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SSLR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice et des droits de la personne


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 21 octobre 2003




º 1610
V         La présidente (L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.))
V         Mme Cherry Kingsley (conseillère spéciale, «International Centre to Combat Exploitation of Children»)

º 1615

º 1620
V         La présidente
V         Mme Cherry Kingsley
V         La présidente

º 1625
V         M. Roy Jones (directeur, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada)

º 1630
V         M. James Moore (Port Moody—Coquitlam—Port Coquitlam, Alliance canadienne)
V         M. Roy Jones

º 1635

º 1640
V         La présidente
V         M. James Moore
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. James Moore
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. James Moore
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. James Moore
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. Roy Jones

º 1645
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. James Moore
V         La présidente
V         M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ)
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. Réal Ménard

º 1650
V         M. Roy Jones
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. Réal Ménard

º 1655
V         La présidente
V         Mme Cherry Kingsley
V         La présidente
V         M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, PC)
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. Inky Mark
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. Inky Mark
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. Inky Mark
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. Inky Mark

» 1700
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. Inky Mark
V         Mme Cherry Kingsley

» 1705
V         M. Inky Mark
V         La présidente
V         Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD)
V         Mme Cherry Kingsley

» 1710
V         Mme Libby Davies
V         Mme Cherry Kingsley
V         La présidente
V         Mme Libby Davies
V         Mme Cherry Kingsley

» 1715
V         La présidente
V         M. Roy Jones
V         La présidente
V         M. Roy Jones
V         La présidente
V         M. Roy Jones
V         La présidente
V         M. Roy Jones

» 1720
V         La présidente
V         Mme Cherry Kingsley
V         La présidente
V         Mme Cherry Kingsley
V         La présidente
V         Mme Cherry Kingsley
V         La présidente

» 1725
V         M. Inky Mark
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. Inky Mark
V         Mme Cherry Kingsley

» 1730
V         M. Inky Mark
V         Mme Cherry Kingsley
V         M. Inky Mark
V         Mme Cherry Kingsley
V         Mme Libby Davies
V         Mme Cherry Kingsley
V         Mme Libby Davies
V         Mme Cherry Kingsley
V         Mme Libby Davies
V         Mme Cherry Kingsley
V         Mme Libby Davies
V         Mme Cherry Kingsley
V         Mme Libby Davies
V         Mme Cherry Kingsley
V         La présidente










CANADA

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 003 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 21 octobre 2003

[Enregistrement électronique]

º  +(1610)  

[Traduction]

+

    La présidente (L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.)): La séance est ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous procédons à l'examen des lois sur le racolage.

    Deux témoins comparaissent aujourd'hui : Mme Cherry Kingsley, de l' International Centre to Combat Exploitation of Children, et M. Roy Jones, de Statistique Canada.

    Cherry, vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, tout comme M. Jones. Nous poserons des questions par la suite.

+-

    Mme Cherry Kingsley (conseillère spéciale, «International Centre to Combat Exploitation of Children»): Je traiterai des dispositions sur la communication, de celles sur les maisons de débauche, de certains aspects du proxénétisme, de l'application de la loi et de certaines des attitudes plus générales dans la population, notamment la façon dont le présent examen commence à se répercuter sur la place publique.

    Dans la mesure du possible, j'essaierai de présenter le point de vue des jeunes hommes et des jeunes femmes impliqués dans le commerce du sexe. C'est celui de l'International Centre to Combat Exploitation of Children. Mais c'est également le fruit de mon expérience personnelle, ayant travaillé dans le commerce du sexe de 14 à 22 ans. J'ai travaillé une grande partie de ma vie d'adulte avec des personnes qui ont réussi à s'en sortir.

    Je voudrais tout d'abord parler de l'article sur la communication, selon laquelle il est illégal de communiquer à des fins de prostitution. D'après certaines femmes impliquées dans le commerce du sexe, l'article 210 les contraint à embarquer dans les véhicules sans pouvoir négocier, conclure une entente ou évaluer le niveau de danger. Qu'il s'agisse de prostitution de rue ou même de prostitution intérieure, comme les services d'escorte ou les studios de massage, l'article sur la communication interdit de négocier un prix pour les actes qui seront posés, d'évaluer les risques possibles, etc.

    On nous signale que, particulièrement pour les aspects les plus visibles du commerce du sexe, les bons garçons et les bonnes filles sont souvent harcelés dans les endroits très passants. Les bons garçons et les bonnes filles désignent les personnes qui ne sont pas impliquées dans la prostitution ou le commerce du sexe. On fait valoir que les prostitués, qui sont essentiellement des femmes, provoquent une hausse de la criminalité, de la violence et de la consommation de drogues, laissent sur place des condoms et des aiguilles, et mettent généralement en péril le reste de la collectivité. Je veux dissiper ce mythe, parce qu'il est trompeur. Les gens qui sont harcelés le sont généralement par des types qui cherchent des femmes ou des enfants pour obtenir des services sexuels. Ce ne sont pas les femmes qui harcellent le reste de la population. Les problèmes de drogue éventuels ne sont pas attribuables aux femmes exploitées dans le commerce du sexe. Il est donc injuste de tenir les femmes responsables de tous ces différents problèmes.

    Cependant, nous devons nous pencher sur certains aspects très réels de la violence contre les femmes impliquées dans le commerce du sexe et sur leur incapacité de négocier un prix, de se défendre ou de prendre des décisions les concernant.

    L'autre danger perçu dans la population à l'égard des endroits très passants, c'est que des gens, qui ne s'engageraient pas normalement dans le commerce du sexe, soient recrutés parce que ce type de commerce se trouve dans leur quartier. C'est l'une des raisons pour lesquelles le public veut souvent confiner ce commerce à l'intérieur, pour qu'il ne soit plus visible, afin que les autres jeunes ou les adultes ne soient pas recrutés ou ne deviennent pas vulnérables. Le fait est cependant que les femmes n'exercent aucun contrôle sur l'emplacement de ces lieux. Les femmes et les jeunes impliqués dans le commerce du sexe ne décident pas qui sont les recruteurs, ni certes qui sont les proxénètes. Ils ne possèdent aucun pouvoir et n'ont pas voix au chapitre dans l'ensemble de la collectivité. Souvent, ils n'exercent même aucun contrôle sur l'endroit où ils travaillent. Ce sont la pauvreté, la police, la collectivité et les clients qui le décident.

    Il y a un mythe voulant que, si la prostitution était autorisée à l'intérieur, notamment dans des studios de massage ou par les services d'escorte, les femmes pourraient négocier équitablement le prix du service et évaluer les risques. À cause de l'article sur la communication, elles ne peuvent cependant pas le faire même entre quatre murs. Elles ne peuvent faire connaître ouvertement ce qu'elles veulent ou ne veulent pas. Chaque client est censé recevoir toute la gamme des services, ce qui signifie essentiellement tout ce qu'il veut. Il est donc faux d'affirmer que les femmes sont plus protégées par la prostitution intérieure. L'article sur la communication influe encore considérablement sur les femmes qui travaillent à l'intérieur. Les studios de massage sont considérés comme offrant des services internes, ce qui signifie que tout se passe sur les lieux mêmes. Les services d'escorte sont externes, c'est-à-dire que les personnes se rendent dans une résidence, à un hôtel ou ailleurs. Le fait est cependant que les gens n'appuient pas l'idée de la prostitution intérieure près de chez eux.

º  +-(1615)  

    La nature illégale du commerce du sexe, la stigmatisation qu'il entraîne et l'attitude du public sont les principaux facteurs aggravant l'exploitation des femmes, ainsi que la violence, la coercition et la discrimination dont elles sont victimes, particulièrement dans les aspects les plus visibles de la prostitution. En raison de l'attitude négative dans le public et de la responsabilité injuste attribuée aux femmes qui sont déjà exploitées, celles-ci sont harcelées par les passants. Elles sont la cible d'êtres violents, de violeurs, de voleurs et d'assassins.

    De plus, les services communautaires locaux exercent de la discrimination contre elles. Souvent en raison de leurs heures de travail, ces femmes ne peuvent recevoir la plupart des services susceptibles de les aider à s'en sortir. Leur visibilité est moins grande pour la plupart des gens. En outre, ces femmes subissent de la discrimination même lorsqu'il s'agit des services les plus essentiels. Après avoir été victimes d'une agression sexuelle ou physique, ces femmes n'auront pas accès aux hôpitaux ou aux cliniques parce qu'on est d'avis qu'elles doivent déclarer leur activité criminelle pour y être admise. Elles doivent décrire leurs activités illégales pour recevoir certains services essentiels.

    Elles sont également victimes de discrimination et de mesures punitives par les services d'aide sociale, les garderies et les autres services. Ainsi, elles ont vraiment accès difficilement à des services de base qui pourraient leur permettre d'obtenir du soutien comme parents et de l'aide au revenu pour pouvoir quitter ce milieu. Il leur est également difficile de trouver un logement. En raison de la discrimination qu'exercent contre elles non seulement les lois mais la population en général, ces femmes ne peuvent plus s'en sortir, n'étant presque pas considérées comme des êtres humains. Souvent, les droits de la personne et les services sociaux de base leur sont refusés, en raison de l'application de la loi et de l'attitude de la collectivité en général.

