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FAAE Rapport du Comité

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FAIRE PROGRESSER NOS RELATIONS : LA MODERNISATION DE L’ALENA ET LA COOPÉRATION TRILATÉRALE EN AMÉRIQUE DU NORD

INTRODUCTION

Le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes (le Comité) s’est rendu en mission à Mexico, à New York et à Washington du 22 au 27 octobre 2017. Ce voyage permettait au Comité de discuter de l’Accord de libre‑échange nord‑américain (ALENA) et d’autres domaines d’intérêt commun avec des législateurs, des décideurs et d’autres intervenants. Cette mission s’inscrit dans la foulée de l’étude en ce moment menée par le Comité sur les États‑Unis, la coopération trilatérale en Amérique du Nord et la politique étrangère du Canada. Avant ce voyage, le Comité avait tenu six réunions à Ottawa et entendu des témoins lors de celles‑ci, toujours dans le cadre de cette étude[1].

La mission du Comité au Mexique et aux États‑Unis s’est déroulée peu après la conclusion de la quatrième ronde de négociations sur la modernisation de l’ALENA. Même si la déclaration trilatérale publiée par les parties aux négociations indique que des progrès ont été marqués par divers groupes de négociation, il est évident que les parties ne se rejoignent toujours pas sur certains points fondamentaux. Lors d’une conférence de presse conjointe [disponible en anglais seulement], la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a déclaré que plusieurs demandes non conventionnelles formulées par les États‑Unis rendaient la négociation de cet accord commercial trilatéral beaucoup plus ardue. Le secrétaire de l’Économie du Mexique, Ildefonso Guajardo, a pressé les trois pays d’adopter une approche constructive dans le cadre des pourparlers de manière à éviter une situation où tous seraient perdants. Le représentant au Commerce des États‑Unis, Robert Lighthizer, s’est quant à lui dit déçu de constater que les partenaires commerciaux de son pays opposent tous deux de la résistance au changement.

La mission du Comité a eu lieu à un moment à la fois propice et important. En effet, comme elle s’est déroulée entre la quatrième et la cinquième ronde de négociations, les membres du Comité ont pu discuter en toute franchise avec des législateurs de la Chambre haute et de la Chambre basse des deux pays, en l’occurrence le Sénat et la Chambre des députés du Mexique et le Sénat et la Chambre des représentants des États‑Unis. Ils ont également pu s’entretenir directement avec des représentants de plusieurs groupes industriels et groupes d’entreprises ainsi qu’avec des spécialistes de la politique publique.

Le rapport qui suit résume les principales constatations du Comité à la suite de sa mission à Mexico et à Washington[2]. Il présente également les recommandations formulées au gouvernement du Canada en ce qui concerne les pourparlers sur la modernisation de l’ALENA et les possibilités de renforcer la coopération bilatérale entre le Canada et le Mexique et entre le Canada et les États‑Unis.

DYNAMIQUE ACTUELLE ET ENJEUX ASSOCIÉS À LA MODERNISATION DE L’ALENA

1. Dégager un consensus à l’égard du renforcement de l’ALENA

Le Comité estime qu’il est important de moderniser l’ALENA et de prendre rapidement des mesures en ce sens. En effet, le monde a beaucoup évolué depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA, le 1er janvier 1994; à cette époque, il s’agissait de l’accord de libre‑échange le plus complet jamais négocié, et il contenait plusieurs dispositions révolutionnaires touchant les investissements, la propriété intellectuelle et le règlement des différends. Cela dit, au fil des ans, les percées technologiques et scientifiques ont modifié radicalement les méthodes de production dans les secteurs de l’agriculture, de la fabrication et des ressources naturelles, entre autres. De plus, Internet et le commerce électronique font maintenant partie de la vie courante des gens et ont révolutionné le commerce international. L’intégration commerciale en Amérique du Nord s’est accrue, certes, mais de profonds changements ont également été apportés aux accords de sécurité continentaux et bilatéraux depuis la conclusion de l’ALENA, et la circulation transfrontalière des personnes a aussi augmenté. Au cours des 24 dernières années, des irritants commerciaux récurrents sont également apparus, et ils ne sont pas abordés dans l’ALENA ou n’ont pas pu être réglés adéquatement en ayant recours au mécanisme de règlement des différends qui y est prévu.

