LANG Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent des langues officielles
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 21 juin 2005
¿ | 0910 |
Le président (M. Pablo Rodriguez (Honoré-Mercier, Lib.)) |
M. Ronald Caza (avocat, Heenan Blaikie s.r.l.) |
¿ | 0915 |
¿ | 0920 |
Le président |
M. Yvon Godin (Acadie—Bathurst, NPD) |
Le président |
M. Guy André (Berthier—Maskinongé, BQ) |
M. Ronald Caza |
¿ | 0925 |
Le président |
M. Yvon Godin |
¿ | 0930 |
M. Ronald Caza |
Le président |
¿ | 0935 |
M. Marc Godbout (Ottawa—Orléans, Lib.) |
M. Ronald Caza |
M. Marc Godbout |
M. Ronald Caza |
¿ | 0940 |
Le président |
M. Guy Lauzon (Stormont—Dundas—South Glengarry, PCC) |
Le président |
M. Guy Lauzon |
M. Ronald Caza |
M. Guy Lauzon |
M. Ronald Caza |
M. Guy Lauzon |
M. Ronald Caza |
M. Guy Lauzon |
M. Ronald Caza |
¿ | 0945 |
M. Guy Lauzon |
M. Ronald Caza |
Le président |
M. Ronald Caza |
Le président |
M. Ronald Caza |
¿ | 0950 |
Le président |
Mme Françoise Boivin (Gatineau, Lib.) |
M. Ronald Caza |
Mme Françoise Boivin |
M. Ronald Caza |
Mme Françoise Boivin |
M. Ronald Caza |
¿ | 0955 |
Mme Françoise Boivin |
Le président |
Mme Françoise Boivin |
Le président |
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les Patriotes, BQ) |
À | 1000 |
M. Ronald Caza |
M. Stéphane Bergeron |
Le président |
M. Stéphane Bergeron |
Le président |
M. Yvon Godin |
M. Stéphane Bergeron |
Le président |
M. Yvon Godin |
À | 1005 |
M. Stéphane Bergeron |
M. Yvon Godin |
M. Ronald Caza |
M. Yvon Godin |
M. Ronald Caza |
M. Yvon Godin |
M. Ronald Caza |
M. Yvon Godin |
M. Ronald Caza |
M. Yvon Godin |
M. Ronald Caza |
M. Yvon Godin |
M. Ronald Caza |
M. Yvon Godin |
M. Ronald Caza |
M. Yvon Godin |
M. Ronald Caza |
M. Yvon Godin |
Le président |
M. Maurice Vellacott (Saskatoon—Wanuskewin, PCC) |
M. Ronald Caza |
À | 1010 |
M. Maurice Vellacott |
M. Ronald Caza |
M. Maurice Vellacott |
M. Ronald Caza |
M. Maurice Vellacott |
Le président |
M. Guy Lauzon |
Le président |
M. Guy André |
À | 1015 |
M. Ronald Caza |
M. Stéphane Bergeron |
À | 1020 |
M. Ronald Caza |
Le président |
L'hon. Raymond Simard (Saint Boniface, Lib.) |
M. Ronald Caza |
À | 1025 |
L'hon. Raymond Simard |
M. Ronald Caza |
L'hon. Raymond Simard |
M. Ronald Caza |
L'hon. Raymond Simard |
Le président |
L'hon. Raymond Simard |
Le président |
M. Stéphane Bergeron |
Le président |
M. Ronald Caza |
Le président |
L'hon. Raymond Simard |
M. Ronald Caza |
Le président |
M. Ronald Caza |
Le président |
M. Ronald Caza |
Le président |
CANADA
Comité permanent des langues officielles |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 21 juin 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¿ (0910)
[Français]
Le président (M. Pablo Rodriguez (Honoré-Mercier, Lib.)): Bonjour à tous. Bienvenue à cette réunion portant sur le projet de loi S-3. Nous allons commencer dès maintenant. D'autres se joindront à nous par la suite.
Je tiens dès le départ à saluer notre témoin, M. Caza. Merci d'avoir accepté l'invitation à venir discuter avec nous de cet important sujet. Encore une fois, bonjour à tous.
Monsieur Caza, vous allez commencer par une courte présentation, je présume. Par la suite, nous poursuivrons avec une période d'échanges et de commentaires avec les membres du comité.
M. Ronald Caza (avocat, Heenan Blaikie s.r.l.): Monsieur le président et chers députés, j'aimerais d'abord vous remercier de m'avoir invité et de me donner l'occasion de vous adresser la parole sur un sujet qui est très important.
Dans ma présentation d'introduction, je voudrais discuter de deux choses. Premièrement, je parlerai de la réalité de vivre comme membre d'une minorité linguistique. Je pense qu'il est important de comprendre quelle est cette réalité pour saisir l'importance de votre projet de loi ou de l'amendement à la loi. Deuxièmement, on verra quelle est la pertinence de l'amendement à la réalité de vivre comme membre d'une minorité linguistique.
Je suis originaire du nord de l'Ontario. Je viens d'un village qui s'appelle Chelmsford, situé près de Sudbury. En fait, Sudbury se trouve dans les banlieues de Chelmsford.
Je ne suis pas un professeur de droit constitutionnel, je suis un avocat qui fait du litige. Je fais du litige dans le domaine du droit constitutionnel, entre autres. Je représente de vraies personnes qui luttent tous les jours pour pouvoir vivre dans leur langue, la langue de la minorité.
J'aimerais prendre quelques instants pour vous expliquer quelle est cette réalité de vivre comme membre d'une minorité linguistique. Ce sont des choses qu'on ne peut pas comprendre à moins d'être membre d'une minorité linguistique. Chaque matin, quand un membre d'une minorité linguistique se lève, il doit décider de façon consciente qu'il va continuer à faire des efforts pour vivre dans la langue de la minorité. En Ontario, chaque matin, un Franco-Ontarien se lève et décide si, ce jour-là, il va continuer à faire des efforts pour vivre en français. L'assimilation n'est pas compliquée: c'est lorsqu'un Franco-Ontarien décide qu'il va cesser de faire l'effort de vivre en français. Ce matin, on se réunit ici, et je peux vous assurer qu'il y a des Franco-Ontariens et des Franco-Ontariennes, quelque part en Ontario, qui ont décidé ce matin qu'ils arrêtaient de faire des efforts pour vivre en français.
L'objectif des droits linguistiques et de ce qu'on tente de réaliser quand on veut protéger les droits des minorités est de faire ce qu'on peut pour que les Franco-Ontariens ne se découragent pas, pour que les minorités linguistiques partout au pays ne se découragent pas et que leurs membres ne décident pas d'arrêter de faire des efforts.
L'amendement que vous proposez est simple. Il dit que le gouvernement fédéral ne peut pas simplement ne pas faire de tort aux communautés minoritaires, mais qu'il doit agir de façon positive pour intervenir afin de s'assurer que les minorités linguistiques ne cessent pas de vivre dans leur langue, pour préserver leur langue et leur culture.
Vivre comme membre d'une minorité exige des efforts constants: c'est une réalité. Vous devez vous rendre compte de cela quand vous regardez l'amendement. C'est un effort constant. Les francophones qui vivent en Ontario, par exemple, doivent continuellement lutter et faire des efforts pour pouvoir vivre en français. C'est une lutte continuelle. La réalité est que plusieurs parties de l'Ontario sont en grande majorité anglophones. Ceux qui vivent maintenant dans la région d'Ottawa le voient peut-être un peu moins, bien que ce soit une réalité. Mais dans d'autres parties de l'Ontario, c'est incroyable.
Ayant représenté différentes petites communautés franco-ontariennes de la province, je veux partager deux choses avec vous. Premièrement, dans tous les coins de la province, il y a des leaders incroyables, des chefs de file qui se battent et qui tentent de mener ce combat contre l'assimilation. C'est un fait. Dans le sud de l'Ontario, ils ont dû défendre des églises et d'autres institutions qui existaient. Il y avait les Tremblay, les Gauvin, les Chauvin et toutes sortes de gens. Dans la région de Welland, ils veulent protéger leurs institutions et leurs services en français. Dans cette région, on a d'autres individus, les Giroux et d'autres familles. Je parle de causes qui sont actuellement devant les tribunaux ou qui l'étaient récemment. À Penetanguishene, on veut des services du gouvernement fédéral de qualité égale à ceux qui sont offerts en anglais. On doit se battre, se rendre à la Cour fédérale et sortir la Loi sur les langues officielles.
Je parle d'une cause qui a été plaidée il y a moins d'un mois et demi. On sort la Loi sur les langues officielles parce qu'à Penetanguishene, c'est une boîte anglophone qui offre les services pour Industrie Canada. Les francophones doivent aller à la boîte anglophone pour obtenir ces services.
¿ (0915)
On sort la Loi sur les langues officielles et on dit que le fédéral a l'obligation de protéger les communautés minoritaires et de les encourager à survivre. Le moins qu'il puisse faire est d'offrir des services de qualité égale aux minorités linguistiques qui se trouvent dans ces parties-là de la province. C'est essentiel pour qu'elles survivent. Et quand on lui cite l'article 41 de la Loi sur les langues officielles, la cour répond qu'elle ne peut rien faire parce qu'il est déclaratoire.
