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AGRI Rapport du Comité

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PROMOUVOIR LE COMMERCE INTÉRIEUR DES PRODUITS AGRICOLES ET AGROALIMENTAIRES EN RÉDUISANT LES BARRIÈRES INTERPROVINCIALES

Introduction

Le secteur agricole et agroalimentaire canadien produisant plus qu’il n’en faut pour nourrir la population canadienne, c’est vers l’amélioration de l’accès aux marchés internationaux qu’il se tourne naturellement pour assurer sa croissance. Le marché intérieur reste toutefois essentiel pour un grand nombre de produits agricoles et agroalimentaires. L’intérêt grandissant des consommateurs pour les produits locaux et la croissance de la demande pour des nouveaux aliments offrent entre autres des possibilités de débouchés pour certains segments du secteur. On reconnaît également de plus en plus qu’un marché intérieur mieux intégré peut aider le secteur à prendre de l’expansion à l’échelle internationale : viser l’ensemble du marché canadien grâce à l’application de règles nationales, plutôt que de se limiter à une seule province, peut être bénéfique pour la capacité concurrentielle d’une entreprise et ses perspectives d’exportation.

Depuis la conclusion des récentes négociations commerciales avec la Corée du Sud et l’Union européenne, certains considèrent que le commerce intérieur accuse un retard sur la libéralisation du commerce international. Le marché canadien ne serait pas aussi ouvert pour les producteurs canadiens qu’il ne l’est pour nos partenaires commerciaux extérieurs. En juin 2014, le ministre de l’Industrie lançait un appel à la modernisation de l’Accord sur le commerce intérieur (ACI) adopté en 1995 afin de codifier les échanges interprovinciaux. Le 29 août 2014, les premiers ministres des provinces et territoires convenaient de poursuivre leurs travaux visant à renforcer et à moderniser l’ACI, se fixant comme objectif de conclure les négociations avec le gouvernement fédéral au plus tard en mars 2016.

C’est dans ce contexte que le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire (ci-après « le Comité ») a tenu huit audiences publiques entre le 17 février et le 28 avril 2015 avec des représentants de diverses industries du secteur agricole et agroalimentaire canadien afin d’examiner les barrières interprovinciales au commerce des produits agricoles et agroalimentaires. Après un rapide survol des caractéristiques du commerce intérieur, le rapport présente les obstacles au commerce interprovincial identifiés par les témoins, en particulier au niveau fédéral et provincial, puis se penche sur les modifications à l’ACI proposées par les intervenants.

A. Aperçu et enjeux

Le volume de biens et services échangés sur le marché intérieur canadien est important. En 2011, les exportations interprovinciales s’élevaient à 358 milliards de dollars, incluant 41,2 milliards de dollars de produits agricoles et agroalimentaires[1].En comparaison, cette même année, les exportations canadiennes de produits agroalimentaires s’élevaient à 40,3 milliards de dollars[2]. Selon le Conseil de la fédération, le commerce intérieur s’est accru d’environ 60 % depuis dix ans[3].

Le commerce intérieur des produits agricoles et agroalimentaires est influencé par le fait que l’agriculture est une compétence partagée entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Le gouvernement fédéral est responsable du commerce interprovincial et international, alors que les provinces sont responsables de la production et de la mise en marché intérieure des produits agricoles et agroalimentaires.Par exemple, certains produits, comme les viandes, doivent respecter les normes fédérales afin de pouvoir être échangés entre les provinces ou sur les marchés internationaux. En plus de la réglementation fédérale, les provinces peuvent avoir leurs propres règles et règlements sur les aliments produits et vendus au sein de leur territoire.

Selon les produits concernés, certaines industries doivent donc se conformer à une multitude de règles disparates, ce qui peut créer des entraves à la libre circulation des produits d’une province à l’autre — des exemples seront décrits dans la section suivante. Ces obstacles peuvent entraîner des pertes ou des manques à gagner pour certains segments du secteur agroalimentaire. Par exemple, l’industrie des spiritueux estime un manque à gagner annuel d’environ 150 millions de dollars en bénéfices bruts causé par l’impossibilité de saisir certaines occasions sur le marché canadien. Ce manque prive l’industrie d’investissements essentiels pour s’agrandir, innover, veiller à ce que ses usines soient modernes et concurrentielles et élargir ses marchés d’exportation.

