AGRI Rapport du Comité
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
On peut dire que la crise de l’ESB a entraîné deux types de conséquences sur l’industrie bovine : à court et à long terme. D’un côté, les conséquences à court terme résultent de la fermeture des frontières du monde industrialisé aux bovins et au bœuf d’origine canadienne. Ce sont surtout les éleveurs de bovins et d’autre bétail qui en ont écopé, mais aussi les exploitants d’abattoirs, leurs employés et leurs fournisseurs. Si le couperet n’est tombé qu’une seule fois, les intervenants ne peuvent espérer améliorer leur sort tant que les frontières resteront closes. De l’autre, les conséquences à long terme résultent de l’imposition de nouvelles règles de salubrité alimentaire pour la transformation du bœuf. Dans ce cas-ci, ce sont presque exclusivement les abattoirs qui en ont souffert, mais aussi, dans une moindre mesure, les éleveurs de bovins et les consommateurs. Il s’agit ici d’un fardeau perpétuel. En 30 ans, les exploitations de bovins de boucherie ont déjà beaucoup diminué, passant de 159 387 têtes en 1971 à 90 066 en 2001, comme l’illustre le graphique 2.2. Cette tendance à la baisse se maintiendra sans doute, en partie à cause des conséquences immédiates de l’ESB (malgré l’aide du gouvernement), en partie parce que certaines de ces conséquences à long terme risquent de se répercuter sur le reste de la chaîne de valeur, passant des abattoirs aux élevages de bovins, et en partie parce que les autres tendances à long terme se maintiendront aussi probablement.
La fermeture des frontières du monde industrialisé aux bovins et au bœuf d’origine canadienne a entraîné des pertes à plus d’un titre pour de nombreux Canadiens et leurs entreprises. Par exemple, on a dû mettre sur le marché canadien environ 25 000 bovins par semaine normalement destinés aux États-Unis alors que les abattoirs canadiens fonctionnaient déjà à l’automne à près de 90 % de leur capacité, ce qui ne leur laissait guère de marge de manœuvre pour absorber cette offre excédentaire (voir le graphique 3.1). C’est pourquoi les éleveurs de bovins et les exploitants de parcs d’engraissement ont épongé d’énormes pertes sur la vente de leur bétail. Ils devront en outre assumer des frais supplémentaires pour nourrir les animaux qu’ils n’ont pas pu ou voulu vendre, et consentir à de généreux escomptes en raison de l’âge de leurs bêtes quand ils finiront par les vendre. Les exploitants d’abattoirs ont aussi subi des frais de surestaries et de destruction pour certains de leurs produits, en plus d’encourir d’énormes frais d’entreposage et de réfrigération pour la marchandise accumulée dans des dépôts de conteneurs ou des entrepôts douaniers.
Un grand nombre d’intervenants ont certes souffert de la crise de l’ESB; toutefois, d’autres en ont profité. C’est le cas des fabricants de nourriture pour bovins ainsi que des propriétaires d’entrepôts et de dépôts de conteneurs, où les abattoirs ont dû stocker leur bœuf excédentaire. Par ailleurs, les banques alimentaires du Canada ont reçu à titre gracieux pour plus d’un million de dollars en produits du bœuf. Par conséquent, il est impossible de dresser un bilan définitif de la crise de l’ESB en se bornant à additionner les gains et les pertes qui en résultent. Ce calcul peut toutefois aider le gouvernement à reconnaître les groupes d’intervenants qui méritent d’être aidés d’urgence et indemnisés.
