Passer au contenu

PROC Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

QUESTION DE PRIVILÈGE CONCERNANT LE REFUS DU GOUVERNEMENT DE FOURNIR À LA CHAMBRE TOUS LES DOCUMENTS QU’IL A REÇU L’ORDRE DE PRODUIRE

Conformément à l’ordre de renvoi de la Chambre des communes du 9 mars 2011, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes (ci-après le Comité) présente le rapport suivant.

Le 6 octobre 2010, le Comité permanent des finances de la Chambre des communes (Comité des finances) a adopté une motion pour demander que le gouvernement lui fournisse certains renseignements de nature financière dans un délai de 10 jours. Les renseignements qu’il demandait au ministère des Finances étaient les suivants :

  • Le coût estimatif de chaque avion F-35 et la façon dont cette dépense s’intègre au cadre financier;
  • Le coût estimatif initial et le coût final de l’organisation des sommets du G-8 et du G‑20;
  • Les rajustements apportés au cadre financier afin d’incorporer les coûts des projets de loi C-4, C‑5, C-16, C-17, C-21, C-22, C-23(A), C-23(B) et C-39 de la 40e législature;
  • Le coût estimatif, pour le Trésor fédéral, de la diminution des taux d’imposition des sociétés par le gouvernement du Canada à partir du 1er janvier 2011.

N’ayant reçu aucun des renseignements demandés, le Comité des finances a adopté, le 17 novembre 2010, une deuxième motion qui ordonnait au gouvernement de lui transmettre des copies électroniques des renseignements dans un délai de sept jours civils :

  • Les projections quinquennales concernant les bénéfices totaux des sociétés avant impôt et leurs taux d’imposition réels (pour la période 2010-2011 à 2014-2015);
  • Tous les documents détaillant les coûts d’acquisition, les coûts du cycle de vie et les besoins opérationnels liés au programme des F-35 et aux programmes précédents (CF-18).

La motion demandait aussi que des renseignements sur certains projets de loi en matière de justice soient fournis au Comité des finances dans un délai de sept jours civils. Pour les projets de loi visés par la motion du 6 octobre 2010 et les projets de loi S-2, S-6, S-7, S-9, S-10, C-48, C-50, C-51 et C-52 de la 40e législature, le Comité des finances a ordonné au gouvernement de lui fournir les renseignements suivants :

  • Les coûts marginaux estimatifs des projets de loi visés;
  • Le financement de base requis pour le ministère, sans égard aux impacts des projets de loi et des lois;
  • Le niveau de référence annuel total du ministère;
  • Les estimations, analyses et projections de coûts détaillées, ainsi que les hypothèses qui les sous-tendent, pour chacun des projets de loi et des lois visés, conformément au Guide d’établissement des coûts du Conseil du Trésor;
  • Les rajustements apportés par le ministère des Finances au cadre financier afin d’incorporer les coûts des textes de loi en matière de justice du gouvernement du Canada.

Le 24 novembre 2010, le gouvernement a fait parvenir au Comité des finances la réponse suivante : « Les prévisions des bénéfices des sociétés avant impôts et les taux effectifs d’imposition des sociétés constituent des documents confidentiels du Cabinet. Nous ne sommes donc pas en mesure de les divulguer au Comité. » Le 1er décembre 2010, le gouvernement a envoyé au Comité des finances une nouvelle réponse assez semblable à la première, à savoir qu’il ne pouvait fournir de renseignements ou de documents sur les coûts associés à la mise en œuvre des projets de loi du gouvernement en matière de justice parce que cette information relevait de « documents confidentiels du Cabinet ».

Dans le cadre de leurs travaux, afin de décider de la marche à suivre pour le gouvernement, les ministres et les ministres d’État se réunissent régulièrement en conseil des ministres, c’est-à-dire en Cabinet, pour échanger sur les questions de politique afin d’en arriver à un consensus. Il est donc essentiel, pour que le processus décisionnel soit pleinement efficace et afin d’assurer une solidarité ministérielle, que les ministres puissent se parler franchement en étant assurés que leurs propos seront protégés. C’est notamment ce caractère privé de leurs délibérations qui est protégé par le privilège associé aux documents confidentiels du Cabinet. En effet, le fait que les ministres prêtent le serment du Conseil privé, qui les oblige à garder secrète toute question discutée dans le cadre de leurs réunions, démontre l’importance attachée à ce principe. Le privilège associé à la confidentialité des délibérations du Cabinet trouve son expression dans trois articles de lois fédérales distinctes : l’article 69 de la Loi sur l’accès à l’information[1], l’article 70 de la Loi sur la protection des renseignements personnels[2] et l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada[3].