Il est essentiel que les minorités linguistiques partout dans la province et partout au pays puissent se servir de l'article 41, car il est essentiel à leur survie. Il est essentiel que le fédéral intervienne. Si le fédéral ne prend pas de mesures positives, comme il est indiqué dans le projet de loi, les membres des minorités linguistiques doivent être en mesure de se rendre devant les tribunaux pour forcer le gouvernement à respecter son obligation. C'est le seul amendement qui est proposé. On veut s'assurer que la minorité linguistique ait l'outil nécessaire pour obliger le fédéral à prendre les mesures qui s'imposent pour la sauver.
La Cour suprême du Canada a déjà tranché dans plus d'une décision. Elle a affirmé que la survie des minorités linguistiques d'un bout à l'autre du Canada était essentielle à la survie du Canada. Si les minorités linguistiques ne peuvent pas survivre dans les différentes provinces, le Canada tel qu'on le connaît ne pourra pas survivre. La viabilité du Canada dépend de la viabilité des minorités linguistiques, et la minorité linguistique ne peut pas survivre sans l'intervention du gouvernement: c'est une réalité. Elle ne peut pas survivre sans qu'on s'assure que des mesures soient prises pour qu'elle ne se décourage pas, qu'elle ne décide pas un jour, un matin, demain matin, qu'il ne vaut pas la peine de faire des efforts pour continuer à vivre en français en Ontario, en Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick ou à l'Île-du-Prince-Édouard, ou en anglais au Québec. C'est essentiel à la survie du pays.
Parlons maintenant de la décision Montfort. Je représentais l'hôpital Montfort dans cette cause. J'ai eu la chance de voir les transcriptions de vos réunions jusqu'à présent. C'était très intéressant. La décision Montfort n'est pas compliquée. Elle dit qu'un gouvernement n'a pas le droit de prendre des décisions ou de faire des choses qui décourageront les francophones de vivre en français à l'extérieur du Québec. Voilà la décision Montfort, et voilà ce que le sénateur Jean-Robert Gauthier voulait réaliser avec l'amendement à la loi.
On ne peut pas s'assurer que les minorités linguistiques ne vont pas disparaître. Il n'y a personne qui puisse s'assurer de cela. Cependant, on peut s'assurer que le fédéral ait l'obligation de ne pas simplement regarder ce qui va se passer. Il a l'obligation d'intervenir et de prendre des mesures positives pour empêcher qu'un tel scénario ne se réalise.
L'une des choses qui semblent inquiéter certaines personnes qui ont fait des présentations devant le comité est qu'il va y avoir beaucoup de litiges et que cela va peut-être finir devant les tribunaux. Je peux vous dire tout de suite qu'une cause finit devant le tribunal seulement quand un gouvernement, quelque part au Canada, ne respecte pas ses obligations constitutionnelles. Je peux vous dire que dans 99,9 p. 100 des cas, le tribunal est d'accord avec les minorités linguistiques qui se retrouvent devant lui.
Il est donc facile d'éviter de se rendre devant le tribunal. Les gouvernements n'ont qu'à respecter leurs obligations. Cependant, la réalité est que les minorités linguistiques n'existeraient pas aujourd'hui au Canada si elles n'avaient pas des droits qu'elles peuvent faire valoir et si elles n'avaient pas pu se rendre devant le tribunal pour forcer les gouvernements à respecter ces droits. Il est essentiel qu'elles puissent se rendre devant le tribunal pour forcer le gouvernement à respecter leurs droits. Si vous n'avez pas de recours, vous n'avez pas de droit. Un droit sans recours est une déclaration qui ne veut rien dire.
¿ (0920)
L'article 41 existe déjà, et vous n'êtes pas ici pour décider s'il devrait être ajouté à la Loi sur les langues officielles. Votre rôle est de décider s'il faut voir à ce que les plus affectés, c'est-à-dire les minorités linguistiques, soient en mesure de forcer le gouvernement à respecter cette obligation et de l'amener en cour s'il omet de le faire.
En fin de compte, le sort d'une minorité veut qu'elle doive toujours se battre pour survivre. Vous ne pouvez rien y faire. Pour ma part, je ne suis pas ici pour changer cette situation. Par contre, pour se battre et survivre, il faut des armes et des outils. Plus on en a, plus on a de chances de pouvoir se battre et survivre.
Le projet de loi S-3 sans amendement vise à donner aux communautés linguistiques canadiennes un outil supplémentaire, voire un outil-clé, qui leur permette de continuer leur lutte, survivre et préserver leur langue et leur culture partout au Canada. Par le fait même, elles pourront préserver une des qualités, sinon la qualité essentielle qui distingue le Canada de tous les autres les pays, à savoir que les gens peuvent y vivre avec leur langue et leur culture.
C'était là ma présentation initiale. Je ne sais pas si quelqu'un a des questions.
Le président: J'imagine en effet que ce sera le cas. Merci beaucoup. C'étaient là des propos livrés avec beaucoup de passion. Je remarque que pour la première fois aujourd'hui, il y a davantage de députés du NPD que du Parti conservateur.
M. Yvon Godin (Acadie—Bathurst, NPD): On les a fatigués avec le débat d'hier soir.
Le président: Nous allons commencer par M. André.
M. Guy André (Berthier—Maskinongé, BQ): Bonjour. Il s'agit d'une deuxième fois, monsieur Caza, puisque nous nous sommes croisés ce matin dans la rue. C'était une belle présentation dynamique et convaincante sur l'importance de protéger la langue des minorités.
Vous savez sans doute que nous sommes au Québec une minorité francophone entourée d'une majorité anglophone. Comme vous, nous voulons pouvoir nous lever le matin sans nous demander si nous allons poursuivre le travail et continuer à pouvoir utiliser notre langue, le français.
Bien sûr, nous sommes un peu préoccupés par le projet de loi S-3, entre autres parce qu'il ramène, sur le plan des langues officielles, la question de l'égalité du statut en matière d'usage de la langue. Promouvoir celle-ci et renforcer les droits des minorités anglophones au Québec affaiblirait la cause de la langue française dans son ensemble, ce qui, par ricochet, pourrait avoir comme effet de nuire à la cause de la langue française chez les minorités francophones hors Québec. C'est pourquoi, au Québec, nous réclamons que S-3 traite de spécificité. Nous sommes différents en vertu de notre langue et nous voulons que cet aspect particulier soit précisé dans le projet de loi S-3.
Je ne vous ai pas beaucoup entendu parler de la question de la langue au Québec. Le projet de loi S-3 contient certaines dispositions reliées entre autres aux alinéas 43(1)d) et f) de la Loi sur les langues officielles. Il pourrait y avoir de l'ingérence sur le plan des syndicats et des corporations municipales, par exemple. Bref, ma question porte sur ce genre de considérations.
M. Ronald Caza: Merci, monsieur André.
Le contexte dans lequel les minorités linguistiques à l'extérieur du Québec fonctionnent n'est pas un contexte juridique, mais bien un contexte réel. Il y a des gens qui ont beaucoup de mal à accepter que les minorités linguistiques aient des droits. Je ne vous apprends rien: dans toutes les provinces à l'extérieur du Québec, il y a des gens qui ont beaucoup de mal à accepter cette idée. Ces gens nous demandent pourquoi nous n'allons pas vivre au Québec.
Il est important de comprendre que le message que le Québec envoie à sa minorité linguistique en dit beaucoup sur le message que nous allons recevoir de notre majorité linguistique.
Quand le Québec hésite et a toutes sortes de réflexes pour essayer de limiter les droits de la minorité linguistique anglophone, les autres provinces se demandent tout de suite pourquoi elles devraient respecter les droits des minorités linguistiques francophones alors que le Québec ne respecte pas sa minorité linguistique anglophone.
J'étais un des avocats qui ont plaidé dans le dossier Casimir. Je ne vous parle pas de la réalité juridique, mais de perceptions. Il est évident que le Québec a fait beaucoup pour protéger et encourager sa minorité linguistique anglophone. Les membres de cette minorité ont des institutions, surtout dans la région de Montréal. C'est une minorité linguistique qui a réussi, sur plusieurs points, à créer un réseau d'institutions essentiel à sa survie.
Vous dites que le Québec est différent des autres provinces parce qu'en tant que province, il est en situation minoritaire au sein de l'Amérique du Nord. C'est une réalité qui a déjà été reconnue par la Cour suprême du Canada. Il n'est écrit nulle part dans la Constitution que le Québec est différent. Il n'existe à cet égard aucun droit constitutionnel que nous ayons été obligés d'aller défendre devant la Cour suprême du Canada.
L'article 23 de la Charte ne dit pas que le Québec est différent des autres provinces, mais le Québec est différent et il a besoin d'outils: c'est une réalité. Le Québec, comme les minorités linguistiques dans les provinces, a besoin d'outils, et l'objectif du présent exercice est de tenter de trouver un juste milieu et de faire en sorte que le Québec ait les outils nécessaires pour que la francophonie puisse survivre en Amérique du Nord et pour que la minorité linguistique anglophone ait les outils nécessaires pour survivre. On n'a pas besoin d'écrire dans le projet de loi que le Québec est différent ni qu'il a besoin d'outils différents.
