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PACP Rapport du Comité

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LA GOUVERNANCE DANS LA FONCTION PUBLIQUE
DU CANADA : OBLIGATION MINISTÉRIELLE DE RENDRE
DES COMPTES

LA DOCTRINE DE LA RESPONSABILITÉ MINISTÉRIELLE

  1. Ministres
  2. Lorsqu’il a comparu devant le Comité, le 3 mai 2004, le greffier du Conseil privé, M. Alex Himelfarb, a expliqué les principes régissant la doctrine de la responsabilité ministérielle énoncés dans les guides du Bureau du Conseil privé [3]. Selon cette doctrine, les ministres sont globalement responsables, devant le premier ministre et devant la Chambre des communes, et au nom des personnes qui relèvent d’eux, de l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées au moment de leur nomination, y compris des pouvoirs et des fonctions que le Parlement leur attribue par voie législative. Cette doctrine constitue donc un point central de l’obligation démocratique de rendre des comptes.

    Dans le vaste cadre de la responsabilité ministérielle existe un domaine de responsabilité personnelle plus limité relatif aux décisions et aux actes du ministre en tant que personne (y compris aux décisions de ne pas agir). La confiance que le premier ministre et la Chambre placent en un ministre repose essentiellement sur l’exercice de ces responsabilités personnelles, définies comme suit dans la publication Gouverner de façon responsable :

    Les ministres sont individuellement responsables, envers le Parlement et envers le Premier ministre, de leurs propres actes et de ceux de leur ministère, y compris les actes de tous les fonctionnaires qui relèvent d’eux, qu’ils en aient une connaissance préalable ou non. En pratique, cela signifie qu’en cas d’erreurs ou de fautes commises par des fonctionnaires de leur portefeuille, il incombe aux ministres de prendre rapidement les mesures nécessaires pour y remédier et de donner au Parlement l’assurance que les mesures correctives suffiront à éviter que la situation ne se répète.

    Hors du cadre de la responsabilité personnelle et de celui de l’obligation de rendre des comptes, existe le domaine de ce que l’on appelle généralement l’« obligation de s’expliquer », à savoir qu’il incombe au ministre de fournir des renseignements et des explications au premier ministre et au Parlement sur des questions qui relèvent de sa compétence mais dont il n’est pas personnellement responsable (c. à d. qui ne reflètent pas ses décisions ou ses actes). On peut citer comme exemples les organismes, conseils et commissions indépendants qui font partie du portefeuille de responsabilités du ministre, mais qui sont organisés de sorte que les pouvoirs, en matière de politique d’orientation et de gestion générale, soient placés directement entre les mains de conseils d’administration ou d’autres organismes, plutôt qu’entre celles du ministre.

  3. Sous-ministres
  4. La doctrine de la responsabilité ministérielle a des incidences sur les responsabilités incombant aux sous-ministres ainsi qu’à d’autres fonctionnaires. Traditionnellement, les sous-ministres étaient des cadres supérieurs permanents et anonymes qui servaient le ministre en place en lui donnant des conseils et en suivant les orientations que celui-ci leur donnait conformément à son pouvoir global de gestion et de direction du ministère. L’administration gouvernementale ayant élargi son champ d’activité et pris de l’expansion, les sous-ministres en sont venus à exercer de plus en plus de pouvoirs officiellement conférés aux ministres, soit par délégation, soit en vertu d’une loi qui énonce des responsabilités et des pouvoirs bien définis.

    De par la loi, les sous-ministres relèvent des ministres, mais l’étendue des pouvoirs de gestion délégués dont ils disposent dans les faits est définie au paragraphe 24(2) de la Loi d’interprétation, qui prévoit que (sous réserve de certaines exceptions) le sous ministre peut remplir des fonctions administratives, législatives ou judiciaires que le ministre doit ou peut exercer. En ce qui concerne la gestion financière, la Loi sur la gestion des finances publiques confère aux sous-ministres de vastes responsabilités à l’égard des fonds et des biens publics (voir plus bas).

  5. Conséquences
  6. Lors de son premier témoignage, le Pr Franks a attiré l’attention du Comité sur les quatre conséquences que l’on pouvait tirer de la doctrine de la responsabilité ministérielle, telle que précédemment définie, et qui jettent un éclairage révélateur sur les observations faites, au sujet de leur rôle, par les ministres et les sous-ministres qui ont comparu devant le Comité dans le cadre des audiences consacrées au Programme des commandites.