    Le public est d'avis qu'il s'agit d'adultes qui, en tant que tels, font des choix de carrière et savent que la vie leur offre d'autres possibilités. Mais le fait est que 80 p. 100 des travailleurs du sexe ont commencé dans le métier avant 18 ans. On ne peut donc pas parler d'adultes qui font des choix de carrière. Ces femmes sont 160 fois plus susceptibles d'être victimes de violence et d'une mort violente que celles de toute autre catégorie de la population féminine.

    Les enfants ont tendance à être exploités dans le commerce du sexe adulte. Il y a des gens qui cherchent des enfants à des fins d'exploitation sexuelle; la plupart de ces enfants sont impliqués dans le commerce du sexe chez les adultes. Vous trouverez donc des enfants dans la prostitution de rue, les services d'escorte et les studios de massage. Confiner le commerce du sexe à l'intérieur, le légaliser ou même le décriminaliser n'éliminera pas l'exploitation des enfants, ni la violence, ni les problèmes de santé physique ou mentale, ni la discrimination. De telles solutions ne permettront pas plus de s'attaquer aux problèmes auxquels font face les femmes en matière de violence, de mauvais traitements, de pauvreté ou de logement.

º  +-(1620)  

+-

    La présidente: Il vous reste deux minutes.

+-

    Mme Cherry Kingsley: Il y a tellement de choses que je veux aborder.

    Si nous abrogions certains aspects de l'article sur les maisons de débauche, les femmes pourraient travailler chez elles ou dans un établissement, ce qui leur offrirait un milieu sûr et supprimerait partiellement la violence. De nombreux tenants de cette solution pensent que les femmes auraient ainsi un milieu de travail sûr et confortable. En fait, elle procure plutôt un environnement sûr et confortable où les hommes peuvent acheter des services sexuels. Elle n'offre à ces femmes aucun pouvoir ni ne s'attaque aux problèmes de santé. Si nous voulions protéger ces femmes, ce sont les hommes que nous viserions par nos mesures et nous contesterions le fait que des personnes peuvent acheter d'autres personnes.

    Certains prétendent qu'il s'agit d'une question de main-d'oeuvre. Nous ne vendons pas de la main-d'oeuvre, nous vendons des corps humains.

    Certains proposent de légaliser la prostitution. Le gouvernement intervient alors pour réglementer ce que les femmes peuvent faire ou ne pas faire de leurs corps. En légiférant, nous visons encore davantage les femmes et leurs corps. Nous établissons les critères et les compétences, le nombre d'heures de travail et de clients, les services offerts ainsi que les tarifs. Par conséquent, nous réglementons encore davantage les femmes et leur corps. Agir ainsi n'élimine aucun problème sous-jacent ni la violence. Si nous commençons à légiférer, nous avantageons le crime organisé et favorisons le trafic sexuel. Si nous légalisons le sexe intérieur, il sera plus difficile d'avoir accès à ces personnes pour leur offrir des services de santé mentale ou physique et des programmes leur permettant de s'en sortir. C'est un faux-fuyant qui ne nous oblige pas à donner de véritables services aux personnes exploitées. Le nombre de femmes qui choisiraient une telle solution est restreint. La plupart des prostitués de rue n'obtiendraient de permis, etc. Je ne suis donc pas en faveur de la légalisation.

    La loi est appliquée de façon sexiste. C'est une question qui relève des droits de la personne et que le comité doit examiner. Ce sont les femmes que nous persécutons et poursuivons. La loi vise les hommes qui achètent des services sexuels et permet aux policiers de cibler les hommes qui en vendent, mais l'application de la loi ne tient pas compte des hommes travaillant dans l'industrie du sexe. Ce sont les femmes qui sont visées, ce qui favorise la violence.

    Dans les pays ayant légalisé la prostitution, on autorise surtout les hommes à acheter des services sexuels. La légalisation n'a donné aucun pouvoir aux femmes. Nous devons comprendre que la légalisation protège les proxénètes et ceux qui tirent profit de la prostitution. Nous avons transformé les proxénètes en d'honnêtes hommes d'affaires, car il est probable que les femmes ne se retrouveront pas dans une telle situation de pouvoir.

    Je crois avoir terminé mon exposé.

+-

    La présidente: Je vous remercie infiniment.

    Roy.

º  +-(1625)  

+-

    M. Roy Jones (directeur, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada): Je vous remercie infiniment de me permettre de m'adresser à vous cet après-midi pour vous donner, comme on me l'a demandé, un aperçu des tendances sur les infractions liées à la prostitution qui sont déclarées par la police. Ces infractions sont visées par les articles 210 à 213. Je vous communiquerai des statistiques sur les homicides et certaines tendances sur les peines imposées par les tribunaux par rapport à ces articles. Je crois comprendre que je dispose d'environ dix minutes. Ayant 12 diapositives à présenter, je les examinerai donc assez rapidement. J'essaierai de respecter le délai. C'est toujours passionnant d'avoir un statisticien à la fin de la journée.

    La diapositive 2 comprend un graphique chronologique. Vous pouvez constater qu'environ 90 p. 100 des affaires de prostitution déclarées par la police en 2002 découlaient de l'article 213 sur la communication. En tout, environ 5 200 affaires avaient trait à la communication, quelque 430 découlaient de l'article 212 et moins de 150 portaient sur les maisons de débauche aux termes des articles 210—pour la plupart—et 211. Depuis 1985, lorsque les dispositions sur la communication ont remplacé celles sur la sollicitation, la police s'est surtout attaquée aux infractions relatives à la communication. La diminution importante du nombre d'affaires signalées en matière de communication entre 1992 et 1994—la ligne supérieure sur le graphique—est imputable à la baisse considérable du nombre d'incidents déclarés à Vancouver en 1993 ainsi qu'à Calgary, à Toronto et à Edmonton en 1994.

    Les lignes très près du bas du graphique sont difficiles à déceler, mais le nombre d'affaires liées au proxénétisme est très légèrement en hausse, s'établissant à 430 en 2002. Pendant les années 90, une moyenne d'environ 350 affaires de proxénétisme ont été déclarées par année.

    Par contre, le nombre d'affaires liées aux maisons de débauche continue d'être peu élevé. En 2002, il était d'environ 138, soit le niveau le plus bas depuis environ 1980. Pendant la deuxième moitié des années 80, leur nombre variait entre 500 et 700. Il s'agit donc d'une réelle diminution du nombre des affaires déclarées par la police à ce chapitre.

    Je devrais ajouter que le nombre d'affaires déclarées par la police fluctue considérablement d'une année à l'autre, essentiellement en raison des mesures d'application prises particulièrement à l'égard de la prostitution et la communication.

    Passons à la diapositive 3. Le graphique porte sur les personnes accusées de communication. Vous pouvez constater que les hausses et les baisses sont identiques à celles du graphique précédent. Les tendances sont les mêmes pour les hommes que pour les femmes, comme l'indiquent les deux lignes supérieures. Dans l'ensemble, le nombre de personnes accusées a chuté de près de 50 p. 100 depuis le sommet atteint en 1988. Pour vous brosser un tableau de la situation de l'an dernier, je dirai qu'en 2002, 99 p. 100 des accusations dans les affaires de prostitution découlaient de la disposition sur la communication. Il s'agissait exclusivement d'adultes. Moins de 1 p. 100 étaient des jeunes de moins de 18 ans. La même chose vaut également pour les articles 210 à 212. Très peu de jeunes ont été accusés en vertu de l'un de ces articles. Plus de la moitié des quelque 3 000 personnes accusées de communication étaient des femmes en 2002. Environ 46 p. 100 étaient des hommes.

    Par comparaison, les femmes représentaient environ les deux tiers des personnes accusées en vertu des articles 210 et 211 sur les maisons de débauche, et les hommes constituaient près des trois quarts des personnes accusées de proxénétisme. Encore une fois, ces chiffres sont très bas. Les chiffres sur les accusations relatives aux maisons de débauche et au proxénétisme ne figurent pas dans le graphique parce qu'ils sont infinitésimaux. Il s'agit parfois de quelques douzaines d'accusations.

    Je dois signaler que la majorité des adultes ont été accusés. Seulement 17 p. 100 des infractions ont été classées sans mise en accusation, ce qui justifie une partie de l'écart entre le total des affaires de prostitution et le nombre d'hommes et de femmes accusés. Ce nombre est légèrement inférieur, parce que tous ne sont pas mis en accusation. Parfois, les infractions sont classées sans mise en accusation, les personnes participant à un programme, recevant un avertissement, etc. 

º  +-(1630)  

    Je survolerai les diapositives 4 et 5, parce qu'elles sont assez explicites. Elles donnent la répartition par âge des personnes accusées de communication. Il s'agit des mises en accusation et des infractions classées sans mise en accusation—avertissement ou participation à un programme. Vous remarquerez que, sur les quelque 1 700 femmes accusées en 2002, huit sur dix avaient entre 18 et 34 ans. Les adolescentes de 12 à 17 ans représentent environ 2 p. 100 du total, qui s'établit à moins de 40. C'est très peu dans une année.

