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PACP Rapport du Comité

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ÉTHIQUE

La GRC a su gagner la confiance des Canadiens et est reconnue dans le monde entier comme un service de police modèle parce qu’elle s’est dotée de normes élevées en matière de comportement éthique. Toutefois, comme on a pu le constater dans ce dossier, ces normes ont été bafouées à répétition, et il s’est développé dans l’organisation une culture où on récompense les fautifs et on punit ceux qui les dénoncent. La GRC a peut-être un conseiller en éthique, mais cette personne ne jouit pas de l’indépendance ni de l’autorité nécessaires pour obliger les hauts dirigeants à respecter les normes élevées fixées par leur employeur.

Culture éthique

Le leadership est une chose indispensable dans toute organisation. Les chefs de file donnent l’exemple et montrent le modèle de comportement à suivre. La professeure Linda Duxbury, une spécialiste en matière de culture de l’organisation, a parlé de l’importance du leadership lorsqu’on veut établir ou changer la culture d’une organisation :

[L]e leadership est effectivement important, particulièrement en matière de changement culturel, parce que le leader illustre la culture par son propre comportement. Le leader a aussi accès aux ressources et aux leviers nécessaires à ce type de changement, comme la modification du cadre de responsabilité, des structures de récompense, etc.1

Malheureusement, le style de leadership pratiqué par le commissaire Zaccardelli n’était pas propice à la création d’une culture éthique saine à la GRC. David Brown a décrit le commissaire Zaccardelli comme une personne au style de leadership autocratique qui donnait l’impression qu’il pouvait être mauvais pour sa carrière de lui déplaire. C’était lui le patron et tous les autres devaient lui emboîter le pas. Il a d’ailleurs été très clair sur ce point devant le Comité : « Une fois que j’ai pris une décision, tout le monde doit s’y conformer. C’est ce que je crois. » 2

On ne doit pas s’étonner, donc, que le commissaire Zaccardelli n’ait rien fait à la suite des allégations de harcèlement et d’abus de pouvoir soulevées en 2002 par le s.é.-m. Ron Lewis à l’endroit de Jim Ewanovich. Comme l’a si bien expliqué David Brown : « Les problèmes créés par le style de gestion du comm. Zaccardelli ont été exacerbés par le fait que celui-ci ne s’opposait pas à des styles de gestion semblables chez d’autres membres de son équipe de gestion3. »

Une culture de l’impunité, assortie d’une attitude de méfiance, s’est vite installée à la GRC. Cela est attribuable, en partie, à d’autres hauts dirigeants de la GRC, comme MM. Ewanovich et Crupi, qui ont laissé s’établir une culture de travail empoisonnée par l’intimidation. Les membres et les employés ont compris que mieux valait ne pas provoquer de remous pour éviter d’être puni. Le s.é.-m. Lewis a décrit la situation en ces termes : « Plusieurs cadres de direction ont créé une culture telle qu’il était devenu très dangereux pour les employés de dénoncer des actes répréhensibles. C’était très risqué pour leur carrière et leur situation financière4. » Comme il est expliqué dans la partie concernant la divulgation d’actes répréhensibles, des sanctions exemplaires étaient prises contre ceux et celles qui osaient exprimer leur réprobation.

Le Comité a été très déçu des actes de plusieurs hauts dirigeants de la GRC qui soit ont adopté un comportement contraire à l’éthique, soit ont toléré un tel comportement. Aussi, le Comité recommande-t-il :

Recommandation 29

Que la Chambre des communes dénonce le comportement de tous les hauts dirigeants de la Gendarmerie royale du Canada qui en ont miné la crédibilité par leur négligence, leur partialité ou leur malhonnêteté, nommément : Dominic Crupi, Jim Ewanovich, Paul Gauvin et Barbara George.

Il est essentiel de se doter d’une culture éthique de bon aloi puisque les contrôles internes ont leurs limites. Lorsque des gestionnaires supérieurs se sont mis dans la tête d’enfreindre les règles, il n’y a pas grand-chose que l’on puisse faire pour les en empêcher. Le vérificateur général adjoint Hugh McRoberts a résumé ainsi le problème :

Toutefois, lorsqu’il s’agit de questions de dérogation par la direction, cela ne relève plus des contrôles mais de l’éthique et des valeurs […] La question ici est que l’on peut contrôler un certain nombre de choses mais que si l’éthique et les valeurs de la haute direction ne sont pas à la hauteur pour qu’ils puissent eux-mêmes s’interdire de déroger à ces contrôles, quel que soit le nombre de serrures que l’on mette sur le coffre-fort, ils finiront par y entrer5.