Il existe un certain nombre de mécanismes afin d’assurer la coopération et la coordination des efforts entre les provinces et les territoires sur des sujets qui intéressent les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire : le commerce intérieur de produits agricoles et agroalimentaires est principalement codifié par l’ACI, qui est entré en vigueur le 1er juillet 1995. L’ACI vise à abolir les barrières interprovinciales qui entravent la libre circulation des travailleurs, des marchandises, des services et des investissements.Le chapitre 9 de l’ACI couvre les produits agricoles et agroalimentaires et le chapitre 10, les boissons alcooliques. L’ACI a été modifié treize fois depuis sa signature en 1995. La dernière mise à jour a eu lieu en décembre 2012, et comme il a été mentionné précédemment, le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires ont décidé en 2014 de mener un processus de renouvellement de l’Accord.

Des provinces ont également pris des initiatives afin de favoriser le libre-échange. Le Nouveau partenariat de l’Ouest (New West Partnership Trade Agreement) est une entente entrée en vigueur en 2010, qui vise à libéraliser le commerce interprovincial entre la Colombie-Britannique, l’Alberta et la Saskatchewan. En septembre 2009, les provinces du Québec et de l’Ontario ont conclu l’Accord de commerce et de coopération entre le Québec et l’Ontario qui vise également à libéraliser le commerce et atténuer les barrières interprovinciales entre les deux provinces.

Recommandation 1 :

Le Comité recommande qu’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), de concert avec d’autres ministères et organismes fédéraux, dresse la liste des obstacles au commerce interprovincial des produits agricoles découlant des exigences des lois et des politiques fédérales et qu’il fournisse la liste au Comité, et qu’AAC élabore une stratégie pour éliminer les obstacles au commerce et commence la mise en œuvre de cette stratégie au plus tard le 1er janvier 2016.

B. Les obstacles au commerce interprovincial[4]

1. Les règlements provinciaux et territoriaux

Le manque d’uniformité dans l’application des règlements au Canada constitue un obstacle majeur au commerce interprovincial. Par exemple, en ce qui concerne la protection des végétaux, des témoins ont déploré le fait que les provinces ont adopté des mesures qui ne sont pas fondées sur des principes scientifiques, faisant ainsi abstraction des processus réglementaires du gouvernement fédéral.

On assiste donc à la mise en place d’une mosaïque d’approches provinciales en matière de réglementation, à un chevauchement fédéral-provincial inutile et coûteux et à l’émergence d’approches provinciales qui semblent relever davantage de la perception que de la science[5].

Le gouvernement de l’Ontario a récemment restreint l’usage des semences traitées aux néonicotinoïdes en raison de la préoccupation de la santé des pollinisateurs. Or, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) procède actuellement à une analyse de ces produits. M. Cam Dahl, président de Céréales Canada, a souligné que la décision locale d’adopter des lois ne devrait pas outrepasser les décisions réglementaires fondées sur des principes scientifiques de l’ARLA. Il serait prudent d’attendre les résultats d’analyse d’ARLA avant de prendre une décision d’adopter une loi au niveau local. Le manque de coordination fédérale-provinciale désavantage les agriculteurs à l’échelle du pays. Définir des règlements applicables sera essentiel pour s’assurer que les agriculteurs ont les outils dont ils ont besoin pour demeurer compétitifs.

En plus des mesures sanitaires et phytosanitaires, les provinces et territoires mettent en place des mesures de soutien pour certaines industries qui peuvent pénaliser les producteurs dans d’autres provinces.

Il y a également les problèmes qui se posent lorsque certaines provinces subventionnent le transport d’un produit d’une façon quelconque, ce qui crée un terrain de jeux inégal. […] Nous voudrions vraiment voir des plafonds imposés aux subventions, surtout en ce qui concerne le commerce interprovincial. Je ne crois pas qu’une province devrait subventionner le transport lorsque d’autres ne le font pas. Ce n’est pas concurrentiel sur le plan national[6].

