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ACVA Rapport du Comité

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L’URANIUM APPAUVRI ET LES VÉTÉRANS DU CANADA

Introduction

Utilisé pour la première fois durant la première Guerre du Golfe en 1990–1991 dans les munitions et le blindage de certains véhicules, et par la suite dans les conflits des Balkans, l’uranium appauvri (UA) a été la source de débats animés au sein de la communauté scientifique et de la communauté des vétérans. Tous les pays impliqués dans ces conflits ont dû répondre aux inquiétudes exprimées par leurs vétérans quant aux conséquences possibles de l’UA sur leur santé. L’apparition de symptômes dont les causes demeuraient mystérieuses — regroupés sous le terme de  « syndrome de la Guerre du Golfe » — fut souvent attribuée à l’UA.

Au Canada, cette question est apparue à la fin des années 1990, mais différentes études sont par la suite venues contredire l’existence d’un lien entre l’UA et certaines conditions médicales dont pouvaient souffrir les vétérans. Le débat a donc quitté l’avant-scène pour resurgir en 2010 après qu’un vétéran des Forces canadiennes, Pascal Lacoste, ait affirmé avoir reçu plusieurs diagnostics médicaux d’empoisonnement à l’UA. Après avoir entrepris une grève de la faim à l’automne 2011 afin de faire reconnaître l’authenticité de ce diagnostic par Anciens Combattants Canada, M. Lacoste a accepté l’offre du ministre des Anciens Combattants, l’honorable Steven Blaney, de cesser ses démarches jusqu’à ce qu’un comité scientifique indépendant ait étudié la question plus à fond et fait des recommandations au ministre. Le Comité consultatif scientifique sur la santé des anciens combattants (CCSSAC) a alors été mis sur pied, et son rapport — confirmant la validité des études scientifiques précédentes — a été rendu public en février 2013.

Désirant se pencher sur le rapport du CCSSAC, le Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes (le « Comité ») a demandé à des scientifiques et à des vétérans de venir partager leurs réactions face aux conclusions qu’il contenait.

Les scientifiques qui ont témoigné devant le Comité ont tous soutenu les conclusions du rapport à l’effet qu’il était improbable que les conditions médicales dont souffrent certains vétérans soient une conséquence de leur exposition à l’UA. Ils ont affirmé que les recherches pointaient maintenant si clairement dans cette direction qu’il serait désormais beaucoup plus constructif pour les vétérans si les scientifiques recherchaient ailleurs les causes de certaines conditions médicales mal connues, et si les médecins pouvaient offrir des traitements adaptés aux besoins des vétérans, que les causes de leur condition soient connues ou non.

De leur côté, plusieurs vétérans qui sont venus témoigner ont critiqué le manque d’exhaustivité du rapport, et ont fait valoir que ce qui est improbable n’est pas nécessairement impossible. Par conséquent, selon eux, le bénéfice du doute devrait prévaloir, et l’exposition à l’UA devrait à tout le moins être envisagée comme cause possible de certaines conditions médicales, de manière à soutenir de nouvelles recherches qui pourraient en faire la démonstration.

Face à ces deux positions campées, les membres du Comité se devaient d’établir clairement les principes à partir desquels ces témoignages contradictoires devraient être évalués.

Le premier de ces principes est que les membres du Comité s’entendent pour entretenir un préjugé favorable envers les vétérans. Dans le cas de l’UA, cela signifie que leurs affirmations doivent être prises au sérieux, même si, à première vue, elles semblent contredites par les données scientifiques. C’est pourquoi les membres du Comité, avec le soutien du personnel de recherche, ont analysé attentivement l’ensemble des documents qui lui ont été soumis, en recherchant activement tous les éléments susceptibles de soutenir le point de vue des vétérans.

Le deuxième principe est que lorsque les données scientifiques sont disponibles, c’est sur elles que doit s’appuyer l’élaboration des politiques publiques. Il est de la responsabilité des membres du Comité de s’assurer que les recommandations qu’ils adressent au gouvernement soient soutenues par des données probantes, que ces données représentent ou non un courant dominant de la recherche. Pour ce faire, le Comité s’est appuyé sur les critères reconnus de ce qui fait qu’une recherche peut être qualifiée de « scientifique » :

  • que la méthodologie, les données brutes, et les résultats de la recherche aient été publiés dans une revue scientifique reconnue possédant un comité de révision, après avoir été évalués par des pairs anonymes;
  • que les résultats de cette recherche aient pu être répliqués dans d’autres recherches entreprises de manière indépendante.

Dans le cas de l’UA, les recherches qui correspondent à ces critères soutiennent de manière presque unanime les conclusions du CCSSAC. Pour que ces conclusions puissent être remises en question, il aurait fallu au moins une minorité importante d’études du même calibre qui, pour une raison ou une autre, n’auraient pas atteint la même notoriété que celles qui forment le courant dominant. Certains témoins ont affirmé que de telles recherches existaient effectivement, mais n’avaient pas été incluses dans le rapport du CCSSAC. Nous les avons examinées attentivement, et avons dû conclure, à regret, qu’elles n’atteignaient pas les mêmes standards de validité scientifique. Notre première recommandation est donc à l’effet que les efforts de recherche, plutôt que de se concentrer sur l’UA, devraient à l’avenir se concentrer sur le traitement des maladies dont les causes sont complexes ou mal connues, mais que l’on peut vraisemblablement attribuer au service militaire.

Le troisième principe est à l’effet que les vétérans ont droit aux meilleurs soins possibles pour le traitement de toute condition qui pourrait être rattachée à leur service militaire, et sont en droit de s’attendre à la reconnaissance et aux plus hauts standards de service de la part de toute institution régie par une loi du Parlement du Canada. Les témoignages présentés par certains vétérans mettent clairement en évidence qu’il reste des défis à surmonter à cet égard. Les lois qui encadrent le soutien du Canada à ses vétérans se veulent généreuses et respectueuses de la dignité profonde de leur engagement. Peu importe qu’une condition médicale soit ou non reliée à l’UA, peu importe même qu’elle soit ou non reliée au service militaire, tout devrait être mis en œuvre pour éviter que la contestation d’une décision touchant l’accès à des services médicaux ou à des prestations financières ne devienne une épreuve pour le vétéran et pour les membres de sa famille.

***

Ce rapport est divisé en quatre sections. La première retrace les origines du débat entourant l’UA, et qui a mené à la mise sur pied du Comité consultatif scientifique sur la santé des anciens combattants (CCSSAC). La deuxième partie décrit le contenu et les principaux constats du rapport du CCSSAC. La troisième partie est une discussion des critiques adressées au rapport du CCSSAC en fonction du type de document sur lequel se fondent ces critiques. La quatrième partie est une discussion des critiques adressées à Anciens Combattants Canada et au Tribunal des anciens combattants (révision et appel) dans le cadre de leur traitement des dossiers dans lesquels un lien à l’UA a été invoqué.

Notre conclusion générale est que, malgré des tentatives répétées au cours des 20 dernières années dans le cadre d’études de grande qualité, la science n’a pas pu établir de lien clair entre l’exposition des militaires à l’UA et les conditions médicales dont ils souffrent. Cela ne veut cependant pas dire que ces conditions ne sont pas reliées autrement aux conditions d’ensemble du service militaire. Nous recommandons donc que lorsque les causes d’une condition dont souffre un vétéran sont complexes, difficilement identifiables ou carrément inconnues, le lien entre cette condition et le service militaire devrait pouvoir être présumé avec une plus grande souplesse, de manière à éviter des affrontements qui ne rendent justice ni au sacrifice des vétérans, ni à la volonté des Canadiens et des Canadiennes de les traiter avec le respect qu’ils méritent.

1. Les origines du débat entourant l’uranium appauvri

L’uranium est un métal lourd qui existe dans l’environnement de manière naturelle et dont le taux de radioactivité est faible : « en moyenne il existe quatre tonnes d’uranium naturel dans un mille carré de terre d’un pied de profondeur[1] ». Pour pouvoir produire de l’énergie nucléaire ou des armes nucléaires, l’uranium doit être enrichi, c’est-à-dire qu’il faut traiter le métal en faisant augmenter la concentration de ses éléments radioactifs, et en rejetant ses composantes qui le sont moins. Ces composantes rejetées forment l’uranium appauvri. Étant très dense, l’UA permet de produire des blindages ou des munitions d’une grande dureté. Par exemple, la pointe d’un obus faite d’UA, en pénétrant un blindage, plutôt que de s’émousser, aura tendance à s’affûter, à la manière d’un crayon de bois dans un aiguisoir, tout en produisant des flammes de grande intensité.

La Guerre du Golfe est le premier conflit durant lequel des munitions à l’UA ont été utilisées. Les forces alliées en auraient utilisé environ 320 tonnes[2]. De telles munitions seront ensuite utilisées en Bosnie en 1994–1995, puis au Kosovo en 1999[3].

Durant la Guerre du Golfe, environ 4 600 militaires des Forces canadiennes ont été déployés dans la région, dont la moitié en périphérie du champ de bataille durant les opérations de combat qui se sont déroulées dans la semaine du 23 au 28 février 1991. Selon Ken Scott, ancien directeur des politiques médicales au ministère de la Défense nationale : « L’unité canadienne la plus proche des combats pendant la Guerre du Golfe était l’Hôpital de campagne canadien 1, à 80 kilomètres du champ de bataille[4]. »

À leur retour, de nombreux militaires canadiens, à l’instar de ceux des autres pays alliés, souffriront de problèmes de santé à symptômes multiples connus sous le terme de « syndrome de la Guerre du Golfe ». Désormais désignée sous l’appellation « maladie multi symptomatique chronique », cette condition est définie par la présence inexpliquée, durant une période d’au moins six mois, de l’un des symptômes suivants : fatigue chronique, problèmes d’humeur et de cognition (dépression, manque de sommeil, manque de concentration, perte de mémoire, anxiété), et problèmes musculo-squelettiques (douleurs articulaires et musculaires). D’autres symptômes, comme des problèmes gastro-intestinaux, peuvent également être présents[5]. À la différence du syndrome de stress post-traumatique, dont le diagnostic est plus clairement défini, les symptômes associés à la maladie multi symptomatique chronique sont très variables[6].

En 1993, l’Association canadienne des anciens combattants de la Guerre du Golfe est mise sur pied afin de venir en aide aux vétérans de ce conflit qui souffrent de ces problèmes de santé. De son côté, le ministère de la Défense nationale met sur pied une clinique de la Guerre du Golfe en 1995[7]. Constatant que les problèmes de santé éprouvés par ces vétérans s’apparentaient à ceux éprouvés par les vétérans de nombreuses autres missions de maintien de la paix, la clinique a été fermée en 1997, et, à la place, un réseau de cliniques dites de « post-déploiement » est développé afin de traiter les problèmes particuliers vécus par les militaires et les vétérans ayant participé à ces missions[8]. Il serait même possible de retrouver une prévalence accrue de ce groupe de symptômes chez la plupart des populations de militaires ayant participé à des opérations. Par exemple :

[…] le syndrome de fatigue chronique a été déjà décrit en 1750, sous le nom de fébricule. Pratiquement toute la littérature sur le syndrome de fatigue chronique, jusqu’au milieu des années 40, figure dans la littérature médicale militaire. Il s’agit toujours de soldats revenant d’un conflit. À une conférence à laquelle j’ai assisté il y a deux mois, on a cité une très belle description de vétérans de retour de la guerre des Boers et de la guerre de Crimée, qui présentaient des symptômes identiques[9].