En outre, si la culture de l’organisation avait été différente, on aurait peut-être pu mettre au jour les pratiques répréhensibles et y remédier plus tôt. David Brown a écrit à ce sujet : « [L]a chaîne d’événements qui a donné lieu à la rédaction du présent rapport aurait pu être brisée à divers moments si la culture avait appuyé les personnes qui avaient déposé des plaintes en matière d’inconduite. »6

De l’avis du comm. adj. John Spice, ancien conseiller en éthique, une forme de corruption à petite échelle, où les gestionnaires trouvent acceptable de se soustraire aux règles afin d’atteindre certains buts, serait à l’origine des problèmes d’éthique à la GRC. Voici un extrait de son témoignage :

Le comportement anti-déontologique de certaines personnes a engendré cette situation, à mon avis, à cause du phénomène de la corruption d’une noble cause. La corruption d’une noble cause est simplement la croyance que la fin justifie les moyens. Lorsque les employés voient que les auteurs d’actes contraires à l’éthique n’ont pas de comptes à rendre, ou qu’ils sont témoins d’actes anti-déontologiques non sanctionnés, ils commencent parfois à imiter ces comportements7.

On voulait impartir l’administration du régime de retraite le plus vite possible, même s’il fallait pour cela contourner quelques règles. Mais on ne s’est pas contenté de contourner les règles; on a fini par les déformer à force d’agir avec népotisme et de multiplier les irrégularités en matière de passation de contrats. Il aurait fallu rappeler aux gestionnaires qu’il est important de faire attention aux moyens employés, qu’un manquement à l’éthique en attire un autre, et un autre encore, et que c’est ainsi que se développe lentement un comportement criminel.

La négligence des dirigeants de la GRC, qui n’ont pas su établir une culture éthique convenable et régler les problèmes dès le début, a eu des répercussions catastrophiques pour l’organisation. En plus de voir sa réputation gravement ternie, la GRC semble maintenant secouée par une crise de confiance à l’endroit de la haute direction qui affecte ses membres réguliers. Le sergent d’état-major Steve Walker, un ancien membre de la section des enquêtes criminelles du Service de police d’Ottawa, décrit ainsi son désenchantement :

[J]e peux l’affirmer maintenant, en tant que membre de la Gendarmerie royale du Canada, j’ai été déçu et désillusionné, car les processus criminel et interne n’avaient pas réussi à assurer un certain degré de reddition de comptes. J’ai été dévasté par la décimation et la profanation de toutes les valeurs fondamentales et règles de comportement éthique qui m’étaient chères en tant que membre de la GRC par des employés hauts placés au sein de la GRC8.


La crise de confiance à l’endroit de la haute direction semble avoir pris beaucoup d’ampleur à la GRC. Une vaste enquête menée par la professeure Linda Duxbury au sein de l’organisation a révélé que les membres réguliers de la GRC étaient déçus par le comportement de leurs gestionnaires :

Ce qui les exaspérait, c’est le style de gestion descendante, les gestionnaires qui sont peu soucieux du bien-être de leurs employés, qui ne leur font pas confiance ou qui ne les respectent pas, l’inaptitude des gestionnaires à communiquer efficacement avec le personnel, les programmes motivés par des intérêts politiques, les gestionnaires qui sont perçus comme des carriéristes gouvernés par leurs objectifs personnels et les gestionnaires qui ne joignaient pas le geste à la parole9.

Cette situation ne peut pas durer. La GRC doit vite ranimer une culture éthique chancelante et se doter à nouveau de valeurs éthiques solides afin de redorer son blason et de regagner la confiance de ses membres réguliers. Le sergent d’état-major Mike Frizzell dit avoir espoir en l’avenir :

Je crois cependant que la population sera compréhensive et qu’elle pardonnera tant qu’elle saura que nous faisons de notre mieux pour éviter de commettre ces erreurs, en tirer des leçons et faire en sorte qu’elles ne se reproduisent plus jamais. Notre éthique et notre intégrité doivent être irréprochables10.