    Examinons la diapositive 5 sur l'âge de l'accusé de sexe masculin par rapport à la communication. La répartition par âge est légèrement différente pour les 1 800 accusés. Elle est plus étendue. En moyenne, les hommes sont accusés à des catégories d'âge un peu plus vieilles. Encore une fois, on remarque très peu de personnes de moins de 18 ans.

    La diapositive 6 traite du taux des affaires de communication pour 100 000 habitants, dans les régions métropolitaines de recensement.

+-

    M. James Moore (Port Moody—Coquitlam—Port Coquitlam, Alliance canadienne): S'agit-il d'accusations ou simplement d'affaires qui sont déclarées?

+-

    M. Roy Jones: Il s'agit d'infractions déclarées par la police en matière de communication et consignées dans les bases de données. Il en découle donc une accusation ou une infraction classée sans mise en accusation—participation à un programme, notamment. Le tout est toutefois consigné comme une affaire dans la base de données des forces policières.

    D'après la répartition par âge, vous pouvez constater une fluctuation importante d'une année à l'autre. Encore une fois, cette fluctuation s'explique par les modifications dans la façon dont les forces policières appliquent la loi. Le nombre d'affaires de communication se concentre dans les quatre régions métropolitaines de recensement de Vancouver, de Toronto, d'Edmonton et de Montréal, où surviennent 60 p. 100 de celles-ci. Je pense que c'est tout ce que nous devons signaler sur cette diapositive.

    La diapositive 7 traite des homicides sur les prostitués selon l'année de déclaration, soit de 1992 à 2002. Nous pouvons constater une hausse importante en 2002. Comme bon nombre d'entre vous le savent, ce chiffre élevé tient compte des 15 homicides sur des prostitués de la région de Port Coquitlam. Entre 1992 et 2002, les forces policières ont déclaré 79 homicides sur des prostitués:  92 p. 100 étaient des femmes, 5 p. 100 étaient des hommes, et 3 p. 100 étaient des adolescentes.

    Dans une analyse que nous avons effectuée au milieu des années 90, nous avons découvert que près de neuf prostitués assassinés sur dix à cause de leur profession ont été tués par un client. Les autres avaient été victimes de proxénètes ou de personnes impliquées dans le commerce illégal de la drogue. Encore une fois, la plupart des homicides sur les prostitués au cours de la dernière décennie sont survenus dans quelques-unes des principales régions métropolitaines de recensement, le tiers ayant eu lieu à Vancouver—chiffre élevé qui est imputable à ce qui est survenu à Port Coquitlam l'an dernier. Les taux concernant Victoria, Edmonton et Montréal varient entre 9 et 10 p. 100. En règle générale, environ 1 p. 100 de tous les homicides ont comme victimes un prostitué. C'est la moyenne de la dernière décennie. Nous savons pertinemment qu'il s'agit d'une sous-estimation.

    La diapositive 8 donne un bref aperçu des causes devant les tribunaux. Je devrais vous signaler que nous ne possédons pas les chiffres nationaux en ce qui concerne les tribunaux pour adultes. Nous avons une couverture d'environ 80 p. 100, qui constitue cependant une base uniforme et pertinente nous permettant de dégager des tendances. En ce qui concerne les accusations et les affaires déclarées, le nombre d'infractions de communication a diminué au cours des dernières années. Le nombre de femmes impliquées en 2001-2002, c'est-à-dire la dernière année sur le graphique, a diminué d'environ 50 p. 100 par rapport au sommet atteint en 1995-1996. Parallèlement, le nombre d'hommes a chuté d'environ 40 p. 100 par rapport au maximum en 1998-1999. Au cours des dernières années, le nombre d'hommes est demeuré relativement stable. Le graphique ne montre cependant pas le nombre relativement peu élevé de personnes qui ont comparu devant un tribunal en vertu des articles 210, 211 et 212. Encore une fois, c'est très peu élevé.

    D'après une autre enquête, celle sur les causes devant les tribunaux pour adolescents, nous savons qu'il est extrêmement rare que des adolescents comparaissent devant un tribunal en vertu des articles 210 à 213. En 2001-2002, 19 adolescents ont comparu en vertu de l'article sur la communication, et beaucoup moins aux termes des articles 210 à 212. Je devrais signaler la diminution importante du nombre d'adolescents ayant comparu en vertu de l'article sur la communication pendant la dernière décennie. En 1991-1992, plus de 200 jeunes avaient comparu, par rapport à 20 actuellement, soit une diminution de 90 p. 100.

    La diapositive 9 porte sur les décisions rendues par les tribunaux à l'égard des adultes accusés de communication. Il s'agit ici d'environ 1 100 hommes, dont près de 40 p. 100 ont été déclarés coupables. La plupart des accusations ont fait l'objet d'un arrêt ou d'un retrait. C'est la colonne noire. En revanche, environ les deux tiers des 850 femmes ayant comparu devant les tribunaux provinciaux ont été déclarées coupables. La même tendance s'observe chez les adolescents. Cependant, les chiffres étant très peu élevés, il ne vaut pas la peine de s'y arrêter.

º  +-(1635)  

    Dans l'ensemble, environ le quart des quelque 370 adultes qui ont comparu en vertu des articles 210 et 211 sur les maisons de débauche ont été trouvés coupables, et environ 70 p. 100 des décisions ont été un arrêt ou un retrait. Approximativement le tiers des personnes accusées de proxénétisme ont été déclarées coupables. Ces chiffres ne sont pas tellement différents de ceux indiqués sur la communication dans la présente diapositive .

    La diapositive 10 traite des peines les plus sévères. Il y a trois catégories: prison, probation et amende. Nous constatons que les femmes accusées de communication reçoivent des peines un peu plus sévères, vraisemblablement parce qu'elles ont déjà été accusées auparavant ou font face à des accusations multiples. Il faudrait une analyse supplémentaire pour établir le lien avec l'accusation antérieure, mais nous avons manqué de temps pour le faire. Cependant, nos analyses déjà effectuées indiqueraient que les accusations précédentes constituent une des caractéristiques distinctives expliquant l'écart entre les hommes et les femmes. Environ 43 p. 100 des femmes déclarées coupables ont été emprisonnées, contre seulement 7 p. 100 pour les hommes. L'amende a constitué la peine la plus sévère imposée à 60 p. 100 des hommes. Encore une fois, les chiffres sur les infractions relatives au proxénétisme et aux maisons de débauche sont si peu élevés qu'il ne vaut vraiment pas la peine de les exposer dans un graphique. Je pourrais vous donner des points de données ultérieurement, si vous le souhaitez.

    La diapositive 11 porte sur la durée des peines d'emprisonnement. Sur les 214 femmes et les 10 hommes ayant été condamnés à l'emprisonnement en vertu de l'article sur la communication, 85 p. 100 ont reçu une peine d'un mois ou moins. Environ le tiers de ces personnes a reçu comme peine le temps purgé dans un lieu de détention. Ces chiffres sont curieux. La plupart sont emprisonnés, mais quelques-uns seulement purgent une peine maximale d'un mois.

    La diapositive 12 traite de la durée de la peine de probation. Il s'agit d'environ 140 hommes et 275 femmes. Les femmes reçoivent en général des peines de probation plus longues. Les peines de probation imposées aux hommes se répartissaient également entre moins de six mois et de six mois à un an. La durée était de six mois à un an pour 60 p. 100 des femmes et d'une année et plus pour 17 p. 100 d'entre elles.

    Passons maintenant à la diapositive 13, la dernière. Elle porte sur le montant des amendes imposées par les tribunaux en 2001-2002. Vous remarquerez que le montant de la très grande majorité varie entre 100 et 300 $. Les hommes sont plus susceptibles de payer une amende supérieure pour les infractions de communication. Environ le tiers des hommes et 14 p. 100 des femmes ont dû payer une amende supérieure à 300 $.

    Voilà, je vous ai donné les faits saillants de ce diaporama en dix minutes ou moins.

º  +-(1640)  

+-

    La présidente: Je vous remercie infiniment, monsieur Jones.

    Nous passons maintenant à la période des questions.

    Monsieur Moore. 

+-

    M. James Moore: Je m'excuse d'être arrivé en retard pendant les exposés. C'est en raison de mon manque de planification. Je m'en excuse. Mais j'ai réussi à entendre la dernière partie de vos exposés.

    J'ignore, Cherry, si vous avez vu les diapositives. Mais je vous inviterais à avoir une conversation avec l'autre témoin dans le cadre de cet examen.

    En ce qui concerne certaines données, particulièrement celles des diapositives 9 à 13, vous avez fait ressortir à la fin de votre exposé l'inégalité frappante entre les sexes en ce qui concerne les interpellations et les poursuites ainsi que toute cette question....

+-

    Mme Cherry Kingsley: Et dans l'application de la loi en général, ce qui ne débouche pas nécessairement sur des accusations, des poursuites, des condamnations et des peines.

+-

    M. James Moore: Vous avez manqué de temps à la fin de votre exposé. Si vous souhaitez ajouter certains aspects, je vous inviterais à prendre quelques minutes pour le faire.

