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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 5 avril 2005




¿ 0900
V         Le président (L'hon. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.))
V         M. John Dixon (vice-président, British Columbia Civil Liberties Association)

¿ 0905

¿ 0910

¿ 0915
V         Le président
V         Mme Pamela Hurley (directrice, Projet des enfants témoins, Centre for Children and Families in the Justice System)

¿ 0920

¿ 0925
V         Le président
V         M. Bill Freeman (président, Writers' Union of Canada)
V         Le président
V         Mme Tamra Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien)
V         M. Marc David (président, Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien)

¿ 0930

¿ 0935
V         Le président
V         M. Marc David
V         Le président
V         M. Bill Freeman

¿ 0940
V         Mme Marian Hebb (représentante, Writers' Union of Canada)

¿ 0945
V         M. Bill Freeman
V         Mme Marian Hebb

¿ 0950
V         M. Bill Freeman
V         Le président
V         M. Myron Thompson (Wild Rose, PCC)
V         Le président
V         M. John Dixon
V         Le président
V         M. Marc David
V         Le président
V         M. Bill Freeman
V         Le président
V         Mme Pamela Hurley
V         M. Myron Thompson
V         Mme Marian Hebb

¿ 0955
V         M. Myron Thompson
V         M. Marc David
V         M. Myron Thompson
V         M. Marc David
V         Le président
V         M. John Dixon
V         Le président
V         M. Myron Thompson
V         Le président
V         M. Myron Thompson
V         Le président
V         M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ)
V         M. Marc David
V         M. Richard Marceau
V         M. Marc David
V         M. Richard Marceau
V         M. Marc David

À 1000
V         M. Richard Marceau
V         Mme Pamela Hurley
V         M. Richard Marceau
V         Mme Pamela Hurley
V         M. Richard Marceau
V         M. Marc David
V         M. Richard Marceau
V         M. Marc David
V         M. Richard Marceau

À 1005
V         M. Bill Freeman
V         Le président
V         M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD)
V         Mme Pamela Hurley
V         M. Joe Comartin
V         Mme Pamela Hurley
V         M. Joe Comartin

À 1010
V         M. Bill Freeman
V         Le président
V         M. John Dixon
V         Le président

À 1015
V         L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.)
V         M. Marc David
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         M. Marc David

À 1020
V         Le président
V         M. John Dixon
V         Le président
V         M. Rob Moore (Fundy Royal, PCC)
V         Mme Marian Hebb
V         M. Rob Moore
V         Mme Marian Hebb

À 1025
V         M. Bill Freeman
V         Le président
V         M. John Dixon
V         Le président
V         M. Rob Moore
V         M. John Dixon

À 1030
V         M. Rob Moore
V         M. John Dixon
V         Le président
V         M. Richard Marceau
V         M. Marc David
V         M. Richard Marceau
V         M. Marc David
V         M. Richard Marceau
V         M. Marc David
V         M. Richard Marceau
V         Le président
V         M. Joe Comartin
V         M. John Dixon

À 1035
V         Le président
V         M. Bill Freeman
V         Mme Marian Hebb
V         Le président
V         Mme Pamela Hurley
V         Le président
V         M. Joe Comartin
V         M. Marc David
V         M. Joe Comartin
V         Le président
V         M. Marc David
V         Le président
V         L'hon. Paul Harold Macklin

À 1040
V         M. Marc David
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         M. Marc David
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         M. Marc David
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         Le président
V         M. Mark Warawa (Langley, PCC)
V         Le président
V         Mme Pamela Hurley

À 1045
V         Le président
V         Mme Marian Hebb
V         Le président
V         M. Marc David
V         Le président
V         M. John Dixon

À 1050
V         Le président
V         M. Mark Warawa
V         Le président
V         M. Myron Thompson
V         Mme Marian Hebb
V         M. Myron Thompson
V         Mme Marian Hebb
V         M. Myron Thompson
V         Le président
V         M. John Dixon
V         M. Myron Thompson
V         Mme Marian Hebb
V         M. Myron Thompson
V         Mme Marian Hebb
V         M. Myron Thompson
V         Le président
V         M. Bill Freiman

À 1055
V         M. Myron Thompson
V         M. Bill Freeman
V         M. Myron Thompson
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 027 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 5 avril 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

¿  +(0900)  

[Traduction]

+

    Le président (L'hon. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)): La séance est ouverte. Le Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile poursuit son étude du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada.

    Nous allons entendre aujourd'hui des témoins. L'ordre du jour indique que nous avons d'autres affaires à traiter. Nous avons reçu trois motions et je voudrais également tenir une séance pour parler de la liste des témoins que nous entendrons au sujet du projet de loi C-17 lorsque nous en commencerons l'étude. Je vous propose de prévoir une séance spéciale de planification au cours de laquelle nous pourrons aborder ces questions sans essayer de les régler en deux ou trois minutes avant qu'un autre comité ne prenne la salle. Je vais demander à la greffière de trouver une heure qui vous convienne, après avoir consulté votre personnel; ce pourrait être mercredi à 15 h 30 ou quelque chose du genre. Voilà ce que je propose pour éviter d'écourter le temps dont nous disposons pour entendre nos témoins; j'aimerais avoir le consentement des membres du comité pour le faire. Sommes-nous d'accord?

    Des voix : D'accord.

    Le président : Nous allons donc commencer à entendre nos témoins.

    Il y a M. John Dixon, vice-président de la British Civil Liberties Association et Pamela Hurley, directrice, du Centre for Children and Families in the Justice System. Bienvenue.

[Français]

    Nous recevons aussi, de l'Association du Barreau canadien, M. Marc David, président de la Section nationale de droit pénal,

[Traduction]

et Tamra L. Thomson, directrice, législation et réforme du droit.

Les représentants de la Writers' Union ne semblent pas être encore arrivés mais la venue de M. Bill Freeman, président, et de Marian Hebb, représentante, de la Writers' Union of Canada a été confirmée et ils vont sans doute se joindre à nous un peu plus tard.

    J'invite les témoins à nous présenter un exposé d'une dizaine de minutes, après quoi nous passerons aux questions des membres du comité.

    Monsieur Dixon, je vous invite à commencer avec un exposé de dix minutes environ.

+-

    M. John Dixon (vice-président, British Columbia Civil Liberties Association): Merci beaucoup, monsieur le président.

    J'aimerais beaucoup être le président de la British Civil Liberties Association, parce que j'aurais beaucoup plus de membres, mais je suis le président de la British Columbia Civil Liberties Association.

    Pour bien utiliser mon temps et être bref, je vais vous lire certains commentaires et ensuite, s'il me reste du temps, j'ajouterai quelques observations. Je vais principalement parler de l'affaiblissement de la défense fondée sur la valeur artistique, aspect sur lequel j'aimerais attirer spécialement votre attention.

    Le projet de loi C-2 vise, notamment, à diluer la défense basée sur la valeur artistique que peut invoquer la personne accusée de possession de pornographie juvénile. La raison à l'origine de cette mesure est manifestement la façon dont le public a réagi à l'acquittement de John Robin Sharpe qui était accusé de possession de pornographie juvénile, dans son cas des oeuvres de fiction, que le juge du procès a qualifié d'oeuvres innocentes parce qu'elles comportaient des caractéristiques artistiques, notamment, littéraires. Le gouvernement subit donc des pressions pour qu'il réponde aux critiques qu'a formulées le public à l'égard de l'acquittement de Sharpe, en introduisant des mesures législatives ayant pour effet de modifier le droit de façon à rendre pratiquement impossible à l'avenir un acquittement de ce genre.

    Tout ceci se fait dans un climat d'ignorance générale du véritable contenu des dispositions législatives en matière de possession de pornographie juvénile, d'ignorance des lacunes constitutionnelles qu'ont relevées dans ces lois les juridictions inférieures, et surtout, d'ignorance des mesures extraordinaires qu'a prises la Cour suprême du Canada pour valider les règles relatives à la possession de pornographie juvénile en les reformulant. Personne n'établit la distinction cruciale qu'il faut faire entre l'infraction de publication de pornographie juvénile et l'infraction de simple possession. Rares sont ceux qui sont encore sensibles à la distinction essentielle qu'il faut faire entre les photographies et les enregistrements vidéos d'enfants exploités sexuellement et les poèmes, les tableaux, les histoires, les nouvelles et les sculptures qui sont des oeuvres d'imagination et sont produits sans exploiter qui que ce soit. Il y en a également beaucoup qui ne distinguent pas entre les règles qui interdisent la pornographie juvénile et celles qui interdisent l'exploitation sexuelle réelle des enfants.

    Enfin, seul un très faible pourcentage de la population a même remarqué que M. Sharpe a subi un procès et a été déclaré coupable de plusieurs chefs de possession de photographies pornographiques.

    Au départ, les règles en matière de pornographie juvénile, c'est-à-dire, au moment où elles ont été conçues initialement au début des années 90, sous le ministère de l'honorable Kim Campbell, se limitaient à la prohibition pénale des représentations photographiques, vidéo ou autres associées à l'agression sexuelle d'enfants réels. On voulait ainsi adopter une loi qui donnerait effet à la ratification par le Canada de la Convention relative aux droits de l'enfant en 1990, et unirait ainsi les Canadiens autour d'un objectif commun consistant à protéger les enfants, où qu'ils se trouvent, contre les agressions sexuelles.

    Cette loi a également été conçue comme un moyen d'obtenir le consentement du groupe de défense de la famille du Parti progressiste conservateur à l'inclusion de la protection des homosexuels dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui devait être mise à jour. La ministre de l'époque, l'honorable Kim Campbell, et son sous-ministre, M. John Tait—avec qui j'ai eu le privilège de travailler à l'époque en tant que conseiller en politiques—étaient conscients de la nature très spéciale d'une loi qui interdisait le simple fait de posséder du matériel expressif et ils ont insisté pour qu'on se concentre surtout sur la protection des enfants réels, tout en évitant soigneusement de faire de cette loi une arme dans la guerre contre la liberté d'expression.

    Ils ont toutefois rapidement constaté, lorsqu'ils ont consulté les groupes de défense de la famille et les groupes religieux, qu'une fois présenté un projet de loi sur la pornographie juvénile, il n'était pas possible d'exercer un contrôle sur les sujets débattus et de s'en tenir en même temps à l'objectif recherché au départ, ce qui les a amenés à mettre de côté les aspects juridiques. Le projet a toutefois été introduit par un autre ministre de la Justice à la veille d'élections générales dans le but, peut-on penser, d'essayer d'unifier les différentes factions qui existaient à l'époque au sein du caucus progressiste conservateur.

    Comme on l'avait craint, le ministère de la Justice n'a pas été en mesure de gérer les audiences des comités et les votes qui ont été pris à la Chambre des communes, ce qui a donné naissance à une situation où les députés souhaitaient tous montrer à la population qu'ils étaient plus désireux que leurs collègues de protéger l'innocence sexuelle des jeunes Canadiens. Le but initial qui consistait à protéger les enfants réels s'est estompé à mesure qu'a été élargie la portée de la loi pour lui faire englober toutes sortes d'oeuvres de l'imagination.

¿  +-(0905)  

    Nombreux sont ceux qui ont compris à l'époque qu'une partie de ce qui avait été ajouté à cette loi ne résisterait pas à une contestation constitutionnelle mais on a préféré, attitude qui n'est pas inhabituelle dans une situation particulière comme celle d'élections générales, voir là un prix minime à payer pour obtenir dans l'immédiat un avantage politique.

    Lorsque ces mesures ont été contestées, chose inévitable, dans l'affaire John Robin Sharpe, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a invalidé la loi parce qu'elle avait une portée trop large, et sa décision a été confirmée par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Lorsque l'affaire a été portée devant la Cour suprême du Canada, celle-ci a subi des pressions énormes pour « sauver les enfants » contre tous les maux qu'entraînerait, comme ces personnes le pensaient à tort, l'annulation des dispositions relatives à la possession de pornographie qui reviendrait à supprimer d'un seul coup toutes les dispositions légales interdisant l'exploitation sexuelle des enfants.

    Dans ces circonstances, la Cour suprême a tout fait pour confirmer la validité de la loi, ce qu'elle a réussi à accomplir en interprétant restrictivement la portée des matériels visés et en interprétant libéralement les moyens de défense offerts à l'accusé, en donnant principalement une vigueur nouvelle à la défense fondée sur la valeur artistique. Et je parle en particulier de la façon dont la juge en chef du Canada, Mme Beverley McLachlin, a appliqué la notion de valeur artistique dans le contexte particulier de la possession de pornographie juvénile.

    L'interprétation libérale de la défense de la valeur artistique constitue un des aspects clés des efforts déployés par la Cour. Celle-ci a considéré que cette défense devait jouer un rôle crucial pouvant compenser les lacunes de la loi, qui avaient amené les juridictions inférieures à la déclarer inconstitutionnelle. La Cour suprême, après avoir apporté certaines modifications et précisions pour valider la loi, a infirmé les décisions des juridictions inférieures et reconnu valides les règles relatives à la possession de pornographie juvénile. Comme vous le savez, l'affaire Sharpe a donné lieu à un nouveau procès en Colombie-Britannique, à la suite duquel Sharpe a été déclaré coupable à l'égard des photographies qui représentaient l'utilisation sexuelle d'enfants de moins de 17 ans et acquitté pour ses nouvelles à cause de leur valeur artistique.

