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ENVI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 3 octobre 2001

• 1533

[Traduction]

Le président (M. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Mesdames et messieurs, bienvenue à notre réunion.

[Français]

L'ordre du jour, c'est le projet de loi C-5, la Loi concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada.

[Traduction]

Nous avons aujourd'hui l'honneur d'accueillir le ministre de l'Environnement et le sous-ministre et le sous-ministre adjoint, je présume. Bienvenue à tous.

Monsieur le ministre, nous sommes impatients d'entendre votre message au terme de plusieurs mois d'audiences au cours desquelles nous avons écouté le point de vue des personnes qui souhaitent que nous disposions d'une bonne loi.

Sans plus attendre, nous vous donnons la parole. Peut-être pourriez-vous nous présenter les hauts fonctionnaires qui vous accompagnent et nous dire comment vous comptez procéder.

L'hon. David Anderson (ministre de l'Environnement): Merci, monsieur le président.

• 1535

Je crois que nous avons vous et moi siégé pour la première fois ensemble au Parlement la même année, en 1968, il y a longtemps. Nous sommes tous deux engagés depuis longtemps, personnellement et politiquement, envers l'environnement, et je dois dire que c'est un plaisir de vous retrouver ici en tant que président de ce comité, ainsi que les autres membres du comité. En fait, je crois que j'ai fondé le premier Comité sur l'environnement de la Chambre des communes, un comité spécial sur la pollution. Je l'ai fait malgré les objections du leader du gouvernement à la Chambre et de tous les autres partis à la Chambre, et un jour je vous expliquerai cela. C'était trois ans avant que le Canada ne devienne le deuxième pays au monde à créer un ministère de l'Environnement.

Je suis très heureux de vous retrouver, vous qui avez été ministre de l'Environnement du Canada et qui avez travaillé dans ce domaine... J'apprécie particulièrement le travail que vous avez fait auprès du Centre parlementaire pour le développement écologiquement durable. En fait, vous vous êtes occupé de ce domaine bien avant que la plupart des parlementaires aient même entendu le terme de «développement durable».

C'est peut-être de l'histoire pour certains députés, mais c'est aussi tout un héritage. Je préfère parler d'héritage, et c'est ce qui nous amène tous ici aujourd'hui dans cette salle.

Assis à cette table, il y a naturellement d'autres personnes qui ont montré un grand engagement, et qui ont posé de beaux gestes en matière de gérance de l'environnement au Canada.

Je crois que la tâche qui vous attend, celle de trouver le moyen de protéger les espèces en péril du Canada, est un objectif que partage la quasi-totalité de la population canadienne.

Le Canada est différent des autres pays. Les autres pays ont généralement pour symboles nationaux des monuments érigés par les hommes, mais au Canada nous avons notre géographie et nos espèces sauvages: le caribou, le castor, l'ours polaire, la feuille d'érable, le huard. Tels sont nos symboles nationaux. Notre nature, c'est fondamentalement notre patrimoine et notre héritage. Donc, ce qui nous préoccupe aujourd'hui, c'est comment assurer une meilleure protection de nos espèces, mais aussi la protection et la préservation de cet héritage de notre pays.

L'objectif de la Loi sur les espèces en péril est de veiller à ce qu'aucune espèce ne disparaisse plus à cause d'activités humaines et à ce que les espèces en péril se rétablissent. Nous savons tous que cette mesure législative traîne avec elle une histoire longue et houleuse. Nous avons connu plus de sept années de solides débats sur la meilleure façon de protéger les espèces en péril, et dans cette perspective, il n'est que trop facile parfois de perdre de vue la bonne volonté et la bonne foi de toutes les parties intéressées. Je crois qu'il faut nous rappeler que les questions qui se posent à nous nous tiennent sincèrement à coeur. Nous sommes nombreux à avoir derrière nous toute une vie d'action qui le prouve.

Je sais que chaque député comprend bien la nécessité de protéger les espèces en voie de disparition, et que chacun est déterminé à adopter des mesures raisonnables pour atteindre ce but. En fait, je n'ai personnellement pas encore rencontré de Canadiens ou de Canadiennes voulant qu'une espèce disparaisse de notre nation. Alors que nous allons de l'avant avec cette mesure législative, j'espère donc que nous pouvons garder à l'esprit cette réalité très positive.

Il nous faut aussi garder à l'esprit que nous avons une population de petite taille vivant dans le deuxième plus grand pays du monde doté du plus long littoral du monde, et que nous représentons l'extrémité la plus septentrionale du territoire de nombreuses espèces. Par conséquent, les défis et les responsabilités associés à la protection des espèces en péril sont énormes. Il faut que chaque personne que nous pouvons recruter pour cette tâche puisse jouer un rôle, et cela signifie que nous avons besoin de développer la confiance, la coopération et l'intendance mutuelle dans le plus grand nombre possible de personnes, d'organisations et de gouvernements. Il est sûr que ce que nous ne devons pas faire, c'est saboter cet esprit de confiance et de coopération.

Étant donné la longue histoire de ce projet de loi, je ne vais pas examiner chacune de ses facettes aujourd'hui, et je ne vais pas cerner chaque élément de cette mesure législative. Le comité connaît bien les questions qui se posent à nous. J'aimerais plutôt me concentrer sur ce que je perçois être les deux principales zones de divergence.

Le premier gros élément de litige, à mon avis, provient de la lettre dite des «Scientifiques pour la défense des espèces», adressée au premier ministre il y a quelques semaines. Quelque 1 300 universitaires ont décrit dans cette lettre adressée au premier ministre les modifications qu'ils souhaitaient voir apporter au projet de loi.

• 1540

J'ai soigneusement étudié la liste de ceux et celles qui ont signé cette lettre. Naturellement, ce sont tous des hommes et des femmes d'excellente réputation provenant de nos universités et d'autres institutions de notre pays, mais il convient de souligner que moins de 3 p. 100 d'entre eux participent à des recherches sur les espèces en péril. Il y a parmi eux peu de spécialistes, si tant qu'il y en ait un, de l'agriculture, de la pêche ou de la trappe. Il y a très peu de spécialistes de l'économie ou des sciences sociales ayant une connaissance approfondie de la psychologie des communautés rurales.

J'ai moi-même enseigné à l'université pendant un certain nombre d'années. Certains d'entre vous le savent sans doute, mon épouse est professeur d'université. Et je ne prétends certainement pas que cela me qualifie pour me prononcer sur des questions qui sortent du domaine dans lequel j'ai enseigné ou de mon domaine de spécialisation, par exemple le cycle de reproduction de la marmotte de l'île de Vancouver. Je m'en abstiendrai, car ce n'est pas parce qu'on a un bagage universitaire qu'on est qualifié pour parler de tous les aspects des espèces menacées. Mais en tant que politicien, comme vous tous, j'ai quelque connaissance des attitudes du public. Ces éminents scientifiques affirment que le choix final des espèces devant recevoir une protection légale dans le cadre de la LEP doit revenir à des scientifiques, sans qu'aucun examen par un élu ou tout autre groupe connaissant la société rurale ou les autres éléments sociaux et économiques puisse avoir quelque influence sur le rétablissement des espèces.

J'ai longuement réfléchi à cette question. J'ai téléphoné à quelques-uns des scientifiques qui ont signé cette lettre et j'ai longuement discuté avec eux. Il m'était difficile de téléphoner à beaucoup d'entre eux car il y avait tant de choses intéressantes à discuter. Ce que j'ai découvert chez eux, c'est une préoccupation authentique à l'égard des espèces en péril et une ferme volonté d'aider le Canada à adopter une loi puissante. Je sais que tous ces scientifiques qui ont signé la lettre l'ont fait de bonne foi, et je sais qu'ils ont aussi immédiatement reconnu—ceux à qui j'ai parlé en tout cas—qu'ils connaissaient mal ou pas du tout les détails du projet de loi C-5. Ils m'ont demandé de leur en faire parvenir un exemplaire, tout simplement parce qu'ils n'en avaient pas. Ils ne connaissaient pas le rôle que la loi réserve à la science et aux scientifiques.

Voilà 23 ans que le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada conseille les gouvernements du Canada. Toutefois, le projet de loi C-5 donne pour la première fois au COSEPAC un statut légal. Le ministre du jour ne pourra jamais décider s'il permet au COSEPAC de continuer à exister. Son existence sera établie dans la loi et dans la procédure juridique.

L'évaluation des espèces sera aussi scientifique. Ce sera une évaluation d'experts, totalement indépendante du gouvernement et des pressions sociales et économiques. En fait, les scientifiques d'Environnement Canada m'informent que le niveau de conseil scientifique intégré à ce processus est sans équivalent dans le monde.

Les décisions prises par le COSEPAC seront publiées et diffusées gratuitement dans un registre public, et toutes les évaluations scientifiques, toutes les données et toutes les recommandations seront diffusées sur Internet. Chaque initiative que je prendrai ou que prendra un ministre de l'Environnement futur en réaction au conseil des scientifiques sera tout aussi ouverte et offerte à l'examen du public, des membres de ce comité et des autres parlementaires de la Chambre et du Sénat, ainsi que de la communauté universitaire et du commissaire à l'environnement et au développement durable. Les citoyens auront la possibilité de demander que le statut d'une espèce soit évalué ou réévalué par les scientifiques.

Soyons clairs. La décision d'inscrire légalement une espèce entraîne automatiquement des interdictions de destruction de l'espèce et de sa résidence, et cela mène à une planification obligatoire du rétablissement et de certaines mesures. En tant qu'élu, je ne suis pas prêt à affirmer que la décision finale de la désignation légale d'une espèce, la décision de protéger un habitat ou d'enclencher des mesures de rétablissement devraient être prises par des scientifiques non élus qui ne peuvent prendre en considération aucun facteur social et économique pour parvenir à leur décision, quel que soit le niveau de talent de ces individus.

L'affaire est sérieuse. Je peux comprendre pourquoi il y a une certaine attraction simpliste à confier à des scientifiques les décisions finales sur les espèces en péril, mais une telle démarche irait toutefois à l'encontre de la nature même de nos bases démocratiques.

• 1545

Ce comité a entendu de nombreuses personnes lui expliquer pourquoi les scientifiques devraient avoir le dernier mot.

Disraeli a dit que «...tout pouvoir est confiance, que nous sommes responsables de son exercice, que tout est dérivé du peuple, que tout lui revient que ce n'est que grâce à lui que tout existe».

Le scientifique américain de renom Elwin Stackman a dit que «...personne ne devrait attendre des scientifiques qu'ils assument toute la raison de la nation». Plus simplement, pour reprendre les paroles d'un autre politicien, et à l'intention de politiciens comme nous-mêmes, nous pouvons nous reporter à la célèbre phrase de Harry Truman: «La responsabilité commence ici (The buck stops here)».

La démocratie exige donc qu'on rende des comptes—la reddition de comptes lui est inhérente. Bien franchement, je pense que les scientifiques ne devraient pas tant s'inquiéter. Quand je le leur ai expliqué que j'en ai discuté avec eux, ils l'ont eux-mêmes reconnu—ceux à qui j'ai parlé. Certains ont dit qu'il ne serait pas correct de leur part de se mêler des domaines social et économique et que cela débordait de leur compétence... Je pense que c'est un fait important.

Si je peux m'écarter un peu de mon texte, je me souviens de m'être excusé une fois auprès d'un sénateur américain de m'être plaint d'une certaine politique américaine. Il m'a répondu—et c'était il y a 35 ans—«Jeune homme, dans notre système, si vous ne hurlez pas, c'est qu'on ne vous égorge pas». Je pense qu'il est bon de se souvenir de ces paroles.

Les Canadiens ont le droit de se faire entendre si c'est leur avenir qui est concerné. Or, si l'on laissait automatiquement toutes les décisions aux scientifiques, qui se préoccupent uniquement de la question des espèces menacées, cela ne serait pas possible.

Un peu d'histoire illustre bien cette affirmation.

[Français]

Au milieu des années 1980, le gouvernement d'alors a décidé d'ignorer les conseils scientifiques qu'il avait reçus en ce qui concernait le thon. Le gouvernement a décidé d'autoriser l'exportation du thon car celui-ci, bien qu'avarié, était comestible. L'affaire du thon avarié a dominé les débats à la Chambre des communes pendant des semaines.

Vous vous souviendrez, monsieur le président, que cela avait été un scandale majeur pour le gouvernement conservateur, tout cela parce que le gouvernement ne pouvait pas justifier de manière satisfaisante, aux yeux du public, la décision qu'il avait prise d'ignorer l'avis des spécialistes.

Donc, si le ministre de l'Environnement a effectivement l'autorité d'agir par rapport aux conseils scientifiques qu'il reçoit, c'est à ses risques et périls politiques qu'il les ignorera.

[Traduction]

Il faut donc reconnaître que quand des scientifiques indépendants donnent des conseils qui sont mauvais ou qui ont des conséquences néfastes, ils sont protégés contre les conséquences auxquelles un politicien doit faire face. En un mot, ils ont la permanence, et pas nous. Encore une fois, malgré les divergences de vues sur ce projet de loi, il nous faut montrer de la bonne volonté et de la bonne foi.

Je suis donc ouvert aux suggestions venant de ce comité sur les moyens permettant de rendre le processus plus ouvert ou de garantir des réponses ministérielles plus rapides aux recommandations des scientifiques. J'aimerais aussi informer les députés que si ce projet de loi devient texte de loi, j'accepterai et je mettrai en place immédiatement la liste actuelle des espèces menacées et en voie de disparition telle que recommandée par le COSEPAC.

Le jour de la promulgation du projet de loi C-5, chaque mammifère, chaque oiseau, chaque poisson, chaque plante et chaque insecte que le Conseil scientifique a actuellement inscrit comme devant être protégé sera protégé. Cet engagement d'accepter et de mettre en place la liste actuelle des espèces en péril est une démonstration de coopération, de confiance et de bonne foi. C'est aussi la démonstration du fait que certaines des préoccupations qui vous ont été exprimées au sujet de cette liste du COSEPAC et de la liste légale sont peut-être exagérées.

Bien sûr, nous continuerons de consulter ces Canadiens et ces Canadiennes qui peuvent donner des conseils importants sur les meilleures démarches de protection des espèces, notamment les pêcheurs, les peuples autochtones, les propriétaires fonciers, d'autres gouvernements et le secteur industriel. Et bien que l'inscription scientifique continuera d'être déterminée par les scientifiques, l'autorité finale pour les décisions d'inscription futures doit selon moi et selon le gouvernement demeurer entre les mains des élus.

Ceci m'amène au deuxième secteur où l'on a vu se produire un vigoureux débat philosophique relatif à ce projet de loi.

