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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 15 mars 2000

• 1606

[Traduction]

Le président (l'hon. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): La séance est ouverte. Nous reprenons aujourd'hui l'étude du projet de loi C-23, visant à moderniser le régime d'avantages et d'obligations dans les lois du Canada.

Nous recevons quatre groupes de témoins: la Fondation en faveur de l'égalité des familles; l'Association nationale de la femme et du droit et, à titre personnel, les professeurs Winifred Holland et Ted Morton.

Je vais me dépêcher car nous n'allons pas avoir beaucoup de temps. J'ai l'impression que nous allons être obligés de terminer à 17 h 30 ou peu avant car il y aura un vote. La règle veut que chaque groupe ou particulier dispose de 10 minutes et que nous ayons ensuite un échange entre les membres du comité et les témoins. Je vais être très strict sur le temps pour que tout le monde soit traité de façon équitable.

Je demanderais à la Fondation en faveur de l'égalité des familles, c'est-à-dire à Michelle Douglas, présidente, et Susan Ursel, membre du conseil d'administration, de commencer. Je répète, 10 minutes par groupe ou particulier, selon le cas. Allez-y.

Mme Michelle Douglas (présidente, Fondation en faveur de l'égalité des familles): Merci, monsieur le président, de nous offrir cette occasion de comparaître devant le comité. Je m'appelle Michelle Douglas et je suis présidente de la Fondation en faveur de l'égalité des familles. Je suis accompagnée de Susan Ursel, qui est membre du conseil et avocate spécialisée dans le droit du travail et des droits de la personne.

Certains ont peut-être déjà entendu mon nom. Je suis la femme qui, il y a quelques années, a mené sa bataille personnelle contre la discrimination lorsqu'elle a été renvoyée de l'armée parce qu'elle était lesbienne. Certes, j'ai la satisfaction de vous dire que mon procès s'est bien terminé puisque l'armée a abrogé sa politique discriminatoire contre les gais et lesbiennes. Je comprends donc très bien la question qui vous occupe aujourd'hui et je comprends le problème de la discrimination, non pas de façon abstraite mais au contraire comme quelque chose de très réel.

En tant que présidente de la Fondation en faveur de l'égalité des familles, je comprends cela aussi du point de vue juridique et c'est à cet égard que je m'adresse à vous aujourd'hui.

La Fondation en faveur de l'égalité des familles a été constituée en 1994. Notre mandat consiste à essayer d'obtenir que les familles homosexuelles soient traitées et reconnues de façon égale devant la loi. La fondation a demandé et obtenu le statut d'intervenant à nombre d'occasions dans plusieurs causes importantes traitant de la question des prestations aux familles homosexuelles et du traitement égal devant la loi. En particulier, la fondation est intervenue à la Cour suprême du Canada dans la cause Vriend. Nous avons aussi participé à la cause Rosenberg à la Cour d'appel de l'Ontario et, plus récemment, nous sommes intervenus pour le compte des lesbiennes et des gais comme intervenant désintéressé dans la cause M. c. H.

Des députés associeront peut-être le nom de la Fondation en faveur de l'égalité des familles à la poursuite que nous avons lancée en janvier 1999 contre le gouvernement fédéral. Nous cherchons à lutter contre la discrimination en faisant modifier quelque 58 lois afin que les familles et partenaires homosexuels aient précisément le même accès et soient traités de la même façon devant la loi. Nous ne sommes évidemment pas ici aujourd'hui pour parler de cette cause mais il est important de reconnaître le rôle de la fondation à cet égard.

Voilà ce que j'aurais maintenant à dire au sujet du projet de loi C-23. La fondation y est favorable. En fait, nous y applaudissons. Ce projet de loi élimine la nécessité pour les gais et les lesbiennes de lancer continuellement des poursuites à titre privé et de faire face au traumatisme coûteux, dans bien des cas non seulement du point de vue financier mais également du point de vue émotif, d'un tel exercice dont l'objet est simplement d'obtenir réparation en cas de discrimination. Ce projet de loi met fin à cela et c'est en effet une très bonne chose.

• 1610

Nous insistons sur le fait qu'à notre avis, il faut impérativement traiter en priorité les modifications à apporter à la Loi sur l'immigration. On a eu raison d'exclure ces modifications du projet de loi C-23, car elles méritent d'être traitées très minutieusement dans le cadre de délibérations distinctes, mais la question est d'autant plus urgente qu'il y a actuellement des familles qui sont séparées par des frontières internationales, et il faut donc remédier à la situation dans les plus brefs délais.