+-

    Mme Cherry Kingsley: L'application de la loi vise essentiellement les femmes, parce qu'elles constituent l'aspect le plus visible du commerce du sexe. Ce sont elles qu'aperçoivent les gens du quartier, les policiers et le reste de la population. Souvent, l'application de la loi ne relève pas uniquement des policiers, mais d'un contexte plus vaste. Généralement, la population considère que ces femmes sont davantage des criminelles que ne le sont les clients qui les abordent de leur véhicule. La même chose vaut pour les adolescents impliqués dans le commerce du sexe. L'application de la loi nuit également à ces femmes lorsqu'elles veulent avoir accès à des services, notamment à l'aide sociale. Elle leur nuit si elles ont des enfants et si elles cherchent à obtenir de l'aide pour eux, craignant qu'ils leur soient enlevés. Cette situation crée un climat coercitif et fait de ces femmes des criminelles. Lorsque la colère des gens montent au sujet de la visibilité de la prostitution et de ses répercussions sur la collectivité, les policiers ciblent alors les femmes et essaient de les repousser vers un autre endroit. C'est parce qu'elles constituent l'aspect le plus visible qu'elles sont visées par l'application de la loi.

+-

    M. James Moore: Monsieur Jones, je vous invite également à formuler vos commentaires, particulièrement en ce qui concerne la diapositive 9. Je sais que la statistique n'est pas une science exacte et que la statistique en criminologie ne l'est vraiment pas. Relativement à la diapositive 9, qui indique le pourcentage d'acquittement, d'arrêt ou de retrait et qui montre l'écart considérable entre les hommes et les femmes, vous avez dit que les condamnations antérieures pouvaient notamment expliquer cet écart. Pourriez-vous nous donner des explications en fonction de vos recherches?

    Cherry, vous pourrez peut-être intervenir également à cet égard. L'accès déficient à l'aide juridique pourrait-il être une des raisons expliquant un tel écart? Quels sont les facteurs favorisant cet écart? Est-ce uniquement imputable au fait que les corps policiers sont composés essentiellement d'hommes?

+-

    Mme Cherry Kingsley: Bon nombre des prostituées ne sont pas accusées uniquement de communication. Elles sont parfois accusées de violation d'une condition ou de défaut de comparaître. Parfois, leur sentence précise que certaines zones leur sont interdites. Ne pas respecter cette condition constitue une violation en quelque sorte. Il peut s'agir également d'une infraction liée à la drogue. L'application de la loi vise souvent les femmes impliquées dans le commerce du sexe, mais elles ne sont pas toujours accusées de communication parce que, pour ce faire, les policiers doivent se faire passer pour des clients.

    Je n'ai pas entendu la question. Je suis désolée. J'examinais les statistiques. Ai-je répondu à votre question?

+-

    M. James Moore: Votre réponse est utile. Elle favorise la discussion. Je ne pense pas qu'il y ait une bonne ou une mauvaise réponse.

    Il existe un écart frappant en ce qui concerne les arrêts et les retraits une fois qu'une personne a été trouvée coupable. J'ignore si vous avez un exemplaire de la copie papier du diaporama de M. Jones. C'est de la diapositive 9 que je parle.

+-

    Mme Cherry Kingsley: Je viens d'en recevoir un exemplaire.

+-

    M. Roy Jones: J'apporterai quelques précisions. J'ai indiqué que nous ne pouvions pas quantifier le rôle joué par les condamnations précédentes sur l'écart entre les taux de verdict de culpabilité. Une bonne proportion des arrêts et des retraits débouchent sur un renvoi à un programme. Des accusations sont portées, et celles visant particulièrement les hommes renvoyés à un programme feront l'objet d'un arrêt ou d'un retrait à la fin du programme.

    Il est difficile notamment de quantifier un tel écart parce que l'article sur la communication ne précise pas si c'est le client ou la prostituée qui joue le rôle principal selon le point de vue de la police. En outre, nous ne possédons pas les micro-données sur le plan correctionnel pour aborder la question des programmes communautaires et des personnes qui participent au programme de déjudiciarisation et aux autres programmes semblables. Il nous faut essayer de découvrir ce qui découle de ces arrêts ou de ces retraits pour les hommes ou pour les femmes, mais en particulier pour les hommes. Nous avons cependant un soupçon à cet égard.

º  +-(1645)  

+-

    Mme Cherry Kingsley: Il existe des cours de sensibilisation des clients. Ceux-ci s'y rendent pendant une demi-journée, et aucun dossier n'est réellement tenu. Ils peuvent dire à leur employeur ou à leur femme qu'ils ont un rendez-vous chez le dentiste. Ils versent une modeste amende et suivent un cours de sensibilisation d'une demi-journée. Beaucoup participent à un programme de déjudiciarisation. Ils ne comparaissent même pas devant un tribunal. Un tel programme de sensibilisation existe dans presque toutes les villes. Cependant, aucun programme d'une demi-journée n'est destiné aux femmes. Souvent, les femmes doivent consacrer plus d'une demi-journée à n'importe quel genre de programme. C'est tellement injuste de les appeler des programmes.

+-

    M. James Moore: Je vous remercie.

+-

    La présidente: Je vous remercie infiniment, monsieur Moore.

    Monsieur Ménard, vous avez cinq minutes.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Merci.

    J'ai deux questions.

    Le tableau de la page 2 est assez frappant. Il démontre bien que peu d'accusations sont portées sur la tenue de maisons de débauche, mais qu'il y en a beaucoup de portées sur les infractions relatives à la communication. On comprend qu'entre les années 1990 et 2000, de moins en moins d'accusations ont été portées, même en vertu de l'article 213.

    Avez-vous des données susceptibles d'expliquer pourquoi peu d'accusations sont portées sur la question des maisons de débauche, alors qu'il y en a beaucoup lorsqu'il s'agit d'infractions liées aux communications? Est-ce que cela ne nous invite pas à conclure qu'il y a certainement un courant canadien qui serait prêt à accepter que les gestes que deux adultes consentants posent sans s'exposer sur la place publique ne fassent pas l'objet de sanctions?

    Finalement, ce n'est pas véritablement un regard moral qu'on pose sur la prostitution; ce qui dérange la communauté, c'est quand cela se fait sur la place publique. Par exemple, je suis député d'Hochelaga--Maisonneuve et il y a à peu près 150 travailleuses du sexe dans ma circonscription. Les gens veulent que cela ne se fasse pas sur la place publique et que cela soit réglementé. C'est pour cela que j'ai été un peu surpris du discours de Mme Kingsley sur la question de la légalisation.

    Voyons ce que vos statistiques nous invitent à comprendre aujourd'hui. Ce qui est dérangeant, c'est l'aspect public de la prostitution. Comment se fait-il qu'il y ait peu d'accusations portées sur la question des maisons de débauche, où, pourtant, il se fait aussi de la prostitution? C'est ma première question.

[Traduction]

+-

    Mme Cherry Kingsley: Je peux répondre par des anecdotes. Bien des gens impliqués dans la prostitution intérieure travaillent dans des studios de massage, pour des services d'escorte qui ne reçoivent pas directement les appels téléphoniques, ou chez elles à titre d'indépendantes. Souvent, elles essayent de dissimuler leurs activités à leurs voisins de peur d'être expulsées. Les journaux contiennent des centaines d'annonces classées sur la prostitution, et nous en retrouvons dans les pages jaunes également. Parfois, des services n'y sont nullement annoncés; il y a également toutes les activités illégales qui ne sont énumérées nulle part mais qui sont simplement plus subversives. Et la répétition est de mise. Les faveurs sexuelles ne doivent-elles pas être échangées plus d'une fois contre des biens et des services pour être considérées comme une activité de maison de débauche?

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Mais comment expliquez-vous le fait qu'on inculpe maintenant 3 000 personnes en vertu de l'article 213 alors qu'on en inculpait jadis 6 000? Entre les deux, il y a eu la Commission Fraser. Quelque chose s'est passé qui a fait que les procureurs de la Couronne jettent maintenant un nouveau regard social sur la prostitution. Le rapport entre les corps policiers et la prostitution a changé. Vos statistiques nous invitent à comprendre que plus on avance dans le temps, moins il y a d'accusations qui sont portées. Comment expliquez-vous cela? Est-ce qu'il n'est pas temps de décriminaliser la prostitution? C'est une question politique et je sais que vous n'allez pas y répondre, mais sur le plan des statistiques, quelle est votre interprétation?

º  +-(1650)  

[Traduction]

+-

    M. Roy Jones: C'est difficile de répondre à cette question pour deux raisons. Premièrement, nous ne sommes pas en mesure de donner des chiffres autres que ceux émanant des déclarations officielles par la police. Par conséquent, ces chiffres ne tiendraient pas compte des programmes officieux de déjudiciarisation ne figurant pas dans les dossiers de la police. Sont exclus systématiquement de l'analyse des séries chronologiques les chiffres qui, découlant d'une modification dans le comportement des forces de l'ordre à l'égard de la communication, ont entraîné une augmentation du nombre de personnes assujetties à la déjudiciarisation avant que l'affaire n'ait été consignée et signalée à la police ainsi qu'à Statistique Canada. De plus, nous ne possédons pas de données pertinentes sur ce genre de comportement de la part des services policiers.