Voulons-nous un projet de loi basé sur la coopération, ou souhaitons-nous à l'inverse avoir un projet de loi qui repose essentiellement sur la contrainte? Voulons-nous un projet de loi basé sur une fermeté superficielle ou un projet de loi s'appuyant sur le développement de la confiance?

• 1550

Nous convenons tous que l'habitat est crucial pour la protection et le rétablissement des espèces en voie de disparition. La question est de savoir si le gouvernement fédéral ordonne immédiatement de protéger des habitats essentiels au rétablissement d'une espèce ou si le gouvernement fédéral s'efforce de susciter des efforts volontaires, un respect mutuel et des initiatives de coopération pour parvenir à cette protection.

Or, la loi proposée donne au gouvernement fédéral l'autorité d'ordonner des mesures de protection d'habitats essentiels à la survie d'une espèce menacée ou en voie de disparition quand toutes les autres mesures ont échoué. Il faut toutefois comprendre, monsieur le président, qu'une telle application de la volonté du gouvernement fédéral constitue le dernier recours, et non le premier. Je suis résolu à travailler avec les provinces et territoires, avec les propriétaires fonciers, les écologistes, les autorités locales, les peuples autochtones, les agriculteurs, les pêcheurs, les éleveurs et les organismes bénévoles disposés à nous aider à protéger les espèces en voie de disparition.

Nous avons tous vu ce qui arrive quand les gens grognent contre les programmes gouvernementaux et les craignent. Nous avons tous vu les dommages infligés quand des gens tout à fait raisonnables décident soudain que le gouvernement a quelque visée sinistre à leur égard. Il n'y a aucune raison de susciter ce genre d'inquiétudes avec ce projet de loi.

Nous savons, comme tous ceux qui ont examiné ce projet de loi, je crois, que l'autorité du gouvernement fédéral d'agir dans le cadre du droit criminel se trouve dans le projet de loi. Le droit criminel y est inscrit. Mais dans ce même projet de loi se trouve aussi un engagement à la coordination, aux mesures complémentaires et à l'inclusion, et c'est cela que je veux souligner. Qu'on le veuille ou non, la grande majorité des terres au Canada se trouvent sous gestion provinciale ou territoriale et en propriété privée.

Si nous voulons arrêter la destruction ou la dégradation des habitats, il est crucial de former des partenariats avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et les propriétaires fonciers. En fin de compte, la protection d'une espèce en voie de disparition et de sa résidence peut être entreprise par une seule personne, mais soyons réalistes: cette personne, ce ne sera pas moi.

En fait, ce ne sera pas non plus un politicien, un représentant officiel d'un gouvernement, un juge ou un agent de l'application de la loi. La responsabilité en première ligne incombera au pêcheur, à l'agriculteur, au forestier et au trappeur, pour n'en nommer que quelques-uns. Ce sont ces personnes-là qui vivent sur le lieu même de l'habitat de ces espèces en voie de disparition. Si nous voulons réussir à protéger les habitats des espèces en péril, il nous faut préserver l'appui et la coopération des Canadiens et des Canadiennes qui vivent de la terre ou de nos eaux et y travaillent. Et c'est là que nous devons agir.

Monsieur le président, les salles de comité comme celle-ci, les tribunaux et les salles de classe, tout cela est très bien, mais ce n'est pas là qu'on trouve les espèces en voie de disparition. En matière de protection des espèces en péril, les exemples abondent tant au niveau international que sur le plan national, de l'efficacité d'une démarche coopérative et des échecs qu'ont connus les démarches basées sur les affrontements. Il existe une abondante documentation sur la question.

[Français]

Certains d'entre vous connaissez bien les succès et les échecs que la protection des espèces a connus dans d'autres pays. Au Zimbabwe, les villageois participent activement à la gestion des éléphants qui se promènent près de leurs communautés. Les troupeaux d'éléphants du Zimbabwe sont grands et en train de grossir. Par contraste, en Zambie, les agents de conservation des éléphants ont convaincu le gouvernement d'adopter une autre politique, une politique très différente: ils tuent les braconniers à vue. Dans certains endroits, les réserves fauniques ressemblent à des champs de bataille et les communautés ne participent toutefois pas aux décisions. En Zambie, les troupeaux d'éléphants sont petits et en train de s'affaiblir davantage.

Ces exemples du continent africain nous enseignent que nous avons besoin de l'appui des propriétaires fonciers, que nous avons besoin de l'appui des communautés. De fait, en Afrique, la conservation de la biodiversité et des espèces sauvages dépend de plus en plus des propriétaires fonciers privés et d'une démarche de coopération avec les villageois.

• 1555

[Traduction]

Plusieurs d'entre vous ont vu Richard Leaky, l'ancien directeur du Service kenyan de la protection de la faune, à la télévision il y a quelques jours. Il n'a cessé de souligner que l'avenir de la Corne de l'Afrique dépendait non pas des parcs nationaux, mais du concours des propriétaires fonciers et des paysans, et qu'il fallait leur faire comprendre qu'ils avaient intérêt à protéger les espèces sauvages.

J'ai choisi de vous donner quelques exemples tirés de l'Afrique, mais il existe une abondante littérature sur la question. Vous retrouverez le même genre d'histoires dans tous les continents. Sans l'appui de la population locale, les programmes mis en oeuvre sont en général voués soit à être excessivement coercitifs, soit à échouer.

De nombreux témoins ont demandé à votre comité que le Canada adopte une loi semblable à la loi américaine, la Endangered Species Act. Cette loi qui remonte à 23 ans aborde la question en adoptant une démarche d'«ordre et de contrôle», exigeant des gens qu'ils agissent à leurs propres frais et malgré les incitations contraires auxquelles ils peuvent avoir à faire face. Depuis que le projet de loi que vous avez devant vous a été présenté à la Chambre, nous avons reçu des preuves convaincantes des problèmes inhérents à la démarche américaine.

Le U.S. Fish and Wildlife Service a déclaré avoir perdu le contrôle du processus de protection des espèces car il était submergé de décrets juridiques. Le budget d'inscription de 2001 a été presque entièrement dépensé à se conformer aux ententes de règlement et aux ordonnances des tribunaux.

Ceci a été une véritable manne pour les 25 000 avocats américains spécialistes du droit environnemental. Comme l'a dit le secrétaire à l'Intérieur:

    Trop longtemps, nous avons dépensé de précieuses ressources à payer les honoraires des avocats et à nous battre en cour au lieu de protéger les espèces et de nous battre pour les empêcher de disparaître.

Comme les ressources avaient été englouties dans les batailles judiciaires, l'Indice Harper a indiqué—je crois que c'était le mois dernier ou le mois précédent—dans une liste de statistiques stupéfiantes, que quelque 240 ordonnances de tribunaux des États-Unis n'avaient pas été mises à exécution par l'administration américaine par manque de fonds.

Cet été, la dispute dans le bassin Klamath dans l'Oregon a entraîné la perte des récoltes de 200 000 acres, je crois. Mais surtout, elle a aussi entraîné des désordres civils et empoisonné l'atmosphère politique.

Il y a un mois, une trêve a été négociée aux États-Unis et les parties concernées sont à présent résolues à coopérer plutôt qu'à se battre en cour. En gros, elles ont laissé de côté la bataille juridique et opté pour la démarche même que nous recommandons avec ce projet de loi au Canada.

Autrement dit, les deux parties ont compris que la démarche légaliste américaine que certains témoins vous demandent d'adopter au Canada ne fonctionne tout simplement pas au sud de la frontière. Les disputes qui ont fait rage plus tôt ont eu un impact environnemental majeur, et il faudra longtemps pour régler ces questions.

Soit dit en passant, du fait précisément de l'atmosphère de méfiance qui s'est installée entre les propriétaires fonciers et le gouvernement américain, il n'y a aucune information sur le statut de plus de la moitié des espèces en voie de disparition ou menacées vivant sur les terres privées aux États-Unis. Il s'agit de l'estimation américaine: plus de la moitié.

Quand une loi sur les espèces en voie de disparition se fonde sur la punition et l'interdiction, il est difficile de l'utiliser, et encore plus difficile de l'utiliser de façon efficace. Je ne veux pas que cela arrive au Canada, et je ne tiens pas à suivre cette voie.

Permettez-moi de vous donner deux autres exemples. Il y a trois ans, j'étais ministre des Pêches. À ce titre, les contacts avec d'autres pays, en particulier les États-Unis, représentaient une bonne partie de mon travail. J'ai donc pu être directement témoin, à l'époque, du fonctionnement et de l'impuissance de la législation américaine.

Par exemple, quand les pressions venant des pêcheurs américains et canadiens étaient en train de détruire le saumon coho du Haut-Skeena, une espèce en voie de disparition, les États-Unis n'ont pas eu recours à leur loi sur les espèces en voie de disparition. J'ai demandé pourquoi. On m'a répondu que les forces politiques et industrielles en jeu étaient trop puissantes. On m'a dit que la loi était trop sévère, et qu'on ne pouvait y avoir recours quand il ne restait plus que quelques poissons survivants, qu'on ne pouvait y avoir recours que quand les chiffres étaient vraiment bas et que les espèces avaient quasiment disparu.

Les pêcheurs américains ont continué à tuer 50 p. 100 de ce saumon coho en voie de disparition, alors que du côté canadien, je suis heureux de pouvoir vous dire que nous avons réussi à faire baisser le taux de mortalité de cette espèce à 2 p. 100.

• 1600

Nous y sommes parvenus de manière coopérative dans le cadre de la Loi sur les pêches alors que nous n'avions même pas de loi sur les espèces en péril. Nous y sommes parvenus en permettant une pêche restreinte au saumon rouge mais par des procédés éliminant les prises fortuites. Cela n'a pas été facile, mais cela a fonctionné. Le saumon coho suit un cycle de trois ans, et les montaisons cette année sont exceptionnellement bonnes.

Le deuxième exemple concerne la côte atlantique. En 1998, nous avons éliminé complètement la pêche commerciale du saumon le long du littoral du Labrador, et j'ai conclu une entente avec le Groenland pour supprimer aussi la pêche commerciale sur sa côte pendant trois ans. Cela a pris du temps, des efforts, du travail, de la coopération et des mesures d'incitation. Cela n'a été ni facile, ni parfait, mais nous avons obtenu des résultats.

En ce qui concerne le saumon de l'Atlantique, quand les États- Unis ont finalement vaincu les résistances à l'application de leur loi, les résultats avaient été tellement retardés que les autorités américaines m'ont dit que seulement 200 poissons sont revenus dans sept réseaux hydrographiques du Maine, alors qu'on en trouvait auparavant dans 35 réseaux. Il n'y a eu que 200 poissons, et cela ne veut pas dire, croyez-moi, qu'il y avait 100 mâles et 100 femelles. Ce problème de nombre a été vraiment dramatique.

J'ai donc eu une expérience tout à fait concrète de la législation américaine. Dans les deux cas que je viens de vous mentionner, le pouvoir discrétionnaire du ministre au Canada s'est avéré beaucoup plus précieux que la loi pure et dure des États- Unis.

Sur l'île Pelée, dans le lac Erié, nous avons eu un problème comparable. Certains agriculteurs avaient pris des mesures volontaires pour protéger l'habitat de la couleuvre noire. Mais ces mesures positives sont venues aux oreilles du gouvernement ontarien, et je ne suis pas là pour critiquer le gouvernement de l'Ontario, croyez-moi—celui-ci a réagi en ordonnant des mesures restrictives touchant les terrains privés où vivait la couleuvre noire—l'activité réflexe classique d'un gouvernement. Les agriculteurs ont réagi en passant leurs terres au bulldozer et en détruisant l'habitat. Cela n'a pas vraiment amélioré la situation.

C'est Kate Jaimet, journaliste au Ottawa Citizen, qui a déniché cette nouvelle. Elle a rédigé cet été une série d'autres histoires sur l'attitude du public face aux espèces en voie de disparition qui méritent vraiment d'être lues. C'est une journaliste dont les précédents articles—et cela me pique un peu au vif—n'étaient pas forcément tendres. En fait, je pense qu'ils allaient plutôt dans le sens de ceux qui réclamaient une loi plus dure. Mais quand elle est allée sur place voir l'habitat et qu'elle a décrit le monde tel qu'il est, son opinion a changé, me semble-t-il. Son message était clair et puissant: la consultation et la coopération sont la bonne voie à suivre.

Grâce à la coopération, des activités de rétablissement de 108 espèces menacées et en voie de disparition sont déjà en cours aujourd'hui. Depuis que votre comité a commencé son étude de ce projet de loi, nous avons lancé de nouveaux plans de rétablissement et d'action pour l'oponce de l'Est, l'hétérodermie maritime, le chardon de Pitcher et le fouille-roche gris.

[Français]

Les provinces et les territoires font des progrès dans le cadre de notre Accord pour la protection des espèces en péril. L'accord engage le gouvernement du Canada a fournir une protection légale aux espèces menacées et en voie de disparition et à protéger l'habitat des espèces menacées ou en voie de disparition.

La Nouvelle-Écosse a mis en place une nouvelle mesure législative. Terre-Neuve aura bientôt terminé son projet de loi. La Saskatchewan et l'Alberta ont amélioré leur législation actuelle. Dans les Territoires du Nord-Ouest, on en est à la phase des consultations publiques en vue de la préparation d'un projet de loi.

En prévision de l'adoption de cette loi, il y a 18 mois, le gouvernement fédéral a alloué 180 millions de dollars sur cinq années pour la Stratégie nationale de protection des espèces en péril, dont 45 millions de dollars pour les activités de bonne intendance.

[Traduction]

Nous offrons également un traitement fiscal plus avantageux aux donateurs de terres écosensibles. Nous devons encourager cette collaboration entre les secteurs privé et public, ce sens de la responsabilité individuelle et de la responsabilité partagée.

Dans le sud de l'Okanagan, par exemple, 19 groupes de différents secteurs de la société mettent leurs efforts en commun pour protéger un écosystème de 3 900 kilomètres carrés. J'ai eu l'honneur de leur remettre un chèque de 1,5 million de dollars l'été dernier. Mais je tiens à souligner que nous n'étions qu'un élément d'un vaste travail d'équipe. Dans la région des Prairies, les agriculteurs et les propriétaires fonciers, de concert avec les agents de protection de la nature protègent les quelque 2 millions d'hectares du Missouri Coteau, où niche le pluvier siffleur, où habite la chevêche des terriers et où la grenouille léopard a élu domicile dans les terres humides.

• 1605

Au cours de la première année d'existence du programme d'intendance de l'habitat, nous avons vu naître plus de 60 partenariats avec des propriétaires fonciers, des utilisateurs des ressources, des fondations pour la protection des sites naturels, des provinces, des Premières nations et des organismes de conservation, et nous avons déjà reçu plus de 20 000 hectares de terres en dons de biens écosensibles. Le Canada a besoin de cette action bénévole. Le Canada a besoin de ces partenariats. Notre pays est trop grand, trop divers, trop immense pour que nous puissions faire autrement, et les défis à relever pour protéger l'habitat sont simplement trop colossaux.

