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FEWO Rapport du Comité

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Analyse comparative entre les sexes : de la parole à l’action

Rapport complémentaire présenté par le

Nouveau Parti démocratique du Canada

Le 13 juin 2013

CONTEXTE

L’égalité entre les hommes et les femmes est un principe fondamental au Canada. En tant qu’opposition progressiste, le NPD lutte depuis toujours contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Les néo‑démocrates jouent un rôle de premier plan dans la défense des droits des femmes, notamment pour assurer l’égalité des chances, la sécurité du revenu, un salaire égal pour un travail égal, la participation politique pleine et entière, le respect des droits en matière de santé sexuelle et reproductive, le soutien aux aidantes naturelles, et plus encore.

Toutefois, même si le Canada a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ces dernières sont toujours victimes de discrimination au Canada.

En 1995, le Canada a signé la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, en vertu desquels le gouvernement canadien s’engageait à réaliser une analyse comparative entre les sexes (ACS)[1] dans les politiques, les programmes et les lois afin de savoir quelles conséquences ont ces décisions sur les femmes. Or, si le gouvernement avait respecté son engagement, les législateurs auraient, au cours des deux dernières décennies, adopté une perspective axée sur la comparaison entre les sexes lors de la création de chaque politique, chaque programme et chaque loi.

Toutefois, comme l’a souligné le Bureau du vérificateur général dans deux audits distincts, l’ACS n’est mise en œuvre que de façon fragmentaire et sporadique. En effet, seuls 27 % des 110 ministères et organismes gouvernementaux se sont dotés d’un processus pour effectuer des ACS. Dans les ministères qui effectuent des ACS, les analyses demeurent trop souvent incomplètes ou d’une qualité qui laisse à désirer.

Voilà des occasions perdues de promouvoir l’égalité des femmes et d’empêcher que des politiques et des programmes ne portent préjudice aux Canadiennes.

Par conséquent, le NPD est d’accord avec les témoins qui ont comparu devant le Comité et approuve les conclusions du Comité de la condition féminine, à savoir que :

  • le gouvernement nuit à l’égalité des femmes lorsqu’il ne tient pas compte des répercussions que les lois, les politiques ou les programmes risquent d’avoir sur elles;
  • l’absence d’exigences obligatoires est l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de l’ACS à l’échelle de l’administration fédérale;
  • il faut de toute urgence fournir les ressources nécessaires pour que Condition féminine Canada puisse mettre en œuvre pleinement l’ACS dans l’ensemble des ministères. 

Nous approuvons les recommandations du Comité concernant la nécessité d’adopter une mesure législative globale pour rendre obligatoire l’ACS dans l’administration publique fédérale ainsi que la nécessité d’allouer des ressources adéquates à Condition féminine Canada y arriver. Toutefois, selon nous, le rapport minimise l’ampleur de l’échec du gouvernement à mettre en œuvre les ACS au cours des 20 dernières années. Il ne fait pas non plus état de l’urgence de la nécessité de mettre en application dès maintenant les ACS. Nous ne devons pas faire attendre les femmes plus longtemps. C’est dans cette optique que nous soumettons la présente opinion complémentaire.

L’ÉCHEC DU GOUVERNEMENT AU CHAPITRE DE L’ACS

En 2009, la vérificatrice générale du Canada a critiqué la mise en œuvre par le gouvernement de l’ACS et a recommandé l’établissement de directives et d’attentes claires à l’égard de la pratique de l’ACS à l’intention des ministères. En 2015, après un nouvel examen de l’ACS, le vérificateur général a constaté le même manque de leadership de la part du gouvernement et la même mise en œuvre inadéquate.

Malgré les multiples rapports du Comité permanent de la condition féminine et du Comité permanent des comptes publics, le Groupe d’expertes sur les mécanismes de responsabilisation pour l’égalité entre les sexes, les deux audits du Bureau du vérificateur général et le Plan d’action ministériel, la majorité des ministères n’effectuent toujours pas d’ACS, et, lorsqu’ils en font, elles demeurent inadéquates.

