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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 10 avril 2003




¿ 0910
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         M. Salim Mansur (professeur de science politique, Université de Western Ontario)

¿ 0915

¿ 0920
V         Le président
V         M. Reid Morden (président, «Reid Morden and Associates», À titre individuel)

¿ 0925

¿ 0930

¿ 0935
V         Le président
V         M. Andrew Mack (directeur, «Human Security Centre», Université de la Colombie-Britannique)

¿ 0940

¿ 0945
V         Le président

¿ 0950
V         M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne)

¿ 0955
V         Le président
V         M. Andrew Mack
V         Le président
V         M. Salim Mansur
V         Le président
V         M. Reid Morden

À 1000
V         Le président

À 1010
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)
V         Le président
V         M. Salim Mansur

À 1015
V         Le président
V         M. Andrew Mack
V         Le président
V         M. Reid Morden
V         Le président
V         M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.)

À 1020
V         M. Salim Mansur
V         M. Reid Morden
V         Le président
V         M. Andrew Mack

À 1025
V         Le président
V         M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.)
V         Le président
V         M. Andrew Mack
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD)

À 1030
V         Le président
V         M. Reid Morden

À 1035
V         Le président
V         M. Andrew Mack
V         Le président
V         Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.)

À 1040
V         Le président
V         M. Andrew Mack
V         Le président
V         M. Reid Morden

À 1045
V         Le président
V         M. Salim Mansur
V         Le président
V         M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne)
V         Le président
V         M. Reid Morden

À 1050
V         Le président
V         M. Andrew Mack
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne)

À 1055
V         Le président
V         M. Andrew Mack
V         Le président
V         M. Salim Mansur
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 031 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 10 avril 2003

[Enregistrement électronique]

¿  +(0910)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): À l'ordre du jour, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous avons l'étude du dialogue sur la politique étrangère du ministre des Affaires étrangères.

    Nos témoins ce matin sont M. Salim Mansur, professeur de sciences politiques à l'Université de Western Ontario, M. Reid Morden, président de Reid Morden and Associates, à titre individuel et M. Andrew Mack, directeur du Human Security Centre à l'Université de la Colombie-Britannique.

    La première partie de notre réunion ce matin nous mènera jusqu'à 11 heures moins quart, et ensuite nous poursuivrons à huis clos pour discuter du rapport.

    Vous avez chacun une introduction. Vous disposez chacun de 10 minutes, et ensuite nous passerons aux questions.

    Monsieur Mansur, puisque vous êtes le premier sur la liste, vous commencerez. Vous avez la parole.

+-

    M. Salim Mansur (professeur de science politique, Université de Western Ontario): Merci, monsieur le président. Bonjour, mesdames et messieurs les membres du comité.

    Je voudrais tout d'abord remercier les membres du comité de m'avoir invité à titre de témoin expert. Je crois savoir que ma déclaration a été distribuée, et par conséquent, comme le temps est limité, je vais vous la lire en partie.

    L'histoire met les choses en perspective. De même, l'histoire nous donnera un point de vue plus éclairé que celui qui est le nôtre à l'heure actuelle. Elle montrera que les événements du 11 septembre 2001 ont été un moment décisif dans la politique mondiale, au même titre que le coup de feu tiré le 28 juin 1914 par le nationaliste serbe Gavrilo Princip. La chaîne des événements déclenchés par les attentats terroristes de New York et de Washington est constituée de ce qui s'est produit depuis cette funeste matinée de septembre, notamment les guerres menées par les États-Unis en Afghanistan et en Irak. Les débats qui se tiennent dans diverses capitales à ce sujet seront considérés par les historiens de demain comme des efforts déployés par des hommes emportés par le flot des événements. Mais les forces qui sont à l'origine des attentats contre l'Amérique, telles une marée, connaîtront des hauts et des bas jusqu'à épuisement, avec ou sans le consentement des intéressés.

    Je souhaite axer mes commentaires d'une part sur la nature des forces qui ont attaqué l'Amérique, à savoir les musulmans militants et intégristes associés à un réseau mondial d'adeptes et de sympathisants et, d'autre part, sur la façon dont nous devons leur faire face. Permettez-moi d'abord de définir le problème. L'intégrisme musulman est une idéologie, comme toute autre idéologie, qui a été créée pour permettre à ses auteurs et à ses adeptes d'acquérir le pouvoir politique et de le garder. Or, dans cette poursuite du pouvoir, les intégristes musulmans ont cherché à s'approprier l'islam et à en monopoliser le message universel de paix et de pureté transcendantes exclusivement à leurs propres fins. Ce qu'il faut retenir avant tout ici, c'est que nous parlons d'un peuple, non pas d'une confession religieuse. Il importe de distinguer clairement l'islam et les musulmans, comme nous le ferions du christianisme et des chrétiens, ou encore du judaïsme et des juifs. À défaut d'une telle distinction et à défaut d'en tenir compte constamment, nous confondrons la foi et son adepte et par conséquent nous déformerons notre compréhension de la foi, de la richesse de sa signification et de la complexité de son histoire, puisque nous l'observerons à travers une lentille déformante, c'est-à-dire à travers l'homme, en l'occurrence un intégriste dont le comportement est suspect en raison de la politique qu'il mène.

    On a porté un grand préjudice à la compréhension de l'islam en répétant sans cesse l'expression « intégrisme islamique ». C'est une notion qui n'existe pas, et l'analogie avec l'intégrisme chrétien, issu de la théologie protestante nord-américaine, est trompeuse. L'islam, en tant que foi universelle provenant de la tradition abrahamique, véhicule un message qui insiste sur la pureté et l'unicité du divin créateur de l'univers et seigneur de l'humanité. L'intégrisme musulman, ce phénomène qui nous est devenu familier récemment, est un phénomène récent dans l'histoire de l'islam.

    Nous pouvons en situer la naissance vers le milieu du XXe siècle. En tant que mouvement politique qui s'est approprié l'islam pour ses propres objectifs, il est demeuré relativement insignifiant à ses débuts, une sorte d'aberration par rapport aux autres courants de la pensée musulmane, à cause de son exclusivité, de son opposition aux autres musulmans et de son hostilité à l'égard des principes philosophiques qui sous-tendent le monde moderne. Avec le temps, son attrait s'est amplifié parmi les musulmans, en raison des échecs réels ou apparents des gouvernements de plusieurs pays à majorité musulmane, par exemple le Pakistan et l'Égypte, qui se sont révélés incapables de répondre aux attentes de leur population sur les plans de la modernisation et du développement économique. Cet attrait croissant s'est enraciné, s'est durci et s'est répandu à la suite des défaites militaires subies par les États musulmans. Sont en cause ici environ quatre décennies, voire plus, d'histoire. Pendant tout ce temps s'élargissait le gouffre culturel, économique et technologique entre le monde musulman, partie intégrante de ce que l'on appelait le tiers monde au cours de la guerre froide, et les économies avancées post-industrielles fondées sur la connaissance, de l'Occident, qui progressaient à un rythme accéléré.

    C'est dans ce contexte que l'intégrisme musulman, en tant qu'idéologie et que mouvement politique, est né, s'est développé et s'est répandu. Il existe une ressemblance frappante entre l'origine et la diffusion du fascisme européen au cours de la période qui a suivi la Première Guerre mondiale, et l'attitude des intégristes musulmans, sorte de néo-fascistes, qui cherchent à saisir le pouvoir par tous les moyens possibles. En conséquence, les premières victimes des intégristes musulmans ont été des musulmans, de l'Algérie à l'Afghanistan, en passant par le Pakistan.

¿  +-(0915)  

    L'argument selon lequel l'idéologie laïque et nationaliste de Saddam Hussein et du Parti Ba'ath, répandue dans le monde arabe, serait différente et distincte de l'intégrisme musulman auquel ont adhéré le régime Taliban en Afghanistan et le réseau terroriste international d'Osama bin Laden, al-Qaeda, est seulement en partie vrai. L'idéologie Ba'ath, dans le monde arabe, est un mouvement néo-fasciste qui fusionne la méthodologie politique du fascisme européen et du stalinisme avec une réduction raciste pervertie de l'Islam en tant que religion des Arabes. D'ailleurs, nous avons observé au cours des derniers jours du régime de Saddam les appels répétés de celui-ci demandant aux musulmans de venir à sa défense, au nom d'une interprétation extrêmement déformée de l'islam.

    L'Occident, y compris le Canada, n'a pas pris au sérieux la menace de l'intégrisme musulman, même lors du premier attentat contre le World Trade Center, à New York, en 1993. Il nous faut commencer, même si c'est avec un certain retard, à déployer de sérieux efforts pour comprendre les problèmes des sociétés sclérosées qui ont permis à l'intégrisme musulman de se développer et qui l'ont exporté. Nous devons nous y attacher avant de transformer la totalité du monde musulman, à tort et par ignorance, en un ennemi de l'Occident, pour ensuite passer une grande partie du XXIe siècle à combattre une culture et une civilisation qui ont besoin de notre aide et de notre compréhension pour se moderniser, se développer et prospérer.

    Pour des raisons dont on n'a pas fini de débattre, le gouvernement du Canada ne s'est pas rangé du côté des États-Unis et de la Grande-Bretagne, ses deux alliés traditionnels et historiques les plus importants, dans la guerre destinée à libérer les Irakiens de la tyrannie de Saddam Hussein et de son Parti Ba'ath. Nous devons laisser derrière nous nos erreurs et notre amertume et nous tourner vers l'avenir. Le Canada doit offrir ses ressources politiques, diplomatiques, économiques et militaires pour faciliter l'édification, en Irak, d'une société libre qui se donnera un avenir démocratique et deviendra un modèle pour le reste du monde arabo-musulman. Ceci est à notre portée, et c'est tout à fait possible, car l'Irak possède à la fois des ressources humaines bien formées et des revenus pétroliers qui lui permettront de se rétablir vite de cette guerre et d'amorcer une période beaucoup plus prospère pour tous les Irakiens.

    Le Canada doit s'intéresser beaucoup plus au monde musulman, qui représente un cinquième de l'humanité et possède un potentiel extraordinaire. Il est héritier d'une grande civilisation et, s'il reçoit l'aide dont il a besoin pour combler ses lacunes, il en résultera des avantages pour tous, dans ce village de plus en plus global qui est le nôtre. Le Canada ne doit pas prendre ses distances et avoir peur de se prononcer sur les problèmes auxquels le monde musulman fait face, des problèmes qui risquent de s'étendre, comme l'intégrisme. Cela signifie qu'il faut lutter de façon agressive contre les Saddam Hussein et les bin Laden. En outre, nous devons agir sans nous excuser auprès des musulmans qui voudraient nous contredire, comme nous n'avons pas laissé les Allemands et les Italiens nous contredire lorsqu'est venu le moment de lutter contre le fascisme européen, ni les Européens de l'Est nous contredire au cours de notre longue lutte contre le communisme soviétique. Nombreux sont les musulmans dans le monde qui sont intimidés, violentés et réduits au silence par la politique intégriste, femmes et minorités notamment, et qui attendent de nous leur délivrance. Nous les trahissons lorsque, pour de mauvaises raisons politiques ou au nom de la rectitude politique, nous nous tenons à l'écart en évitant de participer à la lutte contre une tyrannie et une oppression menées au nom de la religion.

    Il est un dossier qui doit être réglé d'urgence, et le Canada un rôle très important à jouer à cet égard. L'animosité qui sépare le monde musulman de l'Occident découle de la situation de la Palestine historique. Les relations problématiques entres les Israéliens et les Palestiniens, l'occupation continuelle des territoires palestiniens par Israël en violation de tous les principes reconnus du droit international et des résolutions des Nations Unies, et le conflit asymétrique entre les Palestiniens, dont l'existence est réduite au plus strict minimum de la sécurité humaine, et les Israéliens, qui possèdent la force militaire la plus puissante de la région, ont contribué à l'approfondissement de la méfiance à l'égard de l'Occident, en particulier de l'Amérique, de façon uniforme chez les Arabes et chez les musulmans. Aujourd'hui, alors que les États-Unis sont directement engagés dans une guerre contre un État arabe, l'Irak, la réussite finale de cette guerre, l'obtention d'une paix et l'édification d'un Irak nouveau et libre, est peut-être impossible à réaliser isolément, en faisant abstraction de la question palestinienne. Car la Palestine est la mère de tous les problèmes dans le monde arabo-musulman. Le jour où ce dossier sera résolu à la satisfaction des Palestiniens, et ils s'y emploient mais ne peuvent mettre un terme à l'occupation israélienne de leur territoire sans aide, alors la situation entre les États-Unis et le monde arabo-musulman prendra rapidement une meilleure tournure.