Le Québec s'est doté de la Charte de la langue française. C'est un exemple d'outil, et la Cour suprême du Canada a reconnu que c'était un outil nécessaire, parce que le Québec est vulnérable. Le fait que le Québec soit vulnérable fait en sorte que, lorsqu'on examine les besoins de la minorité linguistique et ce que le gouvernement fédéral va faire pour la minorité linguistique du Québec, on doit en même temps voir quel impact cette intervention ou cette mesure positive aura sur le Québec, qui est en situation de vulnérabilité. Et c'est une obligation. Elle n'est pas inscrite dans le projet de loi, mais c'est une question de logique.
Ce n'est pas nécessaire de l'écrire dans le projet de loi. Ce n'est pas écrit dans la Constitution ou dans des documents quasi constitutionnels, mais la Cour suprême du Canada a déjà affirmé que c'était le cas. Un exemple récent est l'affaire Solski Casimir. La Cour suprême du Canada reconnaît cette réalité, cette situation. On doit mettre une loi en application en tenant compte du contexte dans lequel on la met en application. Cela se fait. On ne l'écrit dans la loi. Une loi ne s'applique pas de la même manière au Québec, en Colombie-Britannique, à l'Île-du-Prince-Édouard ou en Ontario, et la Cour suprême l'a déjà dit.
¿ (0925)
Le président: Merci.
On poursuit avec M. Godin.
M. Yvon Godin: Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Caza, d'être ici aujourd'hui.
Comme vous l'avez dit tout à l'heure, si nous voulons un projet de loi, c'est que nous voulons indiquer au gouvernement comment agir, puisqu'il est tenu de respecter la loi. Le projet de loi S-3 — qui a déjà été présenté trois ou quatre fois au Parlement sans succès — vise à clarifier le statut déclaratoire ou exécutoire de la loi. On veut que la loi soit claire, afin que le gouvernement l'applique et qu'il ne soit pas nécessaire d'aller en cour. Que le gouvernement propose des amendements arguant qu'il ne veut pas se retrouver en cour tous les jours ne vous inquiète-t-il pas?
Beaucoup d'intervenants qui ont comparu en cour et qui ont remporté leur cause, comme Michel Doucet, professeur de l'Université de Moncton, ont dit qu'avec l'amendement du gouvernement sur le projet de loi S-3, on risquait d'avoir pire que ce qu'on a en ce moment. Une cause est prévue au mois de décembre, pour laquelle on aura la réponse peut-être 12 mois plus tard. Vous avez dit vous-même que la cour avait tendance à donner raison aux minorités.
Ce projet de loi, simple, affirme que la loi est exécutoire plutôt que déclaratoire, et le gouvernement propose un tas d'amendements. Pourquoi des amendements? Elle est exécutoire ou elle ne l'est pas. Le gouvernement n'accepte pas qu'elle soit exécutoire parce que c'est lui qui va en Cour d'appel quand les minorités francophones gagnent des causes au Canada; il est le premier à aller en appel, parce qu'il n'est pas d'accord. Alors, dès qu'on dépose un projet de loi qu'on dit « exécutoire », il présente des amendements pour l'amollir. Ce n'est certainement pas pour le renforcer. Une loi claire est une loi qui dit, par exemple, que la limite de vitesse est de 100 km/h; si on roule à 110 km/h, c'est clair qu'on a violé la loi, tandis qu'à 100 km/h on ne l'a pas violée.
On a un projet de loi qui dit que la loi devrait être exécutoire et le gouvernement y propose des amendements. J'aimerais donc que vous soyez plus clair à ce sujet: avez-vous peur ou appuyez-vous les amendements du gouvernement?
¿ (0930)
M. Ronald Caza: Merci, monsieur Godin.
Je trouve intéressant que vous me demandiez si j'ai peur. Les minorités linguistiques ont cessé d'avoir peur il y a longtemps. On doit faire face à des gouvernements qui, continuellement, tentent de nous empêcher de boire du vin. Pour ma part, je vois les droits comme du vin. Ou ils nous empêchent de boire du vin, ou ils veulent le diluer le plus possible. C'est ce qui se passe depuis le début, depuis que des minorités linguistiques se battent pour leurs droits.
Le projet de loi du sénateur Gauthier est une coupe de vin pour la communauté franco-ontarienne. Les amendements proposés par le fédéral, s'ils sont adoptés, vont diluer le vin au point où ça n'en sera plus: il y aura plus d'eau que de vin. Tous les amendements proposés par le fédéral — si vous le voulez, on peut les revoir un par un — visent à diluer les droits, à limiter la possibilité de faire valoir un droit, et à rendre le tout si vague, avec un vocabulaire si général, qu'il va devenir presque impossible de faire valoir un droit. C'est l'objectif de l'exercice.
Si des représentants du fédéral se présentent devant votre comité et vous disent que leur crainte — je pourrais retrouver les citations car je les ai — est de se retrouver devant les tribunaux, c'est que les tribunaux vont rendre des décisions qui vont les obliger à faire toutes sortes de choses.
Ces représentants, en somme, disent qu'ils n'ont pas l'intention de respecter la loi, je vous le dis tout de suite. La seule façon de se retrouver en cour, c'est de ne pas respecter la loi. Et si on est tenu de faire quelque chose à la suite d'une décision de la cour, c'est parce qu'un tribunal a considéré qu'on ne respectait pas la loi. Que ces représentants craignent de perdre devant les tribunaux m'inquiète beaucoup. Ce qui est important, c'est l'objectif: qu'un projet de loi fasse valoir des droits. L'article 23 en est le meilleur exemple.
Rappelez-vous les débats qui ont entouré l'article 23. Regardez le vocabulaire qu'on a proposé et comment on est finalement passé de A à Z. Par ces débats, dans lesquels était impliqué M. Chrétien de façon très directe, on voit que, plus la langue devenait compliquée et plus c'était long, moins on avait de droits. On a finalement terminé avec une langue beaucoup plus simple et directe. Ensuite, les tribunaux ont rendu des décisions. Vous avez mentionné dans certaines de vos interventions, monsieur le député Godbout, comment les tribunaux ont appliqué l'objectif de la loi aux paroles, aux mots de la loi pour réaliser ce que nous avons aujourd'hui: une loi extraordinaire qui assure l'éducation aux minorités linguistiques. C'est donc très inquiétant d'avoir des amendements dont le seul objectif est de limiter la portée du droit.
Le président: Merci.
Sur ce, on passe à M. Godbout.
¿ (0935)
M. Marc Godbout (Ottawa—Orléans, Lib.): Bienvenue, maître Caza. Cela fait toujours plaisir de vous entendre.
Je vais continuer dans la même veine. Le projet de loi, tel qu'il a été déposé, impose au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour favoriser le développement et l'épanouissement des communautés francophones. Certains témoins ont traduit cela par une obligation de résultat. D'après vous, une obligation d'agir et une obligation de résultat, est-ce la même chose? On n'est pas des professionnels du droit. C'est pour cela qu'on invite des personnes comme vous pour clarifier ces questions. Si on n'obtient pas tel résultat, on croit qu'on peut se faire poursuivre. Est-ce ce que dit le projet de loi, tel que déposé par le Sénat?
M. Ronald Caza: J'ai lu certaines suggestions — on parlait de moyens et de résultats —, et avant même de parler de moyens, il fallait savoir jusqu'à quel point il devait y avoir des mesures. Je ne vois absolument rien de cela dans l'article. L'article est clair: l'obligation du gouvernement est de prendre des mesures. C'est de mesures qu'il est question.
[Traduction]
En anglais, it's “shall take appropriate measures to advance”.
[Français]
Dans certaines situations, le gouvernement se doit d'agir; c'est essentiel. S'il ne le fait pas, il sera alors en violation de l'article. Cependant, s'il agit de bonne foi et tient compte de son obligation, je ne crois pas qu'il sera alors question de connaître les résultats. Je ne vois donc pas de quelle façon on trancherait cette question des résultats. Il est clair que ces mesures doivent avoir comme objectif d'obtenir et de réaliser les résultats. Ce que le gouvernement a l'obligation de faire, et c'est ce sur quoi nous nous penchons, c'est de prendre les mesures qui s'imposent.
On étudie les différentes situations qui se présentent et l'obligation du gouvernement. En fait, l'article 41 existant déjà, le gouvernement a déjà cette obligation, mais on n'a pas les outils qu'il faut pour le forcer à respecter cette obligation. On doit donc simplement s'assurer, dans le cadre de ce projet de loi, d'avoir les outils pour le faire. Il faut se rappeler que sans l'adoption de telles mesures, les minorités linguistiques sont vouées à subir encore des torts irréparables.
M. Marc Godbout: Une autre question dont on a abondamment discuté et que M. André a abordée est, bien entendu, l'inquiétude de certains représentants du Québec. Il est question de faire des ajustements selon la réalité linguistique du Québec. On nous a proposé d'examiner un éventuel amendement selon lequel la loi pourrait être mise en oeuvre en fonction des réalités linguistiques des provinces.
Est-ce que cela comporte un danger, selon vous? Certains semblent dire qu'en adoptant une telle formulation, on pourrait peut-être régler la situation du Québec, mais que cela causerait des problèmes à d'autres provinces. On dit par exemple qu'un gouvernement provincial pourrait invoquer cette réalité linguistique pour minimiser les droits linguistiques.