Par conséquent, de nombreuses raisons nous motivent à moderniser et à améliorer l’ALENA, qui est entré en vigueur il y a 24 ans. En fait, le projet de modernisation de l’ALENA est l’un des facteurs ayant incité le Canada, le Mexique et les États‑Unis à participer aux négociations relatives au Partenariat transpacifique. Ce partenariat, conclu en octobre 2015, regroupait 12 pays de l’Asie‑Pacifique, mais à titre de comparaison, bon nombre de ses dispositions étaient beaucoup plus strictes que celles de l’ALENA, notamment les dispositions sur la propriété intellectuelle. En fait, de nombreux observateurs ont vu dans le Partenariat transpacifique une occasion indirecte d’améliorer l’ALENA et de l’adapter aux réalités du XXIe siècle.

Malheureusement, en décidant de retirer son pays du Partenariat transpacifique peu après son arrivée au pouvoir, le président Trump a en fait rejeté l’accord dans sa forme originale[3]. Le Partenariat transpacifique a été conçu de façon à entrer en vigueur uniquement si six des pays représentant 85 % du produit intérieur brut (PIB) de l’ensemble de l’espace géographique ratifient l’accord, mais concrètement, cette structure a accordé un droit de veto aux États‑Unis. Même si la décision des États‑Unis de se retirer du Partenariat transpacifique a été une source de déception, elle a donné au Canada, au Mexique et aux États‑Unis une nouvelle occasion de collaborer afin de moderniser directement l’ALENA, en se fondant sur les éléments de l’accord original.

Le Comité estime que les négociations sur la modernisation de l’ALENA devraient être axées sur cet objectif; ainsi, elles devraient viser à renforcer l’accord, et non à l’affaiblir. Cela dit, le Comité est inquiet, car de nombreuses propositions formulées jusqu’à maintenant dans le cadre des négociations pourraient miner l’ALENA de même que le renforcement de l’intégration et de la coopération en Amérique du Nord si elles se concrétisaient. Qui plus est, le Comité est d’avis que certaines propositions présentées par les États‑Unis iraient à l’encontre de l’intégration ou créeraient, si elles étaient retenues, un contexte instable pour les affaires, le commerce et les investissements, et ce, dans les trois pays.

Par exemple, la proposition du représentant au Commerce des États‑Unis consistant à inclure une disposition de temporisation dans l’ALENA afin que celui‑ci expire automatiquement dans cinq ans, à moins qu’il soit de nouveau approuvé, créerait beaucoup d’incertitude pour les industries. En effet, les entreprises qui voudraient faire des investissements dans l’un des trois pays n’auraient plus l’assurance d’avoir accès de façon continue aux marchés. On peut en dire autant de la proposition consistant à éliminer le mécanisme de règlement des différends, ou le chapitre 19, qui porte sur les droits compensateurs et antidumping. L’élimination du mécanisme de règlement des différends prévu dans l’ALENA minerait la confiance des entreprises à l’égard de l’équité du commerce en Amérique du Nord et leur capacité de régler les différends commerciaux rapidement et de manière objective.

Pendant sa mission d’étude, le Comité a appris qu’en fait, deux séries de négociations relatives à l’ALENA sont en cours à l’heure actuelle. La première série porte sur la modernisation de l’accord et est menée par les groupes de négociation officiels. Les représentants ont marqué des progrès en ce qui concerne les chapitres relatifs à la concurrence, aux douanes et à la facilitation des échanges, au commerce numérique et à la réglementation, entre autres. L’autre série s’effectue en partie dans la sphère publique et est caractérisée par diverses propositions, notamment la clause de temporisation de cinq ans. Le Canada, le Mexique et les États‑Unis devraient axer leurs efforts sur les chapitres thématiques et sectoriels sur lesquels ils s’accordent généralement et, dans la mesure du possible, tenter de conclure les négociations sur le sujet.