¿  +-(0920)  

    Enfin, il serait bon que le Canada s'engage de façon entière et avec succès auprès du monde musulman. Cela signifie la prise d'un engagement constructif et énergique à l'égard des Canadiens de religion musulmane. Cela signifie accepter la diversité d'opinions parmi les musulmans du Canada, reconnaître que, puisque l'islam est une religion universelle, les musulmans du Canada, qui proviennent des quatre coins du monde, apportent ici des cultures et des langues variées qui contribuent à la richesse de la mosaïque canadienne. Mais il ne faudrait pas pour autant que cette ouverture donne lieu à un changement unidirectionnel et que la tradition et l'histoire du Canada, qui placent le Canada au sein de la civilisation occidentale où les motifs dominants sont la démocratie libérale, le gouvernement constitutionnel et une politique étrangère qui, tout en protégeant les intérêts nationaux du Canada, privilégie la relation avec la Grande-Bretagne et les États-Unis, ses deux amis les plus fiables, soient diluées de quelque façon pour répondre aux exigences d'une seule composante de la famille multiculturelle canadienne.

    Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Merci, monsieur Mansur.

    Nous passons maintenant à M. Reid Morden, qui est aussi président du Bureau des gouverneurs de Trent University.

+-

    M. Reid Morden (président, «Reid Morden and Associates», À titre individuel): Merci, monsieur le président.

    Je remercie le comité de m'avoir invité. Certains d'entre vous se demandent peut-être pourquoi un témoin se présente à titre individuel, comme on me décrit ici. Je dois donc vous préciser que j'ai exercé à des moments divers les fonctions de sous-ministre des Affaires étrangères et de directeur du SCRS.

    J'ai plus ou moins structuré mes remarques de ce matin en fonction des têtes de chapitres du document du dialogue du MAECI, par souci de symétrie, à défaut d'autre chose, mais je vais me concentrer surtout sur les questions de relations, de sécurité et de terrorisme.

    Comme vous le savez tous, la politique étrangère et la diplomatie utilisée pour la mettre en oeuvre couvrent une multitude de domaines, les relations politiques, les politiques commerciales et économiques, les questions de défense, l'identité culturelle, l'immigration et j'en passe. Mais tout compte fait, c'est un outil de préservation de la souveraineté nationale du Canada, et la souveraineté, c'est quelque chose qui sert ou qui se perd. Notre problème aujourd'hui est de savoir comment nous pouvons exercer notre souveraineté avec une marge de manoeuvre réaliste. Je me souviens qu'une fois Marshall McLuhan a donné à sa classe un questionnaire qui commençait par la phrase : « Je suis aussi Canadien que », et où les étudiants devaient compléter la phrase. Le gagnant fut celui qui écrivit : « Je suis aussi Canadien que possible dans les circonstances. »

    Bien des choses dans notre vie nationale prennent naissance dans nos politiques intérieures, et c'est quelque chose qu'il ne faut jamais oublier quand on veut établir les fondements d'une politique étrangère. Les gens qui sont au Parlement doivent définir le genre de pays que nous voulons essayer de faire transparaître dans notre politique étrangère, et donc dans notre diplomatie. Ce que nous constatons depuis longtemps dans ces domaines, c'est un déclin qualitatif et quantitatif des ressources consacrées à l'aide, à la diplomatie et à la défense qui constituent le préalable à toute forme d'influence que nous souhaitons avoir dans le monde, et il est donc fondamental de définir nos intérêts indépendamment des exigences formulées par nos voisins du Sud et préalablement à ces exigences.

    Dans nos relations, nous devons tenir compte des piliers traditionnels. Mon collègue Allan Gotlieb, l'ancien sous-secrétaire d'État aux Affaires extérieures et ambassadeur pendant longtemps à Washington, dit souvent que les Américains sont nos meilleurs amis, que cela nous plaise ou non. Je pense que notre relation avec les États-Unis, qui englobe l'essentiel des aspects de notre politique aussi bien intérieure qu'étrangère, doit être au premier plan quand nous construisons, revoyons ou révisons notre politique étrangère.

    Nous avons toujours considéré que les institutions et les mécanismes de réglementation multilatéraux étaient de bonnes choses et servaient bien les intérêts du Canada, et c'est pourquoi nous sommes présents au sein de nombreuses institutions multilatérales, l'OTAN, les Nations Unies, l'Organisation mondiale du commerce, l'OCDE, et la liste est longue. Même le Commonwealth et la Francophonie, si anachroniques qu'ils soient, ont leur utilité bien que leur rôle soit souvent marginal.

    David Malone, qui dirige actuellement l'Académie internationale pour la paix à New York, nous rappelle qu'on a assisté depuis la fin de la guerre froide à une coopération sans précédent des membres permanents du Conseil de sécurité, qui ont réglé un certain nombre de problèmes de sécurité dans le monde, à trois exceptions notables près, le conflit israélo-palestinien, le Kosovo et l'Irak, qui a suscité à la fois la division et l'union au Conseil. Quand on pense à la division, il faut en effet se souvenir aussi du soutien unanime à la Résolution 1441. Je crois que si nous cherchons une cause d'inquiétude dans nos relations multilatérales, c'est plutôt vers les tensions très graves au sein de l'OTAN qu'il faut regarder, car elles risquent d'accélérer un phénomène singulier dans l'histoire de l'après-Deuxième Guerre mondiale, le retrait progressif ou massif des troupes américaines en Europe.

¿  +-(0925)  

    Indépendamment de la dynamique de l'Administration américaine, on peut dire que les questions de sécurité sont maintenant d'ordre mondial et que les dispositifs de sécurité régionaux sont dépassés. Je songe à des choses comme la prolifération des armements, les armes de destruction massive et la sécurité humaine. Vous pourriez très bien soutenir que ces problèmes exigent la mise en place de nouveaux mécanismes. Dans ce contexte, il y a la situation extrêmement dangereuse de la péninsule coréenne. Le gouvernement de la Corée du Nord est un danger public, à mon humble avis, alors que l'Accord de défense qui unit depuis 50 ans les États-Unis et la République de Corée est aussi en train d'évoluer fondamentalement, comme le montre clairement la décision de repositionner nettement au sud du 39e parallèle les 37 000 soldats américains basés dans ce pays.

    Alors, où nous inscrivons-nous dans cet ensemble de problèmes? Dans l'Amérique du Nord? Dans l'hémisphère occidental? Traditionnellement, nous nous sommes tournés vers l'Europe, notamment le Royaume-Uni et la France. Allons-nous nous tourner vers l'Asie, le chouchou de notre politique étrangère dans les années 80, et qui ne l'est peut-être plus maintenant?

    Enfin, j'aimerais tout particulièrement aborder une très importante question de politique étrangère, l'immigration et la détermination du statut de réfugié. Nous sommes un pays d'immigrants. Nous avons accueilli et protégé les victimes d'abus à l'étranger. Toutefois, force est de constater qu'un très faible pourcentage des personnes que nous accueillons dans ce pays abusent elles-mêmes de l'hospitalité du Canada. Ces personnes et l'indigence des mesures que nous prenons à leur égard sont à mon avis clairement dénoncées dans le rapport de la vérificatrice générale publié il y a quelques jours, et je ne vais pas m'étendre sur cette question. Je veux simplement dire que le laxisme apparent de notre système est beaucoup trop flagrant pour nos amis et alliés et nous vaut certaines de leurs critiques les plus acerbes.

    En matière de sécurité, l'état de nos forces armées n'est que trop évident depuis trop longtemps, je pense. Nos alliés, en particulier, mais pas exclusivement les États-Unis, nous considèrent de plus en plus comme des profiteurs des dispositifs de défense de l'OTAN et de l'Amérique du Nord. Depuis 40 ans, les révisions de la politique de défense canadienne ont toujours souligné trois objectifs, la défense du Canada, avec les États-Unis, la défense du continent, et avec les alliés, l'envoi de forces à l'étranger quand c'est nécessaire. J'ai l'impression que ces objectifs demeurent assez solides. Le problème, c'est que nos résultats sont loin d'être à la hauteur de nos buts.

    Au niveau de la défense du Canada, je pense que ce que nous voulons savoir, c'est ce qui se passe à l'intérieur ou à proximité de notre territoire et de nos eaux territoriales. Je pense que cela implique un nouvel équipement, un rôle pour l'Agence spatiale canadienne, des hydrophones dans l'archipel Arctique, des navires vraiment capables de traverser la glace et, franchement, plus de navires de patrouille côtière.

    Pour ce qui est de la défense de l'Amérique du Nord, nous siégeons à la table où se prennent les décisions concernant la défense de notre continent depuis la création du NORAD, et nous risquons de perdre cette place quand les États-Unis vont adopter une nouvelle structure de commandement uninationale pour couvrir toute l'Amérique du Nord. Nous traversons, c'est l'évidence même, une période difficile dans nos relations avec les États-Unis et la prochaine mise à l'épreuve véritablement cruciale de cette relation approche très rapidement, ce sont les décisions que prendront les États-Unis sur la question du bouclier antimissile. Or, en raison notamment des essais de missiles menés par la Corée du Nord, il est assez généralement admis qu'un bouclier antimissile quelconque sera déployé dès 2004. Étant donné la débâcle du NORAD et le degré de tension actuel de nos relations, la décision du Canada de participer ou non à ce bouclier antimissile aura à mon avis de profondes répercussions sur nos relations avec les États-Unis et sur notre capacité future d'avoir voix au chapitre dans la défense de notre continent.

    L'envoi de forces à l'étranger est probablement la question la plus complexe à mon avis, ne serait-ce que parce qu'il n'existe probablement pas de consensus chez les Canadiens sur ce qu'il faudrait faire ou sur le prix à payer. S'il y a un consensus, c'est sur la question du maintien de la paix au sujet duquel les médias ont répandu un tas d'âneries en parlant de notre dégringolade dans les statistiques sur le maintien de la paix. En réalité, d'après Drew Fagan dans le Globe and Mail, nous continuons à maintenir environ 5 000 soldats dans diverses missions de maintien de la paix, pas toujours sous les auspices des Nations Unies, mais je ne sais pas si c'est vraiment important. En fait, dans les interventions que nous avons menées sous les auspices des Nations Unies en d'innombrables endroits, nous avons souvent utilisé des dispositifs qu'on pourrait qualifier de légers et à faible impact pour empêcher les ennemis de s'entretuer. C'est une partie de notre histoire dont nous pouvons être très fiers, mais aujourd'hui la majorité des Casques bleus viennent de pays en développement, et ces troupes sont capables de faire le travail. Je suis sûr que nous n'allons pas abandonner ce terrain, et nous ne devrions probablement pas le faire, mais dans le monde actuel, ce qui va sans doute être le plus prioritaire, c'est l'imposition de la paix, c'est-à-dire un processus beaucoup plus complexe et violent, et à l'occasion le genre de combat auquel nous assistons en Irak. Il est indispensable que nous soyons en mesure de nous acquitter de ces derniers rôles pour contribuer de façon équitable à un monde raisonnablement paisible et retrouver le respect de nos alliés et l'accès à leurs conseils.

¿  +-(0930)  

    J'aimerais vous parler un peu du terrorisme et vous dire pourquoi nous ne devons pas nous laisser aller à la complaisance. M. Mansur vous a parlé de la toile de fond de l'islam et des diverses influences qui s'y manifestent, et je ne vais pas revenir là-dessus. Disons simplement que lorsque les empires d'Europe de l'Ouest qui avaient pris pied tout au long du XIXe siècle au Moyen-Orient se sont effacés, l'anti-américanisme dans cette région est devenu de plus en plus axé sur une autre cause, le soutien des États-Unis à Israël. Toutefois, le conflit israélo-palestinien n'en est qu'un parmi bien d'autres entre le monde islamique et le monde non islamique. On pourrait citer le Nigéria, le Soudan, la Bosnie, le Kosovo, la Macédoine, la Tchétchénie, le Cachemire et le Mindanao, mais c'est évidemment le conflit israélo-palestinien qui polarise l'attention. Si al-Qaeda réussit à convaincre le monde islamique d'accepter sa vision et son leadership, nous pouvons nous attendre à un conflit très dur et très long, et pas seulement pour les États-Unis. À mon avis, les événements qui se déroulent en Irak font directement le jeu de ces extrémistes.

