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INST Rapport du Comité

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CHAPITRE TROIS : EXCELLENCE, PERTINENCE ET RECHERCHE STRATÉGIQUE

La question des priorités de financement du Canada et de leur lien avec les programmes et les critères de sélection des conseils subventionnaires est plusieurs fois revenue sur le tapis au cours des audiences du Comité. La plupart des témoins entendus ont insisté pour dire que l’excellence devait être le critère de sélection fondamental de tout processus d’examen par des pairs en vue de l’affectation de fonds de recherche fédéraux. Toutefois, pour certains types de programmes de recherche, la pertinence socioéconomique à court terme du projet de recherche, parfois dans des secteurs cibles précis, revêt également une grande importance. La question de savoir quelle proportion des fonds des organismes subventionnaires devrait être consacrée au soutien de la recherche dans des secteurs cibles particuliers est loin de faire l’unanimité. Quelques opposants soutiennent que certains secteurs de recherche importants pour le Canada sur le plan socioéconomique ne reçoivent pas suffisamment de financement et qu’une plus grande part des fonds devrait être affectée à ces secteurs. D’autres observateurs affirment par contre que la proportion des fonds des organismes subventionnaires qui servent à soutenir la recherche dans des secteurs cibles est déjà suffisante et ne doit pas être accrue au détriment du financement d’autres types de recherche. Aux dires de certains opposants, la question de savoir combien de fonds devraient être affectés aux différents secteurs de recherche est nébuleuse, parce que le gouvernement n’a pas de politique structurée à cet égard. Le présent chapitre examine ces questions.

Pertinence et programmes de subventions « stratégiques »

Outre l’excellence du projet de recherche et des chercheurs et le besoin de fonds, d’autres facteurs sont pris en considération au moment de décider de l’affectation des fonds de recherche pour certains programmes. Par exemple, il arrive que les organismes fédéraux évaluent la pertinence d’un projet de recherche sur le plan industriel et ses retombées économiques possibles à court ou moyen terme. D’autres programmes se concentrent sur la pertinence socioéconomique du projet de recherche dans des secteurs cibles particuliers d’importance nationale. L’objectif de ces programmes « stratégiques » est d’encourager la recherche et la formation dans des secteurs cibles, dans le but ultime de transférer le savoir ou l’expertise technologique à des organisations canadiennes capables d’en tirer parti; les trois organismes subventionnaires offrent certaines formes de programmes de recherche stratégique à des fins précises. La recherche est habituellement menée de concert avec des partenaires du gouvernement ou de l’industrie.

Au cours de l’exercice 2000-2001, ces programmes stratégiques représentaient environ 7 % des dépenses du CRSNG (les dépenses au titre de la recherche non ciblée à valeur industrielle ou sociétale, menée en partenariat avec l’industrie et des organismes gouvernementaux, représentaient un autre 9 % du budget du CRSNG), 15 % au CRSH et 20 % aux IRSC (les réseaux des centres d’excellence ne sont pas compris dans les calculs pour les trois organismes). Les dépenses au titre de la recherche stratégique aux IRSC devraient augmenter dans une proportion de 30 à 40 % de son budget total, étant donné l’essor prévu des instituts relevant de cet organisme, qui ont entrepris leurs activités en février 2001. D’autres projets de recherche dans des secteurs cibles d’importance nationale sont financés grâce aux programmes de recherche non ciblée, de sorte que les dépenses réelles de chaque organisme à ce titre sont plus élevées que les montants indiqués ici. La proportion de la recherche dans des secteurs cibles financée par les conseils subventionnaires s’est accrue ces dernières années :

Regardez les budgets des conseils. […] Il y a eu une évolution ces 20 dernières années. […] Ils ont tous, sans exception, pris ce virage. Aujourd’hui, une part qui varie entre 20 et 30 % des budgets des conseils, conseils qui ne finançaient jusqu’à récemment que la recherche fondamentale non dirigée, non stratégique, est déjà consacrée à de tels programmes. [Benoît Godin, Observatoire des sciences et des technologies, 66: 09.55]