Il y a bien sûr des cas où l'habitat à protéger est très localisé et très spécialisé. Par exemple, on ne trouve la physe des fontaines de Banff que dans cinq sources hydrothermales du mont Sulphur. Soit dit en passant, ces cinq sources se trouvent dans un parc national.

Mais la situation est beaucoup plus complexe pour les oiseaux migrateurs et les autres espèces non sédentaires. On peut trouver la pie-grièche migratrice de l'Est, par exemple, dans une vaste région. Il n'y en a pas beaucoup, mais elles peuvent couvrir de très vastes régions, dans le sud de l'Ontario et le sud-est du Manitoba, et aussi en Saskatchewan, où j'en ai aperçu une pour la première fois de ma vie l'an dernier.

Elle se déplace d'un habitat à l'autre dans des endroits différents et à différents moments. Pour protéger un habitat de cette étendue, il faut pouvoir compter sur d'énormes efforts de coopération. La plupart des espèces ne limitent pas leurs déplacements à l'intérieur de certaines limites établies que nous pourrions facilement encercler et protéger. Nous avons besoin de sanctuaires fauniques mais également d'efforts coopératifs pour les grands secteurs que nous ne pouvons convertir en sanctuaires.

J'appelle ces terres les «terres intermédiaires», les terres situées entre les parcs ou les zones protégées. Mais nous devons travailler avec les agriculteurs, les grands éleveurs, les trappeurs et les travailleurs forestiers pour trouver des façons de voir l'utilisation des terres dans son ensemble et plus particulièrement la protection de l'habitat. Nous devons nous pencher sur les utilisations récréatives et commerciales des terres dans le contexte de la protection de l'habitat. Ce sont là de simples réalités avec lesquelles nous devons composer si nous voulons générer la confiance et l'enthousiasme dont nous avons besoin. Je pense que c'est cette voie qu'il faut suivre.

Pour la question de l'indemnisation, qui est extrêmement importante, il faut bien admettre que nous sommes en territoire inconnu. Les points de vue varient énormément, et je dois reconnaître que cette question s'avère beaucoup plus complexe que je ne le croyais il y a deux ans. Nous avons besoin d'une plus grande expérience réelle sur laquelle fonder un système final. Les préoccupations sont multiples et proviennent de toutes sortes de sources. Je le reconnais et je respecte ces préoccupations.

Je pense donc que l'admissibilité à l'indemnisation devrait être dans un premier temps déterminée sur une base individuelle. Nous pourrons élaborer des lignes directrices plus détaillées lorsque nous aurons l'expérience et les connaissances pertinentes.

C'est pourquoi, en attendant, je propose d'élaborer des règles très générales à l'égard de l'indemnisation qui seront prêtes peu de temps après l'adoption de la loi, et ainsi les dispositions du projet de loi pourront être invoquées si une situation extraordinaire se présente ou si quelqu'un estime avoir été pénalisé de manière injuste ou extraordinaire sur le plan économique. Nous devons tous nous engager à des consultations approfondies avec ceux qui peuvent nous aider à acquérir cette expérience et qui ont intérêt à ce que le système soit juste et efficace.

Permettez-moi de le souligner encore: nous avons besoin des territoires, nous avons besoin des provinces, nous avons besoin des utilisateurs des ressources, nous avons besoin des collectivités, des villages et des agriculteurs. Nous avons besoin de tous ceux qui vivent sur cette terre où se trouvent les habitats et les animaux et végétaux que nous voulons protéger.

Nous avons beaucoup à faire ensemble. J'ai à coeur de protéger les espèces en péril, comme vous tous, comme je le crois l'ensemble de la population canadienne. En fait, c'est la volonté des Canadiens qui nous a conduits jusqu'ici. Nous sommes peut-être 17 dans cette pièce à examiner ce projet de loi, mais il y a des millions de Canadiens qui veulent que nous adoptions une loi efficace. Il y a des milliers de Canadiens et de Canadiennes qui continuent de faire tout en leur pouvoir, en ce moment même, pour protéger les espèces.

• 1610

Il est certain qu'en ce moment même, quelque part dans notre pays, un pêcheur est en train de pêcher, un éleveur s'occupe de son bétail, une famille se promène dans un parc national, un expert forestier est au travail, un biologiste est à l'étude, un aîné partage ses connaissances du territoire, et même un enfant observe les oiseaux en vol, et tous ces individus témoignent de la volonté des Canadiens et des Canadiennes de garder nos espèces fauniques dans nos eaux, sur nos terres et dans les airs.

J'espère donc que nous progresserons aussi vite que possible avec ce projet de loi pour nous acquitter de notre engagement à l'endroit de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes, de toutes les espèces dont nous nous préoccupons et de tout l'héritage naturel du Canada.

Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Anderson. Votre connaissance détaillée de la faune est impressionnante, et votre message a été parfaitement clair.

Comme d'habitude, nous allons maintenant passer à des périodes de cinq minutes de questions pour que chacun puisse poser au moins une série de questions, sinon plus, et nous allons commencer par M. Mills, M. Bigras, M. Comartin, M. Herron, M. Reed, M. Laliberte, M. Knutson et M. Rajotte.

Monsieur Mills, vous avez cinq minutes.

M. Bob Mills (Red Deer, Alliance canadienne): Merci monsieur le président, et merci monsieur le ministre d'être venu comparaître devant notre comité.

Premièrement, je souhaite vous féliciter de nous présenter une foule de choses qui sont parfaitement logiques. Je pense que l'idée de la coopération et de la consultation est excellente. Vous savez que c'est au niveau du troisième «c» que ce se pose le véritable problème. Vous savez bien qu'il y a un troisième «c» qui nous préoccupe, je pense que vous en conviendrez, c'est celui de la communication avec la population.

J'aimerais demander au ministre quelles sont les contraintes de temps qu'il envisage pour ce projet de loi, pour savoir si nous pourrons communiquer à la population précisément ce qu'il nous a dit, et savoir ce qui va se passer après l'étude article par article... J'imagine que ce qui m'inquiète, c'est ce sinistre «c» de ce que l'on appelle la clôture.

En second lieu, j'aimerais parler de la question de l'indemnisation. Vous savez bien que nous aurions souhaité qu'il en soit question dans le projet de loi, pour que nous n'ayons pas à craindre que le règlement... C'est un peu comme si vous nous disiez: faites-nous confiance, nous allons nous en occuper, mais ce n'est pas dans le projet de loi.

Les personnes dont nous parlons ici, et dont vous parlez, ce sont les agriculteurs, les éleveurs de bétail, les petites gens qui n'ont pas les moyens d'absorber le coût entraîné par la présence d'une espèce en voie de disparition sur leur terre. Ces personnes-là ont déjà des difficultés économiques, et ce sont elles qui nous préoccupent le plus.

Alors, quand je lis dans votre communiqué de presse qu'on va élaborer des règles générales d'indemnisation, et que tout cela est très flou... Je me demande comment cela va passer lorsque nous allons rencontrer un groupe de ces agriculteurs, de ces éleveurs, etc. Ils vont nous tourner le dos tout de suite parce que ce n'est pas dans le projet de loi, et que vous vous contentez de leur promettre qu'il y aura peut-être quelque chose plus tard quand nous verrons comment cela fonctionne. C'est cela qui est très inquiétant.

Personnellement, je me disais qu'il fallait aller vers nos concitoyens pour les convaincre d'appuyer ce projet de loi, parce que nous voulons avoir une loi sur la protection des espèces en voie de disparition, mais il faut que ce soit une loi qui fonctionne bien, et je dois vous dire que si nous ne mentionnons pas cette indemnisation dans le projet de loi, nous risquons fortement de nous retrouver avec une loi qui ne marchera pas.

Mes deux questions portent donc d'une part sur la clôture du débat, qui serait quelque chose de négatif, et sur cette question de l'indemnisation.

M. David Anderson: Merci, monsieur Mills. Premièrement, permettez-moi de vous remercier d'avoir répondu aussi rapidement à la lettre où je vous demandais quelles étaient vos préoccupations. Je l'ai bien reçue, et je vous remercie de cet énoncé parfaitement clair.

Je suis d'accord avec vous sur la question de l'indemnisation. Je souhaiterais vraiment que nous ayons des règlements précisant cela, comme vous l'avez dit. Évidemment, les efforts qui ont été fait ont commencé bien avant. Le Dr Peter Pearse avait été chargé de rédiger un rapport.

Si vous vous souvenez bien, ce rapport a fait l'objet de diverses critiques pour différentes raisons. Nous nous sommes alors enlisés de plus en plus et c'est devenu le marécage proverbial, il est devenu de plus en plus difficile d'avancer, en partie parce que les gouvernements ne peuvent pas ou en tout cas ne devraient pas adopter de lois sans limites de financement. Nous avons des responsabilités financières qui, comme vous vous l'imaginez, sont assez rigoureuses, et en l'occurrence on nous a donné 45 millions de dollars par an pour gérer cette entreprise. C'est là-dessus que nous pouvons compter, c'est tout.

• 1615

Nous espérons bien faire relever ce niveau de financement par la suite si c'est nécessaire, mais c'est ce que nous avons pour les trois prochaines années. Ensuite, nous avions le dilemme de risquer d'être coincés dans une situation où nous aurions risqué de pénaliser les plans de rétablissement des espèces ou de provoquer un déséquilibre gênant. C'était le second facteur. L'incertitude était manifestement le premier.

Nous avons mis sur pied quelque chose qui, j'en conviens avec vous, n'est pas idéal, mais c'est le mieux que nous puissions faire pour l'instant. Autrement dit, nous devons rédiger des règlements portant sur cette démarche. Je pense que nous devrions assez vite avoir des exemples qui nous permettront de rétablir un meilleur degré de confiance. Je conviens avec vous que nous aurions un meilleur degré de confiance si nous pouvions rédiger tout de suite un règlement complet sur l'indemnisation. Il s'agit vraiment d'un projet de loi tout à fait original puisqu'il prévoit même une indemnisation. Dans tous les projets de loi que nous voyons passer, c'est très rare. Songez aux lois sur l'agriculture, les ressources naturelles ou les pêches. Ce genre de disposition n'y figure pas, et nous avons donc ici une mesure exceptionnelle, et c'est pour cela que nous avons eu autant de difficulté à anticiper dans ce texte.

M. Bob Mills: Puis-je vous interrompre?

Si vous me permettez une brève intervention, monsieur le ministre, le problème, c'est que les agriculteurs sur le terrain se disent que vous êtes capable de trouver 160 millions de dollars pour l'industrie aéronautique et de chiffrer toutes sortes d'autres choses, mais que quand il s'agit de leur terre, de cette terre qui appartient à leur famille depuis 100 ans—et où ils veulent protéger les espèces présentes, vous leur dites de cesser d'y faire paître leur bétail alors qu'ils ne peuvent pas renoncer à ces 10 p. 100 de leur pâturage. Et en même temps, vous leur dites que vous ne pouvez pas trouver d'argent pour les indemniser.

L'indemnisation ne serait que le dernier recours. Ces agriculteurs aimeraient bien négocier avec vous des échanges de terre et toutes sortes d'autres choses. Le problème, c'est qu'ils ne peuvent pas se permettre de renoncer purement et simplement à ces terres. C'est cela, le problème de communication que nous allons avoir.

M. David Anderson: Encore une fois, monsieur Mills, je ne cherche surtout pas à minimiser le problème. Vous avez raison de dire qu'il y a un problème. Ce que je vous dis, c'est qu'on ne se contente pas de prévoir une indemnisation après coup dans ce projet de loi. Il y a des dispositions d'intendance. Nous avons des incitatifs et nous pouvons prendre diverses autres mesures pour aider les éleveurs ou les agriculteurs. Il ne s'agit pas uniquement de les indemniser après coup. Il y a d'autres moyens de mettre sur pied des programmes efficaces avec l'argent destiné à l'intendance.

En outre, il se pourrait—et j'espère que ce sera le cas—que nous puissions intégrer le ministère de l'Agriculture à nos démarches de façon à ce que certaines des initiatives prises pour protéger les espèces en voie de disparition qui seront aussi favorables sur le plan écologique puissent aussi bénéficier du soutien de certains des programmes du secteur agricole. Nous allons devoir travailler là-dessus, mais je vous le répète, il n'est pas possible d'organiser tout cela à l'avance. Ce projet de loi est trop original. Les provinces suivent aussi la question avec énormément d'intérêt, notamment l'Alberta, et elles n'ont pas envie qu'on leur impose un système qu'elles devraient copier. Nous allons donc devoir apprendre au fur et à mesure.

[Français]

Le président: Monsieur Bigras, à vous la parole.

M. Bernard Bigras (Rosemont—Petite-Patrie, BQ): Merci beaucoup, monsieur le président. Tout d'abord, je me joins à mes collègues pour vous remercier de votre présence et de votre comparution devant le comité.

Pendant les audiences, on a pu constater que plusieurs groupes se sont opposés ou ont demandé des modifications majeures au projet de loi C-5: des groupes environnementaux en passant par l'industrie, sans oublier non plus certaines provinces, dont le Québec.

Ma première question est très simple, et la réponse devrait être simple aussi. J'aimerais que vous nous rassuriez à l'égard de la position du Cabinet ministériel et de vos collègues. Je voudrais savoir si vous avez l'appui de vos collègues dans le cadre de ce projet de loi, si le projet initial, tel que déposé, a l'appui de vos collègues du Cabinet ministériel?

M. David Anderson: Oui, j'ai l'appui des autres ministres pour le projet de loi que vous avez devant vous. Mes collègues attendent de moi certaines propositions après que j'aurai eu les vôtres. Ils attendent mes conseils sur les suggestions faites par ce comité. Cela veut dire que ce n'est pas le point final.

• 1620

J'ai déjà leur appui pour le projet de loi, mais on attend toujours les résultats des travaux de ce comité. Lorsque le comité aura terminé ses travaux, je me présenterai, bien sûr, devant mes collègues, devant le comité du Cabinet pour expliquer si c'est possible d'accepter les changements proposés par le comité ou si ce ne l'est pas.

M. Bernard Bigras: Monsieur le président, je suis passablement surpris de la réponse du ministre qui dit avoir reçu l'appui de ses collègues dans le cadre du projet de loi initialement déposé. J'ai ici une lettre datée du 19 septembre dernier. Cette lettre, écrite il y a donc à peu près 11 jours par M. Herb Dhaliwal, le ministre des Pêches, a été adressée à M. Ralph Goodale, qui est ministre, naturellement, mais qui est aussi le président du comité du Cabinet sur l'union économique. Une copie conforme a été adressée à M. François Guimont du Conseil privé. En ce qui a trait simplement à l'indemnisation, cette lettre dit clairement, et je cite le ministre des Pêches:

    Pour ce qui est de l'indemnisation, je me rallie à ceux qui s'inquiètent du précédent que pourrait créer le projet de loi ainsi que des coûts. [...] L'idéal, à mon avis, serait d'enlever carrément l'indemnisation du C-5, mais c'est peu probable en raison des attentes des utilisateurs.