Dès leur retour de la Guerre du Golfe, les militaires souffrant de symptômes apparentés à la MMC ont soupçonné l’utilisation de munitions à l’uranium appauvri comme cause possible. L’armée américaine surveillait également de près les conséquences possibles chez ceux qui étaient le plus à risque d’une forte exposition[10]. L’UA a donc été inclus comme l’une des sept sources de risque dans la première étude épidémiologique d’envergure à être effectuée afin de cerner les causes potentielles du Syndrome de la Guerre du Golfe[11]. Une enquête analogue menée en 1998 auprès des vétérans canadiens de la Guerre du Golfe a confirmé la prévalence accrue des symptômes de MMC, mais ne portait pas d’attention spécifique à l’UA[12].

En 2000, le ministère canadien de la Défense nationale a offert à tous les militaires ou vétérans qui le désiraient de se faire tester pour déterminer la présence d’uranium appauvri dans leurs urines. Cela a mené à la publication d’une étude en 2002 portant sur 103 militaires ou vétérans ayant participé à la Guerre du Golfe ou à des opérations dans les Balkans[13]. Elle concluait que la concentration d’uranium « était comparable à celle de la population civile canadienne exposée à des quantités d’uranium environnemental normales et sans danger. Aucune trace d’[uranium appauvri] n’a été décelée dans l’urine des sujets à l’étude[14] ». Le Comité permanent de la Défense nationale et des anciens combattants a tenu une séance d’information en mars 2001 durant laquelle l’un des auteurs de cette étude, avant sa publication, est venu en présenter les conclusions préliminaires[15]. Plusieurs autres études menées dans les pays alliés ou par des organisations internationales tendront à confirmer les mêmes conclusions par la suite[16].

Malgré l’absence de preuves scientifiques permettant d’établir un lien entre l’uranium appauvri et la MMC, des doutes subsistent. Au Canada, le débat reprend de plus belle en 2010, suite à l’émouvant témoignage de M. Lacoste, un vétéran de la Bosnie et du Timor-Oriental ayant passé 14 ans au sein des Forces canadiennes, et qui affirme que ses problèmes de santé sont causés par une intoxication à l’UA :

J’ai passé des tests qui prouvent que je suis 61 fois plus radioactif que la limite acceptable. Lorsque je suis revenu avec les preuves médicales auprès des autorités militaires, on m’a dit deux choses. La première, c’est que je n’avais pas le droit d’aller me faire soigner au civil. La deuxième chose, c’est qu’en riant, on m’a dit d’oublier ça parce que, légalement, aucun soldat canadien n’est intoxiqué à l’uranium[17].

Des soins sont offerts à M. Lacoste afin de traiter ses problèmes de santé, mais aucune recherche scientifique ne permet à Anciens Combattants Canada d’étoffer quelque lien causal que ce soit entre ses problèmes de santé et l’UA. Quelque temps auparavant, à la fin de 2009, un jugement d’une cour britannique et un autre d’une cour italienne avaient reconnu un lien de causalité en l’exposition à l’UA durant le service militaire et le décès de deux vétérans[18].

Le 5 novembre 2011, M. Lacoste décide d’entreprendre une grève de la faim afin de convaincre le ministre des Anciens combattants, l’honorable Steven Blaney, de reconnaître le lien entre l’UA et la condition dont souffrent de nombreux vétérans. M. Lacoste a mis fin à sa grève de la faim après que le ministre Blaney ait accepté de mener une enquête. C’est ce qui donnera naissance au Comité consultatif scientifique sur la santé des anciens combattants (CCSSAC).

2. Rapport du comité consultatif scientifique sur la santé des anciens combattants

La mise en place du CCSSAC a été annoncée en novembre 2011 par le ministre des Anciens Combattants, l’honorable Steven Blaney. Sa composition initiale a été dévoilée le 5 décembre 2011[19].

Son mandat est de donner « des avis judicieux sur les questions de santé particulières aux anciens combattants et aux vétérans », et la première tâche qui lui a été confiée était de « se pencher sur la question de l’uranium appauvri[20] ». Sur cette question, le mandat du CCSSAC était double :

  1. examiner et résumer la documentation scientifique publiée ayant trait aux effets de l’uranium appauvri sur la santé humaine et évaluer la solidité des preuves de lien de causalité;
  2. Évaluer l’information concernant l’exposition possible du personnel militaire canadien à l’uranium appauvri[21].

Le ministre a déposé le rapport du CCSSAC sur cette question à la Chambre des communes le 6 février 2013. Outre l’Introduction qui présente des informations d’ordre général sur l’uranium appauvri et sur la méthodologie utilisée, l’analyse du CCSSAC est divisée en quatre parties : une revue de la littérature pertinente concernant les effets de l’UA sur la santé; une évaluation de l’exposition du personnel des Forces canadiennes; une revue de la littérature pertinente concernant les effets de l’uranium sur la santé des populations civiles; et finalement, un résumé des preuves existantes portant de manière spécifique sur les effets de l’UA sur la santé dans des théâtres d’opérations où il a été utilisé.

Sur les effets de l’uranium appauvri, il ne s’agit donc pas d’une nouvelle recherche scientifique, mais bien d’une synthèse et d’une évaluation des recherches existantes. La méthodologie du CCSSAC est à cet égard irréprochable. Sur l’exposition possible du personnel des FC à l’UA, le CCSSAC a accompli un travail qui n’avait pas encore été mené à terme de manière systématique, c’est-à-dire passer en revue les points de contact possibles entre les opérations des FC et les lieux où l’utilisation de l’UA a été documentée.

Suite à son analyse, le CCSSAC énonce sept conclusions :

  1. L’uranium appauvri peut être nocif pour la santé humaine en raison de ses effets chimiques et radiologiques.
  2. Dans le contexte militaire, les personnes qui risquaient le plus d’être exposées à l’UA sont celles qui se trouvaient à bord ou à proximité d’un véhicule frappé par un tir fratricide; qui ont pénétré dans un tel véhicule en feu ou qui se trouvaient à proximité; qui se trouvaient près d’un incendie dans lequel des munitions à l’uranium brûlaient; qui ont participé à des opérations de récupération de véhicules endommagés; ou qui ont participé à des opérations de nettoyage de sites contaminés.
  3. Il est peu probable que des militaires canadiens aient été exposés à des concentrations d’uranium appauvri qui pourraient représenter un danger pour leur santé.
  4. Les études de cohortes militaires n’attestent pas de manière constante que des effets néfastes pour la santé puissent être attribués à l’uranium appauvri.
  5. Les études menées dans des populations civiles plus vastes davantage exposées à l’uranium (travailleurs des secteurs de la production et du traitement de l’uranium) et suivies pendant de longues périodes n’apportent pas de preuves solides de l’existence d’effets néfastes pour la santé.
  6. Notre conclusion selon laquelle l’exposition à l’uranium n’est pas associée à un effet important ou fréquent sur la santé concorde avec les conclusions d’autres groupes d’experts.
  7. À la suite d’un déploiement ou d’un conflit armé, de nombreux anciens combattants présentent des symptômes persistants qui, bien qu’ils ne soient pas associés à l’exposition à une substance en particulier, tel l’uranium appauvri, peuvent causer beaucoup de souffrance et faire l’objet d’un traitement efficace[22].

Les six premières conclusions découlent des analyses menées par le CCSSAC dans le cadre de son mandat, alors que la septième constitue un jugement d’ordre général qui n’est pas lié aux résultats de son analyse.

A. Effets de l’uranium sur la santé

L’uranium appauvri est moins radioactif que l’uranium naturel qui, par lui-même, n’est pas nocif pour la santé humaine. Toutefois, l’exposition prolongée à la poussière d’uranium, par exemple pour les personnes travaillant dans les mines d’uranium, pose des risques d’irradiation bien documentés. C’est lorsqu’ils sont inhalés que l’uranium et l’uranium appauvri sont préoccupants pour la santé. Lorsqu’ils pénètrent par d’autres voies, ils sont presque totalement éliminés de l’organisme.

Ainsi, ce sont les tests d’urine qui semblent la meilleure manière de détecter la présence d’uranium ou d’uranium appauvri dans l’organisme[23]. De tels tests ont été effectués sur environ 5 000 soldats de l’OTAN ayant participé à des opérations durant lesquelles ils auraient pu être exposés à de l’UA. De ce nombre, certains portaient toujours dans leur corps des fragments d’obus contenant de l’UA, suite à des tirs fratricides. Ils sont les seuls sur lesquels les tests ont révélé la présence d’UA dans leurs urines, mais jusqu’à maintenant, aucune conséquence sur la santé n’a été constatée[24].

Les particules de faible dimension posent un risque radiologique pouvant mener au cancer du poumon si elles s’introduisent dans l’organisme, mais selon les études, « il faut au moins 10 ans d’exposition, voire davantage, avant que ce risque ne se concrétise[25] ». Sur le plan chimique, l’uranium pose également un risque, comme tous les métaux lourds (mercure, plomb, plutonium, etc.). Une exposition prolongée ou à très haute concentration peut entraîner des problèmes rénaux irréversibles.

Le CCSSAC en conclut que, dans la plupart des contextes de la vie humaine, l’uranium ne pose aucun problème pour la santé. « Cependant, dans le cadre de leur travail, certains groupes de personnes sont régulièrement exposés à des concentrations d’uranium nettement supérieures à celles observées dans la population générale. Sauf en de rares circonstances, cette exposition à long terme n’a aucun effet néfaste sur leur santé[26]. »

B. Exposition des militaires canadiens

Les conditions qui prévalent sur un théâtre d’opérations militaires rendent impossible la mise en place d’un environnement contrôlé propice aux analyses scientifiques les plus rigoureuses. Par exemple, il n’est pas possible de surveiller l’évolution de certains symptômes chez un groupe d’individus dont on saurait avec certitude qu’ils ont été exposés, comparativement à un autre groupe d’individus dont on saurait avec certitude qu’ils n’ont pas été exposés.

Il faut donc se contenter d’extrapolations à partir d’études réalisées auprès de populations non militaires. Bien qu’imparfaites, « [ces] études épidémiologiques […] donnent une idée approximative mais scientifiquement juste de l’exposition à l’uranium chez des personnes ou des groupes de personnes qui travaillent dans d’autres secteurs que les forces armées[27] ».

Il faut ensuite déterminer les circonstances au cours desquelles les militaires canadiens ont pu être exposés. Selon le CCSSAC : « Les Forces canadiennes n’utilisent pas de munitions à l’UA dans leurs chars d’assaut ou leurs aéronefs […] Aucun des ennemis auxquels ont été confrontées les forces de la coalition dans les conflits où des militaires canadiens étaient déployés n’utilisait d’armes à l’UA[28]. » Ce sont donc des forces alliées, essentiellement les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont utilisé de telles armes[29]. Des munitions à l’UA ont toutefois été entreposées à bord de navires canadiens au cours des années 1990, et il est probable que des soldats des Forces canadiennes aient, à un moment ou à un autre, manipulé de telles munitions, ou qu’elles aient été entreposées sur des bases militaires. Toutefois, le simple fait de transporter ces munitions, ou de se trouver à proximité, ne pose pas de risque pour la santé[30].

