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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 10 juin 2003




¿ 0910
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         M. Ernie Regehr (directeur général, Project Ploughshares)

¿ 0915

¿ 0920
V         Le président
V         M. James Fergusson (directeur adjoint, Centre d'études sur la défense et la sécurité, Université du Manitoba)

¿ 0925

¿ 0930
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne)
V         M. Ernie Regehr

¿ 0935
V         M. Deepak Obhrai
V         M. Ernie Regehr
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)
V         M. James Fergusson

¿ 0940
V         Mme Francine Lalonde
V         M. James Fergusson
V         Le président
V         M. John Godfrey (Don Valley-Ouest)

¿ 0945
V         M. James Fergusson
V         M. John Godfrey
V         M. James Fergusson

¿ 0950
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD)
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough
V         M. James Fergusson

¿ 0955
V         Le président
V         M. Ernie Regehr
V         Le président
V         Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.)

À 1000
V         M. Ernie Regehr
V         Le président
V         M. James Fergusson

À 1005
V         Le président
V         M. Leon Benoit (Lakeland, Alliance canadienne)
V         M. James Fergusson
V         M. Leon Benoit
V         M. James Fergusson
V         Le président
V         M. Ernie Regehr

À 1010
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.)
V         M. James Fergusson

À 1015
V         M. Ernie Regehr
V         Le président
V         M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ)

À 1020
V         Mme Francine Lalonde
V         M. Ernie Regehr

À 1025
V         Le président
V         Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.)
V         Le président
V         M. James Fergusson
V         M. Ernie Regehr

À 1030
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough
V         Le président
V         M. James Fergusson

À 1035
V         Le président
V         M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.)
V         Le président
V         M. James Fergusson

À 1040
V         Le président
V         M. Ernie Regehr
V         Le président
V         Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne)
V         Le président
V         M. Ernie Regehr

À 1045
V         Le président
V         M. James Fergusson
V         M. Art Eggleton (York-Centre, Lib.)

À 1050
V         M. James Fergusson

À 1055
V         Le président
V         M. Ernie Regehr
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 041 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 10 juin 2003

[Enregistrement électronique]

¿  +(0910)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Si vous le voulez bien, nous allons commencer.

    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions aujourd'hui la défense antimissile.

    Les témoins que nous accueillons ce matin sont deux professeurs. Il s'agit de M. Ernie Regehr, directeur général de Project Ploughshares. De l'Université du Manitoba, nous accueillons M. James Fergusson, directeur adjoint du Centre d'études sur la défense et la sécurité. Ces deux témoins ont déjà comparu à de nombreuses occasions devant notre comité.

    Bienvenue à tous les deux.

    Nous commencerons par entendre le témoignage de M. Regehr. Vous avez la parole, monsieur Regehr. Bienvenue.

+-

    M. Ernie Regehr (directeur général, Project Ploughshares): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Je suis très heureux de pouvoir prendre la parole devant le comité au sujet de cet important projet.

    J'ai laissé au greffier un exemplaire du document qui est un peu plus détaillé et je vous saurais gré de le mettre à la disposition des membres du comité.

    Je commencerai en disant que l'hypothèse d'une menace liée aux missiles balistiques est réelle. Il est impératif de se protéger de toute urgence contre pareil danger. Il est opportun que le Canada discute avec les États-Unis de solutions pour atténuer cette menace. Il est toutefois insensé de confiner ces discussions à la défense antimissile balistique, un programme foncièrement expérimental. Si le Canada devait se ranger aux côtés des États-Unis pour faire face à la menace que posent les missiles nucléaires, il devrait chercher avant tout la meilleure façon possible de réduire le danger nucléaire en général.

    Je m'emploierai essentiellement à soulever certaines questions et enjeux qui devraient être au centre des discussions canado-américaines concernant les plans de défense antimissile balistique des États-Unis. La première série de questions traite de la sécurité de l'espace et de trois sous-questions.

    La première sous-question concerne la militarisation de l'espace. Beaucoup croient avec raison que le programme américain de défense antimissile balistique sera forcément assorti d'un programme d'essais d'armes dans l'espace. De nombreux experts doutent qu'il soit un jour possible de déployer un système d'armes crédible dans l'espace, ce qui n'a pas empêché les Américains d'indiquer clairement leur intention d'user de leur prérogative de militariser l'espace et donc d'enfreindre la norme internationalement reconnue voulant que l'espace soit préservé à des usages pacifiques. L'agence américaine de défense antimissile (la MDA) a annoncé que son programme de mise au point d'intercepteurs en phase de propulsion portera d'abord sur des engins basés à terre et en mer, mais qu'à un moment donné, ces intercepteurs seront déployés à bord de satellites en orbite terrestre basse.

    L'agence prévoit de commencer ses travaux de développement de l'intercepteur à énergie cinétique qui sera basé dans l'espace au cours de l'exercice financier 2004. Ses projets budgétaires de 2004-2005 prévoient le déploiement d'un banc d'essais d'armes dans l'espace d'ici 2008, les premiers essais en orbite devant porter sur le lancement initial de trois à cinq satellites en 2008-2009.

    Le Canada est traditionnellement opposé à ce genre de programme, et le ministre des Affaires étrangères, M. Graham, a déclaré à la Chambre des communes que les plans actuels des États-Unis n'ont rien à voir avec la militarisation de l'espace. Les Américains pourraient calmer les inquiétudes de la communauté internationale en agissant d'une façon bien simple, reconnue par tous. Ils pourraient simplement accepter de participer aux négociations de la Conférence sur le désarmement (CD) à Genève, conférence portant sur la démilitarisation de l'espace, avant de poursuivre leur projet de BMD.

    Il y a aussi la question des armes antisatellites (ASAT). La sécurité de l’espace ne se limite pas à la simple nécessité de veiller à la non-militarisation de l’espace, puisqu’il est tout aussi impératif de préserver l’espace en tant que zone où aucune guerre ne pourra être menée. Malheureusement, que des armes soient ou non déployées dans l’espace, la mise en œuvre d’un système de BMD pourrait marquer un tournant décisif parce qu’il transformerait ce milieu en une zone de combat comme l’envisagent certains stratèges du Pentagone qui imaginent des combats dans et à partir de l’espace.

    Les intercepteurs de BMD, sans égard à leur taux de réussite pour ce qui est d'intercepter des missiles balistiques, sont, à toutes fins utiles, des armes antisatellites. Les intercepteurs devant être déployés en 2004, puis dans un avenir prévisible, seront d’une efficacité limitée – les défenseurs du projet le reconnaissant eux-mêmes – mais ils auront incontestablement une capacité accrue de frapper d’autres satellites qui deviendront dès lors des cibles beaucoup plus prévisibles. Ainsi, ce qui sera déployé en 2004 devrait être rebaptisé «Premier système d'armes antisatellites (ASAT) déployé dans l’espace».

    Les systèmes ASAT ne sont pas explicitement interdits, mais les États sont assujettis à toute une gamme de contraintes légales qui leur interdisent d’entraver l’utilisation de satellites d’autres pays servant à vérifier les programmes de désarmement ou à conduire des activités d’exploration et d’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique.

    Dans le cadre de ses entretiens sur la BMD, le Canada devrait clairement faire savoir qu’il considère les armes antisatellites comme allant à l’encontre de la condition générale visant à préserver l’espace à des fins pacifiques. Pour respecter cette condition, les Américains pourraient au moins collaborer à la recherche d’un accord multilatéral confirmant une interdiction de tous les essais et déploiements d’armes antisatellites.

¿  +-(0915)  

    Il y a aussi le milieu spatial. Les armes et les perspectives de combat dans l’espace, outre leurs conséquences stratégiques, pourraient avoir de graves répercussions sur le milieu spatial. Même les essais d’interception de missiles dans leur phase balistique, en orbite terrestre basse, pourraient occasionner des débris qui demeureraient en orbite pendant très longtemps et qui nuiraient aux satellites de communications et autres en orbite terrestre basse. La destruction de satellites en orbite haute pourrait occasionner des débris qui resteraient en orbite en permanence. Or, comme chacun le sait, dans le cadre de la surveillance du trafic dans l’espace, il faut déjà retracer des milliers de débris.

    Il est urgent d’améliorer la gestion de l’espace, afin d’éviter de reproduire les éléments les plus destructeurs du comportement militaire terrestre dans ce fragile milieu qu’est l’espace, milieu qui devrait et doit être préservé en tant que patrimoine naturel international.

    Une deuxième série d’enjeux clés concerne la stratégie nucléaire des États-Unis. Comme le Canada a maintenant accepté de participer aux discussions sur la BMD, il devrait veiller à obtenir des précisions au sujet des éléments de la stratégie de sécurité nationale et de la doctrine nucléaire des Américains, qui semblent invoquer la prérogative d’utiliser ou de menacer d’utiliser l’arme nucléaire contre des États non dotés d’armes nucléaires (ENDAN). Le Canada devrait se prononcer contre cette position.

    Le fait que les États-Unis prétendent devoir maintenir leur option d’utilisation de l’arme nucléaire contre des ENDAN, comme l’Irak, l’Iran, la Libye et la Syrie, constitue une affirmation dangereuse et provocatrice d’un droit nié à tous les autres, droit qui n’a aucun fondement juridique et qui va à l’encontre des engagements explicites pris en vertu des traités.

    Cet argument est tout à fait pertinent dans le contexte des discussions sur le programme de défense antimissile balistique, dans la mesure où il dément l’affirmation selon laquelle la BMD est un système défensif. Un bouclier peut être une protection, mais quand il est associé à une épée, il fait partie intégrante d’un système offensif et provocateur. Or, il se trouve que le bouclier antimissile balistique américain auquel le Canada envisage maintenant de se joindre est associé, de façon agressive, à une épée nucléaire de plus en plus tranchante.

    Les États-Unis continuent d’explorer de nouvelles générations d’armes nucléaires, notamment des armes tactiques destinées à être utilisées contre des objectifs situés dans des ENDAN. Cela ne fait que rendre plus intéressante l’idée d'acquérir l’arme nucléaire en tant que moyen de dissuasion pour les pays en conflit durable avec les États-Unis. En d’autres termes, la stratégie des États-Unis contribue à multiplier les pressions en faveur d'une prolifération, ce qui, de l’avis des Américains, exige une réplique sous forme de BMD.

    Je le répète, la solution est simple et elle fait déjà l’objet de conventions internationales. Le Canada devrait donc rappeler à son voisin du Sud qu’il lui suffirait, pour dissiper en grande partie ces pressions en faveur d'une prolifération, de renoncer à la mise au point de toute nouvelle arme en ratifiant le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (NTBT) et en reprenant un engagement non équivoque envers les garanties négatives de sécurité imposées par le Conseil de sécurité en 1995. Ces garanties prévoient que les États dotés d’armes nucléaires (EDAN) déclarent leur intention de ne pas utiliser ni menacer d’utiliser ces armes contre des pays qui n’en sont pas dotés (ENDAN).

    Enfin, monsieur le président, il faut reconnaître le rôle capital que joue la diplomatie en faveur de la non-prolifération pour réduire le danger nucléaire. Les fervents défenseurs de la BMD affirment eux-mêmes que leur système ne sera efficace que face à une menace très limitée. Autrement dit, la BMD dépend de l’aboutissement des démarches diplomatiques en faveur de la non-prolifération. Plus il y aura de missiles balistiques, plus ils seront répartis à la surface de la planète et plus il sera difficile de les intercepter grâce à la BMD. Il s’ensuit que le succès des efforts déployés en faveur de la non-prolifération est aussi un facteur clé du succès de la BMD.

    En revanche, on voit à quel point il sera facile pour un pays de contrecarrer l’efficacité de la BMD. Si la menace que constituent les missiles antibalistiques n’est pas sérieusement limitée, n’importe quel système de BMD sera facilement dépassé par les événements. Ainsi, la solution sera évidente pour les pays désireux de faire peser une menace contre les États-Unis. S’ils peuvent se doter de la moindre capacité d’attaque au moyen de missiles balistiques, il ne leur sera pas trop difficile d’accroître tout simplement le nombre de ces missiles.

    Les défenseurs du programme de défense antimissile balistique soutiendront que la réaction la plus évidente à une menace grandissante de ce genre consiste à perfectionner la technologie de la BMD et à se doter de moyens de dissuasion crédibles, et ils prétendent que la course aux armements qui s'ensuivra ne sera pas une des conséquences du déploiement de la BMD.

¿  +-(0920)  

    Les États-Unis et le Canada devraient tous les deux voir l'avantage qu'il y a à favoriser la non-prolifération nucléaire par la voie diplomatique. Si la diplomatie parvient à limiter la menace que constituent les missiles à un niveau conforme à la capacité d’interception de la BMD, le Canada devrait, logiquement, recommander aux États-Unis de consacrer davantage d’argent à poursuivre leurs efforts de désarmement et de non-prolifération ou encore à lutter contre la myriade de menaces qui pèsent contre la sécurité humaine et qui font des milliers de victimes quotidiennement, au lieu de gaspiller des centaines de milliards de dollars en réponse à une menace minime, réponse qui, de toute façon, ne sera jamais parfaitement efficace.