L’ACS est requise depuis maintenant 20 ans, mais le gouvernement n’a pas du tout réussi à assurer son application. Comme Nancy Cheng, du Bureau du vérificateur général, l’a dit au Comité :

Lors de notre audit de 2015, nous avons noté que l'analyse comparative entre les sexes n'était toujours pas entièrement mise en œuvre dans l'ensemble de l'administration fédérale, même si le gouvernement s'était engagé à appliquer ce type d'analyse à ses décisions politiques plus de 20 ans auparavant. Autrement dit, les questions liées aux différences selon le sexe, notamment les obstacles à la pleine participation des divers groupes de femmes et d'hommes, ne sont pas toujours prises en compte dans les décisions du gouvernement. Cette constatation est similaire à celle formulée en 2009.[2]

Malgré 20 ans d’engagements nationaux et internationaux, seuls 30 ministères, sur un total de 110 ministères et organismes gouvernementaux, appliquent officiellement des ACS. L’audit de 2015 du vérificateur général a également révélé que, au sein de quatre ministères ayant mis en œuvre un cadre d’ACS, les analyses ne sont pas toujours complètes ni d’un niveau de qualité acceptable. Cette observation a été faite dans près de la moitié des cas d’ACS, ce qui démontre encore une fois l’échec du gouvernement à mettre en œuvre adéquatement les ACS.

Un grand nombre des témoins qui ont comparu devant le Comité ont mentionné de multiples échecs, tout comme le Bureau du vérificateur général :

  • l’absence de directive, de politique et de leadership gouvernemental.
  • les délais serrés pour élaborer des politiques et des programmes;
  • une incompréhension de la pertinence de l’ACS;
  • une formation inefficace ou l’absence de formation;
  • un manque de données ou l’incapacité de repérer des données pertinentes, fiables et exhaustives ventilées selon le genre et d’autres facteurs identitaires;
  • une manque de capacité à entreprendre l’analyse;
  • l’absence de publication externe de rapports par les ministères.

La tendance systématique à ne pas prendre au sérieux l’égalité des femmes est tout simplement inacceptable.

LE COÛT HUMAIN DE L’ÉCHEC

Les témoins ont parlé des conséquences importantes de l’absence d’ACS sur les femmes. À cet égard, le YWCA indique que, «[S]ans une analyse détaillée axée sur le sexe, l’attribution des fonds s’expose aux préjugés sexistes et ne répondra probablement pas de manière équitable aux besoins des femmes et des filles en plus de favoriser la réalisation de leur potentiel sur les plans économique et social.»[3]

Les décisions politiques, législatives et de financement au cours des deux dernières décennies auraient pu être différentes si des ACS en bonne et due forme auraient été réalisée. Au lieu de cela, les occasions manquées se multiplient. Si des ACS avaient été adéquatement réalisées, serions-nous toujours dépourvus d’une stratégie nationale des garedries, de mesures de relance économique expressément destinées aux femmes et d’un plan d’action national pour mettre fin à la violence faite aux femmes[4]?

MANQUE D’APPLICATION

Le gouvernement devrait tout simplement rejeter les propositions de politiques et de programmes si elles n’ont pas fait l’objet d’une ACS ou si l’ACS révèle que ces propositions seront, d’une manière ou d’une autre, discriminatoires à l’endroit des femmes. Pourtant depuis des années, les ministères et les organismes gouvernementaux tels que le ministère des Finances du Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor et le Canada, ont négligé de rejeter les propositions qui ne respectent pas les exigences des ACS. 

La « fonction de remise en question » des propositions afin qu’une ACS soit réalisée en bonne et due forme manque de transparence et n’est pas supervisé par quiconque. Selon Mme Cheng :

Il y a très peu de renseignements, de rapports externes, sur notre rendement général en matière d'ACS pour éclairer les décisions politiques avant qu'elles soient prises. Condition féminine Canada n'a pas toujours toute l'information. L'organisme n'a pas vraiment rendu publique toute l'information dont il dispose.[5]

Le rapport de 2015 du vérificateur général révèle que même si le ministère de l’Emploi et du Développement social ainsi que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien n’avaient pas effectué d’ACS ou n’avaient pas réalisé des ACS complètes, le Cabinet ne leur avait pas retourné les propositions stratégiques[6]. Neil Bouwer, du ministère des Ressources naturelles, a également informé le Comité : «Je n'ai connaissance d'aucun cas où une agence centrale nous a demandé de refaire ou de corriger notre ACS.»[7] L’explication la plus probable est qu’au cours des 20 dernières années, les organismes centraux n’ont pas imposé d’ACS pour les mémoires au Cabinet.