Graphique 3.1
Usines sous inspection fédérale : nombre d’animaux abattus par semaine
Source : Canfax et le George Morris Centre
On peut également avoir un aperçu brut des conséquences économiques néfastes de l’ESB sur le Canada en calculant simplement le total des pertes en exportation de bovins et de bœuf pour l’année 2003. Il suffit pour cela de soustraire la valeur des exportations réalisées en 2003, soit 1,8 milliard de dollars, de leur valeur estimée si l’on n’avait pas détecté un cas d’ESB. Étant donné que les exportations réalisées avant le 20 mai 2003 étaient comparables au rendement moyen de la même période sur les trois années précédentes, on peut raisonnablement supposer que sans l’ESB, le Canada aurait obtenu en 2003 le même rendement moyen de ces trois années, soit 3,6 milliards de dollars. On en déduit ainsi que la crise de l’ESB a coûté au pays pour 1,8 milliard de dollars de pertes en exportation de bovins et de bœuf.
Toutefois, deux mises en garde s’imposent dans ce calcul. Certains produits du bœuf d’abord destinés au lucratif marché d’exportation, comme les bouts de côtes destinés à la Corée, ont plutôt été acheminés sur le marché intérieur du bœuf haché, de moindre valeur, après la découverte du cas d’ESB. Par conséquent, les abattoirs ont pu récupérer une partie de leurs exportations perdues. De cet angle, les pertes estimatives de 1,8 milliard de dollars sont exagérées. En revanche, ce manque à gagner d’environ 1,8 milliard de dollars a provoqué un impact négatif sur la somme des dépenses, qui s’est répercuté sur l’ensemble de l’économie canadienne et principalement sur le secteur bovin. De cet angle, les pertes estimatives de 1,8 milliard de dollars sont trop modestes. Il faut donc user de discernement lorsqu’on cite cette estimation.
Les conséquences à long terme de la crise de l’ESB découleront principalement de la nouvelle réglementation sur la transformation du bœuf et la séparation des bovins à des fins de salubrité alimentaire. Les consommateurs canadiens en seront les premiers bénéficiaires. Viendront ensuite les vétérinaires, dont les compétences seront davantage sollicitées, ainsi que les organes de réglementation qui administreront les nouvelles règles de santé et de sécurité. Les coûts supplémentaires qui s’y rattachent reposeront sur les épaules des exploitants d’abattoirs mais, dans la mesure où ces coûts peuvent se déplacer dans la chaîne de valeur, les éleveurs et les consommateurs pourraient aussi perdre au change. On suppose toutefois qu’au bout du compte, du point de vue santé et sécurité, la nouvelle réglementation sera à l’avantage des consommateurs.
Bien qu’il soit encore trop tôt pour estimer les coûts de transformation supplémentaires auxquels les abattoirs font face, voici ce qu’ils allèguent à cet égard :
| Main-d’œuvre supplémentaire pour séparer les bovins âgés de 30 mois et plus des autres; | |
| Main-d’œuvre supplémentaire pour faire monter de 70 % à 100 % la combinaison de produits désossés de façon à répondre aux exigences d’exportation; | |
| Coûts directs pour retirer et détruire le matériel à risque spécifié des bovins âgés de plus de 30 mois et l’iléon distal (intestin grêle) de tous les bovins, activités qui augmentent indirectement les coûts de production car elles ralentissent la chaîne. |
Au Centre George Morris, on estime que les coûts moyens d’exploitation des abattoirs, qui revenaient à environ 150 dollars la tête avant l’ESB, seront d’environ 250 dollars la tête après l’ESB. Vu cette augmentation dramatique, on ne sait pas si les 19 abattoirs sous inspection fédérale resteront économiquement viables. À long terme, certains abattoirs pourraient fermer, changer de mains ou fusionner avec d’autres.
Pour l’instant, les abattoirs canadiens semblent toutefois viables. En effet, l’offre excédentaire de 25 000 bovins par semaine a considérablement augmenté la marge brute des abattoirs4, bien au-delà de l’augmentation estimée de 100 dollars la tête des coûts moyens d’exploitation. Un rapport préparé par l’Alberta Cattle Feeders Association et présenté au gouvernement de l’Alberta intitulé Consolidated Beef Industry Action Plan: Actions for Industry if Borders Remain Closed, révèle que la marge brute moyenne des abattoirs, pour la période du 22 septembre 2003 au 16 février 2004, était de 431 dollars la carcasse, au lieu de 144 dollars un an plus tôt et de 208 dollars CAN pour les abattoirs américains au cours de la même période. Selon le rapport, la marge des abattoirs canadiens est supérieure de 200 % à celle de l’an dernier et supérieure de 107 % à celle de leurs concurrents américains pour la même période.