    En conclusion – je ne ferai pas de commentaires sur le NORAD, nous en parlerons plutôt dans le cadre des échanges – il convient de rappeler que l’atténuation de la menace que posent les missiles nucléaires exige l'adoption d'une vaste gamme de mesures. Elle exige l’interdiction de la militarisation de l’espace, l’interdiction des systèmes d’armes antisatellites (ASAT), un régime de gestion et de sécurité de l’espace, le rejet des stratégies prévoyant le recours aux armes nucléaires, la ratification du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, une nouvelle confirmation des garanties négatives de sécurité et un nouvel engagement envers la diplomatie favorisant la non-prolifération des armes.

    De toute façon, en l’absence de telles mesures, la BMD ne fonctionnera pas. Si l'on adopte pareilles mesures, la poursuite de la BMD deviendra superflue ou, à tout le moins, une expérience technologique relativement insignifiante, mais outrageusement coûteuse.

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Regehr.

[Traduction]

    Monsieur Fergusson, vous avez la parole.

+-

    M. James Fergusson (directeur adjoint, Centre d'études sur la défense et la sécurité, Université du Manitoba): Je vous remercie beaucoup. Je suis heureux d’être ici ce matin.

    Mes observations seront succinctes pour diverses raisons, notamment parce que – comme certains d’entre vous le savent sans doute – j’ai pris la parole devant le Comité permanent de la défense nationale il y a deux semaines, et parce que certaines de mes observations sur les enjeux de la participation du Canada au projet de défense antimissile des États-Unis figurent dans le compte rendu des délibérations de ce comité.

    En gros, je voudrais insister sur ce que j’appellerais la confusion générale qui existe dans le débat entourant les projets de défense antimissile des États-Unis, la conception stratégique actuelle et future des États-Unis et la participation du Canada à la défense antimissile de l’Amérique du Nord. Cette confusion existe parce qu'on mêle deux débats distincts.

    Un de ces débats dont mon collègue a abondamment parlé vise les plans stratégiques des États-Unis, l’examen des enjeux liés aux projections stratégiques des États-Unis, la réflexion, l’évolution de la situation, etc., dans l’espace extra-atmosphérique, la doctrine stratégique, la réflexion stratégique relative aux armes nucléaires et aux vastes structures de base—les forces militaires conventionnelles et les forces semblables—et, bien entendu, les questions connexes liées à la non-prolifération et aux garanties négatives de sécurité.

    Voilà ce que j’appellerais le débat international sur la défense antimissile, débat qui tente d’examiner comment la défense antimissile s’intègre dans cette équation. J’ajouterais ici qu’il est très important qu’à un moment donné, votre comité examine de très près toute la question de l’espace extra-atmosphérique, indépendamment de la question de la défense antimissile. Et il est important de ne pas confondre, même s’il y a un chevauchement, la question de la défense antimissile proprement dite et celles du contrôle de l’espace, de l’espace extra-atmosphérique, de la défense et de la non-reconnaissance de divers problèmes et intérêts politiques, civils et commerciaux liés à l’espace extra-atmosphérique.

    Dans ce sens, ce débat, celui sur la militarisation, celui sur la stratégie internationale est le débat américain d'une plus vaste portée. Or, de tout temps, au Canada, nous avons eu tendance à privilégier le débat américain, au détriment, je crois, d’une importante compréhension du débat canadien, parce que le débat canadien – sur lequel portera le reste de mes observations, si vous le voulez bien – n’est pas axé sur cela, à tout le moins pas dans sa forme actuelle ou eu égard à la question à laquelle le Canada fait face et qui concerne simplement la participation de notre pays à une partie des plans de défense antimissile des États-Unis.

    Il est important de comprendre clairement que la question à laquelle le Canada fait face, c’est la négociation de sa participation à un volet du projet beaucoup plus vaste de défense antimissile américain. Ce volet, c’est évidemment le système terrestre qui est censé être déployé ou devenir opérationnel en situation d’urgence au cours de la prochaine année, à Fort Greely, en Alaska, et à la base des Forces aériennes de Vandenburg, en Californie.

    Le problème auquel fait face le Canada concerne le lien entre ce développement opérationnel, ce volet des plans de défense antimissile des États-Unis et l'avenir du NORAD, notamment l'attribution du commandement et du contrôle de ce système par rapport au NORAD, si le Canada négocie et donne son accord, par opposition à la situation où le Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord relèverait uniquement des États-Unis. Cela n'inclut pas les discussions ou les négociations concernant la participation du Canada à d'autres aspects du système de défense antimissile des États-Unis proposé par le secrétaire à la Défense, M. Laird. Ce système comprend le déploiement à venir de systèmes navals, de systèmes terrestres, de systèmes de lancement de missiles aéroportés, de systèmes à laser aéroporté et, éventuellement, de systèmes basés dans l'espace, selon l'interprétation que l'on fait du débat politique actuel aux États-Unis-- le débat d'orientation qui a cours en ce moment chez nos voisins du Sud--sur la question de la militarisation de l'espace extra-atmosphérique par rapport à la défense antimissile.

    Autrement dit, le Canada négocie actuellement sa participation à un seul volet, celui-ci concernant l'attribution du commandement et du contrôle. À ma connaissance, la participation du Canada à d'autres volets ne fait pas l'objet de négociations actuellement et n'est pas au nombre des éventualités. C'est particulièrement important de comprendre cela quand on étudie la question de l'espace. Actuellement, la participation du Canada ne vise absolument pas la défense spatiale. Le volet spatial est tout à fait distinct du NORAD à la suite d'une décision que les États-Unis ont prise l'an dernier dans leur plan de commandement unifié, décision qui sépare le commandement spatial du NORAD et qui fusionne le commandement spatial avec le commandement stratégique dont les bureaux sont situés à Omaha, au Nebraska.

    Le mandat du commandement stratégique couvre l'espace et tous ses éléments.

¿  +-(0925)  

    Notre participation au NORAD se limiterait simplement à un soutien en matière de commandement, comme c'est le cas actuellement, et serait étayée par des données ou informations de détection lointaine et de repérage à partir d'installations américaines basées dans l'espace. Voilà tout ce que le Canada négocie actuellement quant à sa participation à la défense antimissile et plus particulièrement à l'avenir de cette mission dans le cadre du NORAD et quant au rôle, aux fonctions et aux intérêts du Canada par rapport au NORAD.

    La défense spatiale n'est pas matière à négociation, et il est présomptueux pour les Canadiens de croire qu'elle pourrait l'être, même si le Canada n'était pas de cet avis. Les États-Unis n'essaient pas de piéger le Canada dans la défense spatiale. À mon avis, les États-Unis sont parfaitement au courant de la politique adoptée de longue date par le Canada au sujet de la militarisation de l'espace et ils ont pratiquement dissocié cette question de la poursuite de la coopération concernant la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, ce à quoi nous voulons participer--ce qu'ils envisagent ou ce à quoi nous pensons prendre part.

    Permettez-moi de conclure en soulignant une chose. Ce qui ressortira de cela au bout du compte, et j'en suis assez certain, c'est que le Canada participera au projet. Cela s'inscrit parfaitement dans l'optique des rapports que le Canada a entretenus de longue date, par l'entremise du NORAD, avec le commandement stratégique, ou ce que l'on appelait autrefois le commandement stratégique aérien aux États-Unis.

    Pendant des décennies, le NORAD a assuré la détection lointaine des missiles balistiques et l'évaluation rapide des menaces pour les commandements de nos deux pays. Aux États-Unis, l'évaluation des menaces liées à une attaque au moyen de missiles balistiques contre l'Amérique du Nord serait communiquée au Président de ce pays ou à son remplaçant; celui-ci prendrait alors les décisions qui s'imposent concernant le recours éventuel aux forces stratégiques nucléaires des États-Unis.

    Nous ne jouions aucun rôle par rapport aux forces nucléaires stratégiques des États-Unis. Cela ne s'inscrivait absolument pas dans le mandat ou la portée du NORAD. D'ailleurs, peu importe l'orientation que prendra le débat sur les autres aspects de l'évolution de la doctrine et de la pensée stratégiques aux États-Unis pour ce qui est de la militarisation de l'espace extra-atmosphérique, à mon avis, la question de savoir si le Canada peut ou non influer sur ces débats indépendamment du NORAD n'a rien à voir avec celui-ci ni avec la participation du Canada. Indépendamment de tout cela, ce que le Canada envisage, ce qui est à sa portée, c'est la poursuite de la coopération sur le plan de la défense, de la surveillance et du contrôle aérospatiaux. Il est actuellement dans l'intérêt du Canada de poursuivre sa coopération avec les États-Unis, peu importe l'évolution de la réflexion stratégique aux États-Unis.

    Je m'en tiendrai à cela pour l'instant. Je serai heureux de répondre aux nombreuses questions que vous avez sûrement au sujet de l'un ou l'autre des deux débats.

    Je vous remercie.

¿  +-(0930)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Fergusson.

    Avant de passer aux questions et observations, je veux simplement signaler aux membres du comité qu'après le dépôt du rapport sur l'Afrique jeudi matin, il y aura une conférence de presse à 11 heures à l'Amphithéâtre national de la presse. J'ai demandé à M. Cotler de diriger la conférence de presse. Je voulais simplement en informer mes collègues.

    Nous allons maintenant passer à une ronde de cinq minutes de questions et réponses. M. Obhrai est le premier à prendre la parole. Je l'invite à le faire.

+-

    M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Je vous remercie, monsieur le président.

    Merci aux deux témoins d'être venus nous présenter une perspective différente sur cette question.

    Il y a environ trois semaines, j'ai eu la chance, avec certains de mes collègues d'en face, d'aller assister à une séance d'information offerte sur place et portant sur le fonctionnement du NORAD, l'importance du système de défense antimissile pour le Canada et tout le fonctionnement du NORAD. Ce fut une expérience très intéressante et instructive, et cela m'a vraiment convaincu de l'importance pour le Canada d'avoir un rôle à jouer à ce chapitre.

    Permettez-moi de poser une question à M. Regehr.

    De tout temps, le Canada a été la voix de la prudence et de la raison dans ses rapports avec les États-Unis, aussi bien sur le plan commercial que dans tout autre domaine. J'ai pu constater qu'à maintes occasions, dans ses rapports avec les États-Unis, le Canada s'est employé à faire valoir aux responsables de l'administration américaine d'autres points de vue exprimés sur la scène internationale.

    Nous pourrions perdre la capacité de persuasion dont nous jouissons auprès des Américains à cause de la guerre récente en Irak et si nous refusions maintenant de participer au projet de défense antimissile--ce qui ne sera heureusement pas le cas étant donné l'annonce qui a été faite. Les États-Unis ne nous écouteraient plus. Nous serions marginalisés dans nos rapports futurs avec les États-Unis et nous perdrions cette influence importante. Nous n'avons pas d'influence sur le plan économique; c'est la seule influence que nous ayons dans nos rapports de coopération avec les États-Unis.

    Maintenant, toutes vos évaluations--et celles qui ont été faites dans le passé par les opposants au système de défense antimissile--se sont résumées à ceci: la course aux armements, la militarisation de l'espace et la voie diplomatique. Si on exclut la question de la militarisation de l'espace que James a très bien expliquée--et, au bout du compte, nous pourrons en discuter par rapport à notre capacité de persuasion, à l'appui de ce que vous avez mentionné vous-même....Cela dit, d'après ce que je comprends, depuis 30 ou 40 ans, nous avons conclu des accords internationaux, nos efforts diplomatiques ont fonctionné le mieux possible et, à l'heure actuelle, il y a plus de pays susceptibles de devenir une menace à cause de leur capacité nucléaire qu'il n'y en avait il y a 15 ou 20 ans. Si je ne m'abuse, il y a maintenant 30 pays qui possèdent la technologie nécessaire pour constituer une menace plus grave qu'auparavant, ce que bon nombre d'entre nous pourraient interpréter comme un échec des efforts diplomatiques et des accords internationaux. Il y a peut-être eu de modestes succès ici et là, mais dans l'ensemble, cela semble être un échec. Il y a donc ce débat qui a cours quant à l'opportunité d'avoir un système de défense antimissile.

    À mon avis, nous devrions reconsidérer l'argument que vous faites valoir au sujet d'un système différent à cet égard; cela devrait être indépendant du système de défense antimissile. Qu'en pensez-vous?

+-

    M. Ernie Regehr: Je vous remercie.

    Il n'est tout simplement pas réaliste de placer le système de défense antimissile dans une catégorie distincte de toutes les autres questions. Le système de défense antimissile que vous préconisez ou proposez est, de par sa définition et ses objectifs, destiné à traiter des situations très rares d'attaque au missile. Comme vous le savez, il est impuissant face aux missiles chinois ou russes; il n'a aucune capacité à cet égard. Quant aux systèmes de missiles pakistanais, indiens et israéliens, ils sont dangereux dans leur contexte particulier.

    Pour que le système de défense antimissile balistique soit efficace conformément à vos attentes, il faut que la menace soit minimale. Il ne doit y avoir qu'un très petit nombre d'armes susceptibles de poser une menace. Ce qui devrait vous préoccuper le plus, c'est que les efforts diplomatiques visant la non-prolifération soient couronnés de succès, car autrement, la défense antimissile balistique est pratiquement inutile. Elle ne fonctionne que si la menace est très limitée. En fait, elle est restée limitée au fil des ans. Aucun État autre que les puissances nucléaires traditionnelles n'a la capacité de menacer le continent nord-américain. Évidemment, il y a des pays comme le Brésil, et divers États qui ont la technologie et qui pourraient le faire...

