Le Comité, voulant examiner directement les
besoins, les défis et les innovations en RHS propres aux territoires du nord du
Canada, a effectué une mission d’enquête à Iqaluit et à Rankin Inlet, au
Nunavut, du 24 au 26 mai 2009. Durant son séjour, il a rencontré les
porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux du gouvernement
du Nunavut, ainsi que les professionnels de la santé locaux lors de ses visites
des hôpitaux et des centres de santé communautaires. Le présent chapitre met en
lumière les principaux défis des RHS en prestation des soins de santé dans le
Nord, ainsi que les solutions locales mises au point afin de répondre aux
besoins sanitaires et culturels des populations du Nord.
Lors de sa visite au Nunavut, le Comité a appris
que la prestation des soins de santé dans le Nord ne se fait pas du tout de la
même façon que dans le reste du Canada. Selon les porte-parole ministériels, le
Nunavut compte un hôpital complet avec bloc opératoire, l’Hôpital général de Qikiqtani
à Iqaluit, et deux centres de santé régionaux offrant des services élargis et
un omnipraticien à temps plein, soit à Rankin Inlet et à Cambridge Bay. D’autres
villages sont dotés de centres de santé communautaires dirigés par des
infirmières qui ont accès à des médecins à Iqaluit 24 heures par jour,
7 jours sur 7. Le Comité a aussi entendu dire que deux centres de
soins continus de 20 lits ouvriront bientôt leurs portes au Nunavut.
Le Comité a appris que les soins de première ligne
ne se présentent pas de la même façon pour les médecins de famille et les
infirmières du Nunavut que pour ceux des autres régions du Canada. Il a su qu’il
y a 24 médecins de famille ou omnipraticiens équivalents temps plein au
Nunavut, dont 14 sont situés à Iqaluit tandis que les autres se déplacent dans
le territoire. Les porte-parole ministériels ont indiqué que bon nombre de ces
médecins travaillent au Nunavut de façon temporaire, comme suppléants. Par ailleurs,
le Comité a appris que les spécialistes aussi viennent au Nunavut à tour de
rôle, pour de courtes durées. Par conséquent, les soins de première ligne sont
dispensés principalement par les infirmières, tandis que les médecins de
famille tiennent souvent le rôle d’experts-conseils auprès d’elles. Les
médecins dispensent les soins de première ligne uniquement dans les cas
difficiles et fournissent d’autres services, notamment l’obstétrique, l’anesthésie
et la gestion des soins aux patients.
Les soins secondaires et tertiaires sont
disponibles à quelques endroits seulement au Nunavut, et le Comité a appris que
de nombreuses personnes doivent donc quitter leur village pour obtenir ces
services. Par conséquent, le ministère de la Santé et des Services sociaux a
établi trois grands axes nord-sud de transport des patients à l’extérieur des
trois grandes régions du Nunavut qui ont besoin de soins secondaires et
tertiaires : la région de Qikiqtani (Baffin) à l’est, la région de Kivalliq
au centre et la région de Kitikmeot à l’ouest. Le Comité a appris que la région
de Kitikmeot envoie les patients à Yellowknife ou à Edmonton; les patients de
la région centrale se rendent à Winnipeg; et les patients de la région de
Baffin se rendent à Iqaluit ou à Ottawa pour être traités. Par conséquent, les
voyages pour fins médicales consomment une part importante du budget du
ministère de la Santé et des Services sociaux, c’est-à-dire quelque 50 millions
de dollars par année, soit environ 18,5 % du budget total. Toutefois, les
porte-parole ministériels ont dit s’attendre à ce que les frais de voyage
diminuent avec l’utilisation croissante de la télésanté.
Le Comité s’est laissé dire que le Nunavut fait
face à des défis particuliers en matière de recrutement et de maintien des
professionnels de la santé. Durant sa visite de l’Hôpital général de Qikiqtani,
il a appris que l’hôpital a de la difficulté à recruter et à garder du
personnel à cause de la pénurie de logement à Iqaluit. Comme l’a signalé l’administrateur
de l’hôpital, la saison de construction dure seulement quatre mois environ et
la demande d’habitations est élevée à Iqaluit, de sorte qu’il reste très peu d’unités
de logement pour accueillir les éventuels médecins et infirmières. Le Comité a
aussi appris que malgré une stratégie de recrutement dynamique, le Nunavut ne
peut pas offrir suffisamment de primes et d’incitatifs pour attirer des
professionnels de la santé dans la région. L’administrateur de l’hôpital a
signalé en particulier que le Nunavut ne peut pas offrir assez d’indemnités de
déplacement de vacances pour permettre aux médecins et aux infirmières de
voyager à l’extérieur du Nunavut pendant leurs vacances ou pour le
perfectionnement professionnel. Le Comité a aussi appris que l’Hôpital général
de Qikiqtani doit composer actuellement avec des pénuries de personnel de 40 %,
et seulement 54 % des postes d’infirmières au Nunavut sont comblés.