Enfin, l'adoption du projet de loi C-23 est une nécessité juridique en droit canadien, car elle aura pour effet de rendre toute la législation canadienne conforme à la Charte des droits et libertés. Le Canada est une démocratie constitutionnelle. Il régit non pas à la simple règle de la majorité, mais à la règle de la majorité dans un cadre juridique, celui de la loi suprême du pays, la Charte des droits et libertés. Le Canada, son gouvernement et ses citoyens sont tenus de protéger tous les individus, y compris les gais et lesbiennes, ainsi que nos familles.

Le projet de loi dont vous êtes saisis ne fait rien de plus que d'accorder aux lesbiennes, aux gais et à leurs familles les mêmes droits qu'à tous les autres citoyens. C'est ce qu'a décidé la jurisprudence à tous les niveaux depuis une dizaine d'années. Il est important de le répéter, ce projet de loi ne fait rien de plus que d'accorder aux familles de même sexe les mêmes droits qu'aux autres. Les lois actuelles enfreignent nos droits, et, fort heureusement, le projet de loi va remédier à cette situation.

En ce qui concerne les témoins qui critiquent le projet de loi, plusieurs d'entre eux appartiennent à cette école de pensée qui vise à défendre la famille hétérosexuelle traditionnelle. La Fondation en faveur de l'égalité des familles—vous remarquerez que cette appellation n'est pas une coïncidence—reconnaît qu'il faut défendre et aider toutes les familles, y compris celles de conjoints de même sexe. Ce qu'il importe de comprendre, et que ces témoins ne veulent pas comprendre, c'est que la famille n'est pas un jeu à somme nulle. Comme les autres familles, celles des conjoints de même sexe sont dignes d'être traitées sur un pied d'égalité, avec respect, et doivent être protégées devant la loi.

Ce que ce projet de loi accorde aux couples de même sexe n'enlève absolument rien aux familles traditionnelles. La jurisprudence confirme une tendance au renforcement des obligations et des liens familiaux aussi bien dans les familles de conjoints de même sexe que dans celles de conjoints hétérosexuels. L'inclusion des familles de couples de même sexe ne peut que renforcer le concept de famille dans une perspective juridique. Encore une fois, on n'enlève rien aux couples hétérosexuels.

En ce qui concerne les ménages et les familles, le droit ne crée pas la réalité sociale. Dans les faits, ce sont les gens qui créent la réalité sociale par leur mode de vie et par leurs choix. Les couples de même sexe, dont je fais partie, se sont rencontrés, sont tombés amoureux, ont créé des familles et font leur vie ensemble. Nous sommes des membres de la société, des citoyens de ce pays, et il importe de ne pas sous-estimer notre apport en tant que contribuables et notre statut de citoyens à part entière.

Je ne peux comprendre que l'État s'en prenne à la relation la plus importante pour moi et pour les gais et lesbiennes en refusant de la reconnaître tout simplement parce que nous sommes gais. Cette relation avec notre partenaire de même sexe est la relation la plus importante que nous ayons.

Ce qui est en jeu ici, ce ne sont pas simplement des exigences constitutionnelles; c'est une mesure qui doit absolument être prise. Le Canada s'est toujours distingué en tant que chef de file en matière de droits de la personne, et de ce point de vue, je ne peux qu'approuver ce projet de loi. La fondation reconnaît qu'il va réaffirmer ce rôle de chef de file du Canada en matière de droits de la personne.

Il a pour effet de confirmer le fait que les familles des couples de même sexe sont égales aux autres devant la loi. Cette reconnaissance est d'une importance essentielle, et c'est le bon sens même. Merci.

Le président: Madame Ursel, avez-vous l'intention de faire une déclaration?

Mme Susan Ursel (membre, Conseil d'administration, Fondation en faveur de l'égalité des familles): Non, je n'ai pas de déclaration à faire pour l'instant. Mme Douglas a présenté notre déclaration. Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Nous allons maintenant entendre l'Association nationale de la femme et du droit.

• 1615

[Français]

Mme Andrée Côté (directrice, Affaires juridiques, Association nationale de la femme et du droit): Bonjour. Je vais faire ma présentation en anglais parce que mon comité fonctionne en anglais et que mes notes sont toutes en anglais.