¿  +-(0935)  

+-

    M. Deepak Obhrai: Mais la plupart des pays auront peut-être la technologie pour le faire, dans l'avenir.

+-

    M. Ernie Regehr: De plus, si tous les pays qui ont la technologie pour nous menacer avec des missiles balistiques le faisaient, la défense antimissile balistique serait alors sans effet.

    La seule solution plausible à notre disposition, c'est de continuer de persuader les pays qui ont cette capacité technologique de ne pas s'en prévaloir. C'est essentiellement une entreprise diplomatique.

[Français]

+-

    Le président: Merci, monsieur Regehr.

    Madame Lalonde, vous avez la parole.

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci à vous deux. Monsieur Fergusson, vous avez dit qu'il serait présomptueux de la part du Canada de penser que le débat sur l'espace serait sur la table. Or, M. McCallum a dit qu'il fallait que le Canada participe à ces discussions pou influencer les États-Unis. Vous venez donc de démontrer la futilité de l'argument de M. McCallum, selon qui il y aurait un grand avantage à être à l'intérieur de la tente, pour reprendre cette farce de langue anglaise.

[Traduction]

+-

    M. James Fergusson: Je vous remercie. Je pense que c'est une question très importante qui nous renvoie à ce que le parlementaire précédent a dit au sujet de l'influence que nous exerçons auprès des États-Unis.

    Il est très difficile, non seulement pour le Canada, mais pour n'importe quel pays d'influencer les États-Unis. Je vous dirais que la situation n'est pas différente pour tout pays qui tente d'influencer le Canada. Il y a divers facteurs politiques et intérieurs qui ont des répercussions sur l'évolution des débats politiques dans n'importe quel pays, et ils peuvent évidemment être plus prononcés parce que nous accordons plus d'attention à Washington qu'à n'importe quelle autre capitale du monde entier.

    Disons que je partage votre avis. Je ne pense pas que le fait de participer au NORAD, au projet de défense antimissile, influera beaucoup sur le débat qui a cours à Washington, dans les sphères fermées du pouvoir américain, entre le Pentagone, le département d'État, tous les groupes de réflexion, et au sein du Congrès.

    Évidemment, les responsables du NORAD sont loin, ils ont leurs propres idées là-dessus, tout comme les Canadiens et les Américains. Selon moi, il est un peu malavisé de laisser entendre que les responsables du NORAD et, par conséquent, le Canada pourront se servir du NORAD pour infléchir le débat concernant l'espace extra-atmosphérique qui a cours à Washington, notamment quand on sait que les sphères fermées du pouvoir aux États-Unis ne sont guère au courant de ce que le Canada fait ou non. D'ailleurs, je ne dis pas cela de manière péjorative, car le Canada ne sait pas toujours très bien ce qui se passe à Washington lui non plus.

    Cependant--et je pense que c'est le plus important--ce que nous retirons du NORAD et de notre participation à la défense antimissile, c'est la possibilité de continuer à jouer un rôle par rapport au système de détection lointaine, au commandement et au contrôle, un rôle de commandement et de contrôle relatif au système terrestre. Ce faisant, le Canada satisfait ce que les Américains appellent le besoin d'être au courant des projets de grande envergure, des autres projets en cours. Nous devons savoir ce qui se passe dans l'espace extra-atmosphérique. Nous devons continuer d'avoir accès au réseau de surveillance de l'espace des États-Unis. Nous devons être au courant de la réflexion stratégique des États-Unis, parce que nous avons cette ouverture. Cette possibilité, cette information est d'une valeur inestimable pour nous aider à comprendre la conjoncture globale aux États-Unis et pour permettre au Canada plus qu'à n'importe quel autre allié de comprendre ou de savoir ce qui se passe aux États-Unis; c'est là ce qui a été traditionnellement important à bien des égards, c'est là un des aspects importants du NORAD.

¿  +-(0940)  

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde: Il faut toutefois en évaluer le prix politique.

[Traduction]

+-

    M. James Fergusson: En fait, le prix politique à payer est très minime. Nous pouvons élaborer des politiques plus subtiles. Nous comprenons mieux le monde dans lequel nous vivons en ayant accès à cette information qu'en en étant privés, car si nous en sommes privés, il n'est pas nécessaire que nous soyons au courant et, si ce n'est pas nécessaire, les États-Unis ne nous diront sûrement pas ce qui se passe et ce qu'ils projettent dans l'espace. Ils ne nous informeront pas de leurs plans et réflexions stratégiques, et nous serons dans l'obscurité, comme bien d'autres pays.

    Le fait d'être tenus dans l'ignorance ou d'être au courant de la situation aura-t-il des répercussions sur l'influence que nous exercerons à Washington quant à l'opportunité de militariser ou non l'espace et quant à l'utilisation qui en sera faite? À mon avis, cela n'aura pas beaucoup de répercussions à ce chapitre, mais cela nous permettra d'élaborer des politiques plus judicieuses et de prendre des décisions plus éclairées, fondées sur de meilleures informations que si nous sommes tenus dans l'ignorance--à moins, bien entendu, que le Canada soit disposé à dépenser des milliards de dollars pour investir dans l'acquisition de ses propres données, mais si le passé est garant de l'avenir, il n'est pas disposé à le faire.

+-

    Le président: Nous allons maintenant céder la parole à M. Godfrey.

+-

    M. John Godfrey (Don Valley-Ouest): Monsieur Fergusson, ma question s'inscrit dans la même ligne de pensée.

    Comment pouvons-nous ne pas inclure ce projet dans tout le contexte de la doctrine du président Bush? De la façon dont le président Bush a décrit le plan de défense antimissile le 20 mai dernier, il me semble que c'est une architecture en évolution et, comme l'a expliqué M. Polanyi, c'est un engrenage.

    Comme l'a mentionné M. Regehr, cela semble mener inévitablement au financement de l'agence américaine de défense antimissile, qui commencera en 2004 avec l'injection de 13 à 14 millions de dollars et qui passera ensuite à 121 millions de dollars en 2005, la mise en place des premières roquettes étant prévue pour 2008. De toute évidence, c'est dans cette direction que l'on s'engage. On s'enligne vers la militarisation de l'espace. Il me semble tout simplement naïf de prétendre que nous ne donnons notre accord qu'à un volet, alors qu'il s'agit d'un processus en évolution.

    Pire encore, il me semble que nous nous heurtons à cette doctrine radicale des États-Unis selon laquelle eux, et eux seuls, ont un droit de suprématie sur l'espace. Il me semble que la portée de cette prétention, c'est qu'ils se disent au-dessus de la mêlée...

    Dans un article du Daily Telegraph de Londres, il est question de James Roche, le secrétaire de l'armée de l'air américaine. On y explique que «les alliés de l'Amérique n'auraient aucun droit de veto sur les projets visant à permettre le contrôle militaire de l'espace par les États-Unis...», le principal point à retenir des plans américains étant décrit comme la négation--le refus de l'utilisation de l'espace aux fins du renseignement militaire ou à d'autres fins sans le consentement des Américains.

    Si nous étions au XIXe siècle et que les États-Unis nous disaient que la haute mer n'est pas à notre portée et que, malheureusement, nous n'y aurons pas accès, qui que nous soyons, dans l'optique de la communauté internationale et des intérêts communs de l'humanité, accepter cette prétention, cette affirmation sans la contester équivaudrait tout simplement à refuser de reconnaître la souveraineté des autres pays. Cela laisse entendre qu'il existe deux types de souveraineté dans le monde, celle des Américains, et celle de tous les autres.

    Nous pourrions mettre nos oeillères et dire que, dans la mesure où nous avons le contrôle sur le petit peu que nous avons, tout est parfait...Je pense que vous avez raison: nous ne pouvons rien changer en participant au NORAD, mais nous pouvons accorder une certaine légitimité morale à une des prétentions les plus saisissantes de l'histoire moderne. Devrions-nous le faire?

¿  +-(0945)  

+-

    M. James Fergusson: Plusieurs questions sont soulevées en l'occurrence, et j'ai l'impression que nous reviendrons en détail sur bon nombre d'entre elles; aussi, je m'excuse si je ne peux répondre à toutes ces questions immédiatement.

    Tout d'abord, je pense qu'il faut se montrer prudent lorsqu'on laisse entendre que les prétentions à la souveraineté des États-Unis sont différentes de celles de tous les autres pays, y compris le nôtre. À cet égard, je perçois l'administration actuellement en place à Washington comme une bouffée d'air frais, car au moins, ses représentants nous livrent carrément le fond de leur pensée. Ce qu'ils pensent est important par rapport à ce qui va se produire; ils ne se cachent pas derrière maintes platitudes morales alors que les intérêts étroits et purement personnels des autres pays sont camouflés. Je pense que nous devons nous montrer très prudents par rapport à ce genre d'affirmation.

    À cet égard, l'analogie avec la haute mer que vous avez faite est très pertinente. Évidemment, en ce qui concerne la haute mer, il y a la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dont les États-Unis et tous les pays sont signataires, cette convention reconnaissant l'existence d'eaux internationales et de certains droits de belligérant.

    Actuellement, dans le cadre du Traité sur l'espace extra-atmosphérique, même si l'on n'a pas, à proprement parler, négocié de droits de belligérant comme ceux reconnus dans le droit de la mer, il y a une analogie entre la façon dont on conceptualise la dimension ou l'environnement spatial extra-atmosphérique et les eaux de la haute mer auxquelles on reconnaît un caractère international et qui peuvent être utilisées par tous, librement et à des fins pacifiques.

    Ainsi, on pourrait dire que, tout comme c'est l'usage qui a établi les droits des belligérants par rapport à la haute mer et à leur libre circulation, il est naturel ou normal que les gens commencent à penser à d'autres façons d'exploiter l'espace extra-atmosphérique.

    Je pense que c'est là une des raisons pour lesquelles nous devons réfléchir très sérieusement à pareille idée.

+-

    M. John Godfrey: Mais quel est le lien avec la négation des droits? Cela revient à dire que l'on ne reconnaît pas aux autres pays le droit de faire ce qu'ils pourraient faire en haute mer, par exemple, y poster des navires de guerre. Si l'on refuse de reconnaître ce droit et que l'on prétend être les seuls à pouvoir décider si les autres peuvent poster là leurs navires de guerre, cela n'est pas conforme à l'esprit du droit de la mer.

+-

    M. James Fergusson: Permettez-moi de m'expliquer clairement. Selon vous, ce que les États-Unis disent, c'est qu'aucun allié ne pourra exercer un droit de veto sur leurs projets dans l'espace extra-atmosphérique. Je pense qu'il faut ajouter à cela que la militarisation n'est pas inévitable. Il ne faut pas nécessairement assimiler à la politique officielle des États-Unis les velléités de l'agence américaine de défense antimissile par rapport aux postes budgétaires ni les souhaits de certains éléments du Pentagone, du commandement spatial ou du commandement stratégique.

    Prenons l'exemple de la défense antimissile et l'échéance de 2008. Si vous vous souvenez, il y a dix ans, les États-Unis ont annoncé que la défense antimissile serait opérationnelle avant le tournant du siècle. Nous sommes maintenant presqu'en 2004, et cela commence tout juste à être opérationnel pour l'Amérique du Nord. En ce qui concerne les allocations budgétaires aux États-Unis, 2008 est peut-être une échéance très optimiste, et c'est une échéance prochaine. Voilà ce que je voulais ajouter.

    Parlons maintenant de la politique des États-Unis. Il n'est pas question que les États-Unis enfreignent les obligations qu'ils ont contractées en adhérant au Traité sur l'espace extra-atmosphérique, quant à la possibilité pour un autre pays d'utiliser l'espace à des fins pacifiques. Il n'y a aucune preuve en ce sens.

    Ce qui préoccupe les États-Unis, ce n'est pas le fait d'être la seule puissance à dominer l'espace, mais bien le fait que le contrôle qu'ils exercent sur l'espace extra-atmosphérique s'étiole très rapidement parce que l'espace est très vulnérable.

    En l'occurrence, les États-Unis sont déchirés entre deux optiques différentes. D'un côté, ils occupent une place prépondérante par rapport au nombre d'actifs et d'investissements dans l'espace extra-atmosphérique. Comme M. Regerh l'a mentionné à si juste titre, toute tentative de guerre dans l'espace extra-atmosphérique fera là beaucoup de dégâts. Qui en paiera surtout le prix? Les États-Unis et l'Amérique du Nord. Ils sont donc aux prises avec cet aspect du dilemme.

    L'autre aspect, c'est qu'à cause de la vulnérabilité, de l'importance de l'espace extra-atmosphérique, cet espace devient une menace potentielle évidente ou une cible pour les adversaires. Si nous envisageons la situation dans le contexte actuel des menaces asymétriques, une attaque menée contre les actifs dans l'espace extra-atmosphérique serait une menace asymétrique pour les économies de l'Amérique du Nord. Certains pourraient dire que tout cela ne pourra se produire que dans l'avenir, que cette capacité n'existe pas actuellement. Je regrette, mais de nombreux pays ont cette capacité. Si on peut lancer un missile, si on peut mettre au point une fusée à trois étages, on peut y fixer une ogive nucléaire. On peut acquérir une capacité de lancement dans l'espace, lancer cette fusée dans l'espace et en faire exploser la charge. On pourrait ainsi causer d'énormes dommages aux forces armées occidentales et plus particulièrement à celles des États-Unis.