M. Ronald Caza: Il est essentiel de considérer la réalité du Québec, c'est évident. Les tribunaux ont dit que cela devait être fait, et ce sera fait. Il n'est donc pas nécessaire de l'ajouter. Par contre, si on parle de la réalité linguistique, il faut comprendre que dans certaines provinces, les francophones ne sont pas le deuxième groupe linguistique: ils sont parfois le sixième, le septième ou le huitième.
Vous seriez surpris d'apprendre à quel point on nous dit souvent, que ce soit en Ontario ou dans d'autres régions, qu'il y a plus d'Italiens, de Chinois ou d'Ukrainiens que de francophones. Ces gens nous font remarquer qu'il n'y a presque pas de francophones et demandent qu'on ne les embête pas avec ces questions. C'est justement dans ces situations qu'on doit souligner la différence entre les autres communautés et les deux peuples fondateurs. Il s'agit là d'une différence reconnue dans notre Constitution, donc une différence essentielle à comprendre dans le cadre de tout ce litige.
En fait, si l'objectif de l'amendement est de protéger le Québec en tenant compte de sa situation particulière, ce n'est pas nécessaire. Si on l'écrit alors que ce n'est pas nécessaire, cela pourra servir d'argument à d'autres provinces pour minimiser les droits des francophones. Tel est le danger réel. Si vous adoptez un tel projet de loi, il se pourrait que quelqu'un, par exemple le procureur général d'une province autre que le Québec, dise haut et fort que cela ne peut pas s'appliquer uniquement au Québec parce que si c'était le cas, on l'aurait précisé. On soulignerait alors que c'est par conséquent applicable à d'autres provinces.
On pourrait alors trouver des situations où le principe s'applique et invoquer le fait que dans une province donnée, l'anglais est menacé. En Colombie-Britannique, par exemple, il y a dans certaines villes des minorités très importantes constituées de gens qui ne parlent ni le français ni l'anglais. Si on commence à prendre des mesures en ce sens, les problèmes commenceront. En réalité, je peux vous dire en tant qu'avocat que lorsqu'on veut faire valoir des droits linguistiques ou n'importe quel autre droit d'un client, plus c'est clair, moins il y a de détails de langage et plus c'est précis, plus c'est profitable pour ceux dont on défend les droits.
¿ (0940)
Le président: Merci. Je dois vous interrompre. Il faut respecter le temps dont chacun dispose.
Nous poursuivons avec M. Lauzon.
M. Guy Lauzon (Stormont—Dundas—South Glengarry, PCC): Merci, monsieur le président.
Je vous prie d'excuser mon retard.
Le président: Vous nous avez manqué.
M. Guy Lauzon: Bienvenue, monsieur Caza.
Vous avez parlé des Franco-Ontariens et je m'intéresse beaucoup à vos commentaires, puisque je représente une communauté franco-ontarienne vivant en milieu minoritaire. D'abord, je crois comprendre que vous n'êtes pas d'accord sur les amendements proposés par le gouvernement.
M. Ronald Caza: Je veux m'assurer qu'on se comprend bien: on parle des amendements proposés au projet de loi S-3.
M. Guy Lauzon: Oui.
M. Ronald Caza: En effet, je n'y suis pas favorable. Je crois que c'est ajouter trop d'eau au vin.
M. Guy Lauzon: D'accord.
L'analogie avec le vin est intéressante.
Pouvez-vous nous dire comment le projet de loi S-3 influencera positivement la situation des Franco-Ontariens?
M. Ronald Caza: Je vais vous donner un bon exemple de mise en application de la loi. Quand les membres d'une minorité linguistique de n'importe où en province, de Timmins ou d'ailleurs, se présentent à un bureau du gouvernement ou d'une agence du gouvernement dans une région anglophone pour obtenir un service, ils ont tendance, en tant que membres de la minorité, à parler anglais. C'est ainsi, il faut le reconnaître, simplement parce qu'ils se sentent gênés et mal à l'aise.
Il est évident que, si on examine les services d'une agence, une petite affiche disant que des services en français sont disponibles ne suffit pas. Il faut que les francophones se sentent à l'aise de demander et de recevoir les services en français.
Ils doivent sentir que l'institution existe pour les servir et satisfaire leurs besoins particuliers. Les besoins des minorités linguistiques diffèrent de ceux des membres de la majorité. Il faut accepter que leurs besoins soient différents. Pour répondre à ces besoins, il ne suffit pas d'offrir en français la même chose qu'on offre à tous. On doit prendre des mesures positives. On doit aller plus loin. On doit prendre des mesures qui aideront les francophones à se sentir à l'aise d'utiliser les services en français.
Le gouvernement doit prendre des mesures positives, et pas simplement traduire tous les documents afin de les offrir en français. Ce n'est pas suffisant.
C'est probablement l'exemple le plus facile.
M. Guy Lauzon: Croyez-vous que le projet de loi S-3 améliorera la situation en ce sens?
M. Ronald Caza: Le projet de loi S-3 va obliger le gouvernement à le faire, tout comme la Loi sur les langues officielles l'y oblige déjà. C'est ce que je crois, et c'est ce qu'on a plaidé. On attend une décision de la cour dans l'affaire CALDECH contre Industrie Canada à Penetanguishene. Cela va établir clairement que le gouvernement a déjà cette obligation.
Cela va permettre à un francophone ou à une communauté — parce que ce n'est jamais une personne seule — de se prendre en main et de rappeler au gouvernement fédéral qu'il est obligé d'offrir des mesures positives, vu que ce qu'il fait ne suffit pas à l'aider à combattre l'assimilation.
Les communautés pourront forcer le gouvernement à le faire.
Si vous m'accordez encore 30 secondes, j'ajouterai que quand on a un droit, comme dans la cause de l'hôpital Montfort, d'où découlent des obligations gouvernementales, on ne va pas plus souvent devant les tribunaux; on finit par y aller moins souvent, parce que ceux qui ont des obligations comprennent qu'ils les ont, ils savent qu'ils iront en cour s'ils ne les respectent pas et ils les respectent sans qu'il devienne nécessaire d'aller devant les tribunaux.
¿ (0945)
M. Guy Lauzon: Prenons un cas concret, comme celui de la communauté de Cornwall. À l'hôpital, il est rare qu'on obtienne des services en français. Si on l'adopte, quels seront les effets du projet de loi S-3 après son entrée en vigueur? Si je n'obtiens pas plus de services en français à l'hôpital, est-ce moi qui devrai aller en cour? Je doute que je poursuive l'hôpital. Cela coûtera cher. La communauté de Cornwall et les communautés francophones ont peu d'argent. Comment le projet de loi S-3 va-t-il les aider à régler cette situation?
M. Ronald Caza: Je répondrai d'abord à votre deuxième question. Vous disiez que les gens de Cornwall n'avaient pas d'argent et vous demandiez ce qu'ils pouvaient faire. Je parlerai ensuite de l'affaire des hôpitaux.
La réalité est que la plupart des communautés n'auront probablement jamais les moyens nécessaires. Cependant, il y a une communauté, quelque part, qui prendra les moyens, et cela deviendra un précédent qui s'appliquera à tous ceux qui sont dans la même situation. C'est la façon dont cela fonctionne. Grâce à l'appui de toutes sortes de personnes, de toute une communauté, les défenseurs de l'hôpital Montfort ont eu les reins solides et ils ont eu le courage de se rendre jusqu'en cour d'appel pour obtenir un jugement et pour clarifier les droits. Ils ont clarifié les droits de toutes les minorités au Canada. Finalement, ce ne sont pas toutes les communautés qui ont besoin de se battre pour cela.
Deuxièmement, en ce qui concerne l'affaire de l'hôpital, il y a toute la question des compétences provinciales et fédérales. C'est la réalité. Il n'y rien à faire. On doit vivre avec cette réalité.
Lorsque le fédéral élaborera des projets ou sera impliqué d'une façon ou d'une autre dans un certain domaine, il devra analyser la situation et déterminer s'il peut prendre une mesure positive pour encourager les membres du groupe minoritaire à continuer à faire les efforts qui s'imposent pour vivre dans leur langue et protéger leur culture.
Le président: Merci, monsieur Lauzon.
Si je comprends bien votre intervention, le projet de loi S-3 est un pas en avant, mais si les amendements du gouvernement étaient adoptés, il serait presque négatif pour les communautés. Est-ce bien ce que vous êtes en train de dire?
M. Ronald Caza: Non. Je ne dirais pas que le projet de loi S-3, avec les amendements, serait négatif. Je dis que le projet de loi S-3 sans amendements est l'outil dont les communautés minoritaires ont besoin pour continuer leur lutte.
Le président: Est-ce que le projet de loi S-3 avec les amendements est mieux que rien ou si, dans le fond, il vaut mieux ne pas l'amender et laisser les gens aller en cour?
M. Ronald Caza: Je dois dire que cela devient une question intéressante.
Selon plusieurs constitutionnalistes — pas tous, c'est certainement mon opinion, et d'autres ont dû partager la même opinion devant vous —, l'article 41 de la Loi sur les langues officielles est présentement exécutoire. C'est officiel.
Je peux vous dire tout de suite que le sénateur Gauthier a présenté ce projet de loi parce qu'il craignait que les tribunaux ne concluent que l'article 41 de la loi est seulement déclaratoire. C'est pour cette raison qu'il a déposé son projet de loi. Il ne l'a pas déposé pour qu'on puisse trouver toutes sortes de raisons ou d'excuses pour faire valoir les droits.
