d’admissibilité sans qu’aucune étude ne soit faite pour évaluer les avantages et désavantages des différentes options. De plus, la tangente observée dans les témoignages entendus est que le critère d’admissibilité devrait être de 360 heures d’emploi assurable. Il nous est inconcevable d’appuyer une telle mesure, et ce, dans une optique de saine gestion des fonds publics. En effet, selon Paul Thompson, « si le passage à 360 heures s'applique uniquement aux prestations régulières, cela représente environ 1 milliard de dollars. Ça correspond aux estimations qui ont été faites au cours des dernières années, avec les corrections nécessaires, compte tenu de la taille actuelle de la population active. »[7] Nous sommes d’avis que les contribuables canadiens ne peuvent supporter un tel fardeau.

Nous sommes également du même avis que Colin Busby, directeur adjoint à la recherche de l’Institut C.D. Howe, qui affirme que « (…) en ce qui a trait à la proposition de 360 heures, c'est qu'elle concerne les travailleurs à temps partiel. Il serait bien d'englober les travailleurs à temps partiel, mais si nous allons aussi loin, le problème, c'est qu'on risque fort de créer un degré élevé de dépendance et d'encourager le travail saisonnier. »[8] Nous devons être vigilants quant aux conséquences d’instaurer un critère d’admissibilité de 360 heures d’emploi assurable.

Retour en arrière

La recommandation 3 demande au gouvernement fédéral d’entreprendre des mesures immédiates afin de rétablir les critères de responsabilités en matière de recherche d’emploi des chômeurs et d’obligations d’accepter un emploi convenable qui prévalaient avant 2013.

Selon nous, cette recommandation va à l’encontre même de la grande majorité des témoignages qui ont affirmé qu’il n’y a pratiquement eu aucun impact négatif à la suite de la mise en œuvre de la réforme en 2013 tel que cité plus haut.

Meilleure représentation de la réalité

La recommandation 6 demande au gouvernement fédéral de reconsidérer les nouvelles régions économiques de l’assurance-emploi qui ont été créées en 2014, et de revenir au découpage précédent.

Selon nous, les changements apportés en 2014 sont venus régler certaines lacunes quant aux réalités économiques des différentes régions du Canada. Par exemple, la séparation de la province de l’Île-du-Prince-Édouard en deux régions économiques a reflété le fait que les opportunités d’emplois pour les Prince-Édouardiens sont significativement différentes entre la région de la capitale qu’est Charlottetown et les régions rurales du reste de la province. En effet, puisque les opportunités d’emploi sont plus grandes à Charlottetown que dans les régions rurales, il était tout à fait avisé pour le gouvernement de corriger cette situation. En exigeant que les gens vivant à l’intérieur de la région de Charlottetown accumulent davantage d’heures de travail pour être admissibles à l’assurance-emploi que les autres résidents de la province, le précédent gouvernement est venu régler les inégalités sur le territoire de l’Île-du-Prince-Édouard en matière d’assurance-emploi.

Bureaucratie supplémentaire

La recommandation 10 demande à Emploi et Développement social Canada de prendre des mesures immédiates afin de s’assurer que :

  • Durant la période d’extension annoncée dans le budget fédéral de 2016, le choix entre la version actuelle et antérieure du projet pilote « Travail pendant une période de prestations » soit entièrement libre et non régi par certains critères précis d’admissibilité;
  • Le site du gouvernement du Canada et les agents de Service Canada fournissent l’information nécessaire pour que les prestataires puissent faire le meilleur choix entre les deux versions du projet pilote compte tenu de leur situation;
  • Qu’à la fin de la période d’extension du présent projet pilote en août 2018, une évaluation complète du projet soit effectuée, que les résultats soient partagés avec le Comité en février 2019 au plus tard, et rendus publics.

