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Je vous remercie de nous donner cette occasion de témoigner devant le comité. Notre principal objectif est de vous décrire le problème du déclin de la zostère marine le long de la côte est de la baie James et de ses impacts sur notre collectivité; ce faisant nous vous donnerons aussi quelques brèves explications qui vous permettront de situer ce problème dans son contexte.
Nous représentons environ le tiers de la première nation crie résidant sur les côtes est de la baie James et de la baie d'Hudson. C'est dans notre région de la baie James que l'on retrouve les plus importantes zostéraies.
Selon différents points de vue, dont celui de la santé publique et des facteurs nutritionnels de même que de notre désir de protéger notre culture et nos traditions, nous estimons que les écosystèmes côtiers joueront un rôle de premier plan dans la survie de nos collectivités et de notre peuple. C'est d'ailleurs l'un des principaux motifs qui nous ont amenés à venir témoigner devant vous aujourd'hui.
Au cours des 30 dernières années, le débit d'eau douce de Chisasibi, soit la « Great River » en anglais ou « rivière La Grande » en français, a doublé en raison des détournements nécessaires au développement hydroélectrique. Ce débit augmentera encore de près de 20 p. 100 lorsque le détournement de la Rivière Rupert sera complété d'ici trois ans. Une grande partie de cet apport d'eau douce se produit en hiver, alors que se forment les lentilles d'eau douce, de quelques mètres d'épaisseur, sous la glace côtière.
Quand vous pensez à tous ces facteurs, il s'agit là d'un détournement majeur, l'un des plus importants en Amérique du Nord. Nous croyons que ce projet est loin d'avoir reçu l'attention qu'il mérite.
Selon nous, il y a de bonnes raisons de s'inquiéter de la survie à long terme de notre chasse à la sauvagine et de nos pêches côtières en raison des impacts qu'un changement de cette envergure aura sur le débit des rivières, tout particulièrement en hiver. En hiver, la gestion des débits d'eau par le projet hydroélectrique pourrait avoir pour effet de multiplier le débit par un facteur de plus ou moins 10 — ce qui aura à coup sûr une incidence sur l'habitat des poissons et sur l'écosystème côtier en général.
On trouve sur la côte est de la baie James de vastes prairies: des prairies marines. Les zostéraies, comme on les appelle, poussent en milieu marin, à des profondeurs d'un à deux mètres. La zostère, qu'on appelle parfois mousse de mer, n'est pas une plante nuisible, mais plutôt un élément essentiel du milieu marin. Cette plante fleurit, est pollinisée et se reproduit dans l'eau de mer. Elle a besoin pour croître d'eau salée et d'autres facteurs qui influent sur le taux de pénétration de la lumière dans l'eau de mer.
Ces zostéraies constituent une composante essentielle de l'écosystème côtier. Elles servent d'aires d'alevinage et d'alimentation aux poissons côtiers (grand corégone, cisco et truite), aux mollusques et aux crustacés, et elles sont broutées par les bernaches cravants, les bernaches du Canada et les canards.
Nous croyons que les zostéraies présentent des caractéristiques suffisamment distinctives dans cette région pour que le Canada envisage de les protéger dans le cadre de ses engagements internationaux concernant la protection de la biodiversité. Ces zostéraies ont subi un déclin majeur depuis que les eaux ont été détournées pour le complexe hydroélectrique La Grande et que les centrales électriques concentrent le débit de la rivière en hiver.
Les membres de notre communauté ont pu observer un net déclin du nombre de sauvagines le long de la côte ces dernières années, et une baisse correspondante du taux de succès de la chasse. Ils s'inquiètent également du sort des stocks de poissons fréquentant la côte en raison des variations du débit et de la perte des zostéraies et de l'habitat qu'elles fournissent aux poissons.
Nous avons travaillé avec un spécialiste de l'Université du New Hampshire, M. Frederick Short, pour tenter de comprendre ce qui se passe. Avec son aide, nous avons mené nos propres études environnementales.