Si ces estimations sont exactes, cela signifie que les abattoirs canadiens ont peut-être profité de l’offre excédentaire des bovins au cours de la période intermédiaire se situant entre les contrecoups immédiats de la crise, où presque tous les intervenants ont souffert, abattoirs y compris, et la période à long terme suivante, au cours de laquelle les abattoirs seront sans doute le plus touchés. Encore une fois, il importe d’aborder avec prudence ces conclusions. Par exemple, les estimations avancées par le Centre George Morris au sujet de la marge brute supposent que les abattoirs canadiens reçoivent le prix courant pour certains des produits qu’ils vendent, même lorsque le prix de ces produits est réduit par rapport au prix courant. En outre, la production ou l’abattage de vaches a diminué de 327 630 têtes en 2003 par rapport à 2002 (voir le graphique 3.1), ce qui a fait augmenter le coût du capital par tête d’en moyenne 10 % pour les abattoirs.
Le Programme fédéral-provincial de redressement de l’ESB
Dans les semaines suivant la fermeture des frontières au bœuf canadien, le secteur des abattoirs a ralenti ses opérations, passant d’un peu moins de 70 000 têtes par semaine en moyenne en mai à seulement 30 000 têtes (voir le graphique 3.1). La crise de l’ESB s’est traduite par un énorme écart entre le prix demandé par les exploitants de parcs d’engraissement pour des bovins engraissés et le prix offert par les abattoirs. Les abattoirs n’avaient d’autre choix que de soumissionner à la baisse parce qu’ils obtenaient moins pour leurs propres produits et que leurs coûts augmentaient de façon exponentielle. Les exploitants de parcs d’engraissement, de leur côté, hésitaient à vendre au faible prix offert par les abattoirs en raison des grosses pertes qui en résulteraient.
Pour mettre fin à l’impasse et éliminer l’arriéré de bovins, le 18 juin 2003, les ministres de l’Agriculture du fédéral, des provinces et des territoires ont annoncé un programme temporaire de 500 millions de dollars pour aider le secteur. Le Programme de redressement de l’industrie dans le sillage de l’ESB verserait aux producteurs la différence entre le prix moyen hebdomadaire des bovins engraissés du marché américain (en devise canadienne) et le prix moyen hebdomadaire du marché albertain, jusqu’à concurrence de 50 % du prix de référence américain. Les coûts du Programme ont été partagés à 60 % par le fédéral et à 40 % par les provinces.
Le Programme de redressement visait deux objectifs principaux : 1) encourager les parcs d’engraissement à vendre sur un marché faible et 2) augmenter le volume d’abattage. Le Programme, auquel les parties ont entièrement souscrit, s’est terminé en août et, en terme des deux objectifs ci-haut, il a accompli sa mission. Comme l’illustre le graphique 3.1, le volume hebdomadaire d’abattage a graduellement augmenté pour dépasser les 60 000 têtes à la fin août et, avec l’ouverture du marché américain au bœuf en boîte carton au mois de septembre, il se maintient depuis.
Grâce au Programme, les propriétaires de parcs d’engraissement ont pu maintenir des prix se rapprochant davantage des niveaux habituels. On a ainsi redonné confiance au secteur bovin et les exploitants de parcs d’engraissement ont pu acheter des veaux d’automne à des prix comparables à ceux de 2002. Le graphique 3.2 démontre que même si le prix du marché des bovins engraissés de l’Alberta a récemment chuté à 35,06 dollars le quintal, si l’on prend en compte les paiements du gouvernement, les recettes des parcs d’engraissement ne sont pas tombées sous les 80 dollars le quintal. L’aide gouvernementale a donc considérablement atténué l’impact des faibles prix résultant de l’offre excédentaire de bovins. Nombre de parcs d’engraissement ont ainsi pu demeurer viables au cours de l’été, alors que les frontières étaient fermées aux bovins sur pied et au bœuf.
