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NDDN Rapport du Comité

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SOINS OFFERTS AUX MILITAIRES CANADIENS MALADES OU BLESSÉS
RAPPORT DISSIDENT, JOYCE MURRAY, DÉPUTÉE

Le gouvernement doit prioriser davantage les soldats malades ou blessés

Les libéraux estiment que nous avons l’obligation sacrée d’offrir un soutien complet aux membres des Forces armées canadiennes (FAC) malades ou blessés ainsi qu’à leur famille, en reconnaissance de leur service au pays. Nous souhaitons remercier les témoins qui ont exprimé leurs opinions et idées, les Services de la procédure qui ont assuré le bon déroulement des travaux du Comité, et particulièrement les analyses de la Bibliothèque du Parlement pour leur contribution majeure à l’étude du Comité permanent de la défense nationale sur les soins offerts aux militaires canadiens malades ou blessés.

Une grande partie du rapport du Comité rend compte avec justesse des témoignages entendus, mais les recommandations formulées, malheureusement, ne reflètent pas l’urgence des enjeux ni les inquiétudes très réelles exprimées lors de bon nombre des comparutions. Nous approuvons l’attention portée notamment à la maladie mentale et aux préjugés qui l’entourent, ou encore à l’importance de l’appui à la transition, mais le thème général du rapport, que révèlent des expressions comme « continue d’appuyer » ou « continue de reconnaître », est que le gouvernement a commencé à agir. Or, ce n’est tout simplement pas le cas. Nous déplorons que les recommandations ne reflètent pas davantage les critiques adressées par de nombreux témoins et les autres préoccupations exprimées.

Par ailleurs, le Comité n’a accordé qu’un minimum d’attention à ce rapport, alors que, pendant plus de deux ans, de nombreux témoins ont comparu ou présenté des mémoires, et des intervenants ont assisté jour après jour à nos délibérations. Quand on considère la quantité et l’ampleur des témoignages recueillis, on ne peut que trouver complètement inacceptable le temps accordé à la discussion de ce rapport en comité, d’autant plus que les membres des FAC comptent sur le Parlement pour répondre à leurs besoins.

Manque de recommandations concrètes

Les recommandations formulées dans le rapport pèchent par leur manque de précision : le Parti libéral est souvent favorable à leurs concepts sous-jacents, mais nous trouvons qu’elles ne proposent pas au gouvernement suffisamment de mesures concrètes ou de jalons précis.

Douze des recommandations reprennent la même formule, soit « que le gouvernement continue de… », ou « maintienne… ». Or, selon ce qu’ils nous ont dit en comité ou ailleurs, les militaires malades ou blessés des FAC de même que leurs proches trouvent au contraire que le gouvernement est loin d’en faire assez. Se limiter à encourager le gouvernement à maintenir le cap, alors qu’il ne fait rien, c’est insulter ceux et celles qui nous ont fait part des insuffisances des soins reçus, et c’est fermer les yeux sur l’aide et la compassion que réclament nos militaires.

De même, plusieurs des recommandations se contentent « d’encourager » le gouvernement du Canada, le ministère de la Défense nationale (MDN) ou les Forces armées à agir. À titre d’exemple, on peut citer la recommandation 16, « Le Comité recommande que le gouvernement du Canada encourage l’achèvement de toutes les commissions d’enquête en cours sur des suicides de militaires », ou la recommandation 10, « Le Comité recommande que le gouvernement du Canada encourage les Forces armées canadiennes à mettre en œuvre une politique qui déconseille fortement aux supérieurs militaires de poser des questions de nature médicale à un subordonné, à moins qu’il y ait un risque immédiat pour la santé ou la sécurité du militaire ou de son unité ». Mais dans ces domaines, le Comité doit faire plus qu’encourager – il doit exiger de l’action.

Outre ces critiques globales, nous avons des préoccupations plus spécifiques sur la teneur – ou l’absence – de certaines recommandations.

Les services de santé mentale offerts aux blessés de l’Afghanistan sont inadéquats

Le Parti libéral est très préoccupé par les services de santé mentale offerts aux membres des FAC. Selon ce qu’a répondu le gouvernement à une question inscrite au Feuilleton en décembre 2013, plus de la moitié des bases des FAC n’ont même pas de psychiatre sur place, et 40 % des bases n’ont ni psychiatre, ni psychologue. Ce fait suffit à soulever des questions sérieuses sur le niveau des soins en santé mentale offerts aux militaires en sol canadien.