Hydro-Québec a aussi réalisé des études, mais elle ne croit pas que les déclins sont attribuables au projet hydroélectrique. Toutefois, lorsqu'on prévoyait apporter des changements au projet en 1980, on avait envisagé les effets possibles sur les zostéraies dans les documents qui ont été remis au gouvernement du Québec, et à l'époque, on avait prédit un dépérissement.
Hydro-Québec estime toutefois qu'une maladie attribuable à un parasite nommé labyrinthula zosterae, vous me pardonnerez mon latin, affecte les zostéraies. Nous nous sommes donc penchés sur cette question et, avec l'aide de M. Short, nous sommes arrivés à la conclusion que cette maladie n'était pas responsable du déclin de la zostère. Nous croyons plutôt que les changements observés dans les zostéraies s'expliquent très bien par la faible salinité qui a été observée et qui résulte du détournement des rivières et des régimes de gestion du débit pendant les périodes de croissance active de la zostère marine. Nous comprenons aussi que d'autres facteurs sont en cause, comme la turbidité résultant de l'érosion et des glissements de terrain qui sont survenus le long de la rivière La Grande après l'aménagement des centrales.
Nous avons toutefois été gêné parce que nous n'avons pas pu obtenir d'Hydro-Québec les variations des débits mensuels d'une année à l'autre, des données dont nous avons besoin pour étudier cette question plus à fond. D'après ce que nous comprenons, le seul moyen d'atténuer les effets de cet afflux d'eau douce serait de réévaluer et de modifier la distribution saisonnière des débits.
Puisque nous croyons que le gouvernement fédéral est directement responsable de ces questions, nous sommes heureux d'avoir l'occasion de vous faire part de nos préoccupations. Nous fournirons au comité des cartes et des photographies qui illustrent la répartition des zostéraies et qui expliquent pourquoi nous sommes si préoccupés.
Nous souhaitons donc que le comité considère qu'il est nécessaire que le gouvernement fédéral adopte une toute nouvelle perspective quant aux impacts du développement sur la baie James et la baie d'Hudson. En faisant cette déclaration, nous ne faisons que reprendre une recommandation formulée par une commission fédérale qui, en 2006, a étudié le détournement de la Rivière Rupert vers la rivière La Grande et Chisasibi.
Nous joignons au texte de ce mémoire une recommandation qui traite directement de cette question de la participation du gouvernement fédéral, de même que de la nécessité de déployer des efforts concertés pour combler les lacunes dans les connaissances scientifiques sur la région des baies James et d'Hudson en cette ère de grands changements environnementaux — notamment de changements climatiques.
Plusieurs questions connexes se posent ici. L'environnement côtier et extracôtier de Chisasibi est maintenant régi par l'Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik, qui a récemment reçu la sanction royale à la suite de l'adoption du . Cet Accord contient une entente sur le chevauchement des territoires conclue entre les Cris et les Inuits, qui comprend une grande partie de la zone où il y a déclin des zostéraies.
Nous constatons que les collectivités des premières nations et des Inuits vivant autour des baies James et d'Hudson tentent de se servir de l'Année polaire internationale pour stimuler le développement des moyens locaux de surveillance des changements environnementaux dans cette région.
Il est important que Pêches et Océans Canada et Environnement Canada comprennent bien pourquoi les gens entreprennent de telles initiatives. Nous aimerions que le gouvernement fédéral examine de beaucoup plus près les effets des changements environnementaux dans la région des baies James et d'Hudson, y compris les effets du développement hydroélectrique.
Nous avons constaté que le gouvernement fédéral a pratiquement cessé de participer aux recherches sur les poissons et la sauvagine (y compris sur les zostéraies, lorsque la Convention de la baie James et du Nord québécois a été signée en 1975. Ce n'était certainement pas ce à quoi nous nous attendions ou ce que nous souhaitions quand la Convention a été ratifiée. Cette situation est la cause de graves lacunes dans nos connaissances sur de nombreux aspects des baies James et d'Hudson.