La tâche du CCSSAC consistait à déterminer si des militaires canadiens auraient pu être exposés, c’est‑à-dire avoir inhalé des poussières d’UA produites lors du contact des obus avec un blindé, ou durant un incendie du matériel contenant de l’UA.

Les militaires canadiens dont le risque d’exposition a été jugé le plus élevé sont les 290 sapeurs de combat basés à Camp Doha au Koweït en avril 2001, au moment où un incendie s’y est déclaré. Les concentrations y ont toutefois été « trop faibles pour avoir exercé des effets indésirables sur la santé[31] ».

Le CCSSAC a passé en revue les autres événements durant lesquels les militaires canadiens auraient pu être exposés, ainsi que les études menées auprès de différentes cohortes de militaires d’autres pays. Il en conclut qu’« à l’exception de la cohorte de militaires américains ayant essuyé des tirs fratricides pendant la Guerre du Golfe, le CCSSAC n’a trouvé aucune preuve que des militaires des forces alliées aient été directement et expressément exposés à l’UA[32] ».

C. Effets de l’uranium sur les populations civiles

Le CCSSAC a passé en revue les études menées afin de déterminer le lien entre l’exposition à l’uranium et certaines maladies, en particulier le cancer. Les études les plus rigoureuses ont été menées auprès des travailleurs des mines d’uranium. Les conclusions sont à l’effet que le taux de mortalité y est effectivement plus élevé, mais qu’il est attribuable à une exposition au radon, un gaz nocif présent dans les mines d’uranium souterraines et qui serait la cause d’un grand nombre de cancers du poumon. Par contre, aucune étude existante ne permet d’établir un quelconque lien entre l’exposition à l’uranium et des risques de cancer plus élevés[33].

Nicholas Priest, qui est venu témoigner à ce Comité, a participé à des études menées auprès des populations civiles de Bosnie, du Kosovo et de la Serbie. Ces études avaient pour but d’évaluer si l’exposition à l’UA était suffisamment importante pour entraîner des risques pour la santé : « Nos conclusions furent à l’effet que les quantités n’étaient pas importantes[34]. »

D. Études existantes sur les populations militaires

Finalement, le CCSSAC a procédé à une évaluation des études américaines, britanniques, italiennes, scandinaves et hollandaises portant sur les théâtres d’opérations où l’uranium appauvri a été utilisé, de même que de l’étude canadienne portant sur les militaires déployés dans le golfe Persique en 1990–1991.

La conclusion du CCSSAC est qu’« à l’heure actuelle, il existe peu de données laissant croire à une association entre le déploiement pendant la guerre du Golfe ou le conflit des Balkans et l’augmentation du risque de cancer ou de mortalité[35] ».

3. Critiques adressées au rapport

Tous les experts scientifiques qui ont comparu devant le Comité se sont dits en accord avec l’ensemble des recommandations contenues dans le rapport du CCSSAC. À l’opposé, les vétérans qui sont venus témoigner en affirmant que leur condition médicale était liée à l’UA l’ont sévèrement critiqué. Par exemple, lors de son témoignage, M  Lacoste, ce vétéran qui fut à l’origine de la décision du ministre des Anciens Combattants de mettre sur pied le CCSSAC, s’est dit « amèrement déçu[36] » du rapport. Les critiques formulées par les vétérans portent surtout sur ce qu’ils considèrent être des omissions. Ces omissions sont essentiellement des documents dont le CCSSAC n’aurait pas tenu compte.[37] Pour appuyer leurs critiques, ces témoins ont déposé au Comité une documentation abondante. Avec le soutien du personnel de recherche, les membres du Comité en ont fait une analyse sérieuse en recherchant délibérément les éléments qui pourraient soutenir le point de vue de ces vétérans.

Cette documentation peut être classée en cinq grands groupes :

  1. Les études scientifiques dont les données brutes, la méthodologie et les résultats sont publiés dans une revue scientifique avec comité de révision, dont les ébauches sont révisées par des pairs anonymes, et dont les résultats peuvent être confirmés ou répliqués par d’autres études du même calibre;
  2. les études publiées ailleurs que dans une revue scientifique avec comité de révision (rapports de think tanks, comptes rendus de conférences, présentations à des comités parlementaires, mémoires d’experts déposés en cour, sites Web, articles de journaux, etc.);
  3. les documents présentant des politiques gouvernementales ou des directives;
  4. les argumentaires visant à établir ou à contester l’admissibilité à des services médicaux ou à des prestations financières;
  5. les documents présentant un avis médical.

Ces documents ont tous une valeur indéniable, mais ils n’ont pas tous la même valeur lorsqu’il s’agit d’établir des preuves scientifiques permettant de lier l’exposition à l’UA et certaines conditions médicales. En vertu du devoir des parlementaires d’appuyer leurs recommandations sur les données les plus probantes, seul le premier groupe de documents peut véritablement prétendre à la validité scientifique. Une fois que les limites de ce que la science permet d’affirmer sont bien définies, les autres documents permettent de nourrir le débat sur les actions possibles que le gouvernement pourrait entreprendre sur ces questions, ou pour évaluer des cas particuliers, ce qui dépasserait les limites du mandat d’un comité parlementaire. Pour toute question de politique publique, il est important de réitérer qu’aucun des documents des groupes 2 à 5 ne peut se substituer à des études scientifiques en bonne et due forme.

E. Études scientifiques avec comité de révision

Études confirmant la dangerosité de l’uranium

Comme l’indique le premier constat du rapport du CCSSAC, « l’uranium appauvri peut être nocif pour la santé humaine en raison de ses effets chimiques et radiologiques[38]. » Les études scientifiques l’ont confirmé à de nombreuses reprises, mais ces conclusions peuvent difficilement être extrapolées à une condition médicale dont souffriraient les vétérans. La raison en est que, pour que ces risques se matérialisent, il faut une exposition soit très intense, soit prolongée aux effets nocifs de l’uranium.

C’est également à cette conclusion prudente qu’aboutit le comité américain de recherche chargé d’évaluer les causes possibles des maladies de la Guerre du Golfe, à propos des recherches suggérant la possibilité d’un risque :

Il importe de noter […] que bon nombre des effets de l’uranium appauvri identifiés récemment se sont manifestés après une exposition prolongée à l’uranium appauvri, à des doses et sous des formes auxquelles la plupart des vétérans de la guerre du Golfe n’ont pas été exposés. La démonstration des effets potentiellement nocifs de l’exposition à l’uranium appauvri ou à d’autres substances employées durant la guerre du Golfe ne revient pas à démontrer que cette exposition a effectivement causé la maladie de la guerre du Golfe ou entraîné d’autres effets nocifs sur la santé chez les vétérans de la guerre du Golfe[39].

Les documents déposés au Comité ne permettent pas d’établir que des militaires canadiens ont été exposés à l’uranium appauvri à un degré suffisant pour entraîner des risques pour leur santé. Les études scientifiques soumises renforcent donc le premier constat du rapport du CCSSAC, mais ne remettent pas en question l’incapacité des recherches actuelles à démontrer un lien entre l’exposition à l’UA et certaines conditions médicales dont souffrent les vétérans.

Études sur les animaux

Ayant critiqué le fait que le CCSSAC avait écarté les études portant sur les animaux, Steve Dornan, un vétéran canadien de la Bosnie et de l’Afghanistan, a remis au Comité une liste de 43 études réalisées sur des animaux, et portant sur le lien entre l’exposition à l’uranium et certaines maladies. Ces études sont tout à fait crédibles et il est raisonnable de croire que certains de leurs résultats pourraient peut-être éventuellement être extrapolés aux êtres humains. Ce n’est cependant pas le cas dans l’état actuel des recherches. De plus, le problème du degré d’exposition demeure entier puisque l’exposition intense ou prolongée à laquelle sont soumis les animaux de ces études ne peut pas être comparée à celle à laquelle auraient pu être soumis les militaires canadiens. Finalement, les résultats des études sur les animaux sont difficilement transférables aux êtres humains. Selon une étude déposée au Comité par M. Dornan :

Toutes [les données reposant sur des études effectuées sur les animaux] n’auront que valeur d’hypothèse tant qu’elles n’auront pas été mises en corrélation avec de sérieuses recherches sur l’humain. Nous n’avons même pas une idée raisonnable du degré moyen de contamination à l’uranium appauvri des personnes qui vivent dans des régions où des munitions à l’uranium appauvri ont été employées. Cette absence de données fondamentales rend toute extrapolation des données animales à l’humain purement spéculative[40].

C’est pour cette raison que leurs résultats ne sont pas suffisants pour remettre en question les conclusions du rapport du CCSSAC.

M. Lacoste, durant son témoignage, a affirmé que le rapport du CCSSAC ne mentionnait pas les effets de l’intoxication à l’uranium sur le système reproducteur[41]. Les expériences qui soutiennent ces affirmations ont également été faites sur les animaux. L’agence américaine chargée de la surveillance des substances toxiques et de leurs effets sur la santé humaine, l’Agency for Toxic Substances and Disease Registry, a émis une Déclaration de santé publique au sujet de l’uranium dans laquelle l’état actuel des recherches est résumé. Un passage de cette déclaration porte sur l’uranium et la fertilité : « Certaines études sur les rats et les souris ont montré que l’uranium diminuait la fertilité, alors que d’autres études n’ont pas trouvé cet effet[42]. » Il est donc possible d’affirmer qu’une exposition intense ou prolongée à l’UA pourrait être susceptible de provoquer de tels effets sur la santé humaine, mais aucune exposition de cette nature n’a été documentée chez les militaires canadiens.

Étude de l’IRSN

Lors de son témoignage du 21 mars 2013, M. Dornan a mentionné l’omission d’une étude française publiée en 2010 sous l’égide de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN)[43]. Cette étude figure en fait dans la Bibliographie du rapport du CCSSAC[44] et les conclusions en sont rapportées : « certaines données évoquent une association entre l’exposition interne et un risque accru de cancer des tissus lymphatiques et hématopoïétiques ainsi que du cancer des voies digestives hautes et des voies respiratoires supérieures[45] ».