Je voudrais donc savoir si vous avez pris connaissance de cette lettre, et savoir ce que vous en pensez.

M. David Anderson: Monsieur Bigras, je n'ai pas de copie de cette lettre devant moi.

M. Bernard Bigras: Je vais déposer...

M. David Anderson: Merci.

Je doute fortement que cette lettre ait été écrite et envoyée, mais je vous assure que, depuis que cette lettre a été écrite, j'ai l'appui de mes collègues.

M. Bernard Bigras: J'ai une autre question en ce qui a trait à l'application de la loi en question.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'au Québec, il existe une loi depuis 1989, soit la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables, ainsi que la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune et un règlement sur les pêches. Ma question est donc simple. Comment voyez-vous l'application de ce projet de loi fédéral dans le cadre de ce qui existe déjà en matière de réglementation au Québec, mais aussi en tenant compte de la législation actuelle au Québec?

M. David Anderson: Je vous remercie de la question.

Premièrement, je veux féliciter la province de Québec et surtout mon collègue M. Boisclair, pour la législation de cette province, qui est très importante. C'est exactement ce qu'on veut avoir. On veut avoir des lois efficaces aux niveaux provincial et territorial. On veut les avoir et si on les a, la nécessité d'avoir des filets de sauvetage sera bien réduite. Si dans une province, le Québec ou une autre province, la législation est bonne et protège vraiment les espèces en péril, on n'a pas à craindre que les fédéraux viennent créer des problèmes. Nous serons là, si c'est nécessaire, pour fournir un appui scientifique, peut-être de l'argent parfois, peut-être une compensation. Mais il y a peut-être aussi la possibilité de donner de l'aide sous une autre forme. Là où les provinces travaillent de façon efficace, c'est cela le principe de la mesure législative. Le fédéral reste en retrait.

M. Bernard Bigras: J'ai une dernière petite question. Je passe peut-être du coq à l'âne, mais je veux revenir à ma question initiale sur l'indemnisation. Est-ce que vous partagez l'avis de votre collègue du Cabinet ministériel en regard à l'indemnisation, soit qu'on devrait retrancher tout ce qu'il y a dans le projet de loi à l'égard à l'indemnisation? Est-ce que vous partagez l'opinion de votre collègue? Clairement, ce n'est pas votre opinion puisque ce que vous défendez aujourd'hui, c'est le projet de loi initial tel que présenté. En raison de la solidarité ministérielle, votre collègue, en principe, devrait aussi défendre ce même projet de loi initialement déposé par le ministre de l'Environnment.

M. David Anderson: Monsieur Bigras, il y a toujours une solidarité au Cabinet après qu'une décision a été prise, mais avant que les décisions soient prises, c'est évident qu'il y a un débat, qu'il y a des points de vue différents. Il n'y a pas une trentaine de clones.

M. Bernard Bigras: Donc, vous admettez qu'il n'y a pas unanimité quant au projet de loi initial.

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur Comartin.

[Français]

M. David Anderson: Je vous assure que la position du Cabinet est claire. La compensation reste dans la mesure législative, sauf si le comité veut l'enlever. Ça, c'est autre chose. On va décider après, mais c'est là.

Merci d'avoir exprimé un point de vue bien différent du point de vue de M. Mills. Il faut dire que c'est plus près des propos de M. Mills que des propos de ceux qui ne veulent pas avoir la compensation dans la mesure législative.

M. Bernard Bigras: Je donnais simplement le point de vue du ministre des Pêches.

• 1625

M. David Anderson: Il y a des débats au Cabinet; je vous l'assure.

M. Bernard Bigras: Merci.

[Traduction]

Le président: Monsieur Comartin.

M. Joe Comartin (Windsor—St. Clair, NPD): Merci, monsieur le président et merci, monsieur Anderson de comparaître aujourd'hui.

J'aimerais vous interroger sur les deux questions par lesquelles vous avez commencé, le rôle du COSEPAC et la protection de l'habitat, en prenant ces deux questions dans l'ordre inverse. En ce qui concerne l'habitat, j'ai constaté avec intérêt que les documents concernant l'île Pelée ont été acceptés. Il aurait été intéressant qu'ils acceptent aussi le dernier document, et je parle des gens de l'Ontario, que je critiquerai même si vous ne le faites pas. Ils se sont conduits d'une manière parfaitement inacceptable, mais après cet article du début septembre, ils ont fini par se décider à aller rencontrer les agriculteurs et les autres résidents de cette île. J'espère que le résultat sera positif. J'ai eu l'occasion de très bien connaître M. Tiessen, M. Hooper et M. Porchuk, et je pense que ce sont des gens raisonnables et que si la province s'était comportée correctement dès le début, nous n'aurions jamais eu ce fiasco. Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, ce n'est certainement pas le genre de chose que vous devriez invoquer comme justification pour ce projet de loi.

Parlons-en. J'ai l'impression qu'à chaque fois qu'on propose un projet de loi, on utilise toujours la stratégie de la carotte et du bâton. En utilisant presque exclusivement la carotte ici, n'avez vous pas l'impression que vous allez permettre à certains individus de profiter des gens qui vont accepter de coopérer? Et à titre de question supplémentaire, l'autre question n'est-elle pas de savoir comment tout cela va se faire? Si l'Ontario, dans le cas de l'île Pelée, avait correctement utilisé sa législation et avait fonctionné dans l'esprit de cette loi, c'est-à-dire dans un esprit de coopération, et n'avait recouru au bâton qu'en dernier recours, est-ce que cela n'aurait pas été une bien meilleure démarche?

M. David Anderson: Monsieur Comartin, je suis entièrement d'accord avec vous pour dire que la meilleure démarche, c'est la coopération. Je crois que cette idée est au coeur même de mon message, mais j'aimerais vous dire ceci à propos de l'Ontario: on ne peut pas toujours se contenter de dire: Oh, c'est une exception, quelqu'un a commis une bourde. En fait, les personnes concernées ne devraient pas s'en soucier, mais elles s'en soucient.

Kate Jaimet, dans sa série d'articles... Vous avez raison, il aurait fallu présenter tous les articles. Je pense que c'est une excellente série de textes. Quand elle est allée dans les Prairies, elle a aussi discuté de certaines des préoccupations dont parlait Bob tout à l'heure. Il ne s'agit pas simplement de trois agriculteurs dans une petite île, à l'extrême sud du Canada, c'est plus que cela. Elle a décrit les préoccupations qu'elle a constatées ailleurs aussi.

Je pense qu'il ne faut pas profiter ou donner l'impression de profiter de ceux qui coopèrent ou qui agissent spontanément de façon positive. Il faut voir ce projet de loi comme un moyen de faciliter la tâche des personnes bien intentionnées dont vous parlez.

M. Joe Comartin: Sachant que notre temps est limité, permettez-moi de passer au COSEPAC. Si je comprends bien la structure de ce projet de loi—et très franchement, je ne comprends pas votre argumentation, monsieur le ministre, quand vous opposez la question des experts à celle des politiciens, surtout lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la composante socio-économique—ce sont les scientifiques qui prennent les décisions scientifiques. Enfin, c'est ce que nous souhaiterions, mais malheureusement ce n'est pas le cas. Ce sont les scientifiques qui prennent la décision scientifique de savoir si une espèce est en péril, et c'est comme cela que fonctionne le projet de loi actuellement. Le deuxième volet, c'est l'intervention du politicien qui vient dire qu'on n'a pas les moyens de protéger l'espèce en question.

Alors, pourquoi ne laissez-vous pas les scientifiques faire leur travail et les politiciens et décideurs politiques le leur?

M. David Anderson: C'est précisément ce que nous allons faire. Les scientifiques vont faire leur travail sans se préoccuper aucunement de tous ces aspects sociaux ou économiques. Ils vont présenter leur liste. Ensuite, nous ferons intervenir le gouvernement. Permettez-moi de vous citer comme exemple un autre projet de loi avalisé par votre comité—en fait, avant que vous en fassiez partie, je crois—la LCPE, et sa liste de substances toxiques. Si vous dites que c'est aux scientifiques uniquement de déterminer la liste, il n'y aura pas ce deuxième volet d'intervention et ce sont les scientifiques qui seront soumis aux pressions des lobbyistes. Les personnes qui s'intéressent au sel, par exemple—la fameuse question du sel dans le cadre de la LCPE—me demandent d'intégrer dans le processus scientifique des considérations qui me paraissent parfaitement inappropriées. L'idée d'une liste les inquiète. Ils me disent: «Écoutez, je sais bien que ce n'est que la première étape d'une longue procédure». Mais c'est moi qui subis cette pression politique, pas les scientifiques.

• 1630

Or, si vous écartez le ministre de tout ce processus, c'est sur le scientifique que cette pression va forcément s'exercer, et les scientifiques ne le souhaitent absolument pas. Comme l'un d'entre eux me le disait ce matin: «Ce n'est pas notre domaine de compétence, cela ne nous intéresse pas, nous voulons simplement nous prononcer sur l'animal». Or, c'est précisément ce que nous faisons, et ensuite, grâce à cette possibilité d'intervention, nous pourrons donner l'occasion à vos électeurs, de l'île Pelée ou d'ailleurs, d'exprimer leur point de vue.

On ne peut pas décider d'avoir un système qui fonctionnera uniquement sur la base des décisions des scientifiques sans aucune possibilité d'intervention démocratique de la population. Je crois que tous les démocrates que nous sommes autour de cette table—car nous sommes tous des démocrates à cet égard—ne le souhaitent pas, je crois qu'aucun d'entre nous ne voudrait aller dire à ses électeurs: «Désolé, il y a quelque part un groupe de personnes enfermées dans leur tour d'ivoire qui prennent des décisions qui vont affecter votre existence, mais je n'y peux rien; je ne peux même pas écouter votre point de vue».

Le président: Deuxième tour. Monsieur Herron.

M. John Herron (Fundy—Royal, PC/RD): Merci, monsieur le président.

Ce projet de loi comporte certaines dispositions qui sont bien plus favorables aux espèces en péril que celles qui figuraient dans le projet de loi C-65. J'aimerais principalement saluer le fait qu'on a mis l'accent sur l'intendance et la coopération. Nous pouvons affirmer sans hésiter que c'est la bonne marche à suivre. Je crois que sur ce plan, nous avons ici des outils bien meilleurs.

Dans ses remarques finales, le ministre a dit qu'il fallait que les provinces et les territoires se dotent de bonnes législations. Mais il faut aussi que le gouvernement fédéral assume sa part des choses. Pour illustrer cela, je vous ferais remarquer que, quand on parle de la compétence fédérale en matière de protection obligatoire des habitats essentiels, c'est quelque chose qui existe déjà au niveau des provinces. Dans certains cas, elles le font déjà depuis trois décennies. Elles ont réussi à imposer une protection obligatoire dans leur secteur de compétence, dans le secteur provincial, sans insister comme vous l'avez fait sur la notion d'intendance, et il faut les en féliciter. Elles ont réussi à le faire sans même un régime d'indemnisation. Or, le gouvernement fédéral n'intervient même pas dans son propre domaine de compétence.

Vous avez probablement été informé de la teneur des audiences que nous avons eues au comité. Nous avons constaté un consensus—pas l'unanimité, mais manifestement un consensus assez général—pour dire que la protection obligatoire des habitats essentiels relevant de la compétence fédérale, ou en tout cas sur le territoire domanial, était une notion qui avait l'appui d'écologistes aussi radicaux que l'Association canadienne des sociétés minières, l'Association canadienne des pâtes et papiers ou les interfédérationnistes canadiens qui faisaient cause commune avec eux à cet égard.

D'ailleurs, quand je pense aux questions posées par les députés de la majorité—au moins la moitié de ceux qui sont ici—et aux excellentes questions posées par Aileen Carroll, je constate qu'elles allaient aussi dans la même direction.

Quand vous avez comparu ici précédemment, je vous ai demandé pourquoi on ne pouvait pas imposer la protection obligatoire des habitats essentiels relevant de la compétence fédérale. Vous m'avez répondu à l'époque qu'on ne pouvait pas avoir une démarche hiérarchique. Or, c'est ce qu'on a avec la LCPE, et les représentants du ministère de la Justice que nous avons interrogés nous ont dit que ce n'était pas un problème.

J'aimerais donc savoir pourquoi nous voulons placer la barre plus bas pour le gouvernement fédéral que pour les provinces à cet égard. En outre, en dehors du gouvernement, à qui profite le fait que le gouvernement fédéral n'impose pas cette protection des habitats dans ses domaines de compétence?

Merci, monsieur le président.

M. David Anderson: Je vous remercie de vos remarques, monsieur Herron. Je vous suis reconnaissant d'avoir répondu à ma lettre il y a quelques jours.

Écoutez, il n'y a pas beaucoup de mines dans les parcs nationaux. Cela ne coûte pas grand-chose à l'Association des sociétés minières de dire: «D'accord, sur les terres fédérales nous nous abstenons». J'ajoute d'ailleurs que cela se paie.

En fait, nous ne savons même pas exactement en quoi consistent les terres domaniales. Une réserve indienne, est-ce que c'est une terre domaniale? Je crois que de nombreuses bandes d'Indiens ne seraient pas d'accord pour qu'on situe leur propriété à un certain niveau par rapport à la région voisine. Je ne suis pas sûr qu'on puisse encore qualifier de territoire domanial les terres situées au nord du 60e parallèle. Il y a eu des débats pour savoir si les zones où se posent les oiseaux migrateurs, les zones où ils se nourrissent et où ils font leur nid peuvent être considérées comme terres domaniales. Il y a tout un débat sur la question.

• 1635

J'aimerais simplement que nous ayons un système simple. Quand vous dites que la situation des terres provinciales serait meilleure, je ne suis pas d'accord, pas du tout. Notre démarche dans ce projet de loi, c'est de traiter toutes les terres de la même façon.

En outre, dans les Prairies, il y a les terres visées par la Loi sur le rétablissement agricole des Prairies, qui sont très étendues. Bob me corrigera peut-être, mais je crois que cet organisme est le plus gros propriétaire terrien des Prairies. Beaucoup des personnes dont parle Bob élèvent du bétail sur ces terres. Il est d'ailleurs intéressant de remarquer qu'on s'est rendu compte que pour protéger la couverture végétale originale de cette terre, il valait mieux faire brouter l'herbe par du bétail que la laisser simplement pousser.