    La B.C. Civil Liberties Association craint particulièrement que l'adoption de ce projet de loi expose la Cour suprême du Canada à subir les pressions d'un public mal informé et déraisonnable. Comme je l'ai déjà noté, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué dans l'affaire Sharpe qu'elle précisait l'importance et la portée de la défense fondée sur la valeur artistique parce qu'elle estimait qu'une loi qui incrimine le seul fait de posséder du matériel expressif constituait pour la liberté de penser une menace plus grave que les dispositions en matière d'obscénité, qui s'appliquent uniquement à la diffusion de certains matériels.

    À l'heure actuelle, le Parlement s'apprête à supprimer l'élément qui avait permis de valider la loi, élément qui a été fourni par une Cour suprême sensible à son objectif et consciente de son obligation de faire preuve, jusqu'à un certain point, de retenue face aux pouvoirs législatifs du Parlement. Si ce projet de loi Robin Sharpe est adopté, sa constitutionnalité sera certainement contestée et la Cour suprême sera placée devant un choix cornélien : agir comme elle le devrait, en respectant les décisions qu'elle a prononcées dans les affaires Butler, Little Sister's et Sharpe, et donc annuler les dispositions contestées et voir ensuite des députés opportunistes provoquer la colère de la population en criant à l'activisme judiciaire ou bien, esquiver les coups, soupirer, valider la nouvelle loi, et ouvrir la porte à des poursuites stupides intentées contre des artistes, des écrivains fondées sur ce qu'on aura pu découvrir dans les tiroirs de leurs bureaux, dans leurs garde-robe ou dans leurs ordinateurs.

    Si vous pensez que les députés sont incapables de faire preuve d'une partisanerie aussi déraisonnable, il suffit de rappeler les attaques qu'a lancées M. Harper contre M. Martin qu'il accusait d'être favorable à la pornographie juvénile parce qu'il n'avait pas décidé immédiatement de modifier la loi à la suite du procès Sharpe. Si nous pensons que les véritables artistes ne risqueront rien, il suffit de rappeler que la première poursuite intentée aux termes de la loi relative à la pornographie juvénile a amené la police de l'Ontario à faire une descente dans une galerie d'art.

    J'aimerais dire quelques mots des raisons pour lesquelles la possession de matériel expressif est une notion aussi importante.

    Les étudiants qui étudient la common law anglaise savent que la grande avancée qu'ont permis la Réforme et la Renaissance a été d'amener l'Église et l'État à abandonner ce qu'ils aimaient vraiment faire, à savoir découvrir les pensées avant qu'elles ne deviennent des mots, découvrir les idées avant qu'elles ne puissent se concrétiser par des actes. L'Inquisition et l'État considéraient que ce qui se trouvait dans les objets personnels des gens, et certainement dans leurs esprits étaient des cibles tout à fait légitimes de la censure imposée par l'État et l'Église.

¿  +-(0910)  

    Le grand progrès qu'ont apporté la Réforme et la Renaissance a été de limiter le pouvoir de l'État et de l'Église à ce que disaient les gens, à ce qu'ils publiaient, à ce qu'ils diffusaient, à ce qu'ils faisaient, et à ne pas se mêler de ce qu'ils pensaient, de ce qu'ils écrivaient dans leur journal intime, et des écrits non publiés qu'ils possédaient.

    Dans ce domaine, vous savez que la chose la plus facile à faire pour un gouvernement est d'adopter des tonnes de lois. Lorsqu'on ne peut rien faire d'autre, on adopte des lois.

    Ce qui est par contre difficile, et je considère que cela est très difficile, est de lutter contre la véritable pornographie juvénile. Pour les Canadiens, la pornographie juvénile, ce sont les images et les enregistrements qui montrent des personnes en train d'avoir des relations sexuelles avec des enfants. Il faut dire qu'en ce moment, ce genre de choses se trouve facilement sur Internet.

    Les premières dispositions relatives à la pornographie juvénile visaient à donner aux Canadiens une ébauche d'instrument légal permettant de cibler ce genre de chose. Il fallait pour y parvenir obtenir la collaboration d'autres pays mais la beauté d'une règle qui incrimine le fait de posséder une représentation photographique ou vidéo d'un enfant réel est qu'elle dissuade en partie certaines personnes d'utiliser des enfants pour produire ce genre de représentations, même si elles se trouvent dans d'autres pays, en Thaïlande, ou ailleurs en Asie, par exemple. Si ce genre de choses peut se vendre en Amérique du Nord, alors ils utilisent des enfants dans ces pays.

    Une façon d'empêcher ce genre de comportement serait d'adopter une disposition symétrique à celle qui réprime la possession de biens volés, et qui a inspiré au départ la conception de ce projet de loi. Les personnes qui savent qu'un bien est volé ne peuvent le posséder légalement parce que nous voyons dans ce comportement le prolongement du crime de vol. Il est également logique de voir dans les photographies et les enregistrements vidéos qui représentent des relations sexuelles avec des enfants réels le prolongement ou la continuation de leur agression et nous incriminons fort légitimement le seul fait de posséder ce genre de choses. Si l'on s'en tenait à cet objectif, on pourrait alors faire quelque chose.

    Il serait alors possible de consacrer des fonds à des actions visant à empêcher que des enfants soient utilisés à de telles fins mais cela nous amène, comme je l'ai mentionné, à faire la guerre à la liberté d'expression.

    Merci.

¿  +-(0915)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Dixon.

    Je suis sûr que vous aurez tout à l'heure la possibilité d'expliquer davantage votre point de vue. Je suis sûr que vous serez amené à répondre à plusieurs questions.

    Nous allons passer à Mme Hurley, du Centre for Children and Families in the Justice System, pour environ dix minutes.

+-

    Mme Pamela Hurley (directrice, Projet des enfants témoins, Centre for Children and Families in the Justice System): Merci.

    Bonjour. Je suis honorée de pouvoir prendre la parole devant le comité aujourd'hui. Je présente ce mémoire au nom du Child Witness Project du Centre for Children and Families in the Justice System. Le siège du centre est à London en Ontario. Le mémoire va porter sur les réformes procédurales proposées par le projet de loi C-2, et en particulier, sur les changements qui touchent l'article 486 du Code criminel.

    La raison pour laquelle je vais vous présenter ces observations est que nous travaillons depuis 18 ans avec des enfants qui ont été témoins et victimes, et qui ont été amenés à déposer devant les tribunaux. Depuis 1988, ce programme fournit des services de préparation judiciaire à plus de 1 000 enfants et a constitué une base de données sur 3 000 enfants qui porte sur leur expérience du système judiciaire, depuis le dépôt des accusations jusqu'à la fin du procès.

    En plus, une bonne partie de nos connaissances ont été acquises auprès des enfants. Dans les deux études de suivi qu'ont effectuées les responsables du projet, les enfants nous ont parlé du stress qu'ils avaient vécu devant les tribunaux. Ils décrivaient en détail dans une salle d'audience publique les agressions dont ils avaient fait l'objet—ils ont subi des contre-interrogatoires difficiles—et faisaient face à l'accusé. Les études recommandaient que les enfants puissent témoigner dans une autre pièce et avoir à leur côté une personne de confiance pendant qu'ils témoignent.

    Tous les enfants, des milliers d'enfants sont appelés à témoigner au Canada au sujet des infractions dont ils ont été victimes ou des actes de violence dont ils ont été témoins ou qu'ils ont subis. En 1988, la majorité des enfants qui témoignaient devant les juridictions pénales témoignaient au sujet d'agressions sexuelles. Depuis quelques années, les enfants sont de plus en plus souvent appelés à témoigner au sujet des mauvais traitements, des agressions physiques et de la violence conjugale dont ils ont été témoins. Le fait d'avoir à témoigner dans un système accusatoire les impressionne beaucoup et constitue un très lourd fardeau émotif sur ces enfants. La recherche et la pratique cliniques ont permis de mieux comprendre les mesures spéciales dont ont besoin les enfants qui témoignent et les facteurs qui compromettent leur capacité de faire un récit complet et sincère de ce qu'ils ont vu. Au Canada, depuis 1988, des réformes novatrices ont été introduites dans le domaine de la participation des enfants au système judiciaire et celui-ci est devenu moins intimidant et plus sensible aux besoins des enfants.

    Les dispositions législatives actuelles comportent néanmoins de graves lacunes pour ce qui est des enfants et des adultes vulnérables. En effet, la plupart des mesures de protection spéciales sont discrétionnaires, et leurs conditions d'application sont trop strictes; elles sont donc sous-utilisées. De plus, les dispositions en matière de preuve s'appliquent uniquement à certaines infractions pénales. Cela veut dire que des enfants vulnérables et traumatisés—des enfants qui ont, par exemple, été témoins de meurtre ou de tentative de meurtre—n'ont pas accès aux aides testimoniales, parce que ces infractions ne font pas partie des infractions énumérées.

    Les diverses aides au témoignage ont pour but de réduire l'anxiété que ressent l'enfant à l'idée de témoigner et fournissent aux témoins des conditions favorables au témoignage. C'est pourquoi nous pensons que ces mesures de protection devraient pouvoir être offertes à tous les enfants de moins de 18 ans et aux témoins vulnérables.

    Comme je l'ai mentionné, notre mémoire porte sur les réformes procédurales proposées par le projet de loi. Je vais commencer par l'exclusion du public. Cet article tient compte du fait que les enfants qui témoignent et les témoins vulnérables ont beaucoup de difficulté à témoigner dans une salle d'audience publique; ils sont nombreux à avoir déclaré qu'ils avaient ressenti une grande gêne à témoigner dans une salle d'audience remplie d'étrangers ou d'observateurs hostiles. Le sentiment de honte et d'humiliation les empêche parfois de décrire en détail l'agression dont ils ont fait l'objet. La présence d'étudiants du secondaire en visite dans la salle d'audience est également une source de stress et peut porter atteinte au droit des adolescents à la dignité et à la vie privée. Malgré tout cela, notre expérience nous a appris qu'il est extrêmement rare que le public soit exclu de la salle d'audience dans les affaires où des enfants témoignent. Nous sommes heureux que le projet de loi C-2 donne aux tribunaux un pouvoir élargi qui les autorise à limiter l'accès du public aux salles d'audiences lorsque des jeunes témoignent.

    Le deuxième point porte sur la personne de confiance. L'article proposé reconnaît manifestement l'importance de fournir un soutien affectif aux témoins parce qu'il étend cette disposition aux personnes de moins de 18 ans appelées à témoigner.

¿  +-(0920)  

Se retrouver à la barre des témoins peut être une expérience intimidante et effrayante. Les enfants et les adultes vulnérables craignent souvent pour leur propre sécurité. La présence rassurante d'une personne de confiance à leur côté peut réduire leur anxiété et faciliter leur déposition. Le fait qu'une personne de confiance accompagne le témoin ne fait pas disparaître la nécessité des autres aides testimoniales. Il peut être bon pour les enfants qu'une personne de confiance les accompagne lorsqu'ils sont appelés à témoigner par télévision en circuit fermé ou derrière un écran.

    Il convient de mentionner à propos du témoignage à distance et du témoignage à l'aide de télévisions en circuit fermé que le fait d'avoir à témoigner devant ou en présence de l'accusé est un des principaux facteurs de stress pour les enfants qui témoignent. Les jeunes témoins et les témoins vulnérables sont souvent intimidés par la présence de l'accusé; cela les empêche de fournir une version complète des faits. Les recherches, l'observation du système judiciaire et les commentaires des jeunes témoins montrent que les témoins qui témoignent par télévision en circuit fermé sont moins intimidés et livrent une meilleure déposition. Ces dispositifs donnent aux enfants et aux témoins vulnérables un sentiment de sécurité et les protègent de la vue de l'accusé. Ils créent des conditions qui réduisent le stress et améliorent la qualité du témoignage de l'enfant. L'accusé, le juge et le jury ont quand même la possibilité d'observer le comportement de l'enfant pendant qu'il témoigne.

    Les aides testimoniales sont rarement utilisées au Canada et lorsqu'elles le sont, ce n'est pas de façon uniforme; l'expérience que vivent les enfants appelés à témoigner devant les tribunaux varie énormément. Les facteurs qui expliquent cette situation comprennent la portée limitée des dispositions législatives actuelles, ainsi que les attitudes du personnel judiciaire et l'existence de ressources et d'équipement.

    Nous nous réjouissons de cet article parce qu'il crée une présomption selon laquelle les enfants de moins de 18 ans et les témoins vulnérables peuvent avoir accès à un système de télévision en circuit fermé et à un écran. Cette modification apportera davantage d'uniformité et de prévisibilité aux enfants et aux témoins vulnérables.

    J'ai un bref commentaire à faire au sujet du contre-interrogatoire effectué par l'accusé. Nous sommes heureux de constater que cet article protège sur ce point les témoins de moins de 18 ans dans n'importe quel type d'instance.

    Nous sommes également favorables à l'article qui porte sur la publication de renseignements permettant d'identifier le témoin ou la victime. Nous recommandons respectueusement que l'identité des enfants appelés à témoigner dans des affaires de violence conjugale concernant leurs parents puisse également bénéficier de la protection qu'accorde cet article.

    Enfin, je vais faire un commentaire au sujet de la Loi sur la preuve au Canada. Ce sera un commentaire bref, parce que nous sommes favorables aux changements prévus par cet article par lesquels la personne de moins 14 ans est présumée habile à témoigner. Nous sommes heureux de constater que les enfants de moins de 14 ans ne seront pas tenus de prêter serment ou de faire une déclaration ou une promesse solennelle; ils seront uniquement obligés de promettre de dire la vérité.

