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NDDN Rapport du Comité

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LES PROBLÈMES FONDAMENTAUX

Le Comité a examiné attentivement tous les témoignages et mis le doigt sur trois problèmes fondamentaux qui semblent à l’origine de la plupart les difficultés que connaît actuellement le régime de soins de santé des Forces canadiennes, sinon la plupart. Le premier problème est l’absence d’une attitude positive, dynamique et bien définie face au diagnostic et au traitement des TSO. Le deuxième problème est l’écart qui existe entre la politique énoncée en haut lieu et la pratique au niveau de la clinique ou de l’unité. Enfin, le troisième problème observé par le Comité, qui nécessitera une intervention pangouvernementale, est la pénurie chronique de professionnels de la santé pour répondre aux besoins des membres des Forces canadiennes et de leurs familles.

ATTITUDE

Le Comité a constaté dans les témoignages qu’il a entendus que les maladies mentales sont encore mal perçues en général au sein des Forces canadiennes, et bien qu’il ait surtout été question des soldats souffrant du SSPT, on s’est rendu compte, tout bien réfléchi, que le même phénomène existe aussi bien au-delà du cadre des Forces canadiennes, chez certains membres de la population canadienne.

Selon l’Association canadienne pour la santé mentale, la maladie mentale est commune. Les statistiques révèlent qu’un Canadien sur cinq éprouvera un problème de santé mentale à un moment donné au cours de sa vie. La maladie mentale fait peur à bien des gens et, malheureusement, elle suscite encore bien des préjugés négatifs, comme si elle était en quelque sorte déshonorante. C’est à cause de ces préjugés négatifs que beaucoup de gens hésitent à consulter pour un problème de santé mentale, par crainte de s’exposer au mépris. Ce sentiment est malheureux, car la plupart des maladies mentales peuvent être efficacement traitées. Pire encore, les préventions dont sont l’objet les personnes atteintes d’une maladie mentale sont peut-être encore plus destructrices que la maladie elle-même[33].

Les mythes abondent sur la maladie mentale. Dans le milieu pugnace et compétitif où évoluent les militaires, la maladie mentale est parfois vue comme un signe de faiblesse. En vérité, il ne s’agit aucunement d’un défaut de caractère. C’est une maladie, et elle n’a rien à voir avec une faiblesse ou un manque de volonté. Bien que les personnes atteintes d’une maladie mentale jouent un rôle important dans leur propre rétablissement, elles n’ont pas choisi de tomber malade et ne doivent pas être jugées paresseuses parce qu’elles ne peuvent pas simplement « se secouer ».

Conscient du fait que les hommes et les femmes sont aussi vulnérables les uns que les autres à la maladie mentale, le Comité note le nombre grandissant de recherches effectuées sur les problèmes de maladie mentale chez les hommes qui semblent présenter un intérêt particulier pour la culture militaire au Canada[34]. Les idées reçues à propos de la virilité poussent les hommes à se désintéresser des questions de santé. La société occidentale a une opinion très arrêtée sur la valeur des hommes et ce facteur influence grandement leur santé mentale. Michael Myers, psychiatre et professeur clinicien au Département de psychiatrie de l'Université de la Colombie-Britannique, explique : « La maladie mentale chez les hommes peut être camouflée. Nous savons depuis des décennies que les femmes savent davantage reconnaître les signes avant-coureurs d'une maladie et n'hésitent pas à consulter leur médecin. Cela ne signifie pas qu'elles sont en meilleure santé, mais plutôt que certains hommes ont tendance à ignorer leurs symptômes[35]. »

À la lumière des témoignages entendus, il est clair que les dirigeants des Forces canadiennes travaillent fort pour susciter une attitude appropriée à l’égard de la santé mentale, mais peut-être pas assez ni à des niveaux suffisamment élevés[36]. Comme on le verra plus tard, ces efforts ne semblent pas avoir beaucoup porté fruit dans les rangs inférieurs[37]. Les Forces canadiennes ont donné l’exemple dans le passé en respectant l’égalité des sexes, en éliminant les pratiques discriminatoires et en se dotant d’un cadre éthique amélioré. Le Comité croit qu’elles pourront encore montrer à la société canadienne la voie à suivre pour ce qui a trait aux attitudes à adopter à l’endroit de la santé mentale.

