CIMM Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 18 février 2003
· | 1325 |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ)) |
Mme Rivka Augenfeld (présidente, Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes) |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Paul Walter (membre, "German Canadian Congress, National") |
· | 1335 |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Paul Walter |
· | 1340 |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Mme Diane Ablonczy (Calgary—Nose Hill, Alliance canadienne) |
M. Paul Walter |
· | 1345 |
Mme Diane Ablonczy |
M. Paul Walter |
· | 1350 |
Mme Diane Ablonczy |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.) |
· | 1355 |
M. Paul Walter |
¸ | 1400 |
M. Jerry Pickard |
M. Paul Walter |
M. Jerry Pickard |
M. Paul Walter |
M. Jerry Pickard |
M. Paul Walter |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
¸ | 1405 |
Mme Diane Ablonczy |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Mme Diane Ablonczy |
M. Paul Walter |
Mme Diane Ablonczy |
M. Paul Walter |
Mme Diane Ablonczy |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Paul Walter |
M. Massimo Pacetti (Saint-Léonard—Saint-Michel, Lib.) |
¸ | 1410 |
M. Paul Walter |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Paul Walter |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Stephan Reichhold (directeur général, Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes) |
¸ | 1415 |
¸ | 1420 |
¸ | 1425 |
Mme Louise Carrier-Corriveau (conseillère en adaptation, Service d'aide aux néo-canadiens, Carrefour d'intégration des immigrants de l'Estrie) |
¸ | 1430 |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Mme Rivka Augenfeld |
¸ | 1435 |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Mme Rivka Augenfeld |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Mme Diane Ablonczy |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Jerry Pickard |
M. Stephan Reichhold |
¸ | 1440 |
Mme Rivka Augenfeld |
M. Jerry Pickard |
Mme Rivka Augenfeld |
Mme Louise Carrier-Corriveau |
Mme Rivka Augenfeld |
¸ | 1445 |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.) |
M. Stephan Reichhold |
M. Yvon Charbonneau |
M. Stephan Reichhold |
M. Yvon Charbonneau |
¸ | 1450 |
M. Stephan Reichhold |
Mme Rivka Augenfeld |
M. Yvon Charbonneau |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Yvon Charbonneau |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Mme Louise Carrier-Corriveau |
M. Yvon Charbonneau |
Mme Louise Carrier-Corriveau |
¸ | 1455 |
Mme Rivka Augenfeld |
M. Stephan Reichhold |
¹ | 1500 |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Massimo Pacetti |
Mme Louise Carrier-Corriveau |
M. Massimo Pacetti |
Mme Louise Carrier-Corriveau |
M. Stephan Reichhold |
Mme Louise Carrier-Corriveau |
M. Massimo Pacetti |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Mme Diane Ablonczy |
M. Stephan Reichhold |
Mme Rivka Augenfeld |
Mme Diane Ablonczy |
¹ | 1505 |
Mme Rivka Augenfeld |
Mme Diane Ablonczy |
Mme Rivka Augenfeld |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Jerry Pickard |
¹ | 1510 |
Mme Louise Carrier-Corriveau |
Mme Rivka Augenfeld |
¹ | 1515 |
M. Jerry Pickard |
Mme Rivka Augenfeld |
Mme Louise Carrier-Corriveau |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Me Denis Barrette (conseiller juridique, Ligue des droits et libertés) |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Me Denis Barrette |
¹ | 1540 |
¹ | 1545 |
¹ | 1550 |
¹ | 1555 |
º | 1600 |
º | 1605 |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Me Denis Barrette |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Me Denis Barrette |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Me Denis Barrette |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Me Denis Barrette |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Mme Diane Ablonczy |
º | 1610 |
Me Denis Barrette |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
º | 1615 |
Mme Diane Ablonczy |
Me Denis Barrette |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Jerry Pickard |
º | 1620 |
º | 1625 |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
Me Denis Barrette |
M. Jerry Pickard |
Me Denis Barrette |
M. Jerry Pickard |
Me Denis Barrette |
º | 1630 |
M. Jerry Pickard |
Me Denis Barrette |
M. Jerry Pickard |
º | 1635 |
Me Denis Barrette |
M. Jerry Pickard |
Me Denis Barrette |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
M. Massimo Pacetti |
Me Denis Barrette |
M. Massimo Pacetti |
º | 1640 |
Me Denis Barrette |
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral) |
CANADA
Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 18 février 2003
[Enregistrement électronique]
· (1325)
[Français]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ)): Bonjour, monsieur Walter. On commence par vous.
Pour le bénéfice de tout le monde, car parfois on est trop paresseux pour lire ce qu'il y a sur nos papiers, je signale que M. Walter est membre du Congrès canadien-allemand et également éditeur d'un journal. Je ne sais pas si c'est un journal mensuel ou hebdomadaire, mais il est écrit en langue allemande. M. Walter va parler du projet de loi C-18.
Monsieur Walter, nous vous écoutons.
Mme Rivka Augenfeld (présidente, Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes): Je croyais qu'on entendrait monsieur en fin de journée.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Comme monsieur doit quitter, j'ai décidé qu'on l'entendrait tout de suite.
M. Paul Walter (membre, "German Canadian Congress, National"): Bon après-midi, madame la présidente et membres du comité.
[Traduction]
Tout d'abord, je voudrais vous remercier d'avoir bien voulu donner à notre organisme la possibilité de venir exprimer devant vous l'opinion de nos membres sur le projet de loi C-18. Je m'appelle Paul Walter et je suis membre du German Canadian Congress en plus d'être l'éditeur d'un journal en langue allemande. Notre congrès est un organisme cadre qui regroupe les cercles et associations germano-canadiens au Canada. Nous avons ainsi plus de 90 organisations membres un peu partout au Canada, et je comparais devant vous cet après-midi pour vous faire part des préoccupations des membres de notre organisme au sujet du projet de loi C-18.
Nous sommes tous conscients de vivre dans un monde en pleine évolution dans lequel les lois et les règlements exigent donc d'être mis à jour de temps en temps. Nous félicitons le gouvernement fédéral de le faire dans le cas de la Loi sur l'immigration. Les vieilles lois, on devrait plutôt dire les lois existantes, ont bien servi notre pays pendant de nombreuses années, mais elles ont également certaines lacunes au chapitre des droits des citoyens, et en particulier de ceux qui ont volontairement choisi d'acquérir la nationalité canadienne. Nous espérons que la nouvelle loi remédiera à ces lacunes.
Je voudrais immédiatement appeler votre attention sur l'article 12 qui se trouve à la fin de la partie 1:
Tous les citoyens jouissent du même statut et des mêmes droits, pouvoirs et avantages et sont assujettis aux mêmes devoirs, obligations et responsabilités, sans égard à la façon dont ils sont devenus citoyens. |
Ce que dit l'article 12 est extrêmement important, et nous y souscrivons entièrement. C'est la pierre angulaire, l'assise même, sur laquelle la nouvelle loi doit reposer.
Par contre, si nous passons à l'article 16 de la partie 2 de la loi, nous y trouvons un texte qui inquiète beaucoup nos membres. Les paragraphes (1) et (2) de cet article ne donnent pas d'explications claires de ce qu'est une fraude, une fausse déclaration ou une dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Les paragraphes (3) et (4) du même article sont très vagues et contiennent des éléments qui n'exigent pas une divulgation pleine et entière de la preuve devant la cour. Ces dispositions permettent une présomption de culpabilité pour fraude dans le cas de l'acquisition de la citoyenneté canadienne, et dès lors un citoyen peut être privé de sa citoyenneté et déporté. Cela veut dire qu'un citoyen canadien peut être traité exactement de la même façon que quelqu'un qui n'est au Canada que depuis quelques semaines.
Au paragraphe (6) de l'article 16, le dernier alinéa est particulièrement inquiétant. Il dit en effet que le gouvernement
n'est pas lié...par les règles juridiques ou techniques de présentation de la preuve et peut recevoir les éléments de preuve qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence... |
On ne trouve pas de définition précise qui puisse éclairer le juge dans ses délibérations, de sorte que la décision qu'il rend pourrait être une simple opinion personnelle.
L'article 17 en particulier permet au gouvernement de faire la même chose qu'à l'article 16. Il s'agit d'une procédure simplifiée qui peut être utilisée par le ministre et le solliciteur général. Par simple renvoi devant la Cour fédérale par un dépôt de certificat, c'est toute la procédure qui est ainsi accélérée.
Cette disposition porte sur l'interdiction de territoire pour des raisons de sécurité, de violation de droits humains ou internationaux ou d'appartenance à une organisation criminelle. En revanche, la signification de ces droits humains ou internationaux ou, à plus forte raison, des raisons de sécurité, est laissée à l'imagination du ministre ou de la Cour fédérale. Cette procédure n'a rien à voir avec la justice naturelle et elle invalide les dispositions pertinentes de la Charte et de la Déclaration canadienne des droits.
C'est un juge qui décide de ce qui est pertinent et de ce qui ne l'est pas, sans que le citoyen sache ce qu'on lui reproche. Ici encore, tout peut être admis en preuve. Le juge n'est pas tenu de respecter les règles en matière de preuve ou la jurisprudence. Mais il faut néanmoins que les procédures soient transparentes et que la personne dont la citoyenneté va être révoquée soit pleinement informée des accusations qui sont portées contre elle, et tous les renseignements nécessaires pour pouvoir se défendre contre toute accusation. Une déclaration de culpabilité prononcée par un juge selon la prépondérance des probabilités ne devrait jamais suffire à permettre la révocation de la citoyenneté de qui que ce soit. Dans tous les cas de figure, la présomption d'innocence doit l'emporter.
Plusieurs dispositions du projet de loi rendraient la mesure législative encore plus draconienne que le projet de loi C-16, Loi sur la citoyenneté du Canada, qui avait été adopté par la dernière législature mais qui était mort au Feuilleton lors du déclenchement des élections en 2000. L'article 56 est également problématique en ce sens que le nouveau système prévu à l'article 16 ne s'appliquera que dans les causes futures ainsi que dans les causes actuelles pour lesquelles aucun élément de preuve de fond n'a été déposé avant que la loi n'entre en vigueur. Cela équivaudrait à abolir la peine de mort pour les causes futures mais en pendant les quelques condamnés en instance d'exécution, ou encore à permettre à la Couronne d'interjeter appel pour une cause qu'elle aurait perdue demain mais pas pour une cause qu'elle aurait perdue hier. Il faudrait que le comité ou la Chambre modifie donc l'article 56 en conséquence de manière à ce que les avantages du nouveau système proposé à l'article 16 bénéficient aux causes passées et présentes en plus des causes à venir et à ce que le ministre accepte ce nouveau libellé.
Nous avons le sentiment que le projet de loi comporte quelques excellents éléments, mais il reste encore beaucoup de travail à faire pour que la future loi soit juste et équitable et donne à tous les Canadiens les droits et garanties définis dans la Charte canadienne des droits et libertés. Les deux lois, l'ancienne et la nouvelle, créent en effet deux types de citoyenneté et divisent les Canadiens en deux catégories de gens n'ayant pas les mêmes droits, ce qui est manifestement inacceptable.
Encore une fois, madame la présidente—et j'avais écrit monsieur le président...
· (1335)
[Français]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): C'est Madeleine.
[Traduction]
M. Paul Walter: Tout va bien? Excusez-moi.
Merci pour cette occasion qui m'est donnée de comparaître devant vous. Pour que le Canada ne puisse pas devenir un refuge pour les criminels et autres éléments indésirables, nous exhortons le gouvernement fédéral à plus de rigueur avant d'admettre des gens au Canada et de procéder à des vérifications approfondies avant d'accorder le privilège de la citoyenneté canadienne à un résident permanent. En revanche, une fois qu'un immigrant est devenu citoyen canadien, il doit avoir les mêmes droits que quelqu'un qui est né au Canada.
Au nom des membres du German Canadian Congress, je demande donc au comité de prendre acte de nos préoccupations et j'exhorte le gouvernement fédéral à apporter les changements nécessaires à son projet de loi afin de protéger les droits et la citoyenneté de tous les Canadiens.
Mon dernier point concernera les cartes d'identité, qu'on appelle encore cartes à puce. S'agissant précisément de la question des cartes d'identité, nous sommes contre cette option pour la raison suivante. L'information qu'on trouverait sur ces cartes pourrait servir à des fins autres que celles pour lesquelles elles avaient été prévues à l'origine. Certaines erreurs pourraient également s'y glisser au moment de leur établissement. Nous avons tous entendu l'excuse de l'ordinateur qui a commis une erreur. Quiconque est en situation de pouvoir pourrait intentionnellement mettre des renseignements erronés sur ces cartes, des renseignements qui pourraient être gravement préjudiciables pour un citoyen. Je pense que nous avons déjà suffisamment d'informations pour identifier les gens. Il y a les passeports, il y a les permis de conduire, il y a les cartes d'assurance sociale et ainsi de suite.
Je vous remercie pour votre bonne attention.
· (1340)
[Français]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Merci, monsieur Walter. Les inquiétudes et les préoccupations que vous avez exprimées à l'endroit du projet de loi C-18 rejoignent beaucoup celles qu'un bon nombre de nos témoins ont exprimées également. Donc, vous n'êtes pas tout seul. Il me semble clair que le comité va tenir compte de vos remarques parce que pour chacun et chacune d'entre nous, l'État de droit dans lequel nous vivons est un plus, et non un moins.
Madame Ablonczy.
[Traduction]
Mme Diane Ablonczy (Calgary—Nose Hill, Alliance canadienne): Merci, madame la présidente.
Je suis heureuse d'avoir entendu cet exposé et je prends bonne note du fait qu'il nous a été donné au nom de 90 organismes situés dans l'ensemble du pays. Vos arguments, qui nous ont d'ailleurs déjà été présentés par un certain nombre de témoins, ont été présentés avec une concision remarquable, ce qui nous est très précieux parce que nous avons tout cela dans un seul document.
Dans votre mémoire, vous avez parlé des questions de sécurité et vous nous avez dit que le gouvernement devrait être plus strict à l'égard de ceux qui veulent venir au Canada en procédant par exemple à des vérifications approfondies. L'un des arguments en faveur de certaines des mesures qu'on trouve dans le projet de loi et que vous avez critiquées est que ces mesures amélioreront la sécurité et permettront mieux au ministre et au gouvernement de protéger la sécurité nationale parce qu'elles leur permettront, dirions-nous, de révoquer rapidement la citoyenneté de quelqu'un, voire de le déporter. Cet argument ne semble guère rallier les faveurs, mais j'aimerais néanmoins vous demander si vous y voyez un quelconque mérite.
M. Paul Walter: En ce qui me concerne, en réalité, et je pense que nos membres... Prenez mon propre exemple si vous voulez bien, et disons que quelqu'un m'accuse d'avoir fait jadis quelque chose de répréhensible avant mon arrivée au Canada.
Lorsque je suis arrivé au Canada, j'avais 20 ans. J'avais vécu en Angleterre pendant trois ans et lorsque je suis arrivé dans ce pays, j'avais donc 17 ans. À la fin de la guerre, j'avais 12 ou 13 ans et je n'étais donc qu'un enfant. Mais même là, si quelqu'un venait à penser que j'aurais peut-être pu être un criminel de guerre alors même que j'étais enfant, et si ce quelqu'un m'accusait pour quelle que raison que ce soit, je risquerais de perdre ma citoyenneté parce que quelqu'un m'aurait accusé sans preuve. Voilà donc ce qui nous inquiète.
Notre inquiétude, c'est qu'on fait une distinction entre les immigrants qui arrivent maintenant et des gens qui sont arrivés il y a 20, 30, 40 ou 50 ans. Il devrait y avoir un genre de... Mon Dieu, si quelqu'un n'a jamais rien fait de mal... Si on a la preuve que ce quelqu'un était vraiment un criminel, à ce moment-là traînez-le devant le tribunal, mais ne laissez pas de simples motivations politiques permettre la révocation de sa citoyenneté. Voilà donc notre grosse préoccupation.
Avec tout ce qui s'est passé dernièrement, le terrorisme et ainsi de suite, il est évident que nous devons nous doter de mesures pour empêcher quiconque a des intentions criminelles de venir au Canada. Je pense par exemple à quelqu'un qui a été dans l'armée. Mais je vais vous donner un autre exemple encore. Cette personne s'appelle Helmut Oberlander. Lorsqu'il avait 17 ou 18 ans, il était traducteur dans l'armée allemande. Je ne connais pas tous les détails de son dossier, mais je sais que pendant trois ou quatre ans, il a été interprète dans l'armée allemande. On l'accuse maintenant d'avoir été un criminel parce qu'il avait été interprète.
Vous comprenez donc facilement les craintes des gens comme lui. Il n'y a pas tellement de cas comme celui-là. Peut-être y en a-t-il trois ou quatre mais M. Oberlander est l'un d'entre eux. On lui enlève sa citoyenneté sans raison. Il n'a jamais tiré un coup de feu. Il se contentait de faire l'interprète entre des prisonniers de guerre et des officiers allemands. L'officier demandait par exemple: «Qu'est-ce qu'il vient de dire?» Et il interpréterait ses propos. Ce n'est pas un acte criminel. Du moins ce n'en est pas un à mon avis, et pourtant cela a suffi pour lui enlever sa citoyenneté. C'est une situation tout à fait regrettable.