La collectivité de Chisasibi ne se juge certainement pas responsable de cette situation, mais elle est intéressée à participer aux activités de surveillance visant à mieux comprendre ces changements environnementaux et, lorsque c'est possible, à la prise de mesures correctives. Toutefois, les choses ne pourront bouger que si Pêches et Océans Canada et Environnement Canada font tous deux preuve d'une détermination beaucoup plus grande d'investir dans les recherches pertinentes dans la région de la baie James et de la baie d'Hudson.
Nous invitons le comité à recommander à ces deux ministères de prendre des mesures relativement aux problèmes soulevés dans ce mémoire, et en particulier à la recommandation 34 du rapport de la Commission d'examen du projet Eastmain-1-A et dérivation Rupert. Nous suggérons aussi au comité de rappeler à ces deux ministères l'importance de la mise en place d'un régime de gestion de la faune tel que prévu par l'article 24 de la Convention de la baie James et du Nord québécois, et notamment du principe des niveaux d'exploitation garantis.
Merci beaucoup.
Tout d'abord, avant de répondre à votre question, j'aimerais passer en revue les antécédents de la question.
Il y a une chose que l'on semble oublier. La rivière dont nous parlons, celle dont nous parlons du débit pendant l'hiver — comme maintenant —, avait un débit très faible, dans ce sens que l'eau s'écoulait à peine. Depuis la dérivation des rivières et la construction des barrages, la rivière coule à un débit constant devant notre communauté. Cela perturbe le lit du cours d'eau et l'eau saumâtre qui se dirige vers la baie James.
Avant ce projet, il y avait beaucoup de sauvagines à l'automne et même au printemps. Même si elles ne se nourrissaient pas de la zostère au printemps, elles se nourrissaient d'autres choses, des herbes poussant le long du rivage. J'ai noté que depuis ce projet, au fil des ans, les mammifères marins qui se trouvent dans le lit du cours d'eau ne sont plus aussi nombreux; le problème ne touche pas uniquement la zostère; toutes les autres espèces sont affectées. Il y avait des moules dans la région, mais il n'y en a plus maintenant. Nous ne voyons plus que quelques vieilles coquilles poussées sur le rivage par les vagues. D'autres espèces, d'autres formes de matières qui poussaient sur le lit de ce cours d'eau salée, disparaissent également. Certaines ont complètement disparues. On voit même à l'occasion des poches d'air qui sont recouvertes de vase. Avant, elles étaient transparentes, mais maintenant elles sont recouvertes à cause de la perturbation du débit d'eau.
Nous avions toutes sortes d'autres oiseaux migrateurs. Il suffit de mentionner la bernache cravant et la bernache du Canada. Ces espèces étaient très abondantes. En fait, de toute la côte, c'est dans notre région que l'on trouvait le plus grand nombre de sauvagines. En fait, on les trouvait jusqu'à Eastmain et Wemindji où les bernaches se rendaient pour se nourrir avant leur migration vers le sud. Elles se rendaient jusqu'au cap vers le nord. Il s'agit d'aires d'alimentation où les bernaches venaient en très grand nombre se nourrir à l'époque.
Pour moi, sans même faire d'analyse, j'ai remarqué que ce qui cause cela, c'est le fait que la rivière coule en permanence. Comme je vous l'ai dit, à l'heure actuelle, la rivière coule tout le temps, jadis, la vitesse de l'eau diminuait un peu vers le milieu de l'hiver. Il n'y avait pratiquement plus d'écoulement. Cela ne perturbait donc pas le lit de la rivière, alors que maintenant, le courant est constant, le lit est perturbé, ce qui remue beaucoup de boue, laquelle est rejetée en mer et, selon toute vraisemblance, étouffe toutes les petites créatures qui y vivaient. Le long du rivage de la baie James, il n'y a pratiquement plus d'organismes vivants et c'est plus ou moins la même chose, je crois, dans la baie d'Hudson. Mais ici, c'est surtout la baie James qui nous préoccupe et, dans une moindre mesure, la baie d'Hudson.