    D'un côté, de nombreux membres de l'armée de l'air américaine et d'autres secteurs aux États-Unis préconisent une non-militarisation de l'espace parce que c'est nous qui serons les perdants si nous provoquons une course aux armements dans l'espace. L'autre aspect du dilemme, c'est que tout le monde voudra s'en prendre à nous et que nous devrons donc prendre des mesures pour nous protéger dans l'espace, ce qui pourrait signifier que l'on refusera à nos adversaires la capacité d'attaquer des actifs basés dans l'espace. Voilà le lien à faire avec la défense antimissile.

¿  +-(0950)  

+-

    Le président: Très bien. C'est très intéressant.

    Nous allons maintenant céder la parole à Mme McDonough.

+-

    Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Monsieur Fergusson, j'ai le souffle coupé et je suis vraiment terrifiée par les idées que vous avez exprimées. L'analogie peut sembler tirée par les cheveux, mais ce serait comme de dire à un patient qu'il a peut-être une grave maladie cardiaque, mais qu'il ne doit pas s'inquiéter parce que nous allons l'opérer à l'estomac. Comme c'est une autre partie de son corps, il n'a donc pas à s'inquiéter. J'imagine qu'il ne faut pas tenir compte des risques.

    Comme vous le savez sans doute, il y a deux semaines, les membres de ce comité ont entendu les témoignages de MM. John Polanyi et Lloyd Axworthy, qui ont beaucoup étudié la question.

+-

    Le président: Ils ont comparu devant le Comité de la défense, madame McDonough.

+-

    Mme Alexa McDonough: Je suis désolée, je rectifie certainement ce que j'ai dit.

    En gros, ils se sont dits d'avis que si le Canada accepte cet aspect que vous avez circonscrit du projet de défense antimissile du président Bush, on assurera en quelque sorte la survie de la souveraineté du Canada en nous engageant dans un engrenage qui débouchera sur la militarisation de l'espace.

    S'il subsistait des doutes à ce sujet, les responsables de l'armée de l'air et du commandement spatial des États-Unis les ont clairement dissipés la semaine dernière en disant que c'était parfaitement le cas. Je crois comprendre que vous ne contestez pas vraiment cela.

    Par conséquent, ne voyez-vous donc pas le danger auquel s'expose le Canada en sachant cela, en décidant de donner son accord à la première étape vers la militarisation de l'espace et, ce faisant, en renforçant essentiellement l'idée selon laquelle ce que nous aurons accepté, c'est la doctrine de l'administration Bush au chapitre de la politique étrangère, doctrine qui consiste à faire fi du multilatéralisme et des traités internationaux auxquels nous sommes parvenus après 50 ans d'efforts? Ne voyez-vous pas que le Canada aura un prix à payer par rapport au rôle qu'il joue dans le monde et à sa crédibilité en tant que défenseur de l'internationalisme et du multinationalisme? Ne croyez-vous pas que c'est là un problème dont nous devrions nous préoccuper à titre de parlementaires, et tout particulièrement en tant que membres du Comité des affaires étrangères?

+-

    M. James Fergusson: En gros, le fait d'adhérer au projet de défense antimissile des États-Unis ne modifiera en rien la crédibilité du Canada sur la scène internationale. Cela n'est pas différent de ce que le Canada a fait depuis 40 ans, depuis l'éprouvant débat sur les missiles Bomarc, le débat sur les armes nucléaires au Canada qui a marqué un tournant décisif et qui nous a amenés à prendre nos distances par rapport aux États-Unis sans le dire publiquement, relativement à différents aspects de la réflexion stratégique sur le rôle des armes nucléaires, aux mesures de dissuasion stratégique et à d'autres questions.

    Nous avons continué de coopérer à la défense aérospatiale et au contrôle aérospatial dans le cadre du NORAD, même s'il n'y avait pas de défense par rapport aux cibles spatiales et aux missiles balistiques. Malgré cela, nous avons poursuivi notre coopération et nous en avons grandement bénéficié, notamment en raison des ententes de partage des coûts et parce que cela nous permet de mieux savoir ce qui se passe sur notre territoire. La souveraineté du Canada s'en est trouvée améliorée parce que nous avons pu mieux savoir ce qui se passait dans le monde où nous vivons. En continuant de faire cela, le Canada s'est taillé une réputation enviable et a acquis une crédibilité extraordinaire dans les tribunes multilatérales de négociation concernant des questions chères à notre pays: la non-prolifération, le contrôle des armements, les armes chimiques, biologiques, et ainsi de suite.

    Tout cela a toujours très bien fonctionné. Pourquoi s'attendre tout à coup à un revirement spectaculaire de la situation si le Canada maintient la politique qu'il a adoptée de longue date? Ce que vous préconisez, c'est de modifier considérablement la politique canadienne, de rejeter les fondements de cette politique en défendant un principe, peu importe ce que l'on pense de ce principe, et d'en payer le prix--car il y aura un prix à payer pour le Canada en ce qui concerne la souveraineté nord-américaine. Si le Canada est prêt à payer ce prix, soit, mais soyons bien conscients du prix qu'il faudra payer.

    En conclusion, si nous défendons un principe en supposant qu'il nous permettra d'accroître ou de maintenir notre crédibilité, il n'en sera rien. Je pense que si nous ne restons pas près des États-Unis et que nous ne maintenons pas notre participation au NORAD, nous minerons notre crédibilité à long terme sur la scène internationale parce qu'on ne nous percevra plus comme un interlocuteur valable, comme un pays entretenant des relations particulières avec Washington, ce à quoi les États du monde entier sont sensibles.

¿  +-(0955)  

+-

    Le président: Je désire entendre le point de vue de M. Regehr à ce sujet. Monsieur Regehr, vous avez la parole.

+-

    M. Ernie Regehr: Je vous remercie. Je serai bref.

    Je ne sais trop où l'on veut que s'exerce l'influence du Canada sur ce plan par rapport aux États-Unis. D'une part, si nous demeurons membre du NORAD et que nous donnons notre assentiment au système, nous n'en serons pas moins privés de toute l'information ayant trait aux questions spatiales et nous n'exercerons aucune influence sur l'espace. D'autre part, si nous choisissons de ne pas adhérer à cet organisme, cela pose un problème, car nous ne pourrons influer sur son orientation. Je suis un peu perplexe devant une telle argumentation.

    Selon moi, peu importe les moyens technologiques en cause—et de sérieux doutes planent quant à la possibilité de recourir à l'interception à l'aide de missiles balistiques ainsi qu'à des armes basées dans l'espace—il est fondamental de comprendre que les États-Unis se sont engagés à en faire l'essai à titre expérimental. Toutefois, sur le plan politique, leur engagement le plus fondamental est d'enfreindre la norme s'opposant à la militarisation de l'espace et ayant été confirmée par des résolutions de l'ONU en matière de sécurité depuis au moins 20 ans, les États-Unis étant le seul pays, accompagné à l'occasion par Israël, à s'abstenir de se prononcer sur cette résolution—ils ne votent même pas contre celle-ci—précisant que l'espace doit être réservé à des usages pacifiques.

    C'est une norme fondamentale, et la volonté politique est ici de l'enfreindre. C'est ce qui justifie sur le plan politique l'installation d'une plate-forme d'essai dans l'espace. Ils n'ont même pas la moindre idée de ce qu'ils en feront, car la technologie n'est pas encore au point. Cette plate-forme n'a pas pour objet d'entreprendre immédiatement des essais. Elle vise à enfreindre la norme politique. Si le Canada adhère à cette initiative et contribue à la justification politique de la défense anti-missile balistique et, partant, du programme qui en découle, ce n'est pas tant pour l'influence que nous avons auprès des États-Unis que celle que nous exerçons dans un cadre multilatéral qui sera en péril.

    Notre façon d'influer sur la non-prolifération des armements et de veiller à ce que l'espace soit réservé à des usages pacifiques est fonction de notre capacité de collaborer avec des États d'optique commune dans un cadre multilatéral. C'est là que repose la solution à ce problème. Je crains beaucoup que si nous adhérons à un accord bilatéral ayant pour objectif d'enfreindre cette norme, nous saperons gravement notre capacité de collaborer efficacement avec des États d'optique commune à l'occasion de rencontres multilatérales.

[Français]

+-

    Le président: Merci.

    Madame Kraft Sloan, vous avez la parole.

[Traduction]

+-

    Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

    Pour moi, c'est là le coeur de la question. Nous avons assisté à une présentation de l'attaché militaire pour le compte des Américains. Il a dit essentiellement que les Américains souhaitent obtenir l'appui du Canada sur les plans politique et international.

    Selon moi, cela pose un énorme problème, car le Canada ne sera plus investi de l'autorité morale de collaborer avec des États d'optique commune. Cette possibilité m'inquiète.

    Quant à l'influence que nous exercerons si nous demeurons membre du NORAD, elle peut là encore être remise en question. Selon ce que j'ai compris, nous n'avons pas eu un plein accès à l'information concernant les questions spatiales.

    Pour revenir aux propos de M. Fergusson, il a mentionné que nous faisons depuis longtemps partie du NORAD, mais je crois que nous devons nous rendre compte que le contexte est de nos jours très différent. La planète compte désormais une hyperpuissance. Nul autre gouvernement national n'est en mesure de s'opposer à la puissance militaire des Américains. Bon nombre de leurs politiques, et à n'en pas douter leurs récentes interventions en Irak, montrent qu'ils sont favorables à des frappes préventives et disposés à y avoir recours.

    J'ai deux questions à vous poser. Tout d'abord, dans un contexte où une hyperpuissance est prête à aller de l'avant avec ce projet peu importe ce qui arrive, que peuvent faire d'autres États d'optique commune pour contrer cette façon d'agir?

    Je crains aussi que l'on attise la menace terroriste en proposant l'adoption d'un tel système de défense qui, comme vous l'avez indiqué clairement, ne sera pas très utile.

    Auriez-vous l'obligeance de nous faire part de votre point de vue sur ces deux questions.

À  +-(1000)  

+-

    M. Ernie Regehr: Selon moi, il n'y a rien de neuf dans les points à l'ordre du jour pour le Canada.

    Dans le cadre de la Conférence sur le désarmement de Genève, nous avons depuis longtemps fait connaître notre intention d'entamer des négociations en vue de prévenir une course aux armements dans l'espace extra-atmosphérique, pour que les craintes de M. Fergusson ne se concrétisent pas. Un désaccord entre la Chine et les États-Unis bloque ce débat. Il serait fort simple pour les États-Unis de cesser de lier cette question au fait que la Chine s'oppose à une interdiction des matières fissiles, de s'attaquer au point de l'ordre du jour concernant la prévention d'une course aux armements dans l'espace extra-atmosphérique, puis d'entériner au lieu de saper la norme s'opposant à la militarisation de l'espace.

    Selon moi, le Canada doit faire preuve de beaucoup de circonspection, car le système très limité au sein duquel il cherche à négocier un rôle est effectivement, comme je l'ai dit, une arme antisatellite. Comme M. Fergusson l'a précisé, si les États-Unis déploient un système semblable doté d'une capacité antisatellite manifeste, d'autres États peuvent faire de même. C'est alors un pas vers la course.

    Pourquoi lancer la course aux armes antisatellite alors que ce n'est pas nécessaire? Les satellites ne sont présentement pas menacés. En réalité, les armes antisatellite ne pourraient détruire des armes similaires que d'autres intervenants pourraient être persuadés de déployer.

    Selon moi, sous ces deux rapports, notre force repose dans l'attention accordée à la menace nucléaire dans un cadre multilatéral, et c'est une menace nucléaire dangereuse. Le volet très mineur de cette menace, c'est la prolifération des armes dans de nouvelles directions et de nouveaux États. Le volet majeur de la menace, c'est la possibilité que des matières nucléaires se répandent à partir de l'Union soviétique. Le Canada consacre une forte somme d'argent à la lutte contre cet élément. C'est là l'aspect sur lequel l'attention doit demeurer polarisée.

+-

    Le président: Monsieur Fergusson, auriez-vous l'obligeance de commenter brièvement ces observations.

+-

    M. James Fergusson: À mon avis, il est important de dissocier complètement le terrorisme de la stratégie de défense antimissile. Ce sont deux choses différentes. On ne va pas très loin en disant que le fait d'intervenir sur un front signifie que l'on n'intervient pas sur l'autre.

    Quand à votre question concernant l'hyperpuissance et ce que peut faire le Canada avec des États d'optique commune pour s'y opposer, j'y répond que l'État ayant l'optique se rapprochant le plus de celle du Canada dans le monde est situé au sud de la frontière, et ce sont les États-Unis. C'est un État d'optique commune. Qui plus est, selon moi, il est important que le Canada et les Canadiens reconnaissent qu'en dépit des erreurs et des problèmes survenus au sud de la frontière dans le cadre des responsabilités dont ce pays doit s'acquitter sur la scène internationale—responsabilités qui n'échoient pas à des pays comme le Canada pour diverses raisons—le système international a en grande partie été créé par les États-Unis, et il va dans le sens des intérêts du Canada à cet égard.