    En ce qui concerne la baisse générale, j'ai précisé les quatre principales villes où s'est manifestée une diminution importante des affaires signalées par la police. Il s'agit de Vancouver, de Toronto, d'Edmonton et de Calgary. On peut supposer qu'en raison de sa soudaineté, cette diminution découle précisément du niveau d'application de la loi ou peut-être d'un changement dans les directives données par l'administration de ces villes. Cependant, je ne suis pas en mesure aujourd'hui de préciser pourquoi cela est survenu ou si des directives précises ont été données en quelque sorte aux policiers.

+-

    Mme Cherry Kingsley: Je voudrais préciser une de mes observations. Selon moi, l'application de la loi a subi des modifications au Canada. La population et les services de police sont heureux que la prostitution se fasse à l'intérieur. Mais je suis d'avis qu'ils pensent ainsi parce qu'ils supposent que la prostitution intérieur implique un choix, met en cause deux adultes et constitue une activité dénuée de violence, de coercition et de toute autre forme d'exploitation. Vous n'êtes pas sans savoir cependant qu'une prostituée qui travaillait à l'intérieur a été assassinée à Toronto récemment. Le tout est très dissimulé. Cela ne signifie pas que le choix s'offre toujours.

    Je pense que la population ne veut plus de la prostitution de rue et que les services de police agissent de façon à satisfaire les propriétaires fonciers, et non en réponse à la violence contre les prostituées, au viol, au vol, au meurtre, à la discrimination et au harcèlement constants ainsi qu'au recrutement des jeunes dans l'industrie du sexe. Ce n'est généralement pas le cas. Nous parlons d'une population très marginalisée et privée de ses droits. C'est une population qui ne possède pas une grande capacité juridique au Canada, qui n'a certes pas accès aux différents services et qui n'est pas admissible à obtenir de l'aide pour faire respecter ses droits juridiques individuels ou les droits de la personne.

    Les services de police satisfont certes la population et disent aux prostituées qu'ils ne les importuneront pas si elles travaillent à l'intérieur, si elles ne dérangent pas les voisins, si elles ne sèment pas le désordre, si elles ne laissent traîner aucun condom ni aucune aiguille et si aucune voiture ne circule sur les lieux afin de recruter des enfants. Je pense que la population et la police ont choisi de ne pas appliquer tous les aspects de la loi, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il n'y a pas d'enfants impliqués, qu'il n'y a pas de trafic sexuel et qu'il n'y a pas de victimes.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Une des principales recommandations de la Commission Fraser, qui n'a évidemment pas été mise en oeuvre... Rappelons-nous qu'on voulait permettre à deux travailleuses du sexe de travailler chez elles, dans leur résidence. Deux objectifs me préoccupent: prévenir la violence faite aux travailleuses du sexe et assurer la paix dans les communautés. Il me semble que dans ce domaine, il faudra permettre la prostitution dans des endroits désignés. Évidemment, il faut se préoccuper du sort des filles. C'est sûr que si les femmes ou les garçons font cela dans un milieu clos où il y a de la violence, on ne peut pas être d'accord. Je crois cependant qu'il faut sortir la prostitution des rues. Il y en aura toujours et il y a toutes sortes de motifs qui conduisent les gens à en faire, mais il me semblerait positif, jusqu'à un certain point, que cela puisse se faire dans des endroits dédiés à cela. S'il y a des agences d'escortes et si nos concitoyens y ont recours dans le respect de ce que deux adultes consentants peuvent s'offrir, cela ne me pose aucun problème en tant que législateur. Je n'ai pas à jeter un regard moral sur la prostitution, tout comme je n'ai pas à jeter un regard moral sur les raisons qui font que les gens consomment, si personne n'est lésé au niveau de la santé publique et au niveau des méfaits publics.

º  +-(1655)  

[Traduction]

+-

    La présidente: Monsieur Ménard, il reste une minute pour la réponse.

+-

    Mme Cherry Kingsley: Il est vrai que nous devons nous attaquer au problème de la violence, que la sécurité constitue un enjeu majeur, que les femmes dans la rue sont exposées à toutes sortes de choses.

    Toutefois, ce qui m'inquiète, c'est la légalisation de la prostitution intérieure. D'abord, elle offrira un cadre juridique aux modes de recrutement, ce qui veut dire qu'il reviendra aux femmes et aux enfants de démontrer l'absence, ou non, de consentement, de coercition. Le fardeau de la preuve reposera encore une fois sur les personnes victimes d'exploitation. Nous légitimiserons, par ce fait, les proxénètes, ceux qui incitent une personne à se livrer à la prostitution et qui en tirent profit. Il y a peu de chances que la situation des femmes s'améliore. Cette légalisation va favoriser le recrutement de prostitués, donner un caractère légitime à la prostitution au sein des communautés, la banaliser.

    Les gens, surtout les médias, ont une vision peu réaliste des choses. Ils s'imaginent que nous allons avoir, comme à Amsterdam, des quartiers réservés. Or, le fait de déplacer les activités à l'intérieur ne signifie pas que la prostitution sera uniquement pratiquée dans un secteur particulier de la ville, loin des autres communautés. Au contraire.

    La légalisation va permettre à toute personne qui possède un appartement, une maison, une pièce à l'arrière d'une boutique de se livrer à ce genre d'activité et de se défendre, légalement, contre toute accusation d'exploitation, de violence, ainsi de suite. Encore une fois, le fardeau de la preuve reposera sur les femmes et les enfants qui devront démontrer l'absence, ou non, de consentement.

+-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Monsieur Mark.

+-

    M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, PC): Merci, madame la présidente.

+-

    Mme Cherry Kingsley: Je voudrais ajouter un autre commentaire. Nous pouvons offrir aux femmes des endroits sécuritaires, à l'abri de toute forme de violence et d'exploitation, sans qu'elles soient obligées de fournir des faveurs sexuelles.

+-

    M. Inky Mark: Je tiens à remercier les témoins d'être venus nous rencontrer.

    Vos propos concernant le commerce du sexe sont très révélateurs.

    Ma première question a trait à l'industrie. Je sais que les tableaux qu'on nous a fournis font état des affaires de prostitution qui ont été déclarées. Avons-nous une idée de l'importance de l'industrie?

+-

    Mme Cherry Kingsley: Non. D'après les chiffres, la prostitution de rue représente entre 10 à 15 p. 100 de l'ensemble des activités. On pense qu'il s'agit d'adultes. Or, 80 p. 100 des personnes qui se livrent à la prostitution avaient moins de 18 ans quand elles ont commencé. Nous n'avons aucune idée de l'importance de cette industrie.

+-

    M. Inky Mark: Quelle est la situation aux États-Unis?

+-

    Mme Cherry Kingsley: D'après les données recueillies, 300 000 enfants se livrent à la prostitution, et 20 000 personnes sont emmenées tous les ans aux États-Unis à des fins de prostitution.

+-

    M. Inky Mark: Donc, on ne connaît pas la valeur monétaire de ce marché.

+-

    Mme Cherry Kingsley: Aux États-Unis, le commerce du sexe génère plus de revenus que le basketball, le baseball et le football pris ensemble. Au total, 17 000 sites pornographiques sont créés tous les jours, et bon nombre impliquent des enfants ou des jeunes.

+-

    M. Inky Mark: Nous avons tendance à croire, et je suis de ceux-là, que les femmes sont plus en sécurité à l'intérieur. Mais vous dites que ce n'est pas le cas.

    D'après ce que vous dites, la décriminalisation n'est pas vraiment la solution au problème. La société doit-elle maintenant se demander si elle est prête ou non à tolérer la prostitution? Qu'en est-il des droits de la personne? Autrement dit, si nous respectons les droits des femmes et des hommes, devons-nous interdire complètement cette activité?

»  +-(1700)  

+-

    Mme Cherry Kingsley: Je ne peux pas répondre à la question, parce que je n'ai pas de formation en droit.

    Nous ne pouvons pas envisager ne pas porter d'accusations contre ceux qui achètent des services sexuels, qui vivent des produits de la prostitution ou qui l'encouragent. Le public et les médias pensent que ce sont les proxénètes qui tirent profit de la situation. Or, la prostitution est pratiquée dans toutes les communautés, dans les hôtels, les restaurants, les clubs de nuit, les bains publics, les bars. Il y a divers secteurs de la communauté qui encouragent la prostitution, qui vivent de la vente ou de l'achat de services sexuels. Nous devons contrer ce phénomène. Le Dr Fry et moi avons lancé une campagne. Nous avons essayé de négocier avec les hôtels, les différents secteurs de l'industrie du divertissement et du tourisme, sauf qu'ils étaient très réticents. Il est difficile d'amener le secteur privé à s'intéresser à cette problématique, de le convaincre de ne pas autoriser ou encourager le commerce du sexe, de ne pas en tirer profit. Et n'oublions pas les consommateurs. Nous devons les cibler eux aussi.