La minorité linguistique, par l'entremise du sénateur Gauthier, vous demande de lui donner un outil clair et précis. Si on dilue l'outil jusqu'à ce qu'il y ait plus d'eau que de vin, il y a un danger. Qu'arrivera-t-il si la Cour suprême du Canada décide que le tout est exécutoire? L'objectif est de ne pas attendre la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire du Forum des maires de la Péninsule acadienne pour déclarer que c'est exécutoire. Il faut que ce projet de loi soit adopté pour qu'on sache dès maintenant que la loi est exécutoire. Tel est l'objectif du présent exercice.
Ce serait une grande tragédie si vous adoptiez un projet de loi dilué et que la Cour suprême du Canada décidait que vous aviez du vin, mais qu'on l'a dilué en y ajoutant beaucoup d'eau. L'objectif du projet de loi S-3 est de s'assurer que les communautés minoritaires puissent avoir du vin, c'est-à-dire les outils nécessaires.
¿ (0950)
Le président: Merci.
Madame Boivin.
Mme Françoise Boivin (Gatineau, Lib.): Merci, monsieur le président.
C'est un dossier très intéressant, et je vous remercie de votre présentation. Étant donné qu'on s'apprête à faire l'étude article par article de ce projet de loi extrêmement important, je veux être certaine de bien comprendre votre position à cet égard.
Soit dit en passant, j'aime beaucoup votre analogie avec le vin, surtout que je m'appelle Boivin. J'apprécie beaucoup.
Si je ne me trompe, le sénateur Gauthier visait deux choses lorsqu'il a présenté son projet de loi S-3: la première chose était justement de mettre un terme à ce fameux débat sur la question de savoir si la partie VII de la loi était exécutoire ou déclaratoire. Quels que soient les amendements que souhaitent proposer le gouvernement, les conservateurs, le Bloc québécois, etc., cela ne change rien: tout le monde s'entend là-dessus. Ce point me semble moins difficile, et il sera réglé.
Si j'ai bien compris, le deuxième objectif du sénateur Gauthier était d'essayer de préciser le rôle du fédéral dans cette fameuse quête de l'égalité du français et de l'anglais. Est-ce que je me trompe?
M. Ronald Caza: C'est tout à fait vrai. Vous avez absolument raison.
Mme Françoise Boivin: J'ai un problème bien ennuyant, car il est de nature juridique. Je suis convaincue que vous êtes à l'aise avec des textes puisque cela entraîne beaucoup de procédures légales. À mon avis, peu importe le projet de loi qu'on adoptera, quelques personnes vont toujours faire un peu de gymnastique intellectuelle et essayer soit de nier un droit, soit d'en obtenir plus, etc.
Cela étant dit, examinons le projet de loi du sénateur Gauthier. J'aimerais que vous m'expliquiez votre position face aux amendements proposés par le gouvernement. Ils ne font pas tous mon affaire, à moi non plus, et j'ai parfois l'impression qu'on s'enfarge dans les fleurs du tapis.
Cependant, je ne suis pas convaincue que les textes contenus dans le projet de loi S-3 soient nécessairement plus clairs. Je vais vous citer le libellé du paragraphe 41(2) de la Loi sur les langues officielles tel que proposé par le projet de loi S-3:
(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour assurer la mise en oeuvre de cet engagement. |
Qu'entend-on par l'expression « mesures positives »? Je trouve que c'est très flou et très vague. Le gouvernement, plutôt que de diluer, n'a-t-il pas plutôt essayé de préciser les choses?
C'est la même chose pour le libellé du paragraphe 43(1) tel que proposé par le projet de loi S-3. Il est écrit ceci:
43. (1) Le ministre du Patrimoine canadien prend des mesures pour assurer la progression vers l'égalité [...] |
Je suis peut-être un peu prompte, mais j'aimerais qu'on ne se pose plus de questions, que ce soit exécutoire, que les gouvernements n'aient plus de portes de sortie et qu'on se rende compte qu'on vise l'égalité des deux langues, le Québec constituant une situation particulière — je suis d'accord avec vous — à cause de la Charte de la langue française. D'ailleurs, celle-ci ne sera pas affectée par le projet de loi S-3. Mais il ne faut plus qu'on se pose ces questions.
J'ai aussi l'impression que certaines personnes affirmeront que cela n'est pas clair. On parle de progression vers l'égalité. Quand cette progression sera-t-elle terminée? Dans un an, deux ans, vingt ans, tout de suite? Quelles mesures seront prises?
Vous dites que le but des amendements était d'essayer de diluer le projet de loi. En êtes-vous sûr? C'était peut-être plutôt une tentative maladroite — je m'en excuserai auprès du ministre et de son personnel — d'essayer de préciser les choses.
M. Ronald Caza: Je donne mon opinion en tant que juriste ayant étudié les amendements.
Il y a deux concepts juridiques à garder en tête. Je comprends ce que vous dites. Je peux comprendre qu'à la lecture du texte original vous puissiez trouver que ce n'est pas plus évident. En effet, je regarde ce que le gouvernement a écrit et cela paraît beaucoup plus précis.
Mme Françoise Boivin: C'est plus précis?
M. Ronald Caza: Oui, c'est plus précis parce qu'on veut limiter l'interprétation possible. On doit garder en mémoire deux concepts juridiques relatifs aux droits linguistiques. Tout d'abord, la Cour suprême du Canada a déclaré de façon claire et non équivoque que lorsqu'on interprète un droit quasi constitutionnel — puisque la Loi sur les langues officielles constitue, en fait, un texte de droit quasi constitutionnel —, on considère quel est l'objectif de la loi. On regarde ce que sont le but et l'objectif de la loi. Son objectif est d'assurer la survie des minorités linguistiques. Par la suite, on regarde les mots et on les interprète de façon à assurer la réalisation de cet objectif. C'est pour vous rassurer.
Nous en venons à la chose la plus importante sur le plan des décisions. Dans une décision récente, la Cour suprême du Canada a confirmé qu'un juge avait des pouvoirs extraordinaires quand il était question de défendre des minorités linguistiques. Cette décision touchait la Nouvelle-Écosse. Dans cette province, un juge, à la fin d'un procès, a dit que le gouvernement devait bâtir des églises et des écoles secondaires pour la communauté francophone. Le procès était terminé, mais il a dit qu'il n'avait pas fini et qu'il voulait voir des plans trois mois plus tard. Les représentants du gouvernement on dit qu'une fois la décision rendue, le rôle du juge était terminé, et que si des plaignants étaient mécontents, ils devaient s'adresser aux tribunaux de nouveau. La Cour suprême a confirmé que le juge pouvait prendre cette décision puisqu'il n'y avait pas de lendemain pour les minorités linguistiques.
Des torts irréparables sont causés par chaque journée de retard au niveau de l'adoption de la loi ou de l'attribution d'autres outils. Examinez les amendements qui sont proposés par le gouvernement. Lisez-les mot par mot. Quel en est l'objectif? Est-ce de s'assurer que la minorité linguistique ait un outil fort ou de s'assurer de limiter la responsabilité possible du gouvernement fédéral? Selon moi, les amendements sont clairs: ils ont pour but de limiter la responsabilité possible du fédéral.
¿ (0955)
Mme Françoise Boivin: Est-ce qu'il me reste du temps?
Le président: Non, madame. Vous avez d'ailleurs dépassé votre limite de quelques secondes.
Mme Françoise Boivin: Merci, monsieur.
Le président: Nous allons passer à M. Bergeron.
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les Patriotes, BQ): Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Caza, de votre présentation. Elle était enflammée mais néanmoins très claire et précise.
J'en retiens un certain nombre de choses, mais une de vos affirmations m'a particulièrement frappé — et en ce sens, vos propos se rapprochent de ceux émis par des témoins qui ont comparu à ce comité —, à savoir que dans le cadre de cette loi, les outils juridiques devaient servir à ceux qui sont les plus touchés. Vous avez également dit, et cela m'apparaît tout aussi important, qu'il était normal que des outils différents soient prévus dans le cas du Québec. Fort bien, sauf que ce n'est pas ce que précise la Loi sur les langues officielles. Elle traite de la progression vers l'égalité du statut, ce qui n'est que pure fiction, considérant que le Québec, même s'il est constitué d'une majorité francophone, représente une minorité dans l'ensemble nord-américain. Vous avez dit à cet égard qu'il n'était pas nécessaire de faire une exception quelle qu'elle soit dans la loi puisque le principe était reconnu par les tribunaux.
Vous savez qu'au Royaume-Uni, on a décidé de s'en tenir à ces conventions constitutionnelles non écrites, ce qui ne cadre pas avec la tradition canadienne. Au Canada, on a en effet décidé de codifier les règles constitutionnelles. Vous avez bien précisé que la Loi sur les langues officielles avait un statut quasi constitutionnel. Parmi vos collègues constitutionnalistes, certains sont également enseignants et d'autres, praticiens. M. Doucet, pour sa part, a même fait une proposition voulant qu'il ne serait nullement dommageable de prévoir dans la Loi sur les langues officielles une disposition relative à la situation particulière du Québec en tant que groupe francophone à l'intérieur du Canada. Mon collègue M. André a proposé d'exclure purement et simplement le Québec. Vous dites pour votre part que ce n'est pas souhaitable. Notre collègue M. Lauzon disait qu'il fallait respecter les compétences provinciales. Certains de vos collègues, de même que l'avocat du gouvernement, étaient d'avis que ce n'était pas une avenue à privilégier: ils prétendent en effet que le gouvernement respecte la Constitution et les compétences des provinces.