D’après M. Jan Westcott, président et chef de la direction de Spiritueux Canada, depuis l’entrée en vigueur de l’ACI, la vente et la distribution de l’alcool compte davantage de mesures protectionnistes provinciales. Un grand nombre de mesures mises en place par les provinces vise à soutenir la production locale. Cependant, ces mesures provinciales discriminent souvent les producteurs des autres provinces, ce qui contribue à la réduction des ventes des boissons alcoolisées à l’intérieur du pays.

Les torts que ces mesures causent à l’économie sont énormes: mauvaise répartition des ressources financières, inefficacité des marchés, choix restreint pour le consommateur, réduction des exportations internationales et, bien honnêtement, des occasions de croissance ratées[7].

De plus, M. Dan Paszkowski de l’Association des vignerons du Canada a indiqué que l’exemption de la taxe d’accise n’est appliquée que sur les produits fabriqués entièrement à partir de raisins canadiens tandis que le vin d’assemblage contenant différentes proportions de raisins canadiens ne bénéficie pas des mêmes avantages d’exemption. Cette situation ne favorise pas le développement de l’industrie du vin.

Le gouvernement fédéral a modifié la Loi sur l’importation de boissons enivrantes portant sur le vin en 2012, puis sur les spiritueux et la bière en 2014, permettant ainsi l’importation interprovinciale des boissons alcoolisées pour usage personnel. Bien qu’il n’existe plus d’entraves fédérales à la commercialisation interprovinciale des boissons alcoolisées, quelques provinces ne permettent toujours pas la libre circulation de ces produits. Certaines provinces, telles que la Colombie-Britannique et le Manitoba autorisent l’expédition directe sous certaines conditions. Par exemple, la Colombie-Britannique permet uniquement la distribution des vins dont les fruits sont entièrement produits localement[8]. Selon l’industrie, les réticences des provinces ne sont pas justifiées :

Les provinces s’inquiètent que la livraison directe aux consommateurs remplace les ventes dans leurs magasins, d’où une perte de recettes pour elles. Nous croyons que le volume de vins expédiés sera relativement faible. Nous prévoyons qu’environ 60 000 litres seront livrés directement chaque année. Il s’agira de nos vins de qualité supérieure. Le prix moyen du vin envoyé aux États-Unis est de 38 $ la bouteille; il s’agit donc d’une clientèle particulière. Cependant, c’est un circuit de vente très important pour certains des petits producteurs, et ce sont eux qui profiteront le plus de la livraison directe au consommateur. […] Si on met en place un système de vente directe au consommateur, les taxes pourront être payées. Il faudra payer les taxes provinciales, de même que les prélèvements liés à l’envoi direct au consommateur[9].

Certains témoins ont suggéré de prendre exemple sur les États-Unis en ce qui concerne la réglementation de l’expédition des vins, l’élaboration de politiques et la collecte des taxes relatives[10]. Plusieurs témoins s’entendent pour dire qu’il est nécessaire de mettre en place des mesures provinciales équivalentes à celles du gouvernement fédéral afin de libéraliser le commerce dans le secteur des boissons alcoolisées.

Pour certains témoins, un moyen de faire bouger les provinces dans le sens d’une plus grande libéralisation du commerce est d’accroitre la demande des consommateurs pour les produits canadiens. En sensibilisant les consommateurs grâce à des initiatives de marketing, la demande pour les produits canadiens augmentera et incitera les provinces et territoires, en particulier leurs régies des alcools, à modifier leurs pratiques. L’industrie du vin, par exemple, essaie d’établir un projet dans le cadre du Programme Agri-marketing pour avoir accès à une partie des fonds qui étaient autrefois uniquement réservés à l’expansion des exportations et qui peuvent maintenant servir à des activités de promotion sur le marché intérieur.

Recommandation 2 :

Le Comité recommande qu’Agriculture et Agroalimentaire Canada maintienne des programmes de contribution qui visent la promotion des produits canadiens sur le marché intérieur.