Le pourcentage des dépenses du CRSH au titre des programmes de recherche ciblée sera plus élevé en 2002‑2003, en raison des fonds (100 millions de dollars sur cinq ans) investis par le gouvernement dans l’Initiative de la nouvelle économie (INE), dont la gestion relève du CRSH. Le principal objectif de cette initiative est d’aider le Canada et les Canadiens à s’adapter à la « nouvelle économie » et à en tirer parti. L’INE se concentrera sur quatre grands domaines de recherche lequels on été définis par le gouvernement fédéral après consultation de plusieurs intervenants : les grands enjeux de la nouvelle économie, la gestion et l’entreprenariat, l’éducation et l’éducation permanente. Le processus d’évaluation ici diffère sensiblement de celui des autres programmes du CRSH au sens où, avant de passer à l’étape de l’attribution, les demandes présentées dans le cadre de l’INE sont soumises à un comité interdisciplinaire d’universitaires et de non‑universitaires qui ont de l’expérience dans les domaines en rapport avec les quatre thèmes ciblés par l’INE. Ce comité effectue une présélection et veille à ce que les demandes cadrent bien avec les objectifs de l’INE. Seules les demandes qui satisfont à ce « critère de pertinence » sont retenues en vue de l’habituel examen par des pairs.

Pour les programmes de recherche stratégique, les conseils subventionnaires ont tous des mécanismes en place pour choisir et modifier les secteurs cibles. Les méthodes utilisées et les intervalles entre les examens des secteurs varient d’un conseil à l’autre. Au CRSNG, le Programme de subventions de projets stratégiques appuie la recherche dans des secteurs cibles et de pointe d’importance nationale. Le programme fonctionne selon un cycle de cinq ans; la plus récente évaluation des secteurs cibles du programme remonte à 2000. Cette évaluation commence par une étude des documents nationaux et internationaux existants où sont décrits les domaines de recherche prioritaires établis par les secteurs privé et public. Les résultats de cette étude sont ensuite validés par des dirigeants des milieux universitaire, industriel et gouvernemental. En 2000, les secteurs stratégiques choisis ont été : les sciences biologiques, l’environnement et le développement durable, les technologies de l’information et de la communication, les produits et processus à valeur ajoutée et les « orientations nouvelles ». Au CRSNG, l’affectation des fonds aux différentes disciplines est également examinée et modifiée à tous les quatre ans dans le cadre du Programme de subventions à la découverte, qui sert à financer la recherche fondamentale et appliquée. Des fonds sont transférés d’une discipline à l’autre lors de l’« exercice de réaffectation des fonds » de façon que les domaines scientifiqueS-Techniques importants pour le Canada obtiennent un financement suffisant en vertu du système.

Au CRSH, on a eu recours ces dix dernières années à différentes méthodes pour choisir les secteurs de recherche stratégique. Le choix est habituellement fait à la suite de vastes consultations auprès d’universitaires, d’administrateurs d’universités, de représentants gouvernementaux, de membres d’organismes non gouvernementaux et d’autres intervenants. Une « analyse de la conjoncture » où sont mises en relief les lacunes relevées au niveau des connaissances en sciences humaines est produite au terme du processus de consultation, puis présentée au conseil d’administration du CRSH. Une courte liste des domaines thématiques est dressée, puis débattue avec les milieux intéressés avant que le conseil ne prenne de décisions définitives quant aux domaines thématiques à retenir. Un examen est effectué tous les trois à cinq ans pour s’assurer que les domaines thématiques retenus sont toujours pertinents. Le plus récent ensemble de thèmes stratégiques a été établi en mars 2002. En voici la liste : culture, citoyenneté et identité (notamment les questions touchant la paix et la sécurité); environnement et développement durable; écrits, éléments visuelS-Technologies; peuples autochtones.

