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FAAE Rapport du Comité

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CHAPITRE 3 : CROISSANCE ÉCONOMIQUE INCLUSIVE — LA VOIE VERS LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ

Alors que la partie précédente portait sur les motifs d’ordre quantitatif pour lesquels le secteur privé est considéré comme une force majeure dans le développement, la présente partie traite des motifs d’ordre qualitatif.

Comme nous l’avons mentionné, la communauté internationale s’est réunie en 2000 afin d’élaborer un plan d’action pour le développement mondial, soit les huit Objectifs du Millénaire pour le développement. Au niveau le plus élevé, ils évaluent les progrès accomplis sur plusieurs fronts : lutte contre la pauvreté et nutrition, éducation universelle, égalité entre les sexes, santé infantile, santé maternelle, lutte contre le VIH/sida, viabilité environnementale et partenariat mondial. Les objectifs demeurent le plus important motif de consensus international sur l’objectif global des efforts en matière de développement : réduction de la pauvreté et amélioration de la qualité de vie. Chaque objectif est assorti de cibles et d’indicateurs pour le suivi des progrès jusqu’en 2015, échéance fixée pour la réalisation. Par exemple, l’objectif 1 porte sur l’élimination de la pauvreté extrême et de la faim. Plusieurs cibles s’y rattachent, dont l’une, la cible 1.A, consiste à réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour. L’un des indicateurs mesure donc la proportion de la population d’un pays disposant de moins d’un dollar par jour[41].

La question fondamentale est donc de savoir comment s’y prendre pour atteindre ces objectifs et ces cibles. Il est maintenant largement admis que le développement à long terme et, partant, la réduction de la pauvreté, ne peuvent se faire sans croissance économique. En d’autres termes, la croissance économique est essentielle au développement et, bien que cela puisse paraître simple en apparence, il s’agit d’une thèse fondamentale qui est indispensable pour déterminer les aspects (les programmes, les priorités et les partenaires) de toute approche stratégique nationale en matière de développement international. Comme l’a fait valoir M. Dade dans son témoignage : « Ce qu'il faut retenir […], c'est qu'aucun pays ne s'est sorti de la catégorie des pays sous-développés grâce à l'aide au développement; ils s'en sont sortis par eux-mêmes[42]. » Une donnée souvent mentionnée à l’appui de cet argument est que des centaines de millions de personnes sont sorties de la pauvreté dans des pays tels la Chine, l’Inde et la Corée du Sud durant les dernières décennies, non pas grâce aux programmes d’aide internationale, mais par suite de la croissance économique à grande échelle et échelonnée sur plusieurs années.

La croissance économique est essentielle à la réduction de la pauvreté, mais cette croissance émane principalement des investissements du secteur privé et de la création d’emplois et d’entreprises qui en découle. Dans un discours prononcé en 2011, Mme Helen Clark, administratrice du Programme des Nations Unies pour le développement, en a fait mention et a déclaré que « le développement est l’affaire de tous ». Soutenant que les gouvernements devraient créer de vastes partenariats pour obtenir des résultats en matière de développement, elle a indiqué : « La croissance économique, qui est essentielle au développement, est principalement le fait du secteur privé. De bien des façons, les entreprises — des multinationales aux microentreprises en passant par les petites et moyennes — génèrent la croissance qui peut favoriser l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le développement[43]. »

Mme Wendy Hannam, vice-présidente à la direction, Opérations internationales, Banque Scotia, a dit au Comité : « On admet de plus en plus aujourd'hui que la croissance, la réduction de la pauvreté et l'amélioration des conditions de vie des gens exigent un secteur privé dynamique, qui constitue un partenaire actif du développement économique[44]. » Elle a signalé qu’environ 90 % des emplois dans les pays en développement se trouvent dans le secteur privé. Dans son témoignage, M. Dade a également souligné la primauté du rôle que joue le secteur privé dans la croissance économique :

L'aide au développement parvient à empêcher les gens de mourir de faim, mais pour les sortir de façon durable de la pauvreté, il faut leur donner le pouvoir de prendre leurs propres décisions et d'exploiter leurs ressources, d'effectuer leurs propres choix en matière de santé, d'éducation, de nutrition et de logement — et c'est le secteur privé qui s'en occupe. Les gouvernements veillent à ce que la croissance s'effectue dans un environnement équitable et approprié; par contre, sans le secteur privé pour créer la richesse, le gouvernement ne pourrait rien faire[45].

M. David Tennant, qui est à la tête d’un programme agricole dirigé par des bénévoles canadiens au Soudan du Sud, a dit au Comité :

Il va de soi que la contribution du secteur privé est impérative. Nous nous devons d'aider des pays comme la République du Soudan du Sud à édifier leur nation et à aspirer à l'indépendance économique tout en évitant les erreurs du passé qui ont fait en sorte que de nombreux pays en développement sont devenus dépendants à l'égard de l'aide internationale, même si le tout partait de bonnes intentions[46].