    Ici, au Canada, il y a un an environ, le Toronto Star a publié un très long article sur ce qui se passait dans plus de 50 mosquées de la région du Grand Toronto, article qui aboutissait à la conclusion peu rassurante que, bien que la grande majorité de ces mosquées véhiculent un message de modération et d'inclusion, une très solide minorité prêchent un message beaucoup plus radical et plus violent. Il n'y a rien d'étonnant à cela. Le terrorisme et la violence qui l'accompagne ne sont pas une nouveauté au Canada. Nous avons vu les extrémistes arméniens à l'oeuvre quand un attaché militaire turc et un garde de sécurité de l'ambassade ont été abattus ici à Ottawa. Des partisans de l'IRA provisoire ont fait passer clandestinement au Canada des détonateurs qui ont été utilisés pour les attentats aveugles qui ont déchiré l'Irlande du Nord pendant des années. Et évidemment, nous nous souvenons tous de la mort de 300 passagers canadiens d'Air India victimes d'un attentat terroriste fomenté au Canada.

    Les statistiques nous répètent inlassablement que 40 p. 100 de notre PNB vient des exportations dont plus de 85 p. 100 passent par les États-Unis. Le commerce est la clé de notre prospérité et de notre niveau de vie. Nous avons été l'une des plus actives, des plus prospères et des plus respectées parmi les nations qui ont mis sur pied un système international de gestion des échanges commerciaux reposant sur des règles. Depuis plus de 30 ans, nous sommes aussi entraînés de plus en plus dans un mouvement d'intégration de l'économie nord-américaine. Cette économie ayant commencé à englober le Mexique, nous avons aussi commencé à nous intéresser sérieusement aux nouveaux marchés et aux marchés en évolution de cet hémisphère. Nos intérêts commerciaux sont donc présents aux trois paliers fondamentaux de la prise de décisions sur notre politique étrangère, sur le plan bilatéral avec les États-Unis, sur le plan régional avec l'ALENA et éventuellement l'Accord de libre-échange des Amériques, et sur le plan mondial et multilatéral par le biais de l'Organisation mondiale du commerce. Il y aurait énormément de choses à dire sur ce sujet, mais je pense qu'à cet égard le document du MAECI expose fort bien les conditions, l'évolution et les défis auxquels nous allons être confrontés au cours des années qui viennent, et je me contenterai de vous recommander une lecture attentive de cette partie du document.

    Je crois que les valeurs et la culture sont le point faible du document du MAECI. Tout d'abord, je ne comprends pas la juxtaposition des valeurs et de la culture. J'ai l'impression que les valeurs sont quelque chose dont devrait être imprégnée chaque parcelle de nos politiques. La culture, c'est un attribut de notre canadianité. Mais je n'en dis pas plus.

    La gestion de notre relation avec les États-Unis est une constante. Nous devons être les meilleurs et les plus brillants non seulement au gouvernement, mais dans tous les autres secteurs impliqués dans ce qui est, ce qui sera et ce qui a été une tâche constante 24 heures sur 24, 365 jours par an. C'est pourquoi l'initiative sur les frontières d'un institut comme l'Institut C.D. Howe et, plus récemment encore, l'initiative pour la sécurité et la prospérité du Canadian Council of Chief Executives sont importantes. On n'est pas obligé d'être d'accord avec ce qu'ils disent, mais ils ont ouvert la porte à un débat raisonné—et j'insiste bien sur le mot raisonné—sur ce sujet vital dont le besoin se faisait gravement sentir.

    Je pense aussi qu'il serait temps de revoir sérieusement le postulat selon lequel nous avons des intérêts mondiaux plutôt que régionaux. L'Australie a une politique étrangère régionale. Est-ce que nous voulons être comme l'Australie? Avons-nous les ressources et la volonté nécessaire pour maintenir une présence à l'échelle mondiale? Les Européens ne s'occupent pas beaucoup de nous, ils ont leurs propres préoccupations et, franchement, nous avons mis une sourdine sur l'Asie depuis qu'elle traverse quelques tempêtes. Notre place est-elle dans cet hémisphère? Peut-être. Dans l'affirmative, il y a énormément à faire pour encourager le développement économique de la région et garder le contact avec le renouvellement politique qui, au dire de certains, va dans le bon sens. En outre, il y a le libre-échange dans cet hémisphère, qui est à mon avis souhaitable, mais qui réclame beaucoup de travail.

¿  +-(0935)  

    Pour ce qui est de notre politique en matière de sécurité, nous sommes présents dans plusieurs alliances, l'OTAN et le NORAD, et nous allons probablement y rester. Ces institutions vont-elles survivre? Nous l'ignorons. Il serait donc bon de nous demander si nous ne devrions pas jouer un rôle de pionnier dans la construction de nouvelles institutions.

    Il est vain de faire de beaux discours si l'on n'est pas prêt à mettre la main à la poche pour les réaliser. Les diplomates et autres ont beau projeter l'image d'une société pleine de dynamisme et de créativité, je ne pense pas que cela apporte grand-chose aux Canadiens si l'on fait tout avec un budget de misère et parfois en retard.

    Enfin, vous pouvez revoir et réécrire notre politique étrangère dans la mesure de notre marge de manoeuvre, mais nous ne retrouverons pas le respect que nous nous étions gagné dans nos relations internationales sans un engagement, une détermination à maintenir le cap et surtout, un leadership, et par là j'entends le leadership politique.

    Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Merci, monsieur Morden.

    Nous allons maintenant passer à M. Andrew Mack. M. Mack est arrivé à l'Université de Colombie-Britannique en janvier 2002, en tant que directeur du Centre canadien en sécurité humaine, après avoir passé une année à Harvard. Jusqu'à janvier 2001, il avait été directeur de la Planification stratégique du bureau du secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan.

    Bienvenue, monsieur Mack.

+-

    M. Andrew Mack (directeur, «Human Security Centre», Université de la Colombie-Britannique): Merci beaucoup, monsieur le président. C'est pour moi un plaisir et un privilège d'être ici.

    Je ne suis pas trop sûr de moi. Comme vous l'avez dit, je ne suis au Canada que depuis un peu plus d'un an. Je ne connais pas parfaitement sa politique étrangère, mais quand j'étais aux Nations Unies, je m'occupais essentiellement de questions de sécurité humaine que le Canada a beaucoup contribué à promouvoir.

    Nous avons examiné avec beaucoup d'intérêt le dialogue sur la politique étrangère dans lequel, entre autres, le ministre des Affaires étrangères, M. Graham, a dit que la politique étrangère multilatéraliste et axée sur la sécurité humaine que mène traditionnellement le Canada était plus que jamais pertinente depuis le 11 septembre. Nos recherches à l'Université de la Colombie-Britannique confirment tout à fait l'affirmation du ministre, même si certaines initiatives en matière de sécurité humaine, par exemple l'interdiction de mines antipersonnel et le soutien à la Cour pénale internationale, irritent parfois le principal allié du Canada, au sud de la frontière. Nous l'affirmons parce que les faits montrent très clairement que les politiques axées sur la sécurité humaine que mènent le Canada et les pays à la même orientation, la consolidation de la paix, la reconstruction après les conflits, le soutien à la démocratisation, au bon gouvernement, à la réforme de la sécurité et aux mécanismes transitoires de justice, font vraiment la différence.

    En dépit du Rwanda—et je crois que c'est quelque chose dont beaucoup de gens ne sont pas conscients—en dépit de la Somalie, du Sierra Leone, du Kosovo, de l'Afghanistan et maintenant de l'Irak, le nombre de conflits armés dans le monde a diminué de plus d'un quart depuis 1992, alors que leur coût total, mesuré en vies humaines ou en termes financiers, a diminué bien plus encore. On constate aussi un déclin encore plus remarquable du nombre de dictatures dans le monde. Depuis 1988, le nombre de régimes autoritaires a diminué de plus de 50 p. 100. C'est un chiffre extraordinaire. C'est important pour la sécurité mondiale, car les démocraties ne se font presque jamais la guerre et ont des niveaux de violence interne très inférieurs à ceux des États autoritaires. Presque tous ces régimes autoritaires, bien souvent aussi épouvantables sinon pires que celui de Saddam, ont succombé non pas aux sanctions ou aux interventions extérieures mais à ce que l'on pourrait appeler, faute d'une meilleure expression, le pouvoir du peuple. La réalité, c'est que les régimes autoritaires finissent par s'effondrer parce qu'au fur et à mesure qu'elles deviennent plus développées, plus complexes et plus interdépendantes, les sociétés deviennent aussi de plus en plus difficiles à gouverner par la simple force brute.

    Le programme de sécurité du MAECI a été axé sur la prévention des guerres et des armes qui font le plus de victimes aujourd'hui. Les guerres d'aujourd'hui se déroulent presqu'exclusivement à l'intérieur des États, même si elles débordent souvent sur les voisins, et elles se déroulent surtout dans des pays très pauvres. Les conflits armés les plus rebelles dans le monde d'aujourd'hui, en Afghanistan jusqu'à récemment, en Somalie, au Soudan, au Libéria, en République démocratique du Congo, au Sierra Leone, ont aussi entraîné la création d'États en situation d'échec, d'États de non-droit, de havres anarchiques pour les syndicats criminels de la drogue, les trafiquants humains et les terroristes. Dans le rapport sur la stratégie américaine en matière de sécurité nationale, le président Bush déclarait : « L'Amérique est maintenant menacée moins par des États conquérants que par des États en déchéance ». Et ce qui est vrai des États-Unis l'est aussi du Canada.

    Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'insister sur le fait qu'on ne ressuscite pas des États en situation d'échec par des sanctions économiques ou par la guerre. Ces guerres produisent la majorité des réfugiés du monde et tuent en moyenne de 300 000 à 500 000 personnes par an. Ce sont surtout des civils qui sont les victimes. En revanche, le terrorisme international tue moins de 1 000 personnes par an en moyenne. Donc, si ce qui compte pour nous, c'est le nombre de morts dans le monde, nous devrions faire au moins autant, sinon plus d'efforts pour enrayer les guerres civiles que pour enrayer le terrorisme international.

    La communauté internationale peut-elle vraiment revendiquer le mérite du déclin des conflits armés et des dictatures dans le monde? La réponse est oui, mais nous pourrions aussi faire beaucoup mieux. La raison majeure du recul des dictatures et des conflits armés, c'est la fin de la guerre froide. Elle a entraîné deux choses fondamentales. Premièrement, elle a mis fin à l'aide apportée de part et d'autre à des pays servant à mener des guerres par procuration dans le tiers monde et à des régimes autoritaires de gauche ou de droite dans le tiers monde. Deuxièmement, et c'est quelque chose qu'on comprend peut-être moins bien, elle a donné à l'ONU une liberté qui lui a permis de jouer un rôle d'une importance sans précédent à la fois en arrêtant des guerres—l'imposition de la paix dans le vocabulaire des Nations Unies—et en organisant la reconstruction après les conflits.

¿  +-(0940)  

    Si vous regardez les années 90, vous constatez qu'elles ont été une décennie d'activité extraordinaire de la part des Nations Unies, avec des missions de diplomatie préventive et des opérations de paix de tous genres. Plusieurs de ces opérations de paix, comme nous le savons, ont été handicapées par des mandats inappropriés et souvent par un sous-financement criant. Pourtant, les missions diplomatiques et les opérations de paix ont vraiment fait la différence. Des guerres qui auraient pu éclater ont été évitées. On a sauvé des pays au bord du gouffre qui allaient replonger dans la guerre. Naturellement, le Canada a joué un rôle critique dans beaucoup de ces missions.