Étant donné que les documents confidentiels du Cabinet sont spécifiquement exclus de l’application de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il en découle que lorsque le gouvernement devra préparer des documents à divulguer en réponse à une demande d’accès à l’information déposée conformément à l’une ou l’autre de ces lois, il n’aura pas à inclure de documents qui comprennent des documents confidentiels du Cabinet. Concrètement, lorsque seulement une partie du document devra être protégée, celle-ci sera alors caviardée et le reste du document sera divulgué. Quant à la Loi sur la preuve au Canada, elle encadre les litiges dans le cadre desquels des demandes sont souvent faites afin d’obtenir la divulgation de tous les documents et renseignements concernant les questions en jeu dans ces mêmes litiges. Ainsi, il arrive fréquemment que des documents confidentiels du Cabinet figurent parmi les documents pertinents réunis par le gouvernement en réponse à de telles demandes. Or, conformément aux termes de l’article 39 de cette loi, le greffier du Conseil privé pourra s’objecter à la divulgation de documents confidentiels du Cabinet en délivrant une attestation. Finalement, soulignons qu’en vertu de ces trois lois, les documents confidentiels du Cabinet sont protégés contre la divulgation pendant 20 ans.

Le 7 février 2011, l’honorable Scott Brison, député de Kings—Hants et membre du Comité des finances, a soulevé la question de privilège à la Chambre des communes au nom de son comité. M. Brison soutenait que le refus du gouvernement de fournir au Comité des finances les renseignements d’ordre financier qu’il lui avait ordonné de produire constituait de prime abord une atteinte au privilège.

M. Brison a signalé entre autres que le Comité des finances avait fait l’observation suivante dans son dixième rapport, qui avait été présenté à la Chambre des communes un peu plus tôt pendant la période réservée aux affaires courantes :

Le Comité désire attirer l’attention de la Chambre sur ce qui lui semble constituer une atteinte à ses privilèges, c’est-à-dire le refus du gouvernement du Canada de produire les documents demandés par le Comité, et lui recommande de prendre les mesures qu’elle juge appropriées[4].

Le 17 février 2011, le gouvernement a déposé des documents sur les taux d’imposition des sociétés et le coût estimatif de certains projets de loi en matière de justice. Il a dit être disposé, pour certains renseignements, à lever le secret du Cabinet pour que certains documents soient rendus publics. L’opposition a pour sa part déclaré que les renseignements communiqués par le gouvernement étaient insuffisants par rapport à ce qui avait été demandé dans l’ordre de production de documents du Comité des finances. Le même jour, durant les travaux des subsides, la Chambre des communes a tenu un débat sur une motion de l’opposition ordonnant la production des mêmes documents que ceux demandés par le Comité des finances. Lors d’un vote tenu le 28 février 2011, elle a adopté cette motion, qui fixait au 7 mars 2011 l’échéance pour la production des documents.

Le 9 mars 2011, le Président de la Chambre a statué qu’il y avait de prime abord matière à question de privilège pour le point soulevé par M. Brison. Il a fait référence à sa décision du 27 avril 2010, dans laquelle il citait l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, où il est entre autres mentionné aux pages 978 et 979 que le pouvoir de la Chambre des communes ou des comités permanents d’ordonner la production de documents et de dossiers est « général » et « absolu » et « ne comporte a priori aucune limitation ».

La position du Président sur la question de savoir si la Chambre des communes ou ses comités ont le pouvoir d’ordonner la production de documents était donc la suivante :

[…] les ouvrages de procédure affirment catégoriquement, à bon nombre de reprises, le pouvoir qu’a la Chambre d’ordonner la production de documents. Ils ne prévoient aucune exception pour aucune catégorie de documents gouvernementaux […] Par conséquent, la présidence doit conclure que l’ordre de produire les documents en question s’inscrit parfaitement dans le cadre des privilèges de la Chambre[5].