    Pour ce qui est de la non-prolifération, je souligne en terminant que ce qui est qualifié par de nombreuses personnes d'échec du régime de non-prolifération et d'échec de la diplomatie tient au fait que la communauté internationale n'a aucun moyen d'assurer l'imposition de sanctions aux pays qui trichent. Nous avons été témoins de cela maintes et maintes fois. La condamnation ne donne pas de résultats. Les sanctions, comme dans le cas de l'Irak, se sont tournées contre nous devant les comptes rendus selon lesquels des enfants irakiens meurent de faim. Il va de soit que les frappes préventives ne font pas partie du programme envisagé. Nous sommes ici en présence des États-Unis qui, à la tête de la communauté internationale, disent qu'ils vont mettre au point ces trois autres instruments de la corbeille dans le cadre d'une démarche multidimensionnelle en faveur de la non-prolifération. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas de diplomatie, mais cela veut dire par ailleurs que l'on recourra à la défense antimissile pour rendre ce régime plus efficace.

À  +-(1005)  

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Je cède maintenant la parole à M. Benoît.

+-

    M. Leon Benoit (Lakeland, Alliance canadienne): Je vous remercie, monsieur le président.

    Bonjours messieurs, je suis ravi que vous soyez des nôtres aujourd'hui.

    Je ne sais trop par où commencer. Je vais d'abord souligner que l'Alliance canadienne s'est prononcée il y a trois ans en faveur d'une participation intensive aux discussions avec les États-Unis concernant la défense antimissile. Nous étions disposés à dire aux États-Unis que cela semble un prolongement quasi naturel du NORAD, une initiative s'intégrant bien au NORAD, une mesure qui assurerait une meilleure sécurité aux Canadiens. C'est la raison pour laquelle nous avons dit que nous devrions participer à ces discussions. Si nous sommes à tout le moins à la table, nous saurons ce qui se passe et nous serons possiblement en mesure d'influer sur le déroulement des événements—bien que je crois que les Américains aient déterminé avec assez de précision il y a un certain temps ce que serait la défense antimissile, mais la situation à cet égard évolue dans une certaine mesure.

    Je sais que vous avez abordé jusqu'à un certain point cette question, monsieur Fergusson, mais je veux que vous vous exprimiez vraiment clairement sous ce rapport. Pensez-vous que nous pourrions maintenir le NORAD si le Canada décide de ne pas participer à l'initiative de défense antimissile.

+-

    M. James Fergusson: Si le Canada n'adhère pas à l'initiative de défense antimissile, le NORAD ne disparaîtra pas. Il reprendra sa mission originale, soit assurer la surveillance et le contrôle de l'espace aérien de l'Amérique du Nord à des fins de défense aérienne .

    À cet égard, les débats concernant l'aspect marginal de la défense aérienne ou la menace que font peser les aéronefs aérobie sur l'Amérique du Nord perdront de leur importance, particulièrement à Washington. Cela entraînera une modification de la façon dont les États-Unis perçoivent le Canada et sont disposés à investir dans les secteurs de coopération liés aux dispositifs aérobie, seul volet des accords de coopération du NORAD qui demeurera. L'espace sera complètement fermé au Canada. L'accord... La collaboration demeure toujours un choix logique.

+-

    M. Leon Benoit: Quelles seraient pour le Canada les conséquences d'une telle situation?

+-

    M. James Fergusson: Pour résumer très brièvement la situation, nous perdrions tout accès à l'information concernant le repérage, les missiles balistiques et le réseau de surveillance de l'espace, sauf pour ce qui est de l'information que les États-Unis consentiraient à nous fournir, selon leur bon vouloir. Tout cela nous échappe, en fonction de ce que les États-Unis estiment que nous avons ou non le besoin de savoir. Nous serions plus largement tributaires qu'auparavant des États-Unis et de leur bon vouloir.

    Cette situation nuit de façon importante à la stratégie globale du Canada concernant l'espace extra-atmosphérique. Cette stratégie a toujours consisté à tenter de tirer parti de très petits investissements ciblés visant à exploiter l'espace extra-atmosphérique dans les intérêts du Canada. Ces possibilités disparaîtront en grande partie parce qu'elles s'articulaient autour des liens étroits dans le cadre du NORAD et de l'entrée du NORAD dans le domaine de l'espace extra-atmosphérique.

    L'accès du Canada a une image stratégique globale de l'univers dont il doit être au courant... Il nous fallait être au courant des moyens militaires soviétiques parce que nous faisions partie du NORAD, en raison de la mission du NORAD. C'est pourquoi nous savions où se trouvaient notamment tous les missiles balistiques intercontinentaux des Soviétiques et nous connaissions tout ce que mijotaient les Soviétiques. Nous serons privés de cette image stratégique globale. Nous occuperons sur ce plan une place plus périphérique et marginale et, partant, il nous sera plus difficile de comprendre le monde dans lequel nous vivons et de mettre au point les mesures voulues.

    Enfin, nous en reviendrons à un accord relativement marginal en matière de coopération dans les domaines de la défense et du contrôle de l'espace aérien. Compte tenu des nouvelles technologies que déploieront les États-Unis pour assurer la surveillance à partir de l'espace, à moins que le Canada soit disposé à investir des milliards et des milliards de dollars—et j'insiste sur le fait qu'il s'agit de milliards et de milliards de dollars—les États-Unis sont dans une large mesure capables d'assurer une surveillance aérienne à partir de dispositifs basés dans l'espace et de nouvelles constellations qui seront mises au point et déployées pendant la prochaine décennie.

    Par conséquent, lorsque viendra le moment pour le Canada de moderniser ses propres systèmes de surveillance aérienne, et notamment le Système d'alerte du Nord, les États-Unis ne nous donneront pas un sous. Nous dépenserons des milliards de dollars à cette fin. Nous devrons accroître notre indépendance et investir des milliards et des milliards de dollars. Si c'est là la volonté des Canadiens, c'est bien, mais sachons à quoi sera consacré notre argent.

+-

    Le président: Avez-vous des observations, monsieur Regehr?

+-

    M. Ernie Regehr: À mon avis, les États-Unis et le Canada continueront de collaborer selon les besoins à des volets communs en matière de sécurité. Les États-Unis ne vont pas occulter le Canada s'ils estiment que leurs propres intérêts en matière de sécurité sont menacés.

    Les liens entre le Canada et les États-Unis en matière de sécurité sont très simples : le Canada a l'obligation de fournir aux États-Unis l'assurant que ce qui se déroule dans son espace aérien, dans le cas du NORAD, par exemple, ne constitue pas une menace à la sécurité des États-Unis. Les États-Unis ont intérêt à maintenir cette capacité au sein de leur territoire et du territoire canadien, et c'est un intérêt commun qui ne se dément pas en matière de défense. Ce système de défense aérienne ne comprend pas présentement un volet très stratégique—à l'heure actuelle, les radars du NORAD s'intéressent davantage aux Piper Cubs qu'aux bombardiers soviétiques—mais c'est un système commun et, comme M. Fergusson l'a souligné, les États-Unis partagent l'information en fonction du besoin de savoir. Il faut s'engager à maintenir des accords en matière de sécurité, dans les secteurs aérien et maritime. Les accords de sécurité dans le domaine maritime n'exigent même pas une structure de commandement mixte.

    Le NORAD existera et il sera utile dans la mesure où il sert nos intérêts mutuels en matière de sécurité. Il ne sera pas maintenu plus longtemps qu'il ne le faut et il ne sera pas abandonné une minute avant le temps.

À  +-(1010)  

+-

    Le président: Avant de céder la parole à Mme Carroll pour qu'elle pose des questions, je tiens à souligner la présence parmi nous de députés et de hauts fonctionnaires du gouvernement de l'Ukraine participant au Projet intergouvernemental sur les lois Canada-Ukraine. Mesdames et messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue. C'est un plaisir de vous compter des nôtres comme invités ce matin.

    Madame Carroll, vous avez la parole.

+-

    Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

    En réalité, messieurs, lorsque votre nom figure au bas de la liste, on a déjà largement répondu à bon nombre des questions que vous vouliez poser le moment venu.

    Toutefois, monsieur Fergusson, j'aimerais savoir comment vous pouvez affirmer avec une telle confiance que notre participation à cette initiative nous donnera accès à la planification stratégique que les États-Unis sont à mettre au point. Au départ, lorsque nous nous sommes penchés sur cette question, on a largement fait état du fait que si nous refusions de nous présenter à la table ou à tout le moins de discuter, le NORAD serait relégué aux oubliettes et, selon certains, c'était notamment ce qui devait nous motiver à aller de l'avant, parce que nous ne pouvions nous permettre que cela se produise.

    Je suis d'accord avec cela. Le NORAD est un excellent système. C'est un lien entre deux pays et deux systèmes militaires qui a donné d'excellents résultats et je ne tiens pas à ce que cet organisme soit relégué aux oubliettes.

    Toutefois, au même titre que vous et d'autres intervenants, j'accepte le fait que le commandement et le contrôle de la défense antimissile balistique ne reposera manifestement pas entre les mains du NORAD. Il relèvera du Commandement du Nord, tout comme il sera confié au Commandement du Pacifique si jamais un lancement survient dans cette partie du monde. Lorsque j'écoute une personne comme vous, qui connaît très bien cette question, j'éprouve encore un peu de difficulté à saisir le lien existant.

    J'aimerais vraiment que vous précisiez un peu mieux pourquoi vous êtes si confiant que la dynamique du besoin de savoir va jouer et que les Américains estimeront que le « besoin de savoir du Canada » est très élevé et verront donc à ce que nous soyons mis au courant. Comment le fait de nous présenter à la table sans carnet de chèque nous permettra-t-il d'obtenir cette information? Je ne conteste pas le fait que nous devons être au courant de cette information; c'est tout simplement que vous êtes plus confiant que la majorité des gens.

+-

    M. James Fergusson: Il en est ainsi pour deux raisons. Il est intéressant de constater que personne au pays ne parle de contribuer à cette initiative. C'est une question dont nous devrions parler, mais nous ne le faisons pas.

    Il y a deux réponses de base. Dans un premier temps, le commandement et le contrôle étant confiés au NORAD, cet organisme demeurera chargé de l'information en matière d'alerte lointaine et de repérage. Le NORAD doit conserver ce rôle parce qu'il doit savoir, en faisant appel à des satellites américains, à quel moment un missile est lancé afin de pouvoir mettre en état d'alerte ses batteries d'interception, qui sont présentement situées en sol américain.

    Il doit ensuite avoir accès aux données de repérage pour pouvoir indiquer aux radars, installés en gros là où se trouvent les intercepteurs, où se situent l'objet dans l'espace. Ainsi, les radars pourront balayer l'horizon et le trouver. Après l'avoir découvert, bien sûr, ils indiqueront alors au missile où se diriger, et ils le lanceront avant le système embarqué.

    C'est pourquoi nous devons savoir ce qui se passe dans l'espace extra-atmosphérique. Qu'est-ce que cela signifie? Je vais vous donner deux exemples. Pour nous acquitter de cette mission, nous devons savoir exactement où se trouvent tous les points de lancement possibles d'éventuels adversaires de l'Amérique du Nord. Nous devons savoir où sont situés tous les silos; nous devons connaître l'emplacement probable de tous les systèmes mobiles dont le déploiement est planifié à l'avance. Cette information permet d'assurer un fonctionnement plus efficace du système, de façon à être en mesure d'établir rapidement une distinction entre un lancement réel et menaçant et un lancement pacifique ou annoncé à l'avance. Vous devez être au courant de toutes ces données.

    Comme l'a souligné M. Regehr, l'espace extra-atmosphérique est encombré. On y trouve beaucoup de vieux matériel, beaucoup de satellites. Vous devez être au courant de tout ce qui s'y trouve de sorte que, lorsque vous consultez vos écrans d'ordinateur, vous soyez en mesure de repérer le bon écho radar parmi tous les autres qui l'entourent. Tous ces échos radar comprennent la totalité des satellites civils et militaires américains.

    De plus, si les États-Unis déploient des systèmes anti-satellites ou des intercepteurs en phase de propulsion basés dans l'espace, vous devez aussi avoir une image complète de la situation. Par conséquent, ce sont simplement les exigences technologiques du commandement et du contrôle et la mission d'alerte lointaine de défense aérienne qui font que les États-Unis nous tiennent au courant. Vous devez savoir tout ce qui passe là-haut. Vous devez avoir une image des menaces stratégiques qui pèsent sur l'Amérique du Nord. Nous devons prendre connaissance de toutes ces choses et, ce faisant, nous obtenons un accès privilégié aux Américains qui disent «Ce sont là les choses qui se trouvent là. Ce sont là les choses auxquelles nous pensons. Vous devez aussi en être au courant.» Nous devons le savoir afin d'être bien intégrés.

    L'autre aspect tient simplement aux personnalités en présence. Les relations entre le Canada et les États-Unis en matière de défense sont souvent une question de personnalité et d'amitié. Du fait que nous nous trouvons là, ou que nous sommes sous la tente, pour utiliser cette analogie, les États-Unis nous autorisent à nous rendre dans de nombreux secteurs qui nous seraient par ailleurs interdits parce qu'ils nous connaissent et parce que nous sommes des amis proches et que nous allons prendre le repas avec leurs familles. Les Américains nous disent « Ça va; vous pouvez vous asseoir là; vous êtes du bon monde. »

    De cette façon, les personnalités et les profondes amitiés jouent aussi en notre faveur. Par conséquent, ces deux éléments nous permettent de prendre connaissance de choses dont nous devons être au courant.