Aux IRSC, chaque institut décide des projets thématiques en fonction de « perspectives » stratégiques qui s’étendent sur une période de trois à cinq ans. Les perspectives sont élaborées par le directeur scientifique de chaque institut, qui travaille en partenariat avec le comité consultatif multilatéral compétent. Le conseil d’administration des IRSC approuve ces perspectives générales, dont les instituts se servent ensuite pour élaborer les plans stratégiques devant orienter les investissements dans la recherche au cours du prochain exercice. Ces plans sont présentés au Comité des priorités et de la planification de la recherche (CPPR), qui est composé du président des IRSC, du vice‑président (portefeuille de la recherche) et des 13 directeurs d’institut, pour qu’il les évalue et les modifie avant leur lancement. Par suite de la publication des premières perspectives stratégiques globales des IRSC31, le CCPR examine maintenant un certain nombre de propositions de grandes priorités de recherche transsectorielle, qui supposeraient la participation conjointe d’un certain nombre d’instituts, en plus des secteurs prioritaires définis individuellement par chaque institut. Les thèmes proposés comprennent notamment la santé dans les régions rurales et du Nord, les interactions des gènes et de l’environnement dans les maladies et la lutte contre le tabagisme.

D’autres travaux de recherche dans des secteurs cibles sont également financés grâce aux conseils subventionnaires. Le Programme des réseaux de centres d’excellence (RCE) est une initiative des trois conseils et d’Industrie Canada lancée en 1989, qui est devenue un programme permanent en 1997. Son objectif est d’encourager les partenariats entre les universités, l’industrie, le gouvernement et les organismes non gouvernementaux. Il existe actuellement 22 réseaux dans quatre secteurs: santé, développement humain et biotechnologie, technologies de l’information et de la communication, ressources naturelles, génie et fabrication. Son budget s’élève actuellement à 77,4 millions de dollars par année.

L’identification des priorités de recherche dans le cadre du programme des RCE s’est faite de deux façons : 1) par une démarche ascendante en vertu de laquelle les demandeurs proposent un RCE dans un domaine donné et leurs propositions sont jugées dans le cadre d’un concours public; et 2) par une démarche descendante en vertu de laquelle des domaines précis de recherche d’importance nationale établis à l’avance doivent être abordés par les propositions. Le premier de ces concours ciblés s’est tenu en 1995 et le deuxième, en 1999. La détermination des domaines de recherche ciblés se fait en consultation avec les chercheurs, l’industrie et le gouvernement. Avant chaque concours, le comité directeur des RCE (composé des présidents des trois conseils subventionnaires fédéraux et du sous-ministre d’Industrie Canada) décide de la nécessité de cibler des domaines pour les nouveaux réseaux et, si la décision va dans ce sens, recommande des domaines aux ministres de l’Industrie et de la Santé. La décision finale est prise par le gouvernement fédéral (le Cabinet).

Recherche dans des secteurs interdisciplinaires et de pointe

L’essentiel de la recherche aujourd’hui est interdisciplinaire, c’est‑à‑dire qu’elle fait fi des barrières entre les disciplines qui existent au sein des conseils et, dans un nombre de plus en plus grand de cas, elle dépasse les limites des mandats des organismes subventionnaires. Dans d’autres cas, la recherche se fait dans des secteurs de pointe ou de moindre importance, qui ne cadrent pas bien avec la structure habituelle des grands programmes de subventions « publics » des conseils, qui est établie en fonction des disciplines. Certains chercheurs affirment que la recherche interdisciplinaire, dans des secteurs de pointe ou de moindre importance, est désavantagée en vertu du système actuel. C’est notamment le cas d’un chercheur en santé animale, qui a tenu les propos suivants au Comité :

[…] Le CRSNG n’a ni les mécanismes ni les compétences nécessaires pour évaluer ou financer ce type de recherche [en santé animale][« en monde réel »]. Le Conseil prétend qu’il n’y a pas de problème, car il ne reçoit pas de demandes de financement pour ce genre de recherche. Or, s’il ne reçoit pas de demandes, c’est parce que les chercheurs n’en présentent pas puisqu’il n’y a pas de comité de sélection approprié en place. [Ian Dohoo, professeur, Université de l’Î-P-É, 58:09:40]

Le témoin est d’avis que les secteurs qui échappent à l’actuelle structure de comités sont désavantagés lors des concours pour l’obtention de fonds de recherche. Il fait valoir qu’en raison du peu de fonds disponibles, les membres des comités sont réticents à recommander l’octroi de fonds de recherche à de nouveaux domaines, au détriment du financement de la majorité des projets qui relèvent de domaines plus connus. Pour la recherche en santé animale, le témoin souligne que le CRSNG devrait suivre l’exemple des IRSC dans sa façon d’aborder le financement de la recherche :