En ce qui concerne le recrutement de médecins, les
porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux ont indiqué que
les exigences de l’autorisation d’exercer constituent des obstacles pour les
médecins des autres régions du Canada. Toutefois, ils ont souligné que l’Accord
sur le commerce intérieur constitue un pas dans la bonne direction en vue d’harmoniser
les exigences quant à l’autorisation d’exercer des médecins d’un bout à l’autre
du pays. De plus, ils considèrent que l’Accord de reconnaissance mutuelle qu’ont
signé l’Ontario et le Québec, pour reconnaître les titres de compétences des
médecins dans ces deux provinces, pourrait être une solution possible au
Nunavut.
S’agissant du recrutement et du maintien de
membres des populations locales dans la main-d’œuvre de la santé au Nunavut, le
Comité a appris que de nombreux étudiants inuits font face à des obstacles à
une carrière en santé au Collège de l’Arctique du Nunavut. En effet, les administrateurs
du Collège ont signalé que rares sont les élèves inuits qui réussissent à
obtenir leur diplôme d’études secondaires, une condition préalable pour s’inscrire
au programme de soins infirmiers. De plus, de nombreux étudiants doivent alors
étudier dans leur langue seconde, l’anglais, plutôt que dans leur langue
maternelle. En outre, de nombreux étudiants au Collège ont atteint l’âge adulte
et ont par conséquent des obligations familiales. Le Comité a entendu dire que
le Collège réussit à former de nombreux infirmiers et infirmières malgré ces
obstacles, mais qu’environ 30 % quittent le Nunavut pour aller travailler
ailleurs au Canada.
Les administrateurs de l’Hôpital général de
Qikiqtani ont indiqué que l’emploi de personnel local présente aussi des défis
particuliers. Ils ont signalé que de nombreux employés inuits hésitent à accepter
des fonctions de gestion parce que les compétences exigées ne relèvent pas de
la formation reçue. De plus, bon nombre sont réticents à accepter un rôle qui
pourrait les obliger à réprimander des membres du personnel dont le travail
laisse à désirer, puisque ces personnes risquent d’être une connaissance ou
même un membre de la parenté.
Enfin, les porte-parole ministériels ont dénoncé
le recrutement de PSFE comme solution possible aux pénuries de RHS dans le Nord.
Ils ont expliqué qu’après avoir signé un contrat pour engager 100 infirmières
des Philippines, très peu ont réussi l’examen qui leur aurait permis d’exercer
au Canada. De plus, les défis culturels sont de taille, puisqu’il faut que les
PSFE s’adaptent à la prestation de soins de santé dans le Nord et à un groupe
de population très précis. De plus, le champ d’activité requis au Nunavut va
bien au-delà de la formation et des compétences qu’ont de nombreuses
infirmières formées à l’étranger. Les porte-parole ministériels ont toutefois
souligné que les infirmières qui ont surmonté ces difficultés comptaient parmi
les meilleures du territoire. Ils ont donc recommandé que les PSFE suivent au
moins une année de formation ou de pratique dans le sud du Canada avant de
commencer à pratiquer au Nunavut.
Afin de surmonter certaines de ces difficultés, les
porte-parole ministériels ont recommandé que se poursuive le financement
fédéral offert par le truchement de l’Initiative de viabilité du système de
santé des territoires et du Fonds de transport pour raison médicale. Ils ont en
outre recommandé que le financement fédéral au Nunavut tienne compte des
différences entre les difficultés qu’affrontent les Inuits vivant dans le nord
et celles des groupes de population des Premières nations qui vivent dans le Sud.