· (1345)
Mme Diane Ablonczy: Vous avez une certaine expérience. Vous avez vécu en Allemagne, en Grande-Bretagne et au Canada, dites-vous. Vous avez probablement voyagé, j'imagine. Connaissez-vous un autre pays qui révoquerait de la même façon la citoyenneté de quelqu'un, de la même façon qu'avec ce projet de loi, un autre pays où un fonctionnaire, un bureaucrate pourrait prendre ce genre de décision sans motif et sans droit d'appel? Est-ce que ce genre de chose pourrait arriver dans un autre pays développé que vous connaissez, par exemple l'Allemagne ou la Grande-Bretagne?
M. Paul Walter: Laissez-moi vous dire une chose. Aujourd'hui en Allemagne, il est impossible de renvoyer quelqu'un qui est arrivé illégalement. Je ne parle même pas ici d'un citoyen. Une fois qu'on a acquis la citoyenneté, cela s'arrête là. Si vous faites quelque chose de mal, si vous êtes condamné pour avoir assassiné un x nombre de gens je ne sais où, en Ukraine ou en Russie, il faut que cela soit prouvé devant un tribunal. Mais dans le cas d'un simple interprète—et c'est cela qui me tracasse—comme ces gens qui sont ici et qui font l'interprétation de l'anglais vers le français et vice-versa, on peut juger que vous êtes un criminel, allons donc.
Je sais que les États-Unis sont en train de prendre des mesures semblables à celles-ci. Je ne connais pas tous les détails, mais par contre je sais que l'Allemagne et l'Autriche...
En fait, je n'ai jamais vécu en Allemagne. J'ai vécu en Autriche. Je suis né en Yougoslavie de parents allemands. Je sais que c'est la même chose en Autriche. J'ai vécu pendant quatre ans en Autriche avant d'aller en Angleterre. Lorsqu'on arrive en Autriche comme immigrant, une fois qu'on a mis le pied sur le sol autrichien on ne peut plus être renvoyé. Je ne parle pas des citoyens. Vous comprenez ce que j'essaye de vous dire?
Pour parler encore une fois du même cas, de M. Oberlander, et il y en a quelques autres dans la même situation—, il faudrait le traduire devant un tribunal pénal comme n'importe quel autre criminel. S'il est déclaré coupable, allez-y, enlevez-lui sa citoyenneté, mais ne le faites pas avant qu'il y ait verdict de culpabilité. Ce pauvre homme va perdre sa citoyenneté alors qu'il a simplement été interprète entre des officiers allemands et des prisonniers de guerre russes. En réalité, c'était en Ukraine que cela s'est produit. M. Oberlander est un peu comme moi, je suis d'origine allemande mais je suis né en Yougoslavie. Lui, il est né en Ukraine.
· (1350)
Mme Diane Ablonczy: Je vous remercie.
[Français]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Monsieur Walter, nous comprenons que dans le cas de M. Oberlander, vous considériez cela comme tout à fait injuste, et j'aurais tendance à être d'accord avec vous.
M. Pickard a peut-être une question à poser.
[Traduction]
M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.): J'hésite un peu à me lancer dans l'affaire Oberlander. Vous vous rendez bien compte que la loi n'a pas encore été adoptée et qu'elle n'a aucun rapport avec l'affaire Oberlander. Cette affaire a fait les manchettes et a attiré énormément l'attention depuis un an ou deux. Mais l'affaire Oberlander et le projet de loi... Nous parlons ici d'un projet de loi différent. L'affaire Oberlander relève de la loi actuelle et des circonstances actuelles, et je ne vois donc pas le rapport. Même si c'est quelque chose de négatif, je ne vois pas le rapport.
Je voulais par ailleurs axer surtout mon intervention sur ce que vous avez dit de façon générale à propos des cartes d'identité. Vous dites que vous n'en voulez pas. Vous les avez assimilées aux cartes à puce. Nous en avons discuté, mais je ne pense pas que ce dont nous parlons ici ait un rapport avec les cartes à puce dont on parlait il y a quelques années.
Savez-vous au juste ce qui est proposé en fait de carte d'identité? Je pourrais peut-être vous éclairer en vous disant que nous ne parlons pas de longues files d'attente pour les soins de santé. Nous ne parlons pas de tout un tas de gens qui sont devant les tribunaux. Nous ne parlons pas de listes de gens. Nous parlons plutôt d'une liste sur laquelle on pourrait trouver le nom de quelqu'un. Cela pourrait être quelque chose de ce genre ou alors un nom avec un numéro, mais qui permettrait de dire que la personne en question est un citoyen canadien. Vous pourriez passer cette carte dans un lecteur optique et, avec votre empreinte digitale ou rétinienne, vous pourriez prouver qui vous êtes. C'est à cela que devrait servir la liste, et à rien d'autre. Il s'agit simplement de prouver, grâce à la meilleure technologie possible, qu'on est bien qui on prétend être.
Il ne s'agit pas du tout d'associer cela avec une liste de patients ou de criminels, ou que sais-je encore. Par contre, si un citoyen canadien reçoit des services—et je pourrais dire que le Canada est un pays très généreux et qui prodigue de nombreux services; mais nous avons entendu dire qu'il y avait des gens qui profitaient de nos services sans être des citoyens canadiens—si donc un citoyen canadien arrive et dit qu'il s'appelle Joe Smith et qu'il aimerait pouvoir bénéficier de ces services mais que la carte d'identité dit le contraire, eh bien cette personne se verrait refuser le service. Voilà donc une possibilité, mais cela n'a rien à voir avec la composition de la liste. Il s'agit plutôt de garantir que vous pourrez dire en tout aplomb que vous vous appelez Paul Walter et personne ne pourra contester la chose. Personne d'autre ne pourra prétendre être vous et se réclamer de votre identité.
Si j'ai bien compris les choses, comme c'est le cas, je crois, de la plupart des autres membres du comité, on propose essentiellement une carte qui permet de prouver son identité, et non pas une carte qui permet des associations avec un million de listes. Par contre, si Santé Québec vient à décider de faire des vérifications pour vérifier si telle personne a bien la citoyenneté canadienne, je ne vois pas où est le problème. Pour moi, c'est une façon efficace d'utiliser les ressources.
· (1355)
Le ministre a fait valoir que cela empêcherait les vols d'identité, mais le système a également pour but de sécuriser nos programmes en réduisant au minimum les cas de fraude en ayant la certitude que les prestataires sont effectivement ceux qu'ils prétendent être. Dans certains cas, les gens utilisent une carte, un permis de conduire, une pièce d'identité avec une photographie, peu importe, mais il arrive que ces pièces d'identité passent de l'un à l'autre et servent plusieurs fois, ce qui finit par coûter beaucoup au contribuable. Dans le cas de cette carte-ci, elle servirait essentiellement à dire: «Je peux vous garantir que je m'appelle Jerry Pickard, et voici mon empreinte digitale», et le lecteur corroborera le fait que je m'appelle bien Jerry Pickard et que j'ai la citoyenneté canadienne. Cela ne va pas plus loin.
Avez-vous des objections à ce genre de carte d'identité?
M. Paul Walter: Je conçois fort bien tous les avantages dont vous venez de parler, mais qu'allons-nous faire avec les autres documents que nous avons déjà et qui ont légalement cours, nos passeports par exemple? Je me souviens de ce qui s'est passé lorsque j'ai quitté l'Angleterre pour le Canada. Nous avions jadis un passeport avec une empreinte digitale. Lorsque je suis arrivé au Canada, on a pris une empreinte. Cela pourrait donc également se trouver dans le passeport, mais actuellement cela ne servirait pas. Ce que je vais vous dire en fait, c'est que plus on produit de documents, plus...
Il n'y a peut-être aucune logique, mais il n'empêche que j'ai un passeport. Pourquoi ne pas utiliser le passeport pour tous les renseignements nécessaires? Je n'en sais rien. Est-ce que je me trompe? Je sais, vous allez probablement me dire que ce n'est pas tout le monde qui va aux États-Unis, qu'il y a des gens qui ne voyagent qu'au Canada, mais quiconque va aux États-Unis doit avoir un passeport. Si on va en Europe, il faut un passeport. Le passeport est la pièce d'identité idéale, mais on pourrait l'améliorer en y apposant une empreinte digitale ou en y ajoutant un autre élément qui puisse l'améliorer.
¸ (1400)
M. Jerry Pickard: Monsieur Walter, je pourrais peut-être vous éclairer un peu. Lorsque j'ai conduit une délégation en Inde—et notre président était des nôtres à l'époque—et d'autres membres étaient allés ici et là—, nous étions à un moment donné en France et moi j'étais en Chine et au Japon—bref, nous avons vu des centaines de passeports qui avaient été confisqués. Comme notre passeport était facile à contrefaire, nous avons eu droit à des vérifications très minutieuses. Oui effectivement, le passeport est fait avec la meilleure technologie possible, meilleure que celle qui était utilisée auparavant, et j'imagine qu'on pourrait effectivement s'en tenir au passeport. Mais je ne pense pas que le passeport soit la réponse. Nous voulons que l'identité soit incontestable.
On peut copier n'importe quoi. On nous l'a bien dit. À l'heure actuelle, on nous l'a fait valoir très clairement, certains spécialistes de la technologie qui travaillent dans ce domaine nous l'ont bien dit, dans la circonstance actuelle, ils pourraient fabriquer une carte. Nous en avons eu une démonstration hier. J'ai apposé l'empreinte de mon pouce sur une carte. La carte est sortie et l'empreinte de mon pouce—peu importe d'ailleurs de quelle empreinte il s'agissait—devait y figurer pour que la carte corrobore mon identité. Même en apposant l'empreinte d'un autre doigt, la corroboration ne se ferait pas.
Sur un passeport, on met sa photo et souvent, deux photos se ressemblent. Il y a des gens qui décollent la photographie d'un passeport et la remplace par une autre. Un passeport peut-être contrefait de toutes sortes de façons. Et ce ne sont pas des cas isolés, cela arrive très fréquemment. De nombreux passeports sont confisqués pour cette raison. Et à mesure que la technologie progresse, notamment dans le domaine de la reproduction et de l'impression, le passeport devient de plus en plus difficile à protéger. Oui, dans la plupart des cas, il peut servir à identifier quelqu'un, mais nous parlons ici d'une mesure de protection spécifique.
D'après les démonstrations que j'ai pu voir, les caractéristiques d'une carte telles que je vous les ai données permettraient de garantir que vous êtes vraiment qui vous prétendez être. Grâce à la biométrie, on peut dire en toute certitude oui, c'est bien Paul Walter et ce n'est pas quelqu'un d'autre. Avez-vous vraiment une objection à ce genre de pièce d'identification?
M. Paul Walter: Non, je n'en ai pas. Tout ce qui marche bien me convient. Mais pouvons-nous vraiment être certain qu'il ne pourra pas y avoir de contrefaçon? Vous savez, le passeport est déjà un document très sophistiqué, et il pourrait être plus sophistiqué encore que la carte ne le sera jamais. Je n'en sais rien, parce que je ne sais pas sur quoi travaillent les experts.
Mais bon, il va y avoir cette carte alors qu'il y a déjà les cartes d'assurance sociale et... Un criminel trouvera toujours le moyen de contrefaire ou de reproduire ces cartes.
M. Jerry Pickard: J'imagine que ce qu'on voulait...
M. Paul Walter: Je n'ai pas vraiment d'arguments valables à opposer à une carte d'identité, comprenez-moi bien. Je dis simplement que s'il n'y a pas de contrefaçon possible, alors tout va bien.
M. Jerry Pickard: Si ça marche bien, vous êtes content.
M. Paul Walter: Oui, ce serait fantastique. Mais je sais d'expérience...j'ai des doutes. J'ai beaucoup voyagé dans le monde. Lorsqu'il faut un document pour ceci et un autre document spécialisé pour cela, lequel est inviolable. Voilà la question.
[Français]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Merci, monsieur Pickard. Diane, y a-t-il autre chose?
¸ (1405)
[Traduction]
Mme Diane Ablonczy: J'ai toujours une question à poser.
[Français]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): On a encore cinq minutes.
[Traduction]
Mme Diane Ablonczy: Je vais essayer de poser ma question en moins de cinq minutes. Il s'agit de la carte d'identité.
L'un des problèmes qui se posent à nous dans cette discussion, c'est que nous ne savons pas grand-chose sur ce que le ministre a à l'esprit. Ainsi, on disait la semaine passée que le ministre semblait avoir reconnu que, s'il y a une carte d'identité nationale, on a souvent tendance à l'intégrer à une banque de données, ce qui facilite la compilation de données de plus en plus nombreuses. Donc nous ne sommes pas vraiment très sûrs de ce dont nous parlons, et c'est d'ailleurs l'une des choses qui nous découragent un peu.
Je voudrais vous poser une question au sujet de votre opposition à la notion de carte d'identité. Vous dites qu'il y a déjà suffisamment de choses qui permettent de s'identifier. Vous l'avez dit dans votre réponse à M. Pickard. Mais vous avez également dit qu'il serait toujours possible d'ajouter sur une carte des renseignements qui n'avaient pas été prévus à l'origine. Lorsque vous avez soulevé votre objection, à quoi pensiez-vous au juste?
M. Paul Walter: Je ne crois pas que nos membres ou la collectivité aient quoi que ce soit à craindre. C'est simplement que je ne sais pas ce qui se trouvera sur cette carte—nom, adresse, état civil, nombre d'enfants, etc. À l'heure actuelle, je l'ignore.
Comme je l'ai dit déjà à M. Pickard, je ne crois pas que nous soyons opposés à cette nouvelle carte si elle est efficace, tant qu'elle peut pas être manipulée, tant qu'il n'est pas possible à quelqu'un de falsifier les données dans l'ordinateur, en coulisse, tant qu'il n'y a pas de code secret indiquant qu'une personne est allemande mais qu'elle est née en Yougoslavie ou qu'on ne peut pas déterminer immédiatement le contenu de son compte en banque. Sinon, nos gens ont prouvé qu'ils étaient de bons citoyens et nous n'avons pas en avoir honte.
Si cette carte est efficace, elle pourrait peut-être remplacer...elle ne remplacerait pas le passeport, pour ceux qui vont à l'étranger, n'est-ce pas? Cette carte ne serait utilisée qu'à l'intérieur du pays, n'est-ce pas? Si vous allez à l'épicerie et que vous n'avez pas d'argent sur vous, et si vous avez un chèque du gouvernement, vous pourriez montrer cette carte au commis pour qu'il puisse encaisser le chèque. C'est bien cela, n'est-ce pas? Cette carte pourra-t-elle être utilisée à des fins comme celle-là?
Je ne connais pas en détail ce que contiendrait cette carte.
Mme Diane Ablonczy: C'est difficile d'avoir une bonne discussion quand on n'est pas certain de ce qu'on discute.
M. Paul Walter: Une fois que nous saurons tout ce qui y figurera, comme par exemple l'empreinte du pouce, ce pourrait être fantastique. Mais cette carte pourrait-elle être utilisée à d'autres fins? Je n'en sais rien.
Mme Diane Ablonczy: Merci.
[Français]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Merci.
[Traduction]
M. Paul Walter: Mais ce n'est pas très inquiétant. Cette carte n'est pas l'une de nos grandes préoccupations. Si elle donne de bons résultats, alors tant mieux.
M. Massimo Pacetti (Saint-Léonard—Saint-Michel, Lib.): Monsieur Walter, nous avons entendu le ministre la semaine dernière. Notre travail consiste en partie à voir quelle utilisation pourrait être faite de cette carte d'identité nationale. D'après le ministre, il n'y a pas encore eu de décision à ce sujet. Notre étude consiste donc à voir ce qui pourrait être fait... Je lui ai posé la question de nouveau, mais il a dit qu'il n'avait pas d'idées préconçues quant à l'utilisation de la carte d'identité. Si nous gardons l'esprit ouvert, nous pouvons trouver une solution.
¸ (1410)
M. Paul Walter: C'est très important d'en discuter, mais j'espère que ce ne sera pas comme le contrôle des armes à feu. Combien cela a-t-il coûté? Je ne mentionnerai pas les chiffres.
[Français]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Monsieur Walter, merci d'avoir été des nôtres aujourd'hui. En ce qui concerne la carte d'identité, il semble clair qu'on a besoin d'un très grand débat pour être en mesure de se faire collectivement une idée.
M. Paul Walter: Il faudrait clarifier cela. Sans clarification, cela ne donne rien.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Voilà. Merci infiniment, monsieur Walter, et bonne fin d'après-midi.
Nous allons suspendre la réunion pour deux minutes et inviter Mme Augenfeld, Mme Carrier et M. Reichhold à prendre place.
¸ (1411)
¸ (1413)
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Nous sommes ravis de revoir certains d'entre vous ici... [Note de la rédaction: Difficultés techniques].
M. Stephan Reichhold (directeur général, Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes): Je m'appelle Stephan Reichhold et je suis directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes. Comme on le mentionnait ce matin, c'est un regroupement, au Québec, de 125 organismes qui oeuvrent auprès des immigrants et des réfugiés et dont la plupart offrent un certain nombre de services. La plupart sont subventionnés par le gouvernement du Québec.