Le Président a souligné qu’à son avis, les documents déposés par le gouvernement le 17 février 2011 ne contenaient pas tous les renseignements dont le Comité des finances avait ordonné la production. Il trouvait ce fait « déconcertant », mais « l’absence d’explication justifiant ces omissions » l’inquiétait encore plus. Il a cité à cet égard un extrait de la page 281 de l’ouvrage de Bourinot intitulé Parliamentary Procedure and Practice, dont voici la traduction :

[…] quelles que soient les circonstances, c’est la Chambre qui décide si les raisons invoquées pour refuser de fournir des renseignements sont suffisantes. Le droit du Parlement d’obtenir tous les renseignements possibles concernant une question d’intérêt public est incontestable et les circonstances doivent être exceptionnelles et les raisons très puissantes pour que ces renseignements ne soient pas présentés devant les Chambres[6].

Le Président a conclu qu’il s’agissait là d’une affaire très grave qui touchait « l’essence même du rôle incontestable de la Chambre d’exiger des comptes du gouvernement ». Il a ajouté qu’il se pouvait que le gouvernement ait des raisons valables pour refuser d’obtempérer à l’ordre du Comité des finances, mais qu’il ne lui appartenait pas d’en juger et que cette tâche revenait plutôt à un comité habilité à faire enquête sur l’affaire.

Le 16 mars 2011, le Comité a commencé son étude de la question. Lors de son témoignage, M. Robert R. Walsh, légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes, a tout d’abord précisé qu’une décision prima facie signifie qu’il appert à première vue qu’une violation a été commise et qu’une enquête subséquente pourrait conclure qu’une violation a bel et bien été commise. Par la suite, ce dernier a affirmé qu’en rendant sa décision, le Président a conclu que le Parlement a le droit de recevoir toute l’information qu’il requiert, mais que le gouvernement pourra décider de refuser de communiquer cette information. Dans cette éventualité, il lui reviendra de convaincre le Parlement du bien-fondé de sa décision. En l’espèce, M. Walsh a expliqué que, dans sa décision, le Président a insisté sur le fait que le gouvernement avait choisi de ne pas communiquer toute l’information demandée par le Parlement et n’avait pas justifié ce refus.

En ce qui a trait aux documents confidentiels du Cabinet, reconnaissant que ce concept n’était pas défini dans la Loi sur la preuve au Canada, mais plutôt par la tradition et la coutume, M. Walsh a insisté sur le fait que la Chambre des communes n’est pas une cour de justice et qu’elle n’était pas liée par cette loi. En effet, comme nous nous trouvons dans un contexte parlementaire, il revient au Parlement de décider si les coûts engendrés par les projets de loi déposés par le gouvernement constituent des renseignements confidentiels du Cabinet. De fait, M. Walsh a admis qu’avant qu’un projet de loi ne soit déposé en Chambre, la question des coûts que celui-ci engendrerait pourrait être considérée comme un renseignement confidentiel du Cabinet. Cependant, dès que ce projet de loi est déposé en Chambre, il en va autrement, car les députés seront appelés à se prononcer sur celui-ci. Or, insistant sur le fait qu’une décision ne pourra qu’être à la hauteur de l’information sur laquelle elle est basée, M. Walsh a souligné qu’afin d’exercer son droit de vote de manière éclairée, les députés pourraient requérir cette information.

M. Mel Cappe, ancien greffier du Conseil privé, a déclaré au Comité être un grand défenseur des documents confidentiels du Cabinet et a insisté sur le fait que ceux-ci sont spécifiquement exclus de l’application de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la preuve au Canada. Il a insisté sur le fait que les documents confidentiels du Cabinet doivent être protégés et ce, sans pour autant priver les parlementaires d’obtenir l’information nécessaire à leur prise de décision dans le cadre de leur fonction. Balançant ces deux concepts, il a affirmé : « Un bon gouvernement doit faire preuve d’ouverture […], mais un bon gouvernement a aussi besoin de secrets. »

Celui-ci a également soutenu que la décision du gouvernement d’invoquer l’exclusion prévue par rapport aux documents confidentiels du Cabinet n’était pas justifiée. Selon lui, une fois un projet de loi déposé, le coût engendré par ce projet de loi ne saurait être considéré comme un renseignement confidentiel du Cabinet et devrait être communiqué aux parlementaires afin que ceux-ci puissent se faire une opinion éclairée. M. Cappe a insisté pour affirmer que la décision de ne pas communiquer ces informations lui semblait injustifiée. À l’opposé, tous les documents et les informations soumis au Cabinet dans le cadre de l’élaboration d’un projet de loi et d’une prise de décision demeureront des confidences du Cabinet. Par ailleurs, M. Cappe a insisté sur le fait que si le gouvernement n’a pas évalué les coûts engendrés par un projet de loi, il s’agirait alors d’une violation des directives du Conseil du Trésor et du système de gestion des dépenses du gouvernement.

