Passer au contenu

NDDN Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

LE CONCEPT STRATÉGIQUE DE L’OTAN ET LE RÔLE DU CANADA DANS LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EN MATIÈRE DE DÉFENSE

Introduction

Au Sommet de Chicago de mai 2012, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ont discuté de la mise en œuvre du Concept stratégique de 2010 de l’Alliance, appelé Engagement actif, défense moderne, qui donne les grandes lignes de ses objectifs politiques et militaires pour l’avenir. Afin de bien comprendre les priorités actuelles et futures de l’OTAN et de déterminer comment le Canada peut faire progresser le plus efficacement possible la coopération internationale en matière de défense, le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes (le Comité) a tenu 10 audiences sur le Concept stratégique, avant et après le Sommet. En plus de représentants du ministère de la Défense nationale et de l’OTAN, ont comparu devant le Comité des experts et des universitaires spécialisés en défense et en sécurité, dont d’anciens officiers militaires et ambassadeurs. Le Comité a aussi entendu des représentants du gouvernement de la République de Lituanie, un allié de l’OTAN, et de la République de Bosnie-Herzégovine, qui aspire à devenir membre de l’Alliance. À la lumière des témoignages qu’il a recueillis et de l’information accessible au public, le Comité convient de faire rapport des conclusions suivantes à la Chambre des communes.

Contexte

Depuis 60 ans, l’OTAN ne cesse de s’adapter à l’évolution du contexte de la sécurité mondiale. L’OTAN a été fondée en 1949 dans le but de contrer la menace grandissante que représentait l’Union soviétique à mesure qu’elle étendait son contrôle sur l’Europe de l’Est et d’autres régions du continent. En signant le Traité de l’Atlantique Nord, aussi connu sous le nom de Traité de Washington, 10 pays d’Europe de l’Ouest, le Canada et les États-Unis ont formé une alliance politique et militaire fondée sur des valeurs communes de démocratie, de respect des droits de la personne et de la primauté du droit, et ont souscrit au principe de défense collective. Au cours des 40 années qui ont suivi, selon la majorité des témoins que nous avons entendus, l’effet dissuasif de l’OTAN sur la menace soviétique n’était pas seulement nécessaire; il était aussi bien réel.

La fin de la guerre froide a provoqué une série de bouleversements en Europe. Il y a eu, d’abord la chute du mur de Berlin et la réunification allemande, puis le retrait des forces soviétiques d’Europe centrale et de l’Est et, peu de temps après, l’accession à l’indépendance complète des anciens États satellites de l’URSS, la transition vers la démocratie et l’économie de marché, le démantèlement du Pacte de Varsovie, la dissolution de l’Union soviétique et, enfin, la signature du Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe et d’autres traités de maîtrise des armements — qui impliquaient tous une adaptation de l’Alliance aux changements radicaux dans son environnement de sécurité. La menace unique et globale avait disparu, mais la fin du contrôle exercé par l’URSS avait créé de l’instabilité dans certaines régions d’Europe à cause de tensions interethniques et de différends territoriaux. Le Concept stratégique élaboré par l’OTAN en 1991 représentait donc une étape dans la transition engagée au sein de l’Alliance entre l’époque de la guerre froide et les menaces ou les crises du monde contemporain.

Bien que la raison d’être de l’OTAN, si intimement liée à la menace soviétique, ait été remise en question, les mécanismes mêmes dont dépend l’OTAN jusqu’à aujourd’hui sont ceux mis en place durant les quatre premières décennies de son existence. En garantissant l’intégrité territoriale de l’Europe de l’Ouest, on a créé un environnement dans lequel les alliés euro-atlantiques pouvaient s’accorder une plus grande confiance politique mutuelle, renforcer leurs mécanismes de consultation et de planification de la défense et intégrer davantage leurs structures de commandement militaire, améliorant ainsi la coopération militaire multinationale. En pratiquant la politique de la porte ouverte, l’Alliance a commencé à amener d’anciens adversaires dans son giron, lesquels ont contribué à leur tour à la démocratisation et à un accroissement de la sécurité dans la région. Cette organisation a été et demeure unique en son genre. La cohésion entre ses membres a permis à l’Alliance de s’adapter à l’évolution de la situation en matière de sécurité en Europe et ailleurs dans le monde — longtemps après l’effondrement de l’Union soviétique.

Concept stratégique de 2010 de l’OTAN : Engagement actif, défense moderne

L’élaboration d’un concept stratégique est, pour l’Alliance, une occasion d’analyser les environnements de sécurité actuels et futurs et leurs implications pour les alliés de l’OTAN; de réfléchir aux leçons stratégiques et opérationnelles qu’elle a tirées de ses expériences; et de fixer ses objectifs politiques et militaires pour l’avenir. Le dernier concept stratégique en date a été adopté par les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Alliance lors du Sommet de l’OTAN à Lisbonne, en novembre 2010. Selon le général Stéphane Abrial, Commandant suprême allié Transformation, le temps était venu de s’accorder sur un nouveau concept stratégique puisque le précédent datait de 1999, époque où l’Alliance avait un tiers moins de membres et alors que les événements tragiques du 11 septembre 2001 n’étaient pas encore survenus[1].

Le Comité s’est laissé dire que le Canada avait joué un rôle crucial dans l’élaboration du Concept stratégique de 2010, puisqu’un Canadien faisait partie du groupe des 11 spécialistes ayant défini le cadre et rédigé la première ébauche du document[2]. Le Comité a également appris que le secrétaire général de l’OTAN avait fait un choix délibéré en demandant au Canada de faire partie de l’équipe, soulignant qu’en plus de la représentation des Américains et de plusieurs Européens, la voix des Canadiens méritait d’être entendue[3].

Le Concept stratégique de 2010 vise non seulement à réaffirmer des engagements fondamentaux, mais aussi à aller plus loin que les concepts stratégiques antérieurs en dressant les grandes lignes des priorités actuelles et futures de l’Alliance. Au chapitre des « Tâches et principes fondamentaux », le Concept stratégique dit que « l’Alliance a le devoir et la volonté de continuer à remplir efficacement trois tâches fondamentales essentielles, qui contribuent toutes à la sauvegarde de ses membres, et cela toujours dans le respect du droit international[4] » :

  • la défense collective;
  • la gestion des crises; et
  • la sécurité coopérative.

Les témoins ayant comparu devant le Comité ont présenté leur analyse de ces principes en se demandant, notamment s’ils correspondent toujours aux intérêts nationaux du Canada et s’il existe des possibilités pour notre pays de modifier l’Alliance dans le but de l’aider à mieux contrer les menaces du XXIe siècle.

Défense collective

L’article 5 du Traité de Washington est probablement le plus connu des engagements de l’Alliance, et certainement le plus énergique dans sa façon d’unir les États membres autour du principe de solidarité transatlantique. Cet article, qui dit qu’une attaque contre un allié est une attaque sur tous les pays de l’Alliance, engage les alliés de l’OTAN à subir des pertes humaines et matérielles pour défendre le territoire ou les intérêts d’un des leurs. Il a également un effet dissuasif très puissant sur d’éventuels agresseurs. Le fait qu’on n’ait invoqué l’article 5 qu’une seule fois — en réponse aux attaques du 11 septembre 2001 — montre combien cela relève d’une décision grave et combien les responsabilités qui en découlent sont lourdes de conséquences. En plus du Concept stratégique de 2010, dans sa Revue de la posture de dissuasion et de défense de mai 2012, l’OTAN demande à l’Alliance de disposer d’une combinaison appropriée de capacités conventionnelles et nucléaires nécessaires pour respecter l’engagement de défense collective de l’Alliance. Des problèmes existent pourtant, et l’OTAN cherche à les régler par la Défense intelligente, une approche de collaboration continue à propos de l’accroissement du nombre de membres au sein de l’Alliance (élargissement de l’OTAN), et par l’adoption de nouvelles politiques portant sur des réponses collectives aux défis de sécurité émergents.

1. Défense intelligente

Le Comité s’est laissé dire qu’au cours des deux dernières années, les budgets de défense européens ont été réduits de 45 milliards d’euros (soit près de 60 milliards de dollars américains). Qui plus est, aux États-Unis, le budget de 2013 du Pentagone a été amputé d’environ 37 milliards de dollars américains[5] et pourrait subir encore d’autres coupes annuelles de l’ordre de 50 milliards de dollars américains au cours des 10 prochaines années[6]. En 2011, 20 des 28 États membres de l’Alliance avaient déjà ramené leurs dépenses en défense aux niveaux d’avant 2008[7]. Le gouvernement du Canada doit également s’en tenir à son Plan d’action pour la réduction du déficit, qui prévoit une diminution des dépenses en défense[8]. Alors que les dépenses en défense des pays membres de l’OTAN devraient continuer de représenter 50 % des dépenses mondiales au chapitre de la défense, en 2012, les dépenses de l’Asie à ce chapitre étaient égales à celles de l’Europe[9].