    Permettez-moi de faire une petite digression pour vous parler un peu du programme du MAECI sur la sécurité humaine, qui jusqu'à tout récemment était menacé d'élimination par ses opposants, aussi bien fonctionnaires que politiciens. Ce programme relativement modeste de 10 millions de dollars par an a permis de financer des projets aussi décisifs que le processus de Kimberley sur les diamants du sang, l'enquête décisive sur les petites armes, qui permet de suivre les efforts pour enrayer la vente des armes qui tuent le plus dans la plupart des guerres, et la Commission internationale sur l'intervention et la souveraineté des États, qui a rédigé les principes directeurs des interventions militaires pour prévenir les génocides et autres violations flagrantes des droits de l'homme. Ce programme a aussi permis de financer la campagne d'aide à la création de la Cour pénale internationale et de lancer des initiatives aux Nations Unies et ailleurs pour protéger des civils, notamment les enfants en cas de conflit armé. Certaines de ces initiatives, comme je l'ai dit, notamment à propos des mines antipersonnel et de la CPI, ont irrité les États-Unis, ce qui est évidemment l'une des explications de l'hostilité des critiques du programme, tant au gouvernement que dans l'administration.

    Le MAECI a aussi apporté, avec le gouvernement suisse, le gouvernement britannique et le gouvernement norvégien, une aide importante à la réalisation du rapport de l'Université de la Colombie-Britannique sur la sécurité humaine. J'ai déposé dans le fond de la salle quelques brochures qui expliquent cette étude au moyen de quelques graphiques illustrant les remarques que je vais faire dans un instant. La raison pour laquelle nous avons réalisé ce rapport, dont la genèse remonte à l'époque où je travaillais aux Nations Unies, c'est, comme je le disais déjà tout à l'heure, qu'en dépit des progrès réels accomplis depuis 10 ans dans le domaine de la sécurité mondiale, nous pouvons faire encore beaucoup mieux.

    Les législateurs que vous êtes reconnaissent certainement qu'une politique, pour être efficace, doit reposer sur une analyse solide, et que pour faire une analyse solide, il faut avoir des données exactes et fiables. Or, si la communauté internationale dispose de données excellentes, ou tout au moins officielles si elles ne sont pas excellentes, sur la santé, l'éducation et le développement économique, il n'existe pas de statistiques officielles sur les conflits armés en cours, et les États membres des Nations Unies, particulièrement au G-77, n'aiment pas qu'on parle de ces questions. Quand j'étais directeur de la Planification stratégique auprès de Kofi Annan, j'ai été sidéré de constater que la plupart de mes collègues des Nations Unies ignoraient totalement que les conflits armés avaient diminué au cours des années 90 et étaient très peu conscients de l'ampleur du recul des régimes autoritaires dans le monde, tout simplement parce qu'il n'y avait pas de sources d'information disponibles sur ce genre de sujet. Je me suis donc dit, quand j'étais aux Nations Unies, que ce dont la communauté internationale avait besoin, c'était l'équivalent du Rapport mondial sur le développement humain des Nations Unies, mais dans le domaine de la sécurité humaine. Ce rapport permettrait d'établir la carte de la violence à travers le monde, d'en répertorier l'intensité, l'incidence, les conséquences et les causes, et d'énoncer les réactions stratégiques à cette violence.

    Aujourd'hui, on trouve dans la communauté internationale, qu'il s'agisse des Nations Unies, du G-8, de la Banque mondiale, du CAD de l'OCDE ou des pays donateurs comme le Canada, un vaste consensus sur la nécessité d'intervenir pour étouffer les conflits dans l'oeuf. « Mieux vaut prévenir que guérir », c'est devenu le mantra universel. Pourtant, ce qui est incroyable, c'est qu'il n'y a pratiquement pas de consensus dans ces institutions sur la nature des causes des conflits armés. Autrement dit, quand les gouvernements essaient d'élaborer des stratégies de prévention, ils ressemblent un peu à des médecins qui prescriraient un traitement sans avoir un diagnostic. C'est très inquiétant. L'information est là, dans les instituts de recherche du monde entier, mais comme plusieurs d'entre vous le savent, les universitaires ne sont pas très doués et sont même parfois complètement nuls en matière de communication, et c'est particulièrement le cas des économétriciens dont le travail, pourtant extrêmement important et intéressant, est presque totalement incompréhensible pour les responsables stratégiques. Nous avons donc décidé de réaliser ce rapport sur la sécurité humaine pour présenter ces informations dans un format accessible aux décideurs politiques, aux législateurs, aux médias, aux éducateurs, car la plupart des universitaires et des spécialistes des sciences politiques ne comprennent pas l'économétrie alors qu'il y a là une source d'information extrêmement importante.

¿  +-(0945)  

    Voici quelques exemples du genre d'information que nous allons publier. Premièrement, sur la relation entre les conflits armés et le développement économique, il est stupéfiant de constater que quand le PIB progresse de 250 $ à 600 $ par habitant, un pays très pauvre devient un pays nettement moins pauvre et le risque de violence, le risque de déclenchement d'une guerre civile dans les cinq années suivantes diminue de moitié. Quand on passe de 600 $ à 1 200 $, le risque diminue encore de moitié. Quand on arrive à 5 000 $, le risque est devenu 32 fois moindre. La conclusion logique, c'est que le développement est la meilleure forme de prévention des conflits, mais nous savons que les deux sont intimement liés. Il n'y a pas de développement sans sécurité ni de sécurité sans développement.

    Mon deuxième argument est aussi relativement simple. L'un des graphiques de notre brochure montre le rapport extraordinaire entre le nombre de cas de malaria et le nombre de réfugiés dans le monde. Les réfugiés sont le principal vecteur de la malaria. Pourquoi y a-t-il des réfugiés? À cause de la guerre. Nous avons ici un cas typique où les deux problèmes sont liés intimement, mais compte tenu de la façon dont sont structurées les administrations et les universités, les gens qui s'occupent de la malaria ne s'occupent pas de la guerre et les gens qui s'occupent de la guerre ne s'occupent pas de la malaria. L'Organisation mondiale de la santé, la Gates Foundation, et toutes ces institutions qui s'occupent de la malaria ne s'intéressent pas au lien entre cette maladie et la guerre. De leur côté, les responsables de la sécurité ne sont pas conscients du rapport entre la guerre et le paludisme.

    Que faire face à cette situation? Il faut intensifier la collaboration et la communication entre ces piliers verticaux—ces vases clos comme on les appelle aux Nations Unies—les bureaucraties et le monde universitaire, car les universitaires ne se parlent pas non plus. Je crois que tout tend à prouver que le programme mené par le gouvernement pour la sécurité humaine est extrêmement important, mais le problème fondamental au Canada, aux Nations Unies et à la Banque mondiale vient de l'absence de cette communication absolument indispensable entre les responsables du développement et de la sécurité. La collaboration entre le MAECI, l'ACDI et le ministère de la Défense laisse à désirer dans ces domaines.

    Je pense que je vais m'arrêter ici. Je remercie infiniment le comité de m'avoir permis de faire ces remarques.

+-

    Le président: Merci, monsieur Mack.

    Nous allons maintenant passer aux questions et réponses, avec des tours de cinq minutes.

    Monsieur Day.

¿  +-(0950)  

+-

    M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président et merci à nos trois témoins.

    Monsieur Mansur, vous avez parlé de l'évolution des problèmes liés au fondamentalisme et aux musulmans au XXe siècle. Je ne partage pas nécessairement l'avis de Huntington à propos du choc des civilisations. Je crois plutôt qu'il y a un conflit au sein de la communauté musulmane, de l'Islam dans le monde entier, qui doit être résolu au sein de la majorité qui croit à la paix et d'un segment étroit de la population. Pouvez-vous nous parler un peu plus de ce segment étroit? Dans les travaux de recherche que j'ai vus, en fait, cette situation ne s'est pas développée au XXe siècle, mais a pris naissance au moment où le prophète et homme d'église autoproclamé al-Wahab au XVIIIe siècle a annoncé sa vision d'un islam pur et s'est révolté contre le califat Ottoman de l'époque, pour former ensuite une confédération grossière au début du XIXe siècle axée sur le mariage, la politique pure, avec un certain seigneur de guerre qui faisait appliquer la règle d'un certain Mohamad ibn Saud, les Saud ayant ensuite établi des relations avec les Britanniques, bien sûr, arrivant en Arabie saoudite. Ce courant étroit est l'élément toxique qui est tellement violent qu'il effraie les autres membres de la communauté musulmane, et c'est à cause de lui que les imams ont peur, même à l'échelle internationale, de s'opposer à ceux qui le défendent. C'est une question.

    Au sujet des réfugiés, vous pourriez sûrement tous m'aider à répondre à la question que je me pose depuis un certain temps. Il est clair que la question israélo-palestinienne doit être réglée. Pour nous, il faut arriver à une entente négociée pacifiquement qui permette un jour à la population arabe palestinienne de vivre en paix sur son territoire et aux Israéliens de vivre aussi sans être menacés. Lorsqu'on parle de réfugiés, la situation est unique en son genre. Si l'on étudie l'évolution historique, quel qu'ait été le conflit, tant qu'il n'a pas été résolu, les pays avoisinants ont toujours eu la possibilité d'absorber les réfugiés en fuite ou désireux de quitter leur pays. La population de 5 millions de juifs en Israël a absorbé presque 900 000 réfugiés venus du monde entier, mais la population arabe d'un quart de milliard qui l' entoure se montre réticente ou opposée à l'idée d'absorber ces réfugiés arabes palestiniens qui sont dans le plus grand besoin. Même le Canada absorbait rapidement et aidait les réfugiés roumains à l'époque de Ceausescu. En Chine, aujourd'hui encore, nous tendons la main, que ce soit en adoptant des enfants ou autrement. Y a-t-il une raison particulière à laquelle vous pouvez attribuer ce refus apparent d'aider les réfugiés palestiniens, tout au moins tant que cette situation n'est pas réglée?

    Enfin, pour M. Mack ou d'autres, le moment n'est-il pas venu d'examiner cette vision adoptée par les Libéraux au Canada du multilatéralisme aux Nations Unies, c'est-à-dire que l'on ne fait rien tant qu'il n'y a pas l'unanimité absolue? C'est une façon unique d'approcher la gouvernance. En fait, cela n'existe pas dans notre pays. Le régime libéral n'attend pas d'avoir un consensus complet des partis minoritaires, et c'est normal, il est là pour gouverner. Le gouvernement nous consulte de temps à autre et nous écoute parfois, et ensuite, il agit. Où allons-nous chercher cette idée que l'on ne peut rien faire aux Nations Unies parce que l'on n'a pas l'unanimité totale?

    Avant d'entendre vos commentaires sur ce sujet, je dirais, monsieur Mack, que le déclin des dictatures après la fin de la guerre froide est le fruit de la position prise par Ronald Reagan à l'époque, qui a rendu la situation intenable pour les communistes soviétiques. Ils se sont effondrés et il y a eu ensuite un effondrement correspondant des dictatures. Cela n'avait absolument rien à voir avec les Nations Unies. Depuis 1991, c'est la coalition menée par les États-Unis au Koweït qui a fait comprendre aux envahisseurs potentiels quel serait leur sort. En fait, un autre message a maintenant été envoyé 10 ou 12 ans plus tard, qui est accueilli avec joie par le peuple iraquien. J'aimerais avoir vos commentaires sur cet aspect de ce déclin particulier, et peut-être sur une nouvelle définition du « pouvoir doux », que l'on définit comme la terrible concentration d'une puissance qui s'exerce de façon chirurgicale, dure envers les dictateurs dangereux, mais douces pour les populations civiles? En fait, les Nations Unies, qui ont un rôle véritable à jouer dans le monde—j'espère qu'il ne va pas perdre de sa pertinence—ne peuvent pas, c'est normal, être vues comme responsables de ce déclin des dictatures et des guerres que nous avons observé.

¿  +-(0955)  

+-

    Le président: Monsieur Day, vous avez utilisé vos cinq minutes, et même un peu plus. C'est difficile pour le président, parce que vous avez posé de bonnes questions. Je vais vous donner à chacun une minute pour essayer de répondre à l'une des questions, mais pas à toutes, parce que nous serons là jusqu'à 11 heures, uniquement pour M. Day.