Quelle est la solution? La nécessité de financer la gamme complète des projets de recherche, aussi bien en laboratoire qu’en monde réel, les recherches sur les populations et les recherches cliniques, a été clairement démontrée lorsque les Instituts de recherche en santé du Canada ont remplacé le Conseil de recherches médicales. Le financement des travaux de recherche fait partie des quatre piliers servant de base aux instituts. Le CRSNG doit adopter la même approche à l’égard de la recherche sur la santé animale. [Ian Dohoo, professeur, Université de l’Î-P-É, 58:09:40]

Le CRSNG affirme qu’il finance les recherches en laboratoire et les études de population dans le domaine de la santé animale et qu’il existe divers programmes au CRSNG pour soutenir la recherche en santé animale. Malgré cette assurance, le Comité exhorte le CRSNG à revoir ses mécanismes de financement de la recherche en santé animale (en collaboration avec d’autres ministères fédéraux oeuvrant dans ce domaine, au besoin) pour s’assurer que les projets de recherche dans ce domaine reçoivent la considération voulue. Le Comité note de plus que les quatre collèges de médecine vétérinaire du Canada font face à d’autres problèmes en raison de l’âge ou du caractère inadéquat de leurs installations et risquent de perdre leur accreditation international s’il ne font rien pour remédier à la situation32. Étant donné l’importance pour les Canadiens de la recherche menée par les collèges de médecine vétérinaire dans des domaines comme la sécurité alimentaire et les maladies animales, le Comité invite le gouvernement fédéral, les organismes subventionnaires, les collèges vétérinaires et les provinces à unir leurs efforts pour rapidement trouver une solution à ces problèmes.

Au sujet de la recherche interdisciplinaire et de la recherche dans les secteurs de pointe, le Comité a appris que l’insuffisance du bassin d’évaluateurs pose un problème lorsque vient le temps d’évaluer les propositions dans ces secteurs :

Nous avons un excellent système d’évaluation des propositions reçues. S’il comporte des lacunes, c’est que le bassin d’évaluateurs universitaires est trop petit, et que, de ce fait, il ne suffit pas à la tâche. Cela vaut tout particulièrement pour les comités interdisciplinaires. Le problème est souvent aggravé du fait que la personne qui connaît peut-être votre travail doive souvent se retirer simplement parce qu’il fait partie, d’une façon ou d’une autre, de votre petite communauté, le résultat étant que la proposition ne bénéficie pas de l’examen détaillé qu’elle mérite. [J. Adam Holbrook, directeur associé, Centre for Policy Research on Science and Technology, Université Simon Fraser, 66:09:10]

Un témoin a cité, le secteur de la recherche polaire en exemple au Comité pour illustrer le problème de « l’insuffisance du bassin d’évaluateurs ». Il a affirmé que la recherche polaire était désavantagée par le système, en raison du nombre limité de chercheurs dans ce domaine et, par conséquent, de chercheurs capables de faire une évaluation impartiale des projets de recherche polaire :

La communauté des chercheurs polaires est tellement restreinte que nous nous connaissons tous très bien. Nous avons déjà habituellement collaboré à des projets de recherche. Nous avons souvent rédigé conjointement des études et établi des partenariats pour ce qui est des demandes de subventions présentées aux conseils et aux organismes gouvernementaux, notamment. C’est pourquoi il est très difficile de mettre sur pied un mécanisme d’évaluation par les pairs pour examiner les grands projets de recherche ou même les demandes présentées aux conseils subventionnaires actuels. [Peter Johnson, président, Commission canadienne des affaires polaires, 75:09:15]

À long terme, la solution pour améliorer la situation en ce qui concerne l’évaluation des projets de recherche polaire consiste, selon ce témoin, à développer le groupe de chercheurs polaires (p. ex., en mettant en œuvre les recommandations du Groupe de travail sur la recherche nordique33). À court terme, le témoin propose que les conseils fassent davantage appel à des évaluateurs étrangers pour évaluer les projets de recherche polaire (les conseils sollicitent déjà l’aide d’évaluateurs étrangers dans leurs processus d’évaluation).