Il y a donc beaucoup de personnes concernées qui pensent être situées sur des terres fédérales. Nous ne voulons pas de cette complication. Nous voulons avoir un système simple. Nous ne souhaitons pas entrer dans tout un débat pour savoir quelles sont les terres fédérales. Nous voulons procéder de façon parfaitement simple.

M. John Herron: Je crois que le problème, c'est que nous aurions vraiment la chance ici de faire oeuvre de pionnier dans ce projet de loi. Ce qui me dérange, c'est que certaines des explications que nous avons eues initialement au sujet de certains de ces articles—et vous avez abordé la question des oiseaux migrateurs à cet égard... le juge en chef La Forest est d'avis que cela relève manifestement de la compétence fédérale. Quand les fonctionnaires du ministère de la Justice sont venus nous voir, ils nous ont dit qu'ils n'étaient pas d'accord, mais quand nous leur avons demandé de s'expliquer, ils ne l'ont pas fait.

Il y a une masse critique de problèmes que l'on pourrait aborder en faisant oeuvre de pionnier dans le projet de loi—pas seulement les oiseaux, pas seulement la question des habitats essentiels ou de la compétence fédérale—et nous pourrions nous doter d'un ensemble d'outils bien meilleurs qu'auparavant, mais nous sommes en train de passer à côté de l'occasion de faire oeuvre de pionnier avec ce projet de loi.

Voilà ce que j'avais à dire, monsieur le président.

M. David Anderson: À cela, je vous répondrai en vous demandant encore une fois d'appuyer la mise en place d'une mesure efficace. C'est bien gentil de vouloir faire oeuvre de pionnier, mais quelquefois cela ne marche pas. Nous avons eu des lois pionnières, mais malheureusement leur degré de réussite n'a pas été aussi élevé que nous le souhaiterions quand il s'agit de protéger des espèces en voie de disparition. Je pêche peut-être par excès de prudence, mais je tiens à m'assurer que nous ayons la loi la plus efficace possible. C'est cela le critère, et non pas de savoir si c'est une loi qui va plaire à des érudits ou à des juristes qui vont dire: «Ah, voilà une mesure originale, un vrai travail de pionnier». Le problème, c'est que cela ne marchera peut-être pas.

J'ai parlé des oiseaux migrateurs et vous avez mentionné M. La Forest. Manifestement, il y a des gens qui ne sont pas d'accord.

De plus, vous êtes un politicien, comme moi. Vous vous heurteriez à des problèmes politiques sans fin dans les Prairies et ailleurs si la population commençait à se dire que le gouvernement fédéral a décidé de fédéraliser toutes les terres où se pose une bernache du Canada lors de sa migration vers le Sud, ou une oie des neiges, ou un canard colvert ou un canard noir, que le gouvernement fédéral a décidé de déclarer fédéral tout endroit où ces oiseaux s'arrêtent pour manger ou se poser. Je crois que vous êtes en train de créer là un problème complètement superflu.

Sur le plan politique, nous allons laisser les provinces occuper tout le terrain qu'elles voudront, comme je le disais à M. Bigras. Nous serons là uniquement en deuxième ligne, nous sommes le filet de sécurité.

Bien sûr, nous serions peut-être plus fiers si nous avions un projet de loi qui ferait oeuvre de pionnier, mais ce ne serait peut-être pas la mesure la plus efficace pour protéger les espèces en voie de disparition.

Le président: Merci.

Nous avons maintenant M. Reed, suivi de M. Laliberte, M. Knutson, M. Lincoln et du président.

Monsieur Reed.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci, monsieur le président.

Monsieur le ministre, comme vous l'avez remarquablement dit, tous vos efforts visent à préserver l'intendance, la consultation, la coopération, etc., et à inclure toutes les terres possibles, jusques et y compris les terres privées auxquelles s'appliquera ce projet de loi. Je vous en félicite.

Ce projet de loi suit une orientation nouvelle, et vous avez bien expliqué pourquoi: c'est parce que les autres lois, surtout la loi américaine, n'ont pas donné de très bons résultats. C'est pour cela que nous suivons une nouvelle orientation. C'est une voie peut-être un peu aventureuse, et on nous accusera peut-être de ne pas inclure assez d'exigences dans le projet de loi, mais si nous réussissons à ranger la population du Canada à nos côtés, nous aurons accompli quelque chose qu'aucun autre pays n'a réussi à faire.

• 1640

Je suis convaincu que si l'on va de l'avant avec le projet de loi tel que vous l'avez conçu, on pourra le revoir dans quatre ou cinq ans ou à un moment quelconque et dire: «Bon, qu'est-ce que nous avons fait de bien et qu'est-ce que nous n'avons pas fait de bien? Après tout, cela fait tout de même sept ans qu'on discute de cette question». Je trouve que c'est vraiment le moment d'avancer.

Si j'avais le choix, j'aimerais aussi sensibiliser la grande majorité de notre population, la population citadine. J'aimerais bien que les citadins comprennent qu'à chaque fois qu'ils déversent un produit nocif dans leur toilette ou qu'ils laissent s'écouler de l'huile de vidange dans un cours d'eau ici en Ontario, où l'on trouve la moitié des espèces en voie de disparition, ils contribuent à la dégradation de notre pays. Je ne sais pas si le projet de loi répond bien à ce problème, mais j'aimerais bien qu'on fasse un effort de sensibilisation de tous les citadins de notre pays.

On a parlé de l'indemnisation. Il existe déjà des modèles d'indemnisation, et je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de les examiner.

Je crois que dans le cas de l'accord sur la gestion des forêts en Ontario, si l'on prend certaines mesures environnementales dans des terres privées, on bénéficie de certains avantages fiscaux. Il existe des accords de gestion forestière dans la circonscription de Halton que je sers actuellement. Je ne sais pas si c'est le genre de dispositif d'indemnisation auquel on a réfléchi, mais c'est une simple suggestion que je présente.

Franchement, même si ce projet de loi n'est peut-être pas parfait, il s'agit d'un départ, d'une nouvelle orientation, et nous pourrons y revenir au bout d'un certain temps pour faire le bilan des points forts et des points faibles.

M. David Anderson: Je suis bien d'accord, il est temps d'adopter un projet de loi. Pour le long terme, vous avez parlé de sept ans; à court terme, nous savons que nous allons avoir d'autres projets de loi importants à examiner. Nous n'avons même plus le luxe que nous avions encore il y a quelques semaines pour ce qui est des délais. Je pense qu'il faut donc aller de l'avant tout de suite. Si vous avez raison, dans quatre ans nous modifierons certainement un certain nombre de choses.

J'ai critiqué la législation américaine, mais quand elle a été présentée, elle semblait l'évidence même et absolument personne ne s'y est opposé. Elle a été massivement approuvée. Ce n'est que plus tard, quand on l'a appliquée...

J'ai discuté avec quelqu'un qui est actuellement directeur de l'Aquarium de Vancouver, mais qui travaillait au service des membres du Congrès à Washington il y a 23 ans, et qui me disait: «Quand cette loi, sur laquelle j'ai travaillé, a été adoptée, nous ne savions pas ce qui allait se passer». Ils savaient que c'était comme le lancement d'un navire, mais ce navire partait à la dérive et ils ne savaient pas où il allait arriver. Il n'a pas été étonné qu'il y ait des critiques.

En réalité, il se pourrait très bien que beaucoup des questions sur lesquelles nous nous concentrons actuellement ne posent pas le moindre problème, alors que quelque chose à quoi nous n'aurons absolument pas pensé se révélera le problème le plus épineux de cette mesure. Je pense que c'est une excellente suggestion de dire que nous devrions revenir dans quatre ans y apporter les améliorations nécessaires.

M. Julian Reed: Merci.

Le président: Merci, monsieur Reed. M. Laliberte, puis M. Knutson.

M. Rick Laliberte (Rivière Churchill, Lib.): Merci, monsieur le président.

Monsieur le ministre, ce que je vais vous dire ne s'adresse pas simplement à vous, mais à tous les Canadiens. La Loi sur les espèces en péril constitue un jalon crucial de l'histoire du Canada car il s'agit du rapport que nous entretenons avec toutes les espèces, les oiseaux, les animaux, les reptiles, les poissons et les plantes. Dans ma langue, c'est ce que nous appelons ni waklcomakanahk. Cela veut dire toutes nos relations; nous sommes en relation avec le monde végétal, le monde animal, le monde des insectes.

• 1645

Cette loi traduit notre conscience, car nous autres humains, nous avons une conscience. Si nous nous servions de cet instrument pour protéger ces espèces en même temps que notre propre existence... car tout est lié, il s'agit d'assurer notre existence dans le futur. On parle de l'histoire du Canada sur 100 ou 125 ans, mais la mémoire des Autochtones de ce pays remonte à des temps immémoriaux.

Je tiens à vous féliciter d'avoir assuré une représentation des Autochtones au sein du groupe de travail des Autochtones. Vous avez tenu à obtenir un accord fondé sur la participation. Mais j'aimerais aller un pas plus loin en ce qui concerne le processus de décision. C'est le gouverneur en conseil qui va prendre une grande partie des décisions, ainsi que les ministres provinciaux et les ministres fédéraux. Quand on prendra ces décisions, je souhaiterais que la conscience et l'histoire des Autochtones y contribuent.

Vous n'êtes pas obligé de me dire tout de suite si c'est possible ou non. Mais d'ici une semaine ou deux, quand on examinera les propositions de modification, j'aimerais approfondir cette question et voir avec mes collègues comment nous pourrions profiter de cette loi tout à fait remarquable pour marquer un tournant dans notre histoire, dans les rapports que nous entretenons avec les espèces, dans les rapports que nous avons avec les populations autochtones du Canada et dans la conscience des Canadiens et leur relation avec ces espèces dont nous dépendons si étroitement. C'est plutôt une affirmation qu'une question.

Je conclurai toutefois par une question précise, car je crois qu'il y a une lacune. Vous avez parlé de la pointe Pelée. Pensez- vous qu'il faudrait y imposer une protection temporaire de l'habitat? La Loi sur la protection de l'habitat prévoit une procédure normale, mais il y a aussi la protection d'urgence. Pensez-vous qu'il faudrait établir des dispositions de protection provisoires, dans le cas que vous avez mentionné?

M. David Anderson: Merci. Si vous me le permettez, j'aimerais me faire l'écho de ce que vous venez de dire à propos de l'excellent travail du groupe de travail autochtone. Ils ont pris la question très au sérieux et ont fait un excellent travail.

Je ne sais pas quels sont les chiffres exacts, car ils varient, mais il est probable que 40 p. 100 de nos espèces en voie de disparition devraient être protégées dans les terres autochtones, et c'est l'une des raisons pour lesquelles j'expliquais tout à l'heure qu'il était difficile de définir des terres fédérales. Nous voulons nous assurer de la collaboration de ces personnes pour assurer une bonne gérance et éventuellement, comme je le disais à Bob, mettre en place des dispositions d'indemnisation. Mais leur travail de départ a été excellent.

Je précise qu'au Conseil canadien pour la conservation des espèces en péril, cinq des 14 ministres ont des racines autochtones; il y a un Inuit, un Métis et trois personnes qui ont un statut de membre des Premières nations autochtones. Nous avons une assez bonne représentation à ce conseil de 14 personnes, avec cinq représentants des peuples autochtones. Je vais discuter avec eux pour voir s'il y a des améliorations possibles dans le sens de ce que vous avez suggéré, car je pense qu'il y a des possibilités.

Je dois dire que j'ai été très fier de l'aide apportée par les groupes autochtones à la réunion des ministres de la Faune à Iqaluit l'an passé; nous avons eu huit groupes autochtones. Il y avait notamment les deux groupes de femmes autochtones, les femmes inscrites et le Métis National Council of Women, mais aussi le Inuit Tapirisat, le Ralliement national des Métis, l'Assemblée des premières nations, le Congrès des peuples autochtones et d'autres groupes.

Ils nous ont dit qu'il n'y avait jamais eu d'aussi bonnes consultations depuis les débats constitutionnels de Charlottetown et Meech. Que ce soit vrai ou non, qu'on soit d'accord ou non, j'ai été fier de l'efficacité de nos consultations. Je tiens à remercier Ovide Mercredi de sa collaboration. Il a fait un travail remarquable.

Cela dit, je suis d'accord avec vous pour penser que nous devons peut-être aller plus loin. Vous avez parlé du rapport à la terre. Il m'est arrivé de penser qu'en fait nous n'aurions peut- être même pas besoin de cette loi; nous avons simplement le 104e psaume, les versets 26 à 32. C'est tout ce qu'il faut pour assurer la protection des espèces en péril. On pourrait intégrer d'autres considérations religieuses ou d'autres contextes à la loi, mais je ne veux pas suivre cette voie. Il faut maintenir la distinction entre religion et politique.

• 1650

Je dirai toutefois que nous voulons collaborer aussi étroitement que possible et que l'idée que vous esquissée—à savoir que les espèces et les humains font partie intégrante d'un tout sur cette terre—intéresse certainement beaucoup l'ensemble des Canadiens.

Je pense donc que nous pouvons collaborer et je me ferai un plaisir de poursuivre ce débat avec vous. Je parlerai de vos suggestions aux cinq ministres et nous pourrons peut-être déterminer des mécanismes efficaces pour assurer une coopération aussi complète que possible.

Le président: Merci, monsieur Laliberte.

Monsieur Knutson.

M. Gar Knutson (Elgin—Middlesex—London, Lib.): Merci, monsieur le président.

Monsieur le ministre, je voudrais commencer par vous féliciter d'avoir accepté de reconduire les listes d'espèces qui ont été évaluées jusqu'à présent. Je pense que c'est un pas important et que vous avez raison. Ce sera un bon indice de l'honnêteté de l'effort du gouvernement. Toutefois, à titre de préambule—et j'espère que vous ne prendrez pas cette critique trop à coeur—je n'ai jamais cru personnellement que la question de l'inscription automatique se posait. J'estime que les élus doivent demeurer en fin de compte responsables des décisions prises en vertu d'une loi. Je pense que cet argument aurait dû suffire, plutôt qu'une critique excessive du monde scientifique. Mais je pense que c'est un détail dans l'ensemble, et j'espère que vous prendrez cette critique pour ce qu'elle vaut.

J'aimerais cependant attirer votre attention sur l'article 32 qui interdit généralement de tuer des espèces disparues, en voie de disparition ou menacées, et relier cet article à l'article 34 qui stipule que l'article 32 ne s'applique pas dans les provinces à moins d'un décret en ce sens. Ne serait-il pas logique, le jour où le projet de loi sera proclamé, d'interdire au moins qu'on tue ces espèces? Je ne parle pas de la protection de l'habitat ni des conséquences socio-économiques que cela entraîne, mais nous devrions au moins interdire qu'on tue des espèces en péril au Canada.