    Monsieur Mack d'abord.

+-

    M. Andrew Mack: Au sujet du multilatéralisme, si l'on repense au Kosovo, le Canada a décidé d'agir en dehors des Nations Unies. Ici, il n'a pas fait le même choix. Je ne pense donc pas que l'on puisse en déduire une règle générale sur ce point.

    S'agissant de l'autre sujet, le commentaire très intéressant que vous avez fait sur le déclin des dictatures, je suis de votre avis. Je pense que la première raison du déclin des dictatures est la fin de la guerre froide, comme je l'ai dit. Cependant, je pense que le processus a été soutenu et encouragé par les Nations Unies, pas seulement par les Nations Unies agissant seules, naturellement, puisque d'autres ont soutenu les pays en transition. Les pays en transition, passant de la dictature à la démocratie ou allant dans l'autre sens, sont ceux qui sont le plus portés à la violence. La Corée du Nord n'a pas beaucoup de guerres intérieures, non plus que la Suède, ce sont les pays de transition qui sont au milieu. C'est là que la communauté internationale, que ce soit dans le cadre des Nations Unies,de l'OCDE, de la Banque mondiale ou autre, peuvent vraiment faire une différence. Pour être tout à fait franc, les Nations Unies n'ont pas les ressources voulues pour faire la différence. Comparée à la Banque mondiale, l'Organisation des Nations Unies n'est qu'un acteur relativement sans importance. Politiquement, elle est importante, mais économiquement ce n'est pas le cas.

+-

    Le président: Monsieur Mansur.

+-

    M. Salim Mansur: Je suis tout à fait de votre avis. Il ne s'agit pas d'un affrontement entre civilisations, c'est en fait un problème interne que le monde musulman doit parvenir à résoudre. C'est un problème entre musulmans. Comme j'essayais de l'expliquer au comité, c'est un problème d'origine récente. Vous avez suivi une ligne de pensée, une évolution qui remonte au XVIIIe siècle. Ce problème-là a été réglé par l'Empire Ottoman. Le mouvement Wahabi était une telle aberration et un problème tellement mineur qu'il n'aurait joué aucun rôle s'il n'y avait eu la situation du XXe siècle, avec la montée de la dynastie du pétrole, le Royaume d'Arabie saoudite, dans laquelle nous, pays d'Occident, sommes aussi complices. Je voudrais vous renvoyer à un essai brillant qui se trouve dans le numéro actuel de Atlantic Monthly qui explique de façon très approfondie de quelle façon en Occident, les États-Unis, avec nous à quelques pas derrière, ont contribué à l'incubation de ce dont je parlais, le fondamentalisme musulman, qui est une variante du fascisme.

    Le problème est que le monde musulman se trouve presque uniquement dans ce qui était à une époque le Tiers monde et qui est peut-être maintenant le quart monde et le cinquième monde. Beaucoup de sociétés du monde musulman sont des sociétés en panne ou qui ont échoué. Contrairement à l'Empire Ottoman du XVIIe et du XVIIIe siècle confronté à une aberration mineure, les sociétés musulmanes d'aujourd'hui sont incapables de régler ces problèmes. Et c'est pourquoi je trouve tellement intéressant qu'un pays comme le mien, le Canada, ait été si réticent à affronter le problème et à confronter la réalité et la responsabilité. Ces situations ne restent pas limitées en marge de zones d'ombre du monde, elles ont tendance à grandir et à s'élargir. C'est ce que nous avons vu avec ce que j'ai appelé une variante du fascisme.

    Nous pouvons continuer à parler en détail. Comme le dirait le professeur Mack, les universitaires essaient de faire comprendre tout cela d'une façon particulière, mais nous partons souvent sur une tangente. Mais il faut comprendre que les toutes premières victimes ont été nous les musulmans mêmes, depuis l'Algérie jusqu'à l'Afghanistan.

+-

    Le président: Monsieur Morden.

+-

    M. Reid Morden: J'aimerais parler une seconde du rôle que les institutions multilatérales devraient jouer dans la façon dont nous définissons notre propre politique étrangère. J'en reviens à ce que je disais au début de mes remarques. Nous voulons un instrument pour exercer notre souveraineté. Ce ne doit pas être le but suprême de toute notre politique étrangère, j'en suis convaincu. À l'exception de cas comme le Kosovo, où il semblait que ce soit la chose à faire, nous avons voulu renforcer des institutions comme les Nations Unies dans le domaine de la sécurité. Cela remonte à la guerre de Corée. C'est lié à l'une des choses dont nous pouvons être immensément fiers, le règlement du problème de Suez à l'origine en 1956.

    M. Mack a beaucoup parlé du rôle qui a été joué dans la période de l'après-guerre, mais je pense que nous ne devons pas oublier que les Nations Unies vont beaucoup plus loin que le simple domaine de la sécurité. C'est à ce rôle central que les gens pensaient lorsque les Nations Unies ont été créées juste après la dernière Guerre mondiale, mais l'Organisation a fait beaucoup d'autres choses, qui ont été, d'après moi, dans l'intérêt de pays comme le nôtre qui n'ont pas nécessairement la capacité de restreindre seuls d'autres pays qui sont peut-être plus prédateurs et certainement plus puissants que nous. Nous aimons avoir un système basé sur des règles, et c'est cela que nous donne les Nations Unies. Le Canada a défini ce qui reste la norme internationale en matière de droit de la mer. Nous avons été à l'origine de la création de la Cour pénale internationale. Nous avons traité de questions très diverses comme les sociétés transnationales et d'autres choses liées au commerce et au développement.

    C'est donc un instrument, et c'est l'outil le plus universel que nous ayons pour l'instant. Devrait-il évoluer? Devrait-il changer pour répondre aux exigences? Bien sûr. Est-il dysfonctionnel? Certainement, de temps à autre. Pendant 40 ans, le Conseil de sécurité, avouons-le, n'a pas fonctionné très bien. C'est pourquoi il a fallu aller jusqu'à l'Assemblée générale pour arriver à obtenir une unité sur la résolution de paix dans la guerre de Corée. Néanmoins, d'une certaine façon, je suis d'accord avec vous. On n'a jamais considéré, je crois, que les Nations Unies devraient avoir un droit de veto sur les décisions que notre pays peut prendre en matière de politique étrangère. Si nous décidons de travailler en relation avec les Nations Unies, de temps à autre, très bien; à d'autres moments, les circonstances peuvent nous obliger à agir autrement.

À  +-(1000)  

+-

    Le président: Merci.

    Avant de passer à Mme Lalonde, je dois suspendre la réunion deux minutes parce que nous avons des difficultés avec le système de micros. Merci.

À  +-(1001)  


À  +-(1007)  

À  +-(1010)  

+-

    Le président: Très bien. Nous allons reprendre.

    Madame Lalonde.

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je vous remercie de vos trois interventions, qui ont été extrêmement intéressantes.

    Ma question en sous-tend beaucoup d'autres, mais je vais essayer de la résumer puisque le temps nous est compté.

    En Afghanistan, il y a eu une victoire militaire assez rapide. Cependant, la reconstruction est décevante à tous égards.

    Nous, membres du Comité permanent des affaires étrangères, avons eu le bonheur de déjeuner, il y a quelques mois, avec un membre de l'équipe du International Crisis Group qui revenait de là et qui a dit qu'il n'y avait de la sécurité que dans Kaboul, et encore pas partout, et qu'il y avait des quartiers où les policiers et les soldats violaient et volaient. Dans le reste de l'Afghanistan, tout dépend des war lords, c'est-à-dire ceux qui étaient là avant la venue des talibans, qui ont été bien accueillis par la population parce que ces war lords avaient laissé de bien mauvais souvenirs.

    Tous les objectifs de démocratie et même, au minimum, de respect des libertés et des droits de l'homme et de justice sont extrêmement difficiles à atteindre. Pour couronner le tout, le juge en chef de la Cour suprême est un ancien imam de tendance wahhabite qui s'est entouré de juges du même acabit. Ce sont eux qui sont chargés d'instaurer un système de justice dans tout l'Afghanistan.

    L'intégrisme pourrait être défait, mais son influence m'apparaît grandissante. J'aimerais vous entendre sur tout cela. Quelles sont les causes de cet accroissement de l'intégrisme islamique, y compris en Palestine? Merci.

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur Mansur.

+-

    M. Salim Mansur: Monsieur le président, combien de temps me donnez-vous? Je pourrais écrire un livre sur ce sujet. Le problème, c'est que l'Afghanistan a été une partie du monde que nous appelions un État tampon, lors du grand jeu. Cette société ne va pas changer suivant les attentes que nous avons dans l'Ouest, en quelques mois ou en quelques années, pour devenir une démocratie de style Jefferson. Nous devons savoir attendre patiemment, étant donné la façon dont l'histoire évolue. Je n'ai pas d'illusion, je suis certain qu'il faudra du temps et de la détermination. La question est de savoir si nous avons ce temps et cette détermination.

    Mais le problème est encore plus vaste. En effet, le pays voisin de l'Afghanistan, le Pakistan, avec une population de plus de 150 millions de personnes, a une société qui est devenue totalement talibanisée, et cette société talibanisée, qui est née de l'interaction avec l'Afghanistan pendant une période de 20 à 25 ans dans une guerre contre l'Union soviétique et ensuite au cours d'une guerre intérieure, alimente maintenant le processus. Allons-nous être prêts à élargir la discussion et à parler du Pakistan? Sommes-nous prêts à parler des différentes façons dont ce processus a incubé et a étendu ses tentacules? Sommes-nous prêts à discuter des dangers d'une situation où une société talibanisée comme le Pakistan est maintenant vue comme un État de première ligne des États-Unis pour s'attaquer au problème du fondamentalisme, alors que le pays lui-même est l'incubateur du fondamentalisme? Et c'est maintenant un pays qui a l'arme nucléaire, qui va tourner son attention vers le Cachemire, comme il l'a déjà fait, pour provoquer, peut-être, une guerre régionale qui pourrait avoir des conséquences absolument catastrophiques.

    Ce sont des questions extrêmement difficiles, et je ne sais pas si nous avons le temps d'en discuter ici. Je dirais qu'il faut vraiment se concentrer sur ce problème, y réfléchir de façon détaillée, s'écarter de la discussion partisane, et examiner la question non pas avec les oeillères de la rectitude politique, mais bien à la lumière de la réalité. Comme l'a dit M. Day, c'est un problème au sein du monde musulman. Je fais toujours la distinction entre islam et musulman. L'islam c'est la foi, une foi transcendante qui est à part. C'est ce que les musulmans ont fait. C'est l'effondrement des musulmans alors qu'ils essayaient de régler les problèmes complexes de modernité et de civilisation. Rien n'empêche les musulmans d'être modernes, mais pour réussir à comprendre l'origine de ce problème, nous devons creuser plus profondément dans les cultures. Sommes-nous préparés à le faire? Sommes-nous préparés à analyser le problème en profondeur pour voir que cet effondrement interne qui s'est étalé sur plusieurs décennies—c'est pourquoi je parlais du milieu du XXe siècle—a abouti à une politique de ressentiment, de déni et de grief?

À  +-(1015)  

+-

    Le président: Monsieur Mack.

+-

    M. Andrew Mack: Il est absolument certain, comme je le sais pour avoir travaillé aux Nations Unies et avec beaucoup de gens là-bas, qu'il y a un véritable engagement en ce qui concerne la reconstruction en Afghanistan, mais cet engagement n'est pas partagé au même degré par les États-Unis. La raison en est relativement simple. Les États-Unis avaient deux objectifs essentiels. L'un, se débarrasser des Talibans, l'autre, se débarrasser d'al-Qaeda. L'intérêt pour la reconstruction de l'Afghanistan n'est pas le même, d'après moi, que ce que l'on verra dans le cas de l'Irak, dans la mesure où l'équipe Bush pense qu'il faut diminuer la dépendance de l'Amérique par rapport à l'Arabie saoudite, et qu'un Irak reconstruit est un élément fondamental dans cette vision. C'est pourquoi je pense qu'il y aura davantage de ressources envoyées en Irak et que la reconstruction sera prise plus au sérieux là-bas qu'en Afghanistan, et en outre, la tâche sera beaucoup plus facile.