C'est cela qui a disparu aujourd'hui, et la sauvagine ne vient plus fréquenter les rives. C'est tout à fait vrai, c'est ce que nous avons pu constater jusqu'à présent.
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J'aurais une ou deux questions à poser, et si quelqu'un d'autres en a aussi, il pourra les poser lui aussi.
Je ne mets nullement en doute le fait que la zone littorale a changé et que les herbiers dépérissent. Par contre, je ne sais trop ce qu'on pourrait faire. Il y a un groupe qui travaille avec les gens d'Hydro-Québec; il est évidement qu'Hydro-Québec ne va pas arrêter ses centrales qui sont en activité depuis un certain temps déjà. Le débit d'eau douce augmente, la turbidité de l'eau également, les eaux sont boueuses, et ces eaux se déversent dans la baie. Pour moi, il est tout à fait clair que les oies et les bernaches vont se nourrir ailleurs si elles ne trouvent plus rien à manger là-bas.
Par contre, je ne sais pas, à part peut-être le fait de travailler avec Hydro-Québec, s'il serait possible de changer quoi que ce soit pour réduire le débit de la rivière en hiver, parce que je n'ai aucune raison de mettre en doute ce que vous dites. La température de l'eau va changer, le débit d'eau douce est plus important et les herbiers dépérissent. Y aurait-il une façon de mitiger cela? Probablement pas.
Je ne veux pas vous donner l'impression d'être pessimiste, mais en deux mots c'est cela qui se passe.
Qu'attendez-vous donc de nous ici?
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Je pense qu'il faut commencer par préciser qu'il s'agit d'un très gros complexe hydroélectrique qui a été créé en détournant plusieurs cours d'eau. Le processus qui a conduit à l'entrée en service s'est déroulé entre 1979 et 1984. Pendant la première phase du projet, le débit a graduellement augmenté, cela ne s'est pas fait par à-coup, à mesure que les réservoirs se remplissaient et que de nouveaux cours d'eau venaient s'y jeter. Mais il a fallu attendre en réalité 1985 pour commencer à constater les effets complets du détournement de ces cours d'eau, et il a donc fallu plusieurs années avant que cela se manifeste.
Par après, Hydro-Québec a lancé les phases deux et trois du projet de La Grande. Les études effectuées par Hydro-Québec n'avaient pas porté sur le premier détournement, mais plutôt sur les effets de l'augmentation du débit attribuable aux autres centrales ainsi qu'au détournement de la Rivière Rupert. Hydro-Québec a toujours estimé que l'obligation qui lui était imposée d'étudier ce phénomène se limitait à la nécessité d'étudier les effets supplémentaires de l'augmentation du débit plutôt que les conséquences fondamentales du détournement proprement dit des cours d'eau. Et cet état de choses a eu pour effet de limiter considérablement la portée des études qui ont été effectuées jusqu'à présent.
Je voudrais également faire valoir un autre élément en cause: lors de la conception du projet de La Grande, la politique imposée à Hydro-Québec prévoyait qu'on allait construire des centrales hydroélectriques pour répondre aux besoins en électricité de la province. Les débits dont vous a parlé le chef Pachano étaient ceux qu'on pouvait associer à la demande provinciale. Mais depuis une dizaine d'années, Hydro-Québec est vraiment devenu un des tenants du système d'alimentation électrique du Nord-Est de l'Amérique du Nord, de sorte que la configuration des débits est actuellement très différente de ce qu'elle était au moment de la planification initiale du projet. L'effet d'ensemble que cela a eu a produit une série de pointes qui sont beaucoup plus difficiles à prévoir parce que ces pointes sont associées aux fluctuations du marché de la demande et à la courbe de consommation d'énergie aux États-Unis pendant l'été, lorsqu'il s'agit d'alimenter les climatiseurs. Hydro-Québec insiste dorénavant davantage sur la production estivale que sur la production hivernale.