2. Les règlements fédéraux

En plus de la mosaïque de règlements différents au niveau provincial, certaines lois fédérales concernant les produits agricoles mises en place il y a longtemps sont désuètes et ne correspondent plus à la situation actuelle, ce qui freine le commerce intérieur. Dans le secteur des fruits et légumes, des témoins ont indiqué que la réglementation sur la taille des contenants est un obstacle à la libre circulation de ces produits. En effet, certains produits sont assujettis aux formats de contenants normalisés prescrits dans le Règlement sur les fruits et les légumes frais. Selon les représentants d’AAC, les exemptions ministérielles, autorisant le transport en contenants non standards à certaines conditions, sont fréquemment utilisées. Actuellement, la réglementation en matière de contenants normalisés fait l’objet d’un examen[11].

Le Comité s’est également penché sur la Loi sur la commercialisation des produits agricoles (LCPA) et son utilisation par les provinces.

La LCPA permet au gouverneur en conseil de déléguer ces pouvoirs aux offices de commercialisation des provinces. Donc, par exemple, si l'Office de commercialisation de la pomme de terre de l'Île-du-Prince-Édouard a un décret, ses membres auraient le pouvoir de parler du prix, des conditions de commercialisation, de la valorisation de la marque et ils auraient surtout l'occasion de percevoir des redevances sur les produits destinés au commerce provincial ou interprovincial[12].

Les intervenants ont fait valoir que la LCPA est une loi très utilisée visant au moins 30 différents groupes de producteurs au pays. Elle remonte à 1949 et on veut s’assurer qu’elle cadre avec l’industrie agricole canadienne d’aujourd’hui.

La LCPA est le fondement juridique dont se servent les associations provinciales de producteurs pour prendre des décrets de commercialisation par le biais du Conseil des produits agricoles du Canada. On peut ainsi limiter la concurrence dans la commercialisation du produit donné à l’intérieur des frontières provinciales.

Recommandation 3 :

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada procède à un examen de la Loi sur la commercialisation des produits agricoles (LCPA) en vue de réduire les obstacles au commerce intérieur et les lourdeurs administratives et d’assurer une application moderne de
la Loi.

D’autres normes établies dans le Règlement sur les aliments et drogues ne reflètent plus les réalités du marché. Par exemple, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) procède à une révision de la définition de la bière établie dans ce réglement. Ce processus inquiète bien des microbrasseries,

car ceci aurait une incidence déterminante sur la portée des règles de production, d’étiquetage, de distribution et de taxation de la bière. Une définition trop large aurait pour effet de favoriser des breuvages édulcorés à base de sucre raffiné qui ne sont pas véritablement de la bière, d’un côté. D’un autre côté, une définition qui serait trop restrictive empêcherait la créativité des microbrasseurs[13].

De plus, les intervenants de l’industrie et les provinces proposent une définition de la composition de la bière qui leur est propre. La principale inquiétude des microbrasseries réside dans le fait qu’un manque de consultation auprès de tous les intervenants de l’industrie afin de convenir d’une définition commune risque d’entraîner des problèmes à la mise en œuvre des politiques et règlements. Les microbrasseries souhaitent une concertation auprès des différents intervenants de l’industrie avant la prise de décision à l’endroit de toutes modifications aux règlements.

Les règlements relatifs à la salubrité alimentaire constituent un autre exemple où il y a un manque de coordination ou d’uniformité entre les provinces et le gouvernement fédéral. Les abattoirs qui n’écoulent leurs produits que dans la province où ils sont établis sont sous la responsabilité du gouvernement provincial. Pour qu’un abattoir puisse vendre dans une autre province, il doit être enregistré auprès de l’ACIA et répondre à la norme fédérale en vertu de la Loi sur l’inspection des viandes. Bien que certains aliments soient transformés et vendus dans la même province, les grandes épiceries exigent des inspections fédérales.

L’obligation d’un enregistrement fédéral de certains types d’établissements pour être admissibles au commerce interprovincial peut être considérée comme une importante source d’irritation pour certaines entreprises. Les installations agrées par la province ne sont pas nécessairement conformes aux exigences fédérales, par exemple, la distance précise d’un drain par rapport à la porte. Afin d’obtenir la reconnaissance fédérale, les établissements homologués par les provinces devront investir des sommes considérables dans leur infrastructure. Souvent, ces établissements n’ont pas les moyens de se conformer aux exigences fédérales sans compter tout le fardeau administratif que cela implique.