Aux l’IRSC, on s’efforce de faire en sorte que le processus d’évaluation tienne compte du nouveau mandat interdisciplinaire plus général de l’organisme :

Le système d’examen par les pairs des IRSC évolue rapidement. Nous avons créé une douzaine de comités l’an dernier pour absorber l’augmentation du nombre de demandes et remplir le mandat élargi des instituts. De plus, 15 comités spéciaux seront créés pour s’occuper de l’examen des initiatives stratégiques ou thématiques […]. Dans le but de mieux aligner les propositions et les examinateurs ainsi que d’améliorer l’examen du nombre croissant de demandes multidisciplinaires, nous formerons des « grappes spécialisées » de comités d’examen par les pairs, qui se réuniront concurremment. Cela facilitera la constitution des comités, qui seront davantage en mesure d’examiner un plus vaste éventail de propositions. Cette formule de « grappes » devrait également favoriser l’évolution plus rapide des mandats des comités en prévision des changements d’orientation de la recherche en santé. [Mark Bisby, IRSC, 39:15:30]

Pour leurs principaux programmes de subventions à la recherche, le CRSNG et le CRSH ont des comités interdisciplinaires qui évaluent les projets de recherche qui chevauchent ou font intervenir plusieurs disciplines et ne peuvent facilement être évalués par les comités habituels établis selon les disciplines. Diverses disciplines sont représentées au sein de ces comités. Au CRSNG, le comité interdisciplinaire demande souvent aux membres d’autres comités de sélection des subventions de lui soumettre des rapports sur les projets, en plus des rapports demandés aux spécialistes de l’extérieur, pour en arriver à formuler une recommandation de financement.

La recherche à risque élevé

Étant donné que, généralement, l’industrie tend à éviter la recherche à risque élevé, les gouvernements ont un rôle important à jouer pour aider à financer ce type de recherche à risque élevé et à rendement élevé. Un témoin a déclaré que le processus d’examen par les pairs fonctionne bien pour la plupart des types de recherche, y compris la recherche interdisciplinaire, pour autant que les comités de sélection sont bien structurés. Cependant, le témoin se demande si la recherche a risque élevé est évaluée équitablement dans le contexte de l’évaluation par les pairs. Selon le témoin, les risques élevés d’échec associés à ce type de recherche, la rareté des fonds et la tendance des comités à parvenir à un consensus en formulant des recommandations de financement conservatrices font en sorte qu’il existe des préjugés à l’égard de la recherche très risquée :

Il est probable que le problème le plus grave de l’évaluation par les pairs est la façon dont est évaluée la recherche à risque élevé. Les organismes fédéraux ont déclaré à plusieurs reprises l’importance de subventionner la recherche très risquée et très rentable, mais en réalité, on constate peu d’incitatifs et de motivation pour promouvoir la vraie recherche à risque élevé et qu’il y a beaucoup d’éléments dissuasifs. [...] Le recours à des comités de pairs, surtout à de gros comités — une caractéristique de la plupart des organismes subventionnaires — mène invariablement à des décisions conservatrices. [Ronald N. Kostoff, 88:10:10]

Le témoin a suggéré qu’il faudrait sans doute que les organismes adoptent un mécanisme « du haut vers le bas » pour s’assurer que ce type de recherche reçoit un niveau de financement adéquat :

Je n’ai pas réellement de réponse à [ce problème]. Je ne puis que suggérer que les organismes embauchent des employés qui sont prêts à prendre des risques et à accepter des échecs. Ça devient un enjeu personnel. Je ne vois pas comment on pourrait légiférer pour obliger les organismes à prendre des risques. [Ronald N. Kostoff, 88:10:35]

Dans quelques organismes subventionnaires étrangers (p. ex., la National Science Foundation aux États‑Unis), les directeurs et les agents de programmes peuvent, dans certains cas, réserver une petite partie du budget qu’ils gèrent à des recherches à risque élevé ou dans des domaines nouveaux. De plus, le personnel peut renverser une décision de financement d’un comité de sélection s’il juge que la décision du comité est trop conservatrice. Dans les organismes subventionnaires canadiens, le personnel qui supervise le fonctionnement des comités de sélection n’a pas, en général, l’autorité pour prendre des décisions de financement, modifier les budgets ou renverser la décision d’un comité.