[Traduction]

Je m'appelle Andrée Côté. Je suis la directrice du Service de la législation et de la réforme juridique à l'Association nationale de la femme et du droit.

Ma collègue Anne Kettenbeil représente le Comité canadien d'action sur le statut de la femme. Nous sommes très déçues de voir que ce comité d'action n'a pas été invité à comparaître devant le comité, et nous avons décidé de partager notre temps avec lui.

Je serai très brève. Je sais que votre comité doit respecter les délais qui lui sont impartis, mais nous trouvons qu'il est essentiel que le comité entende le point de vue d'un organisme national qui regroupe plus de 700 groupes de femmes. Je vous remercie d'ailleurs de votre collaboration sur ce point.

L'Association nationale de la femme et du droit est un organisme national féministe à but non lucratif qui, depuis plus de 25 ans, travaille à l'amélioration du statut juridique des femmes au Canada grâce à la recherche, à la réforme du droit et à la vulgarisation du système juridique. Nous comptons parmi nos membres des avocats, des universitaires, des étudiants et des personnes qui se consacrent activement à la cause de l'égalité.

Les caucus nationaux de notre association ont comparu devant de nombreux comités parlementaires, commissions royales et groupes de travail sur différents sujets, notamment sur le droit de la famille, le droit fiscal, le droit du travail, la santé des femmes, le budget fédéral, et ils ont abordé de nombreux thèmes relatifs à la violence faite aux femmes, notamment la refonte du Code criminel. L'ANFD a joué un rôle important dans la constitutionnalisation des droits à l'égalité par le biais de la Charte des droits et libertés et a participé aux démarches des Nations Unies entourant l'adoption et la mise en oeuvre de conventions internationales garantissant l'égalité des femmes.

Compte tenu de nos intérêts, de notre expertise et de notre expérience dans les questions entourant l'égalité des femmes, nous sommes heureuses de comparaître devant votre comité dans le cadre de l'examen d'un projet de loi de modernisation.

Les lesbiennes sont des femmes qui doivent parfois supporter un lourd fardeau de préjugés, de mépris et de violence du seul fait qu'elles préfèrent vivre avec d'autres femmes. En avouant leur homosexualité, elles se mettent en situation de vulnérabilité et s'exposent à la désapprobation, à la discrimination et à la violence. Le silence et l'invisibilité sont souvent la seule stratégie viable, même si elle comporte elle aussi un lourd tribut et qu'elles nous placent en situation de constante vulnérabilité.

Les lesbiennes partagent des expériences spécifiques avec les femmes en tant que femmes. La sexualité lesbienne est systématiquement représentée sous une forme pornographique. Les lesbiennes se font violer, harceler sexuellement au travail, licencier quand elles sont enceintes et elles dépendent des allocations familiales. Nous partageons le statut social et économique des femmes. Les lesbiennes souffrent de la discrimination salariale sexiste et d'une division du travail dominée par les hommes. Nous ressentons les effets du racisme et nous vivons à la limite de la pauvreté. Le fait que nous soyons lesbiennes nous rend plus vulnérables aux différentes formes de discrimination, mais, paradoxalement, cela nous aide parfois à les affronter. Nous sommes des femmes qui, pour la plupart, sont délibérément sorties des limites imposées à notre sexe et pourtant, nous connaissons l'amour, nous établissons des relations, nous créons des familles et nous avons parfois des enfants. Les lesbiennes souhaitent obtenir la reconnaissance de leurs réalités individuelles et collectives, elles souhaitent vivre dans l'honneur et le respect. De ce point de vue, nous faisons nôtres les revendications universelles de dignité et de liberté. Ce projet de loi est une mesure symbolique importante de ce point de vue.

Le projet de loi C-23 vise a priori à reconnaître officiellement l'égalité des couples gais et lesbiens. Nous ne voulons pas minimiser la valeur de l'égalité formelle, mais ce projet de loi est incomplet et il ne tient pas ses promesses. En réalité, il maintient l'interdiction des mariages des couples de gais et de lesbiennes, bien que la Cour suprême ait déclaré que les gouvernements devaient respecter l'égalité des conjoints de même sexe. Nous dénonçons également les effets négatifs qu'aura ce projet de loi sur les droits à l'égalité véritable des lesbiennes.