En fait, on ne sait pas trop bien ce que vous attendez de nous en termes de débat. Permettez-moi quand même de me questionner, parce que c'est le but de l'exercice. Si on fait un certain nombre de recommandations, qu'est-ce qui va arriver de ces recommandations? Comme vous savez que toute la question de l'établissement et de l'intégration des immigrants relève de la juridiction provinciale, même si vous faisiez de très bonnes recommandations, cela n'aurait aucun impact sur nous.
On peut cependant vous raconter un peu comment les choses se passent au Québec, puisque certains d'entre vous connaissent peut-être un peu moins bien ces réalités qui existent au Québec.
Grosso modo, les programmes d'accueil et d'établissement sont assez semblables dans tout le Canada. Ils sont gérés différemment et il y a des programmes différents, mais le principe de base est à peu près le même: le gouvernement traite avec des organismes communautaires qui font une grande partie du travail de terrain, et selon que l'on relève d'Immigration Canada ou des autorités provinciales, il y a un certain nombre de programmes qui soutiennent les organismes dans leur travail.
D'ailleurs, j'ai souvent l'occasion de participer à des forums internationaux où on parle de ces questions et je suis toujours surpris de voir que le Canada est un peu unique en son genre quant à son approche par rapport aux immigrants. Je suis moi-même un immigrant récent de l'Allemagne. D'ailleurs, vous savez probablement que l'Allemagne avait adopté récemment une loi sur l'immigration et l'intégration, mais que cette loi a été annulée par la Cour constitutionnelle. C'était le premier programme d'intégration dans l'histoire mouvementée de l'Allemagne. Donc, on peut relativiser et dire que le Canada est un peu un modèle étant donné l'approche qu'il a adoptée pour les nouveaux arrivants.
Parlons un peu plus concrètement des programmes. Pour ma part, je vois principalement trois problèmes majeurs, qui sont aussi présents au Québec qu'ailleurs au Canada. Je pense que vous en avez entendu parler ailleurs. D'abord, le manque de ressources est généralisé, autant au Québec qu'ailleurs au Canada, surtout dans un contexte de croissance de l'immigration. Au Québec, comme vous le savez, les niveaux d'immigration ont quasiment doublé depuis trois ans, et on vise encore plus de croissance, mais les ressources n'ont pas suivi. Cela pose un sérieux problème pour nos réseaux qui travaillent sur le terrain. De plus, on sait que les immigrants paient cher ce service quand ils arrivent. Vous savez que chaque immigrant paie 1 500 $ au départ pour avoir accès à des services à la clientèle que, souvent, ils n'obtient pas.
Le deuxième problème important, dont vous avez probablement entendu parler aussi, est ce que M. Coderre appelle le syndrome du médecin livreur de pizza. C'est le problème de l'accès à l'emploi, surtout pour les immigrants indépendants qui arrivent ici et qui ont de la difficulté à faire reconnaître leurs diplômes, leurs acquis et leur expérience de travail. L'insertion en l'emploi est de plus en plus problématique, de même que toute l'incohérence interne et intragouvernementale. Que ce soit au niveau du Québec ou au niveau du Canada, il y a un manque de coordination entre les programmes d'accueil et d'établissement. Je parle de tout ce qui relève de Développement des ressources humaines Canada ou d'Emploi Québec, où les programmes d'employabilité et les services qui touchent à l'emploi ne sont pas vraiment adaptés à cette clientèle.
¸ (1415)
On travaille fort pour essayer de changer ça. Les choses progressent tranquillement, mais il y a un long chemin à faire.
Le troisième problème important—les gens de notre réseau au Canada vous l'ont probablement tous mentionné—, c'est toute la question des demandeurs d'asile qui sont toujours laissés à eux-mêmes et qui n'ont pas droit à des services. Cela représente beaucoup de gens, dont la grande majorité sont pressentis pour devenir des immigrants et pour s'installer ici. Ces gens-là n'ont toujours pas droit à des services financés. Ils sont donc laissés un peu à eux-mêmes.
Je crois que vous vouliez aussi entendre des commentaires sur la façon dont fonctionnent les ententes provinciales-fédérales. Je pense que tout le monde sait qu'au Québec, il y a une entente Canada-Québec en vigueur depuis 1991 qui a transféré au Québec tous les pouvoirs et ressources en matière d'accueil et d'intégration des immigrants. Disons qu'il y a à cela des avantages et des inconvénients.
L'inconvénient, c'est que les premières années surtout ont été très difficiles. Le Québec avait monté ses propres programmes, et il y a eu d'énormes coupures de ressources et de services. Heureusement, avec les années, on a pu remonter la côte et rétablir un peu la situation, mais disons que les premières années après l'entente ont été très difficiles. Je ne veux pas entrer dans les détails.
L'avantage, c'est que c'est plus proche de notre réalité. Comme le gouvernement provincial gère ses programmes, c'est beaucoup plus facile pour nous en ce qui a trait à tout ce qui touche la concertation, les relations avec les bailleurs de fonds ou les politiques et programmes. C'est beaucoup mieux adapté à notre réalité territoriale. En parlant avec mes collègues des provinces Atlantiques ou des Prairies, qui relèvent d'Ottawa en termes de programmes, j'ai senti qu'il y avait un déconnexion entre les besoins réels locaux et régionaux et la manière dont les programmes eux-mêmes sont conçus.
Qu'est-ce qu'on peut dire d'autre? Une autre particularité du Québec, c'est que le gouvernement offre aussi des services directs à la clientèle, contrairement à ce qu'on voit dans le reste du Canada. Le ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration a lui-même des points de service. Il offre des services d'accueil, d'intégration et de francisation qui sont parfois complémentaires, parfois moins, à ceux du réseau communautaire. Mais disons que la plupart des organismes ont des ententes de service avec le ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration pour offrir des services tant au niveau de l'accueil et de tout ce qui touche le logement qu'à celui de l'employabilité, de l'accès à l'emploi, de la francisation et du jumelage. Ce sont des programmes semblables à ceux qui existent dans le reste du Canada.
Pour rester dans les comparaisons, disons qu'ici, au Québec, on est assez soulagés de ne pas être tombés dans... Comment exprimer ça de manière neutre? Vous savez qu'Immigration Canada a adopté deux nouvelles mesures assez brutales en ce qui concerne la reddition de comptes pour les organismes et toute la question de l'accès à des données confidentielles sur les clients par Immigration Canada. Ce sont des choses qui nous semblent complètement inacceptables.
¸ (1420)
Heureusement, au Québec, on est loin de là et on en est très heureux. Nos collègues du reste du Canada nous envient beaucoup de ne pas être soumis à cette pression exercée par CIC au niveau de toute la gestion et de la performance rattachées au financement et également au niveau de toute la question de la confidentialité des renseignements sur la clientèle qui, pour nous, est fondamentale et qui ne semble plus être un problème pour CIC.
Il y a un autre élément qu'on peut souligner en ce qui a trait au Québec. Vous savez que les organismes communautaires offrent des services. Or, toute la partie des services directs qu'ils donnent à cette clientèle est un petit segment de l'ensemble des activités de ces organismes. Malheureusement, le gouvernement ne finance souvent que ce petit segment et ne tient pas du tout compte de la mission de l'organisme. Qu'on parle de la défense des droits ou des organismes communautaires comme lieux d'activités civiques, de citoyenneté et de participation civique, ces éléments ne sont pas reconnus par Immigration Canada, le principal bailleur de fonds de ces organismes, alors qu'au Québec, depuis maintenant un an, on a ce qu'on appelle la politique de reconnaissance et de financement de l'action communautaire, qui est la politique du gouvernement du Québec. On reconnaît la mission de l'organisme et on s'engage à financer cette mission, que ce soit dans le secteur de l'accueil et de l'intégration ou dans d'autres secteurs comme les groupes de femmes, les groupes en environnement et les groupes des personnes handicapées. Donc, le gouvernement reconnaît maintenant formellement toute cette activité qui est importante pour toute la vie communautaire, la vie associative, la participation civique et le rôle que jouent les organismes, et il finance aussi cet aspect. Il donne un financement de base, qu'on appelle en anglais un core funding, à ces organismes. C'est un modèle intéressant dont le gouvernement fédéral pourrait s'inspirer.
Voilà quelques éléments qui vous donnent une idée de notre secteur.
Vous vous questionnez beaucoup sur la question de la régionalisation de l'immigration et sur l'installation des immigrants et des réfugiés en région. Louise, qui vient de Sherbrooke, pourra en parler, parce que c'est son travail quotidien. Je ne sais pas si Rivka voudra ajouter quelques éléments. On peut aussi répondre à vos questions.
¸ (1425)
Mme Louise Carrier-Corriveau (conseillère en adaptation, Service d'aide aux néo-canadiens, Carrefour d'intégration des immigrants de l'Estrie): Bonjour. L'organisme pour lequel je travaille existe depuis 1954. Il fait aussi partie de la table de concertation. C'est très important pour nous aussi, parce que chaque fois que quelque chose ne fonctionne pas dans un coin de la province ou du Canada, il est intéressant de pouvoir en parler à d'autres. Est-ce que ça fonctionne mal dans votre coin aussi? Qu'est-ce qui ne va pas? Comment va-t-on faire pour trouver une solution?
Je travaille au Service d'aide aux Néo-Canadiens depuis 17 ans. Je le sais parce que depuis 16 ans, le 6 février, il y a un monsieur qui m'apporte des fleurs en me disant chaque fois depuis combien d'années il le fait. Cette année, c'était la seizième fois qu'il m'apportait des fleurs. C'est à cause de l'accueil qu'il y a dans une région éloignée, ou dont on pense qu'elle est éloignée. Dans plusieurs coins, on peut avoir un accueil très chaleureux, et je pense que c'est très important. Pour accueillir chaleureusement les gens, premièrement, il faut avoir des infrastructures, des classes d'accueil et des endroits où les gens vont se sentir bien. Il faut aussi avoir des programmes de jumelage, entre autres, des programmes de recherche d'emploi afin d'aider à chercher un l'emploi, etc. Ainsi, les gens vont rester.
Dans le journal d'aujourd'hui, on dit que les statistiques indiquent que 75 p. 100 des gens qui viennent au Québec restent au Québec. Le chiffre est de 81 p. 100 parmi les travailleurs. C'est un taux de rétention important. Dans la région de Sherbrooke, on a un bureau d'Immigration Canada. On a aussi le MRCI et un programme qui s'appelle le Fonds de développement de l'immigration en région, soit le FDIR, où on travaille en collaboration avec plusieurs organismes de Montréal pour présenter les régions. Je vous parle de Sherbrooke, mais ça existe dans presque toutes les régions du Québec. C'est un programme qui existe pour présenter les régions, et en collaboration avec des organismes de Montréal, on essaie d'intéresser les gens à aller dans les régions, car on ne peut pas les y forcer.
Par contre, il y a des gens qui sont très heureux de cela, des gens qui viennent souvent de petites villes et qui n'ont pas le goût de se retrouver dans une grande capitale pour toutes sortes de raisons, surtout quand il y a une communauté d'accueil assez importante.
Dans la région de Sherbrooke, nous avons reçu plus de 3 000 réfugiés de l'ex-Yougoslavie. On a donc une très bonne communauté de Yougoslaves et ceux-ci sont très bien. On reçoit maintenant des Afghans. Il y a une communauté d'environ 400 Afghans. On compte aussi environ 400 Colombiens, etc. Il faut qu'il y ait une communauté significative pour retenir les gens dans une région.
Est-ce que certains ont des questions à poser là-dessus? Je pourrais vous parler très longuement du programme, mais je ne veux pas m'éterniser parce que je sais que Rivka a d'autres choses à dire. Il me fera plaisir de répondre à vos questions. Merci.
¸ (1430)
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Préférez-vous qu'on passe à la période de questions et qu'on vous permette de faire votre exposé ensuite?
Mme Rivka Augenfeld: Je n'ai pas vraiment un exposé à faire; je veux seulement pour compléter ce que les autres ont dit.
Des organisme comme celui que Louise représente se retrouvent partout au Québec. Il faut aussi dire qu'il y a quelques organismes qui sont là depuis très longtemps, par exemple à Sherbrooke, à Québec et à Hull, qui est maintenant Gatineau. Mais il y a aussi un réseau d'organismes qui se sont ajoutés depuis la conclusion de l'entente Canada-Québec et depuis que le Québec a décidé de commencer sa régionalisation de l'immigration avec la régionalisation des réfugiés parrainés par le gouvernement. Cela s'applique aux réfugiés qui sont sélectionnés à l'étranger et que le Québec a décidé d'appeler les «réfugiés publics», pour des raisons que je ne comprends pas trop. Donc, on a décidé de régionaliser les réfugiés publics, c'est-à-dire les personnes sélectionnées à l'étranger et appuyées par le gouvernement.
Évidemment, si vous êtes quelque part dans un camp et qu'on vous dit que si vous acceptez d'aller à Jonquière, vous allez venir plus vite, vous ne pourrez pas refuser. Ensuite il faut mettre ça en application. Donc, depuis plusieurs années, on a des réfugiés à Jonquière, à Victoriaville, à Drummondville, à Trois-Rivières, à Saint-Hyacinthe, à Granby, etc. Il s'est créé un réseau d'organismes, dont certains avaient une expérience préalable; d'autres ont appris sur le terrain. C'est en recevant leur première famille qu'ils ont commencé à apprendre ce qu'était l'accueil des réfugiés. Maintenant, c'est ce réseau dans tout le Québec qui fait notre force.
Mais partout, on a les mêmes problèmes. Je vais prendre une minute pour vous parler de ces problèmes qui nous dépassent et qui dépassent peut-être les compétences du comité. Mais si on ne les résout pas, on aura un vrai problème, et je pense que c'est la même chose partout.
Il y a une crise du logement au Québec. Immigration Canada et les MRC ne vont pas la résoudre tout seuls. Ce sont des problèmes de gouvernement, des problèmes de société. Il faut une collaboration horizontale. Si les Québécois, les personnes nées ici, les Montréalais ont des problèmes à trouver des logements, imaginez le sort des immigrants, des réfugiés, des personnes qui n'ont pas encore de crédit établi, qui arrivent sans moyens ou qui sont un peu plus visibles que d'autres. Quand il y a une crise comme celle-là, tous les vieux préjugés ressortent. Quand le taux d'inoccupation était élevé, les propriétaires se tenaient tranquilles et étaient heureux d'avoir des locataires. Aujourd'hui, ils peuvent choisir. Ce n'est pas toujours la personne qui le mérite qui obtient le logement, et ce n'est pas une personne nouvellement arrivée qui peut, chaque fois qu'elle se fait refuser un appartement, aller porter plainte à la Régie du logement.
L'autre chose, je pense que Stephan l'a mentionnée. C'est de plus en plus probant. On sélectionne les personnes pour leurs compétences. Je suis dans ce domaine depuis presque 30 ans et je crois que pour la première fois, je vois du mouvement dans cette question de reconnaissance des acquis. Il ne faut pas lâcher. On sélectionne des gens de toutes sortes de pays pour leurs compétences, pour leur éducation, pour leur expérience de travail, mais depuis le 11 septembre, et même avant, une fois arrivés ici, ces gens sont perçus non pas comme des immigrants compétents, mais comme des gens qui arrivent d'un pays X et qui sont de telle religion. Surtout depuis le 11 septembre, on encourage le public à craindre un peu certaines personnes. Il faut vraiment faire attention aux messages qu'on véhicule, à la publicité. Il faut penser à une campagne de sensibilisation du public pour soutenir cette immigration. On ne peut pas faire venir des gens et ensuite laisser planer des doutes sur une communauté entière parce qu'elle vient d'un pays quelconque ou parce qu'elle pratique une religion quelconque. Il n'y a pas eu de grandes déclarations ouvertes, heureusement. On n'a pas eu d'émeutes ou d'attaques, sauf quelques-unes au tout début. Mais c'est beaucoup plus souterrain. Cela ne se dit pas ouvertement, et les personnes qui en souffrent ne vont pas souvent sur la place publique.
Si on veut soutenir notre immigration et faire tout ce qu'il faut pour que les gens puissent s'intégrer, ce n'est pas seulement l'immigrant qui doit faire un effort; c'est la société qui doit ouvrir sa porte et voir ce qu'il faut faire pour que les gens se sentent accueillis, et ce qu'il faut faire par rapport à la population déjà ici et même aux groupes qui sont arrivés comme immigrants plus tôt. Personne n'est un ange. On a tous certains préjugés. Il faut travailler très fort pour que tout le monde comprenne que celui qui arrive maintenant est un peu comme celui qui est arrivé avant.
¸ (1435)
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): C'est évident qu'il y a une réflexion citoyenne à faire sur toute la réalité de l'immigration, réflexion d'autant plus importante qu'il est clair pour tous les gens qui connaissent la question que c'est un besoin pour un pays comme le Canada.
Mme Rivka Augenfeld: Mais en respectant la diversité.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): On va passer à la première période de questions.