    Le président : Monsieur Regehr, avez-vous des commentaires?

À  +-(1015)  

+-

    M. Ernie Regehr: En réalité, cette liste ne comprend pas que ce que nous devons savoir ou ce que nous saurons; elle précise plutôt ce que les Américains ont besoin de savoir. C'est ce que doivent savoir les personnes qui lanceront les intercepteurs, le cas échéant. Nous ne lancerons pas ces intercepteurs.

    M. Fergusson a aussi fait tout un plat de la divulgation de l'information selon le besoin de savoir. Nous n'avons pas besoin de savoir la moindre de ces choses, parce que nous n'attendons pas avec le doigt sur la gâchette en quelque endroit que ce soit. Toute cette information ne présente aucun intérêt par rapport aux activités auxquelles participe le Canada. Ce sont les États-Unis qui ont besoin de connaître ces informations, parce que ce sont eux qui contrôlent les systèmes activés en fonction de ces informations. Nous ne contrôlerons pas ces derniers systèmes.

    Il se peut qu'en raison de notre participation au NORAD, on ne demande pas à quelques personnes travaillant à Cheyenne Mountain d'abandonner leur écran radar lorsque survient un phénomène intéressant, comme c'est sans doute présentement le cas, mais je n'arrive cependant pas à comprendre en quoi cela a une grande incidence nationale.

    Cette information technique ne correspond pas à ce que le Canada doit savoir, dans la mesure où il n'en a que faire. Les États-Unis sont la seule instance agissant à partir de cette information, parce qu'ils exercent le commandement et le contrôle sur les systèmes.

    Notre participation au système est d'ordre politique. Nos initiatives visant à lutter contre la prolifération et à mettre l'Amérique du Nord à l'abri de la menace nucléaire sont d'ordre politique. Nous devons nous préoccuper de notre efficacité à ce niveau. Je crains qu'elle ne soit sapée, bien que nous possédions plein d'information technique.

[Français]

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Bachand, c'est à vous.

+-

    M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Merci, monsieur le président.

    Je trouve que dans ce débat, on escamote souvent toute la question philosophique et morale de la création d'un tel système. Veut-on vivre dans un monde avec plus ou moins d'armes? Veut-on réduire l'écart entre les riches et les pauvres, entre les nations riches et les nations pauvres? Je trouve qu'il faut revenir à ces concepts une fois de temps en temps. Je ne crois pas beaucoup aux arguments en faveur de ce système, parce que je trouve qu'il n'y a pas de véritable menace actuellement.

    Les seuls pays qui sont en mesure de lancer une arme atomique sur les États-Unis, actuellement, sont la Corée du Nord et la Russie. On écarte la Russie parce que personne ne pourrait bloquer une attaque massive: ce serait tout simplement la fin du monde. Attardons-nous maintenant au cas de la Corée du Nord. Il ne faut pas oublier la doctrine militaire qui s'appelle la destruction mutuelle assurée. Je pense que si la Corée du Nord lance un missile sur la ville de New York, c'est la fin de la Corée du Nord au complet. Il s'agit donc d'une décision importante à prendre avant de mettre le doigt sur le bouton.

    On s'interroge aussi sur la fiabilité du système. Sur huit essais avec une trajectoire planifiée, il y a eu trois échecs. S'il y a une attaque, qui, forcément, ne sera pas prévue, le temps de réaction va faire en sorte qu'on risque de rater complètement son interception. On ne pourrait pas contrer d'attaque massive car il faudrait pour cela un système beaucoup trop coûteux. Et M. Fergusson nous dit qu'il est important d'être assis à la table pour ne pas rester dans le noir!

    Le NORAD ne peut que détecter un missile antibalistique et non pas y répliquer. La réplique serait justement la destruction mutuelle assurée.

    Selon moi, on est en train de manquer le bateau. Que va-t-on apprendre si on est assis avec eux? Quel prix cela va-t-il nous coûter de savoir qu'un missile qui vient de la Corée du Nord et qui vise New York va passer au-dessus de la frontière ontarienne et québécoise? Un général canadien sera-t-il pour autant en mesure d'empêcher que l'interception du missile se fasse au-dessus du territoire canadien? Pensez-vous qu'ils vont laisser détruire New York pour éviter que les débris tombent sur le territoire canadien? Nous n'aurons aucun pouvoir de décision.

    Je veux que vous réagissiez là-dessus. Il me semble que nous donnerions ainsi un prix de consolation aux Américains, étant donné que nous ne les avons pas appuyés lors de la guerre en Irak. Il me semble que la solution est le désarmement. Autrement, on va relancer la course aux armements. À mon avis, si on utilisait la moitié du budget qui sera consacré à cette aventure pour aider les nations pauvres et pour réduire l'écart entre les riches et les pauvres, on réglerait tout le problème et on n'aurait pas à satisfaire le complexe militaro-industriel.

    C'est probablement le fond du problème, mais personne n'en parle. Je m'excuse d'avoir parlé longuement, mais j'aimerais que...

À  +-(1020)  

+-

    Mme Francine Lalonde: Tu as été excellent et je t'applaudis.

[Traduction]

+-

    M. Ernie Regehr: J'apprécie beaucoup ces commentaires.

    Une occasion extraordinaire s'offre à nous, soit celle d'éviter la militarisation d'un milieu, comme l'Antarctique. Nous avons la capacité d'empêcher l'avènement d'un système qui aurait des conséquences très compliquées et onéreuses si nous adoptions la voie de la militarisation.

    En ce qui concerne la défense antimissile balistique, si notre objectif est de mettre des agglomérations canadiennes à l'abri d'une attaque nucléaire, nous devons comprendre qu'il n'y a pas de différence entre un taux de réussite de 90 p. 100 et l'échec. Le résultat est le même dans l'un et l'autre cas. Quel système technologique saurait nous protéger intégralement tout le temps? Un tel système n'existera jamais. Tant et aussi longtemps que des armes nucléaires sont déployées contre nous, le seul choix horrible s'offrant à nous est la destruction mutuelle assurée. Nous continuerons d'être tributaires de ce système.

    Nous sommes à la recherche d'un moyen qui permettrait d'assurer la protection des Nord-américains, et on ne peut y arriver en faisant appel à un système dans le cadre duquel... Comme je l'ai dit, un taux de réussite de 90  ou 99 p. 100 est synonyme de catastrophe totale, peu importe les sommes dépensées. Nous avons donc maintenant l'occasion d'agir sur deux plans. Nous devons prendre des dispositions pour que l'espace soit réservé à des usages pacifiques et que l'on s'abstienne d'enfreindre la norme actuelle pour installer des armes dans l'espace. Nous devons aussi redoubler d'ardeur sur le plan de la diplomatie du désarmement dans le but de réduire le nombre d'armes nucléaires qui existent et qui sont pointées vers nous.

    La diplomatie de la non-prolifération a connu beaucoup de succès. Si je ne m'abuse, quelque 186 États ont adhéré au traité de non-prolifération nucléaire. Un de ces États, la Corée, a cessé d'adhérer à ce traité tout en se targuant de posséder l'arme nucléaire. Et c'est davantage une revendication qu'un énoncé de fait. Nous ne savons pas ce que possède ce pays, et ce dernier ne dispose pas des moyens de lancer des missiles au-delà de la région dans laquelle il se trouve.

    La diplomatie a donc été extraordinairement efficace. Mon inquiétude tient au fait que l'administration américaine actuelle applique des politiques de recours aux armes nucléaires qui sapent cette diplomatie. Nous devons éviter avec soin de nous porter garants de ce genre d'activité sur le plan politique. À mon avis, c'est là l'intérêt fondamental des États-Unis. Ce n'est pas de notre argent, de notre industrie ou de notre territoire dont ils ont besoin; ils cherchent plutôt à obtenir l'aval politique et le soutien d'un État ayant à coeur la sécurité humaine.

À  +-(1025)  

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Je cède maintenant la parole à Mme Redman.

+-

    Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

    J'ai dû m'absenter quelques minutes, alors veuillez accepter mes excuses si jamais je reviens sur un sujet ayant déjà été abordé.

    J'aimerais poser une question à M. Regehr, et une à chacun d'entre vous.

    Si j'ai bien compris, vous dites que le Canada devrait probablement participer au NORAD et au système de défense antimissile, mais qu'il devrait chercher une voie de sortie. Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure la nécessité de trouver une voie de sortie est réaliste et préciser comment on s'y pourrait prendre?

    Le gouvernement du Canada s'oppose à la militarisation de l'espace. Ma question s'adresse à vous deux. Selon vous, est-il suffisant de dire que le gouvernement maintient toujours cette position et où s'inscrit notre participation au NORAD dans le cadre de nos obligations internationales? Le Canada est le signataire de nombreux traités internationaux. Comment défend-on cette position au nom du gouvernement canadien?

+-

    Le président: Monsieur Fergusson, vous avez la parole.

+-

    M. James Fergusson: Ma réponse sera très brève, et j'espère que j'aurai l'occasion de revenir sur certaines de ces questions.

    Je tiens pour acquis qu'en utilisant l'expression «voie de sortie» vous voulez dire une voie qui permettra de nous éloigner de la militarisation de l'espace extra-atmosphérique. Il n'y a pas de voie d'accès. À l'heure actuelle, les négociations entourant la participation ne prévoient pas une voie d'accès, de sorte que nous n'avons pas à emprunter une voie de sortie. Par ailleurs, si l'on se reporte simplement à la façon dont les États-Unis ont structuré leur commandement, j'estime qu'il n'existe aucune garantie que ce pays offrira un jour au Canada ou à quelque autre pays une voie d'accès.

    Cette administration et la façon dont nous la dépeignons, qui est toujours intéressante, me rappellent que je voulais mentionner que l'attaché de défense des États-Unis a dit qu'il est important que le Canada appose ce cachet de légitimité. Pensez à la façon dont vous dépeignez l'administration Bush. Pensez-vous qu'ils ont besoin d'un cachet de légitimité de la part du Canada ou qu'ils se préoccupent d'en obtenir un? Cela ne concorde pas avec notre propre façon de décrire cette administration.

    Nous ne savons donc pas ce qu'il en est. Il n'y a pas de voie d'accès. Il s'agit de savoir si les États-Unis ouvriraient une voie d'accès, et cela dépend d'un changement de politique de la part du Canada. Il n'y a donc rien dont on veut sortir.

    Si le Canada voulait négocier l'inclusion dans l'accord du NORAD d'une disposition excluant la militarisation de l'espace extra-atmosphérique, il est probable que les États-Unis diraient «D'accord. Cela ne nous pose aucune problème.» Si c'est la volonté du Canada, c'est-à-dire s'il veut avoir l'assurance qu'il existe une voie de sortie ou qu'il veut créer une voie de sortie alors qu'il n'existe pas de voie d'accès, je suppose que l'on peut aller de l'avant.

    Pour ce qui est du NORAD et de nos autres obligations, l'accord du NORAD n'affecte d'aucune façon les autres obligations qui nous incombent en droit international. Ce sont des obligations conventionnelles, un point c'est tout. À moins de faire valoir des arguments plutôt étranges, on ne peut défendre la thèse des normes, d'interprétation inappropriée des fondements du droit international, comme le font certaines personnes. Dans l'ensemble, comme vous le diraient selon moi tous les avocats internationaux, il n'existe aucun conflit entre nos obligations.

+-

    M. Ernie Regehr: Il n'y a pas de voie d'accès permettant au Canada d'exercer un contrôle ou de participer au commandement et au contrôle dans le cadre des plans de militarisation de l'espace des États-Unis. C'est clair. Nous ne sommes pas invités à participer à ce système.

    La voie d'accès est d'ordre politique. On nous invite à avaliser un système global. Une partie explicite du système et de la planification correspond à une partie explicite de l'engagement du secrétaire Rumsfeld à poursuivre la militarisation de l'espace. On nous demande de prendre un engagement politique. Quand à savoir si le système est réalisable sur le plan technique, c'est une autre question; toutefois, on nous demande de prendre un engagement politique.

    C'est un engagement politique qui aurait des conséquences importantes pour le Canada dans la poursuite de ses objectifs traditionnels en matière de désarmement et de contrôle des armements dans le contexte d'accords multilatéraux.

    Je ne suis pas sûr d'avoir saisi le commentaire selon lequel les États-Unis seraient disposés à négocier l'inclusion d'une disposition de non-militarisation dans tout accord qui interviendrait entre eux et le Canada. De nombreuses personnes en seraient étonnées. Si le sens de cette disposition est que, en cas de militarisation de l'espace, nous ne serions pas là, je souligne qu'il n'y a pas lieu de conclure avec eux un accord à ce sujet. Nous n'y serions pas quoi qu'il arrive.

    Si la disposition relative à la non-militarisation signifie que nous nous engagerions à ne pas militariser l'espace, il existe une tribune où l'on peut faire cela. Il s'agit de la CD, où ce point figure à l'ordre du jour et n'a pas fait l'objet d'une intervention en raison du refus des Américains depuis 1995.

À  +-(1030)  

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Je cède maintenant la parole à Mme McDonough.

+-

    Mme Alexa McDonough: Je vous remercie monsieur le président.

    J'ai trois brèves questions et j'aimerais que vous y répondiez tous deux.