Plus précisément, le Comité estime qu’à ce jour, il n’a pas réellement été question d’une vision plus globale pour l’ALENA et l’intégration en Amérique du Nord dans le cadre des pourparlers commerciaux. L’ALENA ne porte pas seulement sur les droits de douane. À la base, il s’agit surtout d’un cadre visant à favoriser les échanges économiques entre les peuples partout en Amérique du Nord. À cet égard, le Comité estime que plusieurs éléments progressistes ayant été présentés par le Canada dans le cadre des négociations sur la modernisation pourraient interpeller des gens des trois pays. Plus particulièrement, le Comité croit que la proposition du Canada, qui vise à renforcer la protection des travailleurs et les normes du travail, pourrait susciter l’intérêt des gouvernements du Mexique et des États‑Unis. La pleine intégration des droits fondés sur le genre et des droits des Autochtones dans l’ALENA est un autre aspect qui pourrait faire l’objet d’un vaste consensus et qu’il convient d’approfondir.

Recommandation 1

L’ALENA doit être modernisé afin de mieux traduire les nouvelles réalités économiques et mondiales et de répartir plus équitablement les avantages du commerce. Le gouvernement du Canada devrait continuer de travailler avec ses partenaires de négociation du Mexique et des États‑Unis pour les inciter à inclure des éléments progressistes dans la version modernisée de l’ALENA, notamment en ce qui concerne les droits des travailleurs, les droits en matière d’environnement, les droits fondés sur le genre et les droits des Autochtones.

2. Conclure un bon accord dans un délai raisonnable

Le Comité est d’avis que le rythme des négociations sur la modernisation de l’ALENA doit ralentir. En effet, l’échéancier fixé au départ pour la conclusion des pourparlers, qui devaient se terminer d’ici la fin de 2017, n’était ni réaliste ni raisonnable. Le Comité se réjouit que les parties aient convenu de prendre une plus longue pause entre la quatrième et la cinquième ronde de négociations et aient déjà prévu d’autres rondes de négociation pendant le premier trimestre de 2018. Il est certes important de conclure un accord, mais celui‑ci doit être avantageux pour les trois pays. Les enjeux sont extrêmement importants, et donc, il convient de ne pas précipiter les négociations.

Il est impératif de repousser l’échéance du processus de modernisation, étant donné que des élections fort importantes auront lieu au Mexique et aux États‑Unis en 2018. Ainsi, le Mexique tiendra des élections présidentielles, législatives et locales en juillet, tandis que les États‑Unis, eux, organiseront des élections de mi-mandat au Congrès en novembre. Dès le début des pourparlers, les gouvernements du Mexique et des États‑Unis ont souligné qu’ils souhaitaient conclure les négociations avant la fin de 2017 afin qu’elles n’aient pas d’incidence sur leurs campagnes électorales respectives. Maintenant que les négociations se poursuivront en 2018, il semble fort peu probable qu’on réussisse à dissocier les pourparlers relatifs à l’ALENA des campagnes électorales.

À Mexico et à Washington, le Comité a appris qu’à mesure que les élections approcheront, les négociations seront de plus en plus politisées. Plusieurs interlocuteurs ont déclaré au Comité que lorsque les pourparlers relatifs à l’ALENA et les cycles électoraux convergeront, il y aura fort probablement de plus en plus de discours politiques et de nouvelles menaces de nationalisme et de protectionnisme économiques, ce qui aura pour conséquence d’accroître l’incertitude pour les entreprises.

Il importe de se souvenir qu’il a fallu 14 mois de négociations intensives pour convenir des modalités de l’ALENA en 1992. Depuis, le Canada a signé plusieurs autres accords de libre‑échange bilatéraux, et dans la majorité des cas, il a fallu beaucoup plus de temps pour les conclure. Les accords de libre‑échange sont complexes, surtout lorsqu’ils visent plus de deux pays. Le Comité appuie l’objectif énoncé par les partenaires aux négociations, qui prévoit la conclusion d’un accord dans un délai raisonnable. Toutefois, il est d’avis que la période de négociation doit être suffisamment longue pour que toutes les parties aient le temps de conclure un accord qui leur convient et qui constitue une assise solide et mutuellement avantageuse sur le plan économique pour de nombreuses années à venir.