L'ANFD n'a pas eu l'occasion d'étudier le projet de loi en profondeur, compte tenu du caractère expéditif de ces délibérations, mais nous nous inquiétons de l'absence de reconnaissance des droits à l'égalité des lesbiennes dans le droit de la famille, et de l'absence apparente de coordination entre les autorités fédérales, provinciales et territoriales quant aux réformes qui s'imposent dans les domaines de l'adoption, de la garde, du droit de visite, de la juste répartition des droits de propriété et des biens matrimoniaux, par exemple.

• 1620

L'ANFD craint que la modification de la définition des conjoints dans la Loi de l'impôt sur le revenu n'occasionne une rapine fiscale du gouvernement. Certaines lesbiennes vont payer moins d'impôt, mais d'autres vont en payer davantage, et le gouvernement va en sortir gagnant. En particulier, ce sont les couples ou les deux partenaires qui ont des revenus relativement faibles qui vont perdre le plus. Le droit au crédit d'impôt pour la TPS et à la prestation fiscale pour enfants est fondé sur le revenu conjoint du ménage, et ce droit diminue puis disparaît à mesure qu'augmente le revenu du couple. Des personnes à faible revenu qui bénéficient actuellement du crédit d'impôt pour la TPS à titre individuel vont le perdre. Les effets négatifs vont être durement ressentis par les lesbiennes, car en général, les femmes gagnent moins que les hommes. Les couples de lesbiennes dont une des partenaires est économiquement dépendante de l'autre vont bénéficier de l'inclusion de l'union de fait, car elles auront accès au crédit d'impôt des conjoints et les crédits d'impôt non utilisés pourront être transférés d'une partenaire à l'autre.

Nous craignons toutefois que ce projet de loi ait pour effet de forcer certaines lesbiennes à vivre suivant le modèle familial patriarcal, dans lequel un partenaire effectue le gros du travail non rémunéré de la famille et devient, ainsi, dépendant. À cause des compressions budgétaires gouvernementales dans les services publics, la demande est de plus en plus forte pour le travail non rémunéré traditionnellement accompli par les femmes, dans la famille. Les familles lesbiennes sont assujetties aux mêmes pressions, et auront désormais des raisons budgétaires, en plus des raisons juridiques, de structurer leurs familles comme les familles traditionnelles. Historiquement, cette répartition traditionnelle du travail n'a pas été avantageuse pour les femmes, en les mettant souvent dans une position de liberté économique restreinte, d'isolement social et de vulnérabilité à la violence conjugale. Les conjointes lesbiennes pourraient-elles être avantagées par ce modèle?

Dans le contexte actuel, où l'État s'appuie de plus en plus sur les familles et sur un des conjoints pour assurer la sécurité économique fondamentale pour les services sociaux, et où de récents arrêts de la Cour suprême dans le domaine du droit de la famille ont élargi la portée des obligations de soutien au conjoint après un divorce, il semblerait que les lesbiennes se retrouveront dans un régime où elles devront commencer à se poursuivre les unes les autres pour le soutien financier et les indemnisations.

Qu'est-ce qui encouragerait les lesbiennes à renoncer à leur revendication contre l'État et à se fier principalement à leur conjointe et à leur famille? C'est une question préoccupante en fait, pour toutes les femmes. D'après ce qu'on a constaté jusqu'ici, en obligeant les femmes à se tourner vers leur conjoint ou leur ex-conjoint pour la satisfaction de leurs besoins économiques et sociaux fondamentaux, on ne les incite pas à se prendre en main et on ne leur offre pas l'égalité, en plus de les rendre plus vulnérables aux abus de pouvoir et à la violence conjugale.

Le président: Je vous signale qu'il vous reste deux minutes. Si vous vouliez partager votre temps, il n'en reste que deux minutes.

Mme Andrée Côté: Cette approche garantit aussi qu'il n'y aura pas d'égalité entre les classes et les races. C'est pourquoi notre association estime qu'il faut réévaluer collectivement le rôle du mariage dans la société canadienne, à la lumière de la charte et des obligations accordées par les droits de la personne au niveau international à des programmes de sécurité sociale de base.

Nous recommandons qu'à tout le moins, un préambule soit ajouté au projet de loi, où l'on reconnaîtrait les discriminations passées à l'endroit des lesbiennes, les types concrets de discriminations actuelles et l'importance d'intégrer non seulement une égalité officielle, mais une démarche qui reconnaîtrait une égalité de fond.

Je m'arrête ici et je donne la parole à ma collègue.

Le président: Merci beaucoup.