[Traduction]
Madame Ablonczy, avez-vous une question ou préférez-vous attendre?
Mme Diane Ablonczy: Je préfère laisser la parole à M. Pickard.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Je sais qu'Yvon est prêt, mais Jerry l'est peut-être aussi.
M. Jerry Pickard: Plusieurs des choses qui ont été dites ressemblent à ce que nous avons entendues. Prenez le cas du logement. C'est un problème grave pour tous ceux qui arrivent, et pourtant, il n'y a pas suffisamment d'argent pour loger tous les immigrants qui arrivent au pays.
Il faut bien sûr de l'argent pour rassembler les gens et leur offrir des services. J'ai trouvé intéressante votre idée de mettre en place une collectivité à laquelle d'autres pourraient se joindre. L'un des grands problèmes, dans le domaine de l'immigration, c'est que de telles communautés existent déjà à Toronto, à Montréal et à Vancouver, mais pas nécessairement dans les autres régions du Canada. Ces autres régions peuvent être situées dans l'arrière pays du Québec, des provinces de l'Atlantique ou de l'Ouest canadien.
Il y a des collectivités plus petites, et pas seulement au Québec. Il y a également l'aspect des zones rurales. Il faut mettre en place un réseau. Si nous cherchons des gens qui peuvent créer de nouveaux débouchés, amener de la technologie et fournir de la main-d'oeuvre professionnelle et spécialisée dans nos régions—nous en avons tout autant besoin là que dans nos grands centres—que pouvons-nous faire pour nous assurer que l'immigration n'est pas simplement concentrée dans les zones plus densément peuplées? Que peut-on faire pour que l'immigration puisse alimenter nos collectivités plus petites?
Nous pouvons mettre en place des mécanismes de soutien, prendre les mesures nécessaires et réaliser des progrès. Vous avez tout à fait raison. Dans le cas du logement, où le logement est-il le plus coûteux au Québec? Je sais combien coûte une chambre dans cet hôtel et je peux imaginer combien coûte un petit appartement dans cette région. Ce coût est prohibitif, à moins d'avoir d'excellents revenus.
Il faut donc résoudre cette question essentielle de l'immigration et de l'établissement des immigrants, de l'acceptation dans nos collectivités au-delà des groupes sociaux et des réseaux qui existent dans les grandes villes. Comment est-ce possible?
[Français]
M. Stephan Reichhold: J'ai une réponse assez simple et brève sur les endroits au Québec où cela a marché, où il y a des petites communautés qui ont commencé à s'installer, par exemple à Granby, Drummondville, Saint-Jérôme et Joliette, qui sont des petites villes. Qu'est-ce qu'il y a dans ces villes? Il y a une infrastructure d'accueil, des ressources—le Québec a investi dans des ressources—, des cours de langue et une expertise pour accueillir les personnes. Comme Louise le disait, ça semble fonctionner. Il faut aussi des emplois, sinon ça ne marche pas.
¸ (1440)
[Traduction]
Mme Rivka Augenfeld: Le problème, c'est que les gens doivent connaître un endroit avant de vouloir s'y établir. Cela peut sembler stupide à première vue, mais c'est vrai. Louise peut vous en dire davantage au sujet du programme dont elle a parlé, le FDIR,
[Français]
le fonds de développement.
[Traduction]
Il existe une migration secondaire que nous essayons d'encourager. On dit toujours que Montréal ne veut pas laisser les gens partir dans les régions. Ce n'est pas vrai. Ce que nous voulons, c'est éviter qu'on nous enlève les ressources dont nous avons besoin. Si vous préconisez la régionalisation, investissez davantage de ressources dans cette mesure.
Il faut également voir ce qui se passe dans vos régions. On ne peut régionaliser là où le taux de chômage est élevé. Ce n'est pas brillant d'amener d'autres gens dans une région que sa population est en train de quitter. Nous savons que les taux d'emploi sont meilleurs dans certaines régions. Il en va de même au Manitoba. Vous avez sans doute entendu dire que certaines régions dans cette province réclament des travailleurs. Lorsque des immigrants arrivent au Québec, ils savent à peine ce qu'est le Québec—malgré tout le respect que je nous dois et quelles que belles images que nous ayons de nous-mêmes—et Granby ne leur viendrait jamais à l'esprit.
Lorsque les immigrants sont à Montréal, nous essayons de voir de quoi ils ont besoin. À Montréal, les agences mettent en oeuvre des programmes en collaboration avec des agences régionales—Louise peut vous en parler—de façon à encourager les immigrants à explorer autour d'eux et à voir ce qui existe ailleurs. Étonnement, certains d'entre eux vont s'établir en région.
M. Jerry Pickard: J'ai deux très petites questions à ce sujet. Avez-vous des pourcentages? Lorsque de nouveaux immigrants arrivent au Québec, quel pourcentage d'entre eux s'installent à Montréal et à Québec, comparativement à ceux qui vont s'établir dans le reste de la province? Ma deuxième question va dans le même sens. Comment peut-on à votre avis éliminer les obstacles à l'embauche des immigrants dans des professions et des métiers techniques, de façon à profiter au mieux de leurs compétences au lieu de les laisser pour compte? Pourriez-vous également répondre à cette question?
Mme Rivka Augenfeld: Pour ce qui des pourcentages, 80 p. 100 environ des immigrants s'établissent à Montréal. La même chose s'applique à toutes les grandes villes. Mais Louise pourra peut-être répondre à votre question au sujet des compétences professionnelles.
[Français]
Qu'est-ce qu'on peut faire pour les nouveaux travailleurs qui arrivent chez vous?
Mme Louise Carrier-Corriveau: En ce moment, il y a suffisamment d'emplois dans la région. Il y a aussi des services spécialisés qui aident les gens à trouver des emplois. Souvent, en région, les personnes qui s'occupent d'amener les gens ont déjà exploré les possibilités d'emploi. Donc, quand les gens arrivent, ils ont souvent déjà un emploi. Dans presque 75 p. 100 des cas, les gens ont déjà des emplois ou ont deux ou trois entrevues en perspective.
Stephan parlait tout à l'heure de la non-reconnaissance des acquis et des diplômes, surtout pour les médecins, mais aussi pour les autres. C'est un problème. Mais il y a beaucoup de gens qui acceptent un poste de technicien en attendant de trouver mieux. Ils s'adaptent à une région et essaient ensuite de trouver quelque chose de mieux ailleurs.
Mme Rivka Augenfeld: Il y a une autre chose qu'il faut maintenant regarder. Ce sont de petits gestes, mais c'est plus que ce qu'il y a eu depuis longtemps. Il faut dire que le MRCI a fait beaucoup à cet égard. Certaines corporations et certains ordres ont commencé à bouger, mais cela a été très lent. Le gouvernement peut bien choisir comme immigrant un ingénieur, un architecte, une infirmière ou un orthophoniste, mais... Au Québec, par exemple, il y a une pénurie d'orthophonistes, d'audiologistes, etc., mais il y a des barrières à la pratique. Depuis quelque temps, il y a plusieurs projets-pilotes. On leur a peut-être fait une offre qu'ils ne pouvaient pas refuser, mais certaines corporations et certains ordres commencent à bouger et il y a des projets-pilotes. On ne va pas assez vite, mais on en fait plus qu'auparavant. On ne peut pas aller chercher à l'étranger la crème de la crème, parce qu'au Canada, encore plus qu'au Québec, la barre est très haute.
¸ (1445)
[Traduction]
On ne peut pas aller chercher les meilleurs éléments, ceux qui ont le choix, pour leur interdire ensuite de travailler. Nous allons chercher des gens qui ont des possibilités, qui peuvent choisir d'aller ailleurs. Si nous voulons les garder ici, il faut leur permettre de travailler.
Il faut s'assurer que leurs diplômes sont l'équivalent des nôtres, c'est bien raisonnable. Il n'y a rien de mal à cela. Mais il ne faudrait pas que cela prenne des années et il ne faudrait pas que leurs qualités soient rejetées pour des raisons stupides. Ils ne devraient pas être disqualifiés pour des raisons de protectionnisme au sein d'une profession ou d'une autre.
[Français]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Avant de passer la parole à M. Charbonneau, je dois dire qu'il y a quelque chose d'assez intéressant qui se passe relativement aux ententes qu'il y a eu entre l'Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec et celui de la Belgique. Cela pourrait peut-être servir de modèle à un certain nombre de nos corporations et ordres qui semblent un peu plus réticents et fermés.
Yvon, tu as la parole.
M. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.): Merci.
J'ai deux questions, dont l'une s'adresse à M. Reichhold ou à quelqu'un d'autre.
Vous avez mentionné qu'en 1991, il y avait eu un accord ou plutôt le renouvellement d'un accord antérieur, qui a transféré au Québec le programme ainsi que le financement pour ce qui est de l'établissement. Vous avez également mentionné que dans les années qui ont suivi, il y a eu une diminution des services ainsi que des difficultés sur le plan de la réorganisation, mais qu'on a ensuite remonté la pente.
Pouvez-vous nous expliquer la formule de financement? Est-ce une somme forfaitaire que le fédéral verse chaque année? Est-ce un programme pluriannuel? Est-ce que c'est selon le nombre de personnes? Avez-vous une idée de la formule?
M. Stephan Reichhold: Je pense que c'est une formule assez intéressante pour le Québec. C'est M. Louis Bernard, un grand négociateur, qui a négocié l'entente à l'époque. Vous pouvez imaginer que cela a été bien négocié. C'est une entente qui permet au Québec de recevoir, jusqu'à la fin des temps, un transfert d'argent indexé qui n'est pas relié au nombre d'immigrants. Donc, que le Québec reçoive un immigrant ou 100 000 immigrants, il recevra toujours le même montant. Actuellement, avec l'indexation, on est rendu à environ 111 millions de dollars par année. C'est un transfert automatique sans obligation de reddition de comptes. Le Québec n'a pas à dire comment il a dépensé l'argent.
M. Yvon Charbonneau: C'étaient les belles années.
M. Stephan Reichhold: Disons que c'était dans le contexte du lac Meech. Cela devait être la première étape de beaucoup d'autres étapes subséquentes, mais qui n'ont jamais eu lieu. Mais on ne se plaint pas. Pendant la période des vaches maigres et du déficit zéro, alors qu'il y a eu des coupures dans tous les ministères, surtout pour les programmes, notre secteur n'a pas été affecté parce qu'il recevait cet argent chaque année. Le chèque arrive chaque année d'Ottawa.
La seule contrainte de l'entente, c'est que le Québec a l'obligation d'accepter l'équivalent de sa population en termes d'immigration humanitaire, ce qui représente à peu près 23 ou 24 p. 100 de l'ensemble de l'immigration humanitaire au sens large du terme. Cela comprend tous les demandeurs d'asile. Ce qui est un peu rigolo, c'est que la seule manière pour le Québec de ne pas briser l'entente est d'accepter les demandeurs d'asile. S'il n'y avait pas les demandeurs d'asile au Québec, ce dernier ne serait pas capable de respecter l'entente. En fait, les demandeurs d'asile constituent en quelque sorte un avantage.
M. Yvon Charbonneau: Madame la présidente, à Halifax, nous avons entendu un organisme qui a témoigné devant nous, le YMCA, qui nous a dit qu'il était financé directement par le fédéral. Est-ce qu'il y a, au Québec, des organismes qui sont financés directement par le fédéral?
¸ (1450)
M. Stephan Reichhold: Non, pas dans le champ de l'accueil et de l'intégration au sens large. Il y en a peut-être au niveau de Patrimoine Canada, qui finance des projets reliés aux relations civiques, aux activités antiracistes et à des choses comme celles-là. Il est possible que le YMCA obtienne son financement pour des projets dans ce domaine. Autrement, aucun cent n'est...
Mme Rivka Augenfeld: Il y a maintenant quelques provinces qui ont signé des ententes sur l'établissement. Le Québec est la seule province à avoir aussi signé une entente qui couvre l'immigration.
Il y a très peu de personnes qui se rappellent comment c'était en 1991. L'entente avait été négociée sur la base d'une volonté exprimée par le Québec d'accueillir 25 p. 100 des immigrants au Canada pour maintenir son poids démocratique dans le Canada. Donc, à l'époque, le Québec avait exprimé son intention d'accueillir jusqu'à 25 p. 100 des immigrants et, en échange, il avait reçu—parce que les sommes n'ont plus aujourd'hui les mêmes proportions—30 p. 100 de l'argent. Jusqu'à maintenant, en 12 ans, il n'est jamais arrivé qu'on atteigne même 20 p. 100.
Comme Stephan l'a dit, le Canada accepte chaque année entre 7 300 et 7 500 réfugiés sélectionnés à l'étranger, et le Québec accepte environ 1 800 de ces gens. C'est une proportion beaucoup plus respectable. Parce qu'on est une province où il y a des aéroports internationaux, on reçoit à peu près le tiers des revendicateurs du statut de réfugié qui arrivent, qui font leurs demandes ici, au Québec. Mais pour le reste, on est loin de 25 p. 100. On ne s'est jamais approché de cette proportion de 25 p. 100.
M. Yvon Charbonneau: Puis-je poser une troisième petite question?
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Oui. Tu ne parles pas beaucoup, Yvon. Je vais être généreuse avec toi.
M. Yvon Charbonneau: C'est à propos de l'établissement en région. Le comité s'en préoccupe très sérieusement, le ministre y tient aussi et tout le monde trouve ça important. Il y a trop de concentration à Montréal et à Toronto. Finalement, cela fait deux sociétés dans une, en tout cas au Québec. Il y a un grand risque quand 85 p. 100 des immigrants se concentrent à Montréal. Dans 20 ans, les communautés qui n'ont pas accueilli d'immigrants et Montréal ne se comprendront plus.
Le travail qui se fait chez vous m'est assez familier. Dans des régions comme Rimouski, Chicoutimi et Rouyn, il y a des cégeps, des universités, plusieurs bonnes institutions et de l'activité, mais, comme vous l'avez si bien dit tout à l'heure, on a besoin d'avoir une communauté de base pour attirer ceux qui sont du même groupe. Il y a là un cercle vicieux. S'il n'y a pas de moyens pour constituer la communauté de base, ils ne viennent pas, et s'ils ne viennent pas, il n'y aura jamais de communauté de base. Vous avez dit qu'il y avait 300 ou 500 personnes de telle ou telle catégorie à Sherbrooke. Donc, il y a des noyaux de base intéressants.
Parlons des mesures incitatives. Le logement, l'emploi et la reconnaissance des acquis, tout cela est général, mais croyez-vous aux mesures incitatives économiques pour les régions? Avez-vous une pensée là-dessus ou un message à nous transmettre? Je pense par exemple à une réduction d'impôt de 10 p. 100 pour les trois premières années, à une subvention au logement ou à divers trucs à caractère économique qui pourraient faire que des personnes resteraient à un endroit pendant deux ou trois ans. En deux ou trois ans, ils auraient le temps de prendre racine. S'ils ne prennent pas racine en trois ans, c'est qu'ils ont de bonnes raisons d'aller ailleurs.
Est-ce que des formules semblables ont été explorées, mises de l'avant, tentées? Si ce n'est pas de la part du gouvernement, ça peut être de la part d'une municipalité. On pourrait penser à une réduction de la taxe foncière de 10 p. 100 pour un certain nombre d'années. Croyez-vous à cela?
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Je pense que Louise a quelque chose à dire.
Mme Louise Carrier-Corriveau: Au niveau de l'impôt, je pense qu'il y a plusieurs...
M. Yvon Charbonneau: Donnez-nous des exemples.
Mme Louise Carrier-Corriveau: Je pense qu'il pourrait effectivement y avoir des mesures incitatives, mais pas nécessairement au niveau de l'impôt, parce que plusieurs personnes trouveraient que ce n'est pas très juste pour les personnes qui sont déjà en place. Notre problème est souvent très simple: les gens n'ont pas l'argent nécessaire pour prendre l'autobus pour aller dans la région de Sherbrooke, dans celle de Chicoutimi ou ailleurs pour voir ce qui s'y fait, comment ils y seront reçu et s'ils peuvent y travailler. Les gens n'ont même pas d'argent pour prendre l'autobus. Chez nous, nous avons trouvé un bel endroit où, pour 25 $ par jour, on les accueille avec des repas, etc. Il faut qu'il y ait une espèce d'infrastructure pour les aider à visiter la région. Ensuite, on pourrait les inciter à venir s'installer dans la région en leur disant qu'on va payer leur déménagement, par exemple. On le fait parfois pour certaines choses. Il pourrait très certainement y avoir des mesures incitatives.
Nous avons 127 bénévoles dans notre organisme. C'est sûr que les gens sont traités aux petits oignons. On les amène partout dans la région. Je sais qu'on fait la même chose à Mégantic et dans plusieurs autres régions. Ce sont des mesures incitatives. Si on avait un peu plus de soutien pour payer les frais de transport de nos bénévoles qui font de telles choses, ce serait une mesure incitative. Je ne suis pas certaine qu'une réduction d'impôt serait une bonne mesure incitative à ce niveau-là.