Recommandation 2

Le gouvernement du Canada devrait exhorter ses homologues du Mexique et des États‑Unis à ne pas établir d’échéanciers arbitraires pour la conclusion des pourparlers sur la modernisation de l’ALENA et à appuyer en lieu et place le travail de leurs négociateurs respectifs pour qu’ils concluent le meilleur accord qui soit dans un délai raisonnable.

3. Établir des partenariats et communiquer des renseignements exacts sur l’ALENA

Un observateur externe qui écoute certains discours politiques sur l’ALENA pourrait croire que tous détestent cet accord et qu’il a été désastreux pour l’Amérique du Nord. Or, les données dont nous disposons montrent que ce n’est pas le cas. Selon un récent sondage [disponible en anglais seulement] effectué par le Pew Research Centre, l’ALENA jouit de l’appui de la majorité des habitants des trois pays[4]. Malgré le fait que c’est aux États‑Unis que l’appui à l’ALENA est le plus faible, même là‑bas, le soutien manifesté à l’égard de cet accord a augmenté au cours de la dernière décennie. On a invité le Comité à prendre connaissance d’une étude [disponible en anglais seulement] récente menée par le Chicago Council on Global Affairs, qui montre que 53 % des Américains estiment que l’ALENA est bon pour l’économie; il s’agit d’une hausse, car cette proportion n’était que de 42 % en 2008[5].

Ces chiffres sont importants, car ils montrent l’existence d’un problème souligné par certains interlocuteurs au Mexique et aux États‑Unis. Comme le Comité l’a entendu pendant sa mission d’étude, bien souvent, il est plus difficile d’illustrer les avantages du commerce (qui permet, par exemple, d’améliorer la compétitivité et de mieux intégrer les chaînes d’approvisionnement) que de montrer ses conséquences inattendues. Pour ceux qui ont perdu leur emploi ou qui se sentent laissés pour compte par l’économie numérique et la mondialisation, c’est parfaitement compréhensible. Cela dit, s’il est nécessaire de moderniser l’ALENA, c’est précisément parce que nous devons veiller à ce que les avantages du commerce soient partagés plus équitablement.

Qui plus est, le Comité est d’avis que les dirigeants politiques et les chefs d’entreprise des trois pays doivent faire mieux pour communiquer des renseignements exacts sur l’ALENA et expliquer quelle serait l’incidence de la rupture de cet accord sur les travailleurs. Il y a encore beaucoup de désinformation sur les répercussions que l’ALENA a eues au cours des 24 dernières années, plus particulièrement aux États‑Unis, où il a été jugé responsable de la perte de millions d’emplois. Il convient également de souligner encore et encore que les États‑Unis ont un excédent commercial avec le Canada lorsque les produits et services sont comptés, malgré le fait que certains prétendent le contraire. La réalité, c’est que dans l’ensemble, l’ALENA a donné lieu à beaucoup de nouvelles possibilités pour les entreprises américaines, dans de nombreux secteurs. Selon la Chambre de commerce des États‑Unis [disponible en anglais seulement], les échanges commerciaux avec le Canada et le Mexique soutiennent 14 millions d’emplois aux États‑Unis; de ce nombre, 5 millions sont soutenus par l’augmentation des échanges commerciaux découlant de l’ALENA. En outre, l’ALENA a également donné lieu à d’autres changements positifs qui ne sont pas pris en compte dans les statistiques sur le commerce; par exemple, il a contribué à favoriser le développement démocratique au Mexique et la transition vers une économie plus orientée vers les marchés.