De nombreux témoins ont tenu à préciser que l’enregistrement au fédéral doit rester la norme pour le commerce interprovincial et que toute mise à jour du système d’inspection des viandes ne doit pas affaiblir le système de salubrité des aliments. En adoptant des exigences plus souples, uniformes et davantage axées sur les résultats, un grand nombre d’établissements pourraient obtenir une homologation fédérale. D’ailleurs, le gouvernement fédéral est en train de simplifier la réglementation relative aux aliments en regroupant plusieurs règlements dans un seul texte lié à la Loi sur la salubrité des aliments au Canada.

Recommandation 4 :

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada poursuive la modernisation des normes fédérales, particulièrement en ce qui concerne les contenants standards et l’inspection des viandes.

C. La réforme de l’Accord sur le commerce intérieur

Comme il a été mentionné précédemment, certains règlements fédéraux qui peuvent entraver le commerce interprovincial doivent être modernisés. Le gouvernement fédéral peut également appuyer la promotion des produits canadiens sur le marché intérieur. Cependant, comme l’ont souligné plusieurs témoins, ce sont les provinces et les territoires qui disposent de la plupart des leviers pour faciliter le commerce intérieur.

Le gouvernement fédéral n’a à sa disposition que peu de mécanismes stratégiques, juridiques ou réglementaires qui pourraient influer sur le commerce intérieur comparativement aux provinces et aux territoires[14].

En vertu de sa compétence en matière de commerce interprovincial, le gouvernement fédéral a néanmoins un rôle important de leadership à jouer, en particulier en ce qui concerne l’ACI. La quasi-totalité des témoins a affirmé leur soutien à l’initiative de modernisation de l’ACI, puisque selon eux il s’agit de la principale initiative qui permettra de réduire les barrières interprovinciales et de promouvoir le commerce intérieur de produits agricoles et agroalimentaires.

Les témoins s’accordent pour dire que l’ACI n’a pas toujours fonctionné de façon optimale. Ils ont tout d’abord souligné l’absence d’uniformité entre l’ACI et les accords de libre-échange internationaux signés par le Canada. Ceci s’explique entre autres par la façon dont l’ACI a été rédigé, comme l’a expliqué le négociateur en chef pour l’agriculture d’AAC :

[D]ans nos accords internationaux, les règles générales s’appliquent, sauf exception. C’est ce qu’on appelle une liste négative[15]. […] l’Accord sur le commerce intérieur est fondé sur l’approche de la liste positive. Il s’agit d’énumérer les régions ou les mesures où l’on est prêt à appliquer les obligations[16].

Les témoins ont suggéré que les barrières interprovinciales doivent être traitées de la même façon que les obstacles au commerce international. Il faut donc essayer de reproduire, dans l’ACI, le modèle des accords internationaux parce que ceux-ci ont fait leurs preuves. La formulation pourrait donc être plus ferme et semblable aux engagements obligatoires que le Canada prend lorsqu’il signe des accords internationaux. Par exemple, l’ACI pourrait contenir des règles générales comme les principes non discriminatoires qui s’appliqueraient à tous les produits, et définir explicitement les exceptions comme cela se fait dans les accords commerciaux internationaux.

Parmi ces principes généraux, des témoins souhaiteraient que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux s’engagent sincèrement à éliminer toutes les mesures discriminatoires offrant soutien et protection aux producteurs d’une province donnée. D’autres ont indiqué l’importance d’établir, dans le cadre du commerce intérieur, des normes de protection des investisseurs au moins équivalentes à celles qui sont appliquées aux entreprises étrangères dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain et éventuellement de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne.

La majorité des témoins appuie toutefois la notion que l’ACI doit permettre à tous les producteurs canadiens d’être traités sur un pied d’égalité (level playing field). En amorçant un changement d’architecture de l’ACI qui énoncerait des principes généraux applicables à tous, l’Accord favoriserait une plus grande libéralisation du commerce des produits agricoles et agroalimentaires.