M. Doucet a proposé que nous incluions dans la Loi sur les langues officielles une réalité qui est prise en considération par les tribunaux, à savoir la réalité linguistique dans le cadre de l'application de la loi. Ce point de vue a également été soutenu par M. Braën et par votre collègue Foucher. Je voudrais savoir si, de votre côté, vous considérez que cela serait de nature à rassurer celles et ceux qui sont en quelque sorte un peu frileux ou inquiets, du fait que par le passé, le gouvernement fédéral ne s'est jamais gêné pour user de son pouvoir de dépenser. La partie VII de la Loi sur les langues officielles traite directement de ce pouvoir de dépenser. En fait, il dépasse largement les frontières de l'administration fédérale.
L'inclusion d'une brève disposition précisant qu'il faut tenir compte de la réalité linguistique dans le cadre de l'application de la Loi sur les langues officielles, particulièrement en ce qui a trait à la partie VII, est-elle selon vous une avenue envisageable?
À (1000)
M. Ronald Caza: Je peux répondre à la question en deux étapes. D'abord, vous avez dit qu'il y avait au Royaume-Uni des conventions non écrites, mais qu'au Canada, la Constitution était codifiée. Or, ce n'est pas exact: nous avons au Canada des principes non écrits. Selon un de ces principes, les gouvernements sont obligés de respecter et de protéger les minorités linguistiques. Il s'agit là d'un droit constitutionnel existant mais non écrit.
Il est très important d'éviter dans la mesure du possible d'écrire dans un projet de loi des choses qui ne sont pas nécessaires. Je dois dire que je n'ai pas vu la présentation du professeur Foucher, mais que j'ai eu l'occasion de revoir hier la présentation du professeur Braën et celle de Me Doucet. Je ne suis pas d'accord sur l'idée d'ajouter au projet de loi une disposition qui oblige à considérer la réalité linguistique des provinces, et j'ai déjà expliqué pourquoi. C'est que les provinces à majorité anglophone se serviront de cela. La seule raison pouvant justifier qu'on ajoute une telle disposition serait pour assurer que la réalité du Québec est prise en considération. C'est en effet la seule réalité pertinente au Canada. Il n'y en a pas d'autre. Or, les tribunaux ont déjà décrété qu'en matière constitutionnelle — et j'ajouterais même en matière quasi constitutionnelle —, on se devait de tenir compte de cette réalité. On constate donc après analyse qu'il n'est pas nécessaire de l'ajouter. Il est dangereux d'inclure dans des projets de loi des choses qui ne sont pas nécessaires: cela finit toujours, d'une façon ou de l'autre, par affaiblir les droits existants.
À mon avis, nous ne devrions pas opter pour cette solution et ce, pour deux raisons, la principale étant que ce n'est pas nécessaire. Il faut qu'on ait un Québec fort pour que les minorités puissent survivre à l'extérieur du Québec. Nous avons tous intérêt à ce que la majorité francophone demeure très forte au Québec, mais ce n'est pas nécessaire de l'écrire dans la loi. Il est clair que nous devons le prendre en considération. En outre, je suis inquiet à l'idée que la formulation puisse être interprétée d'une façon qui soit préjudiciable envers les autres minorités linguistiques.
M. Stéphane Bergeron: Permettez-moi...
Le président: C'est tout le temps dont vous disposiez, monsieur Bergeron.
M. Stéphane Bergeron: Je n'ai pas droit à quelques secondes additionnelles?
Le président: Non seulement je vous les ai déjà accordées, mais je vous en ai même octroyé davantage. Je suis généreux aujourd'hui, étant donné que c'est notre dernière réunion. Vous avez manqué un volet fort intéressant du débat. M. Caza, au sujet de la situation particulière des provinces, a parlé de minorités de langue autre que le français et l'anglais qui étaient plus nombreuses que les minorités francophones. Vous avez dû vous absenter à ce moment-là. C'était plutôt intéressant. On pourra consulter la transcription à ce sujet.
Je présume que les membres du comité veulent procéder à un troisième tour.
Mais j'allais oublier M. Godin! Comment ai-je pu faire une telle chose?
M. Yvon Godin: Je ne sais pas.
M. Stéphane Bergeron: Comment avez-vous pu, en effet?
Le président: On parle ici de l'inoubliable M. Godin.
M. Yvon Godin: Vous vous êtes probablement perdu dans les fleurs du tapis. La tondeuse est passée, elle a coupé les fleurs, et vous m'avez oublié.
Revenons à notre discussion. Il est vrai que chaque journée compte. Les Acadiens, qui sont ici depuis 400 ans, ont livré bien des batailles. La cour doit prendre une décision au mois de décembre...
Je vais attendre que mes collègues aient fini de discuter: cela me déconcentre.
À (1005)
M. Stéphane Bergeron: D'habitude, tu es beaucoup plus endurant. C'est sans doute une question de fatigue.
M. Yvon Godin: C'est à cause du surtemps d'hier soir. On ne semble pas avoir compris le message.
La cour va rendre une décision en décembre. Serait-il préférable de faire des amendements au projet de loi du sénateur Gauthier ou d'attendre que la décision soit rendue?
M. Ronald Caza: La réponse est non. Le projet de loi sans modifications, en d'autres mots le projet de loi du sénateur Gauthier...
M. Yvon Godin: Excusez-moi, monsieur le président. Le projet de loi sans amendements est clair. En fin de compte, il rend la partie VII exécutoire. Je pense que cela règle bien des problèmes.
M. Ronald Caza: Oui.
M. Yvon Godin: Par contre, je me demandais s'il ne serait pas préférable d'attendre la décision de la cour avant de penser à apporter des amendements au projet de loi du sénateur Gauthier.
M. Ronald Caza: Je crois que cela dépendra de l'amendement. En ce qui a trait au projet de loi comme tel, je n'ai aucune hésitation à le recommander. En ce qui a trait aux amendements, il faut étudier chacun d'eux attentivement.
M. Yvon Godin: Par contre, je crains les fleurs du tapis.
M. Ronald Caza: Pour chaque amendement, il faut se demander quel en sera l'impact sur les droits de la minorité linguistique. Il faut s'assurer que le produit final ne soit pas plus faible que le produit de départ.
M. Yvon Godin: Il est question de respecter les réalités des provinces. Oublions les autres minorités; prenons juste la question du français et de l'anglais. On parle d'autres provinces comme l'Alberta. Le gouvernement de cette province prétend que le fait français y est assez minime et que, par conséquent, il n'a pas besoin d'agir compte tenu de sa réalité. Il dit qu'il n'est pas obligé de veiller au bien-être de la langue italienne, chinoise, etc.
Rien n'empêcherait qu'un nouvelle formulation de la loi établisse qu'il faut respecter les réalités d'une province. Quand on parle de la réalité d'une province, on pense à l'exemple de l'Alberta. Leur réalité est qu'il y a peu de francophones. Ce serait alors une nouvelle interprétation et un nouveau débat commencerait.
M. Ronald Caza: Il s'agit d'un débat très négatif pour la communauté francophone.
M. Yvon Godin: C'est exact.
M. Ronald Caza: On parle de réalités. Lorsqu'une personne se présente devant les tribunaux, on ne parle que des réalités. En fait, personne ne se présente devant la Cour supérieure, la Cour d'appel ou la Cour suprême pour parler d'autre chose que de la réalité.
Lorsque les tribunaux traitent de causes de droits linguistiques, les faits représentent 80 p. 100 des travaux et le droit, peut-être 20 p. 100. Parfois, cela peut être moins de 20 p. 100, 10 p. 100 ou 5 p. 100. Par conséquent, ce sont les faits et la réalité qui comptent. On va toujours prendre en considération la réalité.
M. Yvon Godin: Si on écrit dans le projet de loi qu'on va tenir compte des réalités des provinces, on fournira un nouvel outil à des provinces qui se foutent complètement des minorités et qui l'ont toujours fait. Cela n'était pas dans le projet de loi auparavant.
M. Ronald Caza: Ce que vous dites est très important. Si on adopte un tel langage, ou plusieurs des articles suggérés par le fédéral, on donne des outils à ceux qui veulent des excuses pour ne pas promouvoir les minorités linguistiques. Cet outil servirait donc à ceux qui ne voudraient pas promouvoir la communauté linguistique.
M. Yvon Godin: On n'est pas obligé de considérer d'autres langues.
M. Ronald Caza: Je peux vous dire que cet article ne va certainement pas aider la minorité linguistique.
M. Yvon Godin: Merci.
Le président: Merci, monsieur Godin.
Nous procédons maintenant au troisième et dernier tour.
Je cède la parole à M. Vellacott, qui va peut-être partager son temps avec M. Lauzon.
[Traduction]
M. Maurice Vellacott (Saskatoon—Wanuskewin, PCC): Merci.
À votre avis, Ronald, ce projet de loi, s'il était adopté avec son libellé actuel ou modifié, accorderait-il un bien meilleur accès à ceux qui ont besoin des services?