Un comportement opportun procède d’une attitude appropriée. Si on considère une blessure psychologique au même titre qu’une blessure physique, on la soignera comme on soignerait une blessure physique, avec à peu près le même sentiment d’urgence. Quand il y a blessure, il n’y a pas de temps à perdre. Afin de donner l’exemple à tous les Canadiens, le Comité suggère que les hauts dirigeants de la Défense nationale et des Forces canadiennes fassent une déclaration publique d’envergure pour exposer et enraciner dans la culture militaire canadienne une conception claire, moderne et éclairée des questions de santé mentale, à laquelle devront scrupuleusement adhérer les militaires de tous grades. Faite dans les formes, cette déclaration servira de modèle à des initiatives semblables dans d’autres secteurs de la société canadienne.

RECOMMANDATION 1

Le ministre de la Défense nationale et le chef d’état-major de la Défense devraient faire ensemble une annonce publique, s’adressant à tous les membres des Forces canadiennes, afin de décrire les efforts importants qui sont faits pour offrir une conception claire, moderne et éclairée des questions de santé mentale au sein des Forces canadiennes. Les chefs de commandement, de formation et d’unité devraient faire des déclarations complémentaires à leur personnel pour insister sur la nécessité d’imposer cette conception à l’échelle locale.

L’ÉCART ENTRE LA POLITIQUE ÉTABLIE ET LA PRATIQUE

L’extrait suivant d’un témoignage entendu lors d’une réunion du Comité résume bien le deuxième problème auquel nous avons affaire :

Ces témoignages à huis clos, très troublants, portaient sur les services en santé mentale et l'absence de diagnostics rapides ou de traitements auxquels les membres des Forces armées canadiennes et leurs familles estimaient pouvoir s'attendre à titre de droits fondamentaux […]

En même temps, nous avons entendu des hauts gradés des Forces armées qui ont clairement à cœur d'essayer de traiter les troubles de santé mentale adéquatement et efficacement […] Mais il semble y avoir cet écart entre ce que nous entendons des échelons supérieurs de l'armée canadienne et ce que nous disent les soldats, qui ne sont pas tous revenus d'Afghanistan. Certains ont été en Bosnie à l'époque de notre mission là-bas.

La question que j'aimerais vous poser porte sur cet écart entre les perceptions et les témoignages que nous avons entendus des soldats et de leurs familles, qui estimaient ne pas avoir obtenu une attention opportune à l'égard de leurs troubles de santé mentale, et les rapports et témoignages reçus de personnes à des échelons supérieurs de l'armée quant à leur désir de s'assurer qu'ils auront droit à cette attention.

Dawn Black, députée

17 juin 2008[38]

Pour chaque officier supérieur ou haut fonctionnaire qui a fait état d’initiatives destinées à améliorer l’état de santé des militaires en général, et le dépistage et le traitement des troubles de santé mentale en particulier, au moins un officier ou fonctionnaire de grade intermédiaire a dit que le système ne fonctionne pas. L’expression « passe entre les mailles du filet » revenait si souvent qu’on ne s’étonnait plus de l’entendre. L’écart apparent entre la politique établie et la pratique est un problème qui est demeuré aussi vif malgré les initiatives mises en œuvre par le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes.

Le Comité reconnaît que, selon les récents sondages effectués sur la satisfaction des patients au sein des Forces canadiennes, la très grande majorité des militaires et leurs familles sont d’avis que les services de santé offerts par les Forces canadiennes répondent à leurs besoins.

Les soins et les traitements sont normalement satisfaisants. Mais il y a un certain nombre d’insatisfaits qu’on ne peut ignorer et il faudra redoubler d’efforts, aux niveaux inférieurs, pour éviter que l’on donne des soins inappropriés.

De plus, d’après les témoignages que le Comité a entendus, le personnel médical des Forces canadiennes est surchargé de tâches administratives et consacre près de 40 p. 100 de son temps à l’administration et à l’application des politiques. S’il est vrai que l’on peut s’attendre dans un organisme relativement petit à une plus grande lourdeur administrative, il reste que le personnel médical des Forces canadiennes devrait se consacrer à sa fonction principale : dispenser des soins de première ligne aux patients.

On reviendra plus loin sur la question, mais les principaux problèmes, d’après ce que le Comité a entendu, semblent se situer au niveau des cliniques de première ligne, qui manquent de ressources et dont les gestionnaires de soins sont débordés de travail. Avant d’aller plus loin, le Comité se permet de recommander la tenue d’une vérification indépendante afin de déterminer l’étendue de l’écart entre la politique établie et la pratique et le problème de la lourdeur administrative, et les mesures à prendre pour supprimer ces problèmes.

RECOMMANDATION 2

Le ministère de la Défense nationale devrait faire faire une vérification indépendante des pratiques de gestion des soins fournis aux militaires afin de déterminer l’étendue de l’écart entre la politique que les Forces canadiennes ont énoncée et les pratiques observées dans le traitement et les soins offerts couramment aux blessés des Forces canadiennes. Cela fait, les mesures nécessaires devront être prises, dans toute la chaîne de commandement, pour éliminer cet écart et améliorer les soins aux patients.