M. Tennant a cependant reconnu que « si la solution semble simple, son application ne l’est pas autant[47] ».

En fait, d’autres témoins étaient d’avis que même si la croissance économique est essentielle au développement, à elle seule, elle ne suffit pas à réduire la pauvreté et à rehausser le niveau de vie. M. Khalil Shariff, directeur général de la Fondation Aga Khan Canada, a expliqué au Comité :

[…] il y a aujourd'hui un très fort consensus sur le rôle crucial que joue la croissance économique dans la réduction de la pauvreté et, bien sûr, le rôle central que joue un secteur privé dynamique dans la croissance économique. Vous avez cependant pu constater aussi, à juste titre me semble-t-il, que toutes les formes de croissance économique ne sont pas les mêmes et ne débouchent pas nécessairement sur la réduction de la pauvreté[48].

Dans le mémoire présenté au Comité par la Fondation, il est écrit : « La croissance se produit dans de nombreux pays, mais est souvent séparée des communautés marginalisées. » On y ajoute que « le secteur privé a un rôle important à jouer tant pour établir un lien entre les pauvres et la croissance que pour leur donner accès à des services de base[49] », deux éléments clés du développement.

À l’échelle internationale, on reconnaît donc de plus en plus que la réduction de la pauvreté dans le monde dépend de la mesure dans laquelle les pauvres sont intégrés à la croissance économique. Un aspect important de cette réalité, comme l’ont indiqué des témoins, notamment Mme Hannam, de la Banque Scotia, est qu’il faut faire participer les pauvres à la croissance économique sur les marchés officiels, ce qu’on appelle la « croissance favorable aux pauvres[50] ». De l’avis de M. Shariff, pour que le secteur privé contribue à réduire la pauvreté, les intervenants de ce secteur doivent « maximiser les effets multiplicateurs de leurs investissements » (c.-à-d. un investissement dans l’infrastructure qui peut catalyser d’autres activités commerciales); ils doivent appliquer des modèles d’affaires inclusifs qui conjuguent « des objectifs durables de commerce et de développement » et ils doivent « cibler les secteurs marginalisés de la population de façon à amplifier l'impact de développement[51] ».

Tout au long des audiences du Comité, les témoins ont insisté sur l’importance de la saine gouvernance et ont indiqué que, sans de solides institutions publiques, la croissance économique sera inhibée ou bien elle ne profitera pas à la majorité des membres de la société. Par exemple, Mme Bonnie Campbell, professeur à la Faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal, a dit au Comité :

[…] les investissements dans le secteur [privé] ne se traduisent pas à eux seuls par le développement socioéconomique durable. En effet, il n'y a aucun exemple historique au monde de croissance et de développement socioéconomique durables et de réduction de la pauvreté réalisés grâce à des investissements privés, en l'absence de politiques et d'interventions de l'État appropriées et nécessaires pour planifier, réglementer et aiguiller ces investissements en vue d'atteindre ses propres objectifs de développement[52].

Selon un grand nombre de témoins, il faut de bonnes institutions publiques pour garantir un environnement fiable pour les investissements du secteur privé et pour gérer les relations entre les activités du secteur privé et les vastes intérêts sociaux. Pour M. Fraser Reilly-King, analyste des politiques au Conseil canadien pour la coopération internationale, le développement vraiment durable nécessite le « recours à des mécanismes de contrôle propres au pays[53] ».

C’est précisément pour ces raisons que le Comité pense que le secteur privé et le secteur public ont tous deux un rôle important à jouer pour concrétiser la vision qui sous-tend la réduction de la pauvreté chronique grâce à la croissance économique inclusive engendrée par le secteur privé. À l’appui de cette vision, on trouvera dans les parties qui suivent un exposé des rôles que devraient exercer les intervenants des secteurs public et privé pour accroître le plus possible l’efficience, l’efficacité et l’impact des efforts de développement.

En dernier lieu, il importe de souligner l’évolution actuelle du phénomène de la pauvreté dans le monde. On évalue, entre autres, que les deux tiers des personnes pauvres vivent actuellement dans des pays à revenu moyen[54], qui, selon la définition qu’en donne la Banque mondiale, sont des pays dont le produit intérieur brut (PIB) par habitant est supérieur à 1 000 $. Comme l’ont mentionné MM. Andy Sumner et Ravi Kanbur, chercheurs dans le domaine du développement, « il s’agit d’un changement draconien par rapport à il y a à peine deux décennies, quand 93 % des pauvres vivaient dans des pays à faible revenu[55] ».

Les Nations Unies signalent également que l’Objectif 1 du Millénaire qui a trait à la réduction de la pauvreté a été atteint avant l’échéance. On évalue à 24 % la proportion de personnes vivant avec moins de 1,25 $ par jour, comparativement à 47 % en 1990[56]. Néanmoins, malgré les indicateurs de progrès agrégés, de grandes disparités subsistent dans les niveaux de vie entre les pays et à l’intérieur des pays. Par conséquent, en plus de sortir les gens de la pauvreté abjecte, il reste à déterminer comment offrir des possibilités de vie meilleure (mobilité sociale et économique) à un grand nombre de personnes qui ne vivent peut-être plus dans la pauvreté abjecte, mais dont les revenus limités ne leur permettent pas de joindre les deux bouts et qui s’efforcent d’accroître leurs revenus. Le contexte de la pauvreté mondiale en évolution accentue aussi la nécessité de miser sur le développement de petites et moyennes entreprises ainsi que sur le renforcement des capacités des institutions dans les pays en développement, dont beaucoup peuvent émerger d’une situation officielle de faible revenu, mais sont encore aux prises avec un piètre régime de gouvernance, des économies informelles considérables et l’inégalité des chances.