Comme l’a expliqué le général Abrial, certains États membres ne peuvent mettre plus d’argent dans la défense, faute de moyens; beaucoup d’entre eux, d’ailleurs, sont même forcés d’en mettre moins. Pourtant, les problèmes de sécurité auxquels l’Alliance est confrontée ne diminuent pas. Par conséquent, « nous n'avons d'autre choix que d'améliorer le rapport coût-efficacité des ressources que les États allouent à la défense, notamment en intensifiant notre collaboration[10] ». De plus, comme l’a fait remarquer Anders Fogh Rasmussen, secrétaire général de l’OTAN, les réductions faites sans discernement dans les budgets de défense des pays de l’Alliance pourraient provoquer de graves lacunes et un déséquilibre des capacités. On a donc créé le concept de Défense intelligente afin de guider les États membres dans l’élaboration de programmes multinationaux et la coordination des réductions des dépenses en défense de manière à ce que l’Alliance puisse continuer de répondre à ses besoins. La Défense intelligente va de pair avec l’Initiative d’interconnexion des forces, qui fait la promotion de « l’interopérabilité, de la normalisation, de l’instruction conjointe et de la concertation entre les partenaires[11] ».

La Défense intelligente repose sur trois piliers : la priorisation, la spécialisation et la coopération multinationale en matière de capacités. La priorisation suppose que les États membres mettent leurs capacités de défense en adéquation avec les priorités collectives fixées. L’OTAN établit les cadres de gestion de ce processus. Étant donné que plusieurs États membres ne peuvent maintenir les capacités nécessaires pour se conformer à la totalité des exigences de l’Alliance, ils se spécialiseront dans des créneaux précis. Enfin, les alliés pourraient collaborer dans un certain nombre de domaines pour partager le fardeau financier, notamment dans le renseignement, la surveillance et la reconnaissance, la logistique, l’approvisionnement et la formation. Plusieurs initiatives de Défense intelligente ont déjà été lancées. Par exemple, les alliés disposant de moyens de surveillance aérienne mènent des opérations de police aérienne pour le compte des pays baltes. L’Alliance a d’ailleurs décidé de prolonger cette mission lors du Sommet de Chicago. Toujours à l’occasion de ce sommet, les alliés se sont engagés à déployer une capacité alliée de surveillance terrestre ainsi que des initiatives destinées à améliorer les services conjoints de renseignement, de surveillance et de reconnaissance. Quant à la spécialisation des États, le Comité a appris que la République tchèque, par exemple, dispose d’excellentes capacités de défense contre les armes chimiques, biologiques et radiologiques, et qu’elle investira donc plus dans ce domaine que dans les autres[12].

Il n’en demeure pas moins que l’Alliance doit surmonter plusieurs obstacles pour que l’OTAN puisse faire plus avec moins, et non moins avec moins. Jennifer Welsh, codirectrice de l’Institute for Ethics, Law and Armed Conflicts de l’Université d’Oxford, a exprimé quelques réserves au sujet de la spécialisation. Elle a mis l’accent sur les problèmes liés au fait de devoir compter sur les alliés pour doter l’Alliance des capacités requises. Le Canada a connu ces problèmes en Afghanistan lorsqu’il a dû dépendre des États-Unis et de la Grande-Bretagne pour assurer le transport par hélicoptère. Naturellement, ces pays s’occupaient en priorité du transport de leurs troupes et de leurs équipements, de sorte que le Canada a dû recourir plus souvent aux convois terrestres pour le déplacement de ses troupes et de son matériel, exposant ainsi davantage ses militaires aux engins explosifs artisanaux et autres menaces mortelles. Elle a ajouté, à propos de la Défense intelligente, que les pays membres de l’OTAN devront réexaminer les restrictions qu’ils imposent à leurs forces armées et à leurs capacités lors des déploiements, sinon on risque de placer « les pays sur le terrain en situation très vulnérable[13] ». Mme Welsh est d’avis que l’Alliance devra établir des procédures et fixer des attentes pour chaque mission et non se limiter exclusivement à des engagements politiques.

David Perry, analyste de défense auprès de l’Institut de la Conférence des associations de la défense, a relevé également ces problèmes. Il a fait valoir que l’opération Protecteur unifié menée en Libye « a démontré à la fois les bénéfices potentiels de l’initiative de Défense intelligente de l’OTAN et les défis probables inhérents à sa mise en œuvre[14] ». M. Perry a expliqué que l’opération de l’OTAN avait mis au jour les problèmes liés au partage des responsabilités, qui pourraient empirer avec la réduction des budgets de défense, rappelant que seulement huit pays membres ont participé à la campagne aérienne et que certains États européens ont refusé d’effectuer des sorties. En outre, certains États membres européens ont été forcés de retirer leur matériel à cause d’un manque de financement. En plus des réserves émises par certains pays et du manque de fonds, la mission a permis de mettre en évidence la forte dépendance à l’égard du matériel américain et la nécessité, pour les alliés européens, d’avoir leurs propres équipements opérationnels, comme pour faire le ravitaillement en vol. Bien que les initiatives de Défense intelligente puissent permettre de se doter de ce genre de dispositifs, « les deux initiatives de spécialisation et de coopération de la défense intelligente nécessiteront que les nations déploient leurs moyens dans les opérations[15] ». M. Perry a prévenu que le Canada devait être réaliste quant aux contributions d’autres alliés à des opérations futures, et qu’il devait se concentrer sur le développement de relations de travail plus étroites avec les alliés avec lesquels il est le plus susceptible d’effectuer des déploiements à l’avenir, notamment la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis.

On peut facilement comprendre que pour des États comme la Lituanie, la Défense intelligente est une solution qui convient à tout le monde. Les alliés s’occupent à tour de rôle de la surveillance de l’espace aérien de la Baltique, ce qui permet aux pays baltes de se concentrer sur d’autres fronts, comme augmenter leur participation à la mission en Afghanistan[16]. Mais pour le Canada, compte tenu de la distance qui le sépare de l’Europe et de ses besoins militaires sur son propre territoire, la contribution à l’initiative de Défense intelligente et les avantages qu’il peut en retirer sont un peu moins évidents. Jill Sinclair, sous-ministre adjointe, Politiques, au ministère de la Défense nationale, a déclaré : « Nous effectuons souvent des opérations expéditionnaires au Canada pour pouvoir atteindre l'Arctique, les côtes, et être en mesure de réaliser nos missions[17]. » Le Canada partage aussi des responsabilités avec les États-Unis dans la défense de l’Amérique du Nord au sein du NORAD. Mme Sinclair a fait remarquer que notre capacité expéditionnaire est donc « nécessairement dans l’intérêt du Canada[18] ». En plus de cette capacité, les Forces canadiennes peuvent se déployer rapidement, assurer le soutien des troupes en mission et intervenir normalement sans restriction. Ce sont tous des avantages importants que le Canada peut exploiter dans les missions de l’OTAN. James Appathurai, assistant secrétaire général adjoint à la Division des affaires politiques et des politiques en matière de sécurité de l’OTAN, partage le point de vue de Mme Sinclair, soulignant que l’Alliance ne cherche pas à ce que le Canada se spécialise dans un domaine particulier, et que la vaste étendue des capacités de notre pays « sont en fait un atout du Canada, et l'OTAN ne demande qu'à miser dessus[19] ». Bien que certains Canadiens ne souhaitent pas que leurs militaires se spécialisent, d’autres sont de l’avis de Mme Welsh, qui soutient qu’à la lumière des compressions budgétaires dans la défense et des projets d’acquisition coûteux en cours, le gouvernement du Canada pourrait être contraint de prendre des décisions difficiles quant au type de capacités des Forces canadiennes qu’il continuera de financer.

Même si la décision de se retirer du système aéroporté d’alerte et de contrôle (AWACS) semble aller à l’encontre de l’objectif de Défense intelligente, Paul Chapin, vice-président de l’Institut de la Conférence des associations de la défense, a déclaré que les alliés européens, en dépit de leurs difficultés économiques actuelles sont suffisamment riches pour « se débrouiller et assurer [leur] propre sécurité[20] ». Il a ajouté :

L'OTAN existe depuis 60 et quelques années, et je crois que le seul investissement commun au Canada a été un quai de la marine à Halifax. Les ressources de l'OTAN ne sont venues qu'une seule fois en Amérique du Nord : après le 11 septembre, quand les appareils AWACS ont été dépêchés ici, et il y a aussi eu une très modeste contribution à la suite de l'ouragan Katrina. On peut donc avoir l'impression de ne pas obtenir de rendement de notre investissement, et c'est en partie dû au fait que, oui, nous avons des besoins comme les autres membres de l'alliance et nous voudrions bénéficier sur nos propres côtes de certains de ces programmes que nous finançons. Cela ne semble pas se profiler à l'horizon[21].