RECOMMANDATION 3

Le ministère de la Défense nationale devrait faire faire une seconde vérification, par une organisation indépendante, pour déterminer si le fardeau administratif qui pèse sur les professionnels de la santé des Forces canadiennes nuit à l’efficacité de la prestation des soins.

PÉNURIE DE PROFESSIONNELS DE LA SANTÉ

On continue de manquer de professionnels de la santé au Canada. En janvier 2008, l’Association médicale canadienne (AMC) annonçait le début d’une vaste campagne de sensibilisation de la population à la pénurie grandissante de médecins. Selon cet organisme, près de 5 millions de Canadiens sont privés de médecin de famille et un autre 5 millions pourraient se retrouver dans la même situation d’ici 2018. Le Canada a besoin de 26 000 médecins de plus pour atteindre le ratio moyen de médecins par habitant des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques)[39].

Il y a ici deux points importants à retenir. Premièrement, lorsque des membres des Forces canadiennes sont aiguillés vers des professionnels de la santé civils, ils se trouvent à rivaliser avec la population civile pour avoir accès à des ressources limitées. Le temps d’attente pour des traitements peut être plus long à certains endroits, notamment dans des régions rurales ou isolées, où l’on manque cruellement de personnel médical résident. Deuxièmement, les Forces canadiennes recrutent leurs professionnels de la santé au même endroit que les autres fournisseurs de soins de santé. Comme tout autre employeur, elles doivent disputer aux provinces et aux établissements de santé reconnus les talents des diplômés en médecine. Malgré les primes intéressantes offertes à la signature, les salaires compétitifs et un style de vie « particulier », ce ne sont pas tous les médecins et les infirmières qui aspirent à une carrière chez les militaires.

Le Comité a pris connaissance d’une étude intitulée Étude sur le recrutement et le maintien de l’effectif de médecins employés du gouvernement fédéral, publiée en 2007 par le PFSS. On y fait observer que la pression occasionnée par la demande grandissante de services de santé au Canada, combinée à une baisse du nombre de professionnels dans ce domaine, a eu des répercussions tant sur le secteur privé que sur le gouvernement, et ce, à tous les niveaux. La pénurie de médecins atteint des proportions alarmantes, car « selon les projections, on ne comptera plus en 2021 que 1,4 médecin par 1 000 habitants[40] ». Ajoutons à cela que le nombre de médecins canadiens qui prendront leur retraite augmentera de plus en plus rapidement au cours des 10 à 15 prochaines années, ce qui accentuera encore davantage la pénurie de médecins.

Vu la situation, le PFSS pense que le gouvernement fédéral doit impérativement corriger son incapacité à recruter et à maintenir à son emploi suffisamment de personnel médical qualifié. Au cours de son étude, il a cerné plusieurs défis communs et dégagé quatre grands thèmes :

a)    Rémunération — La hausse des salaires au gouvernement fédéral n’a pas suivi le mouvement par rapport aux provinces et au secteur privé;

b)    Besoins opérationnels urgents — L’effet négatif de la sous-traitance des services, le besoin grandissant de spécialistes et de médecins expérimentés, le roulement élevé des médecins et la difficulté de gérer les lourdes charges de travail, en partie à cause du manque de soutien administratif;

c)    Besoins administratifs urgents — Les problèmes concernant la classification des postes et les taux de rémunération, le processus de dotation onéreux et inflexible en ce qui a trait au groupe des médecins et les contraintes budgétaires de plus en plus grandes;

d)    Besoins urgents au chapitre de la qualité — Le manque de possibilités d’avancement professionnel, le champ d’activités limité et les conflits entre la culture ministérielle et la culture médicale.

Il faut avant tout reconnaître qu’il n’y a pas que les Forces canadiennes qui souffrent de la pénurie de professionnels de la santé et qu’on ne peut remédier au problème simplement en injectant plus d’argent pour recruter un plus grand nombre de ces professionnels. Le problème existe tant au niveau fédéral qu’un niveau provincial, et les initiatives ministérielles isolées ne sont pas la solution. Une approche concertée s’impose pour mobiliser, déployer et maintenir en poste un nombre suffisant de professionnels de la santé afin de pouvoir répondre aux besoins grandissants des blessés parmi les Forces canadiennes et de leurs familles.