    Monsieur Fergusson, vous avez parlé de la volonté des Canadiens de faire telle et telle chose. Estimez-vous que le gouvernement a la responsabilité de consulter les Canadiens, comme le premier ministre l'a promis à maintes et maintes reprises, avant de s'engager le moindrement à participer au système de défense antimissile de Bush?

    Deuxièmement, vous avez dit que la doctrine Bush en matière de politique étrangère est «une bouffée d'air frais», sans doute parce qu'elle témoigne d'un intérêt personnel primaire. Je ne suis pas sûre d'avoir bien compris. Je me dois cependant de vous poser la question suivante. N'entretenez-vous pas d'inquiétude devant le fait qu'une superpuissance, la seule superpuissance au monde, laisse essentiellement tomber le multilatéralisme dans de nombreux accords internationaux pendant que nous cherchons à vaquer à nos propres intérêts dans une certaine forme de partenariat? Je ne veux même pas que nous abordions ce que serait pour vous les éléments d'un sain partenariat.

    Troisièmement, vous avez dit que toute la question des missiles antibalistiques devrait être dissociée de la question du terrorisme. Des millions de personnes dans le monde se battent pour leur survie en raison de la pauvreté, de la pollution et des pandémies. J'aimerais que vous élaboriez sur le fait que, selon vous, nous devrions aborder la question de la contribution du Canada, du coût que cela pourrait comporter pour nous, et que vous précisiez quelle devrait être la contribution du Canada au système antimissile balistique de Bush. Pouvez nous dire ce qu'il en coûterait et comment vous êtes arrivé à ce chiffre.

+-

    Le président: Voilà beaucoup de questions.

    Monsieur Fergusson, vous avez la parole.

+-

    M. James Fergusson: Je ne devrais jamais utiliser de commentaire concernant les désirs des Canadiens.

    Pour ce qui est de consulter les Canadiens, il en est question depuis au moins 2001, au moment où l'administration Bush a dit très clairement—et elle l'avait même fait avant de prendre le pouvoir—ce qui allait se produire. Si vous vouliez mener une consultation, elle aurait dû être faite à ce moment-là, au moment où tous savaient ce qui se passait. Peut-être pourrions-nous nous reporter à l'année 1985, quand Clinton a annoncé le plan «trois plus trois» de défense nationale antimissile. Peut-être pourrions-nous remonter à 1991 et à l'adoption de la National Missile Defence Act.

    Mme Alexa McDonough: Lorsque les Canadiens ont dit non.

    M. James Fergusson: Dans tous ces cas précis, il est un peu tard pour mener des consultations, quoi que cela veuille dire. Le sens du mot consultation me rend toujours perplexe. Je suis convaincu que vous êtes au courant des nombreux articles universitaires rédigés au sujet des problèmes de consultation et de participation dans des États démocratiques comme le Canada. À l'heure actuelle, selon moi, on y verrait principalement une mesure visant à repousser une décision qui doit être prise de façon pressante.

    Deuxièmement, la doctrine Bush constitue selon moi une bouffée d'air frais pour deux raisons différentes. Premièrement, comme vous l'avez souligné, je conviens qu'ils ont exposé leur doctrine à l'univers de façon très directe et très simple.

    Cela signifie-t-il qu'ils abandonnent le multi-multilatéralisme? Je ne sais pas pourquoi nous nous appuyons sur des exemples ponctuels pour dire que c'est la fin du multilatéralisme. Le multilatéralisme est une question de réciprocité; il ne s'agit pas d'un simple regroupement d'États souverains dans le cadre duquel la majorité règne de façon démocratique. Le multilatéralisme, c'est chercher à formuler des solutions reconnaissant à tout le moins que les intérêts d'une superpuissance exerçant des responsabilités planétaires diffèrent des intérêts de grandes puissances ayant des responsabilités régionales et différentes des intérêts des puissances intermédiaires s'acquittant de responsabilités relativement marginales. Lorsque le multilatéralisme sert de tribune ou d'instrument politique à d'autres pays pour tenter de forcer les États-Unis à adopter des mesures qu'ils jugent vitales par rapport aux intérêts de leur population ou à leurs intérêts particuliers, il va de soi que le multilatéralisme sera laissé de côté. Mais cela ne veut pas dire pour autant que l'État exerçant sur la scène internationale la plus grande responsabilité en matière de multiculturalisme, soit les États-Unis, s'éloigne de quelque façon que ce soit du multilatéralisme.

    À cet égard, permettez-moi d'apporter les précisions suivantes au sujet de la doctrine de l'intervention préventive. Sur la plan de la dissuasion, il y a lieu de déterminer l'utilité ou la valeur politique de la menace de recourir à une intervention préventive pour maintenir la paix et la sécurité à l'échelle internationale. Nous avons tendance à penser que cela signifie que les États-Unis vont subitement commencer à lancer des bombes sur quiconque dit du mal d'eux. Eh bien, ce n'est pas ce qu'ils vont faire. Mais cela modifie le cadre politique dans un univers où seulement les États-Unis ont la capacité—comme nous l'avons vu à maintes et maintes reprises—d'intervenir et de jouer un rôle de chef de file au sein de la collectivité internationale. Parfois, les États-Unis exercent ce rôle lorsque de nombreux autres pays membres ne veulent pas prendre part à une intervention; d'autres fois, les États-Unis interviennent allègrement dans un contexte où le reste de la collectivité internationale est disposée à suivre. D'autres fois, les États-Unis n'exercent pas le rôle de chef de file et le reste de la collectivité patauge dans l'incertitude. Si je reprends l'exemple de la famine que vous avez donné, nous pouvons dire que les problèmes de l'Afrique constituent un exemple classique des problèmes que pose le multilatéralisme au sein de la collectivité internationale.

    Selon moi, il faut analyser avec un peu plus de nuance la façon dont raisonnent les Américains. Ils ne se dissocient pas du multilatéralisme. Des éléments semblent indiquer que les États-Unis n'aiment pas certaines choses, mais nous devons analyser cela dans le contexte d'un régime multilatéral beaucoup plus vaste au sein duquel les États-Unis sont pleinement engagés et exercent à bien des égards un rôle de chef de file.

    Quant à savoir ce qu'il en coûterait au Canada ou ce que serait sa contribution, je pense que nous devons faire preuve de prudence si nous cherchons à présenter cela comme étant blanc ou noir. Si l'on veut s'arrêter aux sommes que les États-Unis consacrent à la défense et à la sécurité de sa population, on doit aussi voir les sommes que ce pays consacre à l'aide ou la position qu'il adopte en matière d'aide, ainsi que ce qu'il accomplit ailleurs dans le monde dans le cadre de tout un éventail de programmes. Ce n'est jamais blanc ou noir. L'idée de dire que si nous faisons ceci, nous ne ferons pas cela, est toujours trompeuse.

    Quant à savoir ce qu'il en coûterait au Canada, cela dépendrait largement des négociations que nous mènerions. Ce que nous savons est très clair. Avec un système de défense antimissile à mi-parcours plus efficace, en faisant appel à une défense antimissile basée au sol pour défendre les agglomérations canadiennes et américaines, un taux d'efficacité de 90 p. cent n'est peut-être pas remarquable, mais si 10 têtes nucléaires se dirigent vers vous et que vous pouvez réussir à défendre neuf villes tout en n'en perdant qu'une, c'est mieux que de tout perdre.

À  +-(1035)  

    Dans une perspective d'amélioration du système, le Canada pourrait offrir des emplacements pour y installer des radars plus efficaces. Nous pourrions aussi envisager la possibilité d'installer sur notre territoire une éventuelle base d'intercepteurs, mesure qui permettrait d'améliorer l'efficacité du système sans que nous n'ayons nécessairement à dépenser beaucoup d'argent.

    Je pourrais apporter encore plus de précisions.

+-

    Le président: Je vous remercie. Nous devrons y revenir plus tard. Je suis désolé, mais répondre à trois questions prend du temps.

    Monsieur Calder, vous avez la parole.

+-

    M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

    Dans le «Projet pour un nouveau siècle américain», l'énoncé de mission principal mentionne essentiellement que les États-Unis sont désormais la seule superpuissance au monde et qu'ils devraient chercher à conserver cette position aussi longtemps que faire se peut au cours du siècle venant de s'amorcer. Donc, selon moi, c'est le noyau autour duquel tout gravite.

    J'ai aimé l'analogie que vous avez utilisée lorsque John Godfrey a évoqué les règles applicables en haute mer. Quand j'entends les États-Unis discuter de la militarisation de l'espace, j'aimerais que l'on adopte l'idée que vous avez évoquée, soit établir pour l'espace des règles semblables à celles qui prévalent en haute mer, compte tenu du fait que l'on a mis des siècle à les déterminer. Quelle serait la meilleure façon de lancer ce processus?

+-

    Le président: Monsieur Fergusson, vous avez la parole.

+-

    M. James Fergusson: Selon moi, vous soulevez là un aspect très important. Nous devons tout d'abord cesser de condamner sans réserve la militarisation de l'espace—et c'est là chose difficile pour les Canadiens—et de considérer que la seule solution s'offrant au Canada est de négocier cette question à la Conférence sur le désarmement. C'est irréaliste. Cela ne présente aucune valeur politique par rapport aux problèmes dont nous discutons et cela veut incontestablement dire que le Canada n'a pas d'influence.

    Nous devons discuter des règles régissant l'espace extra-atmosphérique. Nous devons parler de l'importance que revêt l'espace extra-atmosphérique par rapport aux économies et aux modes de vie occidentaux. Nous devons discuter de l'importance croissante qu'exerce l'espace extra-atmosphérique sur notre capacité d'intervenir à l'échelle internationale: opérations de maintien de la paix et interventions militaires animées par des préoccupations d'ordre humanitaire et autres problèmes intérieurs ou menaces à la paix et à la sécurité internationale. Tous ces éléments font que nous devons commencer à parler des règles régissant l'espace extra-atmosphérique, et de la notion de belligérance dans ce contexte.

    Il faut se rappeler d'une chose lorsqu'il est question de l'espace extra-atmosphérique: ce n'est pas comme en haute mer, dans la mesure où, en raison de la capacité de naviguer, on a pleine marge de manoeuvre. Dans l'espace extra-atmosphérique, on est essentiellement astreint à des orbites fixes, en particulier en raison de ce qu'il en coûte pour produire de l'énergie. Il existe des façons d'élaborer des règles applicables en cas de conflits liés au déploiement de systèmes dans l'espace extra-atmosphérique. Ces règles pourraient s'appliquer dans un cadre de défense plutôt que d'attaque. Il existe différentes possibilités, des mesures passives et actives, mais toutes exigent que nous abordions ce dont nous ne voulons pas parler, soit l'élaboration de règles de comportement.

    Lorsque ces règles auront été établies, elles seront plus tard abordées au sein d'une tribune multinationale. C'est là qu'elles devront aboutir, car tous devront s'engager à les respecter. Nous établirons un régime multilatéral qui servira à gérer efficacement l'espace extra-atmosphérique de façon à assurer la sécurité de tous, au lieu de pousser d'une certaine façon les États-Unis à faire exactement le contraire de ce que nous souhaitons en raison de notre propre multilatéralisme.

À  +-(1040)  

+-

    Le président: Monsieur Regehr, vous avez la parole.

+-

    M. Ernie Regehr: Il ne s'agit pas maintenant de partir de rien et d'établir des règles régissant l'espace extra-atmosphérique. On est fort avancé dans l'établissement de telles règles. Qu'il s'agisse des traités concernant la limitation des armes stratégiques, soit SALT 1 et SALT 2, ou encore du traité FNI, tous comprennent des dispositions empêchant d'autres États de s'en prendre à des dispositifs liés à la vérification de ces traités. En réalité, il existe déjà des lois antisatellite ayant trait à l'espace extra-atmosphérique. Il y a la Convention sur la responsabilité, adoptée en 1972, qui impute des responsabilités aux États s'ils causent des dommages à un objet spatial appartenant à un autre État et se trouvant dans l'espace extra-atmosphérique.

    L'article IX du Traité de l'espace extra-atmosphérique prévoit des consultations entre les États parties au traité si l'un d'entre eux estime qu'un autre État s'apprête à gêner des activités liées à l'exploration et à l'utilisation pacifique de l'espace extra-atmosphérique. Il existe déjà une disposition permettant aux États de demander des dédommagements. Il existe déjà des règles concernant l'attribution de créneaux orbitaux dans l'espace extra-atmosphérique. Il existe déjà beaucoup de lois et de règlements concernant ce secteur. Nous cherchons ainsi à préserver ce système et à l'étendre, et non à nier son existence et à permettre sa mise de côté par un seul État n'agissant absolument pas de façon multilatérale en l'occurence.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Je cède maintenant la parole à Mme Gallant, qui sera suivie de M. Eggleton.

+-

    Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne): Je vous remercie, monsieur le président.

    Je n'ai que deux questions et j'aimerais que chacun des témoins y répondent.

    Passer d'une déclaration catégorique selon laquelle la seule protection contre les missiles nucléaires repose dans l'adoption d'une politique suivie de non-prolifération à une autre où il est question de destruction mutuelle assurée à l'exclusion de toute autre technologie, peu importe qu'il s'agisse de capteurs ou d'intercepteurs situés dans l'espace, constitue vraiment un genre de dérobade.

