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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 6 mai 2003




¿ 0910
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         M. John Sigler (professeur auxiliaire de sciences politiques, Université de Carleton)

¿ 0915

¿ 0920

¿ 0925
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.)
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         Le président
V         Mme Wahida Valiante (vice-présidente nationale et du conseil d'administration, Congrès islamique canadien)

¿ 0930

¿ 0935

¿ 0940

¿ 0945

¿ 0950
V         Le président
V         M. Saleem Qureshi (professeur émérite de science politique, Université de l'Alberta)

¿ 0955

À 1000

À 1005
V         Le président
V         M. Houchang Hassan-Yari (professeur et directeur, Science politique et d'économie, Collège militaire royal du Canada)

À 1010

À 1015

À 1020
V         Le président

À 1025
V         M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne)
V         Le président
V         M. Stockwell Day
V         Le président
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne)

Á 1105
V         Mme Wahida Valiante
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)

Á 1110
V         M. Houchang Hassan-Yari

Á 1115
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau)
V         M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.)
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         M. Saleem Qureshi

Á 1120
V         Mme Wahida Valiante
V         M. Murray Calder
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         M. Stockwell Day
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         M. Houchang Hassan-Yari

Á 1125
V         M. Stockwell Day
V         M. Houchang Hassan-Yari
V         M. Stockwell Day
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         Mme Wahida Valiante
V         M. Stockwell Day
V         Mme Wahida Valiante
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         M. Art Eggleton

Á 1130
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         M. John Sigler

Á 1135
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         Mme Aileen Carroll
V         M. Saleem Qureshi
V         Mme Aileen Carroll
V         M. John Sigler
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.)

Á 1140
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.)
V         Mme Wahida Valiante
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         Mme Wahida Valiante
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         M. Saleem Qureshi

Á 1145
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         M. Houchang Hassan-Yari
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 034 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 6 mai 2003

[Enregistrement électronique]

¿  +(0910)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Bonjour tout le monde.

    Conformément au paragraphe 108(2), nous étudions les relations avec les pays musulmans.

    Nous sommes ravis d'accueillir nos témoins : du Congrès islamique canadien, Mme Wahida Valiante, qui est vice-présidente nationale et vice-présidente du conseil d'administration; de l'Université de l'Alberta, M. Saleem Qureshi, qui est professeur émérite de science politique; de l'Université Carleton, M. John Sigler, qui est professeur auxiliaire de science politique; et plus tard, nous l'espérons, du Collège militaire royal du Canada, M. Houchang Hassan-Yari, qui est professeur et directeur du département de science politique et d'économie.

    Nous entamons aujourd'hui les audiences du comité sur les relations du Canada avec les pays du monde musulman. Ce sujet est bien entendu très important, mais il est aussi très complexe, et nous désirons remercier les témoins qui ont bien voulu comparaître aujourd'hui pour nous aider à mieux le cerner. Nos audiences vont reprendre en automne, et nous espérons qu'alors nous nous répartirons en deux groupes et visiterons les pays clés qui ont des majorités musulmanes dans le Moyen-Orient, en Afrique et en Asie du Sud et du Sud-Est. Nous espérons que notre rapport, qui contiendra des recommandations en vue des politiques canadiennes, sera prêt d'ici la fin de l'année.

    M. Sigler va prendre la parole en premier. Vous avez entre 12 et 15 minutes, puis les membres vont vous poser des questions auxquelles vous pourrez répondre. Je vous signale également qu'on m'a dit qu'il risquait d'y avoir un vote à la Chambre des communes. Dans ce cas, nous ajournerions pendant 15 à 20 minutes.

    Monsieur Sigler, je vous en prie.

[Français]

+-

    M. John Sigler (professeur auxiliaire de sciences politiques, Université de Carleton): Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Je vais tout d'abord vous tracer un portrait historique de la façon dont l'Occident, de façon générale, a considéré l'islam. Je fonderai mes propos sur l'assertion qu'au sein des cercles politiques occidentaux, on a donné trop d'importance aux prétendues différences qui existent entre l'islam et l'Occident, au lieu de cibler les points communs et les valeurs communes. Il existe un danger quand on essaie de simplifier à outrance un phénomène très complexe, par exemple l'histoire de la culture, surtout lorsque la question sensible de l'identité entre en jeu. Il est souvent répété qu'une des contributions notables de l'histoire, c'est de démontrer à quel point nos généralisations excessives sont faillibles et que les grandes décisions internationales reflètent les conditions locales, les personnalités spécifiques ainsi que les différences entre les décideurs, et non les tentatives de sursimplification comme le choc des civilisations.

    Dans les dix dernières années des divergences d'opinions importantes se sont manifestées dans les cercles universitaires au sujet de la validité des arguments qui sous-tendent ce choc des civilisations. L'émergence de cet argument s'explique peut-être plus par des idéologies politiques ou des intérêts que par un véritable fondement intellectuel. M. Edward Said, professeur d'anglais et de littérature comparés à l'Université Columbia, est à la source d'un désaccord entre les universitaires, qui perdure toujours, sur le rôle du biais eurocentrique orientaliste dans le traitement réservé au monde musulman par les experts occidentaux. M. Said a argumenté que les empires européens en pleine croissance ont eu leurs premiers contacts avec le monde musulman dans le Sud et dans l'Est de la Méditerranée et que l'identité de cette nouvelle Europe a été en partie définie par allusion à la dichotomie marquée qui existait entre les valeurs de l'Europe et celles des sociétés dites traditionnelles rencontrées. Ce qu'avaient les Musulmans, l'Occident n'avait pas, et vice versa. Cette attitude n'était pas fondée sur des compétences sérieuses et objectives, mais plutôt sur le besoin de justifier l'expansion coloniale de l'Europe de l'Ouest vis-à-vis ces peuples soi-disant primitifs.

    Avec la fin de la longue guerre froide et l'expansion des États-Unis dans une ère de mondialisation, ce n'est peut-être pas un hasard si le vieil argument de l'opposition de l'Occident contre le reste du monde, ou plus exactement de l'Occident contre l'islam, refait surface, pour remplacer la confrontation est-ouest du communisme et du monde libre. L'argument du « nous contre eux » est une des formes les plus anciennes et les plus exploitables de mobilisation politique qui a été reprise en force depuis les attentats terroristes tragiques de New York et de Washington le 11 septembre 2001. Mais dès le début du débat sur la guerre contre le terrorisme, des voix fortes et raisonnées se sont élevées pour nous mettre en garde contre les excès.

    Les préjugés anti-islamiques européens remontent loin dans l'histoire. L'historien de l'Université d'Édimbourg Norman Daniel a montré qu'au Moyen-Âge, les moines du nord-ouest de l'Europe interprétaient l'islam comme une hérésie du christianisme et déformaient ses enseignements en la personne du prophète Mohammed. Fait intéressant, les moines qui vivaient à proximité des musulmans de la Méditerranée n'écrivaient pas, eux, ce genre de traités tendancieux sur l'islam.

    Dans un contexte de préjugés et d'hostilité profonds, les chrétiens de l'Europe organisèrent les croisades pour reprendre la terre sainte et une série d'historiens occidentaux, dirigés par feu Sir Stephen Runciman d'Oxford, ont décrit, documents à l'appui, les incroyables massacres perpétrés par les chrétiens européens contre des musulmans, des juifs et même des chrétiens orthodoxes d'Orient. Les historiens musulmans des croisades ont montré une beaucoup plus grande conscience des différences entre chrétiens, des différences entre musulmans, des alliances entre chrétiens et musulmans, la plus notoire étant peut-être la remise de Jérusalem par les musulmans à l'empereur du Saint Empire romain, Frédéric II, qui, en tant que roi de Sicile, avait appris et parlé couramment l'arabe et connaissait très bien la culture et les institutions musulmanes. On dit encore aujourd'hui que Frédéric II est un des grands héros de Mu'ammar Khadafi.

    L'Europe a énormément appris de ses contacts avec les musulmans lors des croisades et de ses échanges commerciaux avec l'Orient. Dans la perspective de notre histoire qu'on véhicule beaucoup trop communément, l'Europe saute curieusement de l'époque grecque à la Renaissance, et on oblitère mille ans au cours desquels une vaste civilisation musulmane éclectique a dominé le monde sur le plan intellectuel, économique et militaire. Les croisés ont ramené du Proche-Orient les institutions musulmanes de l'hôpital, des fondations caritatives, de la pharmacie, des sciences, de la philosophie, des mathématiques, de la navigation et, peut-être par-dessus tout, de l'université. Dans nos universités, on porte encore les grandes robes des musulmans. L'héritage grec a en grande partie été redécouvert en Europe grâce à l'étude de l'arabe et de la philosophie et des sciences grecques dans les universités arabes. La grande synthèse médiévale chrétienne de la foi et de la raison s'est principalement inspirée des textes musulmans.

    J'entends trop souvent dire que les conflits actuels au Proche-Orient ont des racines anciennes, que ce sont des gens qui se sont toujours battus, que tout cela se passe loin de nous qui ne sommes que des observateurs innocents. L'ethnocentrisme est évidemment endémique dans toutes les cultures, mais ses conséquences sont certainement beaucoup plus destructives quand il se manifeste chez les puissants. C'est manifestement une forme d'amnésie collective de la part des Occidentaux que d'oublier la violence de nos guerres de religion en Europe ou de refuser d'admettre que ce sont les Occidentaux qui ont été responsables de la grande majorité des morts sur les champs de bataille depuis 500 ans, et surtout au siècle dernier. Ce n'est pas tellement que notre culture insiste particulièrement sur la violence, mais simplement que notre technologie a considérablement accru notre efficacité sur les terrains de massacre. Nous avons donc un cruel dilemme : comment arrêter la prolifération des armes de destruction massive alors que les vastes arsenaux des puissants échappent à peu près à toute réglementation et demeurent des indices majeurs de l'influence et du prestige.

    De nombreux anthropologues ont contesté les fondements de l'argumentation sur le conflit des civilisations. On dit que les cultures s'enrichissent de leurs interactions avec d'autres cultures, et qu'on a vu par exemple l'Europe émerger de l'ère des ténèbres grâce à son contact avec la civilisation musulmane. On pourrait facilement montrer que les musulmans, tout en progressant, ont aussi appris des autres, ont intégré les idées et même le personnel des autres nations au sein de leurs propres institutions pour y apporter de nouveaux éléments et des changements. Nous sommes redevables aux arabes de nous avoir donné les chiffres qui nous ont permis d'acquérir les sciences et les mathématiques. Les arabes parlaient eux-mêmes de chiffres hindous, manifestant ainsi qu'ils avaient acquis ces chiffres ailleurs. Pour beaucoup de ces anthropologues, les cultures sont comme de grandes éponges et il est difficile d'imaginer un conflit d'éponges. D'autres ont parlé de la nécessité d'un dialogue des civilisations. L'ONU en a fait un de ses grands thèmes il y a trois ans, mais cette initiative a malheureusement subi un revers brutal avec la tragédie du 11 septembre. En guise de conseil face à nos propres lacunes, le Mahatma Gandhi, quand on lui demandait ce qu'il pensait de la civilisation occidentale, répondait qu'à son avis ce serait une bonne idée.

¿  +-(0915)  

    Un autre grand accroc dans l'histoire de l'Europe et du monde musulman a été la période de la grande expansion coloniale. La grande majorité du monde musulman a été envahi et soumis aux ambitions colonialistes des Britanniques, des Français, des Hollandais, des Espagnols, des Italiens et des Russes. Au cours de cette longue période, les musulmans ont eu des interactions poussées avec leurs nouveaux dirigeants et beaucoup d'entre eux sont venus étudier dans les universités occidentales, en particulier en sciences et en génie. Bien qu'il y ait eu un apprentissage mutuel, cet apprentissage a été essentiellement asymétrique, comme c'est peut-être inévitable en cas de profonde disparité de pouvoir.