    Nous sommes heureux de voir que cet article a été simplifié, parce qu'il existait une grande diversité dans la nature et la difficulté des questions qui étaient posées aux enfants dans les salles d'audience. La présomption prévue par cet article apportera une certaine uniformité et prévisibilité pour tous les enfants.

    Merci.

¿  +-(0925)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, madame Hurley.

    Je vois que M. Freeman et Mme Hebb sont arrivés.

    Nous sommes en train d'entendre les déclarations liminaires des témoins. Nous allons passer maintenant à l'Association du barreau canadien et vous aurez ensuite la possibilité de prendre la parole.

+-

    M. Bill Freeman (président, Writers' Union of Canada): Merci.

[Français]

+-

    Le président: Nous entendrons maintenant Mme Thomson, de l'Association du Barreau canadien. Je vous accorde 10 minutes, madame.

[Traduction]

+-

    Mme Tamra Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien): Je vais commencer et M. David poursuivra.

    L'Association du barreau canadien est très heureuse de comparaître devant le comité pour parler du projet de loi C-2.

    L'Association du barreau canadien est un organisme national qui représente plus de 38 000 juristes dans l'ensemble du Canada et les commentaires que nous allons vous présenter aujourd'hui ont été préparés par des membres de la section nationale de droit pénal. La section compte parmi ses membres des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense, ce qui lui permet de fournir un point de vue équilibré sur le projet de loi.

    Les grands axes de la mission de l'ABC sont l'amélioration de l'administration de la justice et l'amélioration du droit et c'est dans cette optique que nous avons préparé le mémoire qui vous est présenté et où vous trouverez nos commentaires.

    Je vais demander à M. David, le président de la section nationale de la justice, de vous présenter les commentaires portant sur les aspects substantiels du projet de loi.

+-

    M. Marc David (président, Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien): Merci.

    Je tiens à préciser aux membres du comité que je ne vais pas lire notre mémoire. Vous avez ce mémoire; il comporte 14 pages. D'une façon générale, nous sommes favorables à ce projet de loi. Nous recommandons d'apporter certains changements au projet et si, à la lumière de ces recommandations, ce projet était modifié, nous serions favorables, d'une façon générale, aux dispositions de ce texte.

    Compte tenu du temps limité dont nous disposons, mes commentaires vont porter sur ce qui nous paraît être un des aspects essentiels du projet de loi, à savoir, les dispositions concernant la pornographie juvénile. Permettez-moi de rappeler tout d'abord aux membres du comité ce qu'incrimine actuellement le code. Ce projet de loi a été déposé dans un certain contexte. Il n'incrimine pas un nouveau comportement. Il existe dans le code actuel des dispositions qui incriminent la pornographie juvénile et qui répriment le fait de montrer ou de décrire une activité sexuelle lorsque cette activité est explicite et concerne des personnes de moins de 18 ans. Elles incriminent également le fait de montrer, dans un but sexuel, un organe sexuel et la région anale d'un adolescent; cela figure actuellement dans le code. Elles incriminent aussi les écrits et les représentations visuelles dans la mesure où ces écrits et représentations préconisent ou conseillent des activités sexuelles avec des personnes de moins de 18 ans. C'est ce que j'appelle la disposition relative à l'incitation à la débauche. Il est illégal au Canada d'inciter d'autres personnes à avoir des activités sexuelles avec des mineurs.

    Le projet de loi élargit la portée de ces infractions; il incrimine maintenant le fait de représenter une activité sexuelle, dans un but sexuel, dans un écrit. Il tente également d'incriminer le fait de représenter une activité sexuelle dans un but sexuel dans un enregistrement sonore. C'est là le nouvel aspect qui élargit la définition de ces infractions. Le projet de loi a également pour effet important de redéfinir et recentrer les moyens de défense opposables à une accusation de pornographie juvénile. Je vais examiner ces aspects en détail.

    Les dispositions actuelles ont été déclarées constitutionnelles. C'est ce qui a découlé de l'arrêt que la Cour suprême du Canada a prononcé en 2001 dans l'affaire Sharpe. Vous êtes donc en train de modifier des dispositions que la Cour suprême a jugées valides, constitutionnelles et compatibles avec la liberté d'expression reconnue à l'alinéa 2b).

    Le projet de loi touche cet équilibre, et cet équilibre vise à concilier la nécessité d'incriminer certains comportements et celle de protéger la liberté d'expression. Le projet de loi modifie cet équilibre de deux façons. La première, dont j'ai déjà parlé, est que le projet étend la portée des infractions. Il restreint et réduit également certains moyens de défense. C'est cet équilibre qui était au coeur de la décision de la Cour suprême quand elle a confirmé la constitutionnalité des dispositions actuelles.

    Comme je l'ai dit, je vais faire des commentaires au sujet des nouvelles infractions et des moyens de défense mais avant de le faire, je voudrais mentionner aux membres du comité neuf points fondamentaux qui sont, d'après moi, à la base de l'analyse à laquelle le comité doit procéder. Je considère qu'ils constituent le point de départ de l'analyse du projet de loi que le comité est appelé à effectuer.

    Le premier point est que les Canadiens ont la pornographie juvénile en horreur. C'est incontestable. Les moeurs de la société canadienne n'ont pas évolué sur ce point. C'est un donné. Je peux vous donner des exemples qui montrent que les moeurs de la société canadienne ont évolué mais pas dans le cas de la pornographie juvénile. Les Canadiens sont unanimes à condamner la pornographie juvénile. La situation est très différente si vous prenez le cas des activités sexuelles entre adultes montrées à la télévision.

¿  +-(0930)  

    Lorsque j'étais enfant, je peux vous dire que ce que je voyais à la télévision pour ce qui est des activités sexuelles était très différent de ce que l'on peut voir 30 ou 40 ans plus tard. C'est donc là un exemple de domaine dans lequel les moeurs ont changé. Mais ce n'est pas le cas de la pornographie juvénile.

    Le deuxième aspect fondamental qui concerne ce projet de loi—et je l'ai déjà dit—est que les dispositions actuelles sont constitutionnelles. La loi actuelle est appliquée; les poursuites intentées aux termes de cette loi donnent la plupart du temps de bons résultats. La loi fonctionne bien.

    Le troisième point est qu'il faut savoir que notre Cour suprême a très clairement indiqué qu'il n'était pas possible d'incriminer tous les comportements touchant la pornographie juvénile. Il est impossible de définir dans le Code criminel une infraction qui rendrait illégales toutes les formes de pornographie juvénile et je renvoie sur ce point les membres du comité aux paragraphes 79 et 81 de l'arrêt Sharpe.

    Par conséquent, si le législateur veut rendre illégales et criminelles toutes les formes de pornographie juvénile, il doit savoir qu'il n'est pas possible de réaliser cet objectif. Je vous renvoie aux paroles de la juge McLachlin de notre Cour suprême sur ce point.

    Le quatrième point que je tiens à signaler est qu'il doit exister des exceptions et des moyens de défense et que ces dernières doivent être interprétées de façon libérale. C'est ce qui ressort de l'arrêt Sharpe de la Cour suprême, de sorte que tout projet de loi portant sur ce point doit en tenir compte. Je renvoie les membres du comité aux paragraphes 60 et 74 de la décision de la juge McLachlin sur ce point.

    Le cinquième point est que le fait d'incriminer un comportement touchant la pornographie juvénile doit pouvoir être concilié avec la liberté d'expression. Il est impossible d'éviter cette opération. Selon la Cour, la liberté d'expression comprend la notion de réalisation de soi et le droit à la possession de matériel expressif. C'est là encore ce qu'a enseigné la Cour suprême dans l'arrêt Sharpe et j'invite les membres à se reporter aux paragraphes 24, 34, 72 et 73 de l'arrêt Sharpe sur ce point.

    Mon sixième point est que les tribunaux doivent concilier ces intérêts, à savoir l'importance de réprimer la pornographie juvénile et la protection de la liberté d'expression. Je rappelle aux membres du comité les paroles prophétiques du sénateur Beaudoin qui étaient citées dans l'arrêt Sharpe, selon lesquelles plus une disposition législative est vague, plus elle donne de latitude aux tribunaux. La citation complète se trouve au paragraphe 127 de l'arrêt Sharpe.

    Les tribunaux vont également analyser les dispositions législatives en tenant compte du fait que les Canadiens sont unanimes à condamner la pornographie juvénile; par conséquent, les tribunaux doivent assumer un rôle plus actif pour protéger la liberté d'expression parce qu'aucune disposition législative adoptée dans ce domaine ne suscite de vives réactions de la part du public. Par exemple, si le Parlement adoptait une loi qui interdisait la diffusion à la télévision de toute forme de violence, ce sujet obligerait notre société à définir les limites de la liberté d'expression. Il n'y aura pas de mouvement de ce genre à l'égard de la pornographie juvénile et c'est la raison pour laquelle j'affirme que les tribunaux auront à coeur de protéger la liberté d'expression dans le contexte de la pornographie juvénile parce qu'aucune autre instance ne sera en mesure d'équilibrer ces dispositions législatives dans notre société.

    Le septième point est que de nos jours, la pornographie juvénile est plus répandue et plus accessible et que tout cela vient de l'Internet. C'est une réalité.

    Le huitième point, et je l'ai déjà dit, est que les dispositions en vigueur sont constitutionnelles parce que le législateur a prévu dans le régime actuel la conciliation d'intérêts divergents dans le cadre de moyens de défense élargis. Je vous renvoie sur ce point aux paragraphes 34, 74 et 110 de l'arrêt Sharpe.

    Enfin, mon dernier point concernant les aspects fondamentaux de l'analyse de ce projet de loi est que les exceptions reconnues par l'arrêt Sharpe sont très étroites. Elles concernent le matériel expressif créé par une personne pour son usage personnel exclusif et l'enregistrement privé d'activités sexuelles légales à des fins privées. L'exemple qu'a donné la Cour suprême est celui de mineurs qui exerceraient légalement des activités sexuelles, se filmeraient; ce comportement ne serait pas interdit grâce aux exceptions définies par la Cour suprême. Je vous renvoie sur ce point aux paragraphes 110 et 115 du projet de loi.

¿  +-(0935)  

    Passons maintenant aux nouvelles infractions et aux commentaires que nous avons formulés à leur égard; nous vous renvoyons au paragraphe...

+-

    Le président: Monsieur David, je vais devoir vous demander de conclure. Vous avez largement dépassé vos dix minutes.

+-

    M. Marc David: Très bien.

    Nous nous posons des questions au sujet des moyens de défense proposés dans le projet de loi. La notion de but légitime est vague. Elle n'est pas définie. Elle est inconnue en droit pénal. J'invite les membres du comité à réfléchir à la façon dont ils définiraient l'expression « but artistique légitime » s'ils devaient formuler des directives à ce sujet pour un jury. Cette notion est vague. Elle va faire l'objet de contestations constitutionnelles; cela est certain. Vous allez vous retrouver encore une fois dans la situation où il y aura une deuxième affaire Sharpe, où le matériel vraiment pornographique qui devrait être interdit et donner lieu à des poursuites ne fera l'objet d'aucune poursuite, parce que nos dispositions législatives seront dans des limbes constitutionnelles pendant de nombreuses années.

    Le deuxième point, pour ce qui est du moyen de défense, est que le projet de loi exige maintenant que ce moyen de défense ne pose pas un risque indu pour les enfants. La Cour suprême a toujours inclus cette notion dans la définition de l'infraction et non pas dans celle du moyen de défense.

    Voilà mes commentaires. Merci.

+-

    Le président: Très bien. Merci.

    Maintenant, pour la Writers' Union du Canada, est-ce M. Freeman qui va commencer?

+-

    M. Bill Freeman: Merci. Veuillez nous excuser encore une fois d'être arrivés un peu en retard.

    Je m'appelle Bill Freeman. Je suis le président de la Writers' Union of Canada. Marian Hebb, la conseillère juridique de l'union, m'accompagne. Nous avons préparé un mémoire et j'espère que vous aurez le temps de le lire.

    Je tiens à signaler que je parle également au nom de la League of Canadian Poets, de la Periodical Writers Association of Canada et de la Playwrights Guild of Canada. Ce sont toutes des organisations nationales qui représentent près de 3 000 écrivains professionnels au Canada. Nous bénéficions également de l'appui du Book and Periodical Council.

    Je dois vous dire que la liberté d'expression est une chose très importante pour nos membres. Vous pouvez le comprendre. Nous tenons à être clairs à ce sujet : nous faisons certaines critiques au projet de loi mais nos organisations sont très favorables à toute mesure destinée à lutter contre l'exploitation et l'agression sexuelles des enfants. Il demeure que certaines dispositions du projet de loi C-2 nous inquiètent beaucoup.

    C'est bien sûr parce que nos membres sont écrivains qu'ils sont particulièrement vulnérables dans ce domaine. Voici une courte liste des oeuvres de nos membres qui ont porté sur ces questions. Margaret Atwood a exploré la question de la sexualité des enfants de moins de 18 ans. Margaret Laurence a, dans The Diviners, abordé ce sujet. Susan Swan, Alice Munro, qui est peut-être la meilleure auteure de nouvelles en langue anglaise de nos jours, Ann-Marie MacDonald—sont toutes des auteures canadiennes importantes. Elles explorent la question de la sexualité des enfants, cela est vrai. C'est pourquoi un bon nombre d'entre elles se sentent très vulnérables à cause des changements apportés à ces règles—et il n'y a pas que ces auteures. Je devrais signaler que les auteurs de fiction destinés aux jeunes adultes explorent souvent la question de la sexualité des enfants. Ce sujet est considéré, dans le monde anglophone à tout le moins, comme un sujet littéraire tout à fait légitime.