Ces commentaires démontrent la nécessité de garder à l’esprit que les pays de l’OTAN ne partagent pas nécessairement une même vision sur tous les enjeux, même avec une intégration et une coopération optimales comme celles de l’Alliance. Refuser d’intervenir dans un conflit ou de s’impliquer dans un projet de défense en particulier ne signifie pas nécessairement un manque de moyens ou d’engagement; cela peut être une indication de différences politiques dans une alliance multinationale.

Quant au lieutenant-général (à la retraite) Charles Bouchard, qui a été commandant adjoint de la Force interarmées interalliée à Naples et commandant de l’opération Protecteur unifié, la mission de l’OTAN en Libye, il a dit voir les deux côtés de la médaille, mais a insisté sur le fait « qu’il est plus facile d’influencer un système de l’intérieur que de l’extérieur[22] ». Pour ce qui est de l’AWACS, le Canada pouvait influer sur les décisions en raison de sa très longue présence et de son apport, tant quantitatif que qualitatif. C’est pourquoi le Lgén Bouchard pense que le Canada aurait dû maintenir cet engagement au sein de l’Alliance. En ce qui concerne le projet de capacité alliée de surveillance terrestre, par contre, il appuie la décision du Canada de se doter de ses propres capacités pour ses besoins intérieurs, tout en consentant à les mettre à la disposition de l’OTAN si nécessaire.

Compte tenu des besoins du Canada en matière de défense et de sécurité intérieures et de la distance qui sépare notre pays de l’Europe, le Comité reconnaît que ce ne sont pas tous les projets menés dans le cadre de la Défense intelligente ou l’Initiative d’interconnexion des forces qui auront un grand intérêt en dehors du contexte européen, et que le gouvernement devra faire des choix difficiles pour trouver un juste équilibre entre les besoins du Canada et ceux de l’Alliance en matière de défense. En outre, le Comité a appris que le Canada dirige un projet dans le cadre de l’Initiative d’interconnexion des forces. Le général Abrial a indiqué que le Canada s’est engagé à faciliter l’interopérabilité de l’armement sur les aéronefs de l’OTAN[23]. Cette interopérabilité est essentielle au succès des opérations menées par les alliés. Le général Abrial a expliqué que même si l’OTAN « [ne veut] certainement pas que tous possèdent les mêmes équipements », son objectif est de s’assurer « que si certaines nations décident d’acquérir un matériel donné ou d’organiser de l’instruction et d’équiper leurs propres forces, ces forces puissent communiquer et travailler ensemble[24] ». Enfin, on pourrait dire que les outils technologiques utilisés de nos jours dans la recherche et l’analyse du renseignement sont un autre volet de l’interopérabilité. Même si le Comité a entendu peu de témoignages au sujet du renseignement, il a quand même appris que l’amélioration du partage des informations entre les alliés et les partenaires dans le but de fusionner les données demeure un enjeu central[25].

2. Élargissement

L’OTAN maintient sa politique de la porte ouverte aux pays européens qui respectent les normes politiques et militaires des démocraties libérales modernes. L’entrée de pays d’Europe centrale et de l’Est au sein de l’Alliance depuis la fin de la guerre froide a servi à stabiliser la région et, selon M. Appathurai, cela demeure la « motivation principale de l'acceptation de nouveaux membres[26] ». Mme Welsh, a quant à elle exprimé des réserves au sujet d’un nouvel élargissement de l’Alliance, notamment à des pays comme la Géorgie. Elle a fait valoir que « plus l'OTAN compte de membres, plus elle perd de sa crédibilité, éventuellement jusqu'au point de non-retour[27] ». Cette inquiétude est en grande partie attribuable aux relations tendues entre la Géorgie et la Russie à cause du soutien accordé par cette dernière aux régions sécessionnistes de Géorgie en 2008, ce qui a fait éclater une crise entre les deux États qui a failli dégénérer en guerre. Lors du Sommet de Bucarest, en 2008, les alliés de l’OTAN ont pris une décision sans précédent, soit que la Géorgie deviendrait membre de l’OTAN — une preuve claire de solidarité à l’égard de la Géorgie et une source de motivation pour ce pays engagé dans des réformes nécessaires.

Bien que les alliés actuels de l’OTAN demeurent favorables à cette décision, il se pourrait qu’avec l’élargissement de l’Alliance, d’autres membres aient un autre point de vue sur la question et d’autres aspects de la défense collective, particulièrement en ce qui a trait aux relations entre l’OTAN et la Russie. Le Comité a entendu des représentants de la République de Bosnie-Herzégovine, un pays officiellement engagé dans le plan d’action pour l’adhésion (MAP) à l’OTAN. Denis Becirovic, vice-président de la Chambre des représentants de Bosnie-Herzégovine, a fait remarquer que l’influence de la Russie dans les Balkans s’est accrue. Les liens étroits qu’entretient la communauté serbe orthodoxe de Bosnie-Herzégovine avec Moscou semblent indiquer un besoin de coopération entre les deux pays. C’est la raison pour laquelle il a déclaré : « Ne demandez pas au gouvernement bosniaque de prendre parti contre la Russie[28]. »

Des tensions existent déjà entre les membres actuels de l’OTAN au sujet de la Russie. Bien que les États membres d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest veuillent « la plus grande collaboration possible » avec la Russie, les pays d’Europe centrale, de l’Est et de la Baltique faisant partie de l’Alliance continuent d’être préoccupés par la Russie. Selon Rasa Jukneviciene, ministre de la Défense nationale de la République de Lituanie, son pays continue à lutter contre les défis posés par les activités militaires de la Russie, l’influence culturelle de ce pays et son monopole sur les ressources énergétiques dont elle se sert pour influencer les pays limitrophes[29]. Malgré ces problèmes, M. Appathurai a fait remarquer que l’adhésion à l’OTAN de certains pays de l’ancien bloc de l’Est les a placés en meilleure posture, de sorte que leurs relations avec la Russie « se sont en général améliorées[30] ».

Le Comité aimerait faire ressortir le rôle que joue l'Assemblée parlementaire de l'OTAN en ce qui concerne l’élargissement de l’OTAN et l’aide apportée aux pays qui aspirent à en devenir membres pour qu’ils puissent instituer les réformes nécessaires au respect des normes d’adhésion à cette organisation. Depuis la fin de la guerre froide, en faisant participer à ses activités les parlementaires d’États non membres de l’Alliance, l’Assemblée « a contribué à établir des ponts avec les nouvelles forces politiques des pays de l’ancien Pacte de Varsovie et prêté son concours au développement de la démocratie parlementaire dans l’ensemble de la zone euro-atlantique. Parallèlement, les pays candidats ont utilisé l’ [Assemblée] comme vecteur de soutien en faveur de leur intégration dans les structures euro-atlantiques[31] ». Aujourd’hui, l’Assemblée est une organisation interparlementaire qui rassemble les législateurs des parlements nationaux des 28 États membres de l’Alliance, et de 14 pays associés, dont la Géorgie, la Bosnie-Herzégovine et la Russie. Ainsi, plus de 300 parlementaires participent aux sessions de l’Assemblée, ce qui favorise une compréhension mutuelle des grands défis de sécurité et de défense auxquels le partenariat transatlantique est confronté.

L’exigence de ratification parlementaire des nouveaux membres accentue l’importance des débats de l’Assemblée sur l’élargissement et sur son engagement à l’égard des États candidats. Par exemple, les parlementaires canadiens ont participé à la visite de la délégation de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine en octobre 2011 pour évaluer de première main les progrès accomplis vers l’adhésion à l’OTAN[32]. De plus, lors de la 58e session annuelle de l’Assemblée en novembre 2012, les délégués parlementaires ont eu l’occasion d’entendre Filip Vujanovic, président de la République du Monténégro, Bozo Ljubic, président de la Chambre des représentants de Bosnie-Herzégovine, Nikola Gruevski, président du gouvernement de l’ancienne république yougoslave de Macédoine, et Mikheil Saakashvili, président de la République de Géorgie. Chacun de ces hommes d’État a présenté un aperçu des progrès réalisés dans son pays en vue de satisfaire aux conditions requises, ainsi que des défis qu’il leur reste à relever, pour faire partie de l’Alliance[33].

3. Défis de sécurité émergents 

Dans l’analyse portant sur l’environnement de sécurité actuel et futur, le Concept stratégique fait état de plusieurs défis de sécurité émergents, notamment les cyberattaques, les perturbations de l’approvisionnement énergétique des membres de l’OTAN et la prolifération des missiles balistiques.