Conseiller en éthique

Il y a à la GRC un officier supérieur, le conseiller en éthique, qui veille à promouvoir l’observation de normes de comportement éthique et à inculquer de saines valeurs morales à tous les membres de la GRC. La titulaire actuelle de ce poste, la commissaire adjointe Sandra Conlin, a décrit ainsi son mandat et ses priorités :

Le Bureau du conseiller à l’éthique de la GRC a pour mandat de s’assurer que la mission, la vision et la valeur de la GRC font partie intégrante des activités quotidiennes de tous les employés […] Depuis ma nomination à titre de conseillère en matière d’éthique il y a cinq mois, l’une de mes priorités a été de renforcer la capacité du Bureau du conseiller à l’éthique afin d’offrir des politiques et des programmes qui favorisent un climat de responsabilisation significative, de contrôle, de valeurs et d’éthique […] Une autre priorité du Bureau du conseiller à l’éthique a été d’étudier et de comprendre comment l’éthique et les questions de conformité s’intègrent à l’orientation stratégique globale de la GRC11.


La comm. adj. Conlin a aussi indiqué que son bureau veille à ce que les membres reçoivent une formation appropriée en matière d’éthique :

Notre mandat prévoit également un volet d’éducation en matière d’éthique. Nous travaillons en très étroite collaboration avec la division de l’apprentissage et du perfectionnement des RH de la GRC pour que les cours de perfectionnement des superviseurs, des gestionnaires et des officiers comportent un volet éthique. Nous avons un volet éthique de deux jours12.

Le conseiller en éthique joue évidemment un rôle important dans l’implantation d’une culture éthique au sein de la GRC, mais il ne jouit pas de suffisamment de pouvoir et d’indépendance pour obliger la haute direction à respecter cette culture.

Comme il est mentionné dans la partie traitant de la divulgation d’actes répréhensibles, le conseiller en éthique est aussi l’officier supérieur à qui sont divulgués les actes répréhensibles. Plusieurs membres se sont adressés au conseiller en éthique de l’époque, le comm. adj. Spice, pour lui faire part de leurs inquiétudes concernant l’administration du régime de retraite. Ce dernier n’avait cependant pas le pouvoir d’agir et de forcer des gens à rendre des comptes, tel qu’il l’a lui-même expliqué : « [J]e n’étais pas en mesure d’exiger des comptes. J’étais là pour signaler les actes répréhensibles. Et lorsque je le faisais, les fautifs auraient dû avoir à rendre des comptes. »13

N’étant, après tout, qu’un simple conseiller du commissaire et de l’état-major supérieur de la GRC, le conseiller en éthique, pour exercer une certaine autorité, doit compter en grande partie sur l’appui de la haute direction, qui n’est pas toujours là. L’ancien conseiller, le comm. adj. Spice, a appris un jour de la bouche du commissaire Zaccardelli qu’il était trop actif, au dire de certains officiers supérieurs de la GRC. Il a rapporté cette bribe de conversation :

C’est arrivé à un point où le commissaire m’a pris à part un jour et m’a dit: « John, certains des commandants et sous-commissaires pensent que tu en fais trop, ils ne comprennent réellement pas ce rôle d’agent supérieur responsable des actes répréhensibles en milieu de travail14. »

Le comm. adj, Spice a aussi indiqué au Comité qu’il était mal vu de s’adresser au conseiller en éthique :


Vous devez comprendre ma position en tant que conseiller à l’éthique. Mon bureau était à l’étage principal du bâtiment central et je pouvais voir les gens faire les cent pas devant chez moi jusqu’à ce qu’il n’y ait personne en vue dans le couloir avant de se glisser dans mon bureau. Il n’était pas bien vu de se rendre chez le conseiller à l’éthique15.

L’actuelle conseillère en éthique, la comm. adj. Conlin, a souligné qu’elle était fermement convaincue d’avoir l’appui du commissaire William Elliott et de la haute direction. Elle a aussi insisté sur le fait qu’elle n’est pas là pour protéger la GRC, mais pour s’assurer que celle-ci affiche un comportement éthique et agisse correctement. Cependant, dans une organisation paramilitaire où il faut suivre les ordres, comme la GRC, la présence du conseiller en éthique dans la chaîne de commandement risque d’entraîner des conflits. David Brown s’en est pris, dans ces termes, à la structure du Bureau du conseiller en éthique : « Le conseiller en matière d’éthique n’avait aucun rôle bien établi et disposait de ressources très limitées pour assurer cette fonction ou une présence régionale16. » Il n’y a qu’à la Direction générale qu’il pouvait être mal vu de consulter le conseiller en éthique, puisque les membres travaillant en région n’avaient pas de conseiller semblable à qui s’adresser.