Le même jour, le Comité a entendu le témoignage de Mme Suzanne Legault, Commissaire à l’information du Canada (Commissaire à l’information), qui était accompagnée de deux cadres supérieurs. Le mandat de la Commissaire à l’information, qui consiste à recevoir les plaintes et à faire enquête, est établi aux articles 30 à 37 de la Loi sur l’accès à l’information. Ces dispositions prescrivent à la Commissaire à l’information de faire enquête sur les plaintes déposées par des personnes ou des organismes qui estiment qu’une institution fédérale n’a pas respecté leurs droits en vertu de la Loi. Lors de son témoignage devant le Comité, Mme Legault a précisé qu’il existe deux processus distincts que les députés peuvent utiliser pour avoir accès à des documents. Il y a le processus parlementaire, qui est régi par les règles de la procédure parlementaire, et le processus de demande d’accès à l’information, régi par la Loi sur l’accès à l’information. La compétence de la Commissaire à l’information ne s’applique qu’aux affaires dans lesquelles une plainte est déposée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Les deux processus sont différents et rien n’empêche un parlementaire de tenter d’avoir accès à des documents en utilisant les deux possibilités parallèlement. La Commissaire à l’information a donné des précisions sur le processus d’enquête du Commissariat, la jurisprudence sur laquelle il se base et sur son expérience dans ce domaine. Elle a précisé qu’en aucun cas son témoignage ne commente le processus parlementaire.

Le 16 mars 2011, le Comité a entendu le témoignage de M. Kevin Page, directeur parlementaire du budget, accompagné de cadres supérieurs de son bureau. M. Page a signalé dès le départ que la position de son bureau est que la Constitution canadienne établit et affirme l’obligation fiduciaire du Parlement, envers tous les citoyens, de contrôler les deniers publics. À cet égard, si les députés avaient en main plus de données économiques et financières du gouvernement, ils tiendraient des débats parlementaires plus éclairés et seraient plus à même de rendre des comptes. Selon lui, il revient au gouvernement et à la fonction publique d’examiner tous les coûts dans le processus de prévisions budgétaires afin d’évaluer les impacts non seulement au niveau fédéral, mais aussi au niveau provincial.

Plusieurs membres du Comité ont demandé à M. Page si, à son avis, les documents déposés par le ministre de la Justice et le ministre de la Sécurité publique contenaient l’information sur les coûts qui était exigée dans les motions adoptées par le Comité des finances. M. Page a indiqué qu’en ce qui concerne les motions adoptées par le Comité des finances, la communication de renseignements ministériels sur les méthodes, les hypothèses sous-jacentes, les inducteurs de coûts, les risques de même que certaines données statistiques de base était essentielle à l’établissement de bonnes prévisions économiques. Dans un document déposé au Comité le 17 mars 2011, le bureau de M. Page a formulé entre autres les observations suivantes :

  • Des renseignements supplémentaires ont bel et bien été fournis aux parlementaires, si l’on fait la comparaison avec les documents déposés par le gouvernement le 17 février 2011.
  • Du point de vue du gouvernement, quatre des projets de loi présentés ne devraient avoir aucun impact financier étant de nature procédurale.
  • La demande du FINA et la question de privilège renferment de multiples références à la ventilation des coûts en fonction des catégories des immobilisations, de l’exploitation et de la maintenance et autres. L’information fournie ne fait pratiquement aucune mention des dépenses en immobilisations.
  • Il y a encore des écarts importants entre les renseignements demandés par les parlementaires et ceux qui ont été fournis par le gouvernement, ce qui limitera la capacité des parlementaires à s’acquitter de leurs obligations fiduciaires.

M. Page a été interrogé le 16 mars 2011 par un membre du Comité au sujet des impacts divergents que pourraient avoir des projections basées sur des hypothèses économiques et financières différentes. Il a reconnu que des hypothèses différentes pourraient assurément mener à des projections plus diverses et qu’il préconisait par conséquent une plus grande ouverture et la communication du plus grand nombre de données statistiques possible entre son bureau et le gouvernement fédéral, ainsi que le secteur privé et les provinces. Il a signalé que son bureau avait eu du mal à obtenir l’accès aux renseignements statistiques nécessaires pour donner suite à une motion adoptée par le Comité des finances, qui lui demandait les coûts estimatifs de certains projets de loi, notamment en matière de justice.