Selon nous, cette recommandation ne tient pas la route, car elle vient biaiser les futurs résultats dudit projet pilote. Nous sommes d’avis que les prestataires d’assurance-emploi doivent participer de façon pleine et entière au projet pilote dans sa version actuelle jusqu’en août 2018 afin que le gouvernement en évalue toutes les retombées. En laissant le choix aux prestataires entre la version actuelle et la version antérieure du projet pilote, le gouvernement n’aura pas suffisamment de données probantes pour en déterminer le succès ou l’échec. Nous considérons également que la gestion des deux versions du projet pilote alourdi inutilement la bureaucratie.

La recommandation 12 demande au gouvernement fédéral de réinstaurer le système des agents de liaison régionaux de l’assurance-emploi afin d’améliorer le soutien aux chômeurs qui veulent ou font des demandes de prestations.

À notre avis, cette recommandation vient ajouter un niveau supplémentaire de bureaucratie. Nous croyons que le système a avantage à mieux utiliser les ressources qui lui sont déjà attribuées et à chercher l’efficience plutôt qu’à alourdir une bureaucratie déjà surchargée.

Favoriser l’emploi

Nous considérons que les recommandations faites par le comité n’expriment pas clairement le fait qu’il faut à tout prix éviter de créer de la dépendance aux prestations d’assurance-emploi et de valoriser le recours systématique au travail saisonnier. Comme le stipule David Gray, professeur d’économie à l’Université d’Ottawa, « (j’aimerais que) des balises soient établies pour que l'on n'assiste pas à l'apparition de travailleurs qui entrent sur le marché du travail canadien ou qui y font un retour avec une approche de dépendance à l'égard du régime d'assurance-emploi. »[9] 

En évacuant ces principes fondamentaux dans ses recommandations, le comité envoie un mauvais message aux travailleurs et aux prestataires d’assurance-emploi. Le rapport du comité aurait dû mettre l’accent sur le fait que les prestations d’assurance-emploi sont des solutions de derniers recours et qu’elles ne remplaceront jamais un vrai travail.

Conclusion

Finalement, nous sommes d’avis que la réforme du programme de l’assurance-emploi instaurée en 2013 par le gouvernement précédent était un pas dans la bonne direction. Nous aurions souhaité que les recommandations du comité se penchent davantage sur les façons d’améliorer le programme à partir de sa forme actuelle. La réforme étant en place depuis à peine trois ans, nous croyons qu’il est à l’avantage de la société canadienne de prendre le temps d’en mesurer tous les effets.

Nous encourageons vivement le gouvernement à tenir compte des réflexions, des préoccupations et des recommandations susmentionnées.  


[1] HUMA, Témoignages, 1e session, 42e législature, 4 mai 2016, 1735 (Aaron Wudrick, directeur fédéral, Fédération canadienne des contribuables)

[2] Rapport du comité HUMA : Exploration des conséquences des récents changements à l’assurance-emploi et des moyens d’améliorer l’accès au programme

[3] HUMA, Témoignages, 1e session, 42e législature, 2 mai 2016, 1755 (Hans Marotte, représentant, Groupe de travail interprovincial de l’AE )

[4] HUMA, Témoignages, 1e session, 42e législature, 9 mai 2016, 1635 (Marie-Hélène Arruda, coordonnatrice, Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi)

[5] HUMA, Témoignages, 1e session, 42e législature, 9 mai 2016, 1635 (Judith Andrew, commissaire représentant les employeurs, Commission de l’assurance-emploi du Canada)

[6] HUMA, Témoignages, 1e session, 42e législature, 4 mai 2016, 1755 (Paul Thompson, sous-ministre adjoint principal, Direction générale des compétences de l’emploi, ministère de l’Emploi et du Développement social)

[7] HUMA, Témoignages, 1e session, 42e législature, 4 mai 2016, 1745 (Paul Thompson, sous-ministre adjoint principal, Direction générale des compétences de l’emploi, ministère de l’Emploi et du Développement social)

[8] HUMA, Témoignages, 1e session, 42e législature, 9 mars 2016, 1620 (Colin Busby, directeur adjoint, Recherche, Institut C.D. Howe)  

[9] HUMA, Témoignages, 1e session, 42e législature, 9 mars 2016, 1645 (David Gray, professeur d’économie, Université d’Ottawa).