M. David Anderson: Le problème, c'est en gros ce que nous disions tout à l'heure: déterminer les rapports entre les régimes fédéral et provinciaux et essayer de ne faire intervenir le fédéral qu'à titre de filet de sécurité. Il y a des problèmes au niveau des gouvernements provinciaux. Vous savez ce qui s'est passé dans ma province, la Colombie-Britannique, à propos de la chasse au grizzli, quand il y a eu un changement de gouvernement. Il y a un puissant courant d'opinion—à tort ou à raison, je me contente de dire que c'est un courant d'opinions sans me prononcer sur sa validité—pour dire que la thèse selon laquelle le grizzli serait menacé ou non en Colombie-Britannique ou dans une région quelconque de la Colombie-Britannique n'a rien à voir avec la science et correspond plutôt à une prise de position idéologique sur la chasse à l'ours.

Je pense que nous devons être particulièrement prudents face à ce genre de situation. Ce rapport entre les deux articles s'explique par le souci d'assurer ce filet de protection, c'est-à-dire de faire en sorte que le fédéral n'intervienne qu'ultérieurement plutôt que d'être entraîné tout de suite dans une bataille avec les provinces.

C'est ce qui explique ces dispositions.

M. Gar Knutson: Mais pour commencer, nous ne sommes même pas prêts à interdire qu'on tue ces animaux. Dans ces conditions, je n'ai pas beaucoup d'espoir qu'on en arrive un jour à l'étape ultime en faisant intervenir ce filet de protection. Je ne vois pas comment dire les choses plus simplement. Si nous ne voulons même pas interdire qu'on tue les animaux au départ à cause des risques de réaction négatives des provinces, je me demande vraiment comment nous allons pouvoir convaincre les Canadiens que nous pourrions un jour faire intervenir cette disposition du filet de sécurité.

M. David Anderson: Oui, je comprends. Il y a un certain nombre d'animaux protégés relevant de la compétence fédérale qui peuvent être tués dans certains cas. La baleine boréale en est un exemple. En tant que ministre des Pêches, je le sais très bien. On peut tuer une baleine boréale à des fins cérémoniales pour respecter la tradition.

M. Gar Knutson: Avec un permis.

M. David Anderson: Oui, avec un permis.

Je crois que c'est la province qui doit demander le permis, n'est-ce pas? J'essaie de trouver une espèce, mais je n'y arrive pas, que l'on peut abattre sans un permis provincial. Je n'en trouve pas d'exemple, et je pense qu'il y a donc une protection assez efficace ici. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de répéter à notre niveau cette protection provinciale.

• 1655

M. Gar Knutson: Vous me corrigerez si je me trompe, mais il me semble qu'il n'y a pas de loi sur les espèces en voie de disparition dans toutes les provinces. Dans les provinces où il n'existe pas de loi de ce genre, j'imagine qu'on peut tuer ces animaux parce que ni les provinces, ni le gouvernement fédéral n'imposent de dispositions interdisant de les tuer.

M. David Anderson: Les provinces ont tout de même des lois sur la faune. Je ne crois pas qu'il y ait de province où il n'y en a pas. Vous en connaissez?

Mme Karen Brown (sous-ministre adjointe, Service de la conservation de l'environnement, ministère de l'Environnement): Pas à ma connaissance.

M. David Anderson: Normalement, une loi sur la conservation de la faune régit la façon dont on peut tuer du gibier, et j'imagine donc qu'il y a dans tous les cas des lois provinciales qui interdisent de tuer des animaux qui ne sont pas le gibier autorisé. Ces lois interdisent manifestement qu'on tue des espèces en danger. S'il y avait un problème, évidemment, on émettrait un décret en vertu du paragraphe 34(2). Si je comprends bien, le gouverneur en conseil peut, sur recommandation du ministre, etc., émettre un décret. C'est bien cela? Autrement dit, nous interviendrions à ce moment là.

M. Gar Knutson: Après avoir consulté la province. Ce n'est pas facile. J'imagine qu'on place cette intervention... le filet de sécurité n'interviendrait qu'après consultation avec la province. Or, une province pourrait peut-être nous poursuivre en disant qu'on ne l'a pas suffisamment consultée. Je crois que cette discussion risque de dépasser mes cinq minutes.

M. David Anderson: Là encore, il y a une question de confiance et de bonne foi dans les discussions avec les provinces. Elles ont toutes des lois sur la protection de la faune, à ma connaissance—et Karen confirme que c'est aussi ce qu'elle pense. J'imagine que... Je ne vois pas comment ce genre de situation pourrait se présenter.

M. Gar Knutson: Peut-être Mme Brown souhaite-t-elle répondre à cette question. Vous voulez dire que toutes les lois sur la protection de la faune interdisent qu'on tue des espèces en danger? C'est ce que vous avez l'air de dire.

Mme Karen Brown: Ce n'est peut-être pas dit textuellement, mais la plupart des lois provinciales sur le gibier à plumes et les gros animaux disent en gros que cette chasse est interdite sans permis. Tout est réglementé. Il ne s'agit d'ailleurs pas nécessairement de lois sur la protection des espèces en péril. Certaines provinces ont intégré les dispositions de protection de ces espèces à leur régime existant de régie de la faune.

M. Gar Knutson: Permettez-moi de faire un dernier essai. Une fois que le projet de loi sera proclamé, est-ce qu'il sera illégal partout au Canada de tuer un animal ou une plante figurant sur une liste d'espèces en voie de disparition? Sinon, pourquoi ne déciderions-nous pas de le faire?

Mme Karen Brown: D'après les propositions que nous avons devant nous, les espèces classées comme fédérales seraient visées par l'article 32. J'imagine qu'au bout d'un certain temps, si un gouvernement provincial n'assurait pas la protection prévue par l'article 34, après avoir consulté la province, nous recommanderions l'intervention du filet de sécurité.

Le président: Merci, monsieur Knutson.

Monsieur Lincoln, puis monsieur Tonks.

M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.): Monsieur le ministre, comme M. Knutson, je dois dire que je suis très heureux de voir que vous avez reporté la liste initiale des espèces en danger dans le nouveau projet de loi. Mais en ce qui concerne l'avenir, ai-je bien compris que vous étiez prêt à envisager de laisser au gouverneur en conseil un certain délai pour accepter ou refuser? C'est ce que je crois avoir entendu, et j'aimerais savoir ce qu'il en est exactement.

Je me demandais aussi pourquoi on a adopté cette nouvelle philosophie par rapport au projet de loi C-65. A-t-on estimé que la démarche envisagée dans le projet de loi C-65 n'était pas la bonne? Vous nous avez donné des explications, à savoir le fait que les scientifiques pourraient faire l'objet de pressions des lobbyistes, et on nous l'avait déjà dit. Je ne peux m'empêcher de sourire quand j'entends cet argument, car s'il y a des gens qui font l'objet d'un lobbying intense, c'est bien nous, les politiciens.

Pourriez-vous donc me confirmer si vous envisagez effectivement de laisser au gouverneur en conseil un certain délai ou une sorte de fardeau inversé concernant cette liste?

M. David Anderson: Merci.

• 1700

J'imagine que nous pourrions prévoir un certain délai si cela peut être utile. Je dois dire que si nous pouvons faire accepter les 198 espèces qui figurent sur cette liste, le problème pourrait tout simplement ne pas se poser à l'avenir.

Cela dit, vous m'interrogez au sujet des différences entre ce projet de loi et le projet de loi C-65. Ce projet de loi a été énormément retardé. Toutefois, à quelque chose malheur est bon car cela a permis aux scientifiques de réévaluer en profondeur cette liste à la lumière des nouveaux critères de l'Union mondiale pour la nature. C'est pour cela que les choses ont changé. La liste est très claire maintenant, et elle représente un nombre important d'animaux et de plantes. Je n'y vois pas le moindre problème et, si c'est utile, nous pouvons certainement envisager de fixer un délai pour la réaction ministérielle.

Je pense que l'idée du fardeau inversé va être rejetée pour toutes sortes de raisons techniques qui me dépassent un peu. Il y a notamment le fait que le gouvernement ne doit pas être lié par une absence de décision. Je crois qu'il doit être lié par des décisions, mais je suis sûr que nous pouvons surmonter ce problème en prévoyant un calendrier d'action efficace. Je suis donc sûr que nous pouvons mettre au point quelque chose, si c'est utile.

M. Clifford Lincoln: Vous avez dit qu'il était difficile de définir une terre domaniale. Est-ce que ce n'est pas un peu contradictoire puisque dans la loi elle-même on interprète cette notion de territoire domanial? Si l'on dit que cette terre et ces eaux internes, etc. appartiennent au gouvernement fédéral, quand il faudra faire une interprétation, les tribunaux s'appuieront sur ce texte pour déterminer en quoi consiste une terre domaniale. J'ai l'impression que sur la question des rapports entre les provinces et le gouvernement fédéral, on considère qu'on laisse les provinces agir, et que le fédéral ne fera intervenir le filet de sécurité que si elles ne le font pas.

Pour ce qui est du territoire domanial, nous disons que tout cela va se faire en coopération avec les agriculteurs, les pêcheurs, toutes les personnes qui vivent sur les terres en question. Mais que va-t-il se passer si cela ne marche pas? Pourquoi ne pourrions-nous pas prévoir un filet de sécurité ou une clause obligatoire qui interviendrait automatiquement en cas de défaut de coopération? Pour l'instant, nous n'avons aucune protection, alors que nous avons pris la peine d'établir une interprétation de ce qu'est un territoire domanial. Nous nous en remettons à la coopération. Mais que va-t-il se passer si cette coopération ne marche pas?

M. David Anderson: Merci. Tout d'abord, il y a un problème de définition de la notion de territoire domanial, par exemple dans le cas des réserves indiennes. Je ne suis pas certain, mais je crois que dans les réserves indiennes, c'est la Couronne au niveau provincial qui conserve la propriété, alors que la gestion de ces terres relève de la Couronne au niveau fédéral. Si, par exemple, une réserve indienne était abolie, je ne crois pas que le titre reviendrait au gouvernement fédéral. Il me semble qu'il reviendrait à la Couronne provinciale. Je ne sais pas. En tout cas, c'est ce que je crois comprendre. Je ne peux pas vous donner de définition juridique et je ne le souhaite pas vraiment.

Je pense qu'on peut dire que les parcs nationaux sont des territoires domaniaux. On peut sans doute dire que les réserves militaires en sont aussi, mais là encore, il s'agit parfois de terres résultant d'expropriation en vertu de décrets différents. La municipalité d'Esquimalt ne cesse de dire que le gouvernement fédéral a exproprié le golf municipal pour créer le casernement Work Point, et qu'elle voudrait récupérer ce terrain.

Je ne pense pas qu'il soit si facile de définir un territoire domanial. À mon avis, les terres situées au nord du 60e parallèle n'en sont pas, bien que certains prétendent le contraire. Bien des gens contestent l'argument selon lequel l'habitat des oiseaux migrateurs devrait relever de la réglementation fédérale. Cette notion de domaine fédéral est extrêmement controversée.

Dire qu'il n'y a pas du tout de protection si la coopération ne marche pas, ce n'est pas exact. On suivrait exactement la même procédure que pour les autres terres. Si on ne peut pas mettre sur pied une démarche de coopération volontaire sur les terres fédérales, les terres provinciales et les terres privées, on fera intervenir les dispositions du filet de sécurité et la législation fédérale. Donc, le traitement serait exactement le même. Je sais bien que là encore les points de vue divergent.

• 1705

Je pense qu'il vaut mieux sur le plan constitutionnel traiter toutes les terres de la même façon et nous concentrer entièrement sur les espèces en danger et non pas sur la question de savoir qui est propriétaire des terres. Je pense que si l'on s'en tient à cette notion simple, on facilitera les choses dans l'esprit des juges. J'espère que personne ne m'accusera de dénigrement, mais je crois vraiment que si l'on peut garder toutes ces notions aussi claires que possible, on facilitera certainement le travail des tribunaux.

M. Clifford Lincoln: Si votre postulat est exact, si nous avons des problèmes avec les réserves, etc., il faudrait modifier notre définition de territoire domanial qui figure dans la loi. On dit dans la loi en quoi consiste une terre domaniale. Comment pouvons-nous dire que nous ne savons pas ce que c'est puisque c'est dans la loi?

M. David Anderson: Encore une fois, je vous parle de discussions antérieures sur la question de savoir si nous avions un pouvoir fédéral en ce qui concerne les oiseaux migrateurs. Je crois qu'il y a matière à discussion ici. Et d'après ma propre expérience, quand on ouvre la porte à la discussion, on déclenche en général un énorme flot d'énergie consacrée aux définitions, au détriment du travail de protection des espèces sur le terrain. Je demeure convaincu que c'est avec de la bonne volonté et une loi simple que nous obtiendrons les meilleurs résultats; la meilleure loi du monde, si l'on y met de la mauvaise volonté, est vouée à l'échec. C'est le comportement des gens, pas la loi, qui garantira la protection des espèces en danger.

Le président: Merci, monsieur Lincoln.

Monsieur Tonks.

M. Alan Tonks (York-Sud—Weston, Lib.): Merci, monsieur le président.

Monsieur le ministre, il est toujours difficile de trouver le juste milieu lorsqu'on prépare une loi qui est dans l'intérêt public mais qui empiète sur les droits individuels, et cette notion d'indemnisation est toujours très délicate.

Comme l'a dit notre collègue, je note que M. Dhaliwal a déclaré qu'il acceptait l'idée d'une indemnisation si elle était appliquée de façon ponctuelle. Cependant, il ajoute que la reconduction automatique de la liste l'inquiète dans la mesure où, indépendamment des indemnisations, il n'y a pas eu, d'après lui, suffisamment de dialogue et de consultation.

Vous avez déclaré que vous alliez reconnaître la liste. Est-ce que les craintes de M. Dhaliwal vont s'en trouver justifiées? Est-ce que cela vous inquiète, ou pensez-vous qu'il sera possible de régler la question par le biais des règlements?

M. David Anderson: Je pense avoir répondu à la préoccupation de M. Dhaliwal du simple fait que je suis ici en mesure de répondre en toute confiance à M. Bigras et à vous-même qu'il s'agit là de la position du Cabinet. Évidemment, le débat va bon train au Cabinet et les points de vue ne sont pas unanimes.

Je pense qu'à cette table, on n'a peut-être pas donné au secteur de la pêche... certains témoins n'ont pas vraiment compris les préoccupations de ce secteur. Je pense que M. Dhaliwal a donc raison de faire des commentaires comme il l'a fait.