+-

    Le président: Monsieur Morden.

+-

    M. Reid Morden: Il me semble que la décision du gouvernement, quelles qu'aient été ses motivations, de redéployer un nombre assez important de soldats canadiens en Afghanistan, constitue un engagement certain pour essayer de maintenir la sécurité dans certaines régions d'Afghanistan pendant que l'on essaie de reconstruire une société. Comme vous le soulignez, il est vrai que l'on tient à remettre sur pied le droit fondamental. C'est un processus long. Il faut avoir les compétences et la détermination voulues pour s'y tenir, parce que les résultats n'apparaîtront pas avant une génération ou plus.

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons maintenant passer à M. Calder, qui va partager son temps avec M. Harvey.

+-

    M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

    La philosophie des États-Unis, c'est la vie, la liberté, et la recherche du bonheur; celle du Canada c'est le commerce, la stabilité et la bonne gouvernance. L'un est attirante, l'autre très pragmatique. Quand nous regardons au sud de la frontière, nous analysons, quand les Américains regardent vers le nord, ils voient un miroir qui les reflète, et chaque fois que nous faisons quelque chose qui va à l'encontre de cette idée, ils sont interloqués. Ils n'étaient pas assez forts pour mettre en oeuvre les 14 points de Wilson après la Première Guerre mondiale, mais après 1945, ce n'était plus le cas, et ils ont reconstruit l'Europe et le Japon en s'appuyant sur l'industrie américaine, et ils ont gagné énormément d'argent. Ils voient maintenant émerger une nouvelle économie en Chine, et je pense que ceci les inquiète beaucoup.

    Monsieur Mansur, comment le monde musulman va-t-il percevoir le maintien de la présence américaine en Irak?

    Monsieur Morden, comment le Canada peut-il exercer une influence sur les États-Unis lorsque nous pensons qu'ils agissent d'une façon qui peut nuire à nos intérêts, et peut-être même aux leurs?

    Monsieur Mack, comment le Canada peut-il pousser vers une réforme de l'ONU qui pourrait en faire une organisation plus crédible, surtout dans le climat actuel, où elle est contournée et décriée? Je pense que le cas du Conseil de sécurité à propos du Rwanda est un bon exemple.

À  +-(1020)  

+-

    M. Salim Mansur: On dit que le succès a mille pères. Si l'Irak se révèle une entreprise réussie pour les Américains, s'ils peuvent le faire redémarrer et en faire un succès, et s'ils peuvent même établir une forme représentative de gouvernement, cela deviendra contagieux et le monde musulman ne regardera plus l'Ouest de la même façon.

+-

    M. Reid Morden: Pour réussir à influencer les États-Unis, il faut être présent devant eux pour les choses qui nous intéressent, mais il ne faut pas non plus reculer dans les domaines où nous partageons des valeurs et où ils demandent un appui, et il faut le faire tout le temps. On ne peut pas discuter avec eux épisodiquement lorsqu'il y a un problème. Dans la bureaucratie, dans pratiquement tous les ministères gouvernementaux de cette ville, on parle directement à ses collègues américains. De temps à autre, les ministres en font autant. Mais il s'agit de créer des liens qui vont bien au-delà du  « j'ai un problème, je vais téléphoner aux Américains ». Ils en ont un peu assez, parce que c'est généralement nous qui allons là-bas pour prêcher sur un sujet quelconque. C'est vrai qu'il ne faut pas provoquer inutilement l'aigle Américain, parce qu'on a tendance à oublier qu'il peut avoir des serres très dangereuses. On s'occupe donc des questions existantes.

    Je pense qu'on peut très bien défendre ou critiquer la décision du gouvernement d'appuyer ou de ne pas appuyer les Américains en Irak. Il y a d'après moi, des arguments des deux côtés, et on peut arriver aussi bien à l'une qu'à l'autre conclusion, mais si l'on prend la décision la plus difficile, comme le gouvernement l'a fait, il y a plusieurs choses à faire pour encadrer cela, pour assurer l'équilibre, pour montrer que l'on fait beaucoup d'autres choses pour appuyer les Américains, et il faut le faire très fermement. Je ne suis pas convaincu que nous ayons très bien réussi de ce point de vue-là. Et je suis poli. C'est un engagement, une constante, et il faut être là tout le temps, tous les jours. Ce n'est pas difficile. Il faut simplement éviter de faire quelque chose d'idiot.

+-

    Le président: Monsieur Mack.

+-

    M. Andrew Mack: Je pense que la première chose à dire au sujet de la réforme des Nations Unies est assez évidente, c'est que les Nations Unies sont le reflet de la politique mondiale. Au fond, il faudrait réformer la politique mondiale pour pouvoir réformer les Nations Unies. Cependant, le Secrétaire général a présenté en 1997 son projet de réforme. Il contenait beaucoup d'éléments utiles et il a été en grande partie saboté, parfois par la bureaucratie intérieure, mais aussi par les États membres.

    Il y a trois Canadiens extraordinaires qui travaillent aux Nations Unies actuellement. D'abord Louise Fréchette, dont le pouvoir et l'influence au sein de l'Organisation sont tout à fait extraordinaires. J'ai travaillé directement avec elle, et elle terrifie beaucoup de gens, mais elle le fait pour une bonne cause. Ensuite, votre ambassadeur, Paul Heinbecker, qui est extraordinairement efficace. Le troisième se trouve à l'extérieur des Nations Unies, mais il y est intimement lié, je veux parler de David Malone. Ces trois personnes exercent des pressions très fortes pour aboutir à une réforme du système. Un deuxième rapport sur la réforme est sorti il y a quelques mois, poussé par Louise Fréchette. Il va changer les choses, mais il faut se souvenir que la réforme des Nations Unies va forcément être un processus extrêmement long. L'institution et, surtout, les États membres, sont extrêmement méfiants lorsqu'on parle de réforme. Ceci est dû en partie au fait que les États-Unis ont beaucoup poussé pour la réforme, et que de nombreux États membres, notamment au sein du G-77, ont l'impression que tout ce que les États-Unis essaient de faire sous prétexte de réforme vise en fait à saper le pouvoir et l'influence de l'Organisation. C'est ainsi que des mesures de réforme tout à fait logiques sont rejetées et repoussées simplement parce qu'elles viennent des Américains, ce qui est malheureux.

À  +-(1025)  

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Monsieur Harvey.

[Français]

+-

    M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.): Monsieur le président, permettez-moi de remercier nos témoins.

    Je me souviens que dans les heures qui avaient suivi les attentats du 11 septembre, le premier ministre avait dit que la pauvreté était un terrain fertile pour le terrorisme, comme le soulignait M. Mansur, que la pauvreté était l'endroit où toutes les extravagances pouvaient se développer. Dans les jours qui ont suivi, le premier ministre s'est fait dire que les terroristes qui avaient attaqué les tours et qui s'étaient emparés d'avions pour faire des choses dévastatrices n'étaient pas des gens pauvres. Je me disais à l'époque qu'il restait quand même que la pauvreté était un terrain idéal. Ce ne sont pas nécessairement les pauvres qui font l'animation et qui développent des intégristes dans le monde. J'aimerais entendre vos commentaires sur ça.

    Si, selon vous, la bataille à la pauvreté mondiale est incontournable pour solutionner le problème du terrorisme, il va falloir qu'on trouve les bons moyens. Pour ma part, je pense que c'est une solution facile, transparente au problème important auquel on fait face. On dit que le terrorisme est présent partout et qu'il y a des dizaines de milliers de jeunes qui sont prêts à mourir pour déstabiliser le monde occidental. Que doit-on faire? Ce qui m'intéresse, ce sont les solutions pour combattre la pauvreté. J'aimerais vous entendre sur les mesures comme les embargos, par exemple. Comment peut-on décréter un embargo? Est-ce que l'embargo qu'il y a contre Cuba depuis 30 ans a donné de bons résultats? Si on prive des pays du minimum dont ils ont besoin pour satisfaire les besoins de base de la population, est-ce la bonne façon d'assurer le développement de la démocratie au moment où, avec les moyens de communication qu'on a maintenant, tous les gens peuvent se comparer les uns aux autres?

    Donc, j'aimerais vous entendre sur le défi que représente le combat contre la pauvreté mondiale.

+-

    Le président: Monsieur Mack.

[Traduction]

+-

    M. Andrew Mack: C'est une question extrêmement importante. On répond justement à ceux qui disent qu'il faudrait s'attaquer aux racines du terrorisme qu'en fait ces terroristes sont des ingénieurs de classe moyenne, qu'ils ont été financés par des multimillionnaires—que cela n'a rien à voir avec la pauvreté. D'après moi, on peut dire que la base de ce genre d'organisation se trouve très souvent parmi les pauvres, les personnes les plus démunies, mais que ceux qui dirigent les organisations appartiennent presque toujours aux classes moyennes, et parfois aux classes supérieures. Pour que le terrorisme réussisse, il faut trois choses, l'idéologie, l'organisation et une base. En Afrique subsaharienne, par exemple, où il y a une pauvreté énorme et une oppression terrible, il n'y a pas de terrorisme international. En Europe, dans les années 70 et au début des années 80, il y avait ce que j'appellerais des terroristes de classe moyenne, les Brigades rouges, la Angry Brigade, Baader-Meinhof. Là, vous aviez l'organisation, l'idéologie, mais pas de base de soutien de sorte qu'il a été relativement facile de les arrêter. Là où ça devient très difficile, c'est lorsque l'on a l'argent, l'organisation, l'idéologie, et la base de soutien.

    En ce qui concerne la base de soutien, la lutte contre les causes profondes du terrorisme, c'est différent de la guerre civile, mais il y a un certain chevauchement. Ce qui semble essentiel, d'après la plupart des ouvrages, ce sont les systèmes d'éducation. Si les enfants n'ont pas d'écoles publiques, si les seules écoles où ils peuvent aller sont des écoles islamiques, et que certaines, un petit pourcentage, de ces écoles islamiques défendent une idéologie de haine, on a alors un problème fondamental. La solution à ce problème est de veiller à ce que les enfants dans des sociétés comme le Pakistan aient une autre option, afin que leurs parents ne soient pas obligés de les envoyer dans ce genre d'écoles. Ce n'est pas uniquement la pauvreté en soi, mais la pauvreté fait partie du problème.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Nous allons passer à Mme McDonough.

+-

    Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Merci, monsieur le président.

    Je tiens à remercier les trois témoins de nous avoir présenté des exposés très intéressants et provocants sur lesquels nous pourrions passer des heures. C'est très frustrant de devoir se limiter ainsi à quelques minutes.

    Je voudrais poursuivre la discussion sur des sujets abordés par M. Morden et par M. Mack, à propos de l'importance de la réforme et des ressources pour les Nations Unies. Si l'on remet tout cela en contexte et que l'on sait que l'on dépense au moins 50 fois plus d'argent pour acquérir des armes chaque année que pour l'ensemble des rôles et des responsabilités des Nations Unies, on n'est pas étonné qu'il y ait plus de guerre que de paix et beaucoup de pauvreté, ce qui entraîne la guerre. J'aimerais entendre vos commentaires plus particulièrement sur la question de la réforme et des ressources des Nations Unies.

    Deuxièmement, monsieur Mansur, j'ai vu que vous avez déclaré très précisément que « l'animosité qui sépare le monde musulman de l'Occident découle de la situation de la Palestine historique », et vous dites que le Canada a un rôle très important à jouer. J'aimerais que vous nous disiez quel devrait être ce rôle d'après vous, quelles solutions vous entrevoyez. J'ai trouvé votre exposé très intéressant car il contient de nouveaux éléments qui aident à mieux comprendre l'intégrisme musulman, mais frustrant aussi parce qu'il ne traite pas vraiment de la question du multilatéralisme, en ce qui a trait à la participation du Canada au multilatéralisme et au rôle des Nations Unies ou de la structure internationale que vous pouvez imaginer pour régler ces problèmes en général. Mais en particulier—et il serait bon d'entendre ce que tous les témoins ont à dire sur ce point—il y a le rôle des Nations Unies et ce qui doit être fait pour mettre fin à l'horreur permanente du conflit israélo-palestinien.