Les chefs d’entreprise et les groupes industriels des États‑Unis et du Mexique peuvent être de bons alliés pour le Canada en ce qui concerne la communication de renseignements exacts sur l’ALENA. Pendant sa visite à Washington, le Comité a appris l’existence d’une lettre [disponible en anglais seulement] signée récemment par plus de 310 chambres de commerce de divers États et villes des États‑Unis, dans laquelle elles mettent l’accent sur les avantages que l’ALENA a apportés aux agriculteurs, aux éleveurs, aux fabricants, et aux gens d’affaires d’autres industries des États‑Unis. La lettre indique que depuis 1993, les exportations agricoles des États‑Unis vers le Canada et le Mexique ont quadruplé et que le Canada et le Mexique sont les deux principaux marchés de produits manufacturés des États‑Unis dans le monde. S’il veut plaider en faveur de l’ALENA comme il l’entend, le gouvernement du Canada doit s’assurer d’établir des relations avec des groupes industriels et les syndicats qui partagent ses vues, tant aux États‑Unis qu’au Mexique.

Recommandation 3

Le gouvernement du Canada devrait travailler avec des groupes d’entreprises, des syndicats et d’autres intervenants du Mexique et des États‑Unis pour s’assurer que des renseignements exacts sur l’ALENA sont communiqués, y compris en diffusant de l’information expliquant en quoi la rupture de l’ALENA aurait une incidence négative sur l’économie du Mexique, des États‑Unis et du Canada.

RENFORCEMENT DU PARTENARIAT ENTRE LE CANADA ET LE MEXIQUE

Pendant sa mission à Mexico, le Comité s’est réjoui de constater l’enthousiasme et l’intérêt réels manifestés par les interlocuteurs locaux envers le Canada et sa relation avec le Mexique. La majorité des législateurs, des universitaires et des représentants du secteur privé que le Comité a rencontrés s’entendaient sur l’importance et le potentiel des relations bilatérales entre le Canada et le Mexique. Les relations entre les deux pays, qui étaient surtout fondées sur le commerce, s’étendent maintenant à de nombreux autres domaines, y compris la coopération entre les peuples, notamment dans les secteurs de l’éducation et du tourisme. Certaines personnes ont expliqué au Comité que les liens établis aux plus hauts échelons politiques, y compris les visites réciproques du premier ministre du Canada et du président du Mexique, de même que les nombreux voyages effectués par des ministres des deux pays, ont favorisé l’établissement de relations plus solides et mieux structurées.

Tout comme les Canadiens, les Mexicains réévaluent les relations qu’ils entretiennent avec leur plus grand voisin et examinent avec un intérêt renouvelé la possibilité de nouer des liens avec d’autres partenaires, compte tenu de l’évolution de la situation politique aux États‑Unis et de l’incertitude qui en découle. Le Comité s’est fait dire que le Canada et le Mexique doivent examiner de nouvelles possibilités d’engagement bilatéral. Le Comité croit que de larges segments de la société civile, dont les organismes de défense des droits de la personne et les centrales syndicales, et du secteur privé s’intéressent eux aussi à l’idée de renforcer les liens entre le Canada et le Mexique, tout comme les législateurs et les représentants du gouvernement. Dans ce contexte, le Comité est convaincu que le moment est tout indiqué pour renforcer et accroître l’engagement du Canada avec le Mexique, tant en matière de coopération économique que dans d’autres domaines d’intérêt commun.

1. Coopération économique

Au Mexique, les discussions ont surtout été axées sur les négociations relatives à l’ALENA. Le Comité a entendu à maintes reprises qu’au Mexique, l’ALENA et l’intégration en Amérique du Nord bénéficient d’un appui généralisé. Les législateurs et d’autres intervenants du Mexique se sont réjouis que le Canada réaffirme la nature trilatérale de l’ALENA dès le début des négociations, et bon nombre d’entre eux se sont dits convaincus que la vision du Canada et du Mexique en ce qui concerne la modernisation de l’ALENA est similaire. La coopération continue entre les deux équipes de négociation a fréquemment été présentée comme étant l’un des meilleurs moyens d’atteindre un but commun en concluant un partenariat économique élargi.