Au chapitre de la cybersécurité, l’OTAN a approuvé récemment une nouvelle politique axée davantage sur la solidarité politique que sur des ripostes militaires aux cyberattaques. Chaque État membre demeure néanmoins responsable du renforcement de ses propres moyens de cyberdéfense. Advenant le cas où un pays serait visé par une cyberattaque, l’OTAN n’interviendrait que si le pays en question était incapable de contrer seul l’agression et demandait l’assistance de l’Alliance. D’ailleurs, l’OTAN est elle-même en train de consolider ses propres systèmes et ceux qui la relient à des réseaux nationaux. Un centre d’excellence a été créé en Estonie pour diffuser les pratiques exemplaires auprès des États membres et leur fournir le soutien requis. Dans le cadre de ce projet, l’OTAN accepte des partenaires non membres, mais les paramètres relatifs à leur niveau d’engagement dans le processus restent à fixer. L’OTAN sera également en mesure de déployer rapidement des équipes d’intervention chargées de fournir conseils et appui aux pays victimes d’une cyberattaque. Enfin, l’OTAN travaille en étroite collaboration avec l’Union européenne à l’établissement de normes et à la protection de la chaîne d’approvisionnement, entre autres[34]. Paul Meyer, ancien ambassadeur et agrégé supérieur à la Simons Foundation, a laissé entendre que le Canada pourrait prendre des mesures supplémentaires. Il a précisé que sur le front diplomatique, le Canada pourrait s’occuper de l’élaboration de normes internationales établissant les principes de comportement responsable des États dans le cyberespace. De telles normes permettraient de « reconnaître l'existence d'une utilisation militaire potentielle à des fins offensives qui devrait probablement être interdite ou rigoureusement réglementée, étant donné la nature et la dépendance particulières de l'humanité », dans une cyberinfrastructure sécuritaire[35].

La grande question qui se pose pour l’Alliance, toutefois, est de savoir quand une cyberattaque justifie l’invocation de l’article 5 et une éventuelle riposte militaire. Mme Welsh a fait remarquer que la difficulté réside dans la détermination de ce qui constitue une attaque et de l’origine de cette attaque. Elle a ajouté que l’OTAN devra se pencher sur ces questions sans perdre de vue que la menace d’une cyberattaque ne pèse pas seulement sur les militaires, mais qu’elle pourrait aussi avoir des effets dévastateurs sur les civils.

Un autre défi que doivent relever beaucoup de gouvernements consiste à assurer leur sécurité énergétique, c’est-à-dire à disposer de suffisamment de sources d’énergie abordables, dont le pétrole et le gaz, pour répondre aux besoins du pays, de la population et de l’économie. Un tel défi peut s’avérer compliqué si l’accès aux sources d’énergie est compromis par des relations tendues avec un autre État ou une autre région. Même si les pays membres sont responsables de la sécurité de leur approvisionnement énergétique, l’incidence éventuelle des menaces pesant sur la sécurité énergétique pour la sécurité nationale des États membres préoccupe quelque peu l’OTAN. En même temps, il y a lieu de se demander dans quelle mesure l’Alliance est le forum approprié pour résoudre les problèmes de sécurité énergétique. Par exemple, dans son témoignage, Paul Ingram, directeur exécutif du British American Security Information Council, a mis en garde contre l’idée de se doter d’une « alliance militaire pour régler des questions de sécurité énergétique[36] ». Il a fait observer qu’une alliance militaire peut voir des menaces militaires « bien plus rapidement » qu’elle ne cherche des occasions de coopérer[37].

L’Alliance dans son ensemble doit également trouver le moyen de protéger les sources d’énergie dont elle a besoin pour mener ses propres opérations. Cela inclut toute la chaîne d’approvisionnement qui permet d’acheminer l’énergie depuis son point de départ jusqu’à l’endroit où les forces de l’OTAN mènent des opérations. De nombreuses perturbations sur les voies d’approvisionnement allant du Pakistan à l’Afghanistan, par exemple, ont contraint l’OTAN à négocier l’ouverture de routes de transit au nord, traversant la Russie, le Caucase et des pays d’Asie centrale. Cela a entraîné une augmentation des coûts pour l’Alliance et provoqué des retards dans l’envoi de biens essentiels, comme le carburant, aux troupes de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS)[38]. Le Concept stratégique de 2010 établit que l’OTAN développera la capacité de collaborer à la sécurité énergétique, ce qui inclut la protection des infrastructures énergétiques essentielles ainsi que des zones et des voies de transit, de même que la coopération avec les partenaires. Les consultations entre alliés au sujet de la sécurité énergétique porteront essentiellement sur les évaluations stratégiques et la planification de contingence.

Au sujet de la prolifération des missiles balistiques, M. Appathurai a déclaré au Comité que « plus de 30 pays ont des missiles balistiques, ou sont en train de les développer ou de les perfectionner[39] ». D’après le Concept stratégique de 2010, cela constitue une menace réelle et grandissante pour la zone euro-atlantique et la stabilité internationale tout entière. Au Sommet de Chicago, les alliés ont entrepris la première des quatre phases d’un système de défense antimissiles de l’OTAN pour l’Europe qui devrait être complètement opérationnel d’ici 2020. Le Comité a entendu des points de vue divergents sur cette question, notamment à propos des effets d’une telle initiative sur les relations entre l’OTAN et la Russie. Ernie Regehr, chercheur universitaire à l’Institute of Peace and Conflict Studies de l’Université de Waterloo, et Jack Granatstein ont fait remarquer que la technologie de défense contre les missiles balistiques n’est pas encore complètement au point, que les menaces sont diffuses et que la décision de déployer un tel système a eu pour effet de déstabiliser politiquement la région euro-atlantique et d’empoisonner les relations entre l’OTAN et la Russie. Alors que M. Meyer a indiqué que le souci premier de la Russie est de déterminer la capacité du système de l’OTAN à intercepter un missile russe, M. Appathurai a expliqué que si l’on se fie au nombre de dispositifs installés, à leur vitesse d’interception et à leur position, le système de l’OTAN serait dans l’impossibilité de stopper les milliers d’ogives et de missiles nucléaires que possède la Russie — et l’Alliance ne cherche d’ailleurs pas à se doter d’une telle capacité.

George Petrolekas, membre du conseil d’administration de l’Institut de la Conférence des associations de la défense, a souligné que les Russes disposent de leur propre système de défense antimissiles balistiques — ce que la plupart des gens semblent ignorer. Toutefois, ce système n’est déployé qu’autour de Moscou[40]. Même si M. Petrolekas a reconnu que la Russie coopère avec l’OTAN sur le plan pratique, lorsque ses intérêts sont en jeu — par exemple en Afghanistan et dans la lutte contre le terrorisme et la piraterie — il s’est dit pessimiste quant à la possibilité d’une collaboration entre l’OTAN et la Russie en matière de défense antimissiles balistiques. M. Regehr a fait observer que l’OTAN devrait interrompre le développement de son système ou poursuivre son projet dans le cadre d’une relation ouverte de collaboration avec la Russie. M. Appathurai a insisté sur le « gros avantage » qu’il y aurait à coopérer[41]. Jusqu’à présent, l’OTAN a offert des garanties, donné accès aux paramètres techniques pour suivre les tests, aux centres conjoints d’échange de données et aux équipes d’enquêtes communes. Même si l’avenir risque d’être difficile, M. Appathurai s’est dit persuadé que l’OTAN et la Russie pourraient trouver un terrain d’entente au sujet des défenses antimissiles balistiques.

Gestion des crises

1. Prévention des conflits

Le Concept stratégique de 2010 est la première initiative dans laquelle l’OTAN s’engage à intervenir avant et après les crises dans le but d’éviter l’éclatement de conflits. Tout en faisant remarquer que le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), Ban Ki-Moon, a déclaré 2012 « Année de la prévention », Mme Welsh a exprimé un certain cynisme à l’égard du rôle de la communauté internationale dans la prévention des conflits, qui en fait trop souvent un objectif, mais rarement une réalité. Mme Welsh s’est demandé jusqu’où irait l’OTAN pour prévenir des crises et des conflits. Dans son témoignage, M. Appathurai a reconnu que l’Alliance doit encore définir clairement son rôle dans la prévention des conflits.

M. Meyer a pour sa part ajouté que « l'OTAN devrait consacrer autant de temps à la prévention des conflits qu’à la gestion des crises[42] ». Il a mentionné que le Canada s’était fait le champion du rôle consultatif de l’Alliance inscrit à l’article 4 du Traité de l’Atlantique Nord. Il s’est dit inquiet devant ce qu’il perçoit comme une diminution des consultations régulières au sein de l’Alliance, ce qui nuit, selon lui, autant au Canada qu’à l’Alliance dans son ensemble. Il presse d’ailleurs le Canada de travailler avec d’autres alliés non membres de l’Union européenne, comme la Norvège ou la Turquie, à la revitalisation des mécanismes de consultation de l’Alliance, étant donné la tendance qu’ont eue les États-Unis et l’Union européenne à mener leurs propres consultations internes quand des crises sont apparues. En outre, si l’OTAN a véritablement l’intention de s’engager dans des programmes de prévention des conflits, ces mécanismes de consultation lui seront essentiels pour demeurer proactive et voir venir les crises.