Même s'il y a des divergences d'opinions entre le ministre principal de la Colombie-Britannique et le ministre en second, je tiens à vous assurer que je vais dîner avec M. Dhaliwal et que nous allons poursuivre cette conversation. Mais je peux vous dire d'ores et déjà qu'à ma connaissance il est convaincu et que la décision que j'ai prise avec mes collègues, y compris M. Dhaliwal, est de procéder comme je vous l'ai dit. Je n'ai aucune inquiétude en ce qui concerne cette lettre.

M. Alan Tonks: Sur un plan plus général, si l'on ajoute d'autres espèces à l'avenir—et j'aimerais bien savoir comment on procédera—dans ce projet de loi, certaines personnes souhaiteraient qu'on adopte aussi des dispositions obligatoires concernant le calendrier des initiatives de rétablissement des espèces en le liant au processus d'inscription sur la liste, etc. Comment voyez-vous l'ajout de nouvelles espèces dans le cadre de la loi?

• 1710

M. David Anderson: Une fois qu'on aura réglé l'arriéré, ce qui, comme je vous l'ai déjà dit, se fait progressivement—conformément aux délais prévus dans le projet de loi—je pense qu'on ajoutera de nouvelles espèces assez régulièrement. Chaque année, il y aura des réunions du COSEPAC; je crois qu'il doit y en avoir deux par an. Les sous-comités, qui regroupent en général deux à cinq scientifiques, se réuniront, et feront à l'occasion appel à l'aide d'autres personnes. Je pense donc qu'avec le travail de ces comités, les choses progresseront assez régulièrement. Évidemment, avec les nouveaux crédits dont nous disposons, nous avons pu augmenter les ressources du COSEPAC, qui pourra donc en faire plus.

Je pense que ce comité se penchera sur le cas de certaines espèces qui auront pu être omises dans le passé. Donc, quand vous verrez augmenter le nombre d'espèces inscrites, ce sera peut-être simplement pour reconnaître la situation d'espèces déjà en difficulté et pas forcément parce qu'on aura découvert de nouvelles espèces en difficulté à un moment donné.

Je pense que les choses progresseront de façon assez simple et efficace. Encore une fois, il y aura des divergences d'opinions scientifiques. C'est comme au sujet du changement climatique où il y a des chercheurs traditionnels qui appuient le groupe intergouvernemental sur le changement climatique, alors qu'il y en a d'autres qui ne sont pas d'accord. Vous verrez les représentants d'un secteur faire appel à d'excellents chercheurs scientifiques pour critiquer une décision et suggérer des changements. Il y aura toujours une incertitude scientifique. Naturellement, les chercheurs viennent d'horizons divers. Encore une fois, j'espère que je n'offense ou que je ne critique personne. Je décris simplement la réalité. On ne pourra jamais avoir la certitude d'une décision unanime de trois chercheurs qui se réunissent, comme certaines personnes le croient. C'est comme cela que fonctionne la science. Il y a la théorie, qui est critiquée, et il faut s'attendre à des discussions animées.

Je pense donc que ce processus suivra son cours. J'espère que pour sa part, le gouvernement élaborera assez vite des relations efficaces avec les gouvernements provinciaux et les territoires.

M. Alan Tonks: Mais dans un cas d'urgence, si l'on signale au Cabinet l'existence d'une espèce menacée, pour reprendre ce que disait mon collègue M. Knutson, sera-t-il possible de resserrer la loi si l'on constate une lenteur excessive à agir, ou une absence d'action, ou une action qui ne va pas dans le bon sens? Y aura-t-il moyen de resserrer les dispositions?

M. David Anderson: Excusez-moi, Alan, je pense que je m'égarais un peu.

Il est certain que nous pourrions immédiatement, en quelques jours, modifier la liste au moyen d'une décision du gouverneur en conseil. Nous pourrions simplement soumettre la proposition au comité du Cabinet responsable de la réglementation qui l'approuverait, et la décision s'appliquerait tout de suite. En cas d'urgence, je ne pense pas que la décision prendrait plus de quelques jours. Même si l'on ne peut pas réunir tous les membres, on peut toujours leur faire distribuer le document pour qu'ils le signent. On peut aller très vite si l'on veut ou si l'on doit le faire.

M. Alan Tonks: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Tonks.

Monsieur Anderson, vous avez mentionné à plusieurs reprises le gouverneur en conseil cet après-midi. C'est un aspect original de ce projet de loi, en ce sens que vous-même et vos successeurs devrez vous tourner vers le Cabinet pour faire approuver toutes les grandes décisions que voudra prendre le ministre de l'Environnement à l'avenir, à l'exception peut-être de la rédaction du rapport annuel pour lequel l'intervention du gouverneur en conseil n'est pas exigée. En dehors de cela, lorsque vous ou vos successeurs voudrez prendre une décision importante, vous devrez vous tourner vers le Cabinet. Que se passera-t-il si le ministre des Pêches ou le ministre de l'Industrie ou le ministre de l'Agriculture répond par la négative à votre demande? Est-ce une bonne chose de soumettre le ministre de l'Environnement aux décisions de l'ensemble du Cabinet plutôt que d'adopter une loi qui confierait au ministre de l'Environnement et à ses successeurs le soin de mettre en oeuvre le projet de loi en en respectant la volonté et l'intention fondamentale?

• 1715

M. David Anderson: Je ne pense pas qu'un projet de loi qui exigerait que trois personnes seulement, moi, le ministre des Pêches et des Océans et le ministre du Patrimoine pour Parcs Canada...

Le président: L'article mentionne spécifiquement le gouverneur en conseil, autrement dit le Cabinet tout entier.

M. David Anderson: Oui, mais encore une fois, nous fonctionnons avec un système de comité et je ne crois pas qu'un régime qui comporte l'apport de personnes ayant d'autres responsabilités qui représentent aussi d'autres parties du pays, et pas simplement leur domaine de responsabilité en tant que ministre, soit pire qu'un régime où il n'y a qu'une seule personne. On pourrait avoir une personne unique au-dessus ou en dessous du comité, mais je ne vois pas pourquoi on devrait penser qu'un système de comité est nécessairement moins efficace qu'un ministre tout seul. En théorie, je ne vois pas pourquoi il serait particulièrement gênant d'avoir un groupe de ministres.

Le président: Mon autre question concerne un rapport rédigé il y a quelques années par le juge La Forest et Dale Gibson, que notre comité a eu l'occasion d'examiner. Il porte sur les pouvoirs constitutionnels du gouvernement fédéral en matière de protection des oiseaux migrateurs et des espèces transfrontalières. Dans la conclusion de ce rapport, on peut lire que:

    [...] le Parlement du Canada, en vertu de ses pouvoirs de [paix, ordre et bon gouvernement], a le pouvoir indiscutable d'adopter des lois protégeant non seulement tous les oiseaux migrateurs, mais toutes les espèces transfrontalières en voie de disparition, ainsi que l'habitat qui leur est essentiel. C'est apparemment un point de vue que partageaient les rédacteurs du projet de loi C-65, en 1996, puisque ce projet de loi prévoyait explicitement la protection de toutes les espèces transfrontalières en voie de disparition [...]

Pourriez-vous nous donner votre opinion sur ce point de vue du juge La Forest et de Dale Gibson?

M. David Anderson: Je ferai simplement une remarque qui rejoint ce que je disais tout à l'heure quand je souhaitais que le projet de loi soit clair et simple. Prenez le cas du grizzli qui part vers le Sud, puis vire à l'Est à 100 mètres de la frontière canado-américaine, trotte sur quelques kilomètres et repart vers le Nord en Alberta. Prenez le cas d'un autre ours qui suit le même chemin, mais qui va 100 mètres plus loin et traverse la frontière canado-américaine. Si l'ours est considéré comme en voie de disparition à titre d'espèce et non pas à titre individuel, doit-il y avoir une protection différente pour ces deux ours, dont l'un est entièrement canadien et l'autre s'est aventuré aux États-Unis pendant quelques minutes ou quelques heures? Je ne vois vraiment pas l'importance de la question transfrontalière, sauf si vous estimez que le projet de loi est bancal sur le plan du droit constitutionnel et que vous essayez de trouver un appui supplémentaire pour protéger une petite partie des espèces qu'il concerne, c'est-à-dire les espèces transfrontalières.

C'est donc cela qui me dérange le plus, le fait que vous créez une nouvelle catégorie superflue qui va compliquer le projet de loi et susciter des débats interminables sur la question de savoir en quoi consiste une espèce transfrontalière, car ce ne sera pas facile à déterminer dans certains cas. Je ne pense donc pas qu'il soit nécessaire de prévoir cette distinction dans le projet de loi.

Si vous pensez que ce projet de loi comporte des faiblesses sur le plan constitutionnel, et s'il est attaqué par les tribunaux—c'est une pure hypothèse que j'évoque ici—vous voudrez peut-être choisir cette voie pour en protéger quelques éléments, mais sinon, je préfère ne pas y toucher.

Le président: Merci, monsieur Anderson.

Deuxième tour. Monsieur Forseth.

M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Alliance canadienne): Merci, monsieur Anderson.

Comme notre temps est compté, je vais me contenter de vous poser trois questions brèves et précises et je vous laisserai y répondre. La première est la suivante: Quand la Chambre des communes sera saisie de ce projet de loi une fois que nous en aurons fait rapport, nous promettez-vous que vous n'invoquerez pas la clôture ou que vous n'imposerez pas la guillotine à l'étape de la troisième lecture ou du rapport?

Deuxièmement, à l'article 100 du projet de loi, à la page 49, on lit:

    La prise de précautions voulues peut être opposée en défense à toute accusation portée au titre de la présente loi.

Accepteriez-vous de remplacer cette disposition par la disposition mens rea, esprit coupable, du Code criminel?

À l'article 64, page 30, on lit:

    Le ministre peut, en conformité avec les règlements, indemniser toute personne [...]

Pouvez-vous nous garantir que cet article va demeurer tel quel dans le projet de loi et que vous allez continuer à essayer de développer cela dans les règlements? C'est le message qu'on nous avait transmis à l'origine, et je voudrais simplement m'assurer qu'il n'y a pas eu de changement depuis qu'on a présenté le projet de loi.

• 1720

Ce sont là mes trois questions.

M. David Anderson: Merci, monsieur Forseth.

Pour ce qui est de la première, je ne peux pas vous donner cette assurance puisqu'évidemment ce n'est pas en mon pouvoir. Les travaux de la Chambre dépendent de toutes sortes de facteurs. Nous traversons actuellement une période où certaines personnes sont évidemment extrêmement préoccupées par les questions de sécurité. J'ignore quel sera le programme de la Chambre. Je ne sais pas comment ce projet de loi s'intégrera dans ses travaux. C'est le leader à la Chambre qui prendra cette décision.

Mais je comprends très bien que vous préféreriez que ce ne soit pas le cas. Je peux en prendre bonne note, mais je ne peux pas vous donner cette garantie.

Deuxièmement, en ce qui concerne l'indemnisation, je m'en remets évidemment au comité. Vous êtes peut-être plus intéressé par la lettre de M. Dhaliwal que je ne le pensais jusqu'ici—je ne sais pas—mais je crois personnellement qu'il faudrait prévoir l'indemnisation dans le projet de loi. C'est ce que je souhaite. Si cette disposition figure dans le projet de loi, nous poursuivrons cela. Toutefois, j'ai décrit de manière assez approfondie la difficulté de déterminer les paramètres de cette indemnisation.

Tout ce que je peux dire, c'est que je maintiens ce que j'ai dit à ce sujet. Cela s'est révélé beaucoup plus compliqué que je ne le pensais, et en fait que quiconque ne le pensait.

Enfin, le principe de la diligence raisonnable est inscrit dans la Loi sur les pêches et la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, et c'est de là que nous l'avons repris. Il faudrait que je vérifie les retombées juridiques d'une modification. Je peux le faire et vous communiquer la réponse à cette question. Mais comme je ne suis pas juriste, je ne peux pas le faire moi-même.

M. Paul Forseth: Bon.

Je m'arrêterai là, monsieur le président.

Le président: Merci.

Monsieur Comartin.

M. Joe Comartin: Merci, monsieur le président.

Monsieur le ministre, puisque nous allons passer à l'étude article par article, j'aimerais vous poser ces questions directes.

Premièrement, si je comprends bien, vous n'êtes pas prêt à modifier la façon dont on va inscrire les espèces et vous vous en tenez à reconnaître les quelque 190 espèces qui ont été examinées jusqu'à présent. C'est bien cela?

M. David Anderson: Oui. Je suis certainement d'accord pour en reconnaître 198 mais, comme je vous l'ai expliqué, je ne souhaite pas adopter un changement qui supprimerait cette deuxième étape dans l'inscription. Je pense qu'elle sert à quelque chose. Je pense que c'est utile du point de vue du principe de la démocratie dans le cadre d'un gouvernement représentatif. Je crois que c'est utile parce que cela permet d'épargner aux scientifiques des pressions exercées par les lobbyistes qui déborderaient de leur champ de compétence scientifique.

M. Joe Comartin: Et de la même façon, vous n'êtes pas disposé à modifier la définition de l'habitat, qui a suscité certaines critiques?

M. David Anderson: Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de modifier cette définition. Je pense aussi qu'il est extraordinairement difficile de définir un habitat. On parle de tout ce qui vole, de tout ce qui nage, de tout ce qui bouge, de tout ce qui ne bouge pas, de masses de racines dans le sol. Cette notion d'habitat est extrêmement complexe.

Là encore, si le comité nous propose des définitions de cette notion d'habitat, je me ferai un plaisir d'entrer dans le détail, mais je sais que c'est une notion extrêmement difficile à cerner.

M. Joe Comartin: Pour ce qui est de la disposition de protection obligatoire de l'habitat dont nous avons beaucoup entendu parler aujourd'hui, vous ne changez rien au projet de loi?

M. David Anderson: C'est exact, c'est mon point de vue.

M. Joe Comartin: Enfin, en ce qui concerne les terres domaniales, vous n'êtes pas disposé à étendre les dispositions de ce projet de loi à toutes les terres domaniales?

M. David Anderson: Si je savais en quoi consistent les terres domaniales, je pourrais peut-être plus facilement être d'accord avec vous. Mais je ne le sais pas. Je pense que là encore, c'est un terrain miné, et je préfère l'éviter.

M. Joe Comartin: Il y a cependant ici une disposition—j'ai vu cet article il y a un instant, mais je l'ai perdu de vue—où il est question de territoire domanial. Je ne sais pas si vous êtes au courant.

M. David Anderson: Évidemment, le projet de loi s'applique au territoire domanial. Par définition, tout ce qui ne relève pas de la réglementation provinciale relève de la réglementation fédérale. J'espère que je n'offense aucune organisation autochtone en disant cela, mais c'est ce que je pense d'une manière générale. Il faudrait donc parler de territoires qui ne relèvent pas de la compétence provinciale.