    Nous avons eu d'importants centres d'études de l'islam dans les grandes universités occidentales. Le Canada a des centres d'études islamiques reconnus dans le monde entier à McGill et à l'Université de Toronto. Feu Wilfred Cantwell Smith, fondateur de l'Université McGill, a été un grand nom des études islamiques. Dans l'un de ses grands ouvrages, Islam in Modern History, il soutient que l'un des grands défis pour les musulmans contemporains est d'expliquer la domination du sécularisme en provenance de l'Ouest—notez qu'il ne parle pas du sécularisme occidental, mais du sécularisme provenant de l'Ouest—sur une population qui essaie de maintenir sa foi en Dieu et ses lois. C'est un défi auquel sont confrontées aussi les collectivités de fidèles chrétiens et juifs en Occident. Ce qui est relativement nouveau dans ce long débat, c'est la montée récente de ce qu'on appelle l'islam politique. Certains commentaires émanant d'experts en science politique peuvent être acceptables, surtout si l'on croit que les explications des mouvements politiques religieux tiennent tout autant à la politique du pouvoir, et probablement plus, qu'à la théologie.

    La plupart d'entre nous évitent l'expression fondamentaliste, qui nous vient des évangélistes chrétiens du début du XXe siècle qui prônaient une interprétation littérale de la Bible. Ce mouvement chrétien protestant visait à combattre les idées erronées de la culture moderne, les enseignements de l'évolution, le dialogue oecuménique, et l'idée d'une critique supérieure de la Bible, et notamment de l'évangile social. Aujourd'hui, il a pris une forme politique avec la coalition chrétienne qui joue un rôle actif dans la politique américaine. Pour les musulmans, le Coran est littéralement la parole de Dieu et il en constitue l'essence, donc la notion de « fondamentalisme » au sens chrétien n'a pas de sens. Il y a toutefois une grande diversité au sein de l'islam comme au sein du christianisme ou du judaïsme, avec cinq écoles différentes du droit religieux, la charia, qui ont des pratiques très différentes. Les nouveaux mouvements religieux du christianisme, du judaïsme et de l'islam s'opposent à toute innovation ou correction du droit et de la pratique en fonction de l'évolution des conditions sociales.

    L'autre parallèle au nouveau militantisme de ces trois fois, c'est l'insistance sur l'engagement politique au point de faire de la foi politique une sorte d'idéologie politique dont l'objectif est le contrôle de l'État. C'est pourquoi on parle d'islam politique ou, au sens d'idéologie politique, d'islamisme. Dans ces trois religions, les nouveaux idéologues ne sont qu'une petite minorité.

¿  +-(0920)  

    À ce sujet, il faut à tout prix éviter ce que le philosophe américain M. William Connolly a appelé l'erreur de la catégorisation, à savoir le processus par le biais duquel on essaie de faire correspondre notre vision des choses ou notre terminologie à une catégorie donnée, plutôt qu'à la réalité, laquelle est toujours bien plus complexe que les termes qui sont employés. Les termes qu'on impose aux catégories simplistes, comme l'islam, la chrétienté ou l'Occident, risquent d'être utilisés de façon déshumanisante lorsqu'ils cachent l'immense diversité spatiale et temporelle des peuples qu'ils sont censés décrire. Si je n'avais qu'un message à transmettre, ce serait l'idée de la relativité, le fait que le moi et les autres, ce ne sont que des mots, qu'il n'existe pas de moi sans les autres, que toutes les identités sont multiples et qu'il est bien plus important de reconnaître les points qui nous rapprochent des autres que ceux qui nous séparent. Les catégories simplistes sont sans doute inévitables, et les médias s'en servent à satiété, mais elles sont source de peur, de différence et de division plutôt que d'une compréhension commune.

    L'héritage politique de la majorité du monde islamique moderne, c'est une quiétude politique. Le grand philosophe musulman al-Ghazali prétendait que la rébellion contre la classe dirigeante allait à l'encontre de la volonté de Dieu même dans le cas d'un dirigeant tyrannique et injuste. On estimait que l'autorité, voire même le despotisme, était préférable à la guerre civile et à l'anarchie. Cette peur de l'anarchie était tellement marquée que certains universitaires musulmans ont pu justifier la domination coloniale. Le premier mouvement islamique politique, soit les Frères musulmans, qui débuta en Égypte en 1928, s'opposait au colonialisme en disant que le roi et les ulamas, à savoir les notables religieux, se compromettaient en acceptant le régime colonial britannique. Puis, on a commencé à dire que l'établissement politique n'était plus musulman, qu'il avait été infecté d'un sécularisme importé de l'Occident. Pour certains islamistes politiques, une minorité décidée, il était justifié alors d'avoir recours à la violence pour s'attaquer à la classe dirigeante, qu'on disait païenne et non plus musulmane.

    Cette division quant à la justification de la violence est l'une des plus profondes à déchirer non seulement l'islam globalement, mais aussi les islamistes eux-mêmes. L'important mouvement des Frères musulmans en Égypte a une opinion différente à ce sujet que sa ramification, le Jihad islamique. On note aussi une divergence d'opinions sur la question de la violence entre le Groupe islamique du salut en Algérie et le Groupe islamique armé. En Palestine, le Hamas n'a pas la même position que le Jihad islamique. Al-Qaïda a beaucoup insisté sur cette justification du recours à la violence et utilise une terminologie polarisée du « nous contre eux » ainsi que les catégories englobantes des croisés et des juifs.

    Beaucoup d'analystes ont interprété la naissance de l'islam politique comme une réaction à l'échec du leadership des élites séculaires occidentalisées dans une large mesure après l'indépendance. Dans la plupart des pays musulmans, les décennies de répression par les leaders nationalistes, libéraux et marxistes ont mené à une société dépolitisée et vulnérable au sein de laquelle le vide intellectuel et politique est de plus en plus rempli par les militants islamiques, comme nous pouvons le constater actuellement en Irak. Que ce soit sur le front du développement économique et social, de la participation politique ou de la politique étrangère, les élites séculaires qui ont dirigé la plupart des pays musulmans depuis l'indépendance ont échoué lamentablement.

    On pourrait en dire beaucoup plus sur l'analyse psychologique et sociologique des intégristes musulmans. On découvrirait sans doute des points communs avec des fanatiques du passé dont les périodes d'activité intense correspondent aux profonds changements sociaux qu'a connus l'Europe. Dans un ouvrage intitulé The Revolution of the Saints, M. Michael Walzer, de l'Université Princeton, a montré les points communs entre les puritains de l'Angleterre du XVIIe siècle, les Jacobins du XVIIIe siècle en France et les Bolcheviks du XXe siècle en Russie. M. Chris Giannou, un médecin canadien de la Croix-Rouge internationale qui a beaucoup travaillé en Afghanistan, a même traité les talibans et le réseau al-Qaïda de léninistes religieux.

    Nous devons donc mener une analyse qui va au-delà des catégories simplistes et qui nous permettra de comparer les expériences dans le temps et entre les différentes cultures. Dans la guerre contre le terrorisme, nous devons cibler avant tout le professionnalisme dans le domaine du renseignement et des activités policières, tout en assurant le respect des droits de la personne fondamentaux. Pour véritablement comprendre ce qui s'est passé et ce que nous devons faire dans l'avenir, nous devons avoir une meilleure compréhension de l'histoire et des multiples facettes de la réalité, et nous devons absolument mettre l'accent sur le dialogue et la coopération plutôt que d'ériger de nouveaux obstacles au partage des identités et des valeurs dans notre ère de mondialisation.

    Alors que le thème du pouvoir domine à nouveau nos discussions sur les relations internationales, Aga Khan, un des plus éminents leaders du vaste monde musulman, a rappelé aux Canadiens l'importance des valeurs d'inclusivité et de célébration de la diversité, qui, selon lui, sont largement comprises et acceptées. J'en ai déjà parlé au comité, mais je pense que ça vaut la peine de le répéter, surtout dans le contexte de l'islam. Aga Khan a dit l'an dernier que « Le Canada d'aujourd'hui est la société pluraliste la plus réussie dans le monde... c'est unique au Canada. C'est un avantage certain ». Pour ce qui est du développement international, de la reconstruction, de l'assistance humanitaire, tâches auxquelles vous allez vous atteler dans les semaines à venir, il faut répéter que les priorités pour la plupart des pays musulmans sont la reconstruction, l'aide et le développement en Irak, en Afghanistan et en Palestine. À ce sujet, Aga Khan a dit : « C'est incroyable de voir tout ce qu'on peut faire si on jouit d'un soutien économique et de services sociaux, si on peut dialoguer et rapprocher les membres de la communauté pour se tourner vers l'avenir avec de l'espoir, plutôt que de regarder en arrière, désespérés. »

    Merci.

¿  +-(0925)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Sigler.

    Nous allons maintenant passer à Mme Wahida Valiante.

+-

    Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Monsieur le président, je n'ai pas le mémoire de M. Sigler. Je suppose que c'est parce que... 

+-

    Le président: Il n'a pas été traduit.

+-

    Mme Aileen Carroll: Est-ce qu'il sera traduit?

+-

    Le président: Oui il sera traduit.

+-

    Mme Aileen Carroll: La dernière fois, j'ai dû supplier M. Sigler de bien vouloir me donner sa propre copie, et je me demande s'il va falloir que je le fasse à nouveau. 

+-

    Le président: Le document sera traduit.

+-

    Mme Aileen Carroll: Assurez-vous que je suis sur votre liste d'envoi.

+-

    Le président: Ne vous inquiétez pas.

    Madame Valiante, vous avez la parole.

+-

    Mme Wahida Valiante (vice-présidente nationale et du conseil d'administration, Congrès islamique canadien): Merci, monsieur le président.

    Je vais m'en tenir à l'actualité, et je voudrais remercier M. Sigler de son excellent exposé du sujet. Je vais suivre l'ordre des questions proposées et je commencerai donc par un bref aperçu de l'islam.

    Il y a quatre points qui font partie intégrante de la philosophie et des pratiques islamiques. D'abord, le but de l'islam est d'assurer la paix et la justice grâce à la participation active et aux rituels de ses adhérents dans tous les aspects de la vie humaine, soit politique, social, économique, éducatif, ainsi que dans la poursuite des droits de la personne, de l'équité économique et de la justice sociale.

    L'islam est une religion inclusive qui embrasse toute l'humanité et qui célèbre la diversité et la pluralité humaine. À la place du « nous et eux », le Coran, qui est la première source révélée de l'islam, insiste pour inclure tout le monde :

Nous avons créé l'humanité à partir d'un mâle et d'une femelle et nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous connaissiez. Le plus noble d'entre vous, auprès d'Allah, est celui qui agit avec la plus grande droiture.

    L'islam est la religion de l'équilibre qui favorise un juste milieu dans les questions de pratique religieuse et de vie matérielle. On dit de l'extrémisme, dans la pensée et la pratique religieuses, ou dans la vie physique, soit la quête démesurée du plaisir, etc., qu'il entraîne un chaos et un déséquilibre chez l'individu et dans la société :

Nous avons envoyé nos messagers, porteurs de signes clairs, et fait descendre avec eux le livre et la balance.

    Le Coran conseille de façon explicite aux êtres humains de ne pas commettre d'excès et leur recommande de faire preuve de modération. Celle-ci implique en soi qu'on doit éviter fidèlement les excès à tous les niveaux, soit politique, social ou religieux.

    On se demande quels sont les véritables fondements de l'islam, étant donné certaines pratiques et questions qui sont soulevées. Mais cela ne s'applique pas uniquement dans le contexte occidental. Je pense que dans le monde musulman actuel, on compte de plus en plus de musulmans qui remettent sérieusement en question les enseignements du Coran alors qu'ils sont désillusionnés par les conditions actuelles des sociétés islamiques. Et puisque cette réflexion s'intensifie, il est probable qu'elle permettra de réaliser que la tâche suprême que Dieu a confié à l'être humain et qui consiste à le représenter sur Terre, n'est réalisable qu'en observant la justice établie qu'on considère dans le Coran comme étant un prérequis essentiel à la paix réelle. Sans éliminer l'inégalité et l'injustice qui imprègnent la vie personnelle et collective de tous les êtres humains, il est impossible de parler d'une paix véritable en termes coraniques

    La deuxième question, c'était : Existe-t-il un seul monde musulman? Il y a deux réponses à cette question : oui et non. Je dirais tout d'abord que sur le plan des différences culturelles et linguistiques, on peut dire que le monde musulman n'est ni monolithique ni homogène mais, après des siècles de régime colonial, la lutte pour trouver sa propre identité et un but commun sur les plans politique et social est ce qui unit le monde musulman. Cette lutte, ils la mènent en surmontant de nombreux obstacles qui proviennent parfois de l'extérieur et parfois de l'intérieur.