M. Page a également signalé que, d’après son expérience professionnelle et notamment son expérience antérieure au Bureau du Conseil privé, ce genre d’information était par le passé « diffusée à beaucoup de monde pour l’élaboration des estimations ».

M. Alister Smith, le directeur principal par intérim du Secrétariat du Conseil du Trésor, a témoigné devant le Comité. Lors de sa déclaration et en réponse aux questions posées par les membres du Comité, il a apporté des clarifications sur les directives fournies aux ministères sur les coûts des initiatives et sur le rôle du Conseil du Trésor dans l’approbation du financement pour la mise en œuvre des initiatives gouvernementales. Pour sa part, M. Page, directeur parlementaire du budget, dira à ce sujet que si l’effet se fait ressentir aussi bien à l’échelle provinciale que fédérale, « il incomberait au gouvernement et à la fonction publique, quand ils font leurs estimations, de se pencher sur tous les coûts et de les estimer […] D’après ce que je comprends, aujourd’hui, un ancien greffier du Conseil privé a dit qu’il est courant, dans le système de gestion des dépenses, de regarder les divers paliers gouvernementaux. » Cette observation est importante dans le contexte de la motion adoptée par le Comité des finances de la Chambre des communes le 17 novembre 2010, laquelle ordonnait au gouvernement de fournir des estimations, analyses et projections de coûts détaillées, ainsi que les hypothèses qui les sous-tendent, à l’égard des lois et projets de loi mentionnés et ce, conformément au Guide d’établissement des coûts du Conseil du Trésor.

Toujours le 16 mars 2011, le ministre de la Justice, l’honorable Rob Nicholson, et le ministre de la Sécurité publique, l’honorable Vic Toews, ont comparu devant le Comité, accompagnés de fonctionnaires de leurs ministères. Avant la reprise de la réunion à 13 h 30, un cahier a été remis au Comité qui contenait des renseignements additionnels détaillés sur les coûts afférents aux 18 projets de loi en matière de criminalité au sujet desquels le Comité des finances avait demandé des informations dans ses motions d’octobre et de novembre 2010. Le ministre de la Sécurité publique a noté que l’information avait été rassemblée par des fonctionnaires en réponse à la décision du Président et qu’elle ne portait pas atteinte à la confidentialité des documents du Cabinet. Les ministres ont expliqué que, à leur avis, l’information contenue dans les estimations de coût déposées par le gouvernement à la Chambre des communes le 17 février 2011 répondait pleinement aux motions du Comité des finances. Le ministre de la Sécurité publique a fait remarquer, au sujet de la décision du Président, qu’il était difficile de savoir en quoi les renseignements communiqués par le gouvernement en février étaient insuffisants, car le Président n’avait pas précisé quels documents ou quelles informations manquaient.

Les ministres ont noté, en outre, que les estimations de coût fournies dans les cahiers remis au Comité étaient très proches de celles qui avaient été fournies à la Chambre en février. Ils ont aussi tous deux pris soin de préciser que les coûts indiqués au Comité et à la Chambre reposaient sur les meilleures estimations disponibles des ministères concernés. Ils ont également répété, à quelques reprises, que les coûts associés à des projets de loi ne peuvent être fournis que lorsqu’il est raisonnablement possible de le faire.

Le témoignage du ministre de la Justice et du ministre de la Sécurité publique a suscité des questions de la part de certains des membres du Comité, ainsi que des commentaires. Des membres du Comité avaient notamment du mal à comprendre pourquoi l’échéance fixée par le Comité des finances n’avait pas été respectée et pourquoi il avait fallu quatre mois au gouvernement pour fournir au Comité et au Parlement les renseignements qu’ils avaient demandés. Des membres du Comité ont aussi fait remarquer que l’information contenue dans les cahiers présentait certaines lacunes, notamment dans la mesure où l’on y indique que certains projets de loi n’entraîneront aucun coût. Ils ont remarqué aussi que certains autres coûts, notamment les coûts assumés par le Service correctionnel du Canada et ceux assumés par les provinces, n’y figuraient pas ou n’étaient pas suffisamment détaillés. Ils ont ajouté que l’information contenue dans les cahiers ne correspondait toujours pas aux demandes de renseignements précises formulées dans les motions du Comité des finances. Ils ont conclu que l’information contenue dans les cahiers semblait être la même que celle que le Président avait considérée comme insuffisante, à ceci près qu’elle était plus détaillée. À cet égard, des membres du Comité ont dit estimer qu’on leur avait donné trop peu de temps pour examiner l’information contenue dans les cahiers remis par le gouvernement. Un membre du Comité s’est demandé pourquoi des renseignements dont le gouvernement avait prétendu en décembre 2010 constituer des renseignements confidentiels du Cabinet pouvaient être divulgués en mars 2011.