    On s'inquiète beaucoup des débris des intercepteurs de missiles qui pourraient retomber sur le sol canadien. Ces mêmes missiles pourraient être à court de leur objectif et s'écraser dans une ville canadienne. Cela étant, pourquoi la sécurité des Canadiens ne serait-elle pas mieux assurée si l'on utilisait toute la technologie possible pour contrer une attaque de missiles aussi près que faire se peut du début de la trajectoire?

+-

    Le président: Monsieur Regehr, vous avez la parole.

+-

    M. Ernie Regehr: Si ce geste n'avait qu'une conséquence—autrement dit, si l'univers demeurait exactement le même et que nous ajoutions simplement un système de défense antimissile balistique, même s'il n'est pas entièrement efficace bien qu'il le soit grandement—ce serait une bonne suggestion.

    Toutefois, qu'arrivera-t-il si les Nord-Américains cherchent à se mettre à l'abri de quelques missiles balistiques? La première conséquence d'une telle mesure, c'est qu'elle encourage ceux qui voudraient attaquer l'Amérique du Nord à tout simplement ajouter des missiles à leur arsenal. Si un État veut pointer un ou deux missiles sur l'Amérique du Nord afin d'exercer ce genre de menace et que les États-Unis mettent au point un système de défense capable de les éliminer, pourquoi n'en ajouteraient-ils pas un, deux ou dix de plus? C'est beaucoup moins onéreux que le système de défense antimissile balistique que l'on mettra en place pour s'en protéger.

    Le problème que pose la façon dont vous présentez la question, c'est que vous sous-entendez que l'univers est statique et que tout le reste demeurerait inchangé. Ce ne serait pas le cas. C'est là le coeur de la question. Et, quoi qu'il en soit, il n'existe absolument aucune capacité d'intercepter les missiles chinois ou les missiles russes, de sorte que la protection dont vous parlez est une illusion qui contribue à l'accroissement de la menace.

À  +-(1045)  

+-

    Le président: Monsieur Fergusson, désirez-vous faire une observation?

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    M. James Fergusson: Oui, je désire faire plusieurs observations. J'essaierai d'être aussi bref que possible.

    Je suis frappé de perplexité. On dit toujours que ce système est irréalisable sur le plan technologique, qu'il ne peut fonctionner et qu'il ne peut servir à nous protéger. Toutefois, si vous déployez un système qui ne peut fonctionner et qui ne peut assurer votre défense, c'est inutile et cela représente un gaspillage d'argent, et tous les autres vont construire plus de missiles. Si tout le monde sait que ce système ne fonctionne pas, qui aura besoin de construire d'autres missiles? Ils ne le feront pas. L'argument centré autour de la défense antimissile n'a donc aucune incidence.

    Deuxièmement, il est vrai que l'univers n'est pas statique. Toutefois, à mon avis, il faut établir une distinction entre la mise au point d'un système qui, à un niveau de défense raisonnable, permet de contrer de façon efficace les moyens dont disposent les Russes et les Chinois—et c'est la thèse qui remonte à l'époque de l'Initiative de défense stratégique, quand les Soviétiques ont dit qu'ils nous submergeraient de missiles... Les Américains ont rétorqué que cela ne se produirait que s'il coûte moins cher de construire des missiles d'attaque que des missiles de défense. C'est une dynamique très intéressante. C'est différent.

    Des questions devront être tranchées à un moment donné, et je conviens avec M. Regher que la façon dont le système évoluera aura une incidence sur les Russes et les Chinois. Cela surviendra selon moi dans une vingtaine d'années, et nous verrons quelles en seront les conséquences dans un univers politique non statique. Les États-Unis, comme tous les autres intervenants, effectueront des calculs.

    Troisièmement, et accessoirement, il y a le deuxième volet, soit celui des États parias qui ne peuvent nous attaquer. Tous disent qu'ils ne peuvent nous attaquer. Donc, si les États-Unis mettent au point ce système et que nous participons à cette initiative d'une certaine efficacité—disons qu'elle sera efficace à 60 p. 100 ... Si nous parlons d'une efficacité intégrale, soyons réalistes, nous ne nous défendrions jamais; nous ne remettrions pas de gilet pare-balle au policier parce que celui-ci ne peut lui assurer une protection intégrale. Mais nous cherchons néanmoins toujours à nous défendre pour tout un éventail de motifs politiques et moraux.

    Si nous nous arrêtons aux États ne possédant pas ces armes, nous constatons que nous les devançons d'une tête—c'est-à-dire que nous pouvons assurer notre défense face à eux. Ils devront alors déterminer—et je ne sais pas s'ils le feront de façon rationnelle, cette question demeurant à discuter—s'il vaut la peine de continuer de consacrer des milliards à la construction de missiles qui ne fonctionneront pas et qui, en outre, ne pourront pas écraser le système, car ils sont totalement incapables de soutenir la concurrence des États-Unis. On peut alors se demander s'ils ne chercheront pas une autre façon de chercher à menacer les États-Unis?

    Selon moi, la réponse à cette dernière question sera probablement oui. En réalité, sur le plan stratégique, l'importance des missiles comme arme de choix commencera à diminuer.

+-

    M. Art Eggleton (York-Centre, Lib.): Messieurs, je vous remercie d'être ici aujourd'hui.

    J'ai bien sûr manifesté maintes fois mon appui à une collaboration au système avec les États-Unis. Je crois qu'il y va de notre intérêt national d'agir de la sorte. Selon moi, un tel geste n'aura pas les conséquences négatives ayant été évoquées.

    Je sais que nous faisons partie intégrante du système de commandement et de contrôle du NORAD. Nous comptons en tout temps des représentants dans la salle de contrôle, 24 heures sur 24, sept jours par semaine. Il existe une procédure de présentation de rapports aux dirigeants des deux pays. À mon avis, le fait que cela relève du NORAD assure une information et une participation précieuses.

    Par ailleurs, la militarisation de l'espace extra-atmosphérique est un sujet de préoccupation pour beaucoup de gens. Lorsqu'il est question de militarisation de l'espace extra-atmosphérique, bien des gens pensent que l'on va installer autour de la terre beaucoup d'armes nucléaires sous forme de satellites que l'on pourra utiliser à souhait. Selon moi, personne ne veut que ce scénario se réalise—loin de là.

    Toutefois, un aspect mérite un complément d'attention—soit la défense des dispositifs se trouvant dans l'espace extra-atmosphérique, qu'il s'agisse de satellites militaires ou commerciaux. La destruction de certains de ces dispositifs aurait une incidence très négative sur l'économie du pays, ainsi que sur celle des États-Unis et de nombreux autres pays. Donald Rumsfeld a déclaré qu'il ne veut pas que les États-Unis se retrouvent dans une situation où il pourrait y avoir un Pearl Harbor extra-atmosphérique.

    Quels sont les choix qui s'offrent à nous pour assurer la défense de ces dispositifs dans l'espace extra-atmosphérique ou pour empêcher d'autres personnes d'utiliser l'espace extra-atmosphérique à des fins qui pourraient nous êtres néfastes?

    Dans un deuxième temps, j'aimerais que M. Fergusson réagisse à certaines des observations faites par Claude Bachand. Il n'en a pas eu l'occasion jusqu'à maintenant.

À  +-(1050)  

+-

    M. James Fergusson: Dans l'ensemble, comme vous le soulignez à juste titre, un des problèmes est lié à toute la question de l'espace extra-atmosphérique. Selon moi, au cours de la prochaine décennie, on assistera à un accroissement spectaculaire de l'activité que mèneront dans l'espace extra-atmosphérique non seulement les pays d'Amérique, mais aussi ceux de toute la planète. Beaucoup d'observateurs estiment que l'espace extra-atmosphérique deviendra en quelque sorte un des ressorts essentiels des économies modernes avancées dans le domaine de l'information. C'est déjà le cas.

    Comme je l'ai mentionné auparavant, un des problèmes est bien sûr lié au fait que l'espace extra-atmosphérique est vulnérable à des dispositifs basés au sol. À titre d'exemple, des missiles lancés dans l'espace extra-atmosphérique aux fins du transport d'une charge peuvent aussi servir à semer la destruction. Nous sommes par exemple au courant de l'essai laser MIRACL effectué par les Américains en 1998, en vue de déterminer la vulnérabilité d'un satellite face à un laser basé au sol. Les Américains ont été fort étonnés de l'étendue de la vulnérabilité.

    Selon moi, nous devons faire preuve de circonspection. Tous ces facteurs ne veulent pas nécessairement dire que les États-Unis tiennent mordicus à mettre des armes en orbite, qu'il s'agisse de satellites, de véhicules de destruction cinétique anti-satellitaire, ou de dispositifs pour frapper des armes en phase de propulsion. Il existe tout un éventail de mesures. Un des points faibles de l'espace extra-atmosphérique tient au fait que les stations terrestres et les stations de relais sont vulnérables. Elles doivent être mieux défendues afin d'assurer une plus grande sécurité.

    Il existe bien sûr des mesures passives, comme doter les satellites de volets afin qu'ils ne soient pas vulnérables aux frappes de lasers, ou encore durcir les satellites en orbite dans l'espace extra-atmosphérique. Nous durcissons des installations en cas d'attaque nucléaire pour des motifs de commandement et de contrôle. Nous avons durci des installations pour la Deuxième Guerre mondiale et le blitz; nous avons construit des abris fortifiés qui menaient au métro. On peut durcir des satellites. C'est onéreux.

    Outre les mesures passives, il y a aussi tout un éventail de mesures actives dont la mise en oeuvre ou non peut être fonction de l'orbite empruntée. Toutes ces mesures peuvent faire l'objet de négociations fondées sur ce qui est réalisable sur le plan technique et ce qui est perçu comme étant essentiel, politiquement, en matière de sécurité. Selon moi, c'est un aspect que nous n'avons pas bien analysé parce que nous fermons les yeux et que nous disons simplement que «la militarisation, c'est un sujet que nous ne voulons pas aborder.»

    Je crois avoir répondu à certaines des questions posées plus tôt au sujet des fondements philosophiques et moraux, mais je tiens à souligner que le premier objectif de l'État est la sécurité de ses citoyens—j'ai bien dit de ses citoyens, et non des citoyens d'ailleurs. Peut-être n'aimons-nous pas cela; peut-être aimons-nous penser en fonction du village global, mais ce n'est pas là la responsabilité fondamentale de l'État. Nous discutons en réalité des différentes façons d'offrir aux Canadiens un cadre de sécurité et de défense efficaces; nous parlons des mesures les plus efficaces à adopter dans l'intérêt du Canada et des Canadiens.

    J'insiste fermement sur le fait que nous appuyons le régime de non-prolifération. Que ce soit au Canada ou aux États-Unis, personne ne laisse entendre que le régime de non-prolifération devrait disparaître. Nous posons la question de savoir dans quelle mesure, du moins en ce domaine, la défense antimissile aura une incidence positive ou négative sur la non-prolifération.

    L'argument le plus convaincant voulant que la défense antimissile ait une incidence négative sur la prolifération, c'est que ce genre de défense—si les conditions politiques changent—pourrait pousser les Russes et les Chinois à accroître leur force de frappe, à améliorer les leurres et à devenir plus efficaces. C'est là un élément. Toutefois, comme je l'ai souligné, cela est tributaire d'un système qui verra le jour dans 20 ans.

    Dans le contexte du système actuel, il est question de la mesure dans laquelle la défense influera sur la prolifération horizontale, la dissémination de missiles et d'armes nucléaires en particulier ou d'autres armes de destruction massive au sein d'États qui ont divers motifs de se les procurer. Lorsque nous nous arrêtons à ce calcul, je crois que l'argument a beaucoup plus de poids.

    Ce qu'il montre, si vous le situez dans le processus plus large incluant d'autres aspects du régime—la diplomatie, la collectivité internationale, etc.—c'est que cette défense constituera en réalité un autre obstacle à la prolifération. Elle aura une incidence positive.

À  -(1055)  

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    Le président: Je cède maintenant la parole à M. Regehr.

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    M. Ernie Regehr: Cela nous amène au coeur même du problème. Lorsqu'il dit que ce système n'aura pas les conséquences prévues, M. Fergusson ajoute lui-même qu'il ne sait pas ce qui se produira dans 10 ans—et une période de 10 ou de 20 ans, c'est très peu. Les Américains ont mirvé leurs missiles au début des années 70, et il n'a même pas fallu une période de 10 ou de 20 ans pour que ces avantages technologiques deviennent caducs.

    Outre la Russie et la Chine, 35 pays sont désormais dotés de moyens importants en matière de missiles. La majorité d'entre eux sont des alliés indéfectibles de notre pays et des États-Unis, mais nous ne connaissons pas la dynamique de l'avenir. Si nous construisons un système dans le cadre duquel nous troquons la diplomatie contre des systèmes de défense mutuelle, nous pourrions nous placer dans une situation où nous ferons face à une escalade extraordinaire des moyens et où nous saperons le système de non-prolifération, qui est notre moyen de défense final.

-

    Le président: Je vous remercie beaucoup.

    Je tiens à remercier les deux témoins, MM. Regehr et Fergusson. Je sais que c'est la deuxième fois que M. Fergusson vient à Ottawa au cours des deux dernières semaines. Nous lui en sommes très reconnaissants. Ce n'est pas uniquement une question de défense; c'est aussi une question d'affaires étrangères. Nous vous remercions tous deux d'avoir été ici ce matin. Merci.

    La séance est levée.