Le Comité est conscient que les principaux programmes de subventions non stratégiques des organismes subventionnaires canadiens permettent aux chercheurs d’entreprendre d’autres recherches, souvent plus risquées, que celles décrites dans leurs demandes de subventions. Dans le cadre de l’évaluation de leurs programmes, les organismes étudient le financement de la recherche à risque élevé et interdisciplinaire. Quelques efforts sont déployés (p. ex., aux IRSC) pour financer la recherche à risque élevé. Le Comité encourage les organismes à continuer de contrôler et d’améliorer leurs programmes de financement destinés à la recherche très risquée.

Collaboration accrue entre les organismes subventionnaires

Le Comité est généralement satisfait des mécanismes en place au sein de chacun des conseils subventionnaires, en particulier aux IRSC, pour évaluer et modifier la répartition des fonds de recherche à l’intérieur des programmes stratégiques. Il se demande toutefois si la recherche dans les secteurs cibles d’importance nationale obtient une part suffisante des fonds généraux accessibles auprès du CRSNG et du CRSH, même s’il est conscient que cette recherche est également financée grâce aux programmes non ciblés de ces organismes. De plus, le Comité se demande si le soutien de la recherche à risque élevé, dans des domaines de pointe ou de la recherche interdisciplinaire est suffisamment prise en considération dans le système actuel. Il craint que la recherche interdisciplinaire, souvent dans des secteurs stratégiquement importants, qui dépasse les limites des mandats des trois conseils subventionnaires (autres que celle financée grâce au programme des RCE) ne reçoive pas l’attention qu’elle mérite et ne soit pas suffisamment financée.

Le Comité note que les sept conseils de recherche du Royaume-Uni ont constitué le « forum de recherche interconseils », un groupe informel de personnes dont l’objectif est d’améliorer le fonctionnement interconseils. L’un des sujets auxquels le forum s’est attaqué est l’examen des projets qui se situent à la « jonction » des six conseils de recherche subventionnaires. Le Comité encourage les conseils subventionnaires canadiens à examiner les principes de fonctionnement généraux34 établis par les conseils britanniques pour l’examen de ces projets, afin de voir s’il n’y aurait pas des principes nouveaux qui pourraient s’appliquer au contexte canadien. En mai 2002, le gouvernement britannique a lancé l’initiative « Research Councils UK » qui, de concert avec l’Office of Science and Technology, développera de nouveaux secteurs de collaboration dans des domaines scientifiques clés. À cette fin, on misera sur les secteurs où les conseils de recherche ont déjà établi des liens de collaboration et on mettra en œuvre des programmes interdisciplinaires dans des domaines comme la génomique, la cyberscience, les technologies de base, la recherche sur les cellules souches embryonnaires et les changements climatiques. On s’efforcera aussi d’harmoniser les procédures et d’offrir un service plus efficace aux chercheurs qui présentent des demandes aux conseils, par exemple en établissant une seule marche à suivre pour présenter des demandes à tous les conseils de recherche35.

Le Comité croit que les conseils subventionnaires fédéraux pourraient collaborer davantage pour soutenir la recherche stratégique et interdisciplinaire qui est de leur ressort. Il croit aussi qu’il y aurait moyen d’améliorer de façon générale le fonctionnement interconseils. Il recommande donc :

RECOMMANDATION 5

Que le gouvernement du Canada encourage les organismes subventionnaires à collaborer davantage les uns avec les autres ainsi qu’avec les intervenants non universitaires, notamment avec les provinces et les territoires, au moment de décider des secteurs cibles à l’intérieur des programmes stratégiques. Les organismes devraient aussi veiller à ce que des mécanismes d’examen officiels et des fonds suffisants soient accessibles pour soutenir la recherche interdisciplinaire de haut calibre ou la recherche dans des secteurs de pointe, en particulier celle qui dépasse les limites de leurs mandats respectifs. Les organismes devraient envisager la mise en place d’un mécanisme officiel pour faciliter la collaboration à tous les niveaux, de façon à uniformiser leur fonctionnement et faciliter ainsi l’accès des
chercheurs aux fonds de recherche fédéraux.