Malgré notre insistance, nous n’avons pas réussi à déterminer exactement, à partir des chiffres globaux à notre disposition, où exactement les ressources étaient affectées. Même les responsables du Ministère ne pouvaient pas répondre : lorsque nous avons demandé à la sous-ministre adjointe (Ressources humaines – Civils) du MDN combien des professionnels récemment embauchés étaient psychologues ou psychiatres, et combien de postes de psychologues ou psychiatres demeuraient à pourvoir, elle a répondu qu’elle « [n’avait] pas les chiffres en ce qui concerne les psychiatres ».

Ainsi, même un interrogatoire direct en comité parlementaire ne nous a pas permis d’obtenir des renseignements de base sur le niveau de dotation de postes cruciaux en santé mentale. Selon nous, il y a donc un manque de transparence à cet égard. C’est pourquoi nous recommandons :

Que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes rendent publics chaque trimestre le nombre de psychiatres, de psychologues, de médecins et d’infirmiers(ères) disponibles à chaque base/installation des FAC, ainsi que, pour chacune, le ratio entre patients et fournisseur de soins.

En ce qui concerne les soins offerts aux militaires canadiens à l’étranger, nous trouvons particulièrement préoccupant le manque de psychologues cliniciens en uniforme dans les FAC. Les soldats en sol canadien peuvent consulter un psychologue – si leur base en a un, au moins –, mais il s’agira d’un civil qui ne peut pas être déployé à l’étranger. Dans les théâtres d’opération internationaux, nos militaires doivent se tourner vers les services psychologiques assurés par nos alliés, ce qui crée, surtout pour les francophones, des difficultés non seulement culturelles mais linguistiques. Ce risque d’inégalité des soins selon la langue nous préoccupe et doit être étudié plus avant.

Ce n’est pas avec enthousiasme que les FAC ont parlé en comité de leur manque de psychologiques cliniciens en uniforme : il a fallu une demande d’accès à l’information pour apprendre que c’était pour elles un sujet de préoccupation. Ainsi, quand il a été interrogé directement à ce sujet, le Bgén Jean-Robert Bernier a déclaré que « jusqu'ici, nous n'en avions pas senti le besoin, car la seule raison pour laquelle nous aurions besoin qu'ils soient militaires, c'est s'il fallait les déployer sur un théâtre d'opérations ». Mais dans une note d’information rédigée par le directeur de la santé mentale des FAC, ce dernier a affirmé « qu'il est très probable qu'en embauchant des psychologues cliniciens militaires, on améliorerait grandement les services de santé mentale fournis aux membres des Forces canadiennes ». Le Bgén Bernier a par la suite signalé qu’une évaluation des besoins en recrutement de psychologues cliniciens en uniforme était « prévu[e] pour la fin d’avril ». Au moment d’écrire ces lignes en juin 2014, ce rapport n’a pas, à notre connaissance, été rendu public ni communiqué au Comité.

L’« universalité du service » empire les cas de TSPT

Le Parti libéral du Canada estime que l’universalité du service doit être revue, et qu’il faut soit modifier, soit supprimer ce principe. On appelle « universalité du service » l’idée selon laquelle chaque membre des FAC doit être déployable. Sinon, il ne peut pas rester dans l’armée, mais doit retourner à la vie civile.

Or, de nombreux militaires blessés expliquent qu’ils ne demandent pas d’aide parce qu’ils craignent d’être forcés de quitter l’armée.

Les règles sur l’universalité du service sont appliquées actuellement de telle sorte que des militaires sont forcés de quitter l’armée avant qu’ils ne soient prêts, et alors qu’ils veulent et peuvent continuer de servir. Ces règles doivent être réexaminées et améliorées.

Nous nous réjouissons que le rapport du Comité aborde la question de l’universalité du service, mais la recommandation 27 est trop modeste.

En 2009, le Comité avait « invit[é] le ministre de la Défense nationale et les Forces canadiennes à continuer de s’efforcer d’appliquer avec compassion les règles existantes concernant l’universalité du service », et recommandé que les soldats qui se rétablissent puissent continuer de servir au sein des FAC. Il faut en conclure que le Comité doit faire plus qu’« inviter ».