De plus, dans quelle mesure croyez-vous que le nombre de procédures judiciaires liées à ce dossier augmentera? Vous connaissez très bien le secteur, il en va de même pour le cabinet que vous représentez. Pensez-vous que le nombre augmentera de 50, 75 p. 100...?
Ce sont-là mes deux questions: je désire savoir quelle sorte d' accès positif ce projet de loi assure à la population, et également l'augmentation du nombre de procédures judiciaires que vous prévoyez.
M. Ronald Caza: Pour répondre à votre première question, je crois que cette nouvelle mesure législative aidera les particuliers. Elle leur accordera des moyens financiers pour monter un dossier pour prouver qu'ils ont droit à tel ou tel service. Ils pourront dire: « Vous savez ,j'ai ce droit. » Et quand on a des droits, on n'a pas toujours besoin de s'adresser aux tribunaux. Ils deviennent un dernier recours. C'est pourquoi cette mesure législative sera très importante, à mon avis, pour les Canadiens.
Pour ce qui est du nombre de procédures judiciaires, à Heenan Blaikie nous avons toujours eu beaucoup de dossiers touchant les droits linguistiques, et je dois vous avouer que je ne pense pas que cette mesure législative va nécessairement les faire augmenter. Cependant elle donnera un nouvel outil ou un nouveau mécanisme de défense à ceux qui s'adressent aux tribunaux pour que l'on remédie à une situation.
Les citoyens contestent ce que fait actuellement le gouvernement, mais le problème c'est qu'on parle ainsi d'un droit particulier du gouvernement, mais il n'est pas clair s'il s'agit d'une obligation juridique ou d'un simple énoncé qui vise à rassurer tout le monde. C'est pourquoi cette mesure législative est si importante.
À mon avis il n'y aura pas nécessairement beaucoup plus d'actions en justice. Il y aura peut-être une légère augmentation parce qu'après tout ces gens luttent pour qu'on reconnaisse leurs droits, mais je crois que ce qui compte le plus c'est que ceux qui contesteront de toute façon auront un nouvel outil qui les aidera à bien défendre leur position. Il importe de signaler que 99 p. 100 de ceux qui obtiendront ces droits le feront sans lutte, et quant à ceux qui intenteront des procédures judiciaires, 95 . 100 d'entre eux régleront l'affaire avant que les tribunaux n'en soient saisis.
En règle générale, peu importe le domaine, y compris celui des droits linguistiques, ce n'est qu'un nombre limité de cas qui finissent devant les tribunaux, et plus vos droits sont clairs et solides, moins il y aura de chance que vous vous retrouviez devant les tribunaux. Je peux simplement vous dire que si vous commencez à modifier la loi, compte tenu de toutes les modifications qui sont proposées, il y aura beaucoup plus de chance que les gens se retrouvent devant les tribunaux que si l'on adoptait le projet de loi tel que l'a proposé le sénateur Gauthier.
À (1010)
M. Maurice Vellacott: Les modifications proposées par le ministre n'ont absolument aucun mérite.
M. Ronald Caza: J'ai étudié toutes les modifications proposées, et à mon avis aucune d'entre elles n'assurerait un meilleur outil ou de meilleurs droits aux minorités linguistiques. Si vous étudiez ces modifications vous verrez qu'elles visent toute le même objectif, soit d'affaiblir, d'une façon ou d'une autre, les obligations du gouvernement.
M. Maurice Vellacott: Elles ne servent donc qu'à brouiller les cartes?
M. Ronald Caza: Je ne dirais pas nécessairement qu'il brouille les cartes mais plutôt qu'il limite ses obligations. Je crois que Mme Boivin disait qu'à l'occasion on ne brouille même pas les cartes. Si vous étudiez le texte, parfois il est même plus clair. Pourquoi, parce qu'il limite le droit. Évidemment, cela devient plus clair. Ce n'est pas nécessairement une bonne chose.
Si le droit a une beaucoup plus grande portée qu'il ne devrait... et M. Godbout a expliqué un peu plus tôt comment nous avons étudié le libellé de l'article 23. Les tribunaux ont pu employer la terminologie de cette disposition et l'interpréter d'une façon qui assurait des droits à des services éducatifs suffisants aux minorités linguistiques. Si la terminologie et le libellé avaient été beaucoup plus précis, je peux vous assurer que nous n'aurions pas le système d'éducation que nous avons actuellement. Limiter les droits comme brouiller les cartes n'est pas nécessairement une bonne chose.
Vous avez besoin d'un texte qui précise qu'il existe justement une obligation de prendre des mesures pour préserver les minorités linguistiques; ces obligations doivent être claires pour les tribunaux de sorte qu'on puisse vraiment atteindre les objectifs visés par la mesure législative.
M. Maurice Vellacott: Merci.
Le président: Il reste quatre secondes.
[Français]
M. Guy Lauzon: D'accord.
Le président: Avant de passer la parole au prochain intervenant, je veux vous demander de rester une quinzaine de minutes après ce dernier tour, pour discuter, peut-être à huis clos, de l'avenir, où on dirige; je voudrais aussi vous faire rapport de ma rencontre avec le Comité de liaison au sujet du voyage.
Je crois que vous allez partager votre temps, monsieur André.
M. Guy André: Oui, je vais partager mon temps avec M. Bergeron.
Selon les statistiques que nous avons, entre 1951 et 2001, la proportion de Canadiens de langue maternelle française est passée de 29 à 23 p. 100. À l'extérieur du Québec, pendant la même période, cette proportion a décru, passant de 7,3 à 4,4 p. 100. Sur le plan de la première langue d'usage, les choses ne vont pas mieux. La proportion de Canadiens parlant plus souvent le français à la maison est passée de 25,7 p. 100 en 1971 à 22 p. 100 en 2001. Selon d'autres statistiques, le français diminue en importance au Canada, tant chez les minorités francophones hors Québec qu'au Québec.
Vous dites que la Cour suprême reconnaît la spécificité de la langue au Québec. En parallèle, vous dites qu'on ne peut pas reproduire cette spécificité reconnue par la Cour suprême dans un projet de loi. Je ne vois pas pourquoi, alors que c'est reconnu par la Cour suprême, on ne pourrait pas reproduire cette reconnaissance légale dans le projet de loi S-3.
À (1015)
M. Ronald Caza: Il y a deux raisons. Je lisais la formulation proposée, et un des amendements ne parlait pas du Québec mais des réalités des provinces. La Cour suprême du Canada a parlé de la réalité du Québec, et c'est, sans aucun doute, la réalité qu'on doit prendre en considération.
Comme je le disais, selon moi, on ne devrait pas ajouter à des projets de loi des énoncés qui ne sont pas nécessaires, puisque cela finit toujours par revenir et nous mordre de la mauvaise façon. C'est très dangereux. S'il n'est pas nécessaire de l'ajouter, je crois qu'on ne devrait pas le faire.
L'objectif est de s'assurer que si le gouvernement fédéral prend des mesures positives au Québec pour les minorités linguistiques anglophones, celles-ci ne s'avèrent pas négatives pour la majorité francophone du Québec. C'est l'inquiétude qu'on peut lire dans l'amendement au projet de loi.
Légalement, avec l'état du droit qui est clair et précis sur cette question, ce n'est pas un risque qu'on court. Il n'est donc pas nécessaire de l'ajouter au projet de loi.
M. Stéphane Bergeron: Monsieur Caza, j'aimerais revenir brièvement sur la réponse que vous m'avez faite tout à l'heure. Je vous rappelle que l'amendement voulant que l'on tienne compte de la réalité linguistique auquel je fais allusion n'a pas été rédigé. Ce n'est pas un de ceux que vous avez pu voir jusqu'à présent; c'est un de ceux qui ont été proposés verbalement par Me Doucet et auxquels Me Braën et Me Foucher ont donné, d'une certaine façon, leur assentiment.
Je ne les crois pas moins compétents ni moins préoccupés que vous par la survie des communautés francophones et acadienne. Pourtant, ils semblent considérer que cet amendement — qui rassurerait les Québécois voyant le projet de loi S-3 et la Loi sur les langues officielles comme d'éventuelles menaces à la situation linguistique au Québec déjà fragile — ne constituerait pas, de quelque façon que ce soit, une atteinte aux droits des minorités francophones et acadienne des autres provinces. J'ai besoin que vous m'expliquiez ce qui vous fait croire qu'une province pourrait utiliser cette mention de la loi, qui tient compte de la réalité linguistique, contre les minorités francophones et acadienne, alors même que les tribunaux tiennent compte de cette réalité linguistique. Pourquoi le fait de l'inclure dans la loi, contrairement à ce que semblent penser vos collègues Doucet, Braën et Foucher, pourrait, selon vous, permettre aux gouvernements provinciaux de porter atteinte aux droits de leurs minorités?
Deuxièmement, quelle serait votre suggestion pour calmer les inquiétudes de celles et ceux qui, au Québec, s'inquiètent légitimement de voir la partie VII de la Loi sur les langues officielles devenir exécutoire, et de ce que la loi puisse donc éventuellement fragiliser l'équilibre linguistique actuel au Québec?
À (1020)
M. Ronald Caza: Premièrement, la Loi sur les langues officielles telle qu'elle existe maintenant s'applique à tout le monde au Canada de façon égale. Rien dans la Loi sur les langues officielles ne dit que c'est différent pour le Québec.