2. Rôle de l’OTAN dans la gestion des crises

Étant donné l’ampleur des tâches prévues dans le Concept stratégique au chapitre de la gestion des crises, Samir Battiss, de l’Université du Québec à Montréal, a fait remarquer que le document en question n’explique pas en détail comment l’Alliance envisage ses opérations futures de gestion des crises, et n’établit pas non plus les conditions d’un éventuel engagement[43]. Compte tenu de ce manque de précision, certains témoins ont exprimé des préoccupations au sujet des implications d’un rôle accru de l’OTAN dans la gestion des crises. D’autres ont déclaré que l’engagement de l’OTAN à ce chapitre s’imposait depuis longtemps. Il y a également eu des discussions entourant la coopération entre les militaires et les civils ainsi que la relation entre l’OTAN et l’ONU.

Bien que les témoins aient convenu qu’une des grandes leçons qu’a retenues l’OTAN au cours de la dernière décennie a été la nécessité de développer des mécanismes de coordination des opérations plus efficaces entre les composantes militaires et civiles, ils ne s’entendaient pas tous sur la question de savoir si l’Alliance devait se doter d’une capacité civile ou si elle devait plutôt mieux travailler avec les partenaires civils dans les organisations régionales et multilatérales. Le Concept stratégique appelle à la formation d’« une structure civile de gestion de crise appropriée, mais modeste afin d’interagir plus efficacement avec les partenaires civils » qui « pourra également servir à la planification, à la conduite et à la coordination des activités civiles jusqu'à ce que les conditions soient réunies pour le transfert de ces responsabilités et tâches à d'autres acteurs[44] ». En même temps, M. Appathurai a insisté sur le fait que l’OTAN se concentre sur l’intensification de son engagement structurel auprès des organisations non gouvernementales, de l’ONU et de l’Union européenne — ce que l’Alliance appelle l’ « approche globale ». Il a ajouté que « l'OTAN n'a pas les moyens financiers, le mandat ou l'ambition de faire ce que fait l'ONU », précisant que « nous ne faisons que des opérations de sécurité, tandis que l'ONU fait de tout[45] ». Il reste à savoir comment se développera et interviendra cette capacité civile dans la pratique.

Comme l’OTAN s’est engagée à intervenir dans des missions couvrant toute la gamme des opérations de gestion des crises, des témoins ont avancé qu’il fallait mettre en place des mécanismes de coordination plus efficaces entre l’Alliance et l’ONU. M. Appathurai a dit au Comité que même si l’OTAN n’a pas besoin d’un mandat de l’ONU pour agir, notamment en réaction à une menace ou à une attaque contre un territoire ou des intérêts alliés, « l’OTAN se tourne toujours vers l’ONU pour obtenir un mandat dans les cas de missions expéditionnaires[46] ». Que l’OTAN intervienne directement en vertu d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, comme cela a été le cas en Libye, ou qu’elle travaille dans le cadre politique plus large de l’ONU, comme en Afghanistan, elle doit résoudre des problèmes structurels, si elle veut réussir ses prochaines missions.

Étant donné que l’OTAN est susceptible de devenir un partenaire opérationnel de l’ONU à certaines occasions, Mme Welsh a affirmé que l’Alliance doit être consciente des réactions défavorables suscitées par certains aspects de la mission en Libye, et notamment du sentiment que le mandat de protection des civils a été étendu pour permettre le renversement du régime, ainsi que de l’absence de reddition de comptes au Conseil de sécurité de l’ONU. Cela nous ramène au cœur de la question de la légitimité et du sens du mandat de l’ONU lorsqu’une opération donnée est largement appuyée par la communauté internationale.

Pour ce qui est de la mission militaire de l’OTAN en Libye, le Lgén Bouchard a fait remarquer que du point de vue du commandement militaire, les responsabilités étaient clairement définies. Le bras politique de l’OTAN, le Conseil de l’Atlantique Nord (CAN), communiquait au lieutenant-général, par l’intermédiaire du Commandant suprême des Forces alliées en Europe (SACEUR), les tâches à accomplir, les règles d’engagement à suivre et les cibles potentielles à viser. Même si le lieutenant-général a soutenu que la mission militaire est demeurée dans les limites du mandat de protection des civils, il a reconnu que les objectifs politiques ont changé en faveur d’un renversement du régime. Plusieurs États, au sein de l’Alliance, ont déclaré publiquement qu’il fallait un changement de régime en Libye[47]. Par ailleurs, le Lgén Bouchard a ajouté que d’un point de vue politique et diplomatique, le colonel Kadhafi n’avait d’autre option que celle de livrer bataille jusqu’à la fin.

Au cours de son témoignage, le Lgén Bouchard a indiqué qu’il transmettait, tout au long de la mission, une évaluation hebdomadaire de la situation à ses supérieurs et un rapport au CAN tous les mois. M. Appathurai a maintenu qu’à tous les niveaux, à commencer par les secrétaires généraux de l’OTAN et de l’ONU, les communications étaient totalement transparentes et la coopération étroite entre les deux organisations, tant au plan opérationnel que politique. La question de savoir comment le CAN transmettait l’information au Conseil de sécurité des Nations Unies demeure toutefois entière. Mme Welsh a indiqué qu’il fallait établir des procédures favorisant l’efficacité des rapports hiérarchiques entre les deux organisations. Peggy Mason, ancienne ambassadrice, a ajouté que l’OTAN avait appris, au fil des ans, l’importance d’avoir l’assentiment de l’ONU et la légitimité nécessaire avant de s’engager dans des opérations militaires. D’ailleurs, le secrétaire général de l’OTAN a insisté sur le fait que l’Alliance avait décidé de n’intervenir en Libye que si elle était autorisée à le faire[48]. Mme Mason a précisé que les pays arabes étaient davantage enclins à participer à la mission en Libye en raison du vaste soutien manifesté par la communauté internationale. À son avis, ce genre d’appui est « [essentiel] au succès d'une opération[49] ».

Cette légitimité et l’autorité du Conseil de sécurité de l’ONU qui en découle doivent toutefois durer tout le temps d’une mission. M. Meyer a expliqué que le blocage au sein du Conseil de sécurité à propos de l’intervention en Syrie est dû au fait que Moscou et Pékin ne pouvaient exercer aucun contrôle ni aucune influence politique sur les actions de l’OTAN en Libye. Mme Welsh a précisé que ce problème n’avait pas seulement été soulevé par la Russie et la Chine, mais aussi par d’autres membres importants non permanents du Conseil de sécurité, soit l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil. Le gouvernement brésilien a depuis soumis un document de réflexion au secrétaire général de l’ONU intitulé « Protection responsable », qui dit que « le Conseil devrait renforcer ses procédures de contrôle et d’évaluation de la manière dont ses résolutions sont interprétées et mises en œuvre » et que « le Conseil doit veiller à ce que ceux qu’il autorise à employer la force soient tenus de rendre compte de leur action[50] ».

Dans le passé, l’OTAN et l’ONU ont dû composer avec un autre problème structurel : harmoniser les opérations militaires menées par l’OTAN au cadre politique élargi de la mission de l’ONU. En Afghanistan, pendant que l’ONU était engagée dans une mission politique relevant du Conseil de sécurité, l’OTAN, elle, menait une mission militaire relevant de son organe politique, le Conseil de l’Atlantique Nord. Par conséquent, la structure de commandement était divisée et la coordination entre les deux organismes était déficiente. Mme Mason a précisé que le refus des États-Unis de placer leurs forces armées sous le commandement de l’ONU est à l’origine de cette division en Afghanistan; si les forces américaines devaient participer à la mission de stabilisation, il faudrait que cela se fasse autrement. À cause de cela, le Canada, qui travaillait au début avec les deux, a dû choisir, et il s’est rangé du côté de la mission dirigée par l’OTAN. Compte tenu de cette réalité et du fait que les États membres de l’OTAN fournissent quelques-unes des meilleures forces, sur le plan des capacités professionnelles, et qu’ils ont une « capacité inégalée de projeter et soutenir des forces et de gérer efficacement une mission multinationale[51] », il y a de très fortes chances que l’Alliance continue d’être « l’organisation de prédilection pour les opérations de combat à mener au nom des Nations Unies et d'autres groupes d'États[52] ». De plus, M. Battiss a rappelé que, contrairement à la relation qu’elle entretient avec l’Union européenne, l’OTAN n’a pas d’entente permanente avec l’ONU pour les opérations de gestion des crises, qu’elles soient civiles ou militaires.

3. Force de réaction de l’OTAN

Le concept de force de réaction de l’OTAN a été approuvé par les ministres de la Défense en 2003. Il permet de doter l’OTAN d’une capacité expéditionnaire adaptable pour intervenir rapidement en cas de crise. MM. Chapin et Petrolekas ont affirmé que l’OTAN doit « élargir ses horizons, aller au-delà des limites du continent européen » et explorer tous les domaines d’intérêt[53]. Selon eux, la force de réaction de l’OTAN doit être prête à se déployer partout, quelle que soit la mission, et ils estiment que, jusqu’à présent, la force de réaction de l’OTAN a été sous-utilisée. Le général Abrial a indiqué que cela tient à un certain nombre de facteurs. Étant donné qu’il faut 18 mois pour préparer les contingents qui se relayeront au sein de la force de réaction de l’OTAN, il peut arriver que la composition de la force ne soit pas optimale chaque fois qu’une crise survient. Qui plus est, les États membres participant à la force de réaction de l’OTAN peuvent décider de ne pas prendre part à une opération en particulier. Par conséquent, une force spéciale différente peut être mise sur pied pour chaque opération.