    Depuis le XIXe siècle et même auparavant, les intrusions occidentales externes sous forme d'ingérence politique, militaire et économique ont mis en veilleuse l'énergie des musulmans en détournant constamment leur attention des réformes internes grandement nécessaires pour les plans politique, social, économique et dans l'éducation. Ces réformes sont essentielles si l'on veut bâtir des institutions démocratiques, entretenir des sociétés civiles, garantir l'équité sur le plan économique, assurer le respect des droits de la personne pour tous, y compris les femmes, et favoriser le progrès scientifique et technologique.

    L'occupation continue de la Palestine et les souffrances que son peuple endure, combinées au soutien inébranlable que les États-Unis accordent aux politiques oppressives d'Israël sur les plans financier, militaire et politique, constituent de grands maux qui assaillent les musulmans depuis 1948. Ces maux sont en grande partie responsables de l'agitation, de la colère et de la frustration que ressentent les musulmans. Jusqu'à aujourd'hui, rien n'a évolué pour les Palestiniens ordinaires, et c'est la raison pour laquelle la population arabe et les islamistes dans l'ensemble en ont gros sur le coeur. Un des résultats les plus néfastes de cette occupation non résolue pour le monde islamique est que l'on voit les musulmans du monde entier, incluant les Canadiens musulmans, dans la mire du conflit israélo-palestinien et que l'on les prend tous pour des terroristes potentiels.

¿  +-(0930)  

    De plus, le monde islamique est traumatisé depuis les dix dernières années par la souffrance de ces hommes, ces femmes et ces enfants musulmans qui sont dépourvus. On a assisté en Europe, en Asie et au Moyen-Orient à des viols, des meurtres, des génocides, des décès, la destruction, un nettoyage ethnique et d'autres atrocités. Ces images de femmes violées, d'hommes abattus alors qu'ils n'étaient pas armés, et d'enfants ayant péri sous les tirs ciblés ont produit un impact très négatif sur tous les peuples du monde qui sont attentifs à la situation, mais tout particulièrement sur le psychisme des musulmans. La mort, la destruction et l'occupation récentes de l'Irak ont intensifié cette détresse psychologique et les troubles politiques dans le monde musulman. Cette fois, cependant, les musulmans ne sont pas seuls, puisqu'un grand nombre de non-musulmans se sont également exprimés ouvertement contre cette guerre.

    En ce qui a trait aux luttes internes du monde musulman, celles-ci touchent les pratiques culturelles et la loyauté tribale, ces aspects mêmes qu'on a tenté d'éradiquer dans les enseignements du Coran. Ces préoccupations ont mis un frein à la réforme et à la croissance des mouvements populaires dans le but d'implanter des institutions démocratiques indigènes et d'instaurer les droits de la personne. Par conséquent, il y a fort à faire lorsqu'il s'agit de se livrer à une analyse intellectuelle et critique des interprétations classiques du Coran et de ses traditions dans le but de libérer l'islam du joug que lui imposent ses pratiques culturelles locales et tribales contradictoires.

    Pour ce qui est des relations du Canada avec les pays musulmans, bien que les musulmans constituent une minorité importante au Canada, puisqu'ils sont environ 650 000, ils n'ont que très peu d'influence sur la politique intérieure ou étrangère de notre pays. Plusieurs raisons expliquent cet état de choses. L'une d'elles consiste dans l'absence de toute initiative ou de tout engagement de la part du gouvernement fédéral afin d'aider à mieux faire comprendre le monde islamique. On pourrait remédier à la situation en créant à Ottawa un portefeuille ou un ministère des affaires musulmanes qui constituerait un carrefour d'échange de renseignements et d'idées.

    En second lieu, on invite rarement les musulmans du Canada à prendre part à des discussions politiques sur les questions touchant le monde musulman ou à siéger à des comités chargés d'élaborer des stratégies et des programmes s'adressant aux musulmans au Canada et à l'étranger.

    Une troisième préoccupation prend ses racines dans la communauté musulmane en tant que telle. Même si les musulmans du Canada sont très diversifiés, ils partagent tous la même inquiétude sur le plan des droits et des responsabilités individuels, et en ce qui concerne la guerre et le massacre de musulmans de par le monde. Par contre, ils ne possèdent pas une compréhension unifiée du système politique et de l'importance de déléguer des politiciens devant prendre part à des discussions proactives sur les enjeux d'importance nationale et internationale. Il s'agit là d'un élément vital pour être citoyen d'une société démocratique.

    Dans la communauté musulmane, on entretient une perception selon laquelle les théories socio-politiques telles que le choc des civilisations et la partialité anti-islamique exprimée dans les médias influencent la politique étrangère du Canada et les tractations directes avec le monde islamique. À l'échelle nationale, plusieurs musulmans considèrent qu'ils ne peuvent vraiment faire la différence entre les politiques étrangères et intérieures du Canada, en particulier lorsqu'il s'agit de la Palestine.

    Les événements récents, par exemple, ont eu un effet négatif prolongé sur la vie des musulmans et des arabes ordinaires au Canada, tout particulièrement chez la jeune génération. Depuis le 11 septembre et les enquêtes généralisées qu'on a menées au sein de plusieurs organisations anti-islamiques, les musulmans du Canada, et de toute l'Amérique du Nord, craignent de faire des dons à des organismes de charité légitimes, ne sachant pas lequel d'entre eux sera la prochaine cible. J'ai vu de mes propres yeux les efforts des organismes de charité dans les territoires occupés, par exemple les écoles pour orphelins, en particulier des filles, les garderies, l'achat d'uniformes scolaires, l'organisation de classes de couture et d'informatique à l'intention des femmes, l'exploitation de coopératives dans le but de vendre de l'artisanat, ou l'achat d'équipement médical. Certains de ces projets ont bénéficié de l'appui de l'ACDI. Je pense que c'est une façon d'établir le lien avec la communauté et de promouvoir la compréhension et les compétences.

    Du point de vue historique, le consensus des pays musulmans face à la politique canadienne touchant le monde islamique a été positif en raison de deux facteurs. Le premier repose sur la notion commune d'un respect mutuel et de la négociation par le dialogue, plutôt que sur le recours aux armes, aux sanctions ou aux mesures coercitives. Le deuxième facteur consiste dans la philosophie déclarée du Canada à l'effet que le vrai sens du mot communauté nous englobe tous, plutôt que de « nous » opposés à « eux », ce qui est conforme au coeur et à l'esprit des musulmans, puisqu'on souligne dans le Coran l'égalité de l'âme dans l'humanité, et cette notion a suscité des sentiments très positifs dans tout le monde islamique.

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    Plusieurs changements apportés récemment à nos lois—concernant tout particulièrement les organismes de charité qui jouent un rôle vital dans la vie des femmes et des enfants démunis du Moyen-Orient—ont exercé une pression et suscité une anxiété énormes sur la vie des musulmans au Canada et à l'étranger. Heureusement, cela n'a pas inversé les perceptions et les sentiments positifs qu'on entretient depuis longtemps dans les pays islamiques à l'égard du Canada, encore plus à la lumière de l'invasion et l'occupation illégale des terres et des ressources musulmanes par les Américains. Mais même si les différences entre les méthodes morales et politiques qu'on emploie à Ottawa et à Washington pour résoudre les conflits internationaux ont toujours été considérables, il faut tristement reconnaître que l'écart s'amenuise.

    On a l'impression ici que l'islam n'a pratiquement eu aucune expérience, depuis les origines, des institutions démocratiques ou qu'il n'en comporte aucun élément, et j'aimerais évoquer certaines questions que soulève cette impression. Dans l'histoire, y compris à notre époque, la démocratie et la primauté du droit ont connu le plus grand succès en Occident. Cependant, des siècles avant qu'on ne signe en Angleterre la Grande Charte de 1215 et la Déclaration des droits de 1689 ou la Déclaration française des droits de l'homme de 1789, ainsi que la Déclaration de l'Indépendance américaine en 1776, la dignité et la liberté humaines étaient consacrées dans la théorie politique islamique, laquelle est riche en principes et institutions de droit public. En voici quelques exemples.

    La notion d'une constitution écrite fut démontrée par la Constitution Medina du prophète Mohammed environ en 600 de l'ère chrétienne. On considère l'État et le gouvernement comme les fiduciaires du peuple—c'est ce qui figure dans le Coran. Pour qu'un citoyen doive obéir à toute loi séculaire et au gouvernement, ses dirigeants doivent obéir à la loi de Dieu et être dignes de la confiance du peuple. C'est dans un tel contexte qu'on a semé les germes des idées à venir telles la désobéissance civile légitime et le droit de se moquer des lois anarchiques. Le gouvernement est essentiel, mais l'État et la loi ne sont pas des fins en soi.

    On doit reconnaître tous les droits politiques et civils, tel le droit à l'égalité et à la dignité, la liberté de parole, le droit de diverger d'opinion avec son dirigeant, le droit à la propriété privée, la présomption d'innocence, le droit à l'application régulière de la loi, la liberté de religion et le droit à la vie privée. Les droits politiques et civils, ou les libertés négatives, doivent reposer sur des droits socio-économiques, c'est-à-dire sur des droits positifs, affirmatifs.

    L'indépendance du pouvoir judiciaire est un principe déterminant de l'islam. On demande aux juges de rendre justice sans crainte et de façon impartiale et ce, même si cette justice vient à leur encontre ou à l'encontre de leurs parents ou de leurs proches, comme l'affirme le Coran. La théorie d'ijtihad, ou du raisonnement indépendant, permet aux juges d'agir de façon totalement indépendante lorsqu'ils font appel à leur raisonnement.

    Dans l'histoire de l'islam, on décourage la politique compétitive et, idéalement, personne ne devrait solliciter des fonctions officielles, qui ne devraient être acceptées qu'en tant que mission sacrée par celui à qui elles sont offertes. Ainsi, on rejette toute succession héréditaire. On reconnaît le principe de bay'ah, soit la nomination et l'approbation, comme la façon légitime d'élire un chef d'État. La tâche d'un dirigeant le force à mener les affaires publiques par consultation mutuelle, pour ainsi paver la voie à toute une série de processus de consultation, dont le droit à un accès libre à l'information, à l'ouverture et à la transparence du gouvernement, ainsi que le droit de diverger d'opinion avec son dirigeant dans les questions de droit et de politiques.

    Les principes de justice naturelle en droit coutumier, comme la règle donnant droit à une audition équitable et à l'absence de partialité, ont leur équivalent et leurs antécédents dans la jurisprudence islamique. On enseigne également le principe de la proportionnalité dans le Saint Coran. Les voies de recours judiciaire sont bien connues en droit public islamique. Un qadi—ou un juge—qui prononce un jugement a le droit de le réviser, soit sur demande, soit de sa propre initiative. C'est ce qu'on appelle i'adah al-nazar, ou examen. D'autres tribunaux peuvent également examiner une décision antérieure d'un qadi en ayant recours au processus al-isti'naf, ou examen supérieur. Tout citoyen doit faire ce qui est bien et s'abstenir de faire ce qui est mal, pour ainsi paver la voie à une attitude libérale envers la règle du locus standi.

    Le système de protecteur du citoyen, qu'on attribue aux Scandinaves, peut avoir été instauré au cours du califat de l'Imam Ali (35–40 Hijrah ou 656–661 de l'ère chrétienne) sous la forme d'un Diwan al-Mazalim, soit un tribunal administratif puissant qui ressemble au Conseil d'État en France. Dans un État islamique, ni le gouvernement, ni ses dirigeants désignés ne sont autorisés à une immunité contre les voies de droit régulières et ceux-ci peuvent être soumis à la compétence des tribunaux ordinaires.

¿  +-(0940)  

    En ce qui a trait à l'évolution actuelle, la réponse des États-Unis à la crise du 11 septembre a permis de déterminer de façon substantielle ce que devrait faire le Canada et les autres pays. Le Canada, par exemple, tout comme le reste du monde occidental et islamique, a appuyé la guerre menée par les États-Unis contre l'Afghanistan, malgré que les Afghans n'aient aucunement pris part aux attaques terroristes. Durant plus de douze ans, le Canada a également appuyé les sanctions américaines à l'endroit de l'Irak et de son peuple. Ces sanctions ont entraîné des dizaines de milliers de décès inutiles et la souffrance chez les enfants irakiens. De plus, le Canada a appuyé l'ONU dans ses efforts visant à priver l'Irak d'armes de destruction massive. On y est évidemment parvenu, comme en témoigne les rapports des équipes d'inspection dépêchées par les États-Unis. À cet égard, il semble que l'ancien gouvernent de Saddam Hussein disait la vérité.