L’étude porte sur 2 097 personnes ayant travaillé à la même usine de traitement de l’uranium entre 1960 et 2006. Son objectif consistait à évaluer le risque de mortalité par cancer du poumon et par malignités des tissus lymphatiques (ganglions, muqueuses, moelle osseuses et certaines glandes) et hématopoïétiques (cellules sanguines) suite à « une exposition prolongée, à faible dose à différents composés d’uranium[46] ». La nouveauté de cet article tient au fait qu’il est le premier à établir une association possible entre les cancers des tissus lymphatiques et hématopoïétiques et l’exposition prolongée à faible dose à des composés peu ou non solubles d’uranium de retraitement. Cet uranium de retraitement est essentiellement constitué des barres de combustibles rejetées après avoir été utilisées pour produire de l’électricité dans un réacteur nucléaire. Les auteurs de l’étude reconnaissent les limites méthodologiques de leur travail, du fait de l’échantillon limité qui a permis d’aboutir aux conclusions. Ils considèrent en conclusion que les résultats sont quand même suffisamment intéressants pour justifier la mise en œuvre d’une collaboration internationale de plus grande envergure :

Bien que la puissance statistique de cette étude soit encore limitée, nous avons observé que l’exposition à l’uranium de retraitement peut augmenter le risque de cancer du poumon et des malignités lymphatiques et hématopoïétiques. Ce risque tend à augmenter avec la diminution de la solubilité des composés d’uranium. [Nos constats] doivent être confirmés par des analyses plus puissantes de dose-effet, […] ce qui est faisable dans le cadre d’un grand projet de collaboration internationale. [47]

Les limites méthodologiques de l’étude sont également notées dans le rapport du CCSSAC[48], et le Dr Morrisset les a précisées durant son témoignage :

Le rapport, qui était révolutionnaire, selon lui, portait sur l’uranium de retraitement, et non sur l’uranium appauvri. De plus, c’était de l’uranium enrichi qui faisait l’objet de retraitement, et non de l’uranium appauvri. Il contenait du plutonium, de l’américium et toutes sortes d’autres composantes. Par conséquent, je ne crois pas que le rapport était très pertinent dans le contexte de notre étude. De plus, ils signalaient qu’il s’agissait d’un projet pilote, d’une étude initiale, et ils affirmaient que, oui, certains signes pouvaient indiquer un risque accru de cancer des tissus hématopoïétiques, se manifestant par la présence de multiples lymphomes. D’accord. Nous pensons qu’il pourrait y avoir un lien, que cela évoque — c’est le mot qu’ils emploient — une association, mais nous devons étudier cette question plus attentivement[49].

Toutefois, au-delà de ces limites, ce qui interdit d’en extrapoler les résultats à la population des vétérans canadiens est essentiellement la durée d’exposition. En effet, le sous-groupe de travailleurs chez qui un risque accru pour la santé pourrait être soupçonné a été en contact direct et quotidien avec l’uranium de retraitement durant environ huit ans en moyenne.

Le rapport du CCSSAC mentionne également des études italiennes menées sur les vétérans du conflit des Balkans. On y note une incidence de cancer de la glande thyroïde et de la maladie de Hodgkin légèrement plus élevée chez les militaires déployés durant ce conflit que dans la population en général. Le rapport du CCSSAC questionne la méthodologie de ces études, mais affirme que « l’augmentation du risque de cancer de la thyroïde justifie la tenue d’autres études pour déterminer si ce risque est lié à l’exposition des militaires dans l’exercice de leurs fonctions[50] ».

Étude sur les soldats américains chez qui des fragments d’obus se sont logés

Les recherches publiées par l’équipe de Mme Melissa McDiarmid touchant 84 militaires américains impliqués dans des tirs ennemis ont souvent été citées en soutien à la thèse voulant que l’exposition à l’UA n’ait aucun effet sur la santé. En effet, ces militaires sont ceux chez qui l’exposition est la plus intense possible, et, malgré quelques variations jugées non significatives, aucun effet néfaste sur la santé n’a été attribué à l’UA.

Lors de son témoignage, Mme McDiarmid a repris les conclusions de ces études :

Je pense que la plupart des gens conviendront que les anciens combattants de ce groupe sont sans aucun doute des candidats les plus susceptibles d'être considérés comme les personnes les plus exposées que l'on peut suivre. Nous sommes heureux de ne pas avoir observé ce que l'on appellerait des effets sur la santé liés à l'uranium, sauf pour ce qui est de l'excrétion de concentrations anormalement élevées d'uranium ayant la signature isotopique prouvant qu'il s'agit d'uranium appauvri[51].

Les limites méthodologiques de cette série d’études ont été soulevées dans plusieurs documents déposés au Comité, mais qui n’ont pas été publiés dans des revues scientifiques[52]. Les critiques les plus convaincantes sont venues du comité scientifique américain chargé de présenter au département des anciens combattants une synthèse de la littérature scientifique touchant les maladies de la Guerre du Golfe.

On cite souvent les rapports sur cette cohorte pour affirmer que l’exposition à l’uranium appauvri n’a sans doute pas d’effet à long terme, mais le caractère très limité des informations recueillies et le petit nombre des vétérans suivis laissent d’importantes questions sans réponse. En premier lieu, l’étude est muette sur les liens possibles entre l’exposition à l’uranium appauvri et les complexes de symptômes chroniques associés à la maladie du Golfe. Ensuite, les chercheurs n’ont pas signalé l’occurrence d’autres effets sur la santé dont on ne s’attendait pas auparavant qu’ils aient un lien avec l’exposition à l’uranium appauvri. Or, vu la petite taille de cette cohorte, tous les effets sur la santé importent, même s’ils ne concernent qu’un cas. Ainsi, en raison de la petite taille de la cohorte et de l’absence de comparaison avec un groupe de contrôle non exposé, il est impossible de déterminer si l’exposition à l’uranium appauvri est associée à des diagnostics répandus ou rares de maladies préoccupantes comme le cancer[53].

Autrement dit, le comité scientifique américain a jugé que les paramètres de ces études ont été si restreints qu’elles n’ont pu fournir que très peu d’information valable pour évaluer le lien entre l’UA et certaines conditions médicales. Cette rigidité des paramètres est mise en évidence par le comité scientifique lorsqu’il affirme que, parmi les militaires suivis, deux ont développé des tumeurs, dont l’une s’est avérée cancéreuse, mais ce fait n’a pas été rapporté. « Les deux cas ont été confirmés par le chercheur principal. Il est curieux de constater que la plupart des rapports scientifiques sur cette cohorte ne font aucunement mention de ces cas. Le directeur de l’étude a expliqué au comité qu’ils avaient été omis parce qu’on ne pensait pas qu’ils résultaient d’une exposition à l’uranium enrichi ». Ce fait à lui seul ne suffit évidemment pas à remettre en question les conclusions des études épidémiologiques existantes, mais, comme le souligne le comité scientifique américain, illustre les lacunes importantes qui existent encore dans la littérature scientifique au sujet des problèmes de santé dont souffrent les vétérans.

Autres études

M. Lacoste, durant son témoignage, a déploré le fait que les travaux de Mme Rosalie Bertell et de la Dre June Irwin aient été ignorés[54].

L’article de Mme Bertell soumis au Comité par M. Lacoste porte sur la nécessité de poursuivre les recherches en remettant en question la méthodologie utilisée dans les recherches existantes qui, jusqu’à ce jour, rejettent le lien entre l’uranium appauvri et le syndrome de la guerre du Golfe[55]. Il s’agit donc d’un article de discussion théorique qui comporte un intérêt indiscutable, mais qui ne contient aucune nouvelle donnée scientifique comme telle. Les seules données empiriques sur lesquelles il s’appuie proviennent d’une étude qui n’a pas été publiée dans une revue scientifique[56].

M. Dornan, lors de son témoignage, a également déposé une étude réalisée par Mme Patricia Horan, de l’Université Memorial de Terre-Neuve, et publiée en 2002 dans la revue Military Medicine[57]. Cette étude porte sur un groupe de 27 patients ayant volontairement soumis des échantillons d’urine. À partir d’une méthode inédite d’identification des isotopes, la présence d’UA a été détectée chez 14 des 27 patients. Les limites de cette étude tiennent essentiellement au fait que ses résultats n’ont jamais pu être répliqués par un autre laboratoire. De plus, aucun lien entre la présence d’UA et des problèmes de santé n’y est établi.

De la même manière, un courriel en soutien aux arguments présentés dans le dossier du vétéran A mentionne une étude portant sur les effets toxiques de l’uranium appauvri sur les cellules du poumon[58]. Cette étude, réalisée à partir de cellules humaines, confirme la dangerosité de l’UA lors d’expositions intenses ou prolongées :

Les auteurs d’études épidémiologiques ont eu beaucoup de mal à établir le risque de cancer du poumon que présente l’uranium enrichi. Nos propres chiffres donnent à penser que, chez l’homme, on n’observe un degré notable de clastogénicité dans les cellules pulmonaires qu’à des concentrations hautement cytotoxiques. Ainsi, un grand nombre des cellules endommagées seront supprimées par la mort cellulaire et, en conséquence, si l’uranium appauvri est cancérogène pour les cellules pulmonaires, c’est peut-être à forte dose ou par l’action d’un mécanisme non génotoxique[59].

En conclusion, le Comité juge raisonnable d’affirmer que des questions demeurent en suspens en ce qui touche les effets de l’UA sur la santé. Une synthèse de ces questions en suspens et des lacunes existantes dans la recherche se retrouve dans un rapport de 2008 produit pour le département américain des anciens combattants au sujet de la maladie de la Guerre du Golfe[60]. Étant donné l’abondance d’études soutenant l’absence de liaison, les constats contenus dans le rapport du CCSSAC doivent être acceptées.

F. Études sans comité de révision

La plupart des études regroupées dans cette catégorie possèdent le défaut majeur de ne pas avoir été soumises à une évaluation rigoureuse de la part de la communauté scientifique. Cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas valables, mais une telle évaluation par les pairs constitue la meilleure garantie de la valeur scientifique d’une analyse. De telles analyses sont nombreuses et leur qualité est très variable. Nous nous concentrerons donc sur deux avis d’experts bien étoffés. Même s’ils n’ont pas été publiés dans des revues scientifiques, ils ont été rédigés par des personnes qui ont à leur crédit plusieurs publications scientifiques.

Avis de Chris Busby

L’avis rédigé par M. Busby[61] a été déposé en soutien à une demande de révision dans le dossier de A. Il s’agit d’une adaptation d’un avis similaire que M. Busby avait rédigé en soutien à la famille d’un vétéran britannique, Stuart Dyson. Un jury mis sur pied dans le cadre d’une enquête du coroner avait accepté la vraisemblance d’un lien entre l’exposition à l’UA et le décès de M. Dyson.

L’avis de M. Busby, comme de nombreux autres, critique les présupposés méthodologiques des études épidémiologiques ayant soutenu l’absence d’un lien entre l’exposition à l’UA et certaines maladies. Les membres du Comité ont été informés à plusieurs reprises des limites des études épidémiologiques. Ces limites méthodologiques sont cependant loin d’être suffisantes pour remettre en question la validité de leurs résultats. Pour cela, il faudrait des études de même envergure qui aboutiraient à des résultats contraires. La seule étude épidémiologique qui pourrait potentiellement prétendre à un tel statut semble être une étude italienne de 2002[62]. C’est d’ailleurs sur elle que s’appuie presque exclusivement l’avis de M. Busby. Or, les résultats de l’étude italienne n’ont pas pu être répliqués dans des études subséquentes[63].

L’avis de M. Busby se conclut de manière étonnante. Se fondant sur un article du Lancet publié en 2008 et portant sur un seul vétéran de la Bosnie dont le rein était saturé d’uranium enrichi, M. Busby en déduit : « Ce résultat accrédite fortement la thèse que la Bosnie a été contaminée à l’uranium enrichi, probablement par l’usage d’armes, et que cette contamination était telle qu’elle a pu se retrouver dans les tissus organiques. Il s’ensuit que c’est ainsi que [A] a été contaminé[64]. » Nous ne pouvons évidemment pas nous prononcer sur un cas particulier, mais il nous semble qu’une telle généralisation, ainsi que ce saut inattendu de l’uranium appauvri à l’uranium enrichi, dépassent de loin les exigences de base de la rigueur scientifique.