Mme Anne Kettenbeil (porte-parole, Association nationale de la femme et du droit): Je ne crois pas utile de vous présenter le Comité canadien d'action, sinon pour vous rappeler, puisque vous semblez l'avoir oublié, que le comité représente 740 organisations féminines du pays, soit plus de 3 millions de femmes. Il est important que le comité consacre peut-être plus que deux minutes à mes propos. Je vous demande d'être tolérants et de me donner, peut-être, cinq minutes, pour que je puisse vous présenter cet exposé.

Le président: Excusez-moi, mais pour respecter l'égalité dont on parle ici, des règles ont été fixées. Nous vous accorderons une certaine latitude, mais je vous prie de ne pas exagérer.

Mme Anne Kettenbeil: Non. Je vous remercie beaucoup.

[Français]

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Je suis d'accord pour que l'on donne cinq minutes au Comité canadien d'action sur le statut de la femme et que l'on réduise mon temps de deux minutes.

Mme Anne Kettenbeil: Merci beaucoup. Je m'excuse, car la présentation que je vais faire sera en anglais. Je n'ai pas encore eu le temps d'en faire la traduction et je demande au député du Bloc québécois de m'en excuser. Je suis de Québec et je fais normalement l'effort de faire ma présentation dans les deux langues, mais ce n'est pas le cas cette fois.

• 1625

Le président: Monsieur Saada.

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Il y a des gens qui ne sont pas du Bloc québécois et qui auraient aussi apprécié avoir la version française.

Mme Anne Kettenbeil: Je vous remercie beaucoup. Donc, à tous les membres du comité, je présente mes excuses. Vous faites bien de me corriger.

[Traduction]

Le Comité canadien d'action représente plus de 3 millions de femmes et bien entendu, nos membres comptent aussi bien des hétérosexuelles que des homosexuelles. Je crois que notre comité reflète la diversité de la société canadienne, malgré ce qu'on a pu en dire. Les lesbiennes sont présentes partout dans cette diversité de la composition du Comité canadien d'action, comme au sein de la société canadienne. C'est pourquoi nous tenons officiellement à reconnaître l'importante contribution qu'ont apportée les lesbiennes à l'avancement de la cause de l'égalité pour toutes les femmes, et affirmons que cette égalité totale doit aussi être accordée à toutes les lesbiennes et les gais du pays, et tout de suite.

J'ai un mémoire, que je vous distribuerai tantôt. Dans ce mémoire, je parle de droits de la personne visant les lesbiennes en signalant que les lesbiennes sont la seule catégorie de femmes canadiennes qui ne profitent pas de toute la protection de la loi ni de l'égalité conférée par la loi, et que le projet de loi C-23 est un pas dans la bonne direction pour remédier à cette injustice historique.

Je vous parlerai ensuite de la question de l'homophobie au sein de la société canadienne et de son effet sur les gais et lesbiennes, plus particulièrement sur les lesbiennes de cette société.

Pour ceux d'entre vous qui n'ont pas encore entendu la définition de l'homophobie, il s'agit d'une crainte ou d'une antipathie déraisonnable à l'égard des homosexuels et de l'homosexualité. Cela, ajouté à l'hétérosexisme, est au coeur de la discrimination dont font l'objet les lesbiennes et les hommes gais.

Je fais valoir dans mon texte que l'homophobie est fondée sur des facteurs irrationnels; qu'un demi-siècle de recherche en psychiatrie ont confirmé systématiquement que les lesbiennes et les gais font partie de l'expression normale de la diversité naturelle de la sexualité humaine; qu'aucune recherche scientifique sérieuse où que ce soit ne vient étayer les stéréotypes fallacieux selon lesquels les homosexuels et les lesbiennes sont anormaux d'une manière quelconque.

Je veux aussi signaler au comité les conséquences négatives très graves aux plans social, psychologique et médical qu'a l'homophobie pour les lesbiennes et les gais, particulièrement chez les jeunes.

Je vais vous donner quelques chiffres sur les jeunes, puisqu'il est à mon avis très important que vous connaissiez ces statistiques. Beaucoup d'études ont permis de constater qu'il y avait un taux de suicide très élevé chez les jeunes gais et lesbiennes. D'après certaines études, il y a chez les jeunes gais et lesbiennes de 10 à 16 ans une occurrence de tentatives de suicide de 42 p. 100. C'est une situation très grave. D'autres études ont démontré une disproportion de jeunes gais et lesbiennes identifiable chez les jeunes suicidés, soit un tiers des suicidés. Si les causes de cette manifestation d'une dépression et d'un désespoir graves ne sont ni biologiques ni pathologiques, comme le montrent les recherches scientifiques, il faut alors chercher la cause ailleurs.