Par ailleurs, le général Abrial a fait valoir qu'il y a encore de bonnes raisons d'avoir des forces toujours prêtes à intervenir à l'avenir, et que la force de réaction de l'OTAN demeure « un excellent outil de transformation et de formation[54] ». M. Appathurai a quant à lui fait remarquer que la force de réaction de l'OTAN sera une composante majeure de l'Initiative d'interconnexion des forces. Les forces nationales appelées à faire partie de la force de réaction de l'OTAN seront formées ensemble, sur le terrain, de façon plus régulière. La force de réaction de l'OTAN, en plus d'être une force d'intervention rapide, demeure un moyen essentiel par lequel l'Alliance peut veiller à ce que les forces alliées soient entièrement compatibles avant de s'engager dans une situation de crise ou de conflit.

Sécurité coopérative

La troisième fonction essentielle de l'OTAN, telle que définie dans le Concept stratégique de 2010, est la sécurité coopérative :« Elle [l’Alliance] s’emploiera activement à renforcer la sécurité internationale, en engageant un partenariat avec les pays et les organisations internationales appropriés; en contribuant activement à la maîtrise des armements, à la non-prolifération et au désarmement; et en maintenant la porte ouverte à l’adhésion de toutes les démocraties européennes qui répondent aux normes de l’OTAN[55] ». Comme les questions relatives à la coopération entre l'OTAN et l'ONU ainsi qu'à la politique de la porte ouverte de l'OTAN ont déjà été traitées dans le présent document, la section qui suit aborde les possibilités et les défis que présente l'engagement de l'OTAN en matière de dissuasion et de non-prolifération nucléaires et de renforcement des partenariats.

1. Dissuasion, non-prolifération et désarmement nucléaires

La politique de l'OTAN sur les armes nucléaires, qui a été renforcée au moyen de la Revue de la posture de dissuasion et de défense en 2012, établit que tant qu'il y aura des armes nucléaires dans le monde, l'OTAN demeurera une alliance nucléaire. La force nucléaire de dissuasion de l'OTAN est la pierre angulaire du dispositif de défense et de sécurité euro-atlantique depuis la création de l'Alliance. Le Concept stratégique établit également que « la maîtrise des armements, le désarmement et la non-prolifération contribuent à la paix, à la sécurité et à la stabilité et doivent garantir une sécurité non diminuée à tous les pays membres de l’Alliance. Nous continuerons à jouer notre rôle dans le renforcement de la maîtrise des armements et dans la promotion du désarmement, qu’il s’agisse des armements conventionnels ou des armes de destruction massive, ainsi que dans les efforts de non-prolifération[56]. » Des témoins ont exprimé des réserves à l'égard du respect par l'OTAN du Traité de non-prolifération nucléaire, des effets de sa position en matière de nucléaire sur ses relations avec la Russie, et de l'engagement de l'Alliance à créer les conditions pour un monde débarrassé des armes nucléaires.

M. Regehr a souligné que le Concept stratégique de 2010 n'indique pas explicitement que les capacités nucléaires de l'Alliance doivent être basées en Europe, alors que le Concept stratégique de 1999 présentait cela comme quelque chose de vital pour la sécurité de l'Europe. Il s'agit là d'un changement important qui remet en question l'avenir des armes nucléaires tactiques américaines, ou des bombes B61, qui se trouvent actuellement sur le sol européen. M. Regehr a ajouté que la réponse devrait être simple puisque ni les États-Unis ni l'OTAN ne se conforment au Traité de non-prolifération qui interdit le déploiement d'armes nucléaires dans des pays non dotés d'armes atomiques. Actuellement, cinq alliés européens gardent des bombes B61 : l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l'Italie et la Turquie. Cela se justifie par le fait que l'entente convenue entre ces pays et les États-Unis est antérieure à l'entrée en vigueur du Traité de non-prolifération, qui date de 1970. Toutefois, il y a eu de nombreux appels, dans le cadre du processus de revue du Traité de non-prolifération, afin que « les États possédant l'arme nucléaire prennent des mesures pour réintégrer et conserver ces armes sur leur territoire, éliminer la capacité de les déployer rapidement dans d'autres pays, et mettre fin à la formation dans le domaine nucléaire dans les pays n'ayant pas d'armes nucléaires[57] ». M. Regehr ne croit pas que ces pays continueront de garder des bombes B61, car le coût financier additionnel, associé aux décisions d'investissements futures destinées à doter d'armes atomiques toute nouvelle plateforme ou tout dispositif d'intervention, comme les avions de combat, serait très élevé. Il a précisé que les pays non dotés d'armes nucléaires qui voudraient jouer un rôle à ce chapitre auraient un lourd tribut politique à payer au cours des 30 ou 40 années à venir. L'Allemagne, par exemple, a déjà demandé la fin des déploiements nucléaires sur son territoire. Par ailleurs, M. Ingram a fait remarquer que si la Turquie continue d'héberger des armes, cela aura pour effet de compromettre toute négociation visant à faire du Moyen-Orient une région exempte d'armes de destruction massive, ce qui était un objectif essentiel de la Conférence d'examen du Traité de non-prolifération de 2010.

2. Partenariats

Au cours de la dernière décennie, l’Alliance s’est rendu compte que « c’est dans le cadre d'un vaste réseau de relations de partenariat avec des pays et des organisations du monde entier que la promotion de la sécurité euro-atlantique peut être assurée au mieux[58] ». Des partenaires de partout dans le monde ont participé à des opérations aux côtés des alliés de l’OTAN en Afghanistan, en Libye et ailleurs. Mais un défi demeure : Comment maintenir et développer ces partenariats une fois les opérations terminées. L’Alliance devra également régler les difficultés causées par les relations tendues entre des alliés et certains partenaires, car de tels obstacles à la coopération nuisent à l’Alliance tout entière.

Vingt-deux partenaires non membres de l’Alliance de partout dans le monde ont travaillé avec les alliés de l’OTAN en Afghanistan. Comme la mission de la FIAS transfère la responsabilité de la sécurité dans le pays aux forces de sécurité nationale afghanes, l’Alliance doit renforcer les partenariats qu’elle a développés au cours de la dernière décennie avec ces partenaires non membres de l’OTAN. M. Appathurai a dit au Comité que près de 40 partenaires ont conclu des ententes formelles avec l’OTAN en matière de consultation politique et de coopération pratique. Ces ententes sont renouvelées chaque année et couvrent quelque 1 000 activités auxquelles des alliés et des pays partenaires de l’OTAN peuvent participer — cela va de la formation linguistique jusqu’aux réformes complexes dans le secteur de la défense. De plus, une partie de l’Initiative d’interconnexion des forces consistera à assurer l’interopérabilité avec les partenaires; c’est pourquoi la priorité sera de les faire participer aux programmes de formation et aux exercices. Cela permettra ainsi aux partenaires d’être totalement « en phase » avec les alliés de l’OTAN lors d’opérations futures.

M. Chapin a avancé que compte tenu des sacrifices auxquels ils ont consentis en appuyant des opérations de l’OTAN, l’Alliance ne devrait pas traiter les pays partenaires comme des nations de seconde classe. Elle devrait au contraire les inclure dans le processus décisionnel dès le début d’une mission et leur permettre de s’exprimer sur la façon de concevoir les politiques stratégiques et de configurer les opérations. Cela suppose qu’on invite ces pays à participer aux sommets de l’OTAN. D’ailleurs, des dignitaires représentant des pays partenaires ont assisté au Sommet de Chicago, ce qui en a fait le sommet le plus élargi de l’histoire de l’OTAN[59]. La crise en Libye est une illustration de l’acceptation immédiate de pays partenaires à la table de négociation une fois que ces pays ont décidé de prendre part à l’opération. Le Qatar, par exemple, a contribué à l’élaboration du plan et aux prises de décisions subséquentes des alliés concernant la mission. Qui plus est, le fait d’avoir ces partenariats donne davantage de légitimité à l’OTAN pour se déployer en dehors de ses frontières. M. Meyer a indiqué que l’appel de la Ligue arabe à l’engagement militaire en Libye et l’approbation de la mission par l’Union africaine qui a suivi ont eu une « valeur inestimable au plan de la crédibilité et, au bout du compte, de l'acceptabilité de cette intervention[60] ».