¸ (1455)
Mme Rivka Augenfeld: Dans certaines villes, même plus petites, on a encouragé plusieurs personnes d'un même pays à venir s'installer ensemble. Surtout dans le cas des réfugiés, il ne faut pas faire venir seulement une famille ou deux, car ce c'est pas vivable pour ces gens. Les gens qui ont vécu des choses terribles ont besoin de soutien. On peut faire venir 30 ou 40 personnes à la fois et en ajouter d'autres par la suite.
Il y a un deuxième avantage en ce qui concerne les réfugiés sélectionnés à l'étranger. La politique du MRCI est de les établir partout sauf à Montréal, sauf dans le cas des quelques centaines de personnes qui ont de très bonnes raisons de s'installer à Montréal: la famille, certaines professions, etc. Mais en général, on les établit maintenant partout au Québec, entre autres dans la ville de Québec. Un nombre important de réfugiés se sont établis à Québec, mais on fait face à des problèmes de logement, par exemple. C'est un problème. Du côté positif, on peut dire que le gouvernement, à la suite de nombreuses interventions, a fait venir beaucoup plus de familles d'Afrique. On fait maintenant venir des familles qui ont passé plusieurs années dans des camps de réfugiés en Tanzanie, mais ce sont de grandes familles, comme on n'en a pas vu au Québec depuis quelque temps.
Autrefois, la norme au Québec était d'avoir cinq, six, sept ou huit enfants, ou même dix ou douze enfants, mais ce n'est pas courant aujourd'hui. Quand une famille de réfugiés arrive avec sept ou huit enfants, on ne sait pas où les mettre. Vous n'êtes pas sans savoir qu'après l'installation initiale, alors qu'on fournit aux gens les choses de base—s'il y a huit personnes, il y a huit fourchettes, etc.—, il faut trouver un logement assez grand et un propriétaire qui acceptera une famille de huit enfants. Par la suite, ces gens vivent de la sécurité du revenu. On ne peut pas les mettre n'importe où. On ne peut pas leur trouver un appartement qui coûte 2 000 $ parce qu'ils ne pourraient pas le payer. Il faut que les gens apprennent très vite à vivre avec un budget extrêmement modeste. Dans ces grandes familles, il y a parfois des suivis médicaux à faire et il y a des personnes qui ne sont pas autonomes. C'est une autre chose. On a dit qu'on voulait faire venir des réfugiés qui avaient besoin d'être réinstallés, mais il faut... [Note de la rédaction: Inaudible]. Il y a un nombre étonnant de familles qui restent en région.
Je ne sais pas si vous savez qu'au Canada, on a ce qu'on appelle la catégorie des personnes de pays source. On fait venir certaines personnes directement du pays parce qu'elles ont toutes les qualités nécessaires pour devenir des réfugiés sauf qu'elles... [Note de la rédaction: Inaudible] ...le pays. La Colombie est un de ces pays. Le Québec accueille presque tous les Colombiens que le Canada fait venir. Les Colombiens sont maintenant établis un peu partout au Québec, y compris à Sherbrooke, et un bon nombre d'entre eux vont y rester.
Pour que cela réussisse, il ne faut pas qu'il y ait un seul organisme ou un seul ministère qui s'en occupe. Il faut que toutes les MRC, toutes les instances, les municipalités, les maires, les chambres de commerce s'en occupent. On a un organisme à Rimouski qui, petit à petit, essaye d'impliquer tous les gens de la municipalité, mais ce n'est pas évident. Il faut y travailler, et ce n'est pas un petit organisme qui peut faire cela tout seul.
M. Stephan Reichhold: À Rimouski, dans peu de temps, il y aura une grosse opération pour établir des immigrants. Ça bouge beaucoup à Rimouski.
Un des éléments importants, qui porte des fruits, c'est la sensibilisation de la communauté d'accueil. Ce n'est pas évident. Depuis trois ou quatre ans maintenant, on a une équipe de formateurs qui sillonne les régions du Québec, et ça marche très bien. Avec l'organisme local, on organise des séances de formation sur le parcours migratoire, sur la médiation interculturelle et sur d'autres questions. Il faut parler au travailleur social du coin, au CLSC, à l'école, à l'employé de la caisse Desjardins. Ces intervenants viennent à ces formations et adorent cela. Ils nous demandent de revenir. C'est à petite échelle, mais cela a un effet. Je pense qu'on a fait cela à Sherbrooke. Ce type de travail est très utile. On ne peut pas juste s'occuper de l'accueil des nouveaux arrivants. Il y a aussi tout un travail à faire au niveau de la communauté d'accueil, qu'il ne faut pas négliger.
¹ (1500)
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Monsieur Pacetti.
M. Massimo Pacetti: Je reviens à la question que M. Charbonneau a soulevée. Vous dites que vous avez des communautés de Yougoslaves et d'Afghans en Estrie. On a là un exemple concret. Comment les a-t-on fait venir? Comment a-t-on développé la communauté? Est-ce qu'on les a mis dans un autobus? Vous avez dit qu'il y avait 3 000 Yougoslaves. Comment a-t-on développé la communauté?
Mme Louise Carrier-Corriveau: Quand la guerre a commencé, on a commencé à en recevoir, mais pas seulement deux ou trois. Je ne me souviens pas exactement en quelle année, mais à Sherbrooke, on avait reçu une dizaine d'Éthiopiens. Ils ne sont pas restés à Sherbrooke parce qu'ils n'avaient pas été assez nombreux à arriver en même temps. Par contre, pour la communauté de l'ex-Yougoslavie, il y a eu des autobus. On en recevait parfois 67 au cours de la même semaine. Au bout de deux ou trois semaines comme celle-là, la communauté commence à prendre forme. Quant aux Afghans, ils ont une mosquée, etc.
M. Massimo Pacetti: Les avez-vous pris à l'aéroport pour les amener chez vous?
Mme Louise Carrier-Corriveau: Non.
M. Stephan Reichhold: C'est Québec qui...
Mme Louise Carrier-Corriveau: Oui.
M. Massimo Pacetti: Merci.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Diane.
[Traduction]
Mme Diane Ablonczy: Il me reste une question à poser, même si mes collègues ont déjà posé la plupart de mes questions.
Monsieur Reichhold, vous avez dit qu'il fallait fournir des renseignements confidentiels dans les propositions de financement, propositions dont vous êtes heureusement exemptés. D'autres parties du pays n'ont pas la même chance. Je n'étais pas tout à fait au courant, et je me demande si vous pourriez nous donner une idée de l'ampleur des renseignements qui sont demandés dans ces propositions.
[Français]
M. Stephan Reichhold: D'après ce que je sais et ce qu'on me dit, les organismes qui sont financés par Citoyenneté et Immigration Canada dans le cadre du PEAI, le Programme d'établissement etd'adaptation des immigrants, doivent fournir l'identité de chacun de leurs clients. C'est un système informatisé. Donc, ils doivent entrer toute l'information sur leurs clients pour que CIC puisse y avoir accès. C'est une condition pour être financé.
[Traduction]
Mme Rivka Augenfeld: Pour vous donner le point de vue opposé, chaque agence doit fournir des statistiques. Nous devons fournir des statistiques sur le nombre de clients qui nous ont consultés et le genre de services qu'ils ont reçus, mais l'identité du client demeure confidentielle. Nous fournissons des statistiques sur des catégories, c'est-à-dire le nombre d'immigrants indépendants, le nombre d'immigrants de la catégorie des familles, le nombre d'hommes, le nombre de femmes et le genre de services. Mais l'identité des clients eux-mêmes n'est pas divulguée.
C'est un problème dans le reste du Canada, mais je crois que vous devriez obtenir de plus amples renseignements auprès des personnes qui sont directement touchées. Certaines grandes agences d'installation des immigrants à Ottawa se feraient sans doute un plaisir de venir vous expliquer ce problème. Je pense entre autres à l'Organisation des services aux immigrants d'Ottawa-Carleton et au Centre catholique pour immigrants. Ils seraient beaucoup mieux en mesure de vous expliquer le problème et de vous parler des batailles qu'ils ont dû livrer avec Immigration Canada.
Au tout début, on a fait une tentative à laquelle nous avons pu résister. Nous avons rapidement gagné la bataille et démontrer que nous pouvions rendre de bons comptes sans avoir à fournir l'identité des clients.
Mme Diane Ablonczy: Savez-vous pour quelle raison ces renseignements sont demandés?
¹ (1505)
Mme Rivka Augenfeld: Vous devrez poser la question à CIC. Cela relève de ce ministère.
Mme Diane Ablonczy: Oui, et ce n'est pas seulement une question théorique. Il ne faut pas oublier que c'est la même administration qui accordera ou non la citoyenneté aux demandeurs dans certains cas, aux termes de l'article 18 de la nouvelle loi. C'est également dans le même ministère que circule cette idée d'une carte d'identité nationale. Les inquiétudes que suscite la culture organisationnelle de ce ministère vont au-delà des simples propositions de financement.
Mme Rivka Augenfeld: Je suppose—et ce n'est qu'une supposition—que cela pourrait servir à voir combien de fois M. X ou Mme Y a recours aux services de l'agence. Certaines personnes ont besoin de plus de services que d'autres. Certains ont recours aux services trois ou quatre fois seulement. Dans d'autres cas, cela peut être 10 ou 15 fois.
Si je puis parler de cela, c'est entre autres parce que j'ai commencé ma carrière comme agent auprès du public. J'ai travaillé dans une agence de services pendant 17 ans. C'est là que j'ai appris la plupart des choses que je sais au sujet de l'installation des immigrants. Certaines personnes viennent vous consulter à quelques reprises pour obtenir de l'information et cela leur suffit. D'autres viennent pendant des années et ont besoin d'aide. Ce n'est pas par manque de collaboration.
Si l'on commence à compter le nombre des visites et à se demander s'il n'est excessif qu'une telle personne ait eu recours aux services...? Certaines personnes ont recours à plus d'une agence pour des raisons très légitimes. Certains services sont offerts à un endroit et d'autres services offerts à d'autres endroits. Et puis après? Il pourrait également y avoir des contrôles à ce sujet. Je trouve donc qu'il est assez dangereux de vérifier qui ces gens consultent, car qui sait à quoi d'autre ces renseignements pourraient servir. Je n'en sais rien. Je fais des suppositions, mais je crois que vous devriez poser ces questions à CIC.
De plus, nous avons tous des ordinateurs de façon à mieux pouvoir communiquer toutes nos statistiques.
[Français]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Monsieur Pickard.
[Traduction]
M. Jerry Pickard: Pour moi, il y a un écart profond entre nos objectifs énoncés et notre orientation. Je m'explique. Quand les immigrants sont arrivés au Canada il y a 50 ans, on a créé des communautés d'agriculteurs, d'immigrants d'installés et de travailleurs de divers métiers. Si l'on avait besoin de briqueleurs ou d'autres travailleurs spécialisés, on développait un groupe.
Aujourd'hui, Immigration Canada dit que notre objectif est d'attirer des professionnels et des techniciens. Ces gens-là arrivent individuellement et non par groupe. La seule façon pour ces gens de se retrouver dans un réseau, d'avoir une vie sociale, de répondre aux besoins de leur famille et d'établir un réseau de relations pour leur conjoint, c'est de s'écarter des régions et de venir à 90 p. 100 à Montréal.
Cela fonctionne à l'envers, car si nous voulons un dentiste, celui-ci sera obligé de s'établir à Montréal ou à Québec pour avoir une vie sociale, pour avoir des relations avec des gens qui partagent des intérêts et une culture semblable à la sienne. Il ne trouvera pas cela dans des régions éloignées. C'est comme si nous allions chercher des gens de façon isolée, et le dépeuplement de ces zones isolées fait partie du problème.
Voyez-vous une contradiction dans ce réseautage dont nous parlons? Pour ma part, j'en vois une. C'est un scénario à peu près impossible si nous voulons attirer des professionnels et des techniciens dans des domaines particuliers. Nous allons les retirer des réseaux qui leur fournissent un soutien social, familial et culturel, et nous nous attendons à ce qu'ils demeurent en retrait. C'est du moins ma compréhension de la chose.
Dites-moi que j'ai tort, cela me ferait plaisir. J'essaie de voir comment il serait possible d'attirer davantage d'immigrants dans les régions rurales et les petites villes et de les y conserver. Mais d'après ce que je vois, cela ne fonctionne pas. Du moins, je ne crois pas qu'il sera possible d'attirer des professionnels dans ces collectivités et de les y conserver, à cause des choses que vous avez mentionnées. Il faut pour cela un réseau. C'est aussi mon avis.
¹ (1510)
[Français]
Mme Louise Carrier-Corriveau: Je ne suis pas entièrement certaine de cela. Premièrement, dans la région, nous faisons des jumelages professionnels. Si nous recevons quelqu'un qui travaille dans une imprimerie, nous le jumelons avec quelqu'un qui travaille déjà dans une imprimerie à Sherbrooke. Nous faisons des jumelages de médecins dans des hôpitaux. Nous faisons des jumelages professionnels de tous les types.
Au niveau de la famille, il y a beaucoup de cercles familiaux et beaucoup d'activités qui peuvent être organisées par les communautés elles-mêmes. Les Afghans ont des activités toutes les semaines, que ce soit autour de la mosquée ou ailleurs. Il y a aussi des activités organisées par différents groupes de Québécois d'origine qui invitent les gens à participer. Il y a donc un mélange.
Bien sûr, des gens de certaines professions préfèrent s'installer dans une grande ville. Par contre, des gens de plusieurs professions peuvent très bien travailler en région avec les ordinateurs, etc. Ils ont d'excellentes relations avec leurs confrères en général et ils peuvent entretenir des liens très étroits.
C'est mon opinion. Cela ne veut pas dire qu'ils vont tous réussir, mais je pense qu'il y a de bonnes chances qu'ils le fassent.
[Traduction]
Mme Rivka Augenfeld: Vous êtes peut-être au courant qu'au début des années 90, quand les premiers immigrants de l'ancienne Yougoslavie arrivaient au Canada, y compris un grand nombre de Bosniaques, bon nombre des gens qui s'étaient d'abord établis au Québec sont partis vivre en Ontario. Mais ils ne sont pas allés à Toronto, comme on l'aurait pu imaginer, plutôt à Kitchener.
Kitchener n'offre pas tous les attraits d'une métropole, mais c'est une belle ville. Il y avait déjà une certaine communauté bosniaque qui y vivait, et il y avait également l'espoir de trouver du travail. Les nouveaux arrivants ne choisissent pas toujours de s'établir là où on pensait qu'ils iraient, et maintenant Kitchener profite de l'apport de tous ces gens.
D'autres régions pourraient offrir des attraits différents. Il y a des gens qui n'aiment pas habiter une grande ville. Comme je l'ai déjà dit, beaucoup de nos municipalités sont parfaitement inconnues à l'extérieur du Québec ou du Canada. Il faut attendre que les gens soient en sol canadien pour leur expliquer les attraits des petites villes. Mais il faut qu'ils y soient bien accueillis et qu'ils puissent y trouver du travail.
Je vais vous donner l'exemple de ce qu'a fait une organisation spécifiquement québécoise. Il s'agit du CAMO pour personnes immigrantes, c'est-à-dire le Comité d'adaptation de la main-d'oeuvre. C'est un organisme conçu pour les immigrants qui étudie tous les obstacles que les immigrants doivent surmonter pour pouvoir exercer différents métiers et professions. Le CAMO a nolisé des autobus pour amener ces gens à un salon de l'emploi qui avait lieu à Drummondville, municipalité qui a besoin de beaucoup de travailleurs. Il n'y avait pas de garantie d'emploi, mais au moins les gens qui ont pu visiter ce salon de l'emploi ont pu constater qu'il y avait d'autres villes que Montréal et que nombre d'employeurs cherchaient désespérément du personnel. Il se peut que certains de ces nouveaux arrivants aient trouvé Drummondville intéressante, et celle-ci offrait des débouchés. Du reste, même si certaines de ces personnes ont décidé de ne pas y déménager, cette expérience leur a fait connaître le Québec sous un autre jour.
Les programmes d'échange que nous organisons entre différentes villes ont des retombées. Je suis Montréalaise, et je dois vous avouer que je n'avais jamais mis les pieds dans ces différents endroits avant que notre organisme ne commence à accueillir beaucoup de réfugiés et d'immigrants. J'ai été frappée par l'ouverture d'esprit des gens de ces localités, j'ai trouvé ces gens très enthousiastes et très empressés d'accueillir les nouveaux arrivants, parfois bien plus que les habitants de grandes villes.
Les petites villes offrent divers attraits, comme l'esprit communautaire, axé sur le bénévolat et l'entraide. En misant sur ces atouts, on peut faire bien des choses. Il faut cependant faire appel aux plus belles qualités des gens, à leur ouverture, au lieu d'attiser leurs craintes. Il faut présenter les nouveaux arrivants comme des êtres humains intéressants, et non comme «des personnes originaires de pays assez inquiétants».
Les micro-projets, par exemple les projets qui ne durent que trois mois, ne donnent guère de résultats. Il faut adopter une perspective à long terme, investir et donner aux gens compétents le temps de faire les choses. Il faut de la patience. Il est déjà arrivé que des programmes soient abolis parce qu'ils n'avaient pas abouti à des résultats tangibles après trois mois. Il faut faire confiance aux gens et leur laisser le temps nécessaire pour faire ce qui doit être fait; on obtient alors des résultats intéressants, même s'il ne s'agit pas de milliers d'immigrants.