Toutes ces modifications, Hydro-Québec les considère comme des informations privilégiées et il est donc, en partie pour cette raison-là, difficile d'obtenir des données sur les débits.
Les courbes de débit saisonnières et à plus court terme ont également des répercussions environnementales. L'un des problèmes qui se posent lorsqu'on essaie de comprendre l'écologie de la baie James, c'est qu'il faut d'abord bien comprendre l'adéquation entre les variations de l'environnement le long du littoral et les variations de débit dans les turbines qui correspondent aux besoins en énergie. C'est donc quelque chose qui fluctue et qui n'est pas du tout constant du point de vue chronologique.
Peut-être cela pourra-t-il vous éclairer.
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Non. Cette maladie est due à un microorganisme qui fait partie de l'environnement naturel. Lorsque ces microorganismes sont trop abondants, les herbiers des zostères dépérissent. S'ils ne sont pas trop abondants, ils font partie intégrante du système naturel et les herbiers ne sont pas affectés.
En procédant donc par élimination, pour ces trois facteurs-là, nous avons pu conclure que la cause n'était pas là. À notre avis, c'est soit une question de salinité — la quantité d'eau douce qu'on trouve à cet endroit-là — ou une question de turbidité, parce que tous les organismes vivants ont besoin de lumière pour vivre, et l'eau n'est pas vraiment aussi claire qu'elle l'était jadis, comme vous l'a dit l'ancien chef. L'essentiel de cela, et c'est notre opinion, est dû aux glissements de terrain le long de la rivière, glissements qui font que la rivière charrie de la terre, surtout en hiver. Je pense que c'est le plus marqué à ce moment-là, parce que jadis, cela ne se produisait pas. Mais maintenant, c'est un phénomène que nous pouvons constater. En amont de chez nous, on peut voir des arbres et des buissons qui ont été entraînés par les glissements de terrain qui sont pris dans la glace, de sorte que cela augmente la turbidité de l'eau.
Quelle est donc la combinaison? C'est cela que nous nous demandons. Nous ne le savons pas encore et nous aimerions que quelqu'un nous aide à découvrir ce dont il s'agit. Peut-être n'est-ce pas la faute d'Hydro-Québec. Peut-être est-ce... Je l'ignore. Mais une fois que nous aurons découvert le pourquoi, à ce moment-là nous aimerions pouvoir demander, vous savez, s'il n'y aurait pas moyen de régénérer les herbiers.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais d'abord vous signaler que M. Reed est un scientifique émérite qui a travaillé à Environnement Canada, et c'est un spécialiste des populations de bernaches du nord du Québec et d'ailleurs en Amérique du Nord ainsi que sur leur rapport avec les zostères.
M. Reed m'a fourni une bonne partie des renseignements techniques que je présenterai dans mes commentaires liminaires; il sera en mesure de répondre aux questions techniques portant sur la sauvagine et leur liens avec les zostères.
Je résumerai les renseignements fournis par Environnement Canada sur la zostère dans la partie est de la baie James et son importance comme source d'alimentation de la sauvagine. En fait, ce que je vous dirai reprend dans une large mesure ce que les représentants de la nation crie vous ont déjà dit.
La zostère marine est une plante aquatique que l'on retrouve dans des herbiers importants dans des eaux peu profondes relativement chaudes et abritées le long de la côte de la baie James, tout particulièrement là où on trouve des sédiments fins, des marées peu prononcées et une salinité moyenne ou élevée. Ces zostèraies, comme on vous l'a déjà dit, jouent un rôle très important dans l'écosystème côtier de la baie. Elles assurent un abri pour plusieurs espèces de petits poissons et d'invertébrés, une source d'alimentation pour nombres d'animaux, et d'après nous, elles représentent une source d'alimentation importante pour les canards, les bernaches du Canada et tout particulièrement la bernache cravant.