Recherche fondamentale et libre

La recherche considérée comme étant d’importance socioéconomique immédiate pour le Canada est habituellement plus facile à justifier auprès du gouvernement et du public du point de vue de la « rentabilité » que ne l’est la recherche fondamentale. Pourtant, elle est souvent extrêmement tributaire des progrès réalisés dans les secteurs de la recherche fondamentale, qui peuvent ne pas avoir d’intérêt évident ou immédiat dans un contexte non scientifique :

Les percées de demain en biologie et en santé humaine découleront de connaissances fondamentales en physique, en sciences sociales, en philosophie, etc. [Matthew Spence, président-directeur général, Alberta Heritage Foundation for Medical Research, 66:09:30]

Dans bien des cas, la valeur socioéconomique d’un programme de recherche en particulier met quelques années avant de se concrétiser et se manifeste, par exemple, lorsqu’une découverte découlant de cette recherche est appliquée à un problème précis. L’essentiel du financement attribué par les conseils subventionnaires fédéraux au Canada sert à financer la recherche dans des secteurs choisis par les chercheurs eux-mêmes (recherche libre, qui peut ou non répondre à des besoins industriels ou sociétaux immédiats), et n’est pas dirigé vers les secteurs cibles choisis par les conseils subventionnaires ou le gouvernement. Aux dires de certains témoins, la plupart des scientifiques appuient ce système et estiment qu’il peut mener à une recherche beaucoup plus utile à long terme que le fait de soutenir directement la recherche qui a une valeur socioéconomique immédiate et évidente ou se situe dans un secteur cible particulier :

La grande force de notre système canadien vient du fait que notre corps enseignant et nos universités ont assez d’autonomie pour que puissent être entreprises ces recherches d’un intérêt particulier, recherches qui s’avèrent souvent plus utiles à long terme que des recherches qui ont une implication commerciale immédiate. [Paul Davenport, président, Université Western Ontario, 51:10:15]

La question de savoir quelle proportion des fonds distribués par les conseils subventionnaires devrait être affectée au financement de la recherche fondamentale, appliquée et stratégique est un problème litigieux souvent soulevé par les scientifiques, les organismes subventionnaires et les gouvernements partout dans le monde :

La question —  et nous la posons depuis 50 ans déjà, depuis que le gouvernement a commencé à investir dans la science et la technologie — est de savoir quel est l’équilibre entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée? Il n’existe pas de formule magique pour y répondre. […] le tiers des fonds qu’ils [les conseils subventionnaires] distribuent sont en vérité consacrés à un genre de recherche stratégique […]. Est‑ce trop? Les chercheurs disent que oui. Le gouvernement n’est pas de leur avis. Je pense […] que nous ne devrions pas aller trop loin dans cette direction. [Benoît Godin, directeur, Observatoire des sciences et des technologies, 66:10:25 ]

Le Comité est conscient qu’il n’y a pas de consensus sur cette question.

Priorités fédérales en matière de recherche

Outre la question de savoir quelle proportion des fonds fédéraux devrait servir à soutenir la recherche dans des secteurs cibles réputés être d’importance nationale, il y a aussi la question de savoir qui devrait décider des secteurs à financer. Les secteurs cibles visés par les programmes stratégiques des conseils subventionnaires fédéraux sont généralement proposés par des comités pluridisciplinaires et leur choix relève des conseils d’administration des organismes ou, dans le cas des RCE, du Cabinet. Certains opposants ont invoqué l’absence de priorités claires en matière de recherche au niveau fédéral pour expliquer l’éternel débat entourant la question de l’affectation des fonds de recherche :

Je suis d’avis que l’une des causes de ce problème est tout simplement attribuable au fait que notre pays n’a pas un ensemble clair de priorités en matière de recherche. Partant, nous tentons de financer tous les domaines de recherche et découpons ainsi un petit gâteau en des parts encore plus petites. Pour être juste, le gouvernement a tenté de corriger le problème en créant des fonds et des programmes spéciaux, voire même des institutions,et ce, de façon à concentrer des fonds de recherche rares dans des secteurs bien précis, mais, en bout de ligne, nous n’avons toujours pas ces priorités. Nous avons plutôt de trop vastes généralités, comme, par exemple, le développement économique ou le capital social. [J. Adam Holbrook, directeur associé, Centre for Policy Research on Science and Technology, Université Simon Fraser, 66:09:10]