    Ce projet de loi sur la pornographie juvénile va non seulement déclencher l'application des sanctions prévues par le Code criminel aux auteurs qui auront le malheur de transgresser les dispositions relatives à la censure mais il y a un autre aspect qui inquiète énormément les auteurs, c'est que ce projet risque de paralyser la création littéraire. Le risque est qu'il soit désormais illégitime de vouloir explorer ces sujets. Cela constitue en fait un problème très grave.

    Marian va aborder certains aspects plus juridiques.

¿  +-(0940)  

+-

    Mme Marian Hebb (représentante, Writers' Union of Canada): Comme mon collègue l'a déclaré, nous n'avons rien contre le fait que la loi protège les enfants réels. La loi le fait déjà, comme elle le devrait. En 1992, dans l'arrêt clé sur le critère de l'obscénité, l'affaire Butler, la Cour suprême du Canada a exclu de la définition de l'obscénité le matériel généralement toléré par la collectivité, mais uniquement dans le cas où aucun enfant réel n'a participé à la production de ce matériel.

    Nous pensons que le véritable problème n'est pas que les lois canadiennes ne permettent pas de protéger suffisamment les enfants contre l'exploitation et les agressions sexuelles mais plutôt que le Canada a adopté des stratégies inadéquates et qu'il a consacré des ressources insuffisantes aux efforts que déploie la police pour mettre les enfants réels à l'abri de tout danger. En janvier, le gouvernement fédéral a créé cybertip.ca, une ligne d'appel nationale permettant de lutter en ligne contre l'exploitation sexuelle des enfants. Ce programme a été conçu pour recevoir des dénonciations de la population et les transmettre ensuite aux services de police.

    Nous nous réjouissons de voir le gouvernement lancer de telles initiatives visant à protéger les enfants contre les prédateurs pédophiles. La série de projets de loi qui ont été présentés en réaction à l'affaire Sharpe constituent par contre une façade destinée à faire croire au public que l'on s'occupe des problèmes que soulève la pornographie juvénile. Il convient de rappeler que Robin Sharpe a été déclaré coupable de deux chefs de possession de pornographie juvénile, de photographies d'enfants réels et condamné à une peine d'emprisonnement, même s'il n'a pas été déclaré coupable à l'égard des histoires qu'il avait écrites.

    En 2003, le projet de loi C-20 avait pour objectif de combler les lacunes de la Loi sur la pornographie de 1993 en supprimant les moyens de défense, y compris celui qui est fondé sur la valeur artistique. Il y a eu ensuite le projet de loi C-12, qui a eu à peu près le même effet. Il y a aujourd'hui le projet de loi C-2, qui introduit des restrictions inutiles et non souhaitables à la liberté d'expression.

    Au moment de son introduction, nous avons mentionné que l'article sur la pornographie juvénile constituait une violation injustifiable de la liberté d'expression garantie par la Charte. Cet article a un effet paralysant sur l'expression, puisqu'il incite les auteurs et d'autres à s'autocensurer pour éviter les poursuites. Nous avons été très soulagés de voir que la Cour suprême du Canada avait reconnu la constitutionnalité des dispositions relatives à la pornographie juvénile mais avait interprété de façon très large le moyen de défense fondé sur la valeur artistique.

    Nous pensons que le projet de loi C-2 est contraire à la Charte parce qu'il étend la définition de la pornographie juvénile pour qu'elle comprenne la description de certains actes qui constituent des infractions au Code criminel et remplace par un autre moyen de défense celle qui était fondée sur la valeur artistique. Le nouveau moyen de défense fondé sur l'existence d'un but légitime lié aux arts comporte un autre élément. Outre l'existence d'un but légitime lié aux arts, l'accusé doit présenter des preuves montrant que son oeuvre ne pose pas un risque indu pour les personnes âgées de moins de 18 ans. Cette nouvelle condition vient restreindre le premier volet du moyen de défense et met en danger des oeuvres d'art sérieuses. C'est la police et les poursuivants et finalement, les tribunaux qui devront décider si l'oeuvre en question pose un risque indu pour les enfants.

    Nous ne savons pas comment la Cour suprême va interpréter ces dispositions. Nous notons cependant que la juge en chef Beverley McLachlin, écrivant au nom de la majorité dans l'affaire Sharpe, a déclaré : « Restreindre le moyen de défense fondé sur la valeur artistique à ce qui n'expose les enfants à aucun risque de préjudice contrecarrerait l'objet de ce moyen de défense ». Je pense qu'il serait bon de ne pas oublier cette affirmation.

    Nous pensons que c'est en interprétant largement le moyen de défense fondé sur la valeur artistique qui existe dans la loi actuelle que la Cour suprême a réussi à éviter, dans l'arrêt Sharpe, de déclarer inconstitutionnelles les dispositions relatives à la pornographie juvénile. Nous pensons que le fait d'avoir restreint ce moyen de défense en y ajoutant une autre condition, à savoir que l'oeuvre ne doit pas poser un risque indu pour les enfants, ne permettra pas aux tribunaux de reconnaître la validité des dispositions relatives à la pornographie juvénile puisque celles-ci sont contraires à la Charte.

    Les efforts qu'il faudra déployer pour préciser le sens exact de ce nouveau moyen de défense coûtera très cher à la collectivité en services de police et services judiciaires ainsi qu'aux inculpés. Nous pensons que les dispositions actuelles du Code criminel couvrent déjà suffisamment le matériel que le nouveau projet de loi veut apparemment à cibler. Nous sommes très déçus de constater que les rédacteurs du projet de loi C-2 n'ont pas saisi l'occasion de modifier les définitions très larges et très générales de la pornographie juvénile qui ont été adoptées en 1993. En l'absence du moyen de défense fondé sur la valeur artistique et reconnu par la Cour suprême, nous estimons que le droit actuel est très préoccupant.

¿  +-(0945)  

+-

    M. Bill Freeman: Cette préoccupation est très réelle. Lorsqu'on pense à certaines oeuvres d'écrivains, d'écrivains qui ont existé... Une bonne partie des oeuvres les plus controversées, qui sont également les plus intéressantes pour beaucoup d'écrivains, explorent les questions liées à la sexualité. Je peux mentionner Lolita, Roméo et Juliette—Juliette était, selon la tradition, âgée de 14 ans—West Side Story, Le tambour. Plus près de nous, il y a Alice Munro et Margaret Laurence. Le film sur l'éveil d'adolescents intitulé Gentle Sinners préparé par la CBC est basé sur le roman de Bill Valgardson. Serait-il qualifié de pornographique? Là encore, cette oeuvre explore ces questions.

    Si vous changez le droit de cette façon, nous estimons que vous obligerez les écrivains à devoir se défendre contre ce genre d'accusations. Si le projet de loi C-2 est adopté, la pornographie juvénile telle que définit par le Code criminel comprendra également tout écrit dont la caractéristique dominante est « la description, dans un but sexuel, d'une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans ». Cela deviendra une infraction prévue par le Code criminel et je signale aux membres du comité qu'il y a de nombreux écrivains qui explorent ce genre de thèmes. Vous allez donc les mettre en danger.

    Par exemple, les producteurs de films ou de pièces de théâtre auront-ils le droit de créer une oeuvre de fiction en se basant sur Daddy's Girl de Charlotte Vale Allen ou My Father's House de Sylvia Fraser? Ces romans traitent non seulement de la pornographie juvénile mais de l'exploitation et de l'agression des enfants par des parents—des sujets horribles. Mais ces sujets, et le fait que ces romans aient été écrits, ont permis au public canadien de s'exprimer sur ces questions et d'en discuter. Les écrivains s'opposent tout à fait à ce que l'on garde ces choses secrètes. Le secret peut avoir un effet dévastateur, en particulier dans ce domaine. Il est très grave d'empêcher que l'on puisse parler de ce genre de choses.

    Je vais maintenant redonner la parole à Marian.

+-

    Mme Marian Hebb: Une observation complémentaire sur ce qui précède, je dirais que ces livres sont en fait écrits comme de la fiction. Ils constituent ce que nous appelons des essais créatifs mais ce sont en fait des études qui portent sur des enfants qui grandissent avec l'inceste dans leur famille.

    En conclusion, nous estimons que les changements que l'on se propose d'apporter aux infractions relatives à la pornographie juvénile du Code criminel vont créer des infractions qui sont contraires à la Charte. Leur formulation demeure vague et ces changements vont augmenter le risque que les pouvoirs discrétionnaires de porter des accusations contre les créateurs d'oeuvres écrites, visuelles ou sonores soient exercés de façon arbitraire.

    Nous affirmons que si le projet de loi doit être modifié, il devrait être modifié pour réprimer l'agression et l'exploitation des enfants réels et non pas d'enfants fictifs ou imaginaires. Insérer l'expression « dans un but sexuel » dans la partie de l'infraction qui traite de ce que nous appelons la clause de représentation visuelle de Roméo et Juliette, peut faire en sorte que la poursuite soit tenue d'établir à la fois l'absence de but légitime relié aux arts et l'absence de risque indu pour les personnes âgées de moins de 18 ans, à titre d'élément de l'infraction dont est accusé l'auteur—cette disposition ne devrait pas imposer à l'accusé le fardeau de présenter des preuves.

¿  +-(0950)  

+-

    M. Bill Freeman: Comme c'est le cas pour les représentants du barreau qui nous ont précédés, la liberté d'expression est une question qui concerne tous les citoyens et je crois, de façon particulière les écrivains et les créateurs. Nous estimons que les changements proposés vont inciter les écrivains et les autres artistes à se censurer et auront un effet paralysant sur l'expression des idées. Cela est tout à fait inacceptable dans une société où la liberté d'expression est une valeur. Nous invitons le Parlement à supprimer de ce projet de loi important qui a pour but de protéger les enfants les modifications qu'il apporte à l'article 163.1 du Code criminel.

    Je crois qu'il faut vous demander si vous voulez vraiment placer les écrivains dans une situation aussi précaire. Nous vivons dans une société libre. Les écrivains sont très engagés. Il est déjà souvent arrivé que les écrivains soient poursuivis et doivent se défendre, tout comme les créateurs, en général. Nous sommes directement touchés par ce débat et nous avons besoin de dispositions législatives qui protègent les personnes qui choisissent d'explorer des sujets manifestement délicats.

    Je vous remercie.

+-

    Le président: Très bien. Merci.

    Nous allons maintenant passer à des rondes de questions et réponses de cinq minutes. Nous allons commencer par M. Thompson pour cinq minutes.

+-

    M. Myron Thompson (Wild Rose, PCC): Merci à tous d'être venus ici.

    Cinq minutes est une période très courte; je vous invite donc à me répondre brièvement et je vais essayer de vous poser des questions brèves.

    Je vais poser une question et je vais vous demander à tous d'y répondre. Je pense que nous avons l'obligation de protéger nos enfants; c'est là un des aspects les plus importants et les plus fondamentaux de notre travail. Je préfère me tromper du côté de la sécurité des enfants que sur celui de la liberté d'expression. Ai-je tort?

+-

    Le président: Monsieur Dixon.

+-

    M. John Dixon: Et bien, si vous voulez lutter, faites-le intelligemment. Ce projet de loi divise la population canadienne alors que si vous combattiez vraiment la pornographie juvénile, qui pour tous les Canadiens se résume à des photographies et des vidéos qui représentent des enfants utilisés à des fins sexuelles, vous n'auriez personne contre vous à part Robin Sharpe. Nous pourrions alors nous occuper d'adopter des mesures qui pourraient effectivement empêcher que les enfants soient utilisés de cette façon.

+-

    Le président: Monsieur David.

+-

    M. Marc David: Pour nous, le problème est que ce projet de loi va raviver le débat constitutionnel. Il va encore une fois introduire une grande incertitude dans l'application de la loi pendant plusieurs années et c'est notre principal message. Vous modifiez l'équilibre qui existait entre la liberté d'expression et l'incrimination de la pornographie juvénile en allant au-delà des paramètres qu'a fixés la Cour suprême dans Sharpe, de sorte que cela va susciter un débat constitutionnel.

+-

    Le président: Monsieur Freeman.

+-

    M. Bill Freeman: Et bien, c'est au législateur d'instaurer un équilibre; je suis vraiment convaincu que c'est à vous de le faire. Je peux vous dire que du point de vue des écrivains, il n'y a pas d'équilibre. Vous allez mettre en danger nos écrivains et je crois que c'est une erreur.

+-

    Le président: Madame Hurley.

+-

    Mme Pamela Hurley: Je pense qu'il faut effectivement protéger les enfants contre l'exploitation et les mauvais traitements. J'estime que les écrits et les discussions qui portent sur eux dans un but sexuel posent un problème. Je dirais qu'il y a des oeuvres littéraires qui décrivent effectivement des actes sexuels mais je trouve par contre que les magazines pornographiques qui représentent des enfants exerçant ce genre d'activité constituent un grave danger.

+-

    M. Myron Thompson: Merci.

    Je ne pense pas avoir obtenu de réponse. Vous ne m'avez pas permis de mieux comprendre le problème. Je veux toujours protéger les enfants; cet aspect passe avant tous les autres.

+-

    Mme Marian Hebb: Je vais vous donner une réponse légèrement différente. Il est très difficile de contester votre affirmation selon laquelle il vaut mieux se tromper du côté de la protection des enfants. Et bien, évidemment, c'est ce que nous devrions faire, mais le problème est que si nous errons de ce côté-là, la Cour suprême va annuler les dispositions.