    La décision de notre gouvernement de joindre les rangs de ces pays d'Europe qui refusaient d'appuyer la guerre illégale et immorale contre l'Irak a, dans une certaine mesure, confirmé le caractère souverain du Canada et redoré sa position aux yeux des islamistes. Malgré que cette décision puisse avoir envenimé les relations avec l'administration Bush, il sera facile de surmonter ces accrocs, puisque les deux pays ont de nombreux intérêts économiques et autres en commun.

    J'aimerais faire quelques recommandations. Les espoirs de paix mondiale sont présentement assombris par un vent de guerre et de destruction, de sorte que le Canada devra jouer un rôle stratégique très important dans le but de rapprocher les intérêts et les objectifs du monde islamique. On peut y parvenir au moyen de politiques étrangères globales visant à refléter les valeurs et les principes parmi les meilleurs que notre pays puisse offrir.

    La politique étrangère canadienne envers les pays musulmans doit refléter notre compréhension des sensibilités historiques et religieuses qui motivent ces luttes internes dans le but de résoudre les problèmes continus sur les plans social, politique et économique et afin que ces pays puissent récupérer leur identité islamique authentique. Ce processus ressemble à celui qu'a connu l'Europe dans sa quête d'identité et sa réforme sociale à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Il existe cependant une différence essentielle entre les processus islamique et européen. Alors que l'Europe traversait une période de changements et de réformes au milieu du XXe siècle, il ne s'y trouvait plus de puissance étrangère à ses portes qui menaçait de piller son territoire ou ses ressources naturelles ou encore, d'intervenir dans ses affaires intérieures.

    La politique étrangère du Canada envers le monde musulman devrait présenter des orientations claires visant à engager un dialogue avec les intellectuels musulmans et les érudits musulmans ici, chez-nous, ainsi que dans les pays islamiques, dans le but d'accélérer l'échange d'idées, de compétences, de connaissances et d'expérience qui faciliteraient l'érection ou la reconstruction de sociétés civiles et de démocraties empreintes de diversité et de pluralisme.

    Les Canadiens ont encore beaucoup à apprendre de l'islam et des musulmans, de sorte qu'il est vital d'éduquer le public dans le but de promouvoir l'harmonie, la paix et les droits de la personne. L'éducation a permis aux Canadiens d'apaiser les inquiétudes sur le plan de la sécurité en encourageant la justice sociale, au pays comme à l'étranger, et en résolvant les conflits selon les principes et la moralité d'une justice naturelle, qui constitue la meilleure garantie sur le plan de la sécurité mondiale.

    Bien que l'Europe ait des liens de longue date avec le monde islamique, ces liens portent toujours les cicatrices de la colonisation et de l'exploitation, tandis que ce n'est pas le cas des relations entre le Canada et le monde islamique. Le Canada peut établir des liens uniques avec les pays musulmans en les engageant à trois niveaux. Le premier niveau est le commerce, le second, l'éducation, et le troisième, la promotion d'idées de valeur pour améliorer l'existence humaine. Je pense qu'un quatrième lien serait d'avoir un endroit centralisé où les musulmans et les Canadiens puissent entretenir un dialogue. À notre avis, la position internationale du Canada à ce moment dans l'histoire pourrait se révéler très efficace si notre gouvernement devait prendre l'initiative et déployer un effort diplomatique international pour restaurer la paix et la justice en Palestine et en Irak, et pour aider les pays musulmans à déployer les efforts nécessaires dans la société civile, au niveau des droits de la personne et dans la population afin d'implanter une véritable réforme.

    Puis-je ajouter une recommandation personnelle? Puisque vous entamez ce processus de compréhension, vous devriez peut-être regarder une série PBS qui s'intitule Islam: Empire of Faith. Je pense que vous aurez là en quelques heures un condensé historique qui est très utile.

¿  +-(0945)  

    Pour terminer, j'aimerais encourager le comité à consulter également l'exposé de position du CIC intitulé « Dialogue sur la politique étrangère » qu'on a présenté récemment à l'honorable Bill Graham, ministre des Affaires étrangères, et dont le comité possède un exemplaire. De plus, nous invitons le comité à consulter notre site Web où l'on retrouve des renseignements à jour, ainsi que des documents de recherche et des articles d'actualité sur l'islam.

    Merci beaucoup, monsieur le président.

¿  +-(0950)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, madame Valiante.

    Nous allons maintenant donner la parole à M. Qureshi.

+-

    M. Saleem Qureshi (professeur émérite de science politique, Université de l'Alberta): Merci, monsieur le président.

    Au cours de mon exposé, j'aborderai la situation actuelle dans les pays musulmans et je ferai plus ou moins une analyse politique en vous parlant des conflits et des diversités qui existent dans ces pays.

    Le monde musulman existe à la fois en tant que communauté religieuse universelle et en tant que multitude d'unités politiques. Les volontaires musulmans qui sont allés se battre contre l'Union soviétique en Afghanistan et en Tchétchénie venaient de plusieurs pays musulmans, et ils l'ont fait pour appuyer leurs coreligionnaires. Récemment, au cours de la guerre en Irak, des volontaires du Yémen, de Jordanie et d'Égypte sont allés en Irak se battre contre les Américains. Dans le conflit au Cachemire, l'Inde a toujours accusé le Pakistan de non seulement faciliter les combattants de la liberté, mais aussi de faire traverser des Afghans et des arabes pour commettre des actes de violence au Cachemire indien. Cependant, le monde musulman n'existe pas vraiment en tant que bloc, malgré l'existence de regroupements comme la Ligue arabe, qui compte 22 membres, ou la Conférence des pays islamiques, qui elle compte 58 membres. Ni l'un ni l'autre de ces regroupements fait habituellement preuve d'unité dans l'action.

    Jusque vers le milieu du XXe siècle, la majeure partie du monde arabe était sous la domination impériale de l'Europe. Vers la deuxième moitié du XIXe siècle, les idées européennes de libéralisme, de laïcisme et de démocratie s'étaient infiltrées dans les échelons supérieurs et les élites occidentalisées. Ces derniers ont été accentués au milieu du XXe siècle avec la fin de l'impérialisme. Les deux ont fait beaucoup de dommages sur le plan des attitudes musulmanes à l'égard des choses occidentales.

    L'un a été mentionné par le professeur Sigler, et je voudrais mentionner également que les impérialistes, lorsqu'ils sont partis, ont transféré le pouvoir à l'élite et aux institutions occidentalisées qui ont copié celles des pays impérialistes. L'échec des élites qui n'ont pas respecté leurs promesses et qui n'ont pas réussi à améliorer les conditions de vie des gens a discrédité à la fois les élites occidentalisées et leurs institutions. Quelques pays ont échappé à cet échec, entre autres l'Inde et la Malaisie.

    L'autre legs a été les divisions territoriales. L'Inde britannique a été divisée entre l'Inde et le Pakistan, et il y a eu une persistance d'antagonisme et de guerre. La Palestine a été divisée entre la Palestine et Israël, et cela demeure la question la plus épineuse et cela a dans une très grande mesure déterminé les attitudes musulmanes mondiales à l'égard de l'Occident, particulièrement envers la Grande-Bretagne et l'Amérique. Les esprits arabes les plus raffinés savent que les divisions que la France et la Grande-Bretagne ont créées au Moyen-Orient ont rendu le monde arabe hargneux et faible, pouvant être facilement exploité par les étrangers. Au risque de me répéter, j'aimerais souligner que la Palestine demeure le dossier le plus délicat, et l'opinion publique, non seulement dans le monde arabe, mais bien au-delà du monde musulman, demeure généralement extrêmement hostile à l'égard des États-Unis en raison de l'appui inconditionnel qu'ils accordent à Israël. Ce ne serait peut-être pas exagéré de dire qu'aussi longtemps que durera le conflit palestino-israélien, l'Amérique ne suscitera pas une opinion publique favorable où que ce soit dans le monde arabe.

    J'ai mentionné le conflit du Cachemire entre l'Inde et le Pakistan. Permettez-moi de souligner qu'il s'agit là d'un conflit qui pourrait avoir des conséquences alarmantes. L'Inde et le Pakistan ont fait trois guerres. L'Inde a aidé le Bangladesh à se séparer, et maintenant les deux combattants sont devenus des puissances nucléaires. Parmi les pays musulmans, à part la Turquie peut-être, le Pakistan est le seul pays à avoir une vraie armée, et ce fait doit être pris en compte. Le conflit entre le Pakistan et l'Inde peut être vu du point de vue historique également. On pourrait dire que malgré le partage, ce qui se passait avant cela, soit une sorte de guerre indo-musulmane ou une guerre civile communale, a persisté sous la forme d'escarmouches entre l'Inde et le Pakistan.

¿  +-(0955)  

    Pour ce qui est de la diversité interne, les pays du monde musulman présentent une mosaïque, un ensemble d'ethnicités, de sectes et de communautés. L'Inde, en majorité hindoue mais le troisième plus grand pays musulman au monde, et le Pakistan représentent peut-être le monde en microcosme. Leur diversité interne est grande mais c'est aussi le cas en Afghanistan, où l'on retrouve des minorités ethniques et tribales de pratiquement tous les pays qui l'entourent. En raison de sa diversité et de l'organisation tribale de sa société, l'Afghanistan a toujours été difficile à diriger, même pour les rois à Kaboul, pour ne pas parler des étrangers. Les Britanniques ont tiré des leçons de leurs mésaventures, mais les Soviétiques n'avaient pas lu l'histoire de l'Afghanistan lorsqu'ils ont décidé de faire de ce pays sous-développé une utopie marxiste. Maintenant, les Américains ont entrepris de transformer ce pays appauvri et pratiquement détruit en une démocratie capitaliste. Je leur souhaite bonne chance.

    Le Canada s'apprête à ouvrir une ambassade en Afghanistan. Je dirais que les enseignements de l'histoire et une certaine observation de la société afghane seraient utiles. Les Afghans n'ont jamais accepté d'être dirigés par des étrangers. Ils ne sont pas prêts à être les pantins de qui que ce soit. Selon le dicton afghan : « Il est possible d'amener un Afghan en enfer à force de cajoleries, mais on ne peut le pousser au ciel. » La principale tribu en Afghanistan est celle des Pachtous. Depuis 250 ans, les rois afghans proviennent des deux clans de cette tribu, le clan Mohammmadzai et le clan Saddozai. Hamid Karzai, bien qu'il soit pachtou, n'est rien d'autre que le maire de Kaboul, gardé par des soldats américains à en qui l'alliance tadjik a donné de la légitimité—ce qui n'est pas un bon environnement pour la survie à long terme du gouvernement Karzai.

    La diversité interne et les développements politiques actuels ont attiré l'attention sur l'Irak. Le Canada a exprimé sa volonté de participer à la reconstruction de l'Irak. L'Irak a deux grandes lignes de faille et elles sont ethniques et linguistiques. Il y a des arabes dans le sud et au milieu du pays, et des Kurdes dans le nord. Cependant, les Kurdes du nord sont apparentés aux Kurdes de Turquie.

    Les Kurdes aimeraient avoir leur propre État, et les alliés européens leur en avaient promis un dans le Traité de Sèvres en 1919, mais n'ont pas tenu promesse. En 1971, Saddam négociait l'autonomie avec les Kurdes lorsque le shah d'Iran a demandé aux États-Unis de les aider à monter une révolte kurde pour affaiblir Saddam. Les Kurdes se sont alliés avec les Américains et ont même accepté que des agents israéliens forment leur guérilla. Lorsque le shah a atteint son objectif, les Kurdes ont été abandonnés. Les Kurdes ont encore une fois répondu aux encouragements des États-Unis de se rebeller en 1991, et encore une fois ils ont été abandonnés. Ils sont encore en train de jouer le jeu des Américains. Est-ce que cela va donner quelque chose? Je ne le crois pas. La Turquie n'approuvera jamais un pouvoir kurde dans cette région. La Turquie est beaucoup plus importante pour les intérêts américains que les Kurdes. Le Canada devrait être au courant de cette histoire avant d'aller en Irak pour reconstruire ce pays.

    Le shah d'Iran était très près des États-Unis et était déterminé à moderniser son pays. L'ayatollah Khomeini a présenté les réformes du shah comme si elles visaient à faire plaisir aux États-Unis et à soumettre l'honneur iranien à la vision des Américains. Khomeini a utilisé un symbolisme adroit pour miner la légitimité du shah et discréditer les Américains, à tel point que ni les libéraux iraniens du premier ministre Bazargan, qui était le premier ministre de Khomeini, ni le président Khatari n'ont réussi à établir des relations diplomatiques entre l'Iran et l'Amérique.