En fait, Renée Lafontaine, secrétaire adjointe du Secteur des services ministériels et dirigeante principale des finances au Secrétariat du Conseil du Trésor, a tenu les propos suivants :«[J]e veux assumer la responsabilité de notre fonction de remise en question. Nous devions adapter cette fonction et mieux définir nos attentes en collaboration avec les ministères.»[8]

Nous savons que depuis l’entrée au pouvoir du nouveau gouvernement, le Cabinet a demandé aux organismes centraux d’exiger une ACS pour tous les mémoires au Cabinet. Nous applaudissons cette décision et nous encourageons le gouvernement à rendre cette exigence exécutoire pour les prochains cabinets en adoptant des mesures législatives et en renforçant la fonction de remise en question.

BESOIN URGENT D’AGIR

Nous nous réjouissons des gestes symboliques posés par le nouveau gouvernement pour l’égalité entre les sexes, par exemple la nomination d’un Cabinet comptant un nombre égal d’hommes et de femmes. Toutefois, nous invitons fortement le gouvernement à joindre les gestes à la parole en apportant des changements législatifs urgents pour s’assurer que les politiques, programmes et lois du gouvernement favorisent l’égalité des femmes canadiennes.

Nous sommes ravis que le Comité recommande dans son rapport que le gouvernement présente une mesure législative exhaustive pour obliger tous les ministères et organismes à mener des ASC, mais nous estimons que cette recommandation ne reflète pas adéquatement l’urgence de la situation, comme l’ont indiqué bon nombre de témoins.

Selon Cindy Hanson, professeure agrégée du programme d’éducation aux adultes à l’Université de Regina et présidente désignée de l’Institut canadien de recherches sur les femmes, «En 2005, le Comité permanent de la condition féminine a indiqué qu'il était urgent de mettre en place une loi et des mécanismes de responsabilisation. Nous disons la même chose 12 ans plus tard.»[9]

Olena Hankivsky, professeure de la School of Public Policy à l’Université Simon Fraser, a ajouté ce qui suit :

[L]a recherche a clairement fait état des éléments nécessaires à la mise en oeuvre généralisée de l'intégration des considérations liées à l'égalité des sexes dans l'ensemble des institutions. Il n'est plus nécessaire d'examiner ces questions. Nous n'avons pas besoin d'autres études. Nous n'avons pas besoin de savoir s'il existe d'autres obstacles; nous avons besoin d'actions concrètes.[10]

Après 20 ans, les Canadiennes ne devraient pas avoir à attendre encore plus longtemps. C’est pourquoi le Nouveau Parti démocratique recommande que le gouvernement respecte son engagement à l’égard de l’égalité entre les sexes en déposant un projet de loi d’ici la fin de 2016.

Il est particulièrement important pour le gouvernement d’agir étant donné les dépenses annoncées dans le Budget 2016. Il ne faudrait pas que les nouveaux programmes et les nouvelles dépenses soient prévus sans s’assurer qu’ils n’ont pas de conséquences négatives pour les femmes, notamment en discriminant contre elles, même de manière non intentionnelle.

MESURES LÉGISLATIVES EXHAUSTIVES

Nous trouvons encourageante l’expérience de l’unique ministère ayant réussi à instaurer la pratique de l’ACS. Nous sommes d’avis que les autres ministères peuvent apprendre de ce modèle. Citoyenneté et Immigration Canada est tenu par la loi d’effectuer des ACS et de rendre compte des résultats au Parlement tous les ans. La loi a eu des effets immédiats et durables, comme l’a expliqué Fraser Valentine, directeur général des Politiques stratégiques et de la planification au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration :

Une modification législative est un outil musclé, du fait qu'il soit prévu par la loi, et donc il y a eu comme incidence immédiate que le ministre de l'Immigration devait faire rapport annuellement au Parlement sur l'application de l'ACS et les résultats obtenus. […] À moyen terme, en travaillant notamment avec nos collègues de Condition féminine Canada, j'ai constaté que l'obligation législative avait exercé une influence sur la culture du ministère en raison de l'obligation de faire rapport annuellement. Nous avons eu à nous constituer immédiatement la capacité nécessaire dans le ministère afin de satisfaire à l'obligation législative, ce qui a eu une incidence par rayonnement dans le ministère.[11]

Voilà qui devrait servir de modèle à tous les ministères.

Les témoins ont présenté au Comité ce que devrait prévoir, selon eux, un bon projet de loi sur l’ACS :

  • un mécanisme de reddition de compte et de conformité accompagné d’un système de production obligatoire de rapports annuels;
  • un meilleur suivi de la fonction de « remise en question » assurée par les organismes centraux et les ministères et une meilleure responsabilisation à cet égard;
  • un système d’imputabilité pour tenir les hauts fonctionnaires responsables de la mise en œuvre de l’ACS au sein de leur ministère ou organisme.
  • un engagement politique de haut niveau et une structure de leadership clairement établie qui définit bien les rôles et responsabilités;
  • l’obligation pour les employés de tous les ministères et organismes de suivre une formation sur l’ACS;
  • la mise en place de programmes et de ressources pour la formation qui tiennent compte des responsabilités des différents ministères et organismes.