Recommandation 5 :

Le Comité recommande que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces et territoires pour que l’Accord sur le commerce intérieur soit reformulé sur le modèle des accords commerciaux internationaux, c’est-à-dire qu’il énoncerait des principes généraux de libre-échange s’appliquant à tous les secteurs et identifierait les mesures ou secteurs qui ne seraient pas couverts par l’Accord.

Devant la mosaïque de règlements provinciaux concernant les produits agricoles et agroalimentaires et les problèmes que cela peut entraîner pour le commerce (voir la section précédente), les témoins ont suggéré que l’ACI intègre des articles qui imposeraient une discipline sur l’utilisation de certaines pratiques règlementaires, comme les mesures phytosanitaires, et les subventions pour certains secteurs, comme le transport.

Un témoin a rappelé que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a établi une série d’accords relatifs à la réglementation. Ce cadre juridique défini par ces accords comprend par exemple, des règles entourant les mesures sanitaires et phytosanitaires, les obstacles techniques au commerce, les subventions, les mesures antidumping et les tarifs compensateurs[17]. Ces accords incitent les gouvernements à ne pas dresser des obstacles qui nuisent au commerce s’il n’y a pas de raisons légitimes de réglementer un secteur. Ils fournissent des règles du jeu équitables pour tous les intervenants.

L’inclusion dans l’ACI de dispositions sur les mesures réglementaires et de soutien permettrait aux administrations de l’ensemble du pays de s’entendre sur certains paramètres, en particulier une approche fondée sur des principes scientifiques pour les règlements sanitaires, et d’assurer la mise en place d’une approche nationale sans toutefois retirer aux provinces leur droit de mettre au point leurs propres lois et règlements.

Cette clause permettrait l’examen des règlements relatifs aux produits agricoles, notamment les produits de protection des cultures et les semences, pour veiller à ce que ces règlements soient conformes aux normes nationales et s’intègrent au cadre réglementaire canadien fondé sur des principes scientifiques[18].

Recommandation 6 :

Le Comité recommande que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces et territoires pour que l’Accord sur le commerce intérieur inclue des dispositions qui visent à discipliner certaines mesures réglementaires et de soutien afin que ces mesures ne créent pas d’obstacles indus au commerce interprovincial.

Finalement, des témoins ont indiqué que le mécanisme de règlement des différends de l’ACI prend trop de temps et ne contient aucun régime de sanction.

L’affaire mettant en cause la Loi sur les produits alimentaires du Québec qui a été engagée en vertu de cet accord par le gouvernement de la Saskatchewan, appuyé par le Manitoba, l’Alberta et la Colombie-Britannique, en est un bon exemple. […] La période entre le moment où l’affaire a été engagée et le moment de son règlement a été longue. En effet, il a fallu presque cinq ans en tout, si l’on tient compte d’un différend et d’une décision similaires en Ontario, en 2011, pour garantir l’accès des huiles végétales de l’Ouest canadien à l’Ontario et au Québec. Ce délai est trop long pour inciter les participants de l’industrie à investir et à innover. Un mécanisme de règlement des différends et de contrôle similaire à ceux en place à l’OMC ou dans l’ALENA devrait être considéré comme un élément essentiel d’un ACI moderne[19].

Les témoins ont unanimement reconnu que l’ACI doit inclure un processus de règlement plus rapide et contraignant que le mécanisme actuel. Ce processus devrait être assorti de délais garantis pour la résolution des différends et prévoir des conséquences pour ceux qui ne respecteront pas les dispositions de l’Accord. Un témoin a même proposé que ce processus prenne la forme d’un « tribunal permanent » de manière à gagner en expertise et en fonctionnalité tout en créant plus de prévisibilité sur la procédure à suivre en cas de différend.

Recommandation 7 :

Le Comité recommande que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces et territoires pour que l’Accord sur le commerce intérieur inclue des modalités d’un système de règlement des différends qui soit rapide, prévisible et contraignant pour les parties qui ne respecteront pas les dispositions de l’Accord.