Même s’il s’agit là de bonnes raisons d’être optimistes, on a aussi observé beaucoup de pessimisme au Mexique en ce qui concerne les négociations relatives à l’ALENA. Nombreux sont ceux qui s’attendent à ce que les États‑Unis se retirent de l’ALENA, s’y préparent et se demandent ce que ce retrait représenterait pour l’économie du Mexique. Le Comité a appris que le gouvernement du Mexique cherche activement à diversifier ses relations commerciales afin de réduire sa dépendance économique envers les États‑Unis. Pour ce faire, il souhaite conclure des accords de libre‑échange à l’extérieur de l’Amérique du Nord, notamment dans le cadre de l’Alliance du Pacifique ou de l’Accord progressiste et global pour un Partenariat transpacifique. Advenant le cas où les États‑Unis se retireraient de l’ALENA, plusieurs interlocuteurs mexicains ont exprimé le souhait que celui‑ci serve de fondement à un accord bilatéral entre le Canada et le Mexique. Le Comité est d’avis que la stratégie du Mexique, tant en ce qui concerne les négociations relatives à l’ALENA que sa politique commerciale en général, correspond aux intérêts du Canada et représente une occasion d’accroître la coopération.

Recommandation 4

Le gouvernement du Canada devrait collaborer avec le gouvernement du Mexique pour atteindre des objectifs communs dans le cadre des négociations relatives à l’ALENA, tout en favorisant les partenariats économiques progressistes avec le Mexique dans des contextes autres que l’ALENA, notamment dans le cadre des accords commerciaux multilatéraux régionaux, comme l’Alliance du Pacifique et l’Accord progressiste et global pour un Partenariat transpacifique.

2. Politique étrangère et liens entre les peuples

Même si le commerce a été le principal sujet de discussion du Comité à Mexico, celui‑ci a également entendu parler de divers autres domaines où la coopération entre le Canada et le Mexique pourrait être renforcée. En 2016, l’élimination des exigences relatives aux visas imposées aux visiteurs mexicains et la volonté du Mexique d’aborder les préoccupations du Canada à l’égard des demandeurs d’asile ont été deux facteurs importants qui ont contribué à l’amélioration des relations bilatérales. De même, divers intervenants ont souligné que le Programme des travailleurs agricoles saisonniers du Canada est avantageux pour les deux pays. À Mexico, certains interlocuteurs ont proposé d’élargir le programme pour pouvoir combler d’éventuelles pénuries de main‑d’œuvre dans d’autres secteurs au Canada, comme le tourisme et la construction, qui emploient aussi un grand nombre de travailleurs saisonniers. L’élargissement du programme à ces fins permettrait notamment au Canada d’avoir accès aux nombreux travailleurs qualifiés du Mexique.

L’éducation est un autre domaine dont il a été question. Le Comité a ainsi appris que les liens ne cessent de se resserrer et qu’il est possible de renforcer l’engagement dans ce secteur. Plus d’étudiants du Mexique choisissent  d’étudier au Canada, et les liens entre les universités canadiennes et mexicaines sont grandissants. Le Comité s’est fait dire que de nombreux jeunes Mexicains cherchent à étudier ailleurs dans le monde qu’aux États‑Unis; il pourrait donc s’agir d’une belle occasion à saisir pour le Canada.

Enfin, on a expliqué au Comité ce que le Canada et le Mexique pourraient faire pour miser sur leurs valeurs et leurs positions communes dans divers secteurs de la politique étrangère. Le Mexique a fait preuve de leadership dans le domaine du changement climatique et relativement à la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat, qui sont aussi des priorités pour le Canada. Le Comité a appris que le Mexique veut jouer un rôle plus important dans les efforts déployés à l’échelle internationale pour assurer la paix et la sécurité, notamment le maintien de la paix. Le Comité est d’avis que ces domaines représentent d’importantes occasions de nouer un dialogue et des partenariats et que le Canada devrait saisir ces possibilités.

Recommandation 5

Le gouvernement du Canada devrait continuer de renforcer sa coopération avec le Mexique dans le domaine de la politique étrangère et favoriser les liens sans cesse grandissants entre les peuples des deux pays, notamment dans le cadre d’échanges de travailleurs et d’étudiants mutuellement avantageux.