¿  +-(0955)  

+-

    M. Myron Thompson: Je pense avoir entendu quelqu'un affirmer qu'il n'est pas possible de rendre illégales toutes les formes de pornographie juvénile. Cela me paraît assez pessimiste. Ce n'est pas optimiste.

+-

    M. Marc David: C'est moi qui ai mentionné cela mais ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est la Cour suprême.

+-

    M. Myron Thompson: Mais pourquoi cela n'est-il pas possible? À cause de la Charte?

+-

    M. Marc David: Parce que si l'on adopte une loi trop large, trop générale et englobante pour ce qui est des comportements incriminés, elle va nécessairement aller à l'encontre de la liberté d'expression. C'est ce qu'a clairement énoncé la Cour suprême.

+-

    Le président: Monsieur Dixon.

+-

    M. John Dixon: Une partie du problème vient, monsieur, de la façon dont est définie la pornographie juvénile. Si le droit positif affirmait que la pornographie juvénile est la représentation sexuelle de toute personne de moins de 25 ans, je pense que vous reconnaîtriez qu'il y a un problème. Lorsqu'on définit la pornographie juvénile comme visant toute personne de moins 18 ans, cela pose un grave problème.

    L'autre soir, Jay Leno parlait de trois jeunes de 17 ans qui avaient eu des relations sexuelles avec leur professeure de 24 ans. La professeure a été congédiée. Leno a attendu un moment et a mentionné ensuite que les jeunes gens avaient été libérés et essayaient de trouver de l'argent pour la libérer. Nous ne pensons pas habituellement que les jeunes gens de 17 ans souhaitent vraiment qu'on les protège contre les attentions sexuelles que leur prodiguent les femmes de 24 ans.

    Si vous voulez parler de pornographie juvénile, parler des jeunes enfants, et alors, tous les Canadiens seront avec vous.

+-

    Le président: Monsieur Thompson, 30 secondes.

+-

    M. Myron Thompson: Trente secondes. J'aurais besoin d'un quart d'heure.

    Il me semble qu'il y a beaucoup de Canadiens pour qui la protection des enfants est une chose extrêmement importante mais il y a beaucoup d'autres choses qui sont tout aussi importantes. Je veux dire, lorsqu'on parle de jeunes de 17 et 16 ans. Il va y avoir beaucoup de... lorsque la police vient les arrêter et porter des accusations et toutes ces choses. Il faut donner aux policiers des pouvoirs très souples.

    Je pense que le bon sens est devenu une chose rare dans notre pays, pour la principale raison que nous affirmons que certaines choses ne sont pas possibles. Et bien, tout est possible. Même avec la Charte des droits, il y a l'article 33. Les gens qui aiment la Charte n'aiment peut-être pas beaucoup l'article 33 mais je n'hésiterais pas à l'utiliser pour mettre fin à la pornographie juvénile.

    J'ai visité des centaines et des centaines de victimes. J'ai été dans des prisons où j'ai rencontré des détenus qui m'ont déclaré clairement que c'est à cause de la pornographie juvénile qu'ils s'étaient rencontré là où ils sont. Tous les travailleurs qui s'occupent d'eux l'ont reconnu, tout comme les psychologues. Rien ne peut excuser le laxisme à l'égard de la pornographie, ne serait-ce que pour cette raison.

+-

    Le président: Merci, monsieur Thompson.

    J'allais vous féliciter d'avoir bien utilisé votre temps de parole mais vous avez un peu dérapé à la fin.

+-

    M. Myron Thompson: Je ne voulais pas battre mon record.

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Marceau, vous disposez de cinq minutes.

+-

    M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ): Merci, monsieur le président.

    Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui.

    Tout d'abord, maître David, vous aviez beaucoup de choses à dire, mais vous avez eu peu de temps. Concernant l'aide au témoignage, un témoin a suggéré la semaine dernière qu'on modifie le projet de loi de manière à faire en sorte que la Couronne puisse demander que soit utilisée la télévision pour les témoignages d'enfants avant le procès, ce qui est impossible à l'heure actuelle. À l'heure actuelle, la Couronne doit faire une telle demande d'aide au témoignage pendant le procès. On a suggéré de donner à la Couronne la possibilité de faire la demande avant le début du procès.

+-

    M. Marc David: Par voie de requête préalable au procès.

+-

    M. Richard Marceau: Êtes-vous d'accord sur cette chose?

+-

    M. Marc David: Je vais vous donner la réponse que je dois vous donner. L'association que je représente aujourd'hui n'a pas évalué cette question. Il m'est donc impossible de me prononcer là-dessus au nom de mon association.

+-

    M. Richard Marceau: Qu'en pensez-vous personnellement?

+-

    M. Marc David: Je ne verrais aucun inconvénient à ce qu'on puisse faire une requête préalable au procès. Plusieurs questions de droit peuvent être soulevées avant le procès afin que le procès soit plus efficace, surtout lorsqu'il s'agit d'un procès devant jury. Lorsqu'un jury est convoqué, on ne veut pas gaspiller son temps, et on fait des requêtes préalables quand il s'agit de questions de droit sur lesquelles le juge doit se prononcer, telles que l'admissibilité d'une preuve. Je pense qu'un tel exercice pourrait très bien se faire lorsqu'il est indiqué qu'une personne témoigne à l'aide d'un écran de télévision.

À  +-(1000)  

+-

    M. Richard Marceau: Madame Hurley, que pensez-vous de cette question?

[Traduction]

+-

    Mme Pamela Hurley: Je crains que les requêtes n'aient pour effet de prolonger le temps que l'enfant passe au sein du système de justice pénale. Je pense que les enfants sont déjà stressés à l'idée d'avoir à témoigner deux fois. Je sais qu'au Royaume-Uni, on enregistre sur vidéo l'enquête préliminaire et que cela donne de bons résultats.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Ce serait pour éviter que l'enfant soit en cour pendant que ce débat a lieu, pour éviter que cet enfant passe beaucoup de temps en cour. La demande serait faite avant le procès pour éviter à l'enfant un événement stressant comme celui-là.

[Traduction]

+-

    Mme Pamela Hurley: Je serais d'accord si la requête était simple. La situation actuelle est telle, même avec les aides testimoniales qui existent à l'heure actuelle, que les arguments juridiques que l'on présente au tribunal au sujet de l'utilisation de la télévision en circuit fermé durent des mois et font appel à l'opinion d'experts. Si c'était une requête simple à laquelle on pouvait répondre par oui ou non, alors je serais tout à fait d'accord et l'enfant n'aurait à témoigner qu'une seule fois.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Merci beaucoup.

    Maître David, voulez-vous ajouter quelques mots?

+-

    M. Marc David: J'aimerais compléter ma réponse, toujours à titre personnel.

    Évidemment, si on faisait une requête préalable au procès et que la requête était refusée, est-ce qu'on réévaluerait la nécessité du témoignage? Cela pourrait être une des conséquences d'une requête préalable au procès.

+-

    M. Richard Marceau: Vous êtes un expert en droit pénal, maître David. Le projet de loi C-2 est la nouvelle mouture d'un autre projet de loi qui est mort au Feuilleton pendant la dernière législature. Voyez-vous une différence entre la défense de but légitime dont il est question dans le projet de loi C-2 et celle de bien public dont on parlait dans l'ancien projet de loi?

+-

    M. Marc David: Oui. La défense de bien public existe surtout dans le contexte de l'infraction en matière d'obscénité. En fait, dans l'actuel projet de loi, le concept du bien public est incorporé à la question de la pornographie juvénile. Dans un jugement de la Cour suprême, la juge McLachlin parle de ce concept de bien public. Dans le contexte de la pornographie juvénile, malheureusement, il n'y a aucune interprétation judiciaire qui existe. Elle ne se prononce pas sur le concept parce que ce n'était pas vraiment la question qui était en litige dans cette décision.

    Oui, cela existe, mais à ce jour, cela n'a pas été invoqué ou interprété par les tribunaux dans le contexte de la pornographie juvénile.

+-

    M. Richard Marceau: Monsieur Freeman, ne m'en voulez pas. Je vais jouer l'avocat du diable avec vous pendant quelques instants.

    Il semble assez clair que la crainte dans les milieux artistiques, du moins de ceux et celles que j'ai rencontrés depuis le début de ce débat, n'est pas d'être trouvé coupable de pornographie infantile, mais plutôt de se faire accuser de pornographie infantile. L'expression que vous avez utilisée

[Traduction]

cela a un effet paralysant sur les écrivains.

[Français]

    Si M. et Mme Tout-le-monde regardaient cela, ils diraient que pour trouver l'équilibre entre cette crainte non pas d'être reconnu coupable mais d'avoir des tracas juridiques, et la protection de l'enfant, on devrait mettre l'accent sur la protection de l'enfant parce que l'artiste ne sera fort probablement pas trouvé coupable. Les gens nous donnent souvent l'exemple de Langer, le peintre de Toronto qui a été accusé mais n'a jamais été trouvé coupable.

    Que répond-on à cela?

À  +-(1005)  

[Traduction]

+-

    M. Bill Freeman: Je vais répondre en anglais, si vous le permettez.

    Le problème, c'est la peur. J'en suis convaincu. La peur s'insinue dans une collectivité lorsque la loi... Si les artistes savent qu'ils vont faire l'objet de poursuites, s'ils craignent faire l'objet de poursuites, la force créatrice de la collectivité sera paralysée.

    Je vais vous raconter une anecdote. Margaret Laurence, une des grandes nouvellistes canadiennes anglaises, a écrit le livre The Diviners, qui porte en partie sur la sexualité des enfants de moins de 18 ans; son livre a été retiré des bibliothèques. Cela lui a porté un coup terrible. Je la connaissais personnellement. Il y a eu comme un vent de... Et c'étaient les bibliothèques. Elle n'a finalement pas été déclarée coupable.

    Mais l'autre côté de la médaille est que les écrivains vont dire : « Si vous adoptez ce projet de loi, il y a quelqu'un qui va essayer de se défendre et il faudra aller jusque devant la Cour suprême ».

    Je vais vous raconter une autre histoire, celle de Susan Swan, qui vient de publier un livre; c'est une de nos grandes nouvellistes. Dans son roman, deux adolescentes parlent de sexe. Il n'y avait aucune description d'actes sexuels. Il y a des gens en Alberta, monsieur Thompson, qui se sont plaints. Heureusement pour elle, l'agent de la GRC a lu le livre et a dit « Ah, ce n'est pas de la pornographie », et personne n'en a plus parlé.

    Susan est une amie très proche. Elle m'a dit qu'elle avait été terrifiée par ces réactions.

+-

    Le président: Je vais devoir donner la parole à quelqu'un d'autre. Merci, monsieur Marceau.

    Monsieur Comartin, pour cinq minutes.

+-

    M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Merci, monsieur le président.

    Merci à tous d'être venus ici.

    Madame Hurley, je ne sais pas si je vous ai mal comprise mais je crois que vous avez mentionné que nous avions manqué quelque chose, qu'il y avait une disposition interdisant d'identifier les enfants témoins et que nous avions manqué quelque chose. Je pense que vous parliez du cas où ces enfants seraient appelés à témoigner dans les affaires concernant leurs parents.

    J'ai rapidement examiné la loi. Je pensais que nous avions couvert toutes ces situations, que l'anonymat des enfants qui témoignaient était respecté mais si vous avez trouvé quelque chose, pourriez-vous nous le signaler?

+-

    Mme Pamela Hurley: Oui, je vais le faire.

    J'ai peut-être moi-même mal compris mais cela concerne la publication de renseignements susceptibles d'identifier les témoins dans les cas de violence conjugale et dans les cas où des enfants sont appelés à témoigner contre leurs parents. Je me suis récemment aperçue que dans une petite collectivité, il était possible d'identifier les enfants, même si leurs noms n'étaient pas mentionnés, parce que les renseignements concernant leurs parents permettaient de les identifier.

    Je ne sais pas très bien si l'article proposé est un article général qui protège tous les enfants mais j'ai constaté qu'il y avait ce genre d'affaires, parce que les autres sont énumérées.

+-

    M. Joe Comartin: Très bien, nous examinerons cela de plus près. Merci.

+-

    Mme Pamela Hurley: Merci.

+-

    M. Joe Comartin: Monsieur Freeman, je vais poser une question pour le compte de M. Thompson, parce qu'il n'a pas la possibilité de la poser. Il terminait son intervention et je pense qu'il allait vous la poser.

    Il pense, comme il l'a dit à d'autres témoins, que la pornographie juvénile, même celle dont la Cour suprême affirme qu'elle est impossible à interdire, incite les criminels à commettre des agressions contre les enfants. C'est cette idée-là. C'est le même argument que l'on entend et selon lequel il ne faut pas montrer de la violence à la télévision parce que cela crée de la violence dans la société. L'argument de M. Thompson est que si nous autorisons la représentation de la pornographie juvénile, cela va amener certaines personnes à commettre des actes criminels de nature sexuelle contre les enfants.

À  +-(1010)  

+-

    M. Bill Freeman: Je ne pense pas que cela soit vrai.

    J'ai quatre enfants, je le mentionne en passant, et j'ai été amené à réfléchir à ces aspects. Je crois, et je sais que les écrivains croient, qu'il est bon de discuter des choses importantes et qu'il faut en parler. Est-ce que cela encourage ce genre de comportement? Est-ce qu'un livre ou un journal qui traite de l'inceste encouragerait ce comportement? Je ne le pense pas. En fait, je n'en crois rien.