    La première de ces conséquences est que seul le ministre actuellement en place exerce les responsabilités rattachées à son poste et a l’obligation de rendre des comptes au Parlement sur l’exercice de ces dernières. Les anciens ministres ne sont plus responsables, au sens particulier du mot qu’implique la doctrine de la responsabilité ministérielle, et n’ont donc pas à répondre de leurs actes devant le Parlement, bien qu’ils puissent témoigner devant un comité à titre de citoyen. Les ministres actuels n’ont pas non plus à répondre devant le Parlement des décisions et des actes d’anciens ministres, mais ils conservent l’obligation de s’expliquer (c. à d. de fournir des renseignements et des explications) à leur égard. Par conséquent, personne ne peut, après qu’un ministre a quitté son portefeuille, être tenu responsable par le Parlement de ce qui a été fait pendant le mandat de ce ministre.

    Dans notre système parlementaire, il est impossible de contraindre les ministres à rendre des comptes. Lorsqu’il est incapable de faire rendre des comptes à la personne qui occupait le poste de ministre au moment où de mauvaises décisions ont été prises et où des gestes répréhensibles ont été posés, le Parlement n’a d’autre choix, pour obtenir la reddition de comptes, que de retirer son soutien — sa confiance — au gouvernement dont faisait partie le ministre sortant. L’exercice de ce pouvoir ne serait sensé que dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, où il ne serait utilisé que de façon sélective, permettant aux personnes directement ou indirectement responsables de transgressions mineures, mais néanmoins importantes, d’éviter de rendre des comptes. Avec un gouvernement majoritaire — compte tenu de la forte discipline de parti qui règne au Canada — les tentatives de vote de censure seraient inutiles.

    La deuxième conséquence est que les ministres ont, envers le Parlement, une obligation de fournir des explications, mais non une obligation réelle de rendre des comptes, sur les activités des organismes non ministériels et des autres entités indépendantes exerçant des pouvoirs qui leur ont été conférés par la loi. Ce sont les dirigeants de ces organismes qui doivent répondre de l’exercice de ces pouvoirs et qui en sont responsables devant le Parlement par l’intermédiaire du ministre, et non directement devant le ministre.

    La troisième conséquence porte sur la responsabilité des sous-ministres. Selon la doctrine, les sous-ministres sont généralement responsables devant le ministre et devant le premier ministre (qui les nomme). Ils ont également tout un éventail de responsabilités clairement définies envers le Conseil du Trésor, par exemple, au regard des pouvoirs qui leur sont conférés (entre autres) par la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur les langues officielles, ou envers la Commission de la fonction publique dans le cas des sous-ministres qui se voient déléguer des pouvoirs en matière de ressources humaines. Les sous ministres ont, envers le Parlement et envers ses comités, une obligation de s’expliquer (c. à d. qu’ils doivent leur fournir des renseignements et des explications), mais ce sont les ministres qui ont l’obligation politique de rendre des comptes sur la gestion et sur la direction des ministères et, notamment, sur l’exercice des pouvoirs statutaires conférés aux sous-ministres. Il s’agit donc là d’un cas de figure différent de celui de la responsabilité qui est celle des ministres au regard des organismes non ministériels, laquelle est limitée, tout comme est limité le pouvoir que les ministres peuvent exercer sur ces organismes.

    La quatrième conséquence porte sur la responsabilité des ministres au regard des erreurs et des écarts de conduite commis par des fonctionnaires. Les ministres se doivent d’intervenir rapidement pour y remédier et de fournir au Parlement l’assurance que les mesures correctives voulues ont été prises. Ils ont l’obligation de rendre des comptes sur les actes des fonctionnaires si ces derniers traduisent d’une façon générale l’orientation du ministère, tout comme ils ont également l’obligation de rendre des comptes sur les mesures prises, et sur celles qui ne l’ont pas été, pour prévenir des erreurs ou des écarts de conduite raisonnablement prévisibles, mais ils n’ont toutefois pas l’obligation personnelle de rendre des comptes sur les erreurs et sur les écarts de conduite des fonctionnaires.

    Le Pr Franks a résumé comme suit l’effet combiné des quatre conséquences de la doctrine de la responsabilité ministérielle sur lesquelles il avait attiré l’attention du Comité :

    L'interprétation du Bureau du Conseil privé signifie qu'aucun ministre actuel ou ancien ne doit répondre devant le Parlement des problèmes survenus durant le mandat d'un prédécesseur. Responsabilité et reddition des comptes sont liées à la charge et à son titulaire actuel. Les ministres ne sont pas responsables quand des fonctionnaires commettent une faute. Plus important encore dans l'affaire des commandites, les sous-ministres doivent rendre des comptes au gouvernement — c'est-à-dire au ministre, au premier ministre et au Conseil du Trésor, mais pas au Parlement — des fonctions de gestion cruciales qui leur sont confiées en exclusivité par la loi. (43:1115) [*]


* Témoignages 37e législature, 3e session.

[3] Se reporter plus particulièrement à : Canada, Bureau du Conseil privé, Gouverner de façon responsable : le guide du ministre et du ministre d’État, 2003, et à Canada, Bureau du Conseil privé, Guide du sous-ministre, site Web du BCP, non daté.