RECOMMANDATION 4

Il est recommandé que le gouvernement reconnaisse que, malgré une pénurie de professionnels de la santé au Canada, les Forces canadiennes ont l’obligation de fournir adéquatement les services médicaux nécessaires à leurs membres, notamment à ceux qui reviennent de mission et ont besoin de soins et de services de longue durée.

Les Forces canadiennes doivent bien sûr traiter les blessures physiques des soldats, mais elles doivent offrir aussi, à ceux qui souffrent de TSO, les services de santé mentale et les services connexes dont ils ont besoin. Par services connexes, on entend, mais pas seulement, le counselling en matière de toxicomanie, les consultations conjugales et familiales, l’ergothérapie et la ludothérapie.

Comme les Forces canadiennes ne peuvent, à elles seules, mettre en œuvre des solutions efficaces, elles devront, pour offrir un traitement adéquat et complet des TSO, compter sur la coopération et l’appui des autres ministères. Cependant, quelles que soient les difficultés, les Forces canadiennes doivent, avec l’aide des partenaires gouvernementaux appropriés, faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mobiliser, déployer et conserver suffisamment de professionnels de la santé et de professionnels connexes pour répondre aux besoins des membres des Forces canadiennes et de leurs familles.

RECOMMANDATION 5

Il est recommandé que le gouvernement mette sur pied, dans les 12 mois suivant la présentation du présent rapport, un conseil national de surveillance des ressources en santé, sous la direction de Santé Canada et composé de représentants des Forces canadiennes, de la Gendarmerie royale du Canada, d’autres ministères et organismes fédéraux pertinents, ainsi que d’autres paliers de gouvernement et intervenants intéressés, qui se réunirait régulièrement, au moins deux fois par an, pour examiner la distribution des ressources en santé au Canada et les besoins de divers groupes clients, tels que les Forces canadiennes et les familles de militaires, et pour relever les lacunes et réfléchir aux moyens d’y remédier.

RECOMMANDATION 6

Il est recommandé que Santé Canada, avec l’aide du ministère de la Défense nationale et du ministère des Anciens Combattants, procède à une vérification détaillée des services de santé offerts aux Forces canadiennes au Canada et partout dans le monde, afin de déterminer la nature et l’étendue des lacunes. Au Canada, cela pourrait être fait en collaboration avec les autorités provinciales, territoriales et municipales compétentes. Le Comité recommande qu’on porte une attention particulière aux grandes bases situées en région rurale, qui risquent le plus de manquer de ressources au niveau de l’infrastructure sanitaire. À l’étranger, cette vérification serait réalisée en collaboration avec les autorités des pays où les Forces canadiennes maintiennent des effectifs.

RECOMMANDATION 7

Les Forces canadiennes devraient multiplier les incitatifs au recrutement de professionnels de la santé. On pense par exemple à des allégements de dette des étudiants, des bourses, des primes, le paiement des droits de scolarité, l’achat de places dans les écoles de médecine des universités, à condition d’obtenir des garanties des provinces que l’argent ainsi dépensé servira à former des étudiants en santé mentale destinés aux Forces canadiennes.


[33]   Voir le site Web de l’Association canadienne pour la santé mentale à l’adresse suivante : http://www.cmha.ca/bins/content_page.asp?cid=3&lang=2.

[34]    Ibid.

[35]   Cité dans le site Web de l’Association canadienne pour la santé mentale, à l’adresse suivante : http://www.cmha.ca/bins/content_page.asp?cid=3&lang=2.

[36]   Il n’est aucunement fait mention des soins de santé dans les priorités du chef d’état-major de la Défense exposées dans le site Web de ce dernier. L’expression « santé mentale » apparaît une seule fois dans la cinquantaine de pages expliquant la Stratégie en matière de ressources humaines militaires 2020 (MDN, Stratégie en matière des ressources humaines militaires 2020, Ottawa, QGDN/SMA (RH-MIL), 2002, http://www.cmp-cpm.forces.gc.ca/pd/hrs-smr/doc/hrs-smr-2020-fra.pdf ).

[37]   Voir le site Web des Services de santé mentale des FC à l’adresse suivante : http://www.forces.gc.ca/health-sante/ps/mh-sm/default-fra.asp.

[38]   Comité permanent de la défense nationale, Témoignages, réunion no 33, 17 juin 2008.

[39]   Voir le site Web de l’AMC à l’adresse suivante : http://www.cma.ca/index.cfm/ci_id/55125/la_id/1.htm.

[40]   Forum médical canadien, Groupe de travail sur les effectifs des médecins au Canada, novembre 1999, http://www.physicianhr.ca/reports/PhysicianSupplyInCanada-Final1999.pdf.