    Voulons-nous adopter des lois qui vont empêcher que l'on discute de ces questions? Je pense que c'est tout le contraire. Il faut espérer que nous aurons des lois qui vont directement aborder ces questions.

    Marian a amené un livre intitulé Change, écrit par Paulette Bourgeois, une des principales auteures de livres pour enfants, et ce livre traite de la puberté, surtout chez les filles. Il n'y a pas si longtemps, il y a quelques années, les parents avaient beaucoup de mal à parler à leurs filles de certains sujets. Nous avons dépassé cela. Nous ne voulons pas revenir à ce genre de situations. Nous voulons une société où il est possible de parler ouvertement de différentes choses, même des choses qui sont difficiles à aborder.

    Si vous adoptez une loi qui va placer les écrivains dans une situation de vulnérabilité, ils vont soit s'abstenir d'écrire ou le faire de façon clandestine—je ne sais pas.

+-

    Le président: Monsieur Dixon.

+-

    M. John Dixon: Il me paraît important de rappeler que ce projet de loi incrimine la possession de pornographie.

    Cet aspect a été soulevé devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, lorsque madame la juge Mary Southin a cité l'exemple de deux jeunes de 17 ans qui se marient et qui s'enregistrent sur vidéo en train d'avoir des relations sexuelles, et qui mettent cet enregistrement dans un tiroir, peut-être pour le regarder quelques années plus tard. C'est de la pornographie juvénile. Du moins ce l'était, jusqu'à ce que la loi soit interprétée de façon restrictive par la Cour suprême du Canada. Madame la juge Southin a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'incriminer ce genre de comportement. Le juge en chef Alan McEachern a déclaré : « Un instant. Je pense qu'il faut également incriminer ce genre de chose, parce que, si quelqu'un s'introduisait dans la maison et s'emparait de l'enregistrement vidéo, que se passerait-il? »

    C'est à ce sujet que la Cour suprême a déclaré, tout comme l'ont fait deux des trois juges de la cour d'appel, que cela constituait de la pornographie juvénile aux termes de la loi mais qu'il n'était pas possible de continuer à criminaliser ce genre de chose sans porter gravement atteinte à la liberté de pensée.

    Si tout ce que l'on peut qualifier de pornographie juvénile avec cette loi ne peut faire l'objet d'un moyen de défense, alors on créera une situation tout à fait insupportable et contraire au sens commun.

    Il y a un autre problème terrible et là encore Mary Southin en a parlé. Cela touche la remarque qu'a faite M. David au sujet du fait de conseiller certaines choses. Madame la juge Southin a déclaré : « N'ai-je pas le droit d'aller sur la rue Hornby et de préconiser le renversement du gouvernement canadien par la violence et d'inciter les gens à avoir des relations qui seraient illégales? Je peux le faire. Nous avons des lois qui protègent le droit de parole. Je ne suis pas en train de comploter. Mais si j'écris cela et que je le cache dans mon tiroir, alors je suis en possession d'un écrit qui conseille certaines choses et cela constitue une infraction d'après les dispositions relatives à la pornographie. Il est stupide de pouvoir dire quelque chose dans la rue, de publier ces paroles, d'en débattre sérieusement, de diffuser ces idées, de les conseiller, mais de se retrouver dans l'illégalité si on a dans un tiroir des écrits qui contiennent les mêmes idées. »

    Ce point n'a pas été abordé par la Cour suprême du Canada mais si la Cour suprême a l'occasion d'examiner à nouveau ces dispositions, je suis sûr qu'elle le fera.

+-

    Le président: Merci, monsieur Comartin.

    Monsieur Macklin, pour cinq minutes.

À  +-(1015)  

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.): Merci, monsieur le président.

    J'aimerais commencer par poser une question à l'ABC. Les autres pourront y répondre aussi. Dans votre mémoire, vous parlez principalement du moyen de défense basé sur le but légitime et vous craignez que cela n'entraîne d'autres contestations.

    Les deux moyens de défense que l'on peut invoquer actuellement à l'égard de la pornographie juvénile sont prévus au paragraphe 163.1(6), le moyen de défense à l'égard d'un écrit qui a une valeur artistique ou un but éducatif, scientifique ou médical et le paragraphe 163.1(7), le moyen de défense fondé sur le bien public qui est tiré des dispositions relatives à l'obscénité de l'article 163, que nous connaissons par le prédécesseur du projet de loi C-2, l'ancien projet de loi C-12, qui prévoyait un moyen de défense lorsque le matériel a servi le bien public, comme l'administration de la justice, l'éducation, la science, la médecine ou les arts et n'a pas outrepassé ce qui a servi le bien public.

    Ces notions sont reprises dans le moyen de défense proposé, basé sur le but légitime, et qui comporte deux volets. Si l'on regarde l'interprétation qu'a donnée la Cour suprême du Canada aux dispositions relatives à la pornographie juvénile dans l'arrêt Sharpe, y compris aux moyens de défense en vigueur, il me semble que la Cour a fourni des directives très utiles sur la façon d'interpréter ces termes.

    Compte tenu de tout cela, j'essaie de comprendre pourquoi vous pensez que le moyen de défense proposé, basé sur le but légitime, est tellement différent que nous ne pourrons pas nous inspirer de l'analyse qu'a faite la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sharpe pour interpréter et appliquer ce nouveau moyen de défense.

+-

    M. Marc David: Ma première réponse est que le but légitime n'est pas une expression utilisée en droit pénal. Vous ne la trouverez nulle part ailleurs. C'est une expression nouvelle. C'est la première fois qu'elle est utilisée dans le Code criminel. Cela va sûrement donner lieu à des contestations.

    Essayer de définir « but légitime ». Vous êtes le juge, vous êtes en train de fournir des directives au jury et vous lui dites, voilà, il y a un livre, il y a un tableau, il y a une photo, et l'accusé invoque un but artistique légitime. Opposez la notion de but artistique légitime à son contraire, le but artistique illégitime. Définissez ce qu'est « un but artistique illégitime ». C'est une notion impossible à appliquer. Elle est vague, imprécise, elle est, d'après nous, impossible à appliquer.

    La deuxième remarque porte sur le fait que l'on combine une notion toute nouvelle avec l'obligation de démontrer l'absence de risque indu pour les enfants. La notion de risque a été associée par la Cour suprême à la définition de l'infraction mais non pas à celle des moyens de défense. Autrement dit, la loi a complètement déplacé le point d'application de la notion de risque indu, tel que l'avait précisé la Cour suprême. Le fait est que cette notion est associée à la définition de l'infraction et non pas à un moyen de défense. Un tel changement a pour effet d'imposer à l'accusé un fardeau extrêmement lourd.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Lorsque l'on revient sur l'affaire Sharpe, parce que l'affaire Sharpe a eu une énorme influence sur l'évolution de cette question—elle a attiré l'attention des médias et suscité toutes sortes de réactions de la part du public et lancé un débat qu'il semble impossible d'arrêter—je dirais que cet arrêt revient à poser la question de la liberté d'expression, aspect dont on a beaucoup parlé aujourd'hui, par rapport à la protection des enfants. Vous soutenez que nous ne devrions pas adopter ce projet de loi tel que formulé parce qu'il va susciter des contestations judiciaires mais n'est-il pas en fait inévitable qu'il y ait des contestations, quelles que soient les réformes apportées dans ce domaine? Autrement dit, je ne pense pas que cet argument soit tout à fait convaincant.

+-

    M. Marc David: La réforme des lois est le domaine privilégié des avocats. Nous aimons beaucoup vous affronter dans ce domaine. De sorte que oui, les nouveaux projets de loi comportent ce risque, cela est indéniable.

    Il faut par contre mesurer les risques. Ce projet de loi invite la contestation parce qu'il y a eu une décision fondamentale prononcée en 2001. C'est un débat récent. La décision de la juge en chef McLachlin est une décision très claire. Elle a fixé des paramètres, elle a fixé les principes à concilier et elle a exposé les paramètres que doit respecter l'incrimination de la pornographie juvénile et les paramètres applicables aux moyens de défense. Elle affirme que pour que ces dispositions soient constitutionnelles, les moyens de défense doivent être interprétés de façon libérale. Vous réduisez la portée des moyens de défense. Vous imposez à l'accusé un fardeau supplémentaire.

    Là encore, c'est une question de mesure. Si vous adoptez ce projet de loi, nous prédisons qu'il fera l'objet de contestations constitutionnelles.

À  +-(1020)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Macklin.

    Avez-vous un commentaire, monsieur Dixon?

+-

    M. John Dixon: Si l'on examine cette question d'un point de vue général, il faut reconnaître que c'est une loi dont tout le monde disait qu'elle comportait des lacunes et qu'elle inviterait les contestations judiciaires parce que sa portée était trop large. Elle a été invalidée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique... par un excellent juge, Duncan Shaw. L'affaire a été portée devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, où une formation de trois juges, en fait les trois meilleurs de cette cour, l'a également invalidée.

    L'affaire a ensuite été portée devant la Cour suprême du Canada. Que fallait-il faire? Le pays tout entier était en émoi. Les juges ont vraiment fait tout ce qu'ils pouvaient pour sauver la mise au Parlement. Et le moyen de défense fondé sur la valeur artistique était un élément clé dans l'esprit de madame la juge McLachlin. Elle l'a clairement indiqué. Nous ne parlons pas de liberté d'expression, nous parlons de liberté de pensée. Encore une fois, j'insisterais sur le fait que cette loi interdit le seul fait de posséder du matériel expressif, elle est unique en droit canadien. Les juges de cette cour ont donc sauvé la mise au Parlement.

    Si vous adoptez maintenant une loi qui modifie la notion de valeur artistique—et tout le monde sait très bien que l'idée de modifier cette notion vise manifestement à affaiblir le moyen défense —je ne sais pas ce que fera la cour mais je suis sûr à 70 ou 80 p. 100 qu'elle annulera tout cela.

+-

    Le président: Merci, monsieur Dixon.

    Monsieur Moore, cinq minutes.

+-

    M. Rob Moore (Fundy Royal, PCC): Merci.

    Monsieur Freeman et madame Hebb, j'aimerais vous poser une question sur ce qui existait dans les dispositions actuelles, et qui a été abordée dans l'arrêt Sharpe, au sujet du fait de conseiller certaines activités—un écrit qui conseille ou préconise des activités sexuelles illégales concernant des enfants.

    J'ai peut-être manqué vos commentaires sur ce point mais que pensez-vous de cet écrit qui constituait auparavant une infraction? À l'heure actuelle, avec les changements qui ont été apportés, nous parlons dans ce projet de loi de la caractéristique dominante qui est la description de certaines activités dans un but sexuel. Vous avez soulevé certaines préoccupations au sujet de l'élargissement de ces infractions. Mais quelle était la situation antérieurement?

+-

    Mme Marian Hebb: La cour a jugé en fait que l'écrit ne conseillait pas la perpétration d'une infraction et ensuite la cour a ajouté que si elle se trompait là-dessus, il y avait alors le moyen de défense fondé sur la valeur artistique. De sorte que...

+-

    M. Rob Moore: C'est sans doute la façon dont le public a réagi à l'arrêt Sharpe qui a fait que le matériel qui a été jugé ne pas constituer une incitation a entraîné la présentation du projet de loi que nous étudions aujourd'hui.

    J'aimerais savoir si pour les écrits—et c'est ce dont nous parlons et c'est le sujet que vous avez abordé—il faudra bien fixer une limite quelque part. Je me demande quelle est votre position à ce sujet. Doit-on vraiment fixer une limite quelque part?

    Je pense qu'il y aura toujours quelqu'un qui voudra aller plus loin. Vous avez mentionné le nom d'artistes et d'écrivains célèbres et vous avez dit que ce projet pourrait avoir un effet paralysant sur leurs oeuvres. Mais si l'on fixe une limite, il y aura toujours quelqu'un qui voudra la franchir. C'est pourquoi je me demandais si, dans votre esprit, il y avait une limite qu'un écrit ne devrait pas franchir? Et plus précisément, que pensez-vous de ce qui existe déjà en matière d'incitation?

+-

    Mme Marian Hebb: Nous pensons qu'il doit y avoir une limite. La limite est la différence entre les enfants réels et les enfants imaginaires. Autrement, je pense qu'il est très difficile d'imposer une autre limite.

À  +-(1025)  

+-

    M. Bill Freeman: Je pense que la question du moyen de défense nous préoccupe aussi. Le moyen de défense fondé sur la valeur artistique nous paraissait donner de bons résultats. Les écrivains avaient confiance dans les tribunaux et il existait une norme qu'il fallait respecter. Par contre, les nouveaux moyens de défense nous inquiètent beaucoup.

    Je vais mettre mes lunettes et parler du « but légitime lié aux arts ». Je ne sais pas ce que cela veut dire. Ne pas poser « un risque indu » aux personnes âgées de moins de 18 ans—et bien, est-ce que ce livre qui parle principalement de jeunes filles au moment de leur puberté? Je ne le sais pas. Ce sont d'après moi des préoccupations tout à fait légitimes.

+-

    Le président: M. Dixon voulait faire un commentaire.

+-

    M. John Dixon: Je peux vous dire à quoi pensaient les gens lorsqu'ils parlaient d'incitation. Ils pensaient à des revues comme le réseau Man/Boy Love. Il y a parfois dans ces revues des rubriques qui fournissent aux lecteurs des conseils sur la façon d'exploiter et de séduire les enfants.

    C'est une question qui divise profondément les membres des associations de défense des libertés civiles. C'est une question vraiment difficile. Nous pensons que c'est une erreur d'essayer de réprimer ce comportement avec ce genre de loi, en tout cas, avec une loi prohibant la possession d'écrits.