Une minorité des membres du Comité étaient pour leur part satisfait des réponses des ministres aux réserves décrites ci-dessus. Les ministres ont dit que l’information avait été fournie de bonne foi au mieux des compétences des hauts fonctionnaires chargés de la supervision des ministères concernés. Les ministres et certains des membres du Comité ont également dit, à quelques reprises, que certaines des demandes de renseignements formulées par les autres membres du Comité dans leurs questions outrepassaient, d’une part, ce qui avait été demandé dans la décision du Président et la motion renvoyant la question au Comité et, d’autre part, ce que les ministères peuvent raisonnablement estimer avec fiabilité pour le moment. Aux questions concernant les coûts potentiels pour les provinces, les ministres ont répondu que leurs homologues provinciaux avaient été consultés et que les provinces avaient demandé les modifications en question.

Le ministre de la Justice et le ministre de la Sécurité publique ont comparu une seconde fois devant le Comité le 17 mars 2011. Durant l’audience, des questions ont de nouveau été posées sur le manque de renseignements fournis par le gouvernement sur les coûts potentiels que les provinces devront assumer à la suite de l’adoption des mesures législatives en matière de justice. Les ministres ont répondu que les modifications en question avaient été faites à la suggestion de leurs homologues provinciaux. M. Nicholson a dit que la décision de présenter un projet de loi n’était pas prise en vase clos et que, dans certains cas, il avait été encouragé par les provinces à proposer des mesures législatives en matière de justice. Il a par ailleurs signalé, à titre d’exemple, que le gouvernement n’avait pas encore reçu des provinces quelque information que ce soit à la suite des modifications apportées il y a déjà plusieurs années au régime de peine avec sursis. Certains membres du Comité ont dit avoir du mal à croire que les provinces n’avaient pas informé le gouvernement des coûts de cette mesure et ont dit douter de l’exactitude des projections figurant dans les informations fournies au Comité durant l’audience du 16 mars 2011. Ils ont soutenu que l’information contenue dans les cahiers remis au Comité par le gouvernement ne correspondait pas suffisamment aux renseignements que le Parlement avait réclamés. Ils ont également déclaré que les députés étaient en droit d’être informés du coût total de toute mesure législative.

Quand on lui a demandé si des renseignements ou des documents étaient encore cachés parce qu’ils étaient considérés comme relevant du secret du Cabinet, le ministre de la Sécurité publique a affirmé qu’il n’en était rien. Il a dit aussi que la réponse initiale du gouvernement de février de même que les informations remises au Comité le 16 mars respectaient l’esprit et la lettre de la décision du Président et constituaient une réponse substantielle et complète.

Le ministre d’État (Finances), l’honorable Ted Menzies, a lui aussi comparu devant le Comité le 17 mars 2011 pour fournir des informations et répondre à des questions. Dans sa déclaration préliminaire, il a fait état des réalisations du gouvernement sur le plan de l’amélioration de la transparence du Parlement. Il a dit aussi qu’à son avis le gouvernement avait déjà fourni au Comité des finances et à la Chambre des communes l’information qui avait été demandée au ministère des Finances. Cette information comprend « le coût estimé par le ministère des Finances de la réduction des impôts légiférée en 2007 ainsi que les projections quinquennales des profits totaux des sociétés avant impôt et le taux effectif d'imposition des sociétés ». Le ministre d’État (Finances) a dit à ce sujet que les recettes du gouvernement au titre de l’impôt des sociétés avaient augmenté en dépit des réductions du taux de cet impôt.

Quand il a témoigné, le ministre d’État (Finances) a signalé entre autres que le gouvernement avait d’après lui fourni au Parlement toute l’information qu’il était légalement en mesure de lui communiquer. Il a précisé à cet égard que le gouvernement avait même extrait de documents confidentiels du Cabinet des passages dont la divulgation ne risquait pas de porter atteinte au secret du Cabinet et qu’il avait remis au Comité des finances les renseignements que celui-ci avait demandés. Il a d’ailleurs ajouté que, selon lui, le gouvernement avait « communiqué davantage d’information [que ce qui avait été] en fait demandé ».