ATTÉNUATION DE LA POLARISATION

Les négociations relatives à l’ALENA se déroulent à un moment où de nombreuses personnes partout dans le monde remettent en question les avantages du libre‑échange et l’importance d’une meilleure intégration commerciale et du renforcement des liens entre les peuples. Le scepticisme entourant l’ALENA met en évidence ce phénomène mondial. Par contre, au Canada, le débat sur l’importance du libre‑échange est à peu près clos. En effet, trois décennies après une campagne électorale dont l’enjeu principal était le libre‑échange, à l’heure actuelle au Canada, les trois partis politiques officiels appuient l’ALENA et sa modernisation. Cela ne veut toutefois pas dire que les partis politiques canadiens s’entendent sur tous les aspects des accords de libre‑échange ou sur les priorités du gouvernement du Canada dans le cadre des négociations sur la modernisation de l’ALENA; en effet, ils ont des opinions différentes à ce sujet. Cela dit, dans l’ensemble, les principaux partis politiques du Canada appuient le libre‑échange et reconnaissent l’importance des échanges commerciaux pour l’économie canadienne.

Le Comité croit que ce consensus représente un avantage sur lequel le Canada peut miser. Pendant les réunions à Washington, le Comité a appris qu’à l’heure actuelle, aux États‑Unis, le débat est très polarisé. Le Comité s’est aussi fait dire que le Canada devrait continuer de miser sur une stratégie pragmatique, constructive et fondée sur des faits dans le cadre des négociations relatives à l’ALENA et collaborer avec de nombreux membres du Congrès et intervenants à travers les États‑Unis.

La collaboration avec les membres du Congrès est un élément clé de cette stratégie. Pendant sa mission, le Comité a entendu à maintes reprises que c’est le Congrès qui détient le pouvoir en ce qui concerne la politique commerciale des États‑Unis. Or, même si le Congrès a confié la responsabilité de l’autorité pour la promotion du commerce à l’exécutif, ce qui permet au représentant au Commerce des États‑Unis de renégocier l’ALENA, au bout du compte, c’est le Congrès qui sera responsable de la mise en œuvre d’un nouvel accord puisque c’est lui qui adoptera le texte législatif de celui‑ci. Le Comité estime donc qu’il est essentiel de collaborer avec les membres du Congrès pour promouvoir les intérêts du Canada et veiller à ce qu’ils soient protégés.

Dans cet ordre d’idées, le Comité est d’avis que les parlementaires canadiens doivent continuer de collaborer avec leurs homologues des États‑Unis et d’inciter les délégations du Congrès à visiter le Canada. Les parlementaires canadiens et les représentants du gouvernement devraient également collaborer avec les représentants des États des États‑Unis, à l’extérieur de Washington, et inciter aussi les délégations du Congrès à se rendre ailleurs qu’à Ottawa afin de mieux comprendre ce qu’est le Canada.

Quant au Comité, il entend discuter régulièrement avec les comités du Congrès des États‑Unis responsables des affaires étrangères, de même qu’avec les comités homologues du Congrès du Mexique. Le Comité estime que des contacts plus fréquents entre les membres de ces comités permettraient non seulement de discuter de solutions communes à des problèmes mondiaux, mais aussi de promouvoir une meilleure coopération trilatérale en Amérique du Nord. Le Comité est d’avis que rien ne peut remplacer les contacts personnels lorsqu’on tente de mieux comprendre les défis mutuels.

À cet égard, pendant sa visite à Washington, le Comité a entendu parler d’un programme d’échange fort intéressant pour les législateurs et les jeunes, qui a été établi par les États‑Unis avec l’Allemagne. Des représentants du département d’État des États‑Unis ont attiré l’attention sur le Congress-Bundestag Youth Exchange Program [disponible en anglais seulement], dans le cadre duquel des élèves du secondaire des États‑Unis étudient en Allemagne et participent à des excursions culturelles au Bundestag et dans certaines villes d’Allemagne. Le Comité estime que les échanges jeunesse de ce type constituent une excellente façon de favoriser l’apprentissage mutuel entre des pays et peuvent avoir d’énormes retombées économiques, politiques et culturelles pendant de nombreuses années.

Recommandation 6

Le gouvernement du Canada devrait travailler avec des représentants du Mexique et des États‑Unis ainsi qu’avec des intervenants du milieu de l’éducation et du secteur privé afin d’établir de nouveaux mécanismes de dialogue et d’échange en Amérique du Nord, y compris des échanges jeunesse.