    Là encore, il est vraiment essentiel de ne pas oublier la différence qui existe entre une loi qui réprime le seul fait de posséder des écrits et une loi qui réprime la pornographie parce que l'on peut alors utiliser des règles en matière d'obscénité et toutes les règles qui interdisent l'incitation. Il existe déjà toutes sortes de lois qui nous protègent contre les personnes qui incitent d'autres à commettre des actes criminels ou qui s'entendent pour en commettre; c'est celles-là qu'il faut utiliser

+-

    Le président: Monsieur Moore.

+-

    M. Rob Moore: Monsieur Dixon, vous avez présenté votre exposé en premier et d'après moi, c'était une condamnation sans appel du travail qu'effectuent les parlementaires. J'ai été élu à la dernière élection. C'est un sujet qui touche nos électeurs et je crois que c'est tout à fait légitime. Les gens parlent souvent de l'expression « possession simple ». J'aimerais avoir votre avis là-dessus. Nous avons vu ce que l'on peut faire sans avoir recours à des personnes réelles, en utilisant l'animation et ce genre de choses. Ce matériel ne représente pas des enfants réels. Mais est-ce que ceux qui cherchent à agresser et à victimiser les enfants ne pourraient pas utiliser ce matériel, si les personnes qui y sont représentées ressemblent à des enfants réels qui exercent des activités qui seraient illégales si les participants étaient réels? Nous savons que c'est le cas et nous savons que les agresseurs d'enfants utilisent différents moyens pour faciliter les mauvais traitements qu'ils infligent aux enfants. J'aimerais avoir vos commentaires.

+-

    M. John Dixon: La première chose à faire est de faciliter la répression de la pornographie juvénile. Si quelque chose ressemble à de la pornographie juvénile, s'il s'agit de photographies ou d'enregistrements vidéo d'enfants, alors arrêtez ceux qui en possèdent. S'il s'agit de possession, il faut que l'accusé puisse invoquer en défense qu'il ne s'agissait pas d'enfants. Quelqu'un a dit que les Canadiens étaient tous d'accord sur la pornographie juvénile. C'est certainement le cas, mais les Canadiens sont très ambivalents au sujet de l'activité sexuelle des jeunes. Ouvrez n'importe quelle revue de mode et vous serez frappé par l'extrême jeunesse des modèles qui ne prennent pas des poses destinées à faire ressortir leur chasteté ou leur modestie. Ces jeunes modèles prennent des poses très provocantes. Je pense que c'est une question culturelle, la sexualisation des jeunes, et je pense qu'il existe une certaine ambivalence et des tensions à ce sujet. J'ai aussi des enfants. Ils sont grands maintenant mais ce n'a pas toujours été le cas. C'est une question stressante et une partie de ce stress se reporte sur la question de la pornographie juvénile au détriment de la formulation de mesures législatives qui viseraient à unir les Canadiens et les ressources juridiques dans la lutte contre l'exploitation des enfants.

À  +-(1030)  

+-

    M. Rob Moore: J'aimerais donner à tous les témoins la possibilité de commenter le fait que les agresseurs d'enfants possèdent du matériel qui facilite leurs projets. Il y a la question de savoir si ce matériel risque de les inciter à commettre des agressions. Il est également possible qu'ils utilisent ce matériel pour circonvenir un enfant et pour le familiariser à l'idée d'agression. Je pense que c'est une limite que de nombreux Canadiens estiment qu'il ne faudrait pas franchir, même dans le cas de simple possession de matériel qui ne représente pas des enfants réels.

    Un bref commentaire là-dessus.

+-

    M. John Dixon: Si je trouve quelqu'un comme ça dans un carré de sable avec un enfant et une revue, la dernière chose qui va m'inquiéter est la revue, parce que je vais lui passer les menottes et l'emmener. Je m'intéresse à l'adulte. Il utilise son influence d'adulte pour essayer de séduire un enfant, il faut l'arrêter. Personne ne veut perdre du temps avec les adultes qui utilisent leur autorité pour exploiter les enfants.

+-

    Le président: Merci, et votre temps de parole est écoulé, monsieur Moore.

    Monsieur Marceau.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Maître David, vous avez souvent fait allusion à l'arrêt Sharpe. Selon vous, si les dispositions du projet de loi C-2 avaient été en vigueur à l'époque, est-ce que le résultat aurait été différent?

+-

    M. Marc David: C'est une question très hypothétique.

+-

    M. Richard Marceau: Je sais qu'elle est très hypothétique, mais j'essaie de voir...

+-

    M. Marc David: Je ne pense pas que la Cour suprême se poserait cette question si elle avait à réévaluer la loi. Encore là, je ne peux pas parler au nom de l'Association du Barreau canadien.

+-

    M. Richard Marceau: L'opinion de Me David me satisferait.

+-

    M. Marc David: Étant donné les paramètres qu'a définis la juge McLachlin, la loi n'aurait probablement pas été déclarée inconstitutionnelle.

+-

    M. Richard Marceau: Merci.

+-

    Le président: Merci, monsieur Marceau.

[Traduction]

    Monsieur Comartin.

+-

    M. Joe Comartin: Je m'adresse à tous les témoins, entre le moment où les modifications au Code criminel ont été adoptées en 1993 jusqu'à l'arrêt Sharpe, est-ce que ces dispositions ont été souvent invoquées? Monsieur David, et peut-être monsieur Dixon, vous êtes peut-être les mieux placés pour répondre à cela.

    J'aimerais que vous me répondiez par rapport à l'idée que nous voyons peut-être là un problème qui n'existe pas. Combien de fois a-t-on utilisé le moyen de défense basé sur la valeur artistique? Devons-nous modifier la notion de valeur artistique? Est-ce que le système fonctionnait ou s'agissait-il plutôt de...? Je ne me souviens pas si c'était Mme Hurley ou quelqu'un d'autre qui parlait de consacrer nos ressources à l'application de la loi plutôt que d'essayer de redéfinir la pornographie juvénile et les moyens de défense dans ce domaine.

    J'ai posé cette question à quelques policiers et ils ne m'ont pas fourni de réponse précise au sujet de ce qui s'est produit depuis sept ou huit ans, entre l'adoption des amendements et l'arrêt Sharpe. Cela est-il un problème grave dans notre société? A-t-on fréquemment utilisé ces moyens de défense pour faciliter la pornographie juvénile ou est-ce que nous nous intéressons à la pornographie juvénile à cause de l'Internet et que nous craignons davantage ce qu'il est possible de faire dans ce domaine à cause de la capacité des auteurs de pornographie juvénile de diffuser leur matériel?

+-

    M. John Dixon: Très brièvement, c'est l'Internet. En 1989-1990, le ministère de la Justice a financé un projet conjoint avec la police de Toronto pour essayer de savoir quelle était la quantité de matériel pornographique juvénile qui entrait au Canada; ils ont constaté qu'il n'y en avait pratiquement pas. En fait, la plus grande partie du matériel saisi avait été envoyé par erreur par les services postaux américains, dans le cadre d'une opération clandestine qui visait à essayer d'arrêter des auteurs de pornographie juvénile se trouvant aux États-Unis.

    Aujourd'hui, je pense que la pornographie est un phénomène très répandu sur l'Internet. Je pense que la dernière fois que j'ai demandé à des policiers, ils m'ont dit qu'il y avait des centaines de cas mais il s'agissait le plus souvent de photographies représentant l'utilisation d'enfants réels. Cela ne soulève aucune controverse pour les défenseurs des libertés civiles.

    Je ne connais pas d'autres affaires qui aient porté, après l'arrêt Sharpe, sur le moyen de défense fondé sur la valeur artistique, mais il y en a peut-être qui dépendent du sort qui sera réservé à ce projet de loi.

À  +-(1035)  

+-

    Le président: Monsieur Freeman, voulez-vous faire un commentaire?

+-

    M. Bill Freeman: Je pense vraiment que l'affaire Sharpe a été suivie de très près. Un bon nombre des membres de notre organisation qui résident en Colombie-Britannique—nous sommes une organisation nationale—s'intéressaient de très près à cette affaire. Mais pour ce qui est de la pornographie juvénile publiée au Canada, je n'en ai pas vu. C'est très clairement un problème qui sévit sur Internet.

    Cela nous ramène à notre préoccupation, à savoir que, si vous modifiez les dispositions législatives, vous risquez de placer les artistes légitimes dans une situation très vulnérables? C'est ce qui nous inquiète beaucoup.

+-

    Mme Marian Hebb: Dans l'affaire Eli Langer, cela lui a coûté très cher. Cette affaire a duré longtemps et a été un fardeau pour la collectivité. On a levé des fonds pour l'aider dans cette affaire. La Writers' Union a fait remarquer qu'il serait préférable de consacrer davantage de fonds aux poursuites et...

+-

    Le président: Oui.

    Madame Hurley, avez-vous d'autres commentaires?

+-

    Mme Pamela Hurley: Je ne sais pas très bien s'il y a des affaires comparables à l'affaire Sharpe qui ont été entendues depuis mais je connais par contre fort bien le nombre des enfants qui ont été agressés sexuellement et qui ont été familiarisés à la pornographie, comme dit M. Moore, pour les désensibiliser et les habituer à ce genre de chose avant de les agresser. Cela s'est produit dans un grand nombre de cas et ce genre de situation est très explosive.

    À titre de commentaire général, je dirais que s'il faut errer, je serais favorable à ce que l'on erre du côté de la protection des enfants.

+-

    Le président: Merci.

    M. Comartin est le suivant, pour 30 secondes.

+-

    M. Joe Comartin: Monsieur David, sur le voyeurisme, j'essaie de comprendre comment s'applique le moyen de défense et je vous pose cette question en tant qu'avocat. Ce moyen de défense ne me paraît absolument pas logique. D'un côté, si nous disons qu'il faut agir de façon subreptice, comment peut-on invoquer ensuite une défense fondée sur le « bien public »?

+-

    M. Marc David: Je vais vous répondre en qualité d'avocat. Je suis d'accord avec vous. Ce n'est pas un moyen de défense.

+-

    M. Joe Comartin: Merci.

+-

    Le président: Nous ne vous embaucherons pas.

    Des voix : Oh, oh!

+-

    M. Marc David: De plus, nous faisons cette remarque dans notre mémoire. L'accusé n'a pas la possibilité de montrer quel était son mobile, lorsqu'une des infractions a un but sexuel. C'est une approche qui va totalement à l'encontre de tous les principes. Cette disposition est vraiment mauvaise, très mauvaise.

+-

    Le président: Monsieur Macklin, vous avez cinq minutes.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Merci, monsieur le président.

    Je vais m'adresser à nouveau à l'ABC et poser ensuite une autre question.

    Votre mémoire était positif sur certains points et critique sur d'autres. J'aimerais obtenir une précision. Dans votre mémoire, vous formulez des commentaires sur les modifications proposées qui ont pour effet de limiter le droit pour un accusé qui se représente lui-même de contre-interroger un témoin. Il y a eu, nous le savons, toutes sortes d'études qui ont été effectuées au cours des années au sujet du rôle des victimes au sein du système de justice pénale et sur la façon d'améliorer le traitement qui leur est accordé.

    Je mentionne ce sujet parce que la position qu'a adoptée l'ABC sur ce point ne ressort pas clairement de son mémoire. D'un côté, vous critiquez le fait que les témoins adultes soient inclus dans la catégorie de ceux auxquels le juge peut accorder une protection dans certains cas. Par contre, vous critiquez également le fait que les victimes de violence conjugale et d'agression sexuelle ne font pas partie de celles qui peuvent obtenir une protection. Le mémoire critique également le fait que le témoin ou la Couronne est obligé de présenter une demande en ce sens.

    Au sujet de la nomination d'un avocat dans ce genre d'affaires, l'ABC estime-t-elle que cette mesure devrait être automatique de façon à éviter que la Couronne ou le témoin ait à présenter une demande de ce genre et que le juge ait à exercer son pouvoir discrétionnaire?

À  +-(1040)  

+-

    M. Marc David: Je vais commencer par votre dernière question et les raisons pour lesquelles nous avons soulevé ou signalé cette question. L'idée est simplement que si l'on exige la présentation d'une demande, il y aura des gens qui ne présenteront pas une telle demande. Une solution—et elle n'a pas été proposée parce que ce n'est pas vraiment notre rôle de propose des mécanismes d'application d'un projet de loi mais là je peux encore parler à titre personnel—serait de charger le juge de mentionner cette possibilité. Ce serait alors au juge de rappeler au témoin ou au plaignant que cette possibilité existe. C'est une autre solution qui viendrait atténuer l'exigence d'une demande.

    Pour ce qui est des préoccupations que vous avez exprimées au sujet du contre-interrogatoire, nous disons simplement que le projet de loi est bien adapté au contre-interrogatoire des plaignants; cependant, il a une portée trop vaste lorsqu'il s'agit du contre-interrogatoire de toute autre personne que le plaignant, à moins que la personne qui témoigne soit handicapée, en raison d'une incapacité mentale ou pour une autre raison. C'est essentiellement la remarque que nous voulions faire.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Que proposez-vous pour éviter que les victimes et les témoins de moins de 18 ans ainsi que les témoins adultes ayant fait l'objet de violence ou d'agression sexuelle puissent être contre-interrogés par l'accusé qui se représente lui-même?