Certains gouvernements nationaux consacrent effectivement une part relativement importante (selon certains représentants des milieux de la recherche) de leurs fonds de recherche universitaire à des secteurs cibles d’importance nationale. Par exemple, en janvier 2002, le gouvernement australien a ordonné à l’Australian Research Council (principal organisme de financement de la recherche fondamentale en Australie) d’allouer 33 % (environ 130 millions de dollars) de l’ensemble de ses fonds pour l’exercice 2003 à des projets de recherche dans quatre secteurs de recherche prioritaires : les
nano-matériaux et les biomatériaux, la génomique et l’expression génétique, les systèmes complexes et intelligents et la photonique. Cette directive a soulevé certaines protestations dans les milieux de recherche, mais d’aucuns estiment que l’établissement de telles priorités nationales est nécessaire dans de petits pays :

Nul doute que c’est là une question très litigieuse, mais l’argument qui milite en faveur de cette mesure en Australie, c’est que nous avons une très petite population. Notre territoire est immense, mais étant donné notre population et l’éparpillement de nos chercheurs, nous n’avons pas les moyens de nous disperser à gauche et à droite et l’établissement de priorités devient inévitable à un moment ou à un autre. [Fiona Wood, University of New England, Australie, 79:19:55]

En ce qui a trait aux décisions concernant l’affectation des fonds de recherche fédéraux au Canada, le Comité partage les préoccupations exprimées par certains témoins à propos de l’absence d’un ensemble clair de priorités fédérales à ce chapitre. Le Comité est d’avis qu’il faut se doter d’un solide cadre consultatif fédéral en matière de S-T afin de mieux conseiller le gouvernement concernant l’établissement des priorités et de la politique de recherche fédérales. Ce cadre permettra de faire en sorte que le gouvernement assure un financement suffisant à la recherche dans des secteurs stratégiquement importants et continue d’offrir un solide soutien aux autres secteurs de recherche. Le Comité est heureux de prendre note que la question du processus de prise de décisions et de l’établissement de priorités est mentionnée dans la Stratégie d’innovation du gouvernement fédéral, et que celui-ci envisagera la création d’une organisation scientifique nationale indépendante (l’Académie canadienne des sciences) pour faire des évaluations indépendantes de questions scientifiques d’importance nationale36. Le Comité note que d’autres pays industrialisés ont des cadres consultatifs en matière de S-T, qui comprennent un conseiller scientifique en chef auprès de l’autorité exécutive au sein du gouvernement, lequel est habituellement en charge d’un bureau gouvernemental responsable de la politique en matière de S-T (p. ex., au Royaume‑Uni et aux États-Unis). Certains pays ont aussi des programmes d’établissement des priorités qui définissent les orientations et les besoins futurs en matière de S-T (p. ex., le programme de prévisions du Royaume-Uni). En ce qui a trait à l’établissement d’un éventuel cadre consultatif en matière de S-T pour le Canada, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 6

Que le gouvernement du Canada établisse, en consultation avec les provinces et les territoires, un mécanisme plus officiel pour fixer ou modifier la politique en matière de S-T, décider des priorités de financement et en assurer l’application. Un tel cadre pourrait comprendre un organisme consultatif en matière de sciences ou un poste de conseiller scientifique en chef, ou les deux, qui relèveraient directement du Parlement.


31http://www.cihr.ca/news/publications/publications/revolution.pdf
32 Karen Birchard, « Les écoles de médecine vétérinaire risquent de perdre leur agrément », Affaires universitaires, p. 31.
33Les recommandations du Groupe de travail peuvent être consultées par voie électronique dans son rapport intitulé De l’état de crise à la relance. Rétablir le rôle du Canada dans la recherche nordique, à l’adresse suivante : ftp://ftp.nserc.ca/pub/nserc_pdf/nor/crisis.pdf
34http://www.research-councils.ac.uk/researchforum/peerreview.htm
35La formation des conseils de recherche britanniques découle de la mise en œuvre d’une recommandation formulée à la suite de l’Examen quinquennal des conseils de recherche subventionnaires fait par le gouvernement (2001).
36Voir http://www.innovationstrategy.gc.ca/cmb/innovation.nsf/vRTF/PDF/$file/atteindre.pdf, p. 70.