    Nous ne pouvons pas légitimiser la prostitution. Les gens pensent que si nous légalisons ou même décriminalisons cette activité, les femmes et les enfants en sortiront gagnants. C'est faux. Nous n'allons que sanctionner et banaliser davantage leur exploitation.

+-

    M. Inky Mark: La semaine dernière, nous avons recueilli les témoignages de personnes qui travaillent dans le système. J'ai appris que cette question fait l'objet d'études depuis plus de 20 ans. Or, nous ne savons toujours pas comment venir à bout du problème. Nous devons avant tout chercher à assurer le respect, la protection de l'être humain. Voilà le principe qui doit nous servir de guide.

+-

    Mme Cherry Kingsley: La prostitution peut être considérée comme une autre forme de violence que subissent les femmes et les enfants. Nous avons créé des foyers de transition, établi différents protocoles avec les corps policiers, les hôpitaux, les bureaux d'assistance sociale. La personne qui est victime d'abus ou de violence conjugale a accès à différents services d'urgence, de suivi, de consultation, ainsi de suite. Pour ce qui est des enfants, nous devons absolument porter des accusations contre ceux qui tirent profit de la prostitution, qui l'encouragent ou qui en font la consommation. Dans le cas des femmes, et aussi des hommes, la prostitution peut être perçue comme une autre forme de violence.

    Je trouve la situation très frustrante. J'ai travaillé dans l'industrie du sexe pendant huit ans. On a tendance à croire que c'est un métier comme un autre. Or, j'ai parfois envie d'être très brutale et de dire clairement ce qu'il en est. Vendre son corps n'est pas un métier. La plupart commencent très jeunes. Prétendre qu'à 18 ans, on est assez vieux pour faire un choix de carrière est injuste. Je tiens à dire à ceux qui sont en faveur du commerce sexuel qu'ils ne me rendent pas service. Ils ne luttent pas pour le respect de mes droits. Allez voir par vous-mêmes. Ce n'est pas drôle. Nous sommes exposés tous les jours à la violence, à la discrimination, à la brutalité. Nous ne tirons aucun profit de ce que nous faisons. Ce n'est pas nous qui, de manière générale, faisons de l'argent, mais les hôtels, les restaurants, les proxénètes, les compagnies de taxi. L'industrie du sexe génèrent des milliards de dollars. Je n'en ai pas profité, puisque j'ai vécu dans le plus grand dénuement.

»  +-(1705)  

+-

    M. Inky Mark: Merci.

+-

    La présidente: Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.

    Le sujet est fort complexe.

    J 'aimerais revenir sur un point. Vous avez dit que la prostitution est en train d'être banalisée. Or, le problème, c'est que certains aspects du commerce du sexe le sont déjà : je songe aux services d'escorte et aux studios de massage. Cela complique les choses, car la loi s'attaque surtout aux plus vulnérables, c'est-à-dire ceux qui pratiquent la prostitution de rue.

    Vous avez parlé, plus tôt, de la loi, du mépris que suscite la prostitution, de la discrimination et de la violence qu'elle engendre. Je suis d'accord avec vous. Ce qui m'intéresse avant tout, c'est la loi elle-même, que l'on soit en faveur ou non de la légalisation ou de la décriminalisation de cette activité, un débat qui est loin d'être terminé.

    Les statistiques que nous a fournies aujourd'hui M. Jones sont très intéressantes. Elles font ressortir, en tout cas, l'existence d'un parti pris contre les femmes, étant donné que ce sont elles, surtout, qui font l'objet d'accusations. Ces statistiques, si je ne m'abuse, ne font état que des mises en accusation, des condamnations, ainsi de suite, qui sont enregistrées. Elles ne montrent pas que les méthodes d'application de la loi peuvent tenir du harcèlement.

    J'aimerais savoir, monsieur Jones, s'il existe des statistiques sur les agressions sexuelles. Vous nous avez fourni des statistiques sur les homicides, mais vous en avez peut-être qui portent sur d'autres formes de violence. Voilà pour le premier point.

    Ensuite, comme ceux qui sont le plus à risque sont considérés comme des « illégaux » , les policiers sont les dernières personnes vers qui ils vont se tourner. Si vous est victime d'agression, de harcèlement ou de violence, allez-vous vous tourner vers les policiers? Non.

    Concernant l'application de la loi, vous pourriez peut-être nous expliquer comment les choses se passent dans la rue. Je suis d'accord avec vous. Les plaintes sont importantes. Or, même si les statistiques font état d'une baisse importante dans l'application des dispositions sur la communication, celles-ci continuent d'être appliquées. Vous pourriez peut-être nous parler de votre expérience à ce chapitre, ou encore de celle des femmes qui travaillent avec vous.

+-

    Mme Cherry Kingsley: Il y a beaucoup de femmes et de jeunes qui sont arrêtés par la police. Il existe des programmes comme le DISC, qui permettent d'identifier les personnes qui se livrent à la prostitution. On prend leurs photos, on enregistre leurs traits caractéristiques. Ces données ne figurent pas dans les statistiques parce qu'aucune accusation n'est portée. Il n'y a pas de sollicitation. Les femmes font l'objet d'une surveillance soutenue. La police les arrête, leur dit de quitter les lieux, prend leurs coordonnées. Ce genre de chose se produit tout le temps. Donc, quand vous vivez dans de telles conditions, vous avez l'impression d'être un criminel.

    Les femmes sont ciblées. On les arrête parce qu'elles n'ont pas respecté telle ou telle condition, ne se sont pas présentées à l'audience, ont négligé de payer une amende. Donc, une femme peut être accusée une fois de sollicitation, mais elle peut aussi être l'objet de sept autres accusations : par exemple, non-respect des conditions, défaut de comparution, non-paiement d'une amende. On ne tient pas compte du nombre de fois qu'elle s'est retrouvée devant les tribunaux ou qu'elle a été condamnée. Elle a peut-être été accusée une fois de sollicitation, mais elle a peut-être eu des démêlés avec la justice à sept, huit, douze ou vingt-six reprises. Parce qu'il y a recoupement entre commerce de la rue et commerce de la drogue, elle est souvent accusée de consommation de drogue ou, ce qui est tout à fait ridicule, de vagabondage ou de traversée illégale. La police arrête les femmes pour toutes sortes de raisons, en fonction de l'état d'esprit de la collectivité. En effet, cette question suscite beaucoup d'intérêt, parce qu'elle a un impact énorme sur la vie des femmes, et aussi sur le niveau de violence, de discrimination, de harcèlement, non seulement de la part de la police, mais de la société en général.

»  +-(1710)  

+-

    Mme Libby Davies: Je voudrais savoir si vous avez constaté la même chose que moi. Comme les plaintes occupent une place importante dans le système et que le harcèlement dont ils sont victimes est constant, les prostitués travaillent de plus en plus dans des endroits qui ne sont pas sécuritaires. Les habitants des quartiers résidentiels se plaignent, et ces préoccupations sont tout à fait légitimes. Toutefois, les prostitués de la rue finissent par se retrouver dans des endroits où l'éclairage fait défaut ou encore dans des zones industrielles, ce qui a pour effet d'augmenter le niveau de risque. Est-ce quelque chose que vous avez, vous aussi, constaté?

+-

    Mme Cherry Kingsley: Oui. Parce que le nombre d'accusations portées et le sentiment de frustration de la communauté ne cessent d'augmenter, les femmes ont tendance à se déplacer vers les zones industrielles. En raison de l'existence des dispositions sur la communication et de la façon dont les policiers les appliquent, en effectuant, par exemple, des descentes pendant une semaine, un mois... On va assister, avec l'arrivée des Olympiques, à Vancouver, à un véritable nettoyage des rues. Les policiers vont porter toutes sortes d'accusations contre les femmes. Celles-ci n'auront rien à voir avec la sollicitation, mais ce sont les femmes qui seront ciblées.

    Je souhaite faire à ce sujet deux commentaires. D'abord, il est vrai que les stratégies qu'utilise la police pour appliquer la loi dépendent de l'attitude de la communauté. Or, on a tendance à croire que les prostitués viennent de la rue. J'ai grandi au sein d'une communauté, pas dans la rue. Je ne suis pas une entité quelconque. L'idée que ces femmes ne font pas partie de la communauté, qu'elles ne peuvent participer aux discussions, qu'elles ne méritent pas le même degré de protection que les propriétaires... Si les propriétaires cherchaient à protéger les droits des femmes, à les mettre à l'abri de la violence et du viol avec le même zèle qu'ils mettent à nettoyer leur cours, ce serait fabuleux.

    Le commerce du sexe oblige beaucoup de personnes marginalisées à négocier les abus dont elles sont victimes. Je l'ai appris à mes dépens. Les prostitués, pour la plupart, ont grandi dans la violence, la pauvreté, la discrimination. Je suis une Autochtone. J'ai été prise en charge par le système de protection de la jeunesse. J'ai vécu dans 20 foyers différents. Je n'avais aucun droit. À 14 ans déjà, je pratiquais la prostitution, ce qui n'a rien d'étonnant. Les travailleurs de l'industrie du sexe et les proxénètes, surtout, ont pour principe de dire que, puisque nous allons être victimes d'abus de toute façon, nous avons le pouvoir de négocier le genre d'abus que nous allons subir, étant donné que nous sommes rémunérés. J'ai parfois l'impression que le débat entourant la légalisation ou la décriminalisation de la prostitution nous place dans la même situation. Il nous oblige à négocier les abus dont nous allons être victimes. Pratiquons la prostitution à l'intérieur, ou loin des voies ferrées. Ce segment de la population va peut-être nous harceler, mais au moins, la communauté et la police vont nous laisser tranquille. Or, les abus ne cesseront pas. À mon avis, il est injuste d'obliger les gens à négocier les abus dont ils sont victimes, et à quel prix?