À  +-(1000)  

    L'Arabie saoudite est spéciale pour les musulmans parce que c'est là où se trouve La Mecque et Medina. L'Arabie saoudite entretient des relations avec l'Amérique depuis longtemps, c'est-à-dire depuis que le président Roosevelt s'est arrêté en Arabie saoudite en revenant de Téhéran pendant la Seconde Guerre mondiale et a reçu le roi Abdul Aziz à bord de son navire. Cependant, au cours de cette guerre-ci en Irak, les Saoudiens ont refusé aux Américains d'utiliser leur espace aérien et leurs bases, apparemment en raison de l'opinion publique hostile, même s'il n'y a pas de parlement en Arabie saoudite et que nous n'avons pas de chiffres pour indiquer le niveau de sentiment public. Nous pouvons donc constater que l'islam,en tant que formulateur de l'opinion publique, a un rôle à jouer dans la politique étrangère des pays musulmans. Ce n'est pas un rôle officiel, et son efficacité dépend de l'intensité émotionnelle avec laquelle le grand public identifie la question.

    Tous ces exemples portent sur les pays musulmans par rapport aux États-Unis. Quelle est la situation au Canada? Le Canada n'a pas poursuivi de politique étrangère énergique et n'a pas tenté d'imposer sa volonté à d'autres pays, et par conséquent n'a pas soulevé le même genre d'antagonisme que les États-Unis. Au Moyen-Orient, particulièrement dans les guerres arabo-israéliennes et dans les conflits palestino-israéliens, le Canada a joué un rôle de gardien de la paix et est également venu en aide aux réfugiés palestiniens. Par conséquent, l'image du Canada dans les pays musulmans du Moyen-Orient est une image positive et amicale. Dans le conflit indo-pakistanais, également, le Canada a été considéré comme ayant adopté une position équilibrée, et par conséquent la position du Canada dans les pays du sud de l'Asie a été également positive.

    Le Canada a certainement une image dans le monde musulman, qui le considère comme étant un pays amical et utile. Lorsque le gouvernement canadien a déclaré que le groupe Hezbollah était une organisation terroriste, on a considéré cela comme étant une concession à Israël et aux États-Unis, de sorte que même si l'ambassadeur libanais au Canada a dit qu'il y avait là un brin de vérité, cette déclaration, de la manière qu'elle a été formulée, devrait être considérée comme ayant peut-être plus de force qu'elle en a en réalité.

    Le Canada sera mieux servi dans les relations étrangères s'il se tient au courant de l'opinion publique dans les pays musulmans et aussi de la version officielle en plus de la version publique. Pour cela, les missions canadiennes doivent avoir du personnel qui parle la langue et qui peut lire les journaux et autres publications en dialecte. Là où cela est possible, le Canada devrait communiquer avec les partis de l'opposition ou les partis non gouvernementaux et se tenir au courant de leur opinion. Pour illustrer ce que je veux dire, prenez par exemple l'Iran et les États-Unis avant la révolution islamique. Il semble que les Américains ne comprenaient pas qui était Khomeini, quelles étaient ses opinions, qui étaient ceux qui pouvaient l'interpréter, etc. Bref, parmi les 80 personnes qui travaillaient à l'ambassade américaine à Téhéran à la fin des années 70, pratiquement personne ne parlait le persan. Le Canada devrait éviter de se retrouver dans une situation semblable.

    Le Canada est peut-être le pays le mieux placé pour améliorer le dialogue politique international entre les pays occidentaux et les pays musulmans, comme le professeur Sigler l'a dit, lorsqu'il a cité Aga Khan. Le Canada est l'un des pays les plus diversifiés et les plus conciliants. Le Canada n'a pas été un pouvoir impérial et n'a donc pas le stigmate de l'exploitation et de la domination. Le Canada, à cet égard, n'a pas de passé, et par conséquent n'a pas de passé négatif non plus. Le Canada n'a pas été un pouvoir militaire et n'a pas cherché à dominer des pays, de sorte qu'il est davantage vu comme un pays qui ne représente pas de menace. Le Canada a été actif dans le maintien de la paix et au niveau humanitaire et a acquis une réputation de bonté et de générosité. Le Canada a été actif au sein de l'ONU et d'autres organisations et activités multilatérales, acquérant ainsi la réputation d'être un membre décent de la communauté internationale.

À  +-(1005)  

    Le Canada jouit d'une position, d'une image et d'une réputation sans pareilles qu'il peut utiliser pour faire la preuve qu'un pays occidental riche et avancé peut également être un partenaire de développement et d'amélioration du sort d'autres pays moins favorisés.

    Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Merci, monsieur Qureshi.

    Nous passons maintenant au professeur Hassan-Yari.

[Français]

    M. Houchang Hassan-Yari est professeur et directeur du Département de science politique et d'économie au Collège militaire royal du Canada.

    Monsieur Hassan-Yari, s'il vous plaît.

+-

    M. Houchang Hassan-Yari (professeur et directeur, Science politique et d'économie, Collège militaire royal du Canada): Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs. Excusez mon retard, mais j'ai été retenu sur l'autoroute 401.

    Dans les deux pages et demie que j'ai préparées pour distribuer au comité, il y a un certain nombre de notions et j'essaierai d'élaborer sur les concepts qui m'apparaissent les plus importants et de parler un peu de la situation actuelle et des rapports du Canada avec les pays musulmans en général et les pays du Moyen-Orient en particulier.

    Lorsqu'on regarde les pays musulmans, il faut faire attention et distinguer deux choses extrêmement importantes: d'une part, la doctrine et la théologie comme telle et, d'autre part, la réalité et la pratique. Autrement dit, il ne faut pas considérer comme synonymes les pays musulmans et l'Islam. Il y a une distinction extrêmement importante à faire, et c'est pourquoi, très souvent, dans les cours sur le Moyen-Orient, je dis que si le prophète de l'Islam, Mohamed, se présentait aujourd'hui dans les pays musulmans, il serait exécuté par tous les régimes musulmans, ce qui démontre le décalage entre la doctrine de départ de l'Islam et la réalité.

    L'Islam est une religion importante sur le plan numérique. Dans le document que le greffier du comité a fait circuler, il y a des chiffres éloquents. Je peux notamment rappeler qu'il y a de 1,4 à 1,5 milliard de musulmans, ce qui signifie à peu près un cinquième, sinon un peu plus de la population de la planète.

    Quant à l'importance politique de ces pays, on vient de démontrer encore, chiffres à l'appui, que les pays musulmans sont au nombre de 57 ou 58 sur un total de 200. C'est un chiffre extrêmement important, à la fois au sein de l'ONU, mais également au sein de la communauté internationale.

    La religion de ces pays, comme vous le savez, est l'Islam. L'Islam a plus de choses en commun avec les autres religions monothéistes, comme le judaïsme et le christianisme, et elle est beaucoup moins en désaccord avec ces religions qu'on pourrait le croire. Ceux qui, dans la littérature politique, essaient de parler du monde judéo-chrétien et de le mettre face à ce qu'ils appellent le monde musulman doivent repenser cette réalité.

    L'Islam est également un mode de vie englobant la vie des individus dans sa totalité. Les rapports entre les individus, entre les parents et les enfants, entre les voisins, ainsi que les questions de guerre et de paix sont en quelque sorte codifiés dans la doctrine de l'Islam.

    Si on regarde le livre saint de l'Islam, c'est-à-dire le Coran, on constate que Moïse et Jésus y ont une place importante et que Marie, surtout, y a une place de choix. Autrement dit, l'Islam se voit en quelque sorte comme le successeur des religions monothéistes et non pas comme un élément qui essaie de les déplacer.

    Il faut également faire attention quand on parle des musulmans, surtout dans des moments de crise comme celui-ci, en particulier depuis le 11 septembre 2001, de ne pas confondre les musulmans, l'Islam et les pays islamiques. On pense que tous ces gens ou toutes ces idées sont les mêmes et qu'il n'y a pas de distinctions. Il faut faire des distinctions.

À  +-(1010)  

    Un des mots qui font maintenant partie du jargon politique partout dans le monde est le mot djihad, qui est mal utilisé et mal interprété, ce qui a créé énormément de confusion. On pense que le djihad est l'équivalent de la guerre sainte, ce qui n'est pas le cas. Je rappelle ce que j'avais dit il y a quelques mois devant ce même comité, à savoir qu'il y a deux sortes de djihad. Il y a le grand djihad, qui est une tentative perpétuelle de purification personnelle, c'est-à-dire qu'il faut essayer de se débarrasser de toute impureté; c'est donc une lutte interne, à l'intérieur de l'individu. Et il y a ce qu'on peut appeler le petit djihad, qui est une guerre défensive. Autrement dit, il ne faut pas initier un conflit, mais quand on est attaqué, il faut se défendre. Donc, il faut faire attention pour éviter ce genre de confusion.

    Depuis le pillage du musée de Bagdad, on entend de plus en plus parler de l'apport de la civilisation islamique à la création des autres civilisations. J'ai donné un certain nombre d'exemples dans le document pour illustrer ce service que la civilisation islamique a rendu à la civilisation mondiale dans les domaines de la médecine, des mathématiques, de la littérature et bien d'autres.

    Une autre particularité de l'Islam que l'on ne constate pas dans une religion comme le christianisme est ce mélange politico-religieux. L'Islam ne fait pas de distinction entre politique et religion. Par exemple, le prophète Mohamed était à la fois messager de Dieu et fondateur du premier État musulman. Cela ne signifie nullement que ce mélange politico-religieux continue d'exister comme un modèle à suivre partout dans les pays musulmans.

    Il y a une variété incroyable de pays: des pays tout à fait démocratiques jusqu'aux pays tout à fait dictatoriaux. Il y a un éventail extrêmement important d'États musulmans. Plusieurs ont tout simplement abandonné cette idée de mélange politico-religieux et dans certains États, ceux qui essayent de pousser ce mélange se retrouvent très souvent en prison. Donc, il y a cette distinction à faire.

    Il faut faire attention quand on parle des pays musulmans. Il ne faut pas penser que la réalité d'autrefois continue d'exister. Dans le passé, quand on parlait de l'Oumma, de la communauté des croyants, on parlait de tous les musulmans indépendamment d'aires géographiques dans lesquelles ces gens se trouvaient. Aujourd'hui, en particulier depuis l'avènement du colonialisme et les temps modernes, on assiste à une sorte de charcuterie territoriale dans les pays musulmans où l'État-nation prédomine sur toute autre considération, ce qui signifie pour moi qu'il y a une lutte larvée, implicite, parfois explicite, entre la communauté de l'Oumma et la nation. On voit cette lutte en particulier dans certains pays du Moyen-Orient, mais également ailleurs, par exemple en Indonésie, comme le professeur Qureshi vient de le mentionner. Dans le cas de l'Iran, c'est très évident et très étonnant. C'est un État qui se veut un État islamique. Donc, il y a une tentative très sérieuse de revoir cette réalité créée depuis la révolution de 1979.

À  +-(1015)  

    En ce qui a trait à la démocratie, il y a une question fondamentale laquelle on revient très souvent: on assimile les pays musulmans à l'autocratie, à la dictature. Il faut dire que si on retourne aux sources, on voit qu'il y a quand même des choses intéressantes concernant cette notion de démocratie qui existaient dans les premières pratiques et en particulier dans le Coran.

    Par exemple, il y a une question très importante qui est devenue par la suite le fondement même de la démocratie occidentale: ce sont les conseils, dont on parlait déjà dans le Coran il y a plus de 14 siècles. Également, les chefs religieux, qui étaient aussi les chefs politiques, se présentaient devant la communauté pour débattre de questions, et tout membre de la communauté avait le droit de s'adresser directement au chef politico-religieux de l'empire musulman, un empire extrêmement étendu sur le plan territorial. Le sultan, le dirigeant, les écoutait avec attention et intérêt.

    Il y a un certain nombre d'éléments qui sont communs à différentes civilisations et à différentes périodes. Il s'agit, par exemple, de la tolérance, du sens de la justice, de la liberté, de l'égalité, etc. Ce sont des notions qui existent dans l'Islam, mais il faut absolument mettre à jour ces notions, ce que les pays musulmans ont cessé de faire. Autrement dit, d'après l'Islam même, il faut que la religion s'adapte à la réalité et non le contraire. Autrement dit, ce n'est pas la réalité du jour qui doit s'adapter à la religion, mais c'est ce qu'on voit de plus en plus dans les pays musulmans.