Avis de Keith Baverstock

L’avis[65] déposé au Comité par M. Baverstock, professeur à la retraite du département des sciences environnementales de l’Université de l’Est de la Finlande, apporte un point de vue intéressant sur le rapport du CCSSAC. Il affirme que les études épidémiologiques, étant donné qu’elles se fondent sur de grands échantillons, ne permettent pas d’affirmer que tous les individus de cet échantillon ont été soumis à un risque équivalent pour leur santé. Autrement dit, il est possible qu’un petit nombre d’individus dans un échantillon donné ait été soumis à une exposition beaucoup plus élevée, mais que ce risque supplémentaire n’ait pas pu être détecté étant donné les paramètres de l’étude. Cette affirmation s’applique à toutes les études épidémiologiques, c’est-à-dire habituellement celles qui comparent la présence d’un problème de santé chez un groupe exposé à un risque particulier à celle qui prévaut dans la population en général ou dans un groupe témoin non exposé. C’est pourquoi il est nécessaire, lorsque possible, de comparer les résultats de ces études sur de grands échantillons à ceux réalisés sur de plus petits échantillons, mais dont on a la certitude qu’ils ont été soumis à un très haut risque d’exposition. C’est le cas des études réalisées sur les militaires américains chez qui se sont logés des fragments de munitions contenant de l’UA. Puisque ces études ne portent que sur 79 individus, leur force statistique n’est évidemment pas comparable à celle des études épidémiologiques, mais en revanche, elles ont la certitude de la présence du plus haut facteur de risque étudié. Or M. Baverstock, dans son avis, critique la faiblesse statistique de ce deuxième groupe d’études. Autrement dit, dans le premier cas, la force statistique dilue les cas particuliers qui pourraient révéler un risque, et, dans le second, ces cas particuliers ne sont pas assez nombreux pour permettre d’affirmer quoi que ce soit. On voit difficilement, dans de telles circonstances, comment quelque étude que ce soit pourrait s’avérer convaincante.

L’idéal serait d’avoir un grand nombre d’individus dont on aurait la certitude qu’ils ont été exposés à un très haut degré. Mais justement, une telle étude est impossible à réaliser chez les humains puisqu’il n’y a pas suffisamment d’individus dont on pourrait soupçonner qu’ils ont été exposés à un tel risque. M. Baverstock reconnaît lui-même ce problème : « Il faut admettre que, dans la mesure où l’épidémiologie a été appliquée à la question de l’exposition à l’UA, elle n’a pas permis de relever des éléments de preuve positifs de l’existence d’effets sanitaires connexes. Cette absence d’éléments de preuve ne permet pas de conclure à l'absence de risque ». Toutefois, l’évaluation d’un risque se fait en fonction de la probabilité que ce risque se matérialise. Or, comme M. Baverstock l’affirme : « … à ma connaissance, il n’y a pas eu jusqu’à maintenant d’étude épidémiologique susceptible de dépister de façon fiable les maladies provoquées par l’UA[66]. » Moins ce risque se matérialise, plus il devient un risque purement théorique. Depuis plus de 20 ans, de nombreuses études, épidémiologiques ou d’autre nature, ont été menées afin de tenter de déterminer un lien entre l’exposition des militaires à l’UA et des problèmes de santé. Aucune n’y est parvenue. Il existera toujours une possibilité théorique que ce lien existe mais n’ait pas été détecté. Il serait toutefois déraisonnable de fonder des recommandations de politiques publiques sur une telle possibilité théorique, et préférable de rechercher ailleurs les causes des maladies bien réelles dont peuvent souffrir les vétérans.

Ce jugement est en accord avec les recommandations d’un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé sur l’établissement d’un lien entre une exposition et un cancer : « Quand plusieurs études épidémiologiques ne permettent de dégager que peu de liens de causalité, sinon aucun, entre l’exposition à une substance et un cancer, il est possible de conclure que, dans l’ensemble, elles témoignent d’une absence de cancérogénicité[67]. »

L’avis de M. Baverstock critique également certains constats du rapport du CCSSAC en se basant sur ce même rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé qui conclut que « tous les types de rayonnements ionisants sont carcinogènes pour l’homme[68] ». Cette conclusion doit être comprise comme un appel à la précaution face à toutes les formes possibles de radiation. Cela signifie également que le niveau d’exposition est déterminant dans l’identification d’un lien possible entre une exposition et une maladie. Dans le cas de l’exposition des militaires à l’UA, un lien n’a pas pu être établi chez ceux qui ont été soumis à l’exposition la plus intense, et les études épidémiologiques n’ont démontré aucun effet néfaste sur la santé chez les autres. Cela ne signifie pas qu’un tel lien ne puisse pas être établi dans le futur, ni qu’il ne puisse pas être établi chez un individu en particulier qui aurait été soumis à une exposition très intense ou prolongée. C’est d’ailleurs ce que conclut l’avis de M. Baverstock sur le rapport du CCSSAC :

En bref, ma conclusion est que le rapport peut être utile en établissant qu’il est possible de servir dans les forces armées dans des zones de conflits où sont utilisées des munitions contenant de l’UA tout en ne s’exposant pas à un risque supérieur à la normale (comparativement au personnel en service dans d’autres circonstances) de souffrir d’une maladie à déclaration obligatoire comme le cancer. Le rapport, par contre, n’écarte pas la possibilité qu’une personne exposée réellement aux poussières d’UA coure le risque de contracter une maladie directement attribuable à cette exposition : l’UA est un cancérigène confirmé chez l’être humain[69].

Cette conclusion nous paraît raisonnable. Il faut garder ouverte la possibilité que des recherches futures démontrent un lien plus clair entre l’exposition à l’UA et certains effets néfastes sur la santé, ou encore que certains individus aient été soumis à une exposition particulièrement prolongée ou intense qui aurait entraîné des effets sur leur santé. Il s’agit là toutefois de possibilités théoriques et d’exceptions particulières. Ni dans un cas ni dans l’autre, elles ne peuvent guider l’élaboration de politiques publiques. Dans l’état actuel des recherches, il serait déraisonnable de présumer un lien de causalité entre l’exposition à l’UA et certains problèmes de santé dont peuvent souffrir des vétérans.

En attendant que des études puissent éventuellement remettre en question ce qui est désormais admis au sein de la communauté scientifique, les vétérans qui souffrent d’une maladie dont les causes demeurent non identifiées bénéficieraient davantage, à notre avis, d’efforts de recherche dirigés dans une direction différente de celle de l’UA. C’est pourquoi nous recommandons :

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada soutienne les efforts de recherche portant sur le traitement des maladies dont les causes sont complexes ou mal connues, mais que l’on peut vraisemblablement attribuer au service militaire.

G. Documents gouvernementaux

Les documents faisant partie de ce groupe ont été déposés au Comité de manière à suggérer que certains gouvernements, institutions parlementaires ou organisations internationales, reconnaissaient implicitement le lien entre l’UA et certains problèmes de santé. Dans la plupart des cas, il s’agit surtout de mesures de précaution à envisager étant donné l’incertitude quant à un lien de causalité.

·       Dans un document de février 2003, le ministère britannique de la Défense établit des mesures de précaution lors de la manipulation de matériel contenant ou ayant pu contenir de l’UA[70]. Le document réitère à plusieurs reprises que « l’UA ne représente pas de risque significatif pour la santé dans la plupart des circonstances[71] ». Plusieurs documents de même nature ont été déposés au Comité, dont un canadien. Les mesures qui y sont décrites sont essentiellement préventives et reconnaissent la dangerosité de l’uranium et de la radioactivité en général.

·       Deux études ont été menées entre 2003 et 2005 afin de vérifier le niveau de contamination à l’UA de certains bâtiments du centre de recherche et développement pour la défense du Canada (RDDC) de Valcartier[72]. Un niveau de contamination dépassant la norme réglementaire a été noté dans la pièce 101 du bâtiment 251, mais dans un endroit inaccessible. L’étude conclut que « il est très peu probable que quiconque puisse être exposé à cette contamination; par conséquent le risque associé à cette contamination est considéré comme négligeable[73] ». Une seconde étude a déterminé que « le niveau de danger radiologique » dans trois locaux du bâtiment 64 n’était pas important[74].

·       En mai 2008, le Parlement européen a adopté une résolution invitant ses membres et la communauté internationale à bannir l’utilisation d’armes contenant de l’uranium appauvri. La résolution reconnaissait toutefois que « même en l'absence jusqu'à présent de preuves scientifiques irréfutables de dangerosité, il existe de nombreux témoignages sur les effets nocifs, et souvent mortels, tant sur les militaires que sur les civils[75] ».

·       L’Organisation des Nations Unies n’a jamais adopté de résolution recommandant de bannir l’utilisation des armes contenant de l’uranium appauvri. Quatre résolutions ont toutefois été adoptées sur les « effets de l’utilisation d’armes et de munitions contenant de l’uranium appauvri[76] ». La dernière de ces résolutions, reprenant le contenu des précédentes, « demande que l’utilisation de l’uranium appauvri soit soumise au principe de précaution[77] ». La France, le Royaume-Uni, les États-Unis et Israël ont voté contre la résolution. Le Canada, avec 27 autres pays, s’est abstenu et 138 autres pays ont voté en faveur de la résolution.

H. Documents de nature juridique ou administrative

  • Un courriel de 41 pages, daté du 1er février 2011, et envoyé au ministre de la Défense, l’honorable Peter MacKay, a été déposé au Comité. Ce courriel reprend les arguments figurant dans le dossier de A auprès du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) dont le Comité a également reçu copie. Les documents pertinents mentionnés dans ce courriel, ainsi que dans le dossier en question, ont été examinés et cités dans les sections appropriées du présent rapport.
  • Lors de son témoignage, M. Dornan a remis en question la capacité des laboratoires canadiens de tester la présence d’UA, et, par extension, les résultats des tests faits par le ministère de la Défense nationale au début des années 2000 et publiés dans une étude scientifique en 2002[78]. Le document invoqué pour soutenir cette position[79] a été rédigé sous les auspices du Uranium Medical Research Centre, un organisme sans but lucratif dirigé par Asaf Durakovic, l’un des co-auteurs de l’étude de Patricia Horan citée plus haut (voir note 57). M. Weyman y soutient que l’étude du ministère de la Défense nationale n’est pas fiable, car les chercheurs étaient incapables d’identifier la signature isotopique de l’uranium identifié dans les échantillons d’urine. Cette affirmation est exacte, et une étude subséquente de Recherche et développement pour la défense Canada a confirmé cette lacune[80]. Toutefois, la raison en est que la présence d’uranium était en deçà d’un seuil qui aurait permis d’en identifier la signature isotopique : « Les concentrations d’uranium total dans l’urine des vétérans canadiens étaient bien en-deçà du seuil établi pour les individus non exposés par leur travail[81]. » Autrement dit, peu importe si l’uranium identifié était de l’uranium naturel ou de l’uranium appauvri, la concentration était trop faible pour poser un risque pour la santé des vétérans testés.
  • Une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) dans le dossier de C a été déposée en soutien à l’affirmation que le Canada a déjà indemnisé des vétérans chez qui les problèmes de santé ont été reliés à l’UA. Cette affirmation n’est pas exacte. Dans ce dossier, le Tribunal [a estimé] raisonnable de conclure que l’affection […] faisant l’objet de la demande d’indemnisation était liée au service du demandeur […][82]. Même si des éléments de preuve dans le dossier soutenaient ce lien à l’UA, c’est l’ensemble de tous les éléments de risque liés au service qui ont été reconnus comme cause raisonnable de la maladie, et non l’UA en particulier.
  • Se fondant sur les analyses présentées par M. Busby[83], un jury britannique, mis sur pied suite à une enquête du coroner, a conclu en septembre 2009 que le décès de Stuart Dyson, un vétéran de la Guerre du Golfe, était « le plus probablement » attribuable au matériel radioactif se trouvant dans les munitions[84]. Dans ce dossier, selon les comptes rendus médiatiques, le ministère de la Défense britannique a présenté une déposition écrite, mais n’a pas présenté de témoins durant le procès.
  • Le 1er décembre 2009, le Tribunal civil de Rome condamnait pour négligence le ministère italien de la Défense et celui de l’Économie et des Finances à verser environ 1,4 million d’euros aux membres de la famille d’un vétéran du Kosovo décédé des suites d’un lymphome de Hodgkin. Le juge Corrado Cartoni, se fondant sur les documents déposés en preuve, déclara : « il existe un lien étiologique manifeste entre le déroulement de la mission militaire de D. R. A. dans une zone où se trouvait de l’uranium appauvri et les graves pathologies qui peuvent en découler, dont le “lymphome de Hodgkin”[85] ».
  • Un renvoi par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) dans le dossier de A a entraîné une révision ministérielle en faveur du vétéran. Cette décision du ministre, datée du 16 mars 2011, n’attribue aucune cause particulière à la maladie dont souffre A, mais conclut que le fait que les Forces canadiennes n’aient pas procédé plus tôt à un examen a entraîné l’aggravation de la maladie.