M. Eric Lowther (Calgary-Centre, Réf.): J'invoque le Règlement, monsieur le président.

Ce témoin parle depuis quelque temps déjà, et ne fait pas partie de la liste des témoins approuvés. Je comprends qu'un député bloquiste a donné une partie de son temps à ce témoin pour qu'elle puisse parler. Je me demande s'il s'agit là d'un précédent, pour le comité? Si je cède moi aussi de mon temps prévu pour les questions, pourrons-nous recevoir au comité des témoins que nous n'avons pu accueillir jusqu'ici?

Le président: Ce qu'un membre du comité fait de son temps, c'est son affaire. Pour l'instant, je...

Il vous reste une minute.

M. Svend J. Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Monsieur le président, au sujet du même rappel au Règlement, si vous le permettez, je crois que rien n'empêche M. Lowther de faire ce qu'il propose. S'il veut céder de son temps, bon nombre d'entre nous ne s'y opposeront pas.

Pour ce qui est du présent témoin qui comparaît devant le comité, le président sait que j'estime que le Comité canadien d'action aurait dû être entendu séparément, comme témoin, et qu'à tout le moins, j'espère qu'il tiendra compte du statut de cet organisme. Dans le même esprit, je suis prêt à céder une ou deux minutes de mon temps pour qu'elles profitent au témoin, si cela lui permet de terminer son exposé.

Mme Anne Kettenbeil: Merci.

M. Eric Lowther: Est-ce un précédent, monsieur le président, que l'on puisse céder de son temps pour écouter de nouveaux témoins?

• 1630

Le président: Si le président donne la parole à un député pour sept minutes, et que le député veut parler au témoin pendant sept minutes, je ne peux rien contre cela.

M. Eric Lowther: Même s'il s'agit de témoins qui ne sont pas actuellement sur notre liste?

Le président: Non.

M. Eric Lowther: Le témoin que nous écoutons actuellement ne fait partie de la liste des témoins approuvés.

Le président: Ce témoin est ici à l'invitation de l'Association nationale de la femme et du droit, comme on l'a expliqué au début. Elle ne représente pas le Comité canadien d'action comme témoin de la liste.

M. Eric Lowther: Soyons bien clairs: pour le comité, si un autre témoin se fait accompagner par quelqu'un et que je cède de mon temps, ce nouveau témoin pourra utiliser le temps cédé pour s'adresser au comité.

Le président: C'est exact.

M. Eric Lowther: Très bien.

Le président: Une minute.

Mme Anne Kettenbeil: Une minute?

Le président: Lorsque nous ferons un tour de table, vous aurez plus de temps pour vous exprimer, étant donné que les membres du comité ont indiqué qu'ils voulaient vous donner plus de temps, mais pour que le processus se déroule comme nous l'espérions, nous devrons...

Mme Anne Kettenbeil: Le mémoire traite aussi abondamment des relations lesbiennes, de la stabilité et du caractère exclusif de ces relations et du fait que les relations lesbiennes représentent un modèle très unique de partage du pouvoir qui se distingue du modèle hétérosexuel. Si les lesbiennes souhaitent que le projet de loi C-23 soit adopté, ce n'est pas parce qu'elles veulent émuler le modèle hétérosexuel mais plutôt pour avoir une reconnaissance sociale et légale de la valeur de leur relation.

En ce qui concerne nos observations à propos du projet de loi C-23, il y a une certaine partie du mémoire qui est semblable aux observations que nous avons formulées en ce qui concerne la TPS. Nous encourageons le comité et le gouvernement canadien à faire une analyse de ce projet du point de vue du fossé qu'il crée entre les sexes. Une simple étude superficielle du projet de loi indique déjà qu'il entraînera certaines inégalités pour les lesbiennes, auxquelles il faut remédier.

Il faut se pencher sur toute la question de l'immigration, et nous encouragerons le ministre de l'Immigration à s'engager à prendre les mesures pour rendre ce projet de loi conforme à la charte.