En réponse au témoignage du ministre d’État (Finances), des membres du Comité ont demandé à celui-ci comment il se faisait que certains renseignements ministériels que le gouvernement avait initialement refusé de divulguer parce qu’ils constituaient des renseignements confidentiels du Cabinet pouvaient finalement être communiqués aux députés. Certains ont aussi dit douter que les renseignements qui avaient été dissimulés au Parlement constituaient effectivement des renseignements confidentiels du Cabinet. Ils ont également dit craindre que le gouvernement n’ait pas encore fourni au Comité et au Parlement toute l’information financière qu’ils avaient demandée. Une minorité des membres du Comité étaient pour leur part satisfait du témoignage du Ministre d’ État (Finances).

M. Ned Franks, professeur émérite au Département d’études politiques de l’Université Queen’s, a comparu devant le Comité le 17 mars 2011. Il a rappelé au Comité une décision rendue en 1981 par la Présidente Jeanne Sauvé dans laquelle celle-ci faisait remarquer que l’expression « document- confidentiel » n’avait jamais été définie, mais qu’il ne revenait pas à la présidence de le faire. Elle a déclaré que c’était au gouvernement qu’il revenait de décider quels documents présentent un caractère confidentiel. M. Franks a évoqué aussi la décision du Président Milliken du 9 mars 2011 dans laquelle celui-ci a statué qu’il y avait, à première vue, des raisons de penser que le gouvernement s’est rendu coupable d’outrage au Parlement pour avoir omis de communiquer des renseignements au Parlement. Devant ces deux décisions contradictoires, M. Franks a dit se ranger du côté du Président Milliken et a déclaré que, à son avis, le gouvernement n’est pas habilité à limiter le pouvoir du Parlement de recevoir des renseignements.

De fait, M. Franks soutient que l’on devrait limiter au maximum la définition de « document confidentiel du Cabinet » afin de divulguer le plus d’information possible. De plus, M. Franks a également avancé qu’à son avis, les estimations des coûts qu’un projet de loi engendrerait au niveau provincial devraient également faire partie de l’information soumise au Parlement par le gouvernement.

Pour ce qui est des solutions à envisager, M. Franks a proposé au Comité cinq réformes :

  1. que le Parlement et le gouvernement entament immédiatement des discussions en vue de s’entendre sur ce qui constitue un document confidentiel du Cabinet;
  2. que le Comité recommande qu’aucune mesure législative ne puisse dépasser le stade de la première lecture si elle n’est pas accompagnée d’une analyse des coûts qu’elle entraînera sur une période d’au moins cinq ans;
  3. que l’on accorde au DPB les ressources voulues pour qu’il puisse effectuer sa propre analyse indépendante des chiffres fournis par le gouvernement et qu’on lui demande de faire ce type d’analyse;
  4. que la Chambre mène elle-même une étude de la portée légitime du droit du gouvernement de déclarer unilatéralement que des documents et des renseignements constituent des documents confidentiels du Cabinet;
  5. que le Parlement revoie la Loi sur l’accès à l’information et qu’il reconsidère en particulier les dispositions qui confient aux ministres l’administration des mesures législatives.

Compte tenu des témoignages qu’il a entendus au sujet de la question qui lui a été renvoyée par le Président le 9 mars 2011, le Comité conclut ce qui suit :

  1. Que le gouvernement n’a pas présenté tous les documents spécifiques dont le Comité permanent des finances et la Chambre des communes ont ordonné la production;
  2. Que le gouvernement n’a pas donné d’excuse valable;
  3. Que les documents déposés à la Chambre des communes et en comité ne satisfont pas aux motions ordonnant la production des documents; et ne fournissent pas d’excuse valable non plus;
  4. Que cela fait obstacle à l’exercice des fonctions de la Chambre; et
  5. Que le fait que le gouvernement n’a pas présenté les documents constitue un outrage au Parlement.


[1]                     L.R., 1985, ch. A-1.

[2]                     L.R., 1985, ch. P-21.

[3]                     L.R., 1985, ch. C-5.

[4]             Le Comité permanent des finances, 10e rapport, Chambre des communes, Ottawa, /HousePublications/Publication.aspx?DocId=4927173&Language=F&Mode=1&Parl=40&Ses=3.