À  +-(1030)  

+-

    Le président: Monsieur Morden.

+-

    M. Reid Morden: M. Mack nous rappelle qu'un nouveau projet de réforme vient d'être publié par les Nations Unies, et c'est, reconnaissons-le, le plus récent de toute une série. Dans la mesure où il a l'appui des pays les plus influents, il va vraisemblablement progresser. Je ne crois pas qu'il soit réaliste d'envisager un changement majeur dans les ressources qui seront mises à la disposition de l'institution des Nations Unies, par opposition aux contributions qui pourront être versées à l'un ou l'autre de ses fonds spéciaux. Il y en aura peut-être un pour la reconstruction de l'Irak, et cela pourrait être très différent. À mon avis, l'Organisation des Nations Unies doit s'auto-examiner. Partie de quelque chose qui était très ciblé et très limitée à la fin des années 40, elle est devenue un organisme qui touche pratiquement tous les aspects de la vie, de la réglementation du commerce aux droits de la personne en passant par le droit international. Peut-être devrait-elle cesser de faire certaines choses pour mieux cibler les ressources dont elle dispose. Je dois le répéter, je ne pense pas qu'il va y avoir un changement majeur dans les ressources mises à la disposition de l'institution. Il y a simplement trop de points de vue sur la question.

    Pour ce qui est du conflit israélo-palestinien, je pense que c'est une sombre affaire de realpolitik. À chaque fois qu'on a été proche d'amener les Israéliens et les Palestiniens à dire oui, cela s'est fait en dehors des Nations Unies, et parce que l'une ou l'autre des superpuissances à l'époque—ou les deux—était prête à l'accepter ou même le recommandait. Il ne reste plus qu'une superpuissance. Les Américains ont décidé de donner la priorité à l'Irak, quelles que soient les raisons de M. Bush. On peut se demander pourquoi son administration n'a pas voulu se servir de ses capacités et de ses ressources intellectuelles pour ramener les Israéliens et les Palestiniens à la table de discussion. Je ne comprends vraiment pas pourquoi ils évitent la question. Les gens de Clinton ont fait la même chose, comme en Yougoslavie jusqu'au moment où ils ont vraiment été obligés d'intervenir parce que les Européens ne pouvaient plus contrôler la situation. Je pense que les Nations Unies n'ont pas un grand rôle à jouer, à moins qu'à un moment donné quelqu'un estime que c'est une bonne couverture, comme cela a été le cas pour l'Administration des Nations Unies pour les secours et la reconstruction dans les années 50.

À  +-(1035)  

+-

    Le président: Monsieur Mack.

+-

    M. Andrew Mack: Dans le cas d'Israël et de la Palestine, je pense que les gens qui suivent la situation de près—je la suivais de près auparavant, mais moins maintenant—savent que le rôle des Américains est vital. Il se pourrait que les États-Unis soient prêts maintenant à faire des choses qu'ils n'étaient pas prêts à faire auparavant, car j'ai l'impression que Tony Blair leur a extirpé cette promesse : si vous voulez notre appui massif et inconditionnel en Irak, promettez-nous de vous attaquer sérieusement à la feuille de route. Le discours des Américains va maintenant dans ce sens, mais il reste à voir dans quelle mesure leurs actes répondront à ce discours. L'administration actuelle est très favorable à Ariel Sharon, et si c'est Sharon qui décide, il n'y aura jamais d'accord. En outre, il est très difficile d'obtenir un accord tant qu'Arafat reste en poste, car il a lui aussi un bagage trop lourd. Je pense qu'il faut donc être patient sur cette question.

    Pour ce qui est de la question plus générale de la réforme des Nations Unies, c'est extraordinairement difficile. La question des ressources que vous soulevez est absolument critique. Les opérations de paix des Nations Unies dans le monde coûtent moins de 3 milliards de dollars par an, et chaque cent est d'une importance vitale car les besoins sont immenses partout où elles interviennent. Par contre, la communauté internationale consacre 800 milliards de dollars par an à la défense, et l'essentiel de cet argent sert à se préparer à des guerres qui font partie du passé désormais, des guerres inter-États. Ce sont les pays riches qui dépensent la grande majorité de cet argent, mais les pays riches ne font plus la guerre, entre eux en tout cas.

    Les Nations Unies sont une institution vraiment intéressante. C'est la seule institution contre laquelle les gens ne manifestent pas. Il y a eu d'énormes manifestations contre l'OMC, la Banque mondiale, le FMI, mais pas contre l'ONU. Pour une raison étrange, c'est une institution qui jouit d'une crédibilité. Et c'est vraiment une raison étrange, car les Nations Unies font toutes sortes de choses épouvantables. En fait, dans le domaine du développement, qui est sa deuxième préoccupation après la sécurité, l'ONU est une organisation très peu efficace. À bien des égards, elle ferait mieux de ne pas s'occuper de cette question et de se concentrer sur la question de la sécurité, en approfondissant le lien entre la sécurité et le développement, mais sans se mêler de développement. Le Programme des Nations Unies pour le développement accomplit des tas de bonnes choses, mais il est beaucoup trop dispersé. C'est un peu comme le Service extérieur du Canada, il ne peut pas vraiment changer les choses en étant aussi éparpillé. Son budget est de moins d'un milliard de dollars. La Banque mondiale consacre 17 milliards de dollars à l'aide, les ONG en distribuent plus que la Banque mondiale, et il y a en outre tous les autres pays donateurs. En comparaison, l'ONU est insignifiante. Elle ne peut pas se désengager de ce domaine, et pourtant elle devrait.

    La Banque mondiale et les États-Unis disent maintenant que leurs politiques d'aide doivent récompenser les bons résultats, qu'ils ne vont donner de l'argent qu'aux pays qui obtiennent de bons résultats, pour les encourager, et que cela va inciter les autres pays, privés de cette aide à cause de leur piètre rendement, à changer. S'ils appliquaient ce discours, l'Afghanistan n'obtiendrait pas un sou, ni les pays d'Afrique subsaharienne, parce que leur bilan n'est pas reluisant. C'est pourquoi la Banque mondiale dit maintenant qu'il y a une catégorie spéciale de pays, les pays à faible revenu en difficulté, qui vont quand même recevoir de l'argent. Tout compte fait, rien n'a changé. Ce qui est triste dans le régime international, c'est qu'on ne sait vraiment pas quoi faire face à certains problèmes. Personne ne sait quoi faire de la République démocratique du Congo. C'est trop difficile. C'est vraiment déprimant.

+-

    Le président: Merci.

    Nous passons maintenant à Mme Redman.

+-

    Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

    J'ai bien apprécié vos trois exposés. Je pense que je vais partir un peu sur une tangente. Je me réjouis vraiment du dialogue sur la politique étrangère et je vous remercie tous de votre contribution.

    Monsieur Mack et monsieur Morden, vous avez un peu parlé de la façon dont notre gouvernement projette sa politique. J'avoue qu'étant députée de la majorité, j'ai probablement un accès privilégié à certaines informations. Je suis d'accord avec M. Morden quand il dit qu'on pouvait tout autant approuver que critiquer l'attitude du Canada, quelle qu'elle ait été, sur la question iraquienne actuelle. Je crois que le gouvernement et le premier ministre ont toujours été parfaitement cohérents, mais je ne peux pas vraiment affirmer que nous ayons vraiment bien fait passer le message. Dans le Globe and Mail d'aujourd'hui, Shawn McCarthy parle d'un discours prononcé hier soir par l'ambassadeur Cellucci et souligne les commentaires d'un député de notre parti dont on ne mentionne pas le nom, qui portait un jugement de valeur sur ce discours. J'aimerais bien avoir l'avis de M. Martin, puisque nous étions à la même table, mais j'ai trouvé que M. Cellucci avait un ton très conciliatoire. J'ai trouvé ses remarques très diplomatiques et très pertinentes.

    Monsieur Mack, vous en avez parlé aux Nations Unies, et c'est vrai que nous avons des vases clos. Comment faisons-nous passer le message? Comment interpeller les Canadiens? Les jeunes Canadiens sont beaucoup plus prêts à entrer dans une organisation non gouvernementale qu'à prendre au sérieux notre service extérieur ou un rôle public dans la vie politique. Que faire de notre politique étrangère quand les médias s'intéressent à autre chose? Il est clair qu'on ne peut pas compter sur eux pour faire passer le message. Comment pouvons-nous mobiliser les Canadiens et montrer clairement, aussi bien sur le plan intérieur que sur le plan international, que nous avons vraiment une politique fondée sur des principes? Comment pouvons-nous progresser?

À  +-(1040)  

+-

    Le président: Monsieur Mack.

+-

    M. Andrew Mack: Je vais simplement répondre à votre dernière question, car nous n'avons pas beaucoup de temps.

    Nous avons le Consortium canadien sur la sécurité des personnes, financé par le Programme du MAECI sur la sécurité des personnes. J'en suis un des codirecteurs avec David Dewitt, de l'Université York. L'objectif est de renforcer la communication entre le monde des ONG et le gouvernement, puis les organisations extérieures. Nous nous réunissons régulièrement et il y a quelques mois nous avons organisé un colloque ponctuel rassemblant des représentants des Affaires étrangères, des avocats, des membres d'ONG, des universitaires, pour parler en particulier du rôle des entreprises crapuleuses qui alimentent les conflits et de ce que l'on peut faire contre elles.

    Je pense qu'il y a beaucoup de choses à faire, mais la question que vous soulevez, celle des médias, est vraiment très complexe. Le problème d'un grand nombre de mes collègues, c'est qu'ils sont incapables d'écrire pour les médias. Il faut savoir écrire d'une certaine façon. Ce n'est pas que les médias ne vont pas publier ce que vous écrivez—parfois, évidemment, certaines choses sont refusées parce qu'elles sont trop extrêmes—c'est simplement que vos articles ne sont pas rédigés de la bonne façon. Nous encourageons nos étudiants à s'entraîner à écrire des pages en regard de l'éditorial de 800 mots dans le cadre de leur cours. Au départ, ils trouvent que c'est trop facile, mais finalement ils s'aperçoivent que c'est au contraire très dur. Si nous continuons à encourager cette tendance, et ce sont d'ailleurs exactement les mêmes compétences que celles qui sont requises pour présenter une argumentation percutante à un ministère, 800 mots de texte clair et limpide, je pense que nous pourrons faire évoluer la situation.

    Je me ferais un plaisir d'inscrire votre nom sur la liste des destinataires de notre bulletin sur la sécurité des personnes, qui fait le point de tout ce qui se passe dans ces domaines à travers le monde. Il y a les ressources, les avis de conférences, etc.

+-

    Le président: Merci, ce sera avec plaisir.

    Monsieur Morden.

+-

    M. Reid Morden: Faire passer le message, c'est évidemment un problème auquel se sont heurtés tous les gouvernements que j'ai connus à l'époque où j'étais dans la fonction publique. Depuis le 11 septembre, il y a probablement eu d'innombrables débats dans d'innombrables salles de conférence avec des gens experts qui parlaient des divers aspects possibles de notre réaction. Il y a notamment eu dans le secteur juridique un certain nombre de conférences sur la pertinence ou le caractère pernicieux des nouvelles mesures législatives qui ont été adoptées. Nous avons modifié notre politique d'aide. Il y a eu toutes sortes de choses. Le MAECI a évidemment maintenant sa division. Il ne faut jamais oublier ce que disait le professeur Parkinson : dès qu'on commence à institutionnaliser quelque chose, cela veut dire qu'on se sclérose. Le MAECI a sa division de la diplomatie publique, ce qui est à mon avis une façon de montrer qu'il ne s'agit pas simplement d'agir, mais de faire savoir qu'on agit.

    Sur une note un peu plus positive, j'aimerais vous signaler que, cette dernière fin de semaine, l'Institut canadien des affaires internationales a fêté son 75e anniversaire par une conférence sur la politique étrangère. J'ai vraiment été très réconforté de voir le nombre de jeunes et d'étudiants qui sont venus y assister, car les membres de l'ICAI sont dans l'ensemble représentatifs de la démographie du Canada. En outre, plus de la moitié des personnes qui ont posé des questions étaient des jeunes. Je pense donc qu'il y a là un potentiel à exploiter. Je pense qu'il appartient non seulement au gouvernement, mais aux députés, de s'occuper de cela, car nous ne sommes pas seuls dans ce monde. C'est un monde qui influe plus sur nous que nous sur lui. Qu'on soit d'accord ou non avec la position du gouvernement, il faut s'exprimer et en parler.