Le comm. adj. Spice a expliqué au Comité que la GRC aurait besoin d’une personne plus indépendante chargée des questions d’éthique. Selon lui : « Le Bureau du commissaire en matière d’éthique est fondamental pour l’organisme, mais je pense qu’il faudrait nommer un ombudsman […] Il doit y avoir un mécanisme externe pour surveiller ces décisions et veiller à ce que tout soit fait comme il faut17. » L’une des raisons principales pour se doter d’un tel mécanisme serait d’exercer une surveillance en ce qui concerne les plaintes déposées contre les gestionnaires supérieurs. D’après le comm. adj. Spice, « la GRC a besoin d’un mécanisme de surveillance pour ce qui est des plaintes visant les gestionnaires supérieurs, du niveau EX jusqu’à celui de commissaire. Il faudrait un ombudsman propre à la GRC pour assurer un certain niveau de reddition de comptes18. » Le sergent d’état-major Ron Lewis a fourni ces explications pour justifier la nécessité d’un tel mécanisme de surveillance :

[L]es cadres de direction de la GRC ont la délégation de pouvoirs, aux termes de la Loi sur la GRC, leur permettant de mener des enquêtes internes et de prendre des mesures disciplinaires. Ils déterminent s’il y a lieu de lancer une enquête, décident qui mène l’enquête, qui doit être accusé, quelles mesures disciplinaires doivent être prises et, enfin, ils s’occupent du processus d’appel. Tout est fait à l’interne. Par conséquent, quand des allégations d’actes répréhensibles sont lancées à l’encontre de cadres de direction, ceux-ci sont en conflit d’intérêts. Le potentiel ou même la perception de camouflage sont tout à fait réels19.

Vu les conflits qui ont éclaté, la réticence à mener des enquêtes opportunes et l’absence de mesures disciplinaires découlant de l’affaire qui nous occupe, le Comité convient de la nécessité d’une surveillance marquée par une plus grande indépendance. Le commissaire actuel, William Elliott, a semblé réceptif à l’idée : « Je pense qu’il faudrait envisager de nommer un ombudsman investi de pouvoirs plus définis que ceux de la conseillère en matière d’éthique en ce moment20. » La présence d’un conseiller en éthique indépendant forcerait la haute direction à exiger des comptes et à en rendre elle-même. Cette personne veillerait à ce que la haute direction établisse et entretienne une culture éthique appropriée à la GRC. Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 30

Que le gouvernement du Canada modifie la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada de manière à conférer au conseiller en éthique de la GRC le pouvoir indépendant de faire enquête en vue de déterminer si les allégations de manquements à l’éthique ou d’actes criminels visant des employés de la GRC ont fait l’objet d’une enquête en bonne et due forme. Le conseiller en éthique devrait publier un rapport annuel et avoir le pouvoir d’entreprendre des enquêtes en vertu du code de déontologie et de recommander que d’autres services de police mènent une enquête criminelle s’il y a lieu.



[1]Réunion 72, 10 h 55.

[2]Réunion 49, 18 h 25.

[3]Rapport Brown, paragraphe 7.3.1.

[4]Réunion 46, 15 h 30.

[5]Réunion 41, 15 h 55.

[6]Rapport Brown, paragraphe 7.5.3.

[7]Réunion 57, 17 h 15.

[8]Réunion 46, 15 h 50.

[9]Réunion 72, 9 h 15.

[10]Réunion 46, 15 h 55.

[11]Réunion 71, 9 h 10.

[12]Ibid, 9 h 35.

[13]Réunion 57, 17 h 50.

[14]Ibid.

[15]Ibid.

[16]Rapport Brown, paragraphe 7.4.1.

[17]Réunion 71, 9 h 55.

[18]Réunion 57, 18 h 15.

[19]Réunion 46, 15 h 30.

[20]Réunion 72, 10 h 30.