Mon opinion, qui est aussi, je crois, celle de M. Braën et de M. Doucet, est que la partie VII de la loi est déjà exécutoire. On a donc un projet de loi et une loi exécutoire qui ne mentionnent pas spécifiquement la situation du Québec.
Avant que vous ne me le disiez vous-mêmes dans ce comité, je n'avais entendu personne dire qu'il y avait une inquiétude au Québec par rapport à la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Maintenant, tout ce qu'on veut faire est de clarifier dans la partie VII qu'elle est exécutoire. Vous dites que certaines personnes pourraient avoir des inquiétudes. Je ne comprends pas exactement sur quoi se fondent ces inquiétudes. Des inquiétudes au sujet de quoi? La crainte que le gouvernement fédéral se rende au Québec et prenne toutes sortes de mesures qui soient au désavantage de la majorité linguistique? Je vais vous donner mon opinion: le Québec a déjà cette protection. Mon opinion est peut-être différente de celle des autres, mais je pense que, quand les choses sont claires, il n'est pas nécessaire d'y ajouter quoi que ce soit.
Je veux aborder un autre aspect. Imaginez qu'on écrive dans le projet de loi qu'on peut regarder la réalité de la province et qu'on envoie ce projet de loi à toutes les provinces anglophones en leur disant que c'est ce qu'elles doivent utiliser pour protéger et respecter les minorités linguistiques. Le message qu'on donne à tout le monde est qu'il est possible de creuser afin de trouver des excuses pour ne pas respecter ses obligations. Au Québec, vous n'avez pas besoin de creuser, car vous avez déjà la protection. Mais les autres provinces vont commencer à creuser pour pouvoir se servir de cet ajout contre nous. Le danger est pour nous, les minorités linguistiques francophones à l'extérieur du Québec. C'est pourquoi je crois qu'il est dangereux d'ajouter un tel amendement.
Le président: Merci.
On poursuit avec M. Simard, qui partagera peut-être son temps de parole avec M. D'Amours.
L'hon. Raymond Simard (Saint Boniface, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Bienvenue, monsieur Caza.
Normalement, nous ne présentons pas les amendements au comité avant la fin des discussions, mais, dans ce cas-ci, tous les partis les ont présentés à l'avance. Je pense que cela a été très bénéfique pour nous, parce que nous avons eu la chance d'avoir des commentaires et des critiques non seulement sur les amendements du gouvernement, mais également sur les amendements de nos collègues conservateurs, qui avaient des préoccupations en ce qui concerne les compétences provinciales, et de nos collègues du Québec, qui voulaient extraire la province de l'application de la loi. Nous avons pensé dès le début que c'était très difficile de faire cela. Nous commençons à voir qu'il pourrait même être problématique d'ajouter qu'il faut tenir compte des réalités linguistiques. Je pense donc que cela nous a beaucoup aidés d'avoir présenté les amendements dès le début. En tout cas, personnellement, j'ai trouvé cela très bénéfique.
Vous avez dit tout à l'heure que, si on n'avait pas de recours, on n'avait pas de droit. J'ai trouvé cela intéressant. Je me demande si on finirait par avoir moins de procès si cela devenait clairement exécutoire, même si je sais que vous croyez que ça l'est déjà. En effet, les ministères se rendraient compte qu'ils ont l'obligation de respecter les droits des communautés minoritaires.
M. Ronald Caza: C'est absolument le cas.
M. Lauzon expliquait que ce n'est pas évident pour un membre d'une communauté. Vous-même avez donné l'exemple de quelqu'un de Cornwall qui a commencé à dire qu'il n'avait pas ses services du fédéral, qu'il n'y avait pas de mesure positive et qu'il pensait aller en cour. Je peux vous dire qu'il y a moins de chances que quelqu'un veuille tenter de faire valoir son droit si celui-ci n'est pas clair. Il y a moins de chances que ceux qui se doivent de respecter ce droit le respectent pour deux raisons. Premièrement, ce n'est pas clair. Deuxièmement, ils savent que les chances sont très minimes que quelqu'un aille devant les tribunaux.
Si la personne de Cornwall sait qu'elle va gagner en allant devant le tribunal parce que c'est clair, il y a deux impacts. Vous allez me dire qu'elle va peut-être y aller. Cependant, d'après mon expérience, je peux vous dire que ce n'est pas ce qui arrive en pratique. Celui qui doit respecter le droit le respectera, parce que l'autre aura un bâton pour le forcer à le faire. Si personne n'a de bâton, il n'y a aucun motif de respecter le droit et on ne se fie qu'à la bonne foi des gouvernements. Il y a des gouvernements à la bonne foi desquels on peut se fier, et il y en aura peut-être à la bonne foi desquels on ne pourra pas se fier. C'est pourquoi cela ne peut pas être une question de bonne foi. Il faut que ce soit une question de droit. La minorité a besoin de droits. Elle ne peut pas se fier à la bonne volonté de la majorité.
À (1025)
L'hon. Raymond Simard: Pourquoi, selon vous, la partie VII n'a-t-elle pas été incluse dans le paragraphe 77(1) au départ?
M. Ronald Caza: Selon nous, c'est quand même exécutoire. Je ne sais pas, c'est une question politique. Peut-être les gens ne réalisaient-ils pas au début à quel point c'était ou non exécutoire. Quand nous nous présentons devant le tribunal, nous travaillons avec la loi; nous ne nous demandons pas pourquoi la loi est ainsi libellée. Nous regardons les mots et les objectifs de la loi, et c'est avec cela que nous parlons à la cour. Ici, ce que nous regardons, c'est le projet de loi. Ce qui est important pour ceux qui plaident dans le domaine, c'est de travailler le mieux possible avec l'outil dont ils disposent.
L'hon. Raymond Simard: La Charte de la langue française a-t-elle préséance sur le projet de loi S-3?
M. Ronald Caza: Ce sont deux différents domaines. La Charte de la langue française s'applique à ce qui est de compétence provinciale. Lorsqu'il y a conflit entre la Charte de la langue française et la Loi sur les langues officielles, les tribunaux sont obligés de leur trouver une définition ou une application commune pour respecter leur objectif respectif. Dans l'affaire Casimir les tribunaux ont étudié ce que le Québec voulait faire dans son champ de compétence ainsi que ses obligations en vertu de la Charte et ils ont trouvé une définition qui satisfaisait ces deux aspects, une définition où on reconnaissait que le Québec était différent. C'est une définition un peu asymétrique où on appliquait la même loi au Québec, mais de façon différente. C'est ce qui sera toujours fait par les tribunaux.
L'hon. Raymond Simard: Merci.
Le président: Il vous reste 10 secondes.
L'hon. Raymond Simard: Merci, ça va.
Le président: Merci.
Monsieur Godin.
Une voix: Il n'est pas là.
M. Stéphane Bergeron: Sans commentaire.
Le président: Merci.
Pour en revenir au commentaire de M. Simard, si le seul amendement visait à inclure la partie VII dans le paragraphe 77(1), cela serait-il satisfaisant?
M. Ronald Caza: Excusez-moi, vous proposez d'amender le projet de loi S-3 qui est proposé? Voulez-vous limiter ça à S-3?
Le président: Je veux dire qu'au paragraphe 77(1)...
L'hon. Raymond Simard: On peut tout mettre de côté et assujettir la partie VII à l'application du paragraphe 77(1) de la loi.
M. Ronald Caza: Je veux être certain de bien comprendre. Suggérez-vous de ne pas adopter les paragraphes (1) et (2) et d'amender S-3 de manière à ce que seul le paragraphe (3) demeure? Écoutez, les avocats qui sont venus ont beaucoup parlé de l'article 77, mais je crois que c'était surtout parce que, d'un point de vue d'avocat, c'est un outil. Cependant, je crois que l'obligation imposée par l'article 41 est très importante, parce qu'elle fait en sorte que le gouvernement ne peut pas simplement s'asseoir et regarder le train passer. Je pense que c'est essentiel aujourd'hui. Ce l'était peut-être moins en 1969, en 1971 ou en 1978, mais aujourd'hui ça l'est beaucoup plus.
Les minorités linguistiques francophones à l'extérieur du Québec sont aujourd'hui plus vulnérables qu'elles ne l'ont jamais été. Vous m'avez donné des statistiques, monsieur André. J'en ai des pires que les vôtres. L'assimilation fait des ravages. Il n'y a pas une famille franco-ontarienne où il n'y a pas des membres — des frères, des soeurs — qui sont assimilés. Je vous le dis, cela fait des ravages. Il sera trop tard dans un an, deux ans, trois ans. Il faut prendre les mesures immédiatement. Il faut que ces obligations soient créées tout de suite.
Comme je l'ai dit au début de ma présentation, si on s'entend pour dire qu'il est essentiel au Canada de protéger nos minorités linguistiques et de s'assurer qu'elles puissent vivre dans leur langue et leur culture partout au Canada, si on est d'accord sur cela, on doit adopter le projet de loi et on doit le faire tout de suite.
Le président: Merci beaucoup.
M. Ronald Caza: Merci.
Le président: C'est fort intéressant.
M. Ronald Caza: Merci.
Le président: Je suspends la séance 60 secondes, puis nous poursuivrons à huis clos.
[La séance se poursuit à huis clos.]