Un autre aspect de la pauvreté dans le monde est l’urbanisation, qui va en s’accélérant[57]. Dans bien des pays en développement, une grande proportion de la population urbaine est jeune (souvent âgée de moins de 25 ans). Mme Bev Oda, alors ministre de la Coopération internationale du Canada, a indiqué au Comité que garantir des emplois et d’autres possibilités à ces jeunes, qui formeront « plus de 52 % de la population » dans les pays en développement, représentera un défi de taille[58]. En revanche, on peut considérer qu’une forte population de jeunes recèle des possibilités. Faisant état des taux de croissance économique élevés qu’ont enregistrés plusieurs pays de l’Afrique subsaharienne au cours des 10 dernières années, la revue The Economist mentionnait que le phénomène de l’explosion démographique qui englobe les personnes sur le point d’amorcer leurs années les plus productives en Afrique, un élément essentiel de la réussite économique en Asie orientale au XXe siècle, « offre d’immenses possibilités à l’Afrique d’aujourd’hui[59] ». Mais comme l’a laissé entendre la Ministre, cette explosion démographique sera source de prospérité ou d’instabilité selon les possibilités offertes aux jeunes de se bâtir une vie meilleure[60].


[41]           Nations Unies, « Indicateurs des Objectifs du Millénaire pour le développement : Liste officielle des indicateurs associés aux OMD », date d’effet : 15 janvier 2008, consulté le 16 juillet 2012.

[42]           FAAE, Témoignages, 26 mars 2012.

[43]           PNUD, The MDGs and Business: Potentials of the Private Sector for Achievement of the MDGs, Remarques de Helen Clark, administratrice du Programme des Nations Unies pour le développement, Conférence sur les Objectifs du Millénaire pour le développement, Tokyo, Japon, 3 juin 2011.

[44]           FAAE, Témoignages, 12 mars 2012.

[45]           FAAE, Témoignages, 26 mars 2012.

[46]           FAAE, Témoignages, 23 avril 2012.

[47]           Ibid.

[48]           FAAE, Témoignages, 7 mai 2012.

[49]           Fondation Aga Khan Canada, Présentation au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, FAAE, 7 mai 2012, p. 3.

[50]           FAAE, Témoignages, 12 mars 2012.

[51]           FAAE, Témoignages, 7 mai 2012.

[52]           FAAE, Témoignages, 4 avril 2012.

[53]           FAAE, Témoignages, 28 mai 2012.

[54]           Bien entendu, la composition de la pauvreté dans le monde et les tendances connexes donnent lieu à des débats. Par exemple, dans le résumé d’un document publié en juillet 2012 par des spécialistes du développement du Brookings Institution et de l’Overseas Development Institute, il est indiqué : « [D]’ici 2025, la pauvreté touchera surtout des États d’Afrique fragiles et principalement à faible revenu, ce qui va à l’encontre des préoccupations générales que soulève actuellement le phénomène de transition de la concentration de la pauvreté dans les pays à revenu moyen. De plus, une part du revenu des pays industrialisés plus restreinte que jamais pourrait aplanir l’écart de pauvreté qui reste dans le monde, bien que les transferts directs de revenu ne soient pas encore réalisables dans de nombreux contextes nationaux précaires. » [traduction] Voir Homi Kharas et Andrew Rogerson, Horizon 2025: Creative Destruction in the Aid Industry, Overseas Development Institute, juillet 2012.

[55]           [traduction] Andy Sumner et Ravi Kanbur, « Why give aid to middle-income countries? », PovertyMatters Blog, The Guardian, 23 février 2011. Andy Sumner est chercheur universitaire à l’Institute of Development Studies à l’Université de Sussex et adjoint invité au Centre for Global Development à Washington, D.C. Ravi Kanbur est professeur T.H. Lee d’affaires mondiales et professeur d’économie à l’Université Cornell.

[56]           Nations Unies, Objectifs du Millénaire pour le développement – Rapport de 2012, New York, 2012.

[57]           Selon des données publiées par les Nations Unies, « les zones urbaines du monde entier devraient absorber la totalité de la croissance démographique au cours des quatre prochaines décennies tout en attirant une partie de la population rurale […] Par ailleurs, la majeure partie de la croissance démographique prévue dans les zones urbaines sera concentrée dans les villes et les municipalités des régions les moins développées. » [traduction] Voir Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, « Highlights », World Urbanization Prospects: The 2011 Revision, New York, mars 2012.

[58]           FAAE, Témoignages, 14 mars 2012.

[60]           FAAE, Témoignages, 14 mars 2012.