    En lien avec les questions de démocratie et de droits humains, on constate que l'Islam croit que Dieu a créé l'être humain à son image, ce qui signifie égalité et respect de l'être humain, mais malheureusement, ce n'est pas ce qu'on voit dans les pays musulmans.

    Dans l'Islam, quand on tue un être humain, on tue l'humanité, d'où l'importance du respect de la vie individuelle. Ce n'est pas la pratique à laquelle on assiste dans les pays musulmans. Liée également à la question de démocratie et des droits humains, il y a la question de l'extrémisme et de la violence. On constate que la violence exercée par les pays musulmans vise d'abord et avant tout les populations indigènes; ce n'est pas une violence qui est exercée contre les autres civilisations. Ici, je fais allusion à ce que j'appellerais le choc des civilisations, qui est devenu en quelque sorte une idéologie.

    Donc, on constate qu'il y a plus de problèmes causés par les États à l'endroit de leurs populations dans les pays musulmans qu'entre ces États et le monde extérieur. De l'autre côté, la violence est exercée par des groupes extrémistes qui visent l'obtention du pouvoir afin de mettre en oeuvre leur interprétation de la religion. Autrement dit, dans les pays musulmans, on assiste à une lutte perpétuelle entre les interprétations de l'Islam par différents groupes. Voilà pourquoi je vous exhorte à faire preuve de prudence quand vous analysez la situation des pays musulmans.

À  +-(1020)  

    Il y a l'exercice de la violence par ces groupes extrémistes, violence légitime, d'après ces groupes, parce qu'il s'agit de frapper les valets--c'est le mot qu'ils utilisent--des pays occidentaux. Pour ces gens, c'est une réaction à l'appui illégitime des pays occidentaux aux régimes répressifs. C'est comme ça que les groupes musulmans islamistes présentent leur intervention dans les sociétés.

    En ce qui a trait à un concept extrêmement répandu qui, à mon avis, ne colle pas à la réalité du monde musulman, il faut dire qu'il n'y a pas de monde musulman ou d'homogénéité transfrontalière de l'Indonésie jusqu'au Maroc ou en Bosnie, par exemple, ou dans les pays africains. Il n'y a tout simplement pas de système homogène et cohérent. Ce qu'on appelle le  monde musulman  est un ensemble tout à fait hétérogène comportant des divisions internes extrêmement profondes auxquelles mes collègues ont fait allusion tout à l'heure. Il y a des guerres intestines entre les pays arabes. La guerre Irak-Iran qui a duré huit ans, l'invasion du Koweït par l'Irak et des exemples plus récents démontrent qu'il n'y a pas de cohésion, qu'il n'y a pas de monde musulman formant une entité reconnaissable. Il y a des différences et des divisions extrêmement importantes qui existent.

    Cela dit, il ne faut pas penser qu'il n'y a pas de traits communs qui existent entre ces pays. Comme on vient de le constater, la question israélo-arabe en est un. C'est une question qui est à la fois une question émotionnelle et une question fondée sur une réalité religieuse, d'où l'existence de l'Organisation de la conférence islamique, l'organisation créée pour protéger les lieux saints de l'Islam à Jérusalem.

    Donc, il y a des traits communs qu'on peut déceler, mais cela ne signifie nullement que ces traits seront en mesure de créer une cohésion absolument irréversible pour entrer en guerre contre Israël, par exemple. Dans tous ces pays, il est impensable d'imaginer une telle chose parce que, comme je l'ai dit, il y a des divisions à l'interne, des particularités internes, des particularités historiques et culturelles. Il y a des choses qui préoccupent davantage les gens. Autrement dit, cet attachement à la question palestinienne témoigne d'une part d'une certaine nostalgie, mais également d'un vrai sentiment d'appartenance, mais cela ne va pas se traduire par un conflit de ces États avec Israël ou avec les pays qui appuient Israël.

[Traduction]

+-

    Le président: Professeur, je dois vous interrompre. Il y a un vote à la Chambre des communes dans 11 minutes. Si les membres de l'opposition veulent rester, c'est à eux de décider, et si vous partez, nous nous en irons tous. Est-ce que vous restez, monsieur Day?

À  +-(1025)  

[Français]

+-

    M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Il est très important d'être là; il faut que nous votions.

[Traduction]

+-

    Le président: M. Obhrai va également partir. Est-ce que vous restez ou vous allez voter?

+-

    M. Stockwell Day: C'est sur la répartition du temps.

+-

    Le président: D'accord, nous allons donc suspendre la séance jusqu'à la fin du vote. Je suis désolé. Nous reviendrons dans environ 20 minutes.

À  +-(1028)  


Á  +-(1103)  

+-

    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): J'ouvre la séance pour que nous puissions reprendre au plus vite. Nous aurons malheureusement un autre vote dans environ 50 minutes. Nous devrons alors lever la séance parce que je suis sûre que nous perdrons alors tous nos joueurs.

    La première question va à M. Obhrai.

+-

    M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Merci.

    Je tiens à remercier tous ceux qui sont venus participer à ce débat.

    J'aimerais poser ma question à Wahida du Congrès islamique. Elle nous a remis deux documents sur la position du Congrès islamique quant à l'étude que nous avons entreprise. De façon générale, vous avez dressé un tableau de l'islam mais vous n'avez rien dit—ce qui nous oblige à nous poser une question et nous crée un problème car c'est une des raisons pour lesquelles nous effectuons cette étude—à propos de ceux qui détournent la religion islamique à leurs propres fins politiques dans beaucoup d'autres situations. Vous n'en parlez absolument pas. Il y a un mois ou deux, un haut responsable religieux saoudien a invité à tuer les juifs et les hindous en Arabie saoudite. Un autre en Grande-Bretagne distribue de la propagande haineuse. Vous n'avez absolument pas parlé des atrocités de Saddam contre les minorités chiites. Vous avez parlé des droits des minorités qui doivent être respectés dans des pays comme la Chine, la Russie, l'Inde, la Birmanie et les Philippines. Vous semblez même refuser de mentionner le Pakistan ou l'Indonésie. Je ne veux pas dire que ce sont les seuls pays mais au Pakistan, les ahmadiyyas et les chrétiens ont été persécutés. De même en Indonésie.

    Nous devons parvenir à un équilibre. Je ne vois rien là qui indique la position de votre conseil face à tout cela, qui le condamne, qui déclare que cela ne fait pas partie de la communauté musulmane que je connais très bien. Si vous ne condamnez pas ce genre de chose, vous laissez un vide énorme dans notre étude, car on ne voit pas l'autre côté du tableau. J'estime que vous devriez reprendre cette religion à ceux qui prêchent la haine puisque vous avez dit de façon très éloquente que ce n'est pas là l'enseignement de l'islam. Je ne comprends pas très bien pourquoi le Congrès islamique canadien refuse de reconnaître également cela. Vous voudrez peut-être répondre.

Á  +-(1105)  

+-

    Mme Wahida Valiante: Vous demandez pourquoi nous n'avons pas présenté d'excuses ni n'avons condamné ces actes. Or, ce que l'on nous a demandé, c'est de réfléchir à un sujet dont on ne discute pas suffisamment. Tout ce que vous avez mentionné, avec cette minorité de gens qui se rendent coupables d'actes terroristes, est la seule chose dans la mire et la seule chose que les autres voient de l'islam. Notre tâche consiste à informer dans des domaines dont on n'a pas beaucoup parlé, qui n'ont pas été discutés ni examinés. Je crois que c'est là l'objet de cet exercice, qu'il s'agit de partager des connaissances et de les faire connaître. Tout ce que le CIC a inclus là comme citations ou exemples peut être prouvé par des documents historiques.

    Par exemple, nous n'avons jamais parlé des 800 ans pendant lesquels l'islam a régné en Espagne. Il n'y a pas un holocauste, un génocide que l'on peut prouver avoir été commis par l'islam. Je crois donc qu'il faut voir les choses dans une perspective plus large. Une partie de mon héritage vient de l'Inde. Est-ce qu'on ne peut maintenant parler de l'Inde que parce que des chrétiens ou des minorités y sont tués? Le Congrès islamique canadien a mis l'accent sur les connaissances qui existent—historiquement, on peut le prouver, comme je l'ai dit—et c'est ce dont nous sommes venus vous entretenir.

    Quand il y a eu des actes terroristes, les avons-nous condamnés? Oui, nous l'avons fait. Nous avons publié des articles dans les journaux et vous pouvez également vous y reporter. Ce n'est pas vraiment que je n'aie rien dit à ce sujet. J'ai dit que dans tout le monde musulman, il y a de plus en plus de musulmans qui commencent à réfléchir sérieusement aux enseignements du Coran parce qu'ils sont déçus de ce qu'ils constatent dans les sociétés islamiques. Je crois que cela répond à toutes vos questions. Cette explication devrait suffire.

+-

    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Merci beaucoup.

    Madame Lalonde, vous avez la parole.

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Je vous remercie tous les quatre de vos interventions, que j'ai hâte de lire. Il serait sûrement intéressant de vous rencontrer de nouveau après notre voyage, parce que nous vous connaissons et pouvons vous poser des questions.

    J'aimerais ajouter que je suis allée en janvier apprendre l'espagnol au sud de l'Espagne, région qui a été dominée pendant 800 ans par un régime arabe. J'y ai vu l'Alhambra. Si vous n'avez pas vu l'Alhambra, allez-y. Cela donne une bonne idée du niveau de raffinement de cette culture.

    J'aimerais poser une question à M. Hassan-Yari. Je vais commencer par émettre une hypothèse. Il me semble qu'il y a présentement une montée de l'intégrisme islamique. Le mot « intégrisme » n'a pas été inventé pour qualifier un type d'Islam, mais pour qualifier un type de catholicisme. Je me sens donc à l'aise de l'utiliser.

    J'ai l'impression qu'il y a une montée de l'intégrisme dans plusieurs pays. Je me demande s'il y a un lien entre ce fait et le fanatisme. Votre possédez suffisamment de connaissances et avez fait assez d'analyses pour pouvoir répondre à de telles questions, mais pas nous.

    Je vous pose aussi une sous-question. J'ai lu que le projet de ben Laden avait une vocation universelle, comme le catholicisme, mais aussi une vocation politique et qu'on ne pouvait les séparer. N'entre-t-il pas en conflit avec ces États-nations dont vous nous avez parlé? À cause de cela, est-il voué à s'affaiblir davantage ?

Á  +-(1110)  

+-

    M. Houchang Hassan-Yari: Permettez-moi de répondre d'abord à votre sous-question. Le projet de ben Laden est un projet de même nature que tout autre projet provenant de mouvements extrémistes, indépendamment de leur appartenance religieuse. Il pourrait avoir des visées au plan national, par exemple. Ben Laden essaye, à mon avis, de faire une relecture de l'Islam, une relecture qui remet en question l'histoire des pays musulmans au XXe siècle, de façon très générale, du Maroc jusqu'à l'Indonésie. Au cours de cette période, on a assisté à une brisure au sein du monde musulman, en particulier dans la région du Moyen-Orient, avec la fin de l'empire Ottoman et l'avènement des États-nations.

    Pour ben Laden, à mon avis, il s'agit de revenir à une situation antérieure, même si cela n'a pas été une expérience extrêmement réussie. On constate en effet que l'empire Ottoman, en particulier à partir du XVIIIe siècle, n'était pas une réussite sur le plan technique, économique et scientifique. C'était clairement le début de son déclin. Comme vous le savez sans doute, il y eut une période de « grâce » avant la fin. Il s'agissait donc d'une période de déclin de l'empire Ottoman. Après la disparition de cet empire, on assista à une décentralisation des pouvoirs au sein de ce qu'on appelle le monde musulman, c'est-à-dire des déchirures extrêmement importantes, des déchirures qui existaient déjà, mais pas de façon aussi substantielle. On vit alors le coeur même se déchirer. Auparavant, la périphérie, en quelque sorte, était touchée, mais ce fut alors l'intérieur qui le fut.

    Le projet des gens comme ben Laden est de réunifier les morceaux cassés, ce qui est impossible à faire et impensable, à mon avis, pour des raisons tout à fait mondaines. Il n'y a aucun État musulman qui serait prêt aujourd'hui à se départir des frontières nationales afin de créer des frontières religieuses, islamiques, autrement dit pour refaire le monde tel qu'il existait il y a plusieurs siècles.