Steve Curtis, un biologiste qui travaille au Service canadien de la faune à Environnement Canada a été un des premiers intervenants à étudier les zostèraies fort productives le long de la baie James au début des années 70. En fait, l'importance pour l'écosystème des zostères avait été identifiée avant même que le développement hydro-électrique n'ait lieu sur les cours d'eau qui viennent se déverser dans la baie. Plus tard, Hydro-Québec a assumé la responsabilité d'études quantitatives sur l'abondance des zostères dans la baie James et s'est servie de six stations permanentes qui se trouvaient à proximité de l'embouchure de La Grande pour ses relevés. Ces études ont été effectuées à l'origine en 1988 puis ont été répétées pratiquement tous les ans jusqu'à 1995. Ces études ont donc commencé après la construction des premiers barrages sur La Grande. Elles ont démontré que ces zostèraies côtières étaient parmi les plus productives d'Amérique du Nord.
Les études entreprises par Hydro-Québec ont été répétées en 1999 et en 2000. On a alors décelé une diminution dramatique de la superficie des zostères. Depuis, un relevé surtout qualitatif plutôt que quantitatif, ce qui était le cas dans le relevé précédent, a été effectué soit en 2004. On a alors constaté que la présence des zostères était encore assez faible.
Les causes du dépérissement des zostères à notre avis dans la baie James sont difficiles à cerner et mal saisies. En plus d'être vulnérables au changement des niveaux d'eau, de la température de l'eau ainsi que de la salinité, et de la perturbation des sédiments par les activités de l'être humain, les zostères sont sensibles à cette maladie qu'a mentionnée un peu plus tôt le chef Pachano, causée par la moisissure visqueuse appelée labyrinthula. Comme les intervenants du secteur le savent, il y a eu des flambées de ce parasite qui ont entraîné un dépérissement marqué des zostères dans d'autres régions. En fait, cette maladie a entraîné la destruction de près de 90 p. 100 des zostères sur la côte atlantique d'Amérique du Nord et d'Europe pendant les années 1930. Cependant, à notre connaissance, aucun lien n'a été établi entre cette moisissure visqueuse et le dépérissement des zostères de la baie James.
Environnement Canada a collaboré à la publication des caractéristiques des zostéraies et de l'utilisation de la zostères par la sauvagine en 1990 et en 1991. M. Reed a d'ailleurs été un des auteurs de ces rapports.
À notre connaissance il n'existe pas de renseignements quantitatifs plus récents qui découleraient d'études effectuées sur les zostères, mais il se pourrait fort bien que les documents aient été publiés dont nous ne soyons pas au courant, surtout si les études portaient sur des zones situées plus au sud que la région décrite par les représentants cris ce matin.
Je dois vous signaler qu'Environnement Canada s'intéresse à la question dans la mesure où la sauvagine se sert comme source d'alimentation de la zostère. La baie James représente une escale très importante pour les canards et les oies en migration en Amérique du Nord. Elles y font escale pendant plusieurs semaines pendant leur migration du printemps lorsque ces oiseaux reviennent de leur zone d'hivernage au sud et se rendent vers des aires de reproduction plus au nord; elles y font à nouveau escale lorsqu'ils redescendent vers le sud à l'automne. Lorsque ces oiseaux sont dans la région de la baie James, ils se nourrissent dans une large mesure dans ces habitats riches le long du littoral pour se refaire des forces pour pouvoir poursuivre leur voyage jusqu'à la prochaine escale.