¹ (1515)
M. Jerry Pickard: Vous êtes optimiste, ce qui est excellent.
Vous avez parlé des habitants de l'ancienne Yougoslavie qui se sont établis à Kitchener. En effet, c'est à Kitchener que l'on trouve la plus grande communauté de gens de l'ancienne Yougoslavie, et cette communauté exerce naturellement une grande force d'attraction sur les nouveaux arrivants. C'est une bonne chose, mais étant donné ces concentrations de certaines ethnies—mon comté compte par exemple une forte concentration d'Italiens, de Hollandais et d'Allemands—, nous pourrions attirer de façon sélective les gens ayant certaines compétences vers certaines régions. Nous pourrions peut-être tracer des profils qui contribueraient à garder ces nouveaux arrivants dans nos régions. Il sera peut-être très intéressant d'attirer vers mon comté des médecins ou des ingénieurs allemands, hollandais ou italiens. Peu importe la région, nous pourrions obtenir ainsi de bons résultats.
Mme Rivka Augenfeld: Il ne faut pas oublier qu'un bon nombre de nouveaux arrivants disent qu'ils ne veulent pas s'établir au même endroit que leurs compatriotes, que ce n'est pas pour cela qu'ils sont venus ici. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même moule.
[Français]
Également, la première génération a des besoins spécifiques. Quant à la deuxième génération, celle des enfants, si l'intégration se fait bien et si le milieu est accueillant, elle sera comme tous les Canadiens.
Je dis toujours aux gens qu'il faut se mettre dans la peau de l'autre. Comment me sentirais-je, moi, si j'étais tout d'un coup en Chine? Est-ce que je pourrais me sentir bien si je n'avais pas de temps en temps quelques Canadiens ou Québécois avec qui je pourrais parler pour ensuite, le lendemain, ressortir et faire face à ma vie? Tout le monde a besoin de ça.
Tous les Québécois qui sont à Miami se voient pour toutes les fêtes et pour les matchs de hockey etc. C'est un besoin naturel. Mais quand, parfois, ce sont les immigrants qui en ont besoin, on trouve que c'est quelque peu suspect. Il faut parfois pouvoir parler sa langue. Il faut parfois pouvoir se détendre. Je vais vous dire une chose: être tout le temps dans une culture qu'on est en train d'apprendre demande un effort incroyable. Il faut vraiment féliciter les gens qui font cet effort, car ce n'est pas facile.
Mme Louise Carrier-Corriveau: Je voudrais ajouter quelque chose au sujet de l'Internet. L'an dernier, j'ai reçu une famille de Chinois qui, comme plusieurs autres, était arrivée dans la région. Je me demandais pourquoi la famille était venue à Sherbrooke. Finalement, j'ai posé la question à quelqu'un, qui a déplié devant moi le plus beau document sur Sherbrooke qu'il avait pris sur l'Internet. C'était incroyable parce que cette famille était passée par Vancouver, par Toronto, par Montréal, mais ne voulait pas faire partie des quartiers chinois de ces grandes villes, puis cet homme a trouvé ces informations sur l'Internet. Il m'a parlé de choses que je ne connaissais même pas, des deux universités, etc. Il en savait plus que moi sur Sherbrooke grâce à l'Internet. C'est une excellent publicité et si on peut la développer, ça va vraiment améliorer les connaissances que les gens de l'extérieur du pays ont sur les villes du Canada en général.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): C'est un message qu'il faudrait faire circuler dans les différentes municipalités: ayez un oeil sur Laval! Mais ils ont déjà un oeil sur Laval, et on est très contents. Mais on pense que ce serait bien qu'il y ait des yeux sur d'autres villes, notamment au Québec, et dans le reste du Canada.
Je vous remercie tous les trois d'avoir passé la journée avec nous. J'avais des inquiétudes ce midi quand on se demandait quelles questions il fallait aborder. Malgré tout, je pense que l'échange a été intéressant et enrichissant et qu'il y a en effet des questions qu'on devra poser au ministère, des choses que Diane a notées et dont on n'était pas au courant. Ce sont des informations que des comités comme celui-là peuvent nous apporter.
Merci encore une fois.
Je suggère qu'on lève la séance pour cinq minutes avant de passer à celui qui va être le dessert, M. Barrette.
¹ (1520)
¹ (1538)
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Chers collègues, nous remettons la séance en mouvement.
Monsieur Barrette, faites-nous part de vos commentaires.
Me Denis Barrette (conseiller juridique, Ligue des droits et libertés): Je vais d'abord me présenter. Je m'appelle Denis Barrette et je suis avocat. Je pratique surtout en droit criminel. Je suis ici au nom de la Ligue des droits et libertés. Le greffier m'a dit que quelqu'un de la section de Québec, M. Jacques Tousignant, était venu présenter son mémoire. Je suis de la Ligue nationale, si on peut dire.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Canadien?
Me Denis Barrette: Canadien et Québécois, mais il faut comprendre qu'à la ligue, il y a différentes sections régionales. Il y a celles de Saguenay, Québec, Sherbrooke et il y a la ligue qu'on appelle nationale, la Ligue des droits et libertés du Québec. Je suis ici, comme vous le savez sûrement, pour vous parler de la question de la carte d'identité nationale canadienne.
Nous avons compris très tard, malgré les propos qui avaient été tenus en novembre, mais qui n'ont pas été confirmés clairement à la ligue, qu'il y aurait une consultation là-dessus ou qu'il en serait question lors de la présente tournée. Je comprends que vous allez un peu partout au Canada. Ce n'est que le 6 novembre qu'on a compris que le ministre Coderre voulait discuter de la question d'une carte d'identité.
Je vais d'abord vous parler de la ligue, parce que c'est important. Je dois vous dire que la Ligue des droits et libertés est un organisme à but non lucratif qui défend les droits et libertés, qui promeut autant les libertés civiles que les droits économiques et sociaux. C'est l'un des premiers organismes en Amérique du Nord à défendre les droits humains. On s'inspire beaucoup de la Déclaration universelle des droits de l'homme—on dit encore l'homme—, qui défend autant les droits économiques et sociaux que les droits civils et politiques de la personne.
Cela dit, je reviens à la carte d'identité et au processus. Je dois vous dire que je suis très déçu du processus adopté pour une question aussi importante que l'imposition ou la création d'une carte d'identité nationale. S'il y avait création d'une carte d'identité nationale, qu'on prétende qu'elle soit non obligatoire ou obligatoire... Je reviendrai là-dessus plus tard, parce que pour moi, qu'elle soit obligatoire ou pas ne fait aucune différence: ça va devenir une carte d'identité qui sera de facto obligatoire.
Pour dire qu'on fait une consultation sur un changement qui casse, en un claquement de doigts, 300 ans de tradition britannique au Canada, je trouve qu'il faut avoir beaucoup d'imagination. J'ai beaucoup de respect pour M. Coderre, mais je trouve qu'il nous rend la vie très difficile. Comme beaucoup de personnes qui voudraient parler de la question—je ne sais pas si vous en avez eu beaucoup étant donné le court délai—, je doute qu'il y ait vraiment un débat sérieux, comme le disait M. Coderre dans une des interviews ou dans l'un de ses documents.
Il faut comprendre que tous les ONG qui défendent les droits et libertés, tout comme ceux qui s'occupent des questions d'immigration et des réfugiés, sont constitués de quelques permanents et ne sont pas riches. À la Ligue des droits et libertés, on a un permanent; depuis peu, on a deux permanents et demi. La plus grande partie du travail est fait par des bénévoles, dont je suis, ou des militants qui ont d'autres activités. Il faut aussi comprendre qu'avant d'adopter des positions, on doit passer devant des conseils d'administration, des conseils exécutifs. Il faut comprendre également qu'on a une mission d'éducation. En tout cas, la plupart des groupes de défense ont des missions d'éducation et doivent discuter des enjeux importants.
La question de la carte d'identité ne pose pas problème. La position que je vais développer ne cause pas de problème ni au CA ni au CE de la Ligue des droits et libertés. Mais je dois vous dire qu'il est un peu offusquant de devoir régler cette question en quelques jours. Je dois vous dire que cette technique est un peu renversante. Je me demande si ce n'est pas une nouvelle technique du gouvernement pour nous imposer des changements législatifs qui ressemblent à des changements climatiques.
Donc, on nous impose très rapidement, au terme d'un très court débat, des changements qui ont des répercussions sur la société dans son ensemble, un peu comme dans le cas de la question de la surveillance électronique. Je parle du projet de loi sur l'accès légal qui s'en vient.
¹ (1540)
La ligue ne voudrait pas que ma participation aujourd'hui soit une acceptation du fait que l'on considère cela comme une véritable consultation. Je viens vous voir et ça me fait plaisir de vous voir et de vous donner notre opinion, mais nous considérons qu'il ne s'agit pas d'une consultation véritable sur une question qui est très sérieuse.
Pourquoi est-elle sérieuse? On a 300 ans de tradition britannique à ce sujet. Que l'on soit de quelque allégeance politique que ce soit au Québec, je crois que ce sont des types de traditions qu'on veut garder à cause de leurs fondements et de leur importance. Que l'on soit de quelque opinion politique que ce soit ailleurs au Canada, on sent que ces traditions sont importantes.
Il va falloir que vous vous posiez une question. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de faire une vraie recherche là-dessus, mais ça en aurait valu la peine. Pourquoi, dans les pays britanniques, n'avait-on pas de carte d'identité? Pourquoi s'est-on opposé à l'idée que quelqu'un doive porter une carte et la montrer à un agent de l'État?
Il y a de multiples raisons à cela. L'une d'elles, c'est qu'on veut permettre à l'individu d'agir selon son bon vouloir, sans avoir à se rapporter constamment à des agents de l'État. Il y a d'autres raisons, liées à tout l'aspect de la possession du domaine public par des intérêts privés, que les sociologues pourraient certainement développer. Si vous fouillez dans les écrits du Moyen Âge et de la Renaissance, vous verrez que les gens ne pouvaient pas se déplacer d'une commune à l'autre en France sans dire pourquoi ils avaient affaire à telle ville, par exemple à Rouen.
Aujourd'hui, on est en l'an 2003. Je suis allé au Rwanda en 1997 en mission pour le gouvernement du Canada, et il y avait une carte d'identité. On sait que ça a été un des outils du génocide, mais on s'en est servi après et on s'en sert encore aujourd'hui pour interdire à une personne de se déplacer d'une préfecture à l'autre. Lorsqu'une personne doit se rendre à une autre préfecture, elle doit d'abord aller, dans sa propre préfecture, expliquer au préfet pourquoi elle doit changer de préfecture, indiquer le but du voyage et faire estampiller un papier, ce qui prend un certain temps, à moins évidemment de connaître le préfet et d'avoir de l'argent. Dans ce cas, ça va toujours plus rapidement.
Cela a pour effet que la plupart des gens qui voyagent au Rwanda et que j'ai vus quand j'étais là n'allaient pas demander la permission. Ils se déplaçaient, ils allaient à Kigali. Ça permettait à la police de faire ce qu'on appelait du ratissage. Une fois par deux semaines, elle allait dans les quartiers populaires demander l'identification de tous et toutes pour pouvoir mettre une bonne partie des gens en prison. Une autre bonne partie se faisait expulser de Kigali et se retrouvait dans la préfecture de départ.
On va dire que c'est l'Afrique, mais dans la Fédération de Russie, il y a aussi des cartes d'identité. Même après l'URSS, il y a encore des cartes d'identité. On s'en sert encore aujourd'hui pour vérifier si les gens ont changé de région sans permission, car en Russie, lorsqu'on se déplace, on doit expliquer pourquoi on se déplace et quel est le but du voyage. Autrement dit, on doit dire pourquoi on a affaire—et j'aime bien le mot «affaire»—à aller là où on va.
Il y a toutes sortes d'autres raisons pour lesquelles on peut demander la carte. Par exemple, on a connu le harcèlement policier. Ceux qui ont connu des gens qui ont vécu à Paris à l'époque de la guerre d'Algérie savent ce que sont les cartes d'identité et à quoi elles ont servi. Elles ont servi à arrêter les gens dans la rue de façon complètement abusive, pour toutes sortes de raisons, surtout si leur peau était un peu plus foncée que les autres.
Ça peut mener à toutes sortes d'abus de la part des policiers. Vous allez trouver que je fais de la science-fiction. Je le pensais d'ailleurs aussi quand j'ai vu le film Rapport minoritaire. Je ne sais pas si certains l'ont vu. C'est un film de Steven Spielberg, dans lequel on possède l'empreinte des iris des gens. Les gens se promènent, regardent les vitrines, et on leur dit: «Bonjour, monsieur Barrette. Aimez-vous toujours les cravates grises?», etc.
Au début, je pensais que c'était de la science-fiction. Il y a beaucoup de batailles.
¹ (1545)
Finalement, plus je pense à ce film-là, plus je crois qu'il n'est pas si loin de la réalité; du moins, il n'est pas si loin des risques que l'on encourt. Je ne dis pas que demain, s'il y a une carte d'identité, le Canada va devenir un pays totalitaire. Ce n'est pas ce que je vous dis. Je vous dis que tranquillement, c'est une brique de plus qu'on met sur une structure totalitaire. C'est tranquillement que se forment les États totalitaires aujourd'hui; morceau par morceau et très tranquillement.
Vous allez penser que c'est encore de la science-fiction, mais imaginez que pour vous déplacer de Montréal à Saint-Hyacinthe et que, dépendamment des faveurs politiques que peut accorder votre chef d'arrondissement, vous deviez dire pourquoi vous devez aller à Saint-Hyacinthe.
C'est un des risques d'une carte d'identité. Certains vont dire que je fais de la paranoïa ou de l'hystérie, mais c'est une réalité. Ce sont des pratiques fréquentes dans plusieurs pays développés, dans plusieurs pays membres d'institutions internationales, des pays qui sont respectés par la communauté internationale. Comme je vous l'ai dit, cela se passe en Fédération de Russie.
Il faut mettre la carte d'identité en perspective avec toutes les autres briques que le gouvernement fédéral a déjà posées depuis le 11 septembre et va poser à l'avenir. On connaît la loi C-36, la Loi antiterroriste, et on l'a beaucoup critiquée. Vous connaissez les critiques qui ont été soulevées. On n'a pas encore de rapport sur les abus auxquels a donné lieu la loi C-36, mais je n'ai pas encore vu le nom d'un seul présumé terroriste arrêté grâce à la loi C-36.
Vous connaissez moins la loi C-24, mais vous la connaissez probablement parce que c'était la Loi antigang. Au Québec, on l'appelait la Loi antigang, parce que son but était de mieux combattre les gangs criminels ou les gangs de motards. Cependant, cette loi contient une disposition très peu connue qui a transformé le Code criminel. Il s'agit de l'article 25.1 qui concerne les immunités des policiers en cas d'infraction, sauf pour les crimes les plus graves, soit les viols et les meurtres.
Les policiers peuvent, en toute immunité, commettre des infractions. Et là, je pose formellement la question à M. Coderre, s'il lit mes propos. Si jamais vous instituez une carte d'identité pour éviter le vol d'identité, est-ce que les policiers seront exclus de l'immunité de l'article 25.1? Autrement dit, est-ce que, pour mieux faire leur enquête, plutôt que de brûler des granges, les policiers vont pouvoir voler l'identité de quelqu'un? J'imagine qu'un vol d'identité pourrait être un crime. D'ailleurs, M. Coderre parle d'en faire un crime absolument spécifique. À ce moment-là, pourquoi ne pas empêcher les policiers de voler l'identité de quelqu'un? En ce moment, ils peuvent le faire. Je ne dis pas qu'ils le font, mais ils peuvent le faire.
Je vous rappelle que cette loi C-24 a été adoptée en février 2002 et qu'un rapport sera émis deux ans après son adoption, c'est-à-dire en février 2004, sur les multiples infractions commises par les policiers. On pourra y lire une partie des infractions que les policiers auront commises, sauf lorsqu'une question fera encore l'objet d'une enquête. Autrement dit, s'ils enquêtent toujours sur Denis Barrette, ce qui est possible, on n'aura pas la liste d'infractions commises dans l'enquête sur Denis Barrette.
¹ (1550)
Il faut aussi comprendre la carte d'identité dans le cadre du projet sur l'accès légal. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler. Je n'aime pas le mot, mais c'est celui que le gouvernement a donné. J'aime mieux parler de surveillance électronique. Ledit projet concerne principalement la surveillance de l'Internet et du courriel Internet, mais ça va beaucoup plus loin: ça porte sur toute communication transmise électroniquement. Ça peut aller d'une transmission au guichet automatique à la transmission de données pharmaceutiques et de diagnostics hospitaliers.