La mission en Libye illustre également l’importance d’un dialogue et de consultations régulières et structurées avec les partenaires régionaux. L’Alliance a établi des mécanismes de consultation avec des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, dans le cadre du Dialogue pan-méditerranéen, et avec des États du Golfe, grâce à l’Initiative de coopération d’Istanbul. Comme on l’a vu pour la Libye, la consultation des pays partenaires dans le cadre de cette Initiative a débouché sur une véritable coopération opérationnelle. Ces tribunes permettent à l’Alliance de consulter ses partenaires sur les crises et les menaces émergentes dans une perspective de prévention des conflits. Par exemple, alliés et partenaires se sont concertés au sujet de la lutte contre la piraterie et de la cybersécurité. Ils prônent également le dialogue entre États qui, autrement, ne se parleraient pas ou ne se reconnaîtraient pas mutuellement, comme c’est le cas pour Israël, qui est un partenaire de l’OTAN grâce au Dialogue pan-méditerranéen[61].

En même temps, de mauvaises relations bilatérales entre pays membres et partenaires peuvent entraver grandement l’établissement de partenariats efficaces et nuire à l’Alliance tout entière, comme c’est le cas entre la Turquie et Chypre; ce qui empêche, en l’occurrence, l’OTAN et l’Union européenne d’approfondir leur coopération. Malheureusement, cela donne lieu à des chevauchements superflus et freine la coordination, surtout que les deux entités sont partenaires dans des opérations de paix et qu’elles cherchent à mettre en commun et à partager leurs capacités de défense en ces temps de restrictions budgétaires. Même si les équipes de l’OTAN et de l’Union européenne travaillent bien ensemble, certains projets demeurent bloqués au niveau politique. M. Appathurai a déclaré que, bien que les membres du personnel de l’OTAN et de l’Union européenne travaillent bien ensemble, « [i]l n’y a pas assez de coordination, car il n’y a pas de pourparlers, de rencontres ou de planification politique […] [C]e blocage est un problème[62]. »

La Russie demeure un partenaire important de l’Alliance, et le Concept stratégique insiste sur le fait que l’Alliance « [souhaite] approfondir [son] partenariat stratégique avec la Russie et [qu’elle s’engage] à agir en ce sens[63] ». Grâce au Conseil OTAN-Russie, les alliés de l’OTAN et les Russes peuvent discuter d’égal à égal de préoccupations communes lorsque les décisions sont prises par consensus. Il existe également « tout un ensemble d'activités coopératives[64] », particulièrement en ce qui concerne l’Afghanistan. Néanmoins, comme cela a été indiqué précédemment, la possibilité que la Géorgie se joigne à l’OTAN et le projet de défense antimissiles balistiques continuent d’être des irritants majeurs. M. Appathurai a reconnu le manque de confiance entre les alliés de l’OTAN et la Russie et que les prochaines années risquent d’être « intéressantes » pour l’Alliance, compte tenu de la rhétorique du président Poutine à propos de l’OTAN. M. Ingram a insisté sur la nécessité, pour l’Alliance, d’améliorer ses rapports avec la Russie. Il a fait remarquer qu’au cours des deux ou trois prochaines décennies, l’OTAN et la Russie devront relever ensemble un certain nombre de défis divers, tant régionaux que mondiaux, et qu’elles devront donc collaborer pour faire face, notamment à de nouvelles menaces, aux changements climatiques et au crime organisé — dont beaucoup de ramifications remontent jusqu’en Russie. La Russie entretient également d’importantes relations avec d’autres pays avec lesquels l’Alliance pourrait vouloir collaborer; et la Russie possède d’énormes ressources énergétiques dont dépendent beaucoup de pays européens, y compris alliés. M. Ingram a fait la mise en garde suivante : étant donné l’immense arsenal nucléaire que possède la Russie, une série de faux pas ou de malentendus pourrait facilement dégénérer en une course stratégique susceptible de compromettre sérieusement la sécurité mondiale. Il presse donc l’Alliance de trouver le moyen de vaincre les préjugés et d’instaurer une plus grande confiance — même si cela signifie « renoncer à des capacités que nous estimerions habituellement avantageuses[65] ». Il a ajouté qu’il ne s’agit pas de « capituler devant » la Russie, mais plutôt « d’élargir le regard sur la sécurité et les avantages pour la sécurité de tous d’agir dans l’intérêt commun[66] ».

Rôle du Canada dans la coopération internationale en matière de défense

Lorsqu’on examine l’engagement de l’Alliance à remplir trois fonctions essentielles, à savoir la défense collective, la gestion des crises et la sécurité coopérative, il est clair qu’avec le Concept stratégique de 2010, on cherche à trouver un équilibre entre les priorités et les ambitions en matière de défense des 28 États membres. Depuis le Concept stratégique de 1999, il y a eu les événements tragiques du 11 septembre 2001, qui ont changé considérablement la donne au chapitre de la sécurité dans le monde. De plus, l’Alliance compte depuis lors un tiers de membres de plus, tous d’Europe centrale et de l’Est. Il ne faut donc pas se surprendre que l’OTAN soit beaucoup façonnée par la diversité de ses nouveaux membres et son expansion croissante. C’est-à-dire que les alliés qui ont des relations mitigées avec la Russie se préoccupent davantage de ce pays; que les pays qui bordent la Méditerranée se préoccupent davantage de la stabilité dans la région; et que le Canada et les alliés qui partagent sa vision cherchent à maintenir la puissance de la capacité expéditionnaire de l’Alliance[67].

En même temps, bien que les alliés puissent voir la défense collective selon des prismes différents, ce principe n’en demeure pas moins le fondement de l’Alliance. Il continue d’avoir un grand effet dissuasif, et l’Alliance a fait clairement savoir que les alliés restent solidaires pour affronter toute nouvelle menace. Quoique certains observateurs remettent en question l’engagement de l’OTAN en matière de défense collective et à l’égard de l’article 5 en particulier, au moins en ce qui concerne la riposte militaire à d’éventuelles menaces; il faut toutefois admettre que le fait de se porter à la défense d’un allié n’implique pas nécessairement ou automatiquement un recours à la force militaire, comme on se l’imagine souvent. L’OTAN est une alliance à la fois politique et militaire, et invoquer l’article 5 reste une décision politique qui appelle un consensus entre les États membres de l’OTAN. Autrement dit, les alliés devront convenir qu’il y a eu attaque, puis s’entendre sur la nécessité d’une intervention collective, et enfin se mettre d’accord sur les mesures à prendre collectivement, qui peuvent inclure l’utilisation de la force[68]. On pourrait toujours dire que l’une des principales caractéristiques de l’OTAN, c’est peut-être son engagement à mener des consultations politiques lorsque la sécurité de l’Alliance est menacée, comme le prévoit l’article 4 du Traité de l’Atlantique Nord. L’efficacité d’une telle consultation politique a été démontrée en décembre 2012, quand, à la demande de la Turquie, les alliés de l’OTAN ont convenu d’accroître les capacités de défense aérienne de ce pays en réaction aux violations répétées du territoire turc. L’envoi de batteries antimissiles PATRIOT, un système de défense sol-air, par l’Allemagne, les Pays-Bas et les États-Unis, a permis non seulement de protéger le territoire et la population de Turquie, mais aussi de désamorcer la crise à la frontière turco-syrienne. Même s’il n’a pas pris part à ce déploiement, le Canada, qui fait partie du Conseil de l’Atlantique Nord, a participé aux discussions et aux décisions à l’origine de l’intervention. Il convient également de préciser que le contingent de 350 militaires canadiens sous commandement militaire de l’OTAN applique au quotidien les décisions prises par le Canada de concert avec ses alliés.

Il importe d’avoir une vision d’ensemble afin de recenser les éventuelles menaces contre la sécurité du Canada et de l’Alliance et cela signifie affronter ces menaces aussi loin que possible de nos frontières nationales. Dans ce contexte, le Comité a été soulagé d’apprendre que le Canada continue de faire valoir l’importance d’une « défense avancée » au sein de l’Alliance[69]. Que l’OTAN mène une mission en vertu de l’article 5 ou qu’elle soit appelée, par le Conseil de sécurité de l’ONU, à intervenir en cas de crise, elle doit pouvoir compter sur des capacités expéditionnaires solides et durables, comme on a pu le voir dans les missions de l’OTAN en Afghanistan et en Libye.

Étant donné que certains alliés ont une vision plus globale que d’autres, plusieurs observateurs affirment que l’Alliance devient une « OTAN à deux vitesses[70] ». Mais on ne peut pas dire que ces inégalités diminuent nécessairement l’avantage d’être sous commandement de l’OTAN[71]. Le degré d’union politique et militaire de l’Alliance et d’intégration et d’interopérabilité des forces qui la composent est sans précédent dans le monde. Il est peu probable que le Canada ait la capacité ou la volonté politique « d’intervenir seul » dans des situations de crise ou de conflit à l’étranger. L’OTAN est donc une structure digne de confiance au sein de laquelle le Canada peut mener, et même diriger, de tels déploiements, et ce, en dépit du fait qu’il faille à chaque fois créer des coalitions spéciales au sein de l’Alliance. De plus, l’engagement de l’Alliance à renforcer les partenariats partout dans le monde permettra à davantage de nations non membres de l’OTAN de prendre part aux futures opérations expéditionnaires de l’Alliance.