Les zostères sont une source de nourriture importante pour plusieurs espèces de sauvagines, en particulier la bernache cravant. Il s'agit de petites oies qui fréquentent les eaux marines. Elles se reproduisent dans les zones côtières de faible élévation à Fox Basin qui est dans la région arctique centrale du Canada puis passent l'hiver le long du littoral en Nouvelle-Angleterre, principalement du Massachusetts à la Caroline du Nord. Leur route migratoire les amène à survoler le Canada faisant escale à divers endroits le long de la côte de la baie James au Québec et en Ontario, au printemps et à l'automne, à l'occasion pendant une période pouvant durer un mois. Pendant leur migration et leur période d'hivernage, la bernache cravant dépend énormément comme source d'alimentation de la zostère quoi qu'elle mange d'autres plantes que l'on retrouve dans les prés salés lorsque qu'elles sont dans leurs aires de reproduction dans l'Arctique.
Les travaux de recherche entrepris par le Service canadien de la faune d'Environnement Canada en collaboration avec Hydro-Québec et les membres de la communauté crie, c'était pour l'essentiel au début des années 90, ont établi que les bernaches de la baie James se nourrissaient presqu'exclusivement des herbiers de zostères, et qu'elles mangeaient presqu'exclusivement les feuilles de ces plantes. Les outardes et les canards — vous en avez déjà parlé — se nourrissent également de zostères, mais pas exclusivement dans ces secteurs. Et plusieurs espèces de canards mangent également de nombreux petits organismes dont l'écosystème des herbiers est l'hôte. Encore une fois, ces observations ont été publiées dans des rapports qui peuvent être consultés et qui ont été co-signés par le professeur Reed.
Il n'y a pas un nombre suffisant d'études récentes pour pouvoir déterminer si le nombre de spécimens de sauvagines qui transitent par la baie James a diminué dans l'ensemble. Par contre, on dispose d'une information suffisante pour pouvoir affirmer qu'un grand nombre d'espèces de sauvagines continuent à fréquenter la baie pendant la migration; des études récentes conduites par Environnement Canada et ses partenaires américains montrent que toute la population de bernaches cravants transitent par la baie James — même s'il semblerait qu'un pourcentage plus élevé de ces animaux s'arrêtent, pendant leur migration, sur le littoral ouest de la baie James, en Ontario, plutôt que sur le littoral est, qui est précisément le secteur qui intéresse les représentants cris comme ceux-ci l'ont dit pendant la session précédente.
Pour conclure, je voudrais vous parler du rôle qu'Environnement Canada peut jouer pour permettre de mieux comprendre la situation. En vertu de la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, c'est Environnement Canada qui assume la responsabilité de la protection des oiseaux migrateurs, et notamment des espèces de sauvagines. Pour l'essentiel de ses travaux de recherche et de ses activités de surveillance, Environnement Canada travaille en partenariat avec d'autres organismes et il est rare que le Ministère travaille isolément. Nous sommes conscients de l'importance qu'il y a de travailler en partenariat. Il s'agit en effet de recueillir et d'interpréter des informations sur l'écologie et d'y donner suite. Environnement Canada procède ainsi pour essayer de comprendre l'interaction entre la sauvagine et les herbiers de zostères ainsi que les changements plus importants subis par l'écosystème côtier de la baie James.
Même si c'est nous qui assurons ainsi la conservation des oiseaux migrateurs, y compris les espèces de sauvagines, la protection de la plus grande partie des habitats fauniques est du ressort des provinces. Nos amis du ministère des Pêches et Océans vont à leur tour vous parler de leur rôle dans le droit fil de mon propre exposé. Ce que cela met en exergue pour notre Ministère, c'est la nécessité d'une coopération dans la recherche, la surveillance et la gestion de tous les éléments des systèmes côtiers de la baie.
Pour conclure, je voudrais signaler les partenariats qui existent entre mon ministère, Environnement Canada, et la communauté crie, Hydro-Québec, le gouvernement du Québec, Pêches et Océans Canada et plusieurs cabinets privés de consultation qui, agissant de concert, ont ainsi permis de mieux comprendre l'écosystème de la baie James, et en particulier les herbiers de zostères et les espèces de sauvagines.