• 1725

J'ai dit qu'à mon avis les parcs nationaux et les réserves militaires... Je crois qu'il faudrait aussi inclure les terres des chemins de fer. Les terres des compagnies de chemin de fer qui ne sont pas aliénées feraient sans doute encore partie du territoire domanial. Je pense qu'il y aurait toutes sortes de questions sur les réserves indiennes parce qu'au départ elles relèvent à la fois du domaine fédéral et du domaine provincial. En cas d'extinction, je ne sais pas ce que deviendraient ces terres. Je ne sais pas qui aurait compétence.

M. Joe Comartin: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Comartin.

Monsieur Herron.

M. John Herron: Ce n'est pas là-dessus que je voulais vous poser des questions, mais je tiens à dire clairement qu'il faut savoir ce que l'on veut. Vous ne pouvez pas dire d'un côté que ceci s'applique au territoire domanial et ensuite nous dire: «À vrai dire, nous ne savons pas ce que c'est». Il y a là une contradiction flagrante. Nous aurons peut-être l'occasion de tirer cela au clair, mais j'aimerais aborder d'autres questions, en poursuivant dans la ligne des questions de Gar.

Les pouvoirs discrétionnaires prévus dans ce projet de loi suscitent énormément d'inquiétude. Pour reprendre ce que disait Gar, si nous ne faisons rien pour empêcher l'abattage d'une espèce en péril... Ce serait vraiment le geste de bonne foi le plus élémentaire auquel s'attendraient les personnes qui souhaitent préserver des espèces en péril.

Dans l'esprit de la démarche de coopération, pour laquelle je félicite le gouvernement, quel mal y aurait-il à adopter une disposition où l'on dirait non pas que le gouvernement du Canada «peut» protéger l'espèce si la voie de la coopération ne marche pas, mais plutôt que, si la coopération échoue, le gouvernement protège l'espèce. La première tentative de coopération a échoué; nous n'avons pas pu nous entendre avec les propriétaires fonciers, les provinces ou je ne sais qui. Qu'y a-t-il de mal à affirmer que nous protégerons l'espèce après avoir eu recours aux outils dont nous disposons au départ? Les pouvoirs discrétionnaires qui figurent dans ce projet de loi sont manifestement une vaste source d'inquiétude pour les personnes qui ne l'appuient pas.

M. David Anderson: Merci.

Cet aspect discrétionnaire constitue effectivement la principale préoccupation des groupes qui se sont opposés au projet de loi. Mais sans cette discrétion, et la possibilité d'écouter et de soupeser des points de vue, de prendre en considération les divers intérêts concernés, on aurait au contraire dans le projet de loi une affirmation catégorique qui exclurait précisément de telles possibilités. C'est pour cela qu'on a prévu cette discrétion.

Personnellement, j'estime que ce pouvoir discrétionnaire est une bonne chose.

M. John Herron: Puis-je vous donner un exemple des raisons pour lesquelles même les porte-parole de l'industrie souhaitent que le projet de loi assure une protection à cet égard?

Dans le cas où une espèce peut être menacée plutôt qu'en voie de disparition, le gouvernement fédéral n'intervient pas automatiquement car la survie même de l'espèce n'est pas nécessairement en jeu. Mais il peut arriver que l'on ait deux entreprises côte à côte et qu'une espèce en péril soit présente à ces deux endroits. Ce qui risque d'arriver, s'il n'y a pas de mesures pour protéger temporairement l'habitat, et si l'on n'affirme pas qu'on veut empêcher que l'espèce soit exterminée, c'est que l'entreprise A va pouvoir accélérer ses activités de coupe alors que l'entreprise B va se comporter correctement mais se trouver ainsi désavantagée par rapport à l'entreprise concurrente. C'est pour cela que les représentants de l'industrie voudraient aussi que le règlement énonce une affirmation plutôt qu'une simple possibilité.

M. David Anderson: Les avis sont partagés. Je pense que les entreprises qui seraient désavantagées de cette manière préféreraient que l'organisme de réglementation uniformise rapidement et de façon efficace les règles du jeu. Si l'on impose toutes les exigences et tous les jalons juridiques dont vous parlez, on créera probablement des disparités au lieu d'uniformiser les règles du jeu.

D'ailleurs, pour répondre à votre question au sujet de la province et à la remarque de Gar, je vous renverrais au texte du paragraphe 34(3):

    s'il estime que le droit de la province ne protège pas l'espèce, le ministre est tenu de recommander au gouverneur en conseil la prise du décret.

• 1730

C'est l'exception à l'article 31.

M. John Herron: Ma dernière remarque sera pour dire que nous approchons de l'étude article par article, et que nous souhaiterions à cette occasion refléter le vaste consensus que nous avons constaté chez nos témoins. Je sais que nous allons de notre côté présenter des propositions d'amendement qui refléteront aussi le point de vue de députés de la majorité.

Nous souhaitons vraiment que le Parlement et le comité fonctionnent bien. Nous espérons que, si l'on présente des propositions de modification au niveau du Comité sur la protection obligatoire des habitats critiques relevant de la compétence fédérale—si l'on fait quelque chose au sujet de l'inscription ou si l'on inclut dans le texte quelque chose concernant la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs...

M. Forseth a dit que vous ne pouviez pas faire grand-chose sur la question de la clôture parce que c'est une décision qui relève du leader à la Chambre. Pourriez-vous nous donner l'assurance que, si nous nous trouvons dans une situation analogue à celle que nous avons eue pour la LCPE, où nous avions adopté des amendements qui ont été ensuite rejetés à l'étape de l'étude article par article... Allez-vous respecter la volonté du comité si nous proposons des amendements à l'étape du comité, ou allons-nous avoir une répétition de ce qui s'est passé pour la LCPE?

M. David Anderson: Encore, une fois, je ne peux pas vous donner cette assurance.

M. John Herron: Cela relève de vous, pas du leader à la Chambre.

M. David Anderson: Je ne peux pas vous donner cette garantie. Si un comité de la Chambre des communes propose des modifications que la Chambre elle-même rejette lors de votes ultérieurs, il me semble que le comité devrait se demander s'il n'est pas allé trop loin.

Vous êtes censés refléter le sentiment de la Chambre, pas seulement celui des témoins qui comparaissent au comité. Vous êtes un comité de la Chambre. Donc, si un comité propose des modifications que la Chambre rejette, il me semble que le comité devrait en tirer une leçon salutaire en se disant qu'il a outrepassé la volonté de la Chambre et que c'est pour cela que la Chambre a rejeté ces amendements.

M. John Herron: Et la volonté du Conseil privé?

M. David Anderson: Je ne peux évidemment pas vous donner cette garantie. Toutes les lettres qui ont été citées montrent clairement qu'un vaste éventail d'intérêts légitimes ont été soulevés à propos de ce projet de loi. Les questions fédérales- provinciales-territoriales sont manifestement une source importante de préoccupation. Pour toutes sortes de raisons liées à tout cela, il ne m'est pas possible de vous affirmer qu'un amendement proposé par votre comité serait automatiquement accepté par la Chambre. Je ne peux pas vous donner cette assurance.

M. John Herron: Merci tout de même d'être venu nous voir aujourd'hui.

Le président: Merci.

Monsieur Laliberte.

M. Rick Laliberte: J'aimerais revenir à la question que j'ai posée tout à l'heure à propos de la protection intérimaire des habitats et vous suggérer d'envisager dans toute la mesure du possible de prévoir un moment précis pour l'inscription, avant de faire intervenir les plans de rétablissement. Si c'est possible, vous devriez vous donner la possibilité en tant que ministre d'adopter des plans intérimaires.

Voici mon autre question. En tant que ministre, vous disposez de beaucoup de pouvoirs délégués en vertu de cette loi, non seulement dans le contexte du projet de loi lui-même mais aussi dans celui de la Loi sur les espèces sauvages au Canada. Je souhaitais simplement faire une mise en garde ici. Il serait peut-être bon que vous revoyiez cette délégation de pouvoirs en précisant la façon dont elle pourra s'exercer, car elle est très générale. Vous collaborez avec le gouverneur en conseil pour une bonne partie de vos autorisations, et vous avez aussi la possibilité de déléguer ces pouvoirs. J'aimerais que le ministre puisse conserver une certaine partie de ces pouvoirs et les exercer lui-même.

M. David Anderson: Merci beaucoup. En ce qui concerne les situations critiques, nous disposons des pouvoirs d'urgence prévus à l'article 80, qui se lit comme suit:

    80.(1) Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut prendre un décret d'urgence visant la protection d'une espèce sauvage inscrite.

    (2) Le ministre compétent est tenu de faire la recommandation s'il estime que l'espèce est exposée à des menaces imminentes pour sa survie ou son rétablissement.

Nous disposons donc de ces pouvoirs d'urgence prévus aux paragraphes 80(1) et (2). Tout cela se poursuit d'ailleurs pendant une page et demie, mais je ne vais pas vous lire tout le texte.

Pour ce qui est de la question de la délégation de pouvoirs, c'est effectivement toujours un problème dans les lois. Il faut toujours se servir de ces pouvoirs avec prudence et circonspection. Cela dit, je ne pense pas que cette délégation de pouvoirs concernant les espèces sauvages soit particulièrement inhabituelle, mais je me ferai un plaisir de la revoir de plus près comme vous le suggérez pour voir si c'est le cas.

• 1735

Je dois malheureusement garder un oeil sur mon horaire, comme on me le rappelle avec cette petite note, car j'ai un autre engagement à 17 h 45.

Le président: Avec votre indulgence, le comité aimerait bien encore vous poser une ou deux questions, après quoi, si vous le voulez bien, nous mettrons fin à ces questions. M. Mills en a une, et moi aussi.

M. Bob Mills: Très brièvement, à propos de la diligence raisonnable, je comprends bien que dans le cas d'une question comme celle qu'a posée mon collègue, quand on déverse un produit chimique dans une rivière et qu'il faut poursuivre une entreprise, la notion de diligence raisonnable va de soi. Mais j'en reviens à l'exemple de la famille d'agriculteurs qui partent labourer une terre qui sert d'habitat à une espèce sans se rendre compte qu'ils enfreignent la loi. Dans ce cas, je n'ai pas l'impression que la notion de diligence raisonnable s'applique, car vous êtes en train de dire qu'ils auraient dû être au courant. Mais personne ne leur a dit. Peut-être que le ministre de l'Environnement ou de la faune était au courant, mais on n'a pas prévenu l'agriculteur. À ce moment-là, c'est la notion de mens rea qui intervient, parce qu'il faut pouvoir prouver que c'est volontairement qu'ils l'ont fait. Dans ce cas, je pense que tout le monde serait d'accord pour qu'ils soient condamnés. Je souhaiterais donc que vous examiniez cette question.

Enfin, pouvez-vous nous donner la teneur du message que vous allez adresser à cette famille à propos de l'indemnisation, compte tenu du texte de l'article 64?

M. David Anderson: Pour ce qui est de l'indemnisation, je dois revenir à la première question que vous m'aviez posée et vous dire que je regrette de ne pas être en mesure de vous donner les précisions que vous me demandez.

Je pense néanmoins que votre demande est parfaitement légitime. J'aimerais bien pouvoir vous donner cette précision. Malheureusement, il se trouve que c'est une des choses qui nous ont échappé, et nous fonctionnons actuellement sur la base des cas particuliers. Nous allons préciser en quoi devrait consister la réglementation sur les droits. Pour l'instant, nous aurons une réglementation régissant l'application, mais non le droit.

Sur la question de la diligence raisonnable, sans être moi- même un juriste, je comprends qu'il y a certains inconvénients, mais je crois que dans le genre de situation que vous décrivez, où la personne est innocente, la loi comporte des dispositions pour éviter que des personnes se retranchent systématiquement derrière l'argument qu'elles n'étaient pas au courant, il y a toute cette question de l'opposition entre «savait» et «aurait dû savoir». Tout ce que je peux vous répondre sur cette question, c'est que je vais la transmettre à quelqu'un qui sera plus au courant que moi de tous les rouages de cet aspect du droit pénal. Heureusement, je n'ai jamais eu l'occasion personnellement de me trouver dans une telle situation et de voir comment les choses se passaient, et je ne me souviens pas non plus de ce qu'on m'a enseigné durant mes études de droit, donc je ne pense pas pouvoir vous aider. Mais je vais essayer de me renseigner.

M. Bob Mills: Beaucoup de personnes ont soulevé cette question.

M. David Anderson: Oui, je comprends. C'est un sujet de préoccupation légitime. L'accident, la destruction non délibérée, c'est une préoccupation, et il faut assurer au maximum la protection des personnes honnêtes et sincères qui commettent ce genre de chose simplement par erreur. Mais il y a aussi très souvent des personnes qui font ce genre de chose délibérément et qui prétextent ensuite l'ignorance, et c'est peut-être pour cela qu'on a prévu cette disposition.

Le président: Merci, monsieur Mills.

J'aurais une dernière petite question à vous poser: Seriez- vous d'accord pour appuyer une modification en vertu de laquelle il serait obligatoire d'identifier les habitats critiques dans le cadre d'un programme de rétablissement sans devoir passer par l'approbation du gouverneur en conseil?

M. David Anderson: Là encore, sans parler de la difficulté d'établir des dispositions obligatoires concernant l'habitat, la procédure normale consiste à passer par le gouverneur en conseil. Il me serait très difficile de vous donner cette garantie sans consulter mes collègues qui, comme les membres du comité me l'ont fait remarquer, ne sont pas toujours unanimes là-dessus. Nous ne sommes pas toujours exactement dans la même situation.

• 1740

Nous pourrions peut-être modifier de façon utile l'article 38 et les alinéas 41(1)c) et 49(1)a), où l'on trouve la formule «à moins qu'il ne soit impossible de la faire», à propos de la désignation de l'habitat essentiel de l'espèce. On dit que le programme de rétablissement doit comporter «la désignation de l'habitat essentiel de l'espèce, à moins qu'il ne soit impossible de la faire». On pourrait modifier cette dernière expression et dire par exemple que, si les scientifiques ne sont pas unanimes sur l'habitat essentiel, le programme de rétablissement ou le plan d'action devrait inclure... Je suis prêt à envisager diverses formules.

Nous pourrions apporter ce genre de modification. Il s'agit d'un domaine assez technique, et j'aimerais avoir le point de vue des rédacteurs juridiques. Mais si cette formule «à moins qu'il ne soit impossible de la faire» vous inquiète, je suis sûr que nous pourrions la modifier.

Le président: Monsieur le ministre, mes collègues et moi-même souhaitons vous remercier d'être venu comparaître aujourd'hui, et adresser aussi nos remerciements à Mme Brown et à votre loquace sous-ministre. Nous espérons avoir bientôt le plaisir de vous revoir.

La séance est levée.

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