+-

    La présidente: Il ne reste plus qu'une minute pour la question et la réponse.

+-

    Mme Libby Davies: Qu'est-ce qui doit changer au niveau de l'application de la loi?

+-

    Mme Cherry Kingsley: J'aimerais qu'on mette davantage l'accent sur les proxénètes et les personnes qui font du recrutement—je pense que c'est très important—au lieu de porter des accusations et d'obtenir des condamnations. Nous devons nous attaquer aux secteurs d'activité qui encouragent le commerce du sexe et qui en tirent profit indirectement.

    Il m'est arrivé, à 14 ans, de travailler parfois 18 heures par jour dans des conditions d'esclavage, ou encore d'avoir huit ou dix clients par jour. Il ne faut pas oublier qu'il y a beaucoup plus d'hommes que de femmes qui pratiquent le commerce du sexe. On a parfois l'impression que les chiffres sont à peu près les mêmes, mais ce n'est pas le cas quand on tient compte du nombre de personnes qui participent au commerce du sexe et qui font partie de l'ensemble de la communauté. Nous devons cibler les consommateurs. Nous devons cesser de croire que le fait de déplacer la prostitution à l'intérieur rendra cette pratique plus anonyme. Au contraire, nous allons continuer de donner des pouvoirs aux consommateurs, aux procureurs, aux profiteurs, et exposer les femmes et les enfants à des risques. Nous ne réglerons pas le problème de la violence de cette façon. Si vous voulez nous fournir un endroit sécuritaire où vivre, alors faites-le. Mais ne le transformez pas en maison close.

»  +-(1715)  

+-

    La présidente: Merci.

    Avec la permission du comité, je vais poser une question à M. Jones. Je remarque qu'à la deuxième diapositive, le nombre d'incidents de proxénétisme est très bas. S'agit-il de proxénétisme auprès d'adultes ou aussi de proxénétisme auprès d'adolescents et d'enfants?

+-

    M. Roy Jones: Ces chiffres englobent tout.

+-

    La présidente: Vous ne les ventilez pas. Vous ne les détaillez pas du tout.

+-

    M. Roy Jones: J'ai déjà dit que nous avions compilé des microdonnées dans une étude sur les incidents, qui a été réalisée dans une partie du pays pour les services de police. Nous avons de l'information sur l'âge des victimes, nous pouvons obtenir ce type données, mais nous n'avons pas d'estimation à l'échelle nationale. Les chiffres sont tellement petits dans les administrations que nous avons étudiées que nous n'avons pas publié de statistiques par groupe d'âge.

    Puis-je répondre à une question précédente qui m'était destinée?

+-

    La présidente: Certainement.

+-

    M. Roy Jones: Quelqu'un m'a demandé des détails sur les formes de violence autres que l'homicide. Pour l'instant, nous n'avons pas de données par profession sur les autres types d'infractions; nous n'avons que celles obtenues dans notre enquête sur les homicides. Nous avons des données sur le rapport entre les victimes et les personnes accusées de violence à leur égard, donc nous savons s'il s'agit d'un parent, d'un étranger ou d'un collègue. Toutefois, nous ne pouvons déterminer le type de relation d'affaire que l'accusé avait avec la victime. Nous ne le pouvons pas.

    Bien que nous ayons des renseignements sur les refuges pour les femmes victimes de violence, par exemple, nous n'avons pas de programme de ressources qui nous renseigne sur chaque cas en nous disant pourquoi elles y ont été admises, outre le fait qu'elles avaient besoin d'un refuge parce qu'elles fuyaient de la violence, des difficultés financières ou des difficultés de logement.

    Au chapitre de l'aide juridique, nous avons un programme de ressources afin de recueillir des renseignements sommaires des programmes provinciaux d'assistance juridique. Nous sommes en train de préparer une étude afin de recueillir des microdonnées en fonction des articles du Code criminel, dans le but de découvrir au moins quels types de services offrent les programmes d'assistance juridique et quels types d'avocats viennent en aide aux personnes accusées de ce type d'infraction.

+-

    La présidente: Il serait intéressant que vous nous procuriez ces renseignements sur les rapports entre la victime et l'accusé. Ce serait intéressant pour nous.

    J'aimerais poser une deuxième question. Lorsque vous avez parlé des infractions relatives à la communication, j'ai remarqué que vous aviez dit qu'un tout petit pourcentage des gens avaient moins de 18 ans. Toutefois, j'ai entendu dans un forum auquel j'ai participé avec Mme Kingsley qu'aujourd'hui, beaucoup de jeunes exploités dons le commerce du sexe sont affichés sur Internet. Ils ne sont pas dans la rue. En avez-vous tenu compte lorsque vous avez déterminé le nombre de personnes arrêtées pour une infraction relative à la communication? Utilisez-vous les sources Internet de communication dans cette base de données?

+-

    M. Roy Jones: Nos données englobent tous les types de communication, qu'il s'agisse de communication par Internet ou dans la rue. Nous ne faisons aucune distinction. Toutes les données des rapports que les policiers préparent lorsqu'ils ont suffisamment de renseignements pour intervenir sont incluses. Donc tout est là.

»  +-(1720)  

+-

    La présidente: Il y a contradiction avec toutes les anecdotes que j'entends sur les adolescents et les enfants exploités. Leur pourcentage semble très bas, mais on nous répète très clairement depuis longtemps qu'ils représentent en fait un très grand pourcentage de cette population.

    Madame Kingsley, vous vouliez dire quelque chose.

+-

    Mme Cherry Kingsley: Je crois que beaucoup de gens acceptent depuis bien trop longtemps que l'intervention auprès des femmes et des enfants passe par les accusations policières, l'emprisonnement et tout le reste. Je pense que les statistiques sur les jeunes ne sont pas exactes, parce que les jeunes sont arrêtés pour d'autres motifs. Parfois, les policiers les accusent comme ils peuvent. Ils ne communiquent pas nécessairement avec eux à des fins sexuelles, ce qui les exposerait à des poursuites pour racolage. Ils parlent avec eux pour diverses raisons. Je crois qu'en tant que parlementaires et législateurs, vous ne pouvez accepter cette façon d'intervenir dans la vie des enfants, vous ne pouvez accepter qu'on les criminalise lorsqu'ils se font exploiter. On peut s'attendre à une intervention, mais je doute que ce doive être leur criminalisation.

    Il serait intéressant de savoir combien de jeunes placés sous garde ont été impliqués dans le commerce du sexe au cours des dernières années. Je crois que ces statistiques nous informeraient beaucoup plus que celles sur le nombre de personnes poursuivies pour racolage. Il faudrait qu'un flic joue le jeu et qu'il racole des jeunes, mais la plupart des flics n'osent pas le faire. Ils vont plutôt essayer de les prendre pour d'autres raisons.

    Je crois qu'il faut cesser d'accepter de voir la criminalisation ou l'arrestation de femmes et d'enfants comme une forme d'intervention. Il faut nous attaquer sérieusement aux problèmes de logement et de bien-être social, puis investir dans les programmes de sensibilisation et ceux visant à les sortir de là. Nous n'avons pas de programmes de retrait de la prostitution au Canada. Nous n'avons pas de stratégie en ce sens. Si on dit que la prostitution est un choix, alors j'aimerais qu'on ait le choix de s'en sortir aussi. Le gouvernement doit financer un programme de retrait pour que ce soit vraiment un choix.

+-

    La présidente: Je voulais vous poser une question, madame Kingsley, sur le choix. Je crois que vous avez exposé avec beaucoup d'éloquence que le corps de ces femmes est utilisé et qu'en fait, il s'agit d'abus. Quoi qu'il en soit, j'ai pratiqué la médecine pendant 23 ans et j'ai eu des patients qui travaillaient comme escortes en toute connaissance de cause, parce qu'ils estimaient que c'était une excellente façon pour eux de faire de l'argent et de payer leurs études ou ce qu'ils faisaient à ce moment-là. Ils le faisaient pendant une courte période de temps. Ils le faisaient pendant quatre ans, faisaient de l'argent, allaient à l'université, payaient leurs études et tout le reste. Ils le faisaient par l'intermédiaire de services d'escorte, parce que c'était perçu comme un moyen élégant de se permettre de participer au commerce du sexe. Comment nous, les parlementaires, devons nous composer avec le fait que certaines femmes choisissent de le faire, qu'elles sont maîtres de la situation, qu'elles travaillent pour un service d'escorte, par exemple, alors qu'il y a d'autres femmes qui sont manifestement des victimes impuissantes et qui n'ont simplement aucun moyen de s'en sortir? C'est une question que beaucoup de personnes se posent en ce qui concerne le choix.