    Ce projet est sans aucun doute voué à l'échec et il contredit l'existence des États-nations. Je voudrais souligner que, selon moi, la cible la plus importante pour ben Laden et ses camarades n'est pas les États-Unis et la civilisation « occidentale », mais les pays musulmans et, en premier lieu, l'Arabie saoudite. Très souvent, on pense que leur projet est tout simplement de détruire la civilisation occidentale en faveur de l'avènement d'une civilisation islamique universelle. Ce n'est pas le cas.

    J'aimerais ouvrir une parenthèse pour dire que les Américains sont en train de réaliser les projets que ben Laden n'a pas réussi lui-même à concrétiser, c'est-à-dire faire chuter des régimes qui lui sont hostiles. Il faut se rappeler que les rapports entre le régime de Saddam Hussein et ben Laden étaient extrêmement difficiles. L'Arabie saoudite subit d'énormes pressions aujourd'hui. Leurs objectifs sont très, très différents.

Á  +-(1115)  

    En ce qui a trait à votre question principale sur la montée de l'intégrisme islamique, il faut comprendre ce qui amène cette montée, cela sans la justifier d'aucune façon. Il s'agit de voir qu'elle existe en réaction à plusieurs choses. Il s'agit d'une réaction à l'incapacité de ce système d'États-nations à créer un système démocratique. Il s'agit d'une réaction à l'existence de ces régimes dictatoriaux, de ce système colonial, de ce système impérial qui existe aujourd'hui. Il s'agit, en fin de compte, d'une réaction aux échecs continus des pays musulmans. Je dis finalement que ce sont des charlatans qui essaient de capitaliser sur ces échecs. Si on veut se débarrasser des fanatiques, des extrémistes et des intégristes, il s'agit tout simplement de mettre fin à l'ingérence extérieure dans les affaires internes de ces pays. Il faut abandonner les comportements paternalistes. Il faut mettre fin à l'humiliation de ces peuples. Il faut mettre fin au conflit israélo-arabe. Il faut cesser, finalement, de lier les régimes dictatoriaux aux intérêts occidentaux, en général, et américains, en particulier.

+-

    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau): Merci, monsieur Hassan-Yari.

[Traduction]

    Nous passerons maintenant à M. Calder.

+-

    M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.

    Mon préambule sera très rapide et ne portera que sur un point car j'ai quatre questions et j'aimerais que nos experts puissent y répondre.

    Le 11 septembre, la plupart des pirates de l'air venaient d'Arabie saoudite et, apparemment, il y a une branche radicale de l'islam dans ce pays qui s'appelle le Wahabi. Quelle influence a cette branche a-t-elle au Moyen-Orient? Dans quelle mesure existe-t-elle dans les mosquées, ici au Canada? Quelles sont ses caractéristiques qui devraient le plus nous inquiéter? Enfin, quelles autres branches de l'islam sont influentes parmi les extrémistes islamiques?

+-

    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Monsieur Qureshi, allez-y.

+-

    M. Saleem Qureshi: Je vais essayer de vous donner une réponse simple. Le wahabisme tire son nom de Muhammad bin Abd al-Wahab, qui a vécu de 1703 à 1792 dans ce qui est aujourd'hui l'Arabie saoudite. La branche de jurisprudence qu'il prêchait en fait est le Hanbali, une des cinq mentionnées par le professeur Sigler, et c'est celle qui est probablement la plus austère, la plus restrictive et la plus dure. Cette branche semble populaire parmi une certaine catégorie de gens parce que son austérité semble être aussi proche que possible de l'islam du temps de Mohammed et elle attire ceux qui n'ont pas réussi à s'intégrer dans le monde moderne. Oussama ben Laden a de toute évidence entrepris un projet qui pensait-il permettrait de sortir ceux-là des États-Unis et du monde musulman et soulever une vague d'unité dans le monde musulman alors que cela a abouti en fait au contraire. Il n'est peut-être pas très charitable de dire les choses ainsi mais les gens qui sont convaincus de cette méthode d'approche particulière sont tellement convaincus en eux-mêmes qu'ils sont incapables de faire le rapport entre leurs activités et le monde extérieur, notamment la grande majorité du monde musulman.

Á  +-(1120)  

+-

    Mme Wahida Valiante: Le wahabisme a également vu le jour alors que le monde islamique connaissait de grosses difficultés. Cela semblait donc une solution.

    Devons-nous nous inquiéter du wahabisme au Canada? Non, parce qu'ici il y a beaucoup de sunnis qui ne suivent pas les wahabis, qui ne suivent pas les salafis, qui ne suivent aucune des écoles. Nous sommes simplement des musulmans sunnis et, pour nous, ces différentes écoles ont eu un rôle à jouer lorsque l'on a élaboré la jurisprudence dans l'ancien temps, essentiellement. C'est à ce moment-là que ces écoles se sont développées. Aujourd'hui, elles n'ont plus de raison d'être pour les musulmans en général. C'est cela la réalité. Ce que l'on a au Canada, c'est des membres de la majorité sunnie, qui étaient les shias, qui font également partie de l'islam, et qui ne croient pas non plus au wahabisme, c'est bien connu. Donc nous n'avons pas, pas plus que les États-Unis, à nous inquiéter du wahabisme.

+-

    M. Murray Calder: Merci.

+-

    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Merci beaucoup.

    Monsieur Day.

+-

    M. Stockwell Day: Merci, madame la présidente.

    Merci à chacun d'entre vous pour vos témoignages si utiles au moment où nous essayons d'éclaircir ces questions.

    Je comprends bien ce que M. Hassan-Yari veut dire quand il rappelle que la doctrine et la philosophie sont souvent différentes de la réalité. Ce n'est pas seulement vrai pour l'islam, bien entendu, mais pour toutes les religions. Il est utile de se rappeler qu'aucune religion ne peut prétendre que ses fidèles appliquent parfaitement ses principes. Et nous ne pouvons pas dire que l'islam n'affirme pas « nous et eux ». En effet, ceux qui pratiquent l'islam sont des êtres humains comme les adeptes de tout autre religion. Quand les disciples de Mohammed ont conquis la Perse, ils proféraient très haut « nous et eux ». Et ils ont intégré une civilisation à la leur. Quand Shia Iman Ali a été assassiné à Karbala, c'était encore « nous et eux ».

    J'aimerais que vous nous parliez d'un site Internet canadien à l'intention des enfants et qui s'intitule « Jouer et apprendre ». Dans la section « érudits islamiques », l'ayatollah Hussein Fadlallah parle de l'anéantissement d'Israël. Il affirme : « Tous ceux qui veulent faire la paix avec Israël sont des traîtres à notre cause. » Et il ne s'arrête pas aux Israéliens. Il ajoute : « Nous avons défendu notre peuple à l'époque, comme nous le faisons maintenant, alors que les traîtres comme les Syriens cherchent à conclure des accords avec les sionistes et les impérialistes. »

    Malheureusement, chaque religion adopte une attitude « nous et eux ». Comment alors promouvoir les droits de la personne les plus fondamentaux, les droits naturels, par exemple, la liberté de religion? La liberté de religion est essentielle à la liberté d'expression, bien entendu. Il y a quelques mois, je suis allé en Israël et des juifs orthodoxes m'ont emmené à une église chrétienne pour que je puisse y prier. Dans un tel cas, on ne permet pas seulement la liberté de religion, on la pratique vraiment. Comment une telle notion pourrait-elle prévaloir dans certains pays musulmans où, encore aujourd'hui, exercer une autre religion est puni de mort? Que faudrait-il faire pour percer ce genre de voile?

+-

    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Monsieur Hassan-Yari.

+-

    M. Houchang Hassan-Yari: Cette question reprend celle de votre collègue, la mise à mort des juifs. Le Coran parle en toutes lettres du peuple du Livre, c'est-à-dire les juifs, les chrétiens, etc. Mais ce que je fais en tant que musulman ne regarde que moi, ce n'est pas la doctrine. Il ne faut pas oublier non plus qu'il y a des juifs qui souhaitent tuer les musulmans, des chrétiens qui souhaitent tuer les musulmans et les juifs, etc. La pratique d'une religion varie énormément d'un pays à l'autre. Par exemple, en Iran, les juifs et les chrétiens sont représentés au Parlement. En Arabie saoudite, je ne pourrais pas aller à l'église parce qu'il n'y a pas d'églises. Il faut donc considérer ces pays un à un et se garder de généraliser et de dire voici un pays islamique, juif, chrétien, etc.

Á  +-(1125)  

+-

    M. Stockwell Day: J'ai bien pris soin de ne pas le faire.

+-

    M. Houchang Hassan-Yari: Assurément.

    J'ajouterais qu'avant le début du conflit entre arabes et Israéliens, on constatait que les juifs étaient bien mieux traités dans les pays d'Orient que dans les pays chrétiens.

+-

    M. Stockwell Day: Je veux bien mais aidez-nous en l'occurrence. Comment aborder les représentants de ces pays où il est illégal de pratiquer notre religion, voire d'en être un adepte?

+-

    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Je pense que Mme Valiante veut ajouter quelque chose.

+-

    Mme Wahida Valiante: Quand on se limite à un élément présent sur Internet, par exemple, c'est du réductionnisme qui n'a aucune utilité.

+-

    M. Stockwell Day: Comprenez-moi bien, je ne généralise pas.

+-

    Mme Wahida Valiante: Je sais bien, et c'est pourquoi nous disons que le Canada a évolué pour en arriver à la plus grande pluralité et à la plus grande tolérance. Voilà pourquoi nous venons aujourd'hui vous dire que le Canada peut jouer un rôle d'une grande importance dans le dialogue avec ces pays car c'est la seule façon de procéder. Il y a des pays musulmans où les chrétiens, les juifs, les hindous et d'autres y vivent depuis des centaines d'années et il y en a d'autres qui refusent même jusqu'à l'existence d'une église. Je pense que le Canada peut jouer un rôle très important grâce à un dialogue ouvert et à un échange de renseignements sur la façon d'aborder cela. Ce serait la meilleure façon de procéder.

+-

    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Merci beaucoup.

    Monsieur Eggleton.

+-

    M. Art Eggleton: Tout d'abord, je tiens à vous remercier tous les quatre d'être venus aujourd'hui. C'est notre première séance consacrée à des questions portant sur le monde musulman ou les mondes musulmans. Le comité va aller à l'étranger et y entendra d'autres témoins. Nous sommes un petit peu dépassés aujourd'hui parce que nous obtenons des renseignements pour la première fois et je suis impatient de lire vos exposés pour mieux les assimiler. Vous avez dit des choses très profondes et très importantes.

    J'ai l'exposé de Wahida Valiante par écrit mais les autres peuvent répondre aux questions que je vais poser. Madame Valiante, vous parlez des racines de la démocratie, de la primauté du droit et du rôle de ces deux notions dans l'évolution du monde musulman à travers les siècles. Aujourd'hui, on ne voit pas les choses de la même façon. Je songe au livre de Bernard Lewis, What Went Wrong?. Il rappelle qu'il y a 1 000 ans, les sociétés islamiques étaient les plus avancées du monde à bien des égards alors qu'aujourd'hui, la démocratie y bat de l'aile, ces pays sont pauvres, nourrissent le terrorisme. La loi islamique extrémiste dicte qu'une femme qui aurait commis un adultère doit être lapidée. Ces éléments ne représentent peut-être pas la façon dont l'essentiel du monde musulman fonctionne, ou pense, mais assurément ils sont très médiatisés en Occident actuellement.

    Vous donnez un début d'explication quand vous dites « les intrusions occidentales sous forme d'interventions politiques, militaires et économiques ont sapé l'énergie du monde musulman qui s'est en permanence détourné des réformes politiques, sociales, économiques et éducatives qui s'imposaient. » Assurément, ça ne peut pas être la faute uniquement de l'Occident. Les sociétés musulmanes doivent assumer leur responsabilité pour avoir laissé leurs sociétés passer des plus avancées à ce que nous constatons aujourd'hui. Je voudrais vos commentaires là-dessus.