Tolérance zéro pour les agressions sexuelles dans les Forces armées canadiennes

Le Parti libéral est consterné par le manque de transparence sur la question des agressions sexuelles dans l’armée, et déplore qu’on ne s’engage pas clairement à les éliminer.

En effet, la question des agressions sexuelles n’est même pas mentionnée une seule fois dans le rapport – c’est une omission sérieuse, selon le Parti libéral du Canada. En effet, le lien entre les agressions sexuelles (en sol canadien ou étranger) et le trouble de stress post-traumatique (TSPT) – particulièrement chez les militaires de sexe féminin – n’est plus à démontrer.

Selon nous, il est nécessaire de viser la prévention et le traitement du TSPT causé par l’expérience du combat, mais aussi de cibler les autres causes de ce trouble chez les militaires, dont les agressions sexuelles. Le Parti libéral du Canada recommande donc :

Que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes procèdent à l’évaluation des programmes existants de prévention des agressions sexuelles dans le but de prévenir non seulement ces agressions, mais aussi leurs séquelles pour la santé mentale.

Il recommande en outre :

Que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes procèdent à l’évaluation du processus de réponse et des services de soutien accessibles aux victimes d’agression sexuelle dans les FAC, et s’assurent de l’intégration de ces services au système de soins en santé mentale, particulièrement pour le TSPT.

Enfin, le Parti libéral du Canada recommande :

Que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes publient chaque année un relevé des cas d’agression sexuelle survenus et des mesures prises pour réduire/éliminer cette réalité horrifiante.

Appui insuffisant aux soignants

Le parti libéral estime qu’il faut fournir davantage de ressources et d’aide aux familles, particulièrement aux conjoints, qui doivent assumer l’essentiel des soins aux membres des FAC malades et blessés. Pour reprendre les termes du Mgén David Millar : « Les familles sont essentielles à la survie de nos militaires. Leur partenaire est leur bouée de sauvetage. Ces personnes sont ici aujourd'hui ».

Selon nos calculs, sur les 32 recommandations présentées trois seulement font référence aux familles des militaires, et aucune ne mentionne la nécessité de répondre aux préoccupations de ces familles.

Dans son témoignage devant le Comité le 3 juin 2013, Mme Heather Allison, mère d’une membre des Forces armées revenue malade d’Afghanistan, a déclaré :

« Je n'ai pas beaucoup d'expérience dans ce domaine; ma fille vient de revenir. Elle est revenue depuis un an. Durant cette courte période, nous avons dû composer avec deux surdoses. La dernière est survenue en mars. Nous avons reçu un appel. En fait, c'est une amie, une autre compagne militaire, qui a téléphoné. La base ne m'a même pas téléphoné, ce que je trouve vraiment étrange, car je suis son plus proche parent. Elle est à la tête d'une famille monoparentale. Pourtant, je ne reçois pas d'appel.
C'est là un des problèmes que j'éprouve. Il semble que les parents n'ont aucun droit. Je sais qu'ils ne sont plus des enfants, mais ce sont encore nos enfants. Je suis certaine que votre mère veut toujours savoir où vous êtes, si vous conduisez sur la route, si vous êtes en sécurité. Eh bien, les parents de soldats sont pareils. »

Mme Allison a été avisée de la surdose de sa fille par une amie de cette dernière, plutôt que par les FAC. Elle en est tout de même la mère! Il faut absolument s’efforcer davantage d’intégrer les membres de la famille au traitement du personnel malade et blessé, avec le consentement de l’intéressé, et ce, non seulement lorsque ce dernier se trouve en détresse, mais pendant toute la durée du traitement.

À notre avis, les recommandations présentées dans le rapport ne reflètent pas l’importance du soutien des membres de la famille dans le traitement, ni n’appuient suffisamment les membres de la famille.

Une intervention transparente et délibérée du gouvernement s’impose

Les Libéraux estiment que l’amélioration des conditions de vie des membres des FAC malades et blessés constitue une grande priorité pour l’ensemble des Canadiens. Pendant les délibérations du Comité, les Libéraux ont soulevé des préoccupations concernant l’inertie de ce gouvernement à l’égard de bon nombre des 36 recommandations publiées dans le rapport de 2009 du Comité permanent de la défense nationale et portant sur les membres des FAC malades et blessés.