CONCLUSION

Le Comité estime que l’ALENA a été la pierre angulaire d’une coopération économique mutuellement avantageuse pour le Canada, le Mexique et les États‑Unis pendant plus de 24 ans et qu’il a contribué à favoriser de bonnes relations entre les trois pays en ce qui concerne une vaste gamme d’enjeux bilatéraux. Cela ne signifie pas que l’ALENA est un accord parfait et qu’il ne peut pas être amélioré. Il peut l’être et il doit être modernisé pour être mieux adapté aux nouvelles réalités économiques et mondiales et faire en sorte que les avantages du commerce soient distribués plus équitablement.

Même si le Comité appuie fermement le principe de modernisation du commerce, il est préoccupé par certaines propositions formulées lors des rondes de négociation. Plus particulièrement, le Comité est d’avis que plusieurs propositions présentées par le représentant au Commerce des États‑Unis pendant la quatrième ronde de négociations vont à l’encontre de l’intérêt supérieur des trois pays ou d’une coopération trilatérale plus vaste en Amérique du Nord. Le Comité estime également que les pourparlers ne doivent pas être limités par des délais arbitraires. Le Comité croit que les négociateurs devraient se concentrer sur les domaines où un consensus pourra être dégagé de manière à conclure un accord mutuellement avantageux qui fera progresser le partenariat nord‑américain.

Dans le contexte du renforcement des relations nord‑américaines, le Comité est convaincu que le Canada devrait tenter de trouver des domaines où il pourrait renforcer son partenariat avec le Mexique. Par exemple, il pourrait favoriser la conclusion d’autres partenariats économique avec le Mexique, qui s’ajouteraient à l’ALENA, de même que la coopération dans certains dossiers liés à la politique étrangère, comme le changement climatique et la paix et la sécurité à l’échelle internationale. Sur le plan stratégique, afin de renforcer les relations existantes, le Canada pourrait également favoriser les échanges entre les peuples, y compris les échanges jeunesse, entre le Canada, les États‑Unis et le Mexique.

Depuis que le Comité est rentré au pays après sa mission, la cinquième et sixième rondes de négociations ont eu lieu. Le Comité espère que toutes les parties verront les prochaines rondes de négociations comme une occasion de renforcer le partenariat nord‑américain et de voir au renouvellement d’un pacte de commerce continental réellement avantageux pour les trois pays.


[1]              Voir Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes, « Les États-Unis et la politique étrangère du Canada », Travaux.

[2]              Un autre rapport portant sur l’engagement multilatéral du Canada, qui comprendra les observations faites par le Comité à la suite de ses rencontres avec des représentants des Nations Unies à New York, le 25 octobre 2017, sera publié ultérieurement.

[3]              Depuis que les États‑Unis se sont retirés du Partenariat transpacifique, les 11 autres signataires ont poursuivi leurs discussions en vue de conclure un nouvel accord commercial pour l’Asie‑Pacifique. Le 10 novembre 2017, au cours d’une réunion au Vietnam, les 11 parties aux négociations ont convenu de renommer le pacte commercial proposé l’Accord progressiste et global pour un Partenariat transpacifique. Voir gouvernement du Canada, Accord progressiste et global pour un Partenariat transpacifique.

[4]              Au total, 74 % des répondants canadiens ont déclaré que l’ALENA a été avantageux pour le Canada, tandis que 17 % ont affirmé qu’il a nui à notre pays. Au Mexique, 60 % des répondants ont convenu que l’accord a été avantageux pour leur pays, alors que 33 % étaient d’avis qu’il ne l’était pas. Aux États‑Unis, 51 % des répondants ont dit que l’accord a été favorable pour leur pays, tandis que 39 % ont fait valoir qu’il ne l’a pas été.

[5]              Plus particulièrement, le sondage indique que les gens sont de plus en plus divisés aux États‑Unis en ce qui concerne l’ALENA, pour des raisons partisanes. Selon le sondage, l’appui à l’ALENA se situe à 71 % chez les démocrates, mais à 34 % chez les républicains.