    Puis-je vous raconter une anecdote? En 1922, je crois, un député libéral a pris la parole dans un débat sur les affaires étrangères, fait inhabituel à la Chambre, et a dit : Je suis de l'Île-du-Prince-Édouard, je sais bien que c'est un débat sur les affaires étrangères et je n'y connais pas grand-chose, mais je connais beaucoup de choses sur la culture des pommes de terre, et c'est de cela que je vais vous parler aujourd'hui.

À  +-(1045)  

+-

    Le président: Monsieur Mansur.

+-

    M. Salim Mansur: Ce qui intéresse les médias, et je ne peux pas le leur reprocher, ce sont les histoires à sensation. Les journalistes s'accrochent à des histoires qui ont une originalité et un caractère dramatique. Dans le domaine du développement, j'ai des consultations avec l'ACDI depuis longtemps, mais il n'y a pas beaucoup d'histoires de succès retentissants. Prenez le cas de l'Inde. L'histoire la plus retentissante dans le cas de ce pays n'a rien à voir avec l'ACDI ou avec une autre organisation de développement dans le monde. C'est l'histoire de l'entreprise privée et du développement de la technologie de l'information, de la transformation du sud de l'Inde en une « silicon valley » qui exporte maintenant de la main-d'oeuvre vers l'Europe et l'Amérique. Les exemples de réussite dans les économies du tiers monde qui ont décollé, dans les pays d'Asie et dans certaines parties de l'Inde, ne doivent pas grand-chose à l'ACDI ou à la Banque mondiale.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Martin.

+-

    M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Merci à tous d'être là. Cette discussion est fascinante et très utile. J'ai deux questions.

    Puisque nous parlons d'un dialogue, nous devons discuter de généralités. J'aimerais aborder la question de la réforme. Monsieur Mack, vous dites que les réformes en provenance des États-Unis sont souvent mises de côté et considérées avec méfiance. Le Canada n'a-t-il pas un rôle à jouer dans deux domaines particuliers, la communication entre les institutions de Bretton Woods et les autres institutions qui s'occupent de sécurité humaine au plan international, et la création d'un mécanisme d'application? Je crois que les Nations Unies ont créé un cadre judiciaire extraordinaire, mais qu'elles n'ont pas de mécanisme d'application. Par conséquent, bien qu'elles aient sur le papier la responsabilité d'assurer une protection, elles n'exercent pas cette responsabilité, que ce soit en Bosnie, au Rwanda, au Cambodge ou maintenant au Zimbabwe. Cette inaction se traduit par des pertes de vie massives à travers le monde.

    Dans le même ordre d'idées, bien souvent, des brutes, des Charles Taylor, des Robert Mugabe ou autres, créent des conflits et alimentent la corruption, ce qui entraîne une perte de capacité, anéantit les économies et détruit la sécurité humaine sur laquelle vous travaillez. Il y a donc aussi le défi de savoir comment se débarrasser de ces canailles.

    Ma deuxième question, monsieur Morden, concerne votre expérience d'ancien directeur du SCRS. Je crois qu'il y a un serpent international auquel nous ne touchons pas et sur lequel nous fermons les yeux à nos risques et périls, c'est la question des matières fissiles dont nous ne suivons pas la trace, en particulier en Russie, et le problème du mélange toxique d'absence de contrôle et d'identification des matières fissiles en Russie, de mafiosi en Russie, d'États de la CEI et de l'Europe de l'Est, et d'absence de contrôle interne de la sécurité dans cette région. Il y a en outre les organisations terroristes qui veulent se procurer des armes de destruction massive. Je sais que les États-Unis ont essayé de s'occuper de tout cela. Je me demande quel rôle le Canada pourrait jouer face à ce problème qui constitue à mon avis une grave menace internationale et auquel nous n'accordons pas l'attention qu'il mérite.

+-

    Le président: Monsieur Morden, votre réponse à la deuxième question.

+-

    M. Reid Morden: Je pense qu'il y a effectivement un grave problème de suivi des matières fissiles. Je crois que, pour essayer de régler ce problème, il faudrait essayer d'ériger partout où c'est possible des barrières de protection. La grande majorité des matériaux fissiles sont sous clé, sauf évidemment quand des Marines américains font irruption dans ces locaux sans savoir que ces matériaux sont là sous la protection de l'AIEA. Ce que le Canada peut faire de mieux et de plus constructif, c'est de maintenir et de renforcer si possible son appui à l'AIEA, car il est expert et a une longue expérience en matière de sécurité de ce genre de choses. Il y a cependant des quantités dangereuses de ces produits, surtout dans l'ex-Union soviétique, et sur lesquels bien des gens aimeraient mettre les mains.

    Cela m'étonnerait que nous soyons amenés à jouer un rôle bien important dans ce domaine à l'étranger. Il y a beaucoup de personnes dans le secteur du renseignement avec lesquelles nous avons des liens très étroits et qui travaillent énormément dans ce domaine, et je crois que nous jouons un rôle subsidiaire. Comme c'est une question qui préoccupe énormément les États-Unis—et je pense que c'est très important compte tenu des événements du 11 septembre—la meilleure chose à faire est de nous assurer que nos ports d'accès à ce continent soient bien gardés et de prendre des initiatives responsables et très énergiques pour préserver la sécurité à l'intérieur de nos frontières. Vous parlez des mafiosi dans l'ex-Union soviétique. Je pense qu'il faudrait effectivement discuter du crime organisé qui a beaucoup progressé dans nos ports et dans nos aéroports car nous avons certainement une contribution très directe et très concrète à apporter dans ce domaine sur notre propre territoire.

À  +-(1050)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Mack, votre réponse à la première question.

+-

    M. Andrew Mack: Sur la question de la collaboration entre les Nations Unies et les institutions financières internationales, notamment la Banque mondiale, les choses ont énormément changé depuis l'arrivée de Jim Wolfenson et de Kofi Annan. Ils s'entendent extraordinairement bien. Il y a maintenant une coopération extrêmement poussée qui n'existait pas auparavant. La Banque mondiale a en fait adopté l'essentiel du programme de développement humain que les Nations Unies avaient lancé et, d'une certaine manière, elle a rendu l'ONU moins pertinente dans ce domaine. La Banque s'occupe maintenant de prévention des conflits, ce qu'elle n'aurait pas osé faire il y a cinq ans seulement, et elle a réussi à faire passer cela. Donc, les choses bougent énormément, même s'il reste évidemment encore beaucoup à faire.

    Pour ce qui est des mesures à prendre à l'égard des tyrans, des mécanismes d'exécution, des sanctions, etc., il y a la force de déploiement rapide. Le Canada recommande cette formule depuis longtemps, et c'est une excellente idée, mais elle ne va pas se matérialiser dans un avenir prévisible pour deux raisons. Les pays du G-77 y sont radicalement opposés et soutiennent, à juste titre, qu'elle ne sera utilisée que contre eux. Les États-Unis y sont aussi radicalement opposés, bien que Bush Senior ne l'ait pas été à son époque, parce qu'ils pensent que cela donnerait plus de pouvoir aux Nations Unies. Donc, ça ne se fera pas.

    Qu'y a-t-il d'autre? Il y a toute l'idée de la BIRFA, à laquelle participe le Canada. Le problème, c'est qu'elle ne peut servir que pour les opérations du chapitre 6, mais pas pour l'imposition de la paix.

    On commence à parler beaucoup aux Nations Unies de la possibilité de recourir à des entreprises militaires privées. C'est une idée très controversée et très préoccupante, mais les faits montrent que dans bien des cas, elles font un travail beaucoup plus professionnel que beaucoup de militaires du tiers monde qui participent à des opérations de paix, parce que ces derniers n'ont pas la formation ni l'équipement et sont souvent là uniquement pour les devises étrangères que cela rapporte, et non pas par engagement véritable. Il y a donc là une éventualité. On pourrait utiliser des entreprises militaires privées pour un rôle de déploiement rapide, mais plus vraisemblablement dans le domaine de la logistique. D'ailleurs, de nombreuses ONG s'en servent déjà, ce que très peu de gens savent.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Obhrai, une question.

+-

    M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Merci—en fait, une et demie si cela ne vous dérange pas, pour Salim et Andrew.

    Andrew, vous avez parlé de l'ONU, mais pas du pouvoir de veto des cinq membres du Conseil de sécurité. Est-ce un grave handicap pour les Nations Unies ou non?

    Salim, je suis très heureux que vous soyez venu. Nous avons besoin d'entendre des voix comme la vôtre. J'ai passé la moitié de ma vie avec des voisins musulmans. J'ai grandi dans ce monde et nous étions amis. Nous sommes stupéfiés par l'intégrisme islamique récent. Je pense que c'est une question arabe et non islamique. La question israélo-palestinienne et la question iraquienne sont des problèmes du Proche-Orient qui concernent uniquement les Arabes, mais dans le reste du monde, où nous avons grandi, partout, ces musulmans n'ont rien à voir avec nous. Pour régler leurs problèmes politiques dans leur région—et je ne prends pas position—ils veulent exporter la question musulmane dans le reste du monde pour obtenir l'appui politique des autres pays musulmans. Je parle de l'Indonésie, de la Malaisie, de l'Afrique, de tous ces pays. N'êtes-vous pas d'accord avec moi pour dire que ce problème de l'intégrisme islamique est un problème arabe qu'on exporte à l'étranger et que des gens comme vous et tous les autres musulmans qui ne sont pas de cette région sont aussi interloqués que moi de voir ce qui s'est passé?

À  -(1055)  

+-

    Le président: Monsieur Mack.

+-

    M. Andrew Mack: Le problème, si l'on veut supprimer le pouvoir de veto, c'est qu'il y aura toujours un de ces cinq pays qui opposera son veto à toute tentative en ce sens. Deuxièmement, il est beaucoup question que les pays du P-5 n'utilisent leur veto que dans le cas où leurs intérêts nationaux vitaux seraient en jeu, en expliquant leurs motifs. Ce serait un vrai progrès. Tout le monde reconnaît que le Conseil devrait être plus démocratique, qu'il devrait être élargi et plus représentatif, mais je voudrais faire une mise en garde ici. L'institution la plus représentative de l'ONU, c'est l'Assemblée générale, et c'est précisément parce qu'elle est aussi vaste, aussi démocratique, qu'elle est pratiquement inutile. C'est un lieu de délibération, mais elle ne peut rien faire.

+-

    Le président: Monsieur Mansur.

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    M. Salim Mansur: Je suis entièrement d'accord avec vous, monsieur Obhrai, c'est un problème arabe pour la raison suivante. Ce n'est pas que les musulmans ne s'intéressent pas au conflit israélo-palestinien, mais c'est un problème arabe du fait de l'intégrisme musulman. Depuis 25 ou 30 ans—et je le signale en particulier à M. Morden—tout l'argent que l'Arabie saoudite a donné pour construire des mosquées a servi à véhiculer le bacille de ce que j'appelle la forme de néo-fascisme du monde musulman dans le réseau des mosquées. L'argent saoudien a inondé tout le monde musulman. C'est quelque chose que nous devrions examiner sérieusement, sans nous laisser aveugler par la rectitude politique. Partout au Canada, les imams des mosquées sont tous financés par l'Arabie saoudite. L'Arabie saoudite a adopté un courant de pensée déviationniste, comme l'a souligné M. Day, qui remonte au XVIIIe siècle, dont le monde musulman se serait occupé lui-même s'il avait eu les ressources, la puissance et la civilisation nécessaires, mais il ne les a pas. Maintenant, cette variante saoudienne est devenue un problème international. Les 15 personnes qui ont précipité ces avions sur les tours jumelles étaient saoudiens, mais on ne veut pas en parler.

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    Le président: Merci.

    Je remercie nos trois témoins, M. Mack, M. Mansur et M. Morden. Cette séance a été très intéressante.

    Nous passons maintenant à huis clos pour régler quelques affaires entre nous.

    [La séance se poursuit à huis clos.]