Le nombre relativement restreint de documents de nature administrative ou juridique qu’il a été possible d’identifier permet de souligner que, à notre connaissance, aucun des pays alliés du Canada ayant participé à des conflits durant lesquels des armements contenant de l’UA ont été utilisés n’a reconnu de quelque façon que ce soit l’existence d’un lien de causalité entre l’UA et certaines maladies dont pourraient souffrir les vétérans. Les jugements britannique et italien représentent à cet égard une exception remarquable dont on aurait pu s’attendre à ce qu’ils fassent boule de neige et ouvrent la voie à plusieurs autres causes similaires. Ce ne fut pas le cas.

I. Diagnostics médicaux et tests

Un grand nombre de documents présentant les résultats de tests et de diagnostics médicaux ont été déposés au Comité. Ces avis ont servi à appuyer le dossier de différents vétérans qui souhaitaient obtenir des services médicaux ou des prestations financières. Le CCSSAC, dont le mandat se limitait à examiner la littérature scientifique existante, se devait, tel qu’énoncé dans le rapport, d’exclure « les rapports de cas, les études transversales et les études cliniques menées auprès de d’anciens combattants hospitalisés, quel que soit le résultat[86] ». Cette exclusion n’implique aucun jugement sur la qualité des diagnostics médicaux. Toutefois, un avis médical, étant donné qu’il porte sur l’observation non structurée d’un petit nombre de cas, ne peut pas remplacer les recherches scientifiques sur lesquelles un tel avis médical devrait s’appuyer.

Durant son témoignage, M. Lacoste a affirmé : « À quatre reprises […], j’ai vu des spécialistes canadiens différents, qui m’ont dit que la seule cause possible pouvant expliquer mes problèmes de santé est l’intoxication à l’uranium[87]. » Un tel diagnostic, pour être établi avec vraisemblance, devrait s’appuyer sur des recherches scientifiques reconnues. Sur cette question, nous nous en remettons au jugement du Dr Morrisset qui s’exprimait ainsi : « J'aurais aimé pouvoir en discuter avec un médecin ayant supposément posé un diagnostic d'intoxication à l'uranium appauvri pour savoir sur quoi il appuie sa décision. C'est un très très gros point d'interrogation dans mon esprit[88]. »

Les principaux avis médicaux déposés au Comité sont les suivants :

  • Le Dr Malcolm établit de fait un lien entre le « déploiement » et le « temps passé en Bosnie » par A et sa condition médicale, mais ce lien n’est pas attribué directement à l’UA, mais bien à son exposition à « de nombreuses substances dangereuses[89] ».
  • Une lettre du Dr Ruddy dans le dossier de A, datée du 14 avril 2009, suggère un lien direct entre l’exposition de A à l’UA et sa maladie.
  • Une lettre signée par un médecin militaire, datée du 31 mars 2010, suggère la possibilité d’un lien entre le service militaire de A et sa maladie. Le document parle de « nombreuses substances dangereuses ».
  • Une lettre du Dr Louis Fernandez datée du 31 août 2009 décrit l’évolution de la maladie de A, mais ne la rapporte à aucune cause particulière.
  • Dans une lettre datée du 5 janvier 2010, le Dr David A. Macdonald confirme le diagnostic du Dr Fernandez, et écrit: « Des études montrent un accroissement du risque de malignité, y compris de lymphomes, chez les personnes exposées à des rayonnements ionisants. [A] a montré qu’il a été personnellement exposé à de l’uranium appauvri dans l’exercice de ses fonctions militaires. S’il ne peut jamais être prouvé de manière concluante que la [maladie] d’une personne a été causée par les substances auxquelles elle a été exposée, je pense qu’il est possible que l’exposition professionnelle de [A] ait joué un rôle dans le déclenchement de sa [maladie][90]. » Le libellé de cette lettre est très prudent, et laisse la porte ouverte à la possibilité que des circonstances exceptionnelles et une multiplicité d’expositions à des substances dangereuses, y compris celle à l’UA, aient pu entraîner des problèmes de santé dans un cas particulier. Cette approche est d’ailleurs soutenue par les études de la Royal Society : « On ne peut pas exclure la possibilité d’effets très légers qui exacerberaient les effets nocifs sur le système immunitaire de l’exposition à d’autres substances toxiques présentes durant une guerre moderne[91]. »
  • Une deuxième lettre du Dr Macdonald dans le dossier de A, datée du 8 septembre 2011, ne se prononce pas sur les causes de la maladie, mais n’apprécie guère le fait que le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) ait remis en question les diagnostics médicaux posés par lui-même et le Dr Fernandez.

Une autre question litigieuse concerne la fiabilité des tests permettant de détecter la présence d’uranium. M. Lacoste a déposé au Comité les résultats d’un test de dépistage de la présence de métaux lourds à partir d’un échantillon de cheveux. Ce test établit clairement une concentration anormalement élevée d’uranium qui demanderait à être expliquée[92]. Dans le courriel déposé en soutien au dossier de A, on affirme à l’inverse qu’aucun laboratoire canadien n’est en mesure de détecter adéquatement la présence d’UA. Ces affirmations s’appuient sur des recherches du Uranium Medical Research Center qui n’ont pas été publiées dans des revues scientifiques. Ce centre, dirigé par M.  Durakovic, est une organisation sans but lucratif regroupant des chercheurs de toutes provenances opposés à l’énergie nucléaire. Or, un autre document déposé au Comité présente les résultats d’un test réalisé en mars 2003, et révélant un taux élevé d’UA dans l’urine de F. Or, ce test a été réalisé au même Uranium Medical Research Center. Pour être cohérente, l’affirmation selon laquelle aucun laboratoire canadien ne peut réaliser ces tests devrait valoir indépendamment que ces tests aient été positifs ou négatifs.

Le département américain de l’Énergie a cependant préparé une revue de littérature sur ce sujet qui confirme le manque de fiabilité des tests effectués à partir des cheveux : « On ne peut pas présupposer que l’uranium détecté dans les cheveux et les ongles provient en totalité ou en partie de dépôts internes d’uranium[93] »

Dans l’ensemble, la très grande majorité des documents déposés au Comité tendent à confirmer les constats établis dans le rapport du CCSSAC.

4. Critiques adressées à Anciens Combattants Canada et au Tribunal des anciens combattants (révision et appel)

D’autres critiques formulées durant les témoignages et dans la documentation déposée au Comité ne se rapportaient pas à l’UA comme tel ni aux recherches scientifiques, mais étaient plutôt dirigées contre Anciens Combattants Canada et le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Ces critiques visaient en particulier l’interprétation de la clause dite du « bénéfice du doute » qui doit guider toute évaluation d’une demande d’indemnisation de la part d’un vétéran. La question que pose l’UA est un peu différente du débat entourant habituellement cette clause[94]. Le bénéfice du doute s’applique lorsque rien ne permet de contredire les preuves verbales ou écrites déposées par un vétéran à l’appui du lien entre une invalidité et le service militaire. Dans le cas qui nous occupe, les données scientifiques contredisent l’attribution d’un lien de causalité entre l’UA et certains problèmes de santé. Pour que cette absence de lien de causalité puisse être mise en doute, il faudrait des circonstances exceptionnelles assez importantes pour contrebalancer ces données scientifiques.

Cela ne signifie cependant pas qu’il faille pour cela rejeter le lien entre les mêmes problèmes de santé et le service militaire de la personne qui en souffre. Autrement dit, le lien de causalité entre le service militaire et certains problèmes de santé peut être établi sans qu’il soit nécessaire ou même possible d’identifier la cause « médicale » spécifique de ces problèmes de santé. Par exemple, la maladie multisymptomatique chronique n’a pas de cause connue. Cela n’empêche pas les médecins de la diagnostiquer de manière de plus en plus précise. Étant donné sa prévalence élevée chez les militaires, il devrait être possible de l’attribuer au service militaire sans que des éléments précis de ce service soient identifiables.

À quelques reprises, durant les témoignages, ainsi que dans plusieurs documents déposés au Comité, il a été fait mention qu’il existait aux États-Unis une politique dite de « présomption de liaison au service » pour l’UA. Selon cette politique, le lien de causalité entre l’exposition à l’UA et la condition médicale n’aurait pas besoin d’être démontré. Cette politique de présomption existe bel et bien aux États-Unis, mais pas pour l’UA.

Aux États-Unis, la notion de « maladie présumée » est appliquée dans le cas des vétérans qui ont mené des activités avec risque d’irradiation. Les activités avec « risque d’irradiation » sont :

  • Toute participation aux opérations menées à Hiroshima et Nagasaki en 1945 et 1946;
  • Toute participation à des tests sur des armes nucléaires.

Les vétérans n’ont ainsi pas besoin de faire la démonstration du lien de causalité entre leur service et la maladie. Cette présomption s’applique aux maladies suivantes :

  • Cancers des voies biliaires, des os, du cerveau, du sein, du colon, de l’œsophage, de la vessie, de la vésicule biliaire, du foie (sauf en cas de cirrhose ou d’hépatite B), du poumon (y compris le cancer broncho‑alvéolaire), du pancréas, du pharynx, des ovaires, des glandes salivaires, du petit intestin, de l’estomac, de la glande thyroïde et des voies urinaires (rein, pelvis, vessie et urètre);
  • Leucémie (sauf la leucémie à lymphocytes chronique);
  • Lymphomes (sauf la maladie de Hodgkin);
  • Myélome multiple (cancer des cellules du plasma)[95].