Je vous remercie, monsieur le président.
La problématique des zostères est complexe et implique plusieurs groupes, dont Environnement Canada, le ministère des Pêches et des Océans, la communauté, l'industrie et la province. La province de Québec a une responsabilité. À l'heure actuelle, il y a très peu d'information scientifique sur les zostères dans cette région, dans le contexte des pêches et des impacts sur les poissons et l'habitat du poisson.
Le MPO n'a pas de programme de recherche sur les zostères de la baie James. Nous évaluons diverses options pour mieux comprendre la problématique, incluant une étude des connaissances sur les zostères et le programme de monitorage d'Hydro-Québec.
Lizon Provencher m'accompagne. Elle représente le secteur des sciences et peut répondre aux questions scientifiques. Je représente le Programme de gestion de l'habitat du poisson du ministère des Pêches et des Océans. Nous sommes responsables de l'administration des articles de la Loi sur les pêches qui régissent les impacts des activités humaines sur l'habitat du poisson et les poissons.
De plus, nous sommes responsables de l'administration et de l'application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale avant les prises de décision au sujet de la Loi sur les pêches. Nous avons participé à la Commission fédérale d'évaluation environnementale du projet Eastmain-1-A et dérivation Rupert. Je pense que vous avez tous les réponses que nous avons fournies aux recommandations du panel sur le projet Eastmain-1-A et dérivation Rupert. C'était notre ministère.
Des représentants de la région n'ont pas pu participer à cette réunion, mais s'il y a des questions auxquelles je ne peux pas répondre au cours de cette réunion, je m'occuperai d'obtenir les réponses.
Merci.
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Tout le monde comprend le français. À Mont-Joli, on doit comprendre le français. Les gens du nord-est du Nouveau-Brunswick le comprennent aussi. Monsieur Reed, vous parlez français aussi. Pour ceux qui en doutaient, il est rassurant de voir que deux ministères peuvent se côtoyer aussi facilement et assidûment, et j'en suis heureux. La population crie doit l'être aussi.
J'apprécie votre expertise et votre formation. Des gens ont vécu dans ce milieu toute leur vie. Ils fraternisent beaucoup avec les Indiens revendicateurs de la côte est et ceux de la côte ouest. Ils s'entendent assez bien. Sur la côte ouest de la baie James, il n'y a pas de zostères, apparemment. Il n'y aurait que du sable et de la boue. Les zostères existaient principalement, selon eux, sur la côte est de la baie James.
Vous êtes bien placés pour savoir que le poisson qu'ils peuvent manger tous les jours, le corégone, se tient près de ces lits de zostères. Le nombre d'oies de différentes espèces diminue, tout comme le corégone. Il y a aussi les changements climatiques qui entrent en ligne de compte. Je suis allé les rencontrer pour la première fois le 23 juin 2004 et j'ai dû mettre un manteau d'hiver. Ils ont ri de moi. J'y suis retourné en mai 2006, mais je portais un simple manteau d'été et j'étais très bien. Si je ne me trompe pas, la glace était déjà décollée de la rive, le 20 mai 2006.
Vous avez les moyens scientifiques pour faire des études, et c'est ce qu'ils recherchent. Ils veulent en savoir davantage pour pouvoir proposer des solutions et ramener la nature dans l'état où elle était avant le développement de la Baie-James.
Au nombre des recommandations qui ont été faites sur les études d'impact du développement de la Baie-James, y en a-t-il qui n'ont pas été retenues par Hydro-Québec pour développer le projet? Sinon, pouvez-vous proposer des mesures qui diminueraient, par exemple, la force de l'eau qui entre dans la baie et qui peut déranger le fond et faire mourir les zostères et, en même temps, faire disparaître la luminosité qui permet aux zostères de se développer?
Avez-vous fait des recommandations? Serait-il possible que les deux ministères fassent des recommandations à Hydro-Québec à cet égard?