La plupart des recommandations y sont plus concrètes et mesurables et portent bien plus sur les préoccupations d’ordre pratique des membres des FAC malades et blessés et de leurs familles que celles présentées dans le rapport d’aujourd’hui. Par exemple, la recommandation 23 du rapport de 2009[1] mentionnait que :

« Le ministère de la Défense nationale devrait immédiatement fournir de meilleurs moyens de transport (comme des fourgonnettes modernes ou des autocars avec chauffeurs) dans les bases militaires isolées afin que les militaires et les membres de leur famille disposent d’un transport adéquat lorsqu’ils doivent se rendre à l’extérieur de la ville pour des services de soins de santé ou des rendez-vous médicaux ».

Il s’agit d’une recommandation claire et pratique qui, si elle avait été suivie, aurait vraiment amélioré la qualité de vie des membres des FAC blessés et de leurs familles, et pourtant, à ce que nous sachions, elle n’a pas été appliquée à l’échelle du pays.

Dans son témoignage devant le Comité, le Cpl Glen Kirkland a exprimé son mécontentement tant pour ce qui est de la distance entre le centre de traitement et sa base (Shilo) que des difficultés que ces déplacements représentent pour lui :

« C'était Deer Logde, à Winnipeg. Cela semble formidable, mais il faut deux heures et demie en voiture, et tout cela, les allers et retours, c'est tout simplement. [...] Je ne comprends pas vraiment pourquoi la principale clinique de santé mentale se trouve à deux heures et demie de la base des armes de combat la plus proche. »

Le Comité a entendu ce témoignage le 5 juin 2013. Si les recommandations initiales avaient été suivies et mises en place, les membres des FAC comme le Cpl Kirkland auraient eu un obstacle de moins à franchir dans leurs vies.

Il ne s’agit là que d’un exemple d’une tendance plus générale. Le gouvernement ne nous semble pas s’être efforcé d’assurer un suivi de la situation, en surveillant l’application des recommandations présentées dans le rapport de 2009 et en présentant des rapports sur le sujet. Nous recommandons donc :

Que le Comité permanent de la défense nationale demande au ministère de la Défense nationale et aux Forces armées canadiennes de présenter des rapports annuels sur le suivi des recommandations présentées ici et dans le rapport antérieur du Comité sur le TSPT, et de les lui soumettre pour examen.

À notre avis, cette mesure assurerait un minimum de responsabilité en ce qui concerne le suivi des recommandations du Comité, de sorte qu’un autre rapport sur cet important sujet serait moins susceptible de s’empoussiérer sur les étagères du siège de la Défense nationale.

Les Canadiens s’attendent à mieux

Les Canadiens et le parti libéral estiment que le Canada peut et doit améliorer les services de prévention, les soins et l’appui destinés aux soldats malades et blessés.

À notre avis, ce rapport, tout comme le système conçu pour appuyer le personnel des FAC blessé et malade, reflète les idées et le dévouement de beaucoup qui s’emploient à améliorer les choses et à trouver des solutions. Or, ce rapport ne reflète pas ces bonnes intentions et pèche par manque de transparence et de responsabilité. Si les FAC et le MDN ne veulent pas révéler le nombre de professionnels de la santé mentale auxquels peuvent recourir les membres des Forces armées, comment en garantir l’accès? Sans suivi externe et surveillance, quelles assurances avons-nous que ces recommandations seront mises en place? Le cadre du rapport actuel - et le système existant de soins de santé des FAC - donnent peu de garanties.

Il s’agit d’une étude importante, mais essentiellement inachevée, dont la conclusion hâtive s’est faite au détriment d’un débat approfondi, d’une démarche réfléchie et de la solidité du rapport. Bon nombre des recommandations du rapport principal portent sur des questions importantes; malheureusement, beaucoup constituent davantage un appel à l’inertie qu’un appel à l’action.

Les Libéraux sont convaincus que les hommes et les femmes qui mettent volontairement leur vie en danger pour le Canada méritent mieux.

Respectueusement soumis,
Joyce Murray, députée, Vancouver Quadra



[1] POUR DE MEILLEURS SOINS : SERVICES DE SANTÉ OFFERTS AU PERSONNEL DES FORCES CANADIENNES, EN PARTICULIER DANS LE CAS DES TROUBLES DE STRESS POST-TRAUMATIQUE : Rapport du Comité permanent de la défense nationale, juin 2009