Graphique 3.2
Bovins engraissés : recettes estimées par tête
Source : Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et du Développement rural de l’Alberta, Review of Pricing in the Beef Industry, mars 2004, p. 8. |
Le Programme de redressement de l’ESB compte aussi des détracteurs. Certains observateurs ont avancé qu’il favorisait l’abattage en masse parce qu’une date limite avait été fixée, ce qui a affaibli les prix encore plus que s’il n’y avait pas eu le Programme. Il y a du vrai dans leurs critiques, mais celles-ci ne tiennent pas compte des résultats positifs du Programme.
Le prix des bouvillons engraissés de l’Alberta a chuté de 70,2 %, passant d’un sommet de 117,52 dollars le quintal au cours de la deuxième semaine de février à un creux de 35,06 dollars le quintal au cours de la quatrième semaine d’août 2003. En date du 20 juin 2003, le prix des bouvillons engraissés de l’Alberta avait déjà chuté de 28,6 % pour atteindre 67,16 dollars le quintal, mais la semaine suivant l’annonce du Programme, il avait encore baissé de 18,7 % pour s’établir à 47,02 dollars le quintal. Ce prix est encore tombé de 14 % au cours de la quatrième semaine d’août, à la fin du Programme, et a généralement remonté la pente depuis. Tous ces mouvements portent à croire que le Programme de redressement a bel et bien amorti la chute des prix consentis aux éleveurs de bovins et aux propriétaires de parcs d’engraissement. Toutefois, vu l’offre excédentaire, les abattoirs ont indirectement bénéficié d’une augmentation de 20,14 dollars à 32,10 dollars le quintal pour les bovins qu’ils ont achetés au cours de l’été 2003.
Une telle conclusion, cependant, exagère la situation. Il faut préciser que le prix des bouvillons engraissés de l’Alberta dépend de la saison : tous les ans, il décline au cours du printemps et de l’été, et ne remonte qu’à l’automne et à l’hiver. Par exemple, le prix des bouvillons engraissés de l’Alberta, en moyenne, a diminué de 23 % entre son sommet et son creux, en 2001 et en 2002. Le sommet a été atteint dans la deuxième et la troisième semaine de mars respectivement pour chaque année, et le creux dans la quatrième semaine de septembre et la deuxième semaine de juillet respectivement. Par conséquent, le déclin en 2003 était de 47 % supérieur à celui des deux années précédentes, et le faible prix s’est davantage prolongé, puisqu’il a duré six mois et demi plutôt que cinq mois et quart en moyenne pour les deux années précédentes. À la lumière de ces deux résultats, il semble raisonnable de conclure que le prix des bouvillons engraissés de l’Alberta serait sans doute tombé à l’été 2003 en l’absence du Programme, quoique de façon moins abrupte que 18,7 % en une semaine comme cela s’est produit après l’annonce du programme.
Heureusement, les paiements accordés en vertu du Programme gouvernemental étaient liés aux prix en vigueur et à l’abattage de bovins. La portée du Programme se limitait donc uniquement à indemniser partiellement les éleveurs de bovins et les exploitants de parcs d’engraissement. Si cela n’avait pas été le cas, la reprise aurait certainement été plus lente. On aurait abattu moins de bovins, ce qui signifie qu’ils se seraient davantage accumulés dans les parcs d’engraissement, ce qui aurait grossi les coûts d’exploitation des propriétaires de parcs et les aurait forcés à consentir à des escomptes pour vendre leurs animaux plus vieux.
4 | On calcule la marge brute en additionnant les revenus du bœuf aux revenus des sous-produits et en soustrayant le coût des bovins. La marge brute ne comprend pas les coûts d’exploitation, d’emballage ou d’immobilisation. |