Même si c’est l’option privilégiée, l’adhésion à l’OTAN ne représente qu’un aspect des engagements et des obligations du Canada en matière de défense et de sécurité internationales. Le Comité voudrait que le Canada continue de prendre part aux opérations de paix de l’ONU tout en s’acquittant, bien sûr, de ses obligations envers le NORAD — ce qui, en contrepartie, contribue à renforcer la dimension nord-américaine de l’OTAN. Comme il faudra aussi s’occuper des menaces qui pèsent sur les Amériques et l’Asie-Pacifique, le Canada devrait poursuivre sa participation aux opérations et aux exercices dans ces régions. Étant donné que le gouvernement doit aussi trouver un équilibre entre ces activités internationales et ses propres exigences en matière de défense et de sécurité intérieures, dans un monde où les ressources sont limitées, l’OTAN donne encore au Canada une certaine latitude dans la manière de contribuer à la paix et à la sécurité internationales.

En guise de conclusion, il convient de dire que même si on ne cessera pas de remettre en question la pertinence de l’OTAN ou l’utilité, pour le Canada, de faire encore partie de l’Alliance, le Comité est d’avis que l’OTAN revêt une importance indubitable pour les intérêts du Canada en matière de sécurité, et que notre pays a tout à gagner à être un membre actif de l’Alliance. Cependant, pour que cela continue ainsi, il faudra régler de sérieux problèmes. La diminution actuelle des dépenses dans le secteur de la défense dans tous les pays de l’Alliance est une grande source de préoccupation, et le Comité espère que les projets multinationaux menés dans le cadre de la Défense intelligente contribueront à atténuer les effets des compressions non coordonnées. Les alliés sont mutuellement responsables de veiller à ce que l’Alliance demeure moderne, flexible et entièrement capable de remplir les engagements prévus dans le Concept stratégique de 2010. Pour ce faire, l’organisation devra se réorganiser pour devenir plus efficiente. À ce propos, le Comité encourage le gouvernement du Canada à continuer de demander une réforme et une transformation de l’OTAN. En outre, le Canada devra insister encore sur l’interopérabilité et la déployabilité des capacités au sein de l’Alliance ainsi que sur le renforcement des partenariats avec des pays non membres de l’OTAN et des organisations régionales et multilatérales, comme l’ONU. Les relations entre l’OTAN et la Russie revêtent également une importance capitale pour la sécurité transatlantique et la coopération internationale en la matière. Le Canada pourrait jouer un rôle dans le resserrement de ces liens en travaillant avec des pays partageant sa vision afin d’amener l’Alliance à respecter ses obligations découlant du Traité de non‑prolifération. Enfin, le Canada devra s’assurer que ses propres capacités servent bien l’Alliance et continuer d’investir dans les Forces canadiennes, comme le préconise le Comité.

Le Comité s’intéresse au rôle de l’OTAN et du Canada dans la coopération internationale en matière de défense. Il continuera donc de se tenir informé de tout développement concernant le rôle du Canada au sein de l’OTAN, particulièrement en ce qui a trait au façonnement de l’organisation dans le but de forger l’Alliance du XXIe siècle.



[1]             Stéphane Abrial, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 38, 3 mai 2012.

[2]             Jill Sinclair, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 36, 26 avril 2012, et James Appathurai, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 37, 1er mai 2012.

[3]             James Appathurai, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 37, 1er mai 2012.

[5]             Brian Faler, « White House Rescinds $4.9 Billion in 2013 Spending Cuts », Bloomberg, 4 mai 2013. [en anglais seulement]

[6]             Marcus Weisgerber et Vago Muradian, « DOD Examines 3 Budget-Cut Scenarios », DefenseNews, 19 mai 2013. [en anglais seulement]

[7]             Stéphane Abrial, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 38, 3 mai 2012.

[8]             Les mesures de réduction des dépenses du ministère de la Défense nationale se reflètent dans le Budget des dépenses 2013–2014.

[9]             James Appathurai, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 37, 1er mai 2012.

[10]           Stéphane Abrial, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 38, 3 mai 2012.

[11]           James Appathurai, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 37, 1er mai 2012.

[12]           Ibid.

[13]           Jennifer Welsh, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 50, 16 octobre 2012.

[14]           David Perry, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 41, 17 mai 2012.

[15]           Ibid.

[16]           Rasa Jukneviciene, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 41, 17 mai 2012.

[17]           Jill Sinclair, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 36, 26 avril 2012.

[18]           Ibid.

[19]           James Appathurai, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 37, 1er mai 2012.

[20]           Paul Chapin, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 40, 15 mai 2012.

[21]           Ibid.

[22]           Charles Bouchard, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 45, 7 juin 2012.

[23]           Stéphane Abrial, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 38, 3 mai 2012.

[24]           Ibid.

[25]           James Appathurai, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 37, 1er mai 2012.

[26]           Ibid.

[27]           Jennifer Welsh, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 50, 16 octobre 2012.

[28]           Denis Becirovic, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 42, 29 mai 2012.

[29]           Rasa Jukneviciene, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, Réunion no 41, 17 mai 2012.

[30]           James Appathurai, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 37, 1er mai 2012.

[31]           Assemblée parlementaire de l’OTAN, « Historique ».

[32]           Voir : Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN), « Rapport de la délégation parlementaire canadienne concernant sa participation à la Réunion conjointe de la Commission sur la dimension civile de la sécurité (CDS) et de la Sous-commission sur la coopération et la convergence économiques Est-Ouest (ESCEW) », Sarajevo, Bosnie-Herzégovine, 25 au 27 octobre 2011.

[33]           Voir : Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN), « Rapport de la délégation parlementaire canadienne sur sa participation à la 58e session annuelle de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN », Prague, République tchèque, 9 au 12 novembre 2012.

[34]           Ibid.

[35]           Paul Meyer, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 53, 25 octobre 2012.

[36]           Paul Ingram, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 50, 16 octobre 2012.

[37]           Ibid.

[38]           John CK Daly, « Energy: NATO’s Achilles Heel? », ISN Security Watch, 26 juillet 2012.

[39]           James Appathurai, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 37, 1er mai 2012.

[40]           Pavel Podvig, « Very modest expectations: Performance of Moscow missile defence », Russian strategic nuclear forces, consulté le 21 mars 2013. [en anglais seulement]

[41]           Ibid.

[42]           Paul Meyer, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 53, 25 octobre 2012.

[43]           Samir Battiss, Mémoire – Le Concept stratégique de l’OTAN et le rôle du Canada en matière de coopération de défense internationale, reçu par le NDDN le 9 janvier 2013.

[44]           OTAN, « Engagement actif, défense moderne ».

[45]           James Appathurai, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 37, 1er mai 2012.

[46]           Ibid.

[47]           Jennifer Welsh, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 50, 16 octobre 2012.

[48]           Conférence de presse d’Anders Fogh Rasmussen sur la Libye, Réseau Voltaire, 10 mars 2011. [en anglais seulement]

[49]           Peggy Mason (à titre personnel), NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 53, 25 octobre 2012.

[50]           Assemblée générale, Conseil de sécurité des Nations Unies, « Lettre datée du 9 novembre 2011, adressée au Secrétaire général par la Représentante permanente du Brésil auprès de l’Organisation des Nations Unies », 11 novembre 2011.

[51]           Paul Meyer, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 53, 25 octobre 2012.

[52]           Ibid.

[53]           George Petrolekas, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 40, 15 mai 2012.

[54]           Stéphane Abrial, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 38, 3 mai 2012.

[55]           OTAN, « Engagement actif, défense moderne ».

[56]           Ibid.

[57]           Ernie Regehr, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 46, 12 juin 2012.

[58]           OTAN, « Engagement actif, défense moderne ».

[59]           Organisation du Traité de l’Atlantique du Nord – Nouvelles, « Les dirigeants des pays de l'OTAN se réunissent pour le Sommet de Chicago », 20 mai 2012.

[60]           Paul Meyer, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 53, 25 octobre 2012.

[61]           Jill Sinclair, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 36, 26 avril 2012.

[62]           James Appathurai, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 37, 1er mai 2012.

[63]           Ibid.

[64]           Ibid.

[65]           Paul Ingram, Correspondance de suivi avec le NDDN, reçue le 18 octobre 2012.

[66]           Ibid.

[67]           James Appathurai, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 37, 1er mai 2012.

[68]           Jennifer Welsh, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 50, 16 octobre 2012.

[69]           Jill Sinclair, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 36, 26 avril 2012.

[70]           Paul Chapin, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 40, 15 mai 2012.

[71]           David Perry, NDDN, Témoignages, 1re session, 41e législature, réunion no 41, 17 mai 2012.