+-

    M. Marc David: Nous sommes favorables au projet de loi sur ce point lorsqu'il s'agit du plaignant. Là encore, il faut concilier tout ceci avec le droit à une défense pleine et entière. Il faut concilier cela avec le droit de se représenter soi-même. Au Canada, l'accusé n'est jamais tenu de retenir les services d'un avocat. Il peut toujours se défendre seul. Nous reconnaissons que lorsque le plaignant a moins de 18 ans, les dispositions du projet de loi sont appropriées. Nous n'avons rien à redire à ce que propose le projet de loi.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Moins de 18 ans?

+-

    M. Marc David: Oui.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Merci.

+-

    Le président: Merci, monsieur Macklin.

    Monsieur Warawa, vous avez cinq minutes.

+-

    M. Mark Warawa (Langley, PCC): Merci, monsieur le président.

    J'aimerais également remercier tous les témoins d'être venus ici aujourd'hui. Je ne suis pas nécessairement d'accord avec tous vos commentaires mais je les trouve utiles et je suis heureux de connaître votre point de vue.

    J'aimerais poser une question simple et j'aimerais que vous y répondiez tous, si cela vous convient. Elle concerne l'âge du consentement.

    Avant de commencer, je voulais également mentionner que je suis d'accord avec M. David lorsqu'il affirme que l'expression « but légitime » est vague et n'est pas définie. Je crois qu'il faudrait revoir cet aspect.

    Il existe au Canada un consensus au sujet de la pornographie juvénile; c'est un phénomène horrible et en général, les Canadiens sont contre la pornographie juvénile. Ils ne sont également pas favorables à la prostitution des mineurs. Je crains que la pornographie juvénile ne soit un moyen d'attirer et de désensibiliser les enfants pour qu'ils se livrent à la prostitution; il y a des enfants de 14 et 15 ans à qui on raconte des choses et qu'on essaie de désensibiliser pour les attirer dans un milieu dangereux. Ils sont alors happés par la prostitution. Je pense que les Canadiens en général, ou du moins la grande majorité d'entre eux, y compris la Fédération canadienne des municipalités, ont demandé que l'âge du consentement aux relations sexuelles soit relevé à 16 ans—il est de 14 ans à l'heure actuelle. C'est une autre des critiques qui ont été lancées à l'endroit du projet de loi C-2, il ne traite pas de cette question. Il semble que l'âge de 16 ans soit celui qui a été retenu dans l'ensemble du pays.

    Si cela vous convient, pourriez-vous dire si vous pensez qu'il serait bon que le projet de loi C-2 relève l'âge du consentement. Si c'est bien le cas, quelle est votre opinion et pourquoi?

    Merci.

+-

    Le président: Nous allons commencer cette fois-ci par Mme Hurley.

+-

    Mme Pamela Hurley: C'est moi qui doit répondre la première à cette question difficile.

    C'est une question très difficile, notamment parce que les jeunes sont actifs très tôt sexuellement. On risquerait notamment de criminaliser leur comportement. Par exemple, si des enfants ou des jeunes avaient des relations sexuelles entre eux à l'âge de 15 ans, cela en ferait des criminels. Parallèlement, il faut protéger les enfants contre toute exploitation lorsqu'il existe une relation de confiance ou d'autorité—et c'est ce que le projet de loi C-2 vise, la question de l'exploitation des jeunes.

    Je ne vois pas très bien comment on pourrait assurer cette protection en portant des accusations mais il faut bien sûr reconnaître qu'il faut empêcher les enfants d'avoir des relations sexuelles avec des adultes et d'être exploités par eux.

    Cela ne répond pas vraiment à votre question au sujet du relèvement de l'âge de 14 à 16 ans. La loi actuelle fixe cet âge à 14 ans et je pense qu'il serait très difficile de changer cela. Il me paraît préférable de prendre d'autres mesures pour protéger les jeunes contre toute exploitation.

À  +-(1045)  

+-

    Le président: Madame Hebb.

+-

    Mme Marian Hebb: Je ne suis pas sûre que cela touche directement l'infraction de pornographie juvénile mais votre question me fait penser à la situation où une actrice de 24 ans joue le rôle d'une enfant de 12 ans ou lorsque c'est un jeune de 16 ou 17 ans qui joue ce rôle. Je ne sais pas si cela fait vraiment une différence, parce que le problème que pose l'infraction de pornographie juvénile est qu'elle touche en fait les gens qui sont représentés comme ayant moins d'un certain âge, qu'ils aient véritablement cet âge ou non.

    Je ne sais pas si cela répond à votre question mais c'est à cela qu'elle m'a fait penser. Au théâtre, il n'est pas très bon de faire jouer le rôle d'un enfant de 12 ans à quelqu'un qui doit en même temps en paraître 24 ou 16, parce qu'il risque sinon de commettre une infraction au Code criminel.

+-

    Le président: Monsieur David.

+-

    M. Marc David: Pour répondre à votre question de façon très directe, je dirais que l'ABC est contre le relèvement de l'âge du consentement. Nous sommes favorables à l'approche qui a été adoptée dans ce projet de loi, qui consiste à élargir les cas où il y a exploitation. Nous sommes donc en faveur d'élargir la notion de relation d'exploitation, qui se combine à la violation de la confiance, l'abus d'autorité, l'existence d'une relation de dépendance, même si nous avons signalé que ces notions étaient très vagues, dans la définition que contient le paragraphe 153.(1.2), où se trouve la définition d'exploitation sexuelle.

    L'autre mesure à laquelle nous serions favorables au lieu de relever l'âge du consentement serait d'aggraver les peines qui sont proposées dans le projet de loi, tant pour les actes criminels que pour les infractions punissables par déclaration sommaire de culpabilité. Dans notre mémoire, nous suggérons d'en faire des infractions punissables par déclaration sommaire, ce qui revient à faire passer de six à dix-huit mois la durée maximale de l'emprisonnement, et pour les actes criminels, faire passer de cinq à dix ans le nombre d'années d'emprisonnement, ce qui indiquerait clairement aux Canadiens que la société ne tolère pas que des enfants soient exploités, c'est-à-dire qu'on extorque leur consentement à avoir des relations sexuelles.

+-

    Le président: Monsieur Dixon, je vous en prie.

+-

    M. John Dixon: L'âge du consentement pour la prostitution est de 18 ans au Canada. Il n'est pas permis d'inciter un jeune, c'est-à-dire un enfant de 14 à 17 ans selon le projet de loi, à avoir des relations sexuelles avec vous si vous êtes un adulte. C'est contre la loi. Il est possible de le faire lorsque le jeune a plus de 18 ans, pourvu que cela ne se passe pas dans un lieu public, par exemple. C'est pourquoi tout cela se fait de nos jours dans les salons de massage et les agences d'escorte, notamment.

    Mais pour ce qui est des jeunes et de la prostitution, c'est un sujet que je connais assez bien, parce que c'est un problème grave à Vancouver. La Civil Liberties Association s'y intéresse depuis longtemps. Si vous parlez aux jeunes—à ceux de 15 et 16 ans—qui se livrent à la prostitution dans la rue et que vous les arrêtez—il y a beaucoup de gens en Colombie-Britannique qui travaillent avec eux—vous constatez que bien souvent ils ont quitté leur foyer parce qu'ils y étaient maltraités; ce n'est pas toujours le cas mais c'est bien souvent le cas. Il est très rare qu'ils disent qu'ils ont été incités à se prostituer parce qu'on leur avait montré du matériel pornographique.

    Si vous voulez vraiment faire quelque chose à ce sujet... Il y a dans notre province, dans notre ville, une situation vraiment scandaleuse; c'est celle des jeunes qui se prostituent parce qu'ils sont dépendants de plusieurs drogues bien souvent. Ils veulent arrêter d'en prendre, ils veulent changer de vie. Je pense qu'il y a en Colombie-Britannique six lits pour aider ces jeunes qui demandent de l'aide. Je dirais que l'horreur de la prostitution juvénile n'est rien comparée au manque scandaleux de ressources que nous fournissons aux jeunes qui viennent nous demander de l'aide pour changer de vie.

    L'âge du consentement pour la prostitution est déjà fixé à 18 ans.

À  +-(1050)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Dixon.

+-

    M. Mark Warawa: Mon temps de parole est écoulé?

+-

    Le président: Oui.

    M. Thompson est le dernier nom sur la liste, et son intervention sera donc la dernière.

+-

    M. Myron Thompson: Est-ce que quelqu'un d'entre vous s'est rendu dans les unités de protection des enfants des services de police et vu le matériel pornographique juvénile qu'ils confisquaient?

+-

    Mme Marian Hebb: Oui. Je ne me suis pas rendue dans les postes de police mais j'ai assisté à un atelier du barreau au cours duquel on nous a montré le genre de matériel qu'ils confisquaient.

+-

    M. Myron Thompson: Vous savez qu'il y a des millions et des millions de revues de ce genre.

+-

    Mme Marian Hebb: Je le sais. Je suis mère et grand-mère.

+-

    M. Myron Thompson: Oui. Nous nous ressemblons beaucoup, puisque je suis sept fois grand-père.

    Je n'arrive vraiment pas à comprendre pourquoi nos policiers qui confisquent 500 ou 600 revues sont obligés de les examiner une par une pour voir si elles peuvent donner lieu à une défense fondée sur la valeur artistique ou des choses de ce genre. Ils n'ont pas le droit de prendre un échantillon de ces revues et de porter des accusations en conséquence; il faut qu'ils les examinent toutes.

+-

    Le président: Monsieur Dixon, je vous en prie.

+-

    M. John Dixon: J'aimerais beaucoup avoir mon bloc-notes avec moi et un réseau sans fil. Je pourrais vous montrer des millions d'images de ce genre et vous n'auriez aucun doute—ni la police, ni personne dans cette salle. Vous verriez des jeunes gens, des enfants qui sont utilisés sexuellement, et il n'est pas question de valeur artistique. Personne n'a jamais invoqué ce moyen de défense à l'égard de représentations vidéos ou photographiques d'enfants réels utilisés de cette façon.

+-

    M. Myron Thompson: J'essaie de dire que les policiers sont légalement obligés d'examiner chacune de ces revues. Ils sont obligés de le faire.

+-

    Mme Marian Hebb: Ils ne sont pas vraiment obligés de le faire parce que dans l'affaire Sharpe, ils ont fait une sélection à partir de laquelle ils ont porté des accusations. Lorsqu'ils préparent un dossier, ils choisissent les représentations qui leur permettront plus facilement d'obtenir une condamnation.

+-

    M. Myron Thompson: Mais ils sont obligés de les examiner toutes parce qu'ils ne voudraient pas que certaines représentations qui pourraient entraîner un acquittement soient mélangées à d'autres qui pourraient déboucher sur une condamnation.

+-

    Mme Marian Hebb: Lorsqu'il s'agit de matériel photographique, je pense qu'ils sont obligés d'examiner toutes les photos parce qu'ils pourraient identifier des enfants réels. Voilà la véritable raison de cette pratique.

+-

    M. Myron Thompson: C'est la principale raison pour laquelle ils le font.

    Je voulais simplement savoir si vous étiez conscients de l'ampleur du problème et de l'importance de cette industrie à l'heure actuelle, même en termes de dollars.

    Je pense au but scientifique, au but éducatif. Je pense que le livre que vous avez apporté aujourd'hui est une excellente oeuvre didactique. Je n'ai rien contre cela. Je ne crois pas que nous pensons à ce genre de choses lorsque nous disons que nous voulons réprimer ce genre de comportement. Je crois que ce genre de matériel pourrait être très utile pour les parents parce que j'estime qu'ils ont le devoir d'élever leurs enfants en leur transmettant un maximum de connaissances.

    Je pense également à la question de la possession aux fins d'application de la loi, qui protège nos services de police et les policiers qui peuvent avoir ce genre de choses en leur possession. Je pense également aux bureaux des médecins où l'on peut voir l'image d'un jeune enfant avec des flèches indiquant différentes parties du corps, une image utilisée à des fins médicales, comme cela est très courant. Je ne pense pas qu'aucune des personnes présentes ici considère que cela soulève un problème.

    Le problème vient du fait que le projet de loi énonce qu'il faut faire des exceptions pour des raisons éducatives, scientifiques, médicales, artistiques ou reliées à l'application de la loi. C'est l'exception pour les arts qui nous inquiètent beaucoup. Cela me préoccupe personnellement beaucoup.

+-

    Le président: Y a-t-il une dernière réponse aux commentaires de M. Thompson?

+-

    M. Bill Freiman: J'aimerais répondre, si vous me le permettez.

    Je pense que nous sommes d'accord sur beaucoup de choses. Mais le danger vient du fait que si vous rédigez un projet de loi qui n'accorde pas aux véritables artistes un moyen de défense qui leur permette de montrer que leur oeuvre a en fait une valeur artistique, faute d'une meilleure expression, alors ce n'est pas une bonne loi. Voilà ce qui nous inquiète beaucoup.

À  -(1055)  

+-

    M. Myron Thompson: Cela revient à protéger avant toute chose la liberté artistique.

+-

    M. Bill Freeman: Mais, votre rôle consiste également à protéger les artistes, à protéger l'expression artistique et la libre expression de leurs opinions.

+-

    M. Myron Thompson: Je préfère errer du côté des enfants.

-

    Le président: Merci. Je vais devoir mettre fin aux interventions.

    Je remercie les témoins pour leurs commentaires. Nous les apprécions beaucoup.

    Mesdames et messieurs les membres du comité, les greffiers communiqueront avec votre personnel pour trouver une heure qui vous convienne pour nos travaux futurs.

    La séance est levée. Il faut laisser la place au comité suivant.

    Merci.