Le projet sur l'accès légal obligera les fournisseurs de services à stocker des données informatiques. On pourra surveiller beaucoup plus étroitement les citoyens grâce au projet sur l'accès légal. Il faut le mettre en perspective—et là ça devient intéressant—avec la mesure concernant le mégafichier instauré l'automne dernier pour les Canadiens qui voyagent hors du pays par avion. Cette mesure va s'étendre aux voyages par bateau, par train, par autobus et possiblement aux voyages à l'intérieur du Canada. Ce mégafichier a été instauré sans loi précise et a été présenté comme une mesure administrative. Dans les faits, cela veut dire qu'on va conserver certains types de données, par exemple ce qu'un voyageur aura mangé dans l'avion, avec qui il voyage, comment il a acheté son billet d'avion, où il réside et son point d'arrivée et son point de départ. Il pourrait y avoir des données supplémentaires, et les données, non seulement sur les gens suspects, mais sur tous les voyageurs seront conservées pendant six ans.
Le commissaire à la protection de la vie privée a dénoncé vigoureusement cette mesure, mais elle est en vigueur. C'est une autre mesure de contrôle serré et de surveillance des citoyens.
Je dois revenir aux banques de données, aux mégafichiers. Il faut comprendre qu'à l'époque de la Stasi, en Allemagne de l'Est, ou à l'époque du Deuxième Bureau ou encore en 1930 en France où la police française... Vous avez sûrement lu des romans sur les policiers de Paris qui avaient plein de documents sur tous les gens. Il y avait des espions un peu partout. On mettait ces renseignements dans des fiches qu'on classait tranquillement et on montait des dossiers et des dossiers. On dit que la Stasi avait des caves entières de dossiers sur les citoyens d'Allemagne de l'Est.
Je vous dis que les dossiers de la Stasi ne sont en rien comparables aux possibilités qu'offre l'informatique comme outil de surveillance des citoyens. C'est incomparable. Les possibilités de couplage que permet l'informatique, les possibilités de profilage d'individus, que ce soit pour des motifs politiques, religieux ou racistes, sont énormes et innombrables. Par ailleurs, les possibilités d'erreurs sont tout aussi innombrables. Autrement dit, on peut décider tout à coup de sortir un profil sur Denis Barrette, ou qui que ce soit d'autre, avec des points de suspicion donnés: il mange souvent dans un quartier arabe, il a telle ou telle habitude, etc. On accumule un tas de données sans motif raisonnable. Le nom est sorti et on va surveiller plus étroitement cette personne. C'est ce qu'on appelle le profilage et c'est ce que permet l'informatique aujourd'hui. C'est une surveillance sans précédent des citoyens.
M. Coderre dit qu'on est dans un monde en changement. Il a raison. Oui, on est dans un monde en changement et et ça change vite, mais c'est pour cette raison qu'il faut être doublement prudent par rapport à tout ce qui concerne les fichiers, les banques de données et les capacités de surveillance de l'État.
À la ligue, on pense que les motifs de présenter ce débat à ce moment-ci sont davantage fondés sur une nécessité politique que sur une nécessité véritable de traquer le terrorisme ainsi que la fraude et le vol.
¹ (1555)
Pour nous, les motifs sont clairement politiques. Toute cette histoire de carte d'identité fait suite au débat sur la frontière intelligente avec les États-Unis et au rapport d'étape déposé le 6 décembre par le ministre Manley et le gouverneur Tom Ridge. On nous disait qu'aux États-Unis aussi, on est en train d'instaurer une carte d'identité. Détrompez-moi s'il le faut, mais j'ai lu qu'en ce moment, aux États-Unis, le projet de carte d'identité obligatoire est en train d'être bloqué au Congrès.
Ce matin, j'entendais un journaliste à la radio. On ne parlait pas de la carte d'identité, malheureusement, mais d'autre chose. Vous étiez ici et moi, j'étais en auto. Le journaliste demandait si, au Canada, on avait les moyens d'avoir des principes. Je me pose la question et je vous pose la question: a-t-on les moyens au Canada d'avoir des principes? Est-ce qu'on doit absolument suivre aveuglément notre voisin du Sud et faire tout ce qui est nécessaire pour éviter de possibles répercussions économiques? Est-ce que c'est ça, l'essentiel? Est-ce que c'est ça, le Canada? À la question «a-t-on les moyens d'avoir des principes?», vous ne me répondrez pas non, mais si jamais vous le faisiez, je me demanderais ce que je fais ici et à quoi ça sert d'avoir ce débat ici. Je me demanderais si c'est le bon endroit et s'il ne vaudrait pas mieux que j'aille à Washington pour assister au débat au Congrès. Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux que la ligue prenne toutes ses énergies de militante pour se rendre à Washington afin de faire le débat là-bas, parce que c'est là que ça se passe? Mais si nous avons les moyens d'avoir des principes, parlons des principes qui nous régissent au Canada.
Il y a une allusion de M. Coderre qui m'a frappé dans le texte. Il cite une phrase de Gandhi, qui disait à peu près ceci: ce n'est pas le feu qui est dangereux; c'est ce qu'on fait avec le feu qui est dangereux. Je respecte M. Coderre et je respecte aussi M. Gandhi, qui était un brillant avocat, mais je vais vous dire que dans certaines situations, on peut jouer avec le feu. Vous savez très bien que si on se retrouve dans des forêts à certains moments, dans des sociétés où les droits et libertés sont en danger, il est dangereux de gratter une allumette. On le sait très bien au Québec et partout au Canada. Je ne veux pas faire de caricature, mais ces débats se sont faits sérieusement en Nouvelle-Zélande et en Australie. Finalement, le gouvernement s'est rétracté sur la question de la carte d'identité.
On dit qu'en Angleterre, il y a un débat là-dessus, mais rien n'est décidé. C'est vrai que les politiciens font des déclarations et avancent des choses, mais il n'y a rien de décidé encore. Au Canada, on a une charte et une identité, et il y a des droits qui, sans être inscrits spécifiquement, doivent être considérés comme fondamentaux puisqu'ils font partie des traditions fondamentales de la société. Et j'ajouterais que c'est justement dans les moments difficiles qu'il faut mettre de l'avant les principes de base, les principes importants.
Je vais vous parler de la question de l'utilité et de la nécessité. Je vous invite à ne pas confondre la question de l'utilité d'une carte d'identité avec la question de sa nécessité. D'abord, est-ce qu'une carte d'identité est utile? La question se pose, et j'ai des doutes là-dessus. Est-ce qu'elle est utile pour la lutte contre le terrorisme? Comme le disait George Radwanski, il n'y a pas beaucoup de terroristes qui font mention de leur qualité de terroriste sur une carte d'identité.
Comme beaucoup d'autres vous l'ont sans doute dit, et je l'ai lu quelque part sur l'Internet et j'ai trouvé ça très intéressant, les terroristes, qui sont aussi des fraudeurs, vont pouvoir falsifier les cartes parce qu'ils sont très habiles. Les cartes d'identité risquent donc de donner une fausse impression de sécurité là où les mesures de sécurité doivent être accrues.
º (1600)
Ce n'est pas la carte elle-même qui doit changer. C'est tout le processus humain qui précède l'obtention d'une carte, d'un passeport ou de quelque document d'identité que ce soit. Je me rappelle les arguments sur le passeport qu'on a entendus il y a quelques années. Je n'ai pas la référence exacte, mais on nous disait qu'il y avait des nouveaux passeports avec du nouveau papier inimitable que personne ne pouvait copier ou falsifier. On a entendu les mêmes arguments à propos des billets de 20 $. Personne ne pouvait les imiter ni les falsifier. Ils étaient picotés et c'était un papier impossible à contrefaire.
On a contrefait les billets de 20 $. On a fait de faux passeports canadiens. Il y a eu des vols de passeports au consulat de Hong Kong, je crois. Je ne sais combien de passeports canadiens ont été volés et utilisés. On n'a pas empêché la fraude des passeports et des billets de 20 $.
Je vous dis que c'est un leurre que de raconter que l'utilisation frauduleuse d'une carte d'identité avec des données biométriques sera impossible. C'est de la pensée magique que de raconter que parce qu'il y a l'empreinte de l'iris, ou même l'empreinte du pouce, ce sera impossible. Ce sera peut-être plus difficile au début, mais dire que ce sera impossible, c'est donner une fausse impression de sécurité.
J'ai parlé trop longtemps.
º (1605)
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Je reconnais ce droit aux avocats.
Me Denis Barrette: Oui.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Vous avez parlé 27 minutes.
Me Denis Barrette: Excusez-moi.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Non, vous n'avez pas à vous excuser. Si j'avais voulu vous interrompre avant, je l'aurais fait. Je l'aurais fait avec élégance, mais je l'aurais fait. Il y a des gens qui me disent que je ne parle pas, et je n'exagère pas.
Je suis tout à fait d'accord sur vos deux premières phrases, dans lesquelles vous disiez qu'il était absolument déplorable de penser qu'un débat de cette sorte puisse prendre une tournure assez restrictive. C'est un débat large et, quant à moi, je pense que c'est un débat qui porte sur les valeurs auxquelles on tient. Au risque de me répéter, je dirai qu'il est très clair que depuis le 11 septembre, on a vu beaucoup de citoyens baisser pavillon sur un certain nombre de libertés qu'ils considéraient comme essentielles. On n'a pas tenu ce débat comme société, et je pense qu'on doit le faire. Dans ce contexte, je salue la décision du ministre de mettre ce sujet sur la table. Mais il va falloir tenir un vrai débat, un débat large, avec des gens qui ont des compétences et des expériences.
Cela dit, je suis sûre que tous mes collègues ont des questions à vous poser, mais je vais commencer. Qu'est-ce que vous allez répondre aux gens qui disent qu'une telle carte d'identité ne les dérange absolument pas parce qu'ils n'ont rien à cacher? Ce sont des choses que vous avez sûrement entendues. En tout cas, je les ai entendues.
C'était ma première question, et ensuite on passera à Diane.
Me Denis Barrette: En effet, je n'ai rien à cacher ou à me reprocher. D'ailleurs, si on proposait aux gens qui disent ça de se rendre au poste de police chaque fois qu'ils déménagent, peut-être diraient-ils aussi qu'ils n'ont rien à cacher, qu'ils sont prêts à aller au poste de police chaque fois qu'ils doivent se déplacer.
Je dis à ces gens que d'abord, il faut se rendre compte que les moyens de surveillance d'aujourd'hui sont incomparables à ceux d'il y a 20 ans, 10 ans ou 30 ans, que les données informatiques accumulées sur tous les citoyens permettent une surveillance de tout le monde et font en sorte que finalement, les forces de l'ordre traitent tous les gens comme des suspects.
Je leur demande ce qu'ils penseraient si on posait une caméra devant leur porte, qu'on les voyait sortir, qu'on savait à quelle heure ils sortent et à quelle heure il rentrent.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Et avec qui.
Me Denis Barrette: Oui, avec qui ils sortent et avec qui ils rentrent. C'est une très bonne question.
Je pense aussi, entre autres, à la surveillance du courriel. On nous dit que ce n'est pas grave, qu'on notera uniquement l'adresse de la personne à qui nous écrivons. Alors je leur demande ce qu'ils diraient si on voyait l'objet de leur message: «Avec toi», «Avec amour», etc. L'objet du message, c'est-à-dire ce qu'on appelle les données de trafic, parle beaucoup. Qu'est-ce que vous diriez si quelqu'un prenait votre courrier et l'ouvrait ou tout simplement notait l'adresse de la personne à qui vous écrivez, l'adresse du destinataire et l'adresse de l'expéditeur? Qu'est-ce que vous diriez de cela? Oui, ce serait utile à la police et peut-être qu'on arrêterait un peu plus de criminels, mais est-ce une société dans laquelle vous voudriez vivre?
Je demanderais aussi à ces gens de s'imaginer ce qui serait arrivé en 1939, quand les Nazis sont entrés dans Paris, si toutes les informations que les Français avaient accumulées sur les citoyens s'étaient trouvées dans des banques informatiques et que les Nazis avaient mis la main là-dessus. Je ne crois pas qu'il y aurait eu de résistance possible ou, du moins, cela aurait été drôlement difficile.
Autrement dit, quand les députés votent des choses, ils sont de bonne foi et ont les meilleures intentions du monde, mais il faut regarder avec perspective quelles structures on met en place à long terme.
C'est un peu ce que je leur dirais.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Merci, monsieur Barrette.
Madame Ablonczy.
[Traduction]
Mme Diane Ablonczy: Votre exposé a soulevé plusieurs questions intéressantes. Un des témoins précédents a signalé qu'il est très difficile de convaincre les gens de l'existence d'un danger futur; certains des scénarios que vous décrivez semblent peu vraisemblables dans un pays comme le Canada. Il n'en demeure pas moins que nous devons penser à l'avenir quand nous légiférons. Quelqu'un a dit que les chefs sont payés pour penser à l'avenir, si bien que nous entendons étudier à fond vos préoccupations.
Vous avez mentionné que cette mesure pourrait être utilisée pour limiter la libre circulation. Or, comme chacun le sait, la charte garantit la liberté de circulation et d'établissement des gens au Canada. Y a-t-il vraiment raison de s'inquiéter? Pensez-vous que cette carte d'identité pourrait servir à limiter notre liberté de circulation, ce qui irait à l'encontre de la Constitution?
º (1610)
[Français]
Me Denis Barrette: Oui, surtout si on met la carte en perspective avec les mégafichiers sur les déplacements des Canadiens et avec tout le système d'information qui peut être développé par le projet sur l'accès légal. Quand l'État impose une carte d'identité, c'est pour demander un jour ou l'autre aux citoyens de la produire à la demande des agents de l'ordre, des agents de la paix ou des agents de l'État. Quand les agents de l'État peuvent se permettre de demander à quelqu'un sa carte d'identité, la prochaine étape sera de lui demander où il va, ce qu'il fait et pourquoi. C'est une façon de limiter les déplacements des Canadiens.
Je vais vous donner un exemple très terre à terre. À la limite, cela peut n'être qu'un voyage pour aller voir un amant illégal ou une maîtresse illégale. On peut partir du simple fait qu'on est député, sénateur ou professeur d'université. On peut aller jusqu'à vouloir éviter de se placer dans des situations à risque qui sont parfaitement légales. Je dois vous dire que c'est une possible dérive des cartes d'identité.
Lors du Sommet des Amériques à Québec, j'étais un des avocats qui défendaient les 300 et quelques personnes qui avaient été arrêtées pendant le Sommet de Québec. Parmi ces quelque 300 personnes, il y en a des centaines qui ont été arrêtées de façon abusive et qu'on a libérées sans aucune accusation. On vérifiait le permis du conducteur; on lui demandait de montrer ses papiers. Grâce à ce papier-là, on demandait ensuite à la personne où elle allait, ce qu'elle faisait, etc. On le demandait aussi aux passagers, on les arrêtait et ils passaient deux ou trois jours en prison à Orsainville. On les laissait souvent en plein milieu de la nuit près du zoo d'Orsainville en leur disant de s'en aller chez eux. Ceux qui connaissent cette région savent qu'il y a là un zoo et que c'est très loin de Québec. C'est vrai que c'était une situation spéciale, mais c'est souvent dans les situations spéciales qu'on commet des abus. C'est dans ces situations, dans nos pays démocratiques, qu'on voit les premiers signes d'abus. Ce n'est pas quand tout va bien qu'il y a des abus policiers; c'est quand ça commence à aller mal. C'est là qu'il y a des abus policiers. C'est dans les situations difficiles que les droits et libertés doivent être le plus protégés. Je ne sais pas si ça répond à votre question.
Soyez certaine que pour chaque État, la tentation de limiter les déplacements des citoyens est présente lorsqu'existe une carte d'identité. Elle est d'autant plus présente qu'elle est matériellement faisable.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Avez-vous d'autres questions?
º (1615)
Mme Diane Ablonczy: Oui.
En tant que criminaliste, vous connaissez la législation relative aux banques de données génétiques. La création de ces banques a suscité certaines inquiétudes, également chez les députés du gouvernement. Peut-on faire un parallèle entre la carte d'identité nationale et les banques de données génétiques? Y a-t-il des enseignements qu'on pourrait tirer de l'expérience de ces banques de données? Ou s'agit-il à vos yeux de deux choses complètement distinctes?
[Français]
Me Denis Barrette: Il y a un certain parallèle parce qu'en effet, les banques de données d'ADN permettent de faire du couplage et de faire avancer des enquêtes. Mais il y a une nuance importante: c'est que la personne qui doit donner un échantillon d'ADN doit avoir été trouvée coupable d'infractions généralement graves.
Avec la carte d'identité biométrique, on se trouve à ficher tous les citoyens canadiens. Dans le cas des banques de données d'ADN, grâce aux prises d'ADN, on fiche les personnes qui ont commis des infractions graves. Dans certains cas, pour certaines infractions, le juge est obligé d'expliquer pourquoi il ordonne une prise d'ADN, parce que c'est une décision qu'on considère sérieuse dans notre droit canadien que de faire une prise d'échantillon d'ADN.
D'ailleurs, le parallèle se ferait peut-être avec les casiers judiciaires, avec la Loi sur le casier judiciaire. Il existe au Canada une loi sur la conservation des casiers judiciaires. On peut les faire effacer après trois ans si obtient le pardon pour une condamnation sommaire, moins grave. On peut faire effacer un casier judiciaire. Dans le cas de la carte d'identité canadienne, on ne pourra jamais faire effacer les informations de la banque de données.