Conclusion

Le marché intérieur reste un débouché essentiel pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien. Avec la multiplication des accords internationaux de libre-échange, l’amélioration du fonctionnement du marché canadien a toutefois reçu moins d’attention que l’accès aux marchés extérieurs. La multiplication de règlements disparates ou parfois désuets ne facilite pas les échanges et créent parfois des barrières indues au commerce. La libre circulation des produits entre les provinces et territoires en a souffert, et il est fréquent d’entendre certains intervenants de l’industrie dire qu’il est plus facile d’exporter à l’extérieur du Canada que vers une autre province. L’ACI a montré ses limites au cours de ses 20 années d’application et un renouvellement en profondeur de l’Accord s’avère nécessaire. Le Comité est convaincu que ses recommandations qui visent à adapter l’ACI sur le modèle des accords internationaux permettront de mieux codifier, et par conséquent de faciliter, le commerce des produits agricoles et agroalimentaires entre les provinces et territoires.



[1]                     Statistique Canada, Tableau 386-0003, « Tableaux entrées-sorties provinciaux, flux de commerce international et interprovincial, niveau sommaire, prix de base annuel (dollars x 1 000 000) », CANSIM (base de données), consultée le 11 février 2015.

[2]              Agriculture et agroalimentaire Canada, Vue d’ensemble du système agricole et agroalimentaire canadien, 2013.

[4]              Cette section présente les obstacles identifiés par les différents témoins et ne brosse pas un tableau exhaustif de tous les obstacles au commerce interprovincial.

[5]              Chambre des communes, Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire (AGRI), Témoignages, réunion no 55, 2e session, 41e législature, 12 mars 2015, 1645 (Tyler Bjornson, président, Canada Grains Council)

[6]              AGRI, Témoignages, réunion no 56, 2e session, 41e législature, 24 mars 2015, 1550 (Jason Verkaik, président, Association des fruiticulteurs et des maraîchers de l'Ontario)

[7]              AGRI, Témoignages, réunion no 51, 2e session, 41e législature, 19 février 2015, 1530 (Jan Westcott, président et chef de la direction, Spiritueux Canada)

[8]              AGRI, Témoignages, réunion no 51, 2e session, 41e législature, 19 février 2015, 1600 (C.J. Helie,
vice-président exécutif, Spiritueux Canada)

[9]              AGRI, Témoignages, réunion no 52, 2e session, 41e législature, 24 février 2015, 1550 (Dan Paszkowski, président et chef de la direction, Association des vignerons du Canada)

[10]           AGRI, Témoignages, réunion no 58, 2e session, 41e législature, 28 avril 2015, 1610 (Del Rollo, secrétaire-trésorier, Winery and Grower Alliance of Ontario)

[11]           AGRI, Témoignages, réunion no 51, 2e session, 41e législature, 19 février 2015, 1645 (Ron Lemaire, président, Association canadienne de la distribution de fruits et légumes)

[12]           AGRI, Témoignages, réunion no 50, 2e session, 41e législature, 17 février 2015, 1705 (Greg Meredith, sous-ministre adjoint, Direction générale des politiques stratégiques, ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire)

[13]           AGRI, Témoignages, réunion no 58, 2e session, 41e législature, 28 avril 2015, 1545 (Marc Godin, secrétaire-trésorier, Association des microbrasseries du Québec)

[14]           AGRI, Témoignages, réunion no 50, 2e session, 41e législature, 17 février 2015, 1535 (Frédéric Seppey, négociateur en chef pour l’agriculture et directeur général, Direction des accords commerciaux et des négociations, Direction générale des services à l’industrie et aux marchés, ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire)

[15]           AGRI, Témoignages, réunion no 50, 2e session, 41e législature, 17 février 2015, 1545 (Frédéric Seppey)

[16]           AGRI, Témoignages, réunion no 50, 2e session, 41e législature, 17 février 2015, 1700 (Frédéric Seppey)

[17]           Il s’agit de l’Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires, de l’Accord sur les obstacles techniques au commerce, de l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires et de l’Accord sur la mise en œuvre de l'article VI (6) de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994.

[18]           AGRI, Témoignages, réunion no 51, 2e session, 41e législature, 19 février 2015, 1635 (Cam Dahl, président, Céréales Canada)

[19]           AGRI, Témoignages, réunion no 54, 2e session, 41e législature, 10 mars 2015, 1530 (Rick White, premier dirigeant, Canadian Canola Growers Association)