De plus, le lien avec le service militaire est présumé pour la sclérose latérale amyotrophique, mais le gouvernement considère que la maladie n’est pas liée à l’exposition à des matières radioactives.

Pour les autres cas d’exposition à de la radiation durant le service militaire, dont l’exposition à l’uranium appauvri, l’évaluation du lien de causalité avec le service se fait au cas par cas[96]. Le gouvernement américain « peut » reconnaître une exposition à l’UA liée au service dans les cas où les vétérans : « étaient sur, dans ou près des véhicules frappés par des tirs amis; sont entrés ou étaient près de véhicules en flammes; étaient près d’incendies impliquant des munitions à l’uranium appauvri; ou récupéraient des véhicules endommagés[97] ».

Le gouvernement américain a introduit cette idée de présomption de lien au service dès 1921 pour les vétérans de la Première Guerre mondiale souffrant de tuberculose ou d’une maladie neuropsychiatrique[98]. Plus récemment, elle a été utilisée pour offrir une indemnisation aux personnes potentiellement exposées à l’Agent Orange durant leur déploiement au Vietnam. Le gouvernement canadien avait repris cette idée de présomption pour dédommager les victimes canadiennes présumées d’une exposition à l’Agent Orange[99]. Une analyse récente réalisée pour le Congrès américain résume bien le défi qui se pose aux gouvernements sur cette question :

Le Congrès et le département des Anciens combattants fondent normalement leurs présomptions sur des observations scientifiques. Cependant, quand celles-ci sont incomplètes et que le lien de causalité est incertain ou si d’autres facteurs comme le vieillissement naturel auraient pu également contribuer à la maladie, le Congrès et le Département doivent instituer un processus transparent et équitable pour établir les présomptions menant à l’indemnisation des vétérans pour des affections liées à leur service[100].

Dans le cas de l’Agent Orange, la National Academy of Sciences avait étudié les risques associés à une telle politique de présomption, et les avait décrits ainsi :

Certaines études (ne portant pas nécessairement sur des anciens combattants) par exemple montrent que les personnes exposées à la dioxine [agent Orange] présentent des taux de diabète ou de cancer de la prostate légèrement supérieurs à la normale, ce qui a entraîné une impulsion irrésistible vers l’indemnisation de tous les vétérans souffrant de diabète ou de cancer de la prostate même s’il est probable que l’exposition à la dioxine [agent Orange] n’est un facteur déterminant que dans une faible proportion des cas. Comme il est impossible de connaître le rôle exact de la dioxine dans les cas individuels, tous les vétérans du Vietnam atteints de diabète et de cancer de la prostate bénéficient d’une présomption voulant que leur état soit lié à leur service. Cette présomption est-elle pleinement accréditée par les preuves médicales? Quelle hausse de la fréquence des cas est suffisante pour justifier une indemnisation? Quelles démarches pourrait-on envisager pour mitiger ce coûteux résultat[101]?

En 1994, le Congrès américain a adopté une loi reconnaissant une présomption de lien au service pour les invalidités liées à la Guerre du Golfe et causées par des maladies non diagnostiquées. En 2001, la définition des maladies a été précisée pour inclure « les maladies chroniques plurisymptomatiques médicalement inexpliquées (comme le syndrome de fatigue chronique, la fibromyalgie et le syndrome du côlon irritable) définies par un ensemble de signes ou de symptômes[102] ». Plusieurs autres présomptions du même type ont été établies avec des conditions d’admissibilité variables. Depuis 1991, la National Academy of Sciences est mandatée pour fournir au gouvernement les évaluations scientifiques dont il a besoin afin de déterminer si une condition doit être présumée liée au service ou non. Ce mandat a ainsi transféré aux scientifiques eux-mêmes la responsabilité de déterminer la validité des preuves scientifiques soutenant un lien de causalité entre certaines expositions pouvant survenir durant le service militaire et certaines conditions médicales dont les recherches démontrent qu’elles sont susceptibles d’en découler.

Présentement, au Canada, le processus par lequel Anciens Combattants Canada détermine la valeur des preuves scientifiques permettant ou non d’établir un lien entre le service militaire et certaines conditions médicales mériterait d’être clarifié. De plus, à la lumière des témoignages entendus, et de la documentation abondante déposée au Comité, il apparaît clairement que le fardeau de la démonstration est très lourd pour les vétérans lorsque les recherches sont peu nombreuses ou non concluantes, ou lorsque les maladies dont ils souffrent sont complexes ou n’ont pas de cause facilement identifiable. L’introduction d’un élément de souplesse dans les cas où le lien entre de telles maladies et le service militaire apparaît raisonnable pourrait contribuer à éviter que le gouvernement et les vétérans se renvoient mutuellement des études scientifiques. Pour ces raisons, le Comité recommande :

Recommandation 2

Qu’Anciens Combattants Canada s’associe à une organisation scientifique indépendante, comme l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans ou le Conseil des académies canadiennes, afin de lui fournir des avis indépendants sur l’état des recherches scientifiques, au Canada et ailleurs dans le monde, permettant ou non d’établir un lien entre le service militaire et certains problèmes de santé dont peuvent souffrir les vétérans.

Recommandation 3

Qu’Anciens Combattants Canada envisage l’introduction d’un mécanisme souple permettant d’évaluer le lien entre le service militaire et certaines conditions médicales dont les causes sont complexes, difficiles à identifier ou mal connues.

Conclusion

À moins que d’autres recherches ne viennent démontrer le contraire dans l’avenir, l’étude du CCSSAC semble établir clairement que l’exposition à l’uranium appauvri n’est pas une explication plausible pour la présence chez de nombreux vétérans des symptômes dont ils souffrent. Cette affirmation vaut pour toutes les maladies dont on a tenté sans succès d’établir qu’elles pouvaient être la conséquence d’une exposition à l’UA. Cela vaut cependant de manière toute particulière pour la maladie multisymptomatique chronique (MMC)[103]. Malheureusement, cela signifie que les vétérans qui pouvaient soupçonner que les problèmes de santé dont ils souffraient pouvaient être reliés à l’UA ne trouvent toujours pas d’explication satisfaisante permettant de trouver une cause à leurs problèmes de santé.

Dans le cas de la MMC, les experts entendus au Comité ont tous partagé l’opinion exprimée clairement par le Dr Priest durant son témoignage : « J’ignore pourquoi nous avons ce problème, mais je suis convaincu que ce n’est pas lié à l’uranium appauvri.[104] » Le Dr Priest a également suggéré que l’exposition aux organophosphates utilisés dans les insecticides serait une explication plus plausible pour certains symptômes liés à la Guerre du Golfe, mais aucune étude complète n’a été entreprise sur ce sujet[105]. Louise Richard, une vétéran de la Guerre du Golfe, a également décrit les vaccinations multiples, la prise de médicaments, l’épandage de pesticides et le contact avec des prisonniers de guerre irakiens potentiellement porteurs de maladies lors des premiers jours de la mission[106]. Ces expositions à des risques multiples, et non à une cause particulière, nous apparaîtraient une explication suffisante pour justifier la vraisemblance d’un lien entre le service militaire et ces conditions complexes.

Dans le cas de la MMC, les médecins ne peuvent donc offrir aux vétérans que des traitements qui luttent contre les symptômes sans pouvoir en identifier la source. Cette lacune des connaissances médicales touchant ce syndrome, de même que le fait de ne pas pouvoir le relier à l’UA, ne signifie d’aucune manière que ce syndrome n’existe pas comme maladie spécifique :

[…] les symptômes existent. Les symptômes sont bien présents. Nous ne pouvons pas le nier, ils sont là. La preuve en a été faite très clairement, pas juste avec les soldats canadiens, mais avec ceux de nombreuses autres troupes. Pour l’essentiel, au sein des troupes déployées par les pays membres de l’OTAN, un certain nombre de soldats sont revenus et n’étaient plus les mêmes, mais aucun symptôme n’était apparent. Ce n’est pas une question physique. Cela ne se voit pas dans une analyse de sang. Cela ne se voit pas non plus sur un rayon X. On ne trouve rien d’évident. C’est un symptôme. Les gens sont mal dans leur peau. Ils ne peuvent pas dormir. Ils ne se sentent pas bien. Il y a toute une gamme de symptômes[107].

Le Dr Eric Daxon, de l’Institut Batelle, a bien résumé ce qui semble être la position de consensus au sein de la communauté scientifique :

À l'exception des expositions de niveau I, les gens, à savoir ceux qui se trouvent à l'intérieur ou à proximité du véhicule ou sur le véhicule au moment où il a été frappé, il est peu probable que les expositions à l'UA pendant ce conflit aient été suffisamment élevées pour entraîner des effets néfastes pour la santé. Cela ne veut pas dire cependant que nos anciens combattants ne soient pas possiblement malades à cause de leurs services pour nos pays. Ce que cela signifie, c'est que si l'on cherche à déterminer la source de cette maladie, il est fort peu probable que ce soit l'uranium appauvri. J'estime que nous pouvons mieux aider nos anciens combattants en nous concentrant sur d'autres sources de maladies qui seraient plus susceptibles de mener à un traitement efficace[108].

Aux États-Unis, l’organisme chargé de faire des recommandations au gouvernement au sujet des problèmes de santé des vétérans, l’Institute of Medicine, vient tout juste de publier un rapport portant sur les traitements à offrir aux vétérans souffrant de la maladie multisymptomatique chronique[109]. Cela contribuera sans doute à répondre aux préoccupations du CCSSAC à l’effet qu’il est « important d’éliminer les obstacles au traitement et à la réadaptation, comme le manque d’information communiquée aux médecins sur ces types d’affections, la perception d’une stigmatisation associée aux symptômes chroniques mal compris, ainsi que les inquiétudes concernant l’invalidité et les soins de santé[110] ».

Pour les vétérans qui souffrent de ces maladies, cette clarification des traitements sera certes bienvenue, mais elle ne restera qu’une consolation face à l’incertitude qui persiste quant aux causes réelles de leurs problèmes de santé.


[1]                 Ken Scott, directeur, Politique de santé, ministère de la Défense nationale, Témoignages, 22 mars 2001, 1535.

[2]                 Ibid.

[3]                 Ibid., 1550.

[4]                 Ibid.

[5]                 Institute of Medicine, Gulf War and Health: Volume 9: Treatment for Chronic Multisymptom Illness, janvier 2013, p. 21 à 22.

[6]                 Ibid., p. 11.

[7]                 Ken Scott, Témoignages, 22 mars 2001, 1530.

[8]                 Ibid., 1535.

[9]                 Ibid., 1655.

[10]               U.S. Army Environmental Policy Institute, Health and Environmental Consequences of Depleted Uranium Use in the U.S. Army: Technical Report, June 1995.

[11]               Les autres sources de risque étaient : les pesticides, les armes chimiques, les armes biologiques, les vaccins, le bromure de pyridostigmine, les maladies infectieuses, la fumée provenant des incendies de puits de pétrole, les produits pétroliers et le stress psychologique et physiologique, Presidential Advisory Committee on Gulf War Veterans’ Illnesses, Final Report, 1997, Ch. 4: « Gulf War Risk Factors ».