    Deuxièmement, vous accordez—et j'ai déjà entendu cela—une grande importance à la résolution éventuelle du conflit israélo-palestinien. Nous souhaitons tous une résolution et pour ma part, comme bien d'autres gens, j'estime que la coexistence de deux États est la solution réaliste. Vous avez parlé de l'occupation et des souffrances qui en découlent pour le peuple palestinien. Pourquoi alors les Palestiniens sont-ils fidèles à un chef qui est un ancien terroriste, qui préconise le terrorisme, qui a lancé la deuxième intifada, il n'y a pas longtemps, et qui est corrompu? Évidemment, je songe ici à Yasser Arafat. D'après les sondages d'opinion auprès des Palestiniens, il semble pouvoir compter sur leur appui. Il n'y a pas très longtemps, on a voulu extirper les talibans d'Afghanistan parce que le pays abritait des terroristes. Or, Yasser Arafat et ses partisans abritent des terroristes. Nous avons été témoins d'un grand nombre de commandos suicides, et dans quel but? Vous l'avez dit vous-même, cela n'a pas réglé quoi que ce soit. Pourquoi ce peuple appuie-t-il ce genre de dirigeant terroriste corrompu?

Á  +-(1130)  

+-

    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Monsieur Sigler, vous avez la parole.

+-

    M. John Sigler: C'est évidemment la dernière partie qui a la plus grande dimension politique, et on parle là du changement extraordinaire qui se produit actuellement au niveau des dirigeants palestiniens comme vous le savez. Abu Mazen appartient au même parti qu'Arafat, mais ils ont des désaccords depuis longtemps, tout d'abord à propos de l'accord d'Oslo dont il a été l'architecte. Il avait donc déjà une volonté de tendre la main à Israël, que partageait d'ailleurs pleinement Arafat. Pour la plupart de ceux d'entre nous qui oeuvrent dans ce sens depuis longtemps, en présentant M. Arafat comme un fer de lance du terrorisme, on oblitère l'impression que nous avons qu'il est terriblement inefficace, qu'il est incapable de gérer les choses, et c'est son principal problème. La question de savoir dans quelle mesure Arafat lui-même, par opposition à son entourage, est un instrument de la terreur, est ouverte. Mais la plupart des experts en la matière, y compris les experts israéliens, ont cessé de le présenter comme le leader du terrorisme. Ils veulent absolument un changement de dirigeant, mais la raison pour laquelle ils le veulent, c'est essentiellement qu'il est incompétent, qu'il a présidé à une corruption généralisée même s'il n'est pas corrompu lui-même, ce qui est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il conserve encore une légitimité. C'est un autre problème.

    Quant à votre autre question sur ce que nous allons faire maintenant, on vient de présenter la feuille de route, et vous allez voir cela dans votre voyage. Cette feuille de route est abondamment critiquée de part et d'autre. Comme on l'a vu, il y a actuellement toute une campagne qui est montée à Washington par des éléments du gouvernement Sharon, pas par Sharon lui-même, car il s'est élevé au-dessus de la mêlée dans ce cas pour ne pas donner l'impression d'être un obstacle et parce qu'il pensait que ce n'était pas dans l'intérêt d'Israël d'exprimer une opposition aussi manifeste, comme c'est le cas dans le cadre de son gouvernement de coalition. Quoi qu'il en soit, la feuille de route est sur la table et vous constaterez qu'il y a aussi de profondes divergences à Washington sur cette question. Le département d'État l'appuie, mais pas la Maison-Blanche, le Pentagone ou le vice-président. Les avis sont donc partagés, comme pour l'Iraq, sur la marche à suivre.

    Je crois qu'on veut actuellement mettre fin à la violence, et c'est là-dessus qu'on insiste des deux côtés. Vous avez raison, les Arabes soulignent les violences des intrusions israéliennes et les pro-Israéliens insistent sur les attentats suicide. Le problème, comme l'a clairement dit le secrétaire d'État Powell, c'est qu'il faut faire cesser les deux, car aussi bien les assassinats ciblés que les attentats suicide ont un caractère de provocation délibérée. C'est un problème éminemment délicat.

    Ce que je constate dans les attentats suicide, c'est qu'il y a un nombre extraordinaire de candidats à ces attentats suicide lorsqu'un membre de la famille se fait tuer lors d'une confrontation avec les forces palestiniennes, et c'est quelque chose de tout à fait particulier. Ce n'est pas le phénomène al-Qaïda, qui est très différent dans la mesure où il n'y a pas de participation directe. Ce qui est particulièrement inquiétant actuellement—je viens de lire la presse israélienne ce matin—, c'est que le dernier incident terroriste dans un café de Tel- Aviv, qui vient bouleverser quelque peu la feuille de route, a été perpétré non pas par une organisation palestinienne, mais par deux citoyens britanniques d'origine pakistanaise. Il y a tout un militantisme dans d'autres régions du monde arabe que nous avons souligné à propos de cette question de la solution à apporter à ce profond désarroi provoqué par la question israélo-palestinienne.

    Nous repassons à l'action et malgré toutes ces faiblesses, mon rôle est de mettre en avant tous les aspects positifs possibles en insistant lourdement sur la nécessité de mettre en place une force de contrôle internationale. Je lis dans la presse israélienne qu'on fait un gros effort pour y faire participer le Canada. C'est nous qui avons le plus d'expérience avec la FNUOD et la FUNU entre autres, pour intervenir efficacement entre les Palestiniens et les Israéliens, entre les Syriens et les Israéliens. J'espère que cela aura une place prioritaire dans notre programme, même en dépit de la faiblesse actuelle de nos forces et de leur engagement ailleurs. Si c'était moi qui décidais, j'accorderais beaucoup plus de priorité à la participation au processus de paix israélo-palestinien qu'à l'Afghanistan.

Á  +-(1135)  

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    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): À vous, madame Carroll.

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    Mme Aileen Carroll: Merci.

    J'ai vu que dans le document que vous nous avez remis, il est question de la relation entre la religion et la politique. Dans le monde chrétien comme dans le monde musulman, il n'y a pas de séparation entre les deux, même s'il existe une séparation institutionnelle. À plusieurs reprises, j'ai pu prendre connaissance d'une thèse concernant le monde musulman et la politique. Elle n'émane pas de moi, mais je la trouve intéressante et j'aimerais que vous-même et M. Sigler me disiez ce que vous en pensez. Selon cette thèse, la sphère politique est souvent invoquée dans les pays islamiques comme étant le seul véhicule disponible pour exprimer une demande, un intérêt, un espoir ou une aspiration car dans une bonne partie des pays en question, le gouvernement exerce une répression sur la population. Les gens se sont donc tournés vers la religion et les mullahs pour trouver un mode d'expression des sentiments qui les animent.

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    M. Saleem Qureshi: Je crois que c'est tout à fait juste. J'ai dit brièvement, comme M. Eggleton, que la pauvreté, la maladie et les privations existaient effectivement. Les masses musulmanes en souffrent et elles cherchent une raison d'espérer. L'appel à l'Idéal de l'Islam, qui n'est pas nécessairement une réalité historique, mais dont les fidèles croient qu'il a existé autrefois, offre indirectement la résurgence d'une société semblable à celle du passé, une société fondée sur la justice. Voilà ce à quoi aspirent les fidèles. Malheureusement, les musulmans, dans une écrasante majorité, ne connaissent même pas leur propre histoire, et cet idéal existe davantage en imagination que dans le concret. Par ailleurs, c'est moins un appel à la doctrine qu'une utilisation de la religion en tant que facteur de mobilisation. Le mouvement n'est donc pas théologique, il est politique.

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    Mme Aileen Carroll: Merci.

    À vous, monsieur Sigler.

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    M. John Sigler: Je reconnais tout à fait le bien-fondé de cette analyse.

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    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): À vous, Karen Kraft Sloan.

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    Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Nos témoins préféreront peut-être répondre à ma question par écrit. J'aimerais comprendre le point de vue du monde islamique sur l'environnement naturel. En Occident, particulièrement en Amérique du Nord, on considère que la nature doit être domestiquée et conquise. J'ai écouté avec intérêt ce qu'a dit le dernier témoin sur le jihad. Dans le jihad au sens large, il est question d'un défi personnel, alors qu'au sens étroit, c'est une situation conflictuelle où chacun se sent sur la défensive. J'aimerais aussi savoir si la nature sauvage était intégrée à l'épanouissement précoce, dans le monde arabe, de cette notion d'unité et d'inclusion, de même que des mathématiques, de la philosophie et des sciences, dont l'Occident s'est inspiré pour élaborer sa propre culture.

    Ma deuxième question concerne la représentation des enfants et des jeunes dans le monde musulman, aussi bien au Canada qu'à l'extérieur; comment les enfants et les jeunes sont-ils considérés en matière de consultation? Ont-ils des organismes représentatifs auxquels vous pourriez penser?

    Troisièmement, je suis sûre que certains Nord-Américains projettent des images très négatives. Je pense à ceux qui portent des cagoules blanches et qui font brûler des croix, la croix ayant été à bien des égards le symbole et le catalyseur de la violence. Certains se demandent même si la crucifixion s'est bien produite telle qu'elle est décrite dans la Bible—mais je n'aborderai pas ce sujet, ce serait trop long. J'aimerais avoir le point de vue des musulmans, particulièrement de ceux de l'extérieur du Canada, sur l'image de la civilisation occidentale nord-américaine.

Á  +-(1140)  

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    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): J'aimerais demander à M. Cotler de poser sa question pour que nos témoins puissent répondre aux deux questions qui ont été posées.

    Monsieur Cotler.

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    M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Ma question s'adresse tout particulièrement à Wahida Valiante, parce qu'elle serait probablement mieux en mesure d'y répondre; cependant si d'autres veulent y répondre, j'espère qu'ils n'hésiteront pas à le faire. Mon étude de la loi musulmane et de la loi juive m'a révélé qu'il existait certains points communs entre ces deux lois, tout particulièrement en ce qui a trait au droit international humanitaire car comme un de mes étudiants l'a signalé, un des principes de base se retrouve à la fois dans la loi juive et dans la loi musulmane. Je me demande si vous avez discuté avec vos homologues du Congrès juif canadien des points qu'ont en commun la loi juive et la loi musulmane pour que vous puissiez avoir en commun des principes qui vous permettront de vous entendre plutôt que d'être en conflit.

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    Mme Wahida Valiante: Nous n'avons pas discuté des aspects politiques, mais je suis spécialiste de la thérapie familiale, je m'occupe de divorce et de médiation et je travaille donc avec des avocats juifs. Nous avons étudié le dossier du divorce et des ententes connexes car il est très difficile d'obtenir un divorce conformément à la loi musulmane et à la loi juive. Il y a donc eu beaucoup de dialogue, des échanges sur les points communs, et sur les problèmes qui existent dans ce domaine. Je crois qu'il y a des points communs et des parallèles dans le droit international également, et je pense qu'il serait très utile de se pencher sur cet aspect de la question. Nous devrions nous inspirer de tout ce qui est positif, puis essayer d'en venir à quelque chose de concret.

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    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Peut-on également répondre rapidement à la question de Mme Kraft Sloan?

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    Mme Wahida Valiante: Je pense que nous allons accepter la proposition et préparer une réponse par écrit, puis vous la remettre. Les questions que vous avez soulevées sont fort importantes et méritent de recevoir une réponse qui puisse vraiment vous aider. Je pense que nous vous fournirons une réponse par écrit.

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    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Monsieur Qureshi.

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    M. Saleem Qureshi: Quant à la perception musulmane de la nature, je me souviens qu'il y a 10 ans j'avais présenté une conférence à Buenos Aires sur la question. Je retrouverai ce document et dès que je l'aurai fait, je vous le ferai parvenir. J'ai beaucoup travaillé également sur la loi musulmane. Les points communs entre le judaïsme et l'islamisme, et les mentions des juifs et des chrétiens dans le Coran sont très nombreux, et tout dépend de l'attitude, négative ou positive, du lecteur. Malheureusement, les islamistes, afin de faire ressortir le caractère pur de l'islamisme, ont essayé d'écarter toute attitude de conciliation.

Á  -(1145)  

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    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Monsieur Hassan-Yari.

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    M. Houchang Hassan-Yari: L'environnement est un aspect fort important, à mon avis. Si vous vous penchez sur la pratique du droit, par exemple, il semblerait que Mohammed avait interdit la destruction des champs de blé : ces champs représentent une source de nourriture et devraient être protégés.

    J'aimerais rappeler que les jeunes sont le moteur du changement dans tous les pays islamiques.

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    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Merci à tous. Cela met fin à notre réunion.

    La séance est levée.