Au cours de ses visites, le Comité a entendu
parler de différents programmes et initiatives mis au point pour répondre aux
besoins sanitaires et culturels de la population locale. Il a pris connaissance
du programme de conseiller en santé mentale du Collège de l’Arctique du Nunavut
visant à former des étudiants pour qu’ils puissent répondre aux besoins en
santé mentale de la population locale, notamment en ce qui touche la
toxicomanie, le suicide et les séquelles des pensionnats. Les étudiants
inscrits au programme ont comme mentors des guérisseurs traditionnels pour les aider
à mieux s’intégrer à la communauté. De plus, le Collège de l’Arctique du
Nunavut a aussi mis au point des programmes de cheminement particulier qui
permettent aux étudiants d’enrichir les compétences en santé déjà acquises dans
une profession de la santé et de les appliquer à une autre carrière en santé
plus avancée. Par exemple, les étudiants formés comme aides à domicile peuvent
faire fond sur leur formation pour s’inscrire au programme de sciences infirmières. Le Comité a aussi été voir le programme de naissance de
Rankin Inlet offert par le Centre de bien-être Kivalliq, qui dispense des soins
axés sur la famille aux femmes enceintes de la communauté. Le programme de
naissance est une initiative d’Inuites de la communauté souhaitant aider les
femmes à accoucher selon les pratiques de naissance traditionnelles. Au Centre
de bien-être, des sages-femmes fournissent des soins pré et post-nataux
complets ainsi que des services de counselling aux femmes ayant une grossesse à
faible risque. L’accouchement a lieu ensuite au Centre de santé Kivalliq avec l’aide des sages-femmes. Les services étant assurés par deux sages-femmes
agréées permanentes, une sage-femme agréée occasionnelle et un travailleur de
protection de la maternité, le Comité a été heureux d’apprendre que le
programme s’emploie à incorporer les coutumes traditionnelles aux pratiques d’accouchement,
dont la participation des pères et de sages-femmes non agréées traditionnelles.
Grâce à sa mission d’enquête, le Comité a pu mieux
connaître les défis particuliers des RHS que doivent relever les populations du
nord du Canada en ce qui concerne le recrutement et le maintien de personnel et
la prestation des soins de santé. Le Comité a aussi appris que bon nombre des
problèmes de santé dans le Nord, notamment les taux croissants de diabète, d’obésité
et d’infections transmissibles sexuellement (ITS) sont liés aux déterminants
généraux de la santé comme la pauvreté, l’accès à des aliments sains, la perte
d’identité et les questions culturelles. Ces observations donnent à penser qu’il
faudra adopter une vaste approche pour régler les problèmes des RHS dans le
Nord, notamment insister sur la présence de professionnels de la santé qui
utilisent des méthodes préventives et qui favorisent la santé mentale et le
bien-être global, en plus de viser d’autres déterminants de la santé comme la
pauvreté. Le Comité a appris qu’il faut comprendre que les défis en santé ne
sont pas du tout les mêmes pour les populations du nord que pour les Premières
nations vivant dans le sud et que pour les autres Canadiens. Cela s’explique en
partie par la géographie qui entrave l’accès aux aliments sains à faible coût,
ce qui entraîne des troubles de santé comme le diabète, les problèmes dentaires
et l’obésité, en plus de nuire à l’accès aux soins et au traitement pour les
populations qui vivent dans des régions éloignées. Le Comité recommande par
conséquent :
Recommandation 26 :
Que Santé Canada, Affaires indiennes et du Nord
canadien et l’Agence de la santé publique du Canada aient recours aux
professionnels de la santé et aux agents de programmes compétents en sécurité
alimentaire et en loisirs dans le cadre de leurs programmes au Nunavut.
Recommandation 27 :
Que le gouvernement du Canada envisage de
poursuivre le financement de l’Initiative de viabilité du système de santé des
territoires et du Fonds de transport pour raison médicale au-delà de 2012.
Recommandation 28 :
Que le gouvernement du Canada, dans ses décisions
de financement, continue de tenir compte des différences entre les difficultés des
Inuits vivant dans le Nord et celles des populations des Premières nations au
sud.
Recommandation 29 :
Au cours de sa mission d’étude au Nunavut, le
Comité a entendu parler des difficultés que vivent les Inuits au Nunavut
lorsqu’ils essaient d’obtenir des places dans les facultés de médecine des
provinces; il souhaite donc porter la question à l’attention de l’Association
des facultés de médecine du Canada et lui demander son avis à ce sujet.