Nous exhortons le gouvernement à suivre les conseils de ces témoins et à tenir compte de ces facteurs au moment de mettre au point des mesures législatives exhaustives touchant l’ACS.

FINANCEMENT POUR CONDITION FÉMININE CANADA

Pour que le rêve du gouvernement touchant l’égalité des femmes devienne réalité, il faut accorder un financement additionnel à Condition féminine Canada. De nombreux témoins ont souligné la taille et les ressources limitées de l’organisation. Comme l’a indiqué Olena Hankivsky dans son témoignage :

Nous avons besoin de ressources financières et humaines pour faire ce travail, en particulier au Canada, où CFC est — depuis longtemps — extrêmement marginalisé et sous-financé. En réalité, il n'est pas surprenant que nous en soyons là où nous en sommes.[12]

Nous sommes d’accord avec le Comité lorsqu’il recommande que le gouvernement fournisse des ressources additionnelles à Condition féminine Canada, au-delà de ce qui a été annoncé dans le Budget 2016, pour s’assurer que l’organisme a les moyens requis pour superviser la pleine mise en œuvre de l’ACS dans tous les ministères et organismes. Nous invitons le gouvernement à agir rapidement pour s’assurer que ces ressources sont fournies à Condition féminine Canada afin de pleinement instaurer la pratique de l’ACS.

CONCLUSION

Le Nouveau Parti démocratique est impatient à l’idée d’étudier les mesures législatives mises de l’avant par le gouvernement pour assurer la mise en place de l’ACS dans tous les ministères et organismes et compte travailler avec les députés et députées de tous les partis pour répondre de manière plus équitable aux besoins de tous les Canadiennes et Canadiens.

Respectueusement soumis au nom du Nouveau Parti démocratique le 13 juin 2016.


[1] L’ACS va au-delà du genre et comprend l’examen de divers facteurs identitaires qui se recoupent (tels que l’âge, l’éducation, la langue, le lieu de résidence, la culture, le revenu, l’origine ethnique, le statut d’Autochtone, l’orientation sexuelle, le handicap et le statut migratoire).

[2] FEWO, Témoignages, 25 février 2016, Nancy Cheng (vérificatrice générale adjointe, Bureau du vérificateur général du Canada).

[3] YWCA Canada, Investissements généraux : Voir l’analyse différenciée selon les sexes d’un œil sérieux en 2016, mémoire, 12 mai 2016.

[4] YWCA Canada, “Making Broad Investments: Taking Gender-Based Analysis Seriously in 2016,” Submitted Brief, 12 May 2016. 

[5] FEWO, Témoignages, 5 mai  2016, Nancy Cheng (vérificatrice générale adjointe, Bureau du vérificateur général du Canada).

[6] Selon le rapport de 2015, le ministère de l’Emploi et du Développement social n’a pas réalisé des ACS complètes pour deux des quatre initiatives faisant partie de l’échantillon. Le ministère des Affaires autochtones et du Nord canadien  n’a pas réalisé des ACS complètes pour une des quatre initiatives faisant partie de l’échantillon.

[7] Témoignages, 5 mai 2016, 1700 (Neil Bouwer, sous-ministre adjoint, Intégration des sciences et des politiques, ministère des Ressources naturelles). 

[8] Témoignages, 10 mai 2016, 1540 et 1545 (Renée LaFontaine, secrétaire adjointe, Secteur des services ministériels et dirigeante principale des finances, Secrétariat du Conseil du Trésor).

[9] Témoignages, 12 mai 2016,1620 (Cindy Hanson, professeure agrégée, Éducation aux adultes, Université de Regina, et présidente désignée, Institut canadien de recherches sur les femmes, à titre personnel). 

[10] Témoignages, 12 mai 2016,1605 (Olena Hankivsky, professeure, School of Public Policy, Université Simon Fraser, à titre personnel).

[11] Témoignages, 3 mai 2016, 1635 (Fraser Valentine, directeur général, Politiques stratégiques et planification, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration). 

[12] Témoignages, 12 mai 2016,1605 (Olena Hankivsky, professeure, School of Public Policy, Université Simon Fraser, à titre personnel).