+-

    Mme Cherry Kingsley: D'abord, il faut admettre que ces cas sont très rares. Il est extrêmement rare qu'une personne en voie d'obtenir un diplôme en médecine ou en droit...

+-

    La présidente: Je ne parlais pas de moi, madame Kingsley.

    Des voix: Oh, Oh!

+-

    Mme Cherry Kingsley: Mais vous savez ce que je veux dire. C'est tellement rare. Je préférerais de loin que l'accès aux prêts étudiants soit élargi plutôt que de voir toutes ces personnes qui veulent s'instruire passer par le commerce du sexe. Élargissons l'accès aux prêts étudiants avant d'élargir l'accès au commerce du sexe pour les personnes qui veulent s'instruire. Je préférerais que le gouvernement favorise la première option.

+-

    La présidente: Je vous remercie infiniment.

    Nous allons devoir aller à la Chambre pour voter, mais nous avons le temps de faire un tour de cinq minutes, s'il y a des gens qui ont d'autres questions.

    Monsieur Mark.

»  +-(1725)  

+-

    M. Inky Mark: Je reviens à toute la question de savoir ce qui est légal, ce qui devrait être légal et ce qui ne devrait pas être légal. Si l'on se place par rapport au reste du monde, dont les pays d'Europe et les États-Unis, est-il trop tard pour prendre une approche prohibitive face à cette industrie?

+-

    Mme Cherry Kingsley: Je doute que la prohibition aide les femmes. Elles sont l'élément le plus visible du commerce du sexe, et la prohibition, telle qu'on l'exerce actuellement, agit contre les femmes. Elle va certainement ne faire qu'accroître la misère des enfants si nous ne nous concentrons que sur l'application de loi.

    Je sais que c'est un équilibre bizarre, et il faudra un avocat pour faire la part des choses dans tout ce fouillis juridique. Je crois qu'il faut arrêter de criminaliser les femmes et les enfants, mais je ne crois pas qu'on puisse se contenter d'intensifier la criminalisation des consommateurs et de ceux qui tirent profit du commerce du sexe, soit les proxénètes et les souteneurs. Il faut continuer de les criminaliser, particulièrement lorsqu'il y a coercition, violence, exploitation d'enfants et autres. Nous avons des lois contre cela. Mais je pense que si on met seulement l'accent sur l'application de la loi sans mettre en place des services de soutien, d'assistance judiciaire et d'assistance sociale pour les femmes et les enfants, nous créons un climat de violence, de secret et de stigmatisation. Ceci dit, je ne crois pas non plus qu'il soit efficace de couvrir les clients de honte.

    Je pense que l'éducation est efficace, comme le dialogue public. Je sais que les gens prennent pour acquis que le commerce du sexe a toujours existé et qu'il va probablement toujours exister, mais pourquoi l'acceptons-nous? Parlons-en. Pourquoi croyons-nous honnêtement que c'est une nécessité? On entretient cette idée que les gens, particulièrement les hommes, ont besoin de cet exutoire pour assouvir leur désir ou leur rage. Pour bon nombre d'entre nous, ce n'était même pas une question de désir. Nous ne servions qu'à faire sortir la rage. Pourquoi le monde pense-t-il avoir besoin de cet exutoire? Et pourquoi m'a-t-on choisie comme exutoire? Parce que j'étais autochtone, pauvre et que j'avais déjà été victime d'abus. Il faut bien comprendre que la plupart de ces personnes étaient déjà vulnérables. J'aimerais que cet aspect fasse partie du dialogue public, puis qu'on crée des lois pour protéger les enfants. Je sais que vous êtes en train d'examiner le projet de loi C-20, et je crois que vous le faites bien. Mais il faut aussi protéger les hommes et les femmes adultes et commencer à remettre en question l'idée qu'il s'agit d'un exutoire légitime.

+-

    M. Inky Mark: Voilà la question. Où se trouve l'équilibre entre la légalisation ou la décriminalisation à certaines conditions et l'objectif complètement opposé d'enrayer le phénomène, de lancer des programmes de sensibilisation, d'élargir l'accès aux services sociaux et d'éduquer les gens? Peut-on faire les deux à la fois?

+-

    Mme Cherry Kingsley: Je ne saisis pas toutes les nuances du droit. Vous avez aussi la responsabilité d'alimenter le dialogue sur les droits de la personne. Si nous pouvions commencer à aborder le problème sous l'angle des droits de la personne, de la pauvreté et de l'égalité; lancer le dialogue de cette façon... Par exemple, les policiers tombent parfois sur des exploitants de maisons de débauche ou dans le cadre de leur travail, ils rencontrent des gens se livrant à la communication à des fins explicites. Il y a aussi les gens qui travaillent dans les hôpitaux, qui mènent des campagnes de sensibilisation, qui travaillent dans les cliniques médicales, dans les centres d'hébergement ou les refuges; il y a beaucoup de personnes qui peuvent entrer en contact avec cette population. Si tous ces gens commençaient à voir le problème comme un problème de pauvreté ou de violence, selon les besoins de chacun... Je crois que nous mettons trop l'accent sur la criminalité. On essaie de comprendre qui est responsable de quoi et qui est criminel. Je pense qu'il faut élargir le dialogue.

    Je pense que les lois peuvent favoriser la responsabilité sociale de ceux qui tirent profit de ces situations et les encouragent. Or cela ne doit pas nécessairement toujours se traduire en accusations criminelles. Je pense qu'il faudrait imposer des normes. Cela passe-t-il par la criminalisation? Je ne sais pas, parce que je n'ai pas étudié le droit.

»  -(1730)  

+-

    M. Inky Mark: Mais voulez-vous que cette industrie disparaisse?

+-

    Mme Cherry Kingsley: Oui, un jour. Je pense qu'il faut...

+-

    M. Inky Mark: C'est la grande question. Comment peut-on la faire disparaître?

+-

    Mme Cherry Kingsley: Je pense qu'il faut remettre la demande en question. C'est la réalité.

+-

    Mme Libby Davies: Cherry, vous dites que vous ne voulez pas voir les femmes impliquées dans ce que j'appellerais le trafic du sexe pour la survie, dans lequel elles sont incroyablement exploitées, et qu'il serait désastreux de les criminaliser davantage... En même temps, s'il y a un débat sur la signification de la décriminalisation, il n'est pas utile d'associer ce concept à une quelconque forme de promotion de l'exploitation de la femme. Nous sommes aux prises avec une question très difficile. Je sais qu'il existe des groupes qui s'y consacrent. Ils affirment souvent qu'à moins de prendre un virage très prohibitif, on favorise l'exploitation de la femme, ce qui est complètement faux. Je pense qu'il faut le dire. Je peux comprendre, à vous écouter et à entendre les gens avec qui vous travaillez, que la criminalisation n'aide pas les femmes impliquées dans le commerce du sexe. En fait, elle leur nuit.

+-

    Mme Cherry Kingsley: Elle peut même aller jusqu'à les tuer.

+-

    Mme Libby Davies: C'est vrai. Je pense que les dispositions sur la communication contribuent même à la violence et aux meurtres.

    Pour revenir à la question de M. Mark, que favorisons-nous? Je suis d'accord avec vous pour dire que si nous ne voulons pas de la criminalisation, nous devons envisager des services de soutien et des programmes pour les aider à s'en sortir. Cela n'existe pas.

+-

    Mme Cherry Kingsley: Mais la façon dont la loi est structurée est si bizarre. Elle met l'accent sur l'aspect de la communication et non sur l'acte...

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    Mme Libby Davies: Parce que ce n'est pas illégal. C'est la communication qui l'est.

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    Mme Cherry Kingsley: Oui. On met l'accent sur la communication...

+-

    Mme Libby Davies: Devrions-nous nous départir des dispositions sur la communication?

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    Mme Cherry Kingsley: ... et nous passons complètement à côté.

    Je ne pense pas du tout qu'il faut criminaliser les personnes qui vendent des services sexuels. Il y a d'autres façons d'améliorer leurs conditions sociales ou les situations dans lesquelles elles se trouvent. Toutefois, je pense qu'il faut continuer de poursuivre les proxénètes, les consommateurs et ceux qui tirent profit de ce commerce et qu'on doit parfois même les criminaliser.

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    Mme Libby Davies: Devrions-nous nous départir des dispositions sur la communication? Elles ont été adoptées pour accroître la sécurité, mais elles ne l'ont pas accrue. Quel est votre avis à ce sujet?

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    Mme Cherry Kingsley: Il faut nous débarrasser des dispositions sur la communication et nous attaquer au problème de façon plus directe sur le plan juridique. Il ne faut pas criminaliser les personnes qui vendent des services sexuels.

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    La présidente: Le timbre retentit. Il nous reste dix minutes pour nous rendre à la Chambre.

    Je tiens à remercier M. Jones et Mme Kingsley de leurs exposés. Mme Kingsley a fait preuve de beaucoup d'éloquence et a bien décrit comment elle voyait la situation. Vous avez rendu la question encore plus complexe.

    Je remercie tout le monde d'être venu.

    [La séance se poursuit à huis clos.]