[12]               Goss Gilroy inc., Étude sur la santé du personnel des Forces canadiennes ayant participé au conflit du Golfe persique en 1991, volume 1, Ottawa (Ont.), Goss Gilroy Inc. Préparée pour le Comité consultatif sur les maladies liées à la guerre du Golfe, Ministère de la Défense nationale, 1998.

[13]               E.A. Ough et al., « An Examination of Uranium Levels in Canadian Forces Personnel Who Served in the Gulf War and Kosovo », Health Physics, 82(4):527-532, avril 2002.

[14]               CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 15.

[15]               Ken Scott, Témoignages, 22 mars 2001.

[16]               On retrouve un échantillon de ces études dans la Bibliographie de l’étude du Comité consultatif scientifique.

[17]               Pascal Lacoste, Témoignages, 30 novembre 2010, 1715.

[18]           Voir plus loin dans ce rapport, p.23.

[20]               Ibid.

[21]               CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 2.

[22]               Ibid., p. 2 à 3.

[23]               Nicholas Priest, Témoignages, 26 février 2013, 0855.

[24]               Pierre Morisset, président du Comité, Comité consultatif scientifique sur la santé des anciens combattants, Témoignages, 14 février 2013, 0855. Voir aussi Nicholas Priest, Témoignages, 26 février 2013, 0920.

[25]               CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 9.

[26]               Ibid., p. 11.

[27]               Ibid., p. 12.

[28]               Ibid., p. 13.

[29]               Pierre Morisset, Témoignages, 14 février 2013, 0850.

[30]               Ibid., 0915.

[31]               CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 16.

[32]               Ibid., p. 15.

[33]               Ibid., p. 24.

[34]               Nicholas Priest, Témoignages, 26 février 2013, 0900.

[35]               CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 32.

[36]               Pascal Lacoste, Témoignages, 7 mars 2013, 0850.

[37]           Certains vétérans ont également mentionné que le CCSSAC aurait omis de tenir du point de vue de certains experts. Puisque la valeur du point de vue d’un expert dépend essentiellement des documents de recherche que cette personne a produits, nous ne traiterons dans ce rapport que des documents.

[38]               CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 2.

[39]           Research Advisory Committee on Gulf War Veterans’ Illnesses, Gulf War Illness and the Health of Gulf War Veterans: Scientific Findings and Recommendations, November 2008, p. 93.

[40]           Wayne Briner, « The Toxicity of Depleted Uranium », International Journal of Environmental Research and Public Health, janvier 2010; 7(1), section 6, « Conclusions ».

[41]               Pascal Lacoste, Témoignages, 7 mars 2013, 0850.

[42]               Agency for Toxic Substances and Disease Registry, Public Health Statement for Uranium, février 2013, http://www.atsdr.cdc.gov/PHS/PHS.asp?id=438&tid=77.

[43]               I. Guseva Canu et al., « Uranium carcinogenicity in humans might depend on the physical and chemical nature of uranium and its isotopic composition : results from pilot epidemiological study of French nuclear workers », dans Cancer Causes & Control, 2011 Nov;22(11):1563-73. doi: 10.1007/s10552-011-9833-5. Epub 2011 Aug 28.

[44]               CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 34.

[45]               Ibid., p. 23-24.

[46]           I. Guseva Canu et al., « Uranium carcinogenicity in humans might depend on the physical and chemical nature of uranium and its isotopic composition : results from pilot epidemiological study of French nuclear workers », dans Cancer Causes & Control, 2011 Nov;22(11):1563-73. doi: 10.1007/s10552-011-9833-5. Epub 2011 Aug 28.

[47]               Ibid., p. 10.

[48]               CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 23.

[49]           Pierre Morrisset, Témoignages, 26 mars 2013, 10h20.

[50]               CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 27 à 28.

[51]           Melissa McDiarmid, directrice médicale, Depleted Uranium Program, Toxic Embedded Fragment Surveillance Center, U.S. Department of Veterans Affairs, Témoignages, 26 mars 2013, 0905.

[52]           Robert Alvarez, dans « Depleted Uranium Worker Cancer Rates and Presumptive Causation » critique l’omission d’études importantes dont l’équipe de Mme McDiarmid aurait dû tenir compte. De même, Keith Baverstock, dans « Evaluation of the SCHER opinion on DU in 2010 », va jusqu’à soupçonner un manque de rigueur délibéré.

[53]           Research Advisory Committee on Gulf War Veterans’ Illnesses, Gulf War Illness and the Health of Gulf War Veterans: Scientific Findings and Recommendations, November 2008, p. 99.

[54]               Pascal Lacoste, Témoignages, 7 mars 2013, 1015. Nous ne pouvons pas commenter le point de vue de la Dre Irwin puisqu’aucun document présentant sa position n’a été déposé au Comité.

[55]               Rosalie Bertell, « Depleted Uranium: All the Questions About DU and Gulf War Syndrome Are Not Yet Answered », International Journal of Health Services, vol. 36, no 3, 2006, p. 503 à 520. Une version préliminaire de plusieurs hypothèses présentées dans cet article se retrouve dans un autre document de Mme Bertell déposé au Comité : « Gulf War Veterans and Depleted Uranium, prepared for the Hague, May 1999 ».

[56]               Hari Sharma, « Investigations of Environmental Impacts from the Deployment of Depleted Uranium Munitions », cité dans Bertell, p. 519. L’article est disponible dans Internet à http://www.stopnato.org.uk/du-watch/sharma/du-report.htm.

[57]           Patricia Horan, L. Dietz et A. Durakovic, « The quantitative analysis of depleted uranium isotopes in British, Canadian, and U.S. Gulf War veterans », Military Medicine, 167:8, août 2002, 620-627.

[58]           Sandra S. Wise et al., Particulate Depleted Uranium Is Cytotoxic and Clastogenic to Human Lung Cells, Chem. Res. Toxicology, 2007, 20, p. 815-820.

[59]           Ibid., p. 819-820.

[60]           Research Advisory Committee on Gulf War Veterans’ Illnesses, Gulf War Illness and the Health of Gulf War Veterans: Scientific Findings and Recommendations, November 2008, p. 89.

[61]           Chris Busby, PhD, “The [Illness of A] and his previous exposure to contamination from uranium weapons […]”, December 10, 2009.

[63]           CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 27-28.

[64]           Chris Busby PhD, “The [Illness of A] and his previous exposure to contamination from uranium weapons […]”, December 10, 2009, p. 16.

[65]           « Déclaration de Keith Baverstock, professeur auxiliaire, Faculté des sciences de l'environnement, Université de l'Est de la Finlande, Finlande », document déposé au Comité par Steve Dornan.

[66]           « Déclaration de Keith Baverstock, professeur auxiliaire, Faculté des sciences de l'environnement, Université de l'Est de la Finlande, Finlande », p. 2 et p.3.

[67]           Organisation mondiale de la santé, Centre international de recherche sur le cancer, « A Review of Human Carcinogens, volume 100D: Radiation », p. 18.

[68]           Ibid., p. 33.

[69]           « Déclaration de Keith Baverstock, professeur auxiliaire, Faculté des sciences de l'environnement, Université de l'Est de la Finlande, Finlande », p. 4.

[70]           UK Ministry of Defence, Safety Instructions, Hazard Management of Depleted Uranium on Operations, 27 February 2003.

[71]           Ibid., par. 7.

[72]           Document parlementaire 8555-411-11, p. 5-6.

[73]           Ibid., p. 5.

[74]           Ibid., p. 6.

[76]           Assemblée générale des Nations Unies: résolutions 62/30 du 5 décembre 2007, 63/54 du 2 décembre 2008, 65/55 du 8 décembre 2010 et 67/36 du 3 décembre 2012.

[77]           Assemblée générale des Nations Unies: résolution 67/36 du 3 décembre 2012.

[78]               Steve Dornan, à titre personnel, Témoignages, 21 mars 2013, 10h05. L’étude est celle de : E.A. Ough et al., « An Examination of Uranium Levels in Canadian Forces Personnel Who Served in the Gulf War and Kosovo », Health Physics, 82(4):527-532, avril 2002.

[80]           Defence Research and Development Canada, Determination of Natural and Depleted Uranium in Urine at the ppt Level : An Interlaboratory Analytical Exercise, October 2002.

[81]               E.A. Ough et al., « An Examination of Uranium Levels in Canadian Forces Personnel Who Served in the Gulf War and Kosovo », Health Physics, 82(4):527-532, avril 2002, p. 531.

[82]           Décision […] du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) du 14 mai 2008, p. 5.

[83]           Chris Busby, « Depleted Uranium Causes Cancer ».

[84]           “Ex-soldier died of cancer caused by Gulf War uranium”, The Telegraph, 10 septembre 2009.

[85]               Traduction de l’italien. Le jugement complet en italien seulement est disponible à      http://www.gestionecreditipubblici.com/news.asp?IDCategoria=1&IDNews=53.

[86]               CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 24. Voir aussi Pierre Morisset, Témoignages, 14 février 2013, 0925.

[87]               Pascal Lacoste, Témoignages, 7 mars 2013, 0850.

[88]           Pierre Morrisset, Témoignages, 26 mars 2013, 10h25.

[89]           Courriel de Mme A à l’honorable Peter MacKay, 1er février 2011, p. 7

[90]           David A. Macdonald, lettre du 5 janvier 2010, déposée au Comité par A.

[91]           The Royal Society, The health hazards of depleted uranium munitions, Part II, Londres, 2002, p. 17.

[92]               Pascal Lacoste, Témoignages, 7 mars 2013, 0850.

[94]           Voir à ce sujet le rapport du Comité, Rétablir la confiance à l’égard du tribunal des anciens combattants (révision et appel), décembre 2012.

[95]               US Department of Veterans Affairs, « Presumptive diseases related to ionizing radiation ».

[96]               US Department of Veterans Affairs, « Other diseases associated with radiation exposure ».

[97]               US Department of Veterans Affairs, « Depleted Uranium ».

[98]           S. V. Parangala et al., US Congressional Research Service, Veterans Affairs: Presumptive Service Connection and Disability Compensation, p. 4.

[99]           Anciens Combattants Canada, Agent Orange — Paiements à titre gracieux.

[100]         S. V. Parangala et al., US Congressional Research Service, Veterans Affairs: Presumptive Service Connection and Disability Compensation, p. 1–2.

[101]         National Academy of Sciences, Institute of Medicine, Improving the Presumptive Disability Decision-Making Process for Veterans, Washington, DC, 2008, p. 342.

[102]         S. V. Parangala et al., US Congressional Research Service, Veterans Affairs: Presumptive Service Connection and Disability Compensation, p. 8.

[103]            CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 55.

[104]            Nicholas Priest, Témoignages, 26 février 2013, 1000.

[105]            Ibid., 0900.

[106]            Louise Richard, Témoignages, 19 mars 2013, 0910.

[107]            Pierre Morisset, Témoignages, 14 février 2013, 0940.

[108]            Eric Daxon, directeur de recherche, Battelle Memorial Institute, à titre personnel, Témoignages, 19 mars 2013, 1015.

[109]            Institute of Medicine, Gulf War and Health: Volume 9: Treatment for Chronic Multisymptom Illness, janvier 2013.

[110]            CCSSAC, Uranium appauvri et Anciens Combattants Canada, janvier 2013, p. 55.