Ce qui est inquiétant, c'est que le casier judiciaire serait peut-être mieux géré qu'une banque de données biométriques, parce que le secteur commercial privé va forcément l'utiliser. Ces données-là vont donc se retrouver dans le secteur privé. Ce dernier va, par la suite, les utiliser et les conserver. Le risque de malfaçon et d'erreur sera d'autant plus augmenté.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Monsieur Pickard.
[Traduction]
M. Jerry Pickard: Je vous avoue que j'ai du mal à admettre le bien-fondé de toutes ces questions, car je pense que le Canada diffère des pays que l'on vient d'évoquer. Je trouve assez extraordinaire qu'on ait comparé le Canada au Rwanda, pays où des catastrophes humaines, des tragédies et des massacres à grande échelle sont survenus. Voilà l'exemple que l'on a cité. La Russie est maintenant un pays respecté. Cependant, l'Allemagne nazie a envahi la France. Voilà les exemples que l'on vient de donner.
Je dois vous avouer en toute franchise que j'ai une perception différente du Canada et de la démocratie. J'estime que les femmes et les hommes élus dans notre pays essaient de faire évoluer la société et qu'ils sont mus par les meilleures des intentions. Je suis persuadé que la nation canadienne s'efforce de bâtir un pays dont nous pouvons être très fiers. J'estime également qu'en écoutant les témoignages, nous devons les évaluer à la lumière de ce que nous savons de notre démocratie et de notre pays qui, je le rappelle, est coté comme le meilleur au monde.
Nous discutons aujourd'hui de la carte d'identité nationale. Le témoin a déclaré que cette carte contribuait à l'édification d'un État totalitaire et que la police est autorisée à enfreindre les lois au Canada. J'estime que ces affirmations sont fausses. Le ministre va-t-il permettre à la police de voler des identités? À mon avis, de telles affirmations n'ont pas le moindre fondement, et pourtant nous venons de les entendre de la bouche de certains témoins.
Revenons à la raison d'être de cette carte d'identité. La carte ne vise qu'un but clair et simple: identifier une personne. Le témoin a affirmé que cette carte s'accompagnerait de la mise en place de banques de données. J'aimerais connaître la source de ce renseignement. Que je sache, ni le ministre, ni le ministère, ni qui que ce soit d'autre parmi les personnes compétentes dans ce secteur n'a dit que la carte serait jumelée à des banques de données. Et pourtant, c'est ce que le témoin affirme. Il affirme également que ces banques de données seront communiquées au secteur privé, malgré le fait qu'il existe au Canada des lois qui interdisent de telles pratiques. J'aimerais savoir d'où le témoin tire cette information.
º (1620)
Je ne veux pas sembler agressif. Je veux simplement comprendre votre perception, vous exprimer la mienne et réfléchir à ce que les témoins nous ont dit au sujet des possibilités de la technologie. Sauf le respect que je vous dois, ce n'est rien de plus qu'une carte. Elle pourrait du reste être facultative. Je ne sais pas quelle forme elle prendra dans la pratique, mais il pourrait s'agir d'une simple carte portant une empreinte digitale numérisée, ou encore une empreinte rétinienne numérisée ou enfin un facteur biométrique quelconque qui permettrait d'identifier une personne avec certitude. On saurait ainsi que l'homme qui prétend s'appeler Denis est bien Denis. Cela me semble assez raisonnable. La carte d'identité ne sera pas reliée à une multitude de données. Elle ne fera que garantir que je suis bien qui je prétends être et que je suis citoyen canadien.
Étant citoyen canadien, je peux à bon droit demander des services offerts dans notre pays. Je peux également souhaiter quitter le pays, ce qui est également légitime. Personnellement, je proposerais que la carte d'identité soit facultative, mais je n'ai pas à me prononcer là-dessus. Je pense que cette carte peut être un outil extraordinaire pour réaliser différents buts, surtout de garantir que je suis bien qui je prétends être et que je suis Canadien. Je ne vois absolument pas comment vous pouvez affirmer que cette carte d'identité va restreindre ma liberté de circulation au Canada tout simplement parce qu'elle porte mon empreinte digitale ou mon empreinte rétinienne.
Affirmer que la carte d'identité va restreindre la liberté de circulation ou faire du Canada un État policier, c'est une autre paire de manches. Cela serait contraire aux principes démocratiques et je ne pense pas que la population canadienne accepterait cette violation de ses libertés, que l'on ait une carte d'identité sur soi ou non. Une telle mesure serait impensable au Canada. Je suis très surpris que vous ayez lancé toutes ces accusations et donné les exemples que vous avez choisis pour les étayer. Quant à moi, ces exemples n'ont absolument aucun rapport avec le Canada. Voilà les précisions que je tenais à faire.
Vous opposez-vous à ce que quelqu'un doive s'identifier, clairement et simplement. Je m'appelle Jerry Pickard et cette carte l'atteste, et mon numéro est le 85743. Ce numéro indique que je suis Canadien, tout comme le fait le numéro d'assurance sociale à l'heure actuelle. Si c'était là la portée de la carte d'identité, si elle se limitait à cette fonction et était facultative, seriez-vous contre?
º (1625)
[Français]
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Monsieur Barrette, c'est à votre tour.
Me Denis Barrette: Monsieur Pickard, je ne fais aucunement un procès d'intention, surtout pas à votre égard, sur la volonté qui est derrière cette carte d'identité. Pour nous, le mobile d'une carte d'identité est beaucoup plus politique, dans le sens d'une conformité à une politique américaine, qu'issu d'une volonté d'installer un État totalitaire au Canada. Je ne dis certainement pas que le gouvernement veut devenir un gouvernement totalitaire. Je n'ai pas du tout cette impression-là.
[Traduction]
M. Jerry Pickard: J'ai pourtant noté vos propos et c'est ce que vous avez dit.
[Français]
Me Denis Barrette: Non. Voici ce que j'ai dit, monsieur Pickard.
[Traduction]
M. Jerry Pickard: Je vous demande pardon, monsieur, mais j'ai noté par écrit ce que vous avez dit.
[Français]
Me Denis Barrette: C'est que vous avez mal compris ce que j'ai dit. J'ai donné un exemple. Imaginez qu'on est dans la même situation que la France en 1939. Le Canada est envahi par un autre pays comme l'Allemagne nazie. On ne dira pas quel pays; on parlera de n'importe quel État totalitaire. Ou encore, imaginons que tout à coup, il y a un coup d'État au Canada qui renverse le Parlement. Je comparais les envahisseurs aux Nazis. Imaginez-vous qu'en 1939, les Nazis aient mis la main sur toutes les informations amassées par la police française, mais qu'en plus, ces informations aient été mises dans des banques de données. C'est là qu'interviennent toute la magie de l'Internet et tout le pouvoir incroyable que permet l'informatique. C'est dans ce sens-là que je vous dis qu'une banque de données peut être dangereuse.
Nulle part dans le document il n'est écrit que le gouvernement canadien va garder sur des feuilles mobiles ou sur des feuilles de papier les identités de tous les Canadiens, mais d'après moi, il ne fait aucun doute que les informations recueillies à partir des cartes d'identité seront nécessairement transcrites dans une banque de données. Si vous me dites qu'elles ne le seront pas, si vous me donnez l'assurance et la garantie qu'elles ne le seront pas, ça va un peu me rassurer.
Maintenant, je dois vous dire que pour ce qui est des valeurs canadiennes, je suis parfaitement d'accord avec vous. Nous ne vivons pas dans un État totalitaire. Il y a des traditions démocratiques fortes au Canada et la difficulté qu'on a ici, c'est justement de les maintenir. Il est beaucoup plus difficile de maintenir des traditions démocratiques que de ne pas les maintenir.
Et maintenir des traditions démocratiques, c'est rejeter ou mettre à l'écart des choses qui ne sont pas nécessaires, même si elles sont utiles. Pour nous, c'est le cas de la carte d'identité. Même si on démontrait qu'une carte d'identité pourrait être utile pour démasquer quelques-uns des fraudeurs, ce dont je doute, il y a un choix à faire, et c'est ce genre de choix qui se fait et qui devra se faire au Canada en ce qui concerne les libertés civiles, les libertés fondamentales et les risques qu'elles comportent. Lorsqu'on parle de droits et libertés, on comprend bien qu'on parle toujours de risques.
Si demain, le gouvernement du Canada mettait en vigueur l'accès légal, la surveillance Internet et, en même temps, mettait en vigueur la carte d'identité obligatoire, la plupart des gens qui sont ici diraient que ce n'est pas si grave, qu'ils vont continuer à mener la même vie et que tout va se passer de la même façon. Toutefois, on risque de perdre des droits à la longue, petit à petit. Je ne dis pas que le lendemain, il va y avoir un État totalitaire au Canada. Ce n'est pas du tout ça que je dis. Je dis qu'il y a un risque d'abus clair, surtout quand la police pourrait, à la limite, faire des vols d'identité. Il y a aussi un risque de harcèlement des citoyens qui se promènent dans la rue, de limitation des déplacements, et d'abus de la part du secteur privé.
Vous me demandez pourquoi cette carte servirait au secteur privé. Je vous dis que pour le secteur privé, elle va être une panacée à beaucoup de problèmes. Plutôt que de demander la carte d'assurance sociale ou le passeport, on va demander la carte d'identité parce qu'elle contiendra des données biométriques. Tout le monde va penser que c'est la carte-miracle, la carte qui contient des données sécuritaires, alors que dans le fond, on verra dans quelques années si c'est vraiment le cas. En effet, les banques et les maisons de crédit vont la demander. Et pourquoi les maisons de crédit n'exigeraient-elles pas aussi des empreintes digitales, tant qu'à y être? Pourquoi pas? Pourquoi ne pas confirmer les informations qui sont là?
º (1630)
Pourquoi ne trouverait-on pas le moyen technique de copier cette carte? De toute façon, qu'on ait les moyens techniques de la copier ou pas... Monsieur Pickard, je sais que vous allez me dire qu'on n'a pas les moyens techniques actuellement pour copier une carte avec des données biométriques, mais je vous dis que c'est une question de temps.
[Traduction]
M. Jerry Pickard: Monsieur Barrette, les listes que vous évoquez existent déjà aujourd'hui. Nous avons les listes des titulaires de cartes d'assurance-santé ou de permis de conduire, des listes qui n'ont rien à voir avec la carte dont nous débattons aujourd'hui.
[Français]
Me Denis Barrette: Oui, je suis d'accord.
[Traduction]
M. Jerry Pickard: Ces listes n'ont rien à voir avec les cartes.
º (1635)
Me Denis Barrette: En effet, j'en conviens.
M. Jerry Pickard: La liste des individus ayant un casier judiciaire est tout à fait distincte. La carte n'atteste que l'identité de quelqu'un.
Il est difficile d'identifier clairement les gens et cela cause des problèmes dans la société. En toute franchise, je ne vois pas ce qu'il y a de mal à identifier une personne, à confirmer qu'elle est bien qui elle prétend être. Rien de plus. Je ne pense pas que la carte d'identité sera jumelée à des listes quelconques. Personne ne prétend qu'il faut le faire non plus. La carte attesterait votre identité par des moyens biométriques qui n'ont pas encore été précisés. Et comme je l'ai déjà dit, elle ne serait pas nécessairement obligatoire.
Si une entreprise vous demande à juste titre de vous identifier, ce sera peut-être la meilleure façon de le faire, mais cela ne veut pas dire que d'autres renseignements seront rattachés à la carte d'identité. Si vous demandez un service et que vous devez prouver votre identité au moyen de la carte pour l'obtenir, cela me semble normal. Je ne vois pas quelle autre difficulté cela pourrait poser. Au contraire, je pense que la carte d'identité préviendrait le ciblage de certaines ethnies parce qu'on n'aura plus à cataloguer les gens.
Après les événements du 11 septembre, les gens qui devaient franchir la frontière étaient examinés en fonction de caractéristiques raciales. Certains Canadiens ont soulevé ce problème, qui était important à nos yeux. Nous réprouvons de tels procédés. Or, si vous avez une carte qui indique que vous êtes bien Denis Leblanc et que vous êtes citoyen canadien, cela permet d'atteindre le but visé, qui est d'établir votre identité.
Je m'excuse si j'ai mal saisi le sens de vos propos, mais je tiens à signaler qu'à mon avis, on ne peut comparer le Canada aux États totalitaires les plus répressifs pour prétendre que nous allons dans cette direction. C'est ainsi que j'avais interprété vos propos et c'est pourquoi j'ai réagi parce que je suis très attaché au Canada et à sa population. Je consacre ma vie à la servir et, en toute franchise, je pense que vous êtes dans l'erreur.
[Français]
Me Denis Barrette: Mais on a connu des abus.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Je voudrais faire une courte intervention. Il est 16 h 40. Cela démontre à quel point le débat est passionnant. M. Pacetti veut peut-être poser une question.
M. Massimo Pacetti: On parle du contrôle et de la surveillance, mais on a déjà les cartes de crédit, lnterac, et il y a tous les renseignements qu'il faut fournir pour transiger par Internet, etc. Donc, je pense qu'il existe déjà des moyens pour retracer les gens. Quand la police a fait l'enquête en Virginie, elle l'a faite à l'aide d'Interac. Quand il y a eu le meurtre à Washington, on a retracé les...
[Traduction]
Me Denis Barrette: Oui, mais elles avaient des mandats pour le faire. Elles avaient obtenu des mandats parce qu'il s'agissait de meurtres. Dans le cas qui nous occupe, tous les citoyens seront fichés, s'il y a une banque de données. S'il n'y en a pas, monsieur Pickard, ce sera préférable, mais ça ne sera pas suffisant.
Pour répondre à M. Pacetti, parlons du cas de Joe Smith. Il faut se poser la question suivante: est-ce que je vais croire Joe Smith ou la carte de Joe Smith?
[Français]
Tout le monde dit que parce que c'est la carte de Joe Smith, c'est Joe Smith. À ce moment-là, on surveille l'individu qui se promène avec la carte de Joe Smith et on voit tout ce qu'il fait. On fait peut-être une erreur quant à l'utilité d'une telle carte. Il risque d'y avoir des gens qui vont se faire passer pour Joe Smith, tout comme il y en a dans le cas des cartes.
Vous parlez des multiples cartes qui existent, mais il y a un principe en protection de la vie privée: il doit y avoir des murs entre les différentes cartes d'identité. Ces murs sont les suivants: la carte d'assurance sociale sert uniquement à l'assurance sociale; la carte d'assurance-maladie sert pour un service d'assurance-maladie; la carte de crédit sert uniquement pour un service de carte de crédit. Une carte d'identité abattrait ces murs.
On sait qu'il y a des limites à ces murs, car tout n'est pas parfait, mais le projet de carte d'identité nationale viendrait transcender ces murs, et c'est là qu'est le danger. Je ne sais pas si vous me comprenez. Il y a une espèce de couloir pour la carte d'assurance-maladie...
Je vous écoute, monsieur Pacetti.
M. Massimo Pacetti: Je suis d'accord avec vous que s'il y a une carte, il y a une base de données. On peut être d'accord avec M. Pickard, mais je ne suis pas d'accord avec vous pour dire que les rapports d'impôt servent uniquement à l'impôt et les cartes de crédit, uniquement aux achats. La carte d'assurance-maladie ne sert pas seulement quand on va à l'hôpital. On l'utilise quand on va à la banque pour ouvrir un compte et qu'on exige deux pièces d'identité. Lorsqu'on fait une demande de prêt, il faut produire notre rapport d'impôt. Alors, je ne suis pas d'accord avec vous parce qu'il y a effectivement un mélange des bases de données et que les données ne sont pas toujours séparées. Je pense que l'important est plutôt de savoir ce qu'on va faire avec la carte. Peut-être que ce sera utile à la banque si on présente seulement cette carte au lieu de notre carte d'assurance-maladie ou de notre permis de conduire. Mais le contrôle et la surveillance existent déjà. On ne peut pas les éviter. Quant à Internet, il y a encore des personnes qui n'en veulent pas, mais il est là.
º (1640)
Me Denis Barrette: En ce qui concerne l'existence de l'Internet, je n'ai aucun problème. Ce que vous dites est vrai, monsieur Pacetti, mais il faut limiter les risques et ouvrir le plus de choix possible aux citoyens dans une société contrôlée autant par des contrôles d'État que par des contrôles d'entreprises privées. Il s'agit de limiter ces contrôles. Si on ne donne pas certaines limites à ces contrôles, si on limite les choix, le risque augmente.
La vice-présidente (Mme Madeleine Dalphond-Guiral): Je pense que le débat n'est pas fini. J'espère c'est que comme société, on aura, à l'issue de ce débat, une idée beaucoup plus claire des choses qui sont fondamentales pour nous. Ce sont des débats qu'on fait une fois par 100 ans et cette année, en 2003, avec Internet, les courriels et tout ça, on aura probablement un débat très intéressant, pour peu que le ministre soit convaincu de la nécessité de tenir un débat large. C'est ce que je souhaite de tout mon coeur en levant cette séance aujourd'hui.
Monsieur Barrette, merci d'avoir été des nôtres.
La séance est levée.