Il y a également une partie du texte de loi que le Comité d'action considère extrêmement importante, c'est la question de la protection de la vie privée. Il s'agit d'un aspect particulièrement gênant de l'adoption de ce projet de loi qui s'intitule Loi visant à moderniser le régime d'avantages et d'obligations. À savoir, les obligations de la loi... qui l'emportent sur les avantages dans une société où existe un préjugé antihomosexuel archaïque. Puis...

Le président: Pourriez-vous revenir là-dessus plus tard? Lorsque nous ferons un tour de table, d'autres membres vous donneront plus de temps, mais dans l'intérêt des autres témoins et du fait que nous risquons de manquer de temps, je pense qu'il est très important que nous entendions d'abord tout le monde.

Nous poursuivons donc...

Mme Anne Kettenbeil: Il y a simplement deux autres recommandations qui ne prendront qu'une minute.

Le président: Vous aurez l'occasion de revenir sur cette question je vous le promets. Nous avons été généreux.

Mme Anne Kettenbeil: Très bien. Je vous remercie.

Le président: Professeure Winifred Holland, 10 minutes, s'il vous plaît.

Mme Winifred Holland (témoignage à titre personnel): [professeure, Faculté de droit, Université Western Ontario] Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs du comité, de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous.

Mon intérêt pour le projet de loi C-23 découle d'un intérêt de longue date pour le droit concernant le mariage et la cohabitation, et en fait il s'agit de mon principal domaine d'intérêt depuis les 20 à 30 dernières années. Donc le projet de loi C-23 m'intéresse tout particulièrement.

En passant, j'ai effectivement un mémoire, qui a été circulé plus tôt, mais je crois comprendre qu'il n'a pas encore été traduit. Le greffier m'a indiqué qu'il devrait être disponible dans les prochains jours. Donc je vais vous parler de mon mémoire, mais je crois comprendre que vous l'aurez sous peu.

J'applaudis à l'initiative du gouvernement qui a présenté le projet de loi C-23. Je pense qu'il s'agit d'une initiative gouvernementale très opportune et j'applaudis en général à ses objectifs. Je pense que l'autre solution consiste à attendre une foule de contestations de chaque texte de loi en vertu de la charte. Cela est de toute évidence peu souhaitable compte tenu du facteur temps que cela comporte et du coût, tant personnel que financier, qu'entraînent les contestations en vertu de la charte. Donc j'estime qu'il s'agit d'une très bonne chose que le gouvernement, à la lumière de la décision M. c. H., ait pris cette initiative.

Je vais maintenant formuler certaines critiques à l'endroit du projet de loi. Il comporte certains aspects qui posent problème et auxquels il faut à mon avis remédier.

• 1635

Ma principale réserve à l'égard du projet de loi, c'est qu'il crée une nouvelle catégorie de couples de fait, ce que j'ai trouvé assez étonnant. Je préciserai simplement que dans mon mémoire, aux pages 5 et 6, je résume les principaux problèmes qu'entraîne la création d'une nouvelle catégorie de couples de fait.

Au cours des 30 dernières années, on a fait de moins en moins de distinctions entre le mariage et la cohabitation et que les décisions récemment rendues par les tribunaux dans le contexte de la charte ont accentué cette tendance. La décision prise dans le projet de loi C-23 d'inscrire le mariage et la cohabitation dans des catégories distinctes représente un courant contraire. C'est ma première critique.

En deuxième lieu, cette mesure va à l'encontre des changements législatifs concernant les concubins. En général, lorsqu'on a modifié les dispositions de la loi pour les étendre aux concubins, on l'a fait en leur appliquant les mêmes dispositions qu'aux conjoints mariés plutôt qu'en les reléguant dans une catégorie à part.

Ce sont deux considérations que j'examine en détail dans mon mémoire. Telles sont mes principales remarques.

Il y a en aussi une troisième. Comme le projet de loi C-23 confère aux concubins de sexe opposé et du même sexe les mêmes avantages et les mêmes obligations qu'aux conjoints mariés, il semble inutile de créer une catégorie à part de conjoints de fait. Le terme «conjoint» devrait couvrir ces divers types de relations.

Enfin, la décision de considérer à la fois les couples hétérosexuels et les couples de même sexe comme des conjoints de fait ne tient pas compte de ce que la plupart des couples hétérosexuels peuvent se marier et qu'un grand nombre choisissent de ne pas le faire pour diverses raisons tandis que les conjoints de même sexe ne sont pas en mesure... n'ont pas la possibilité de se marier. En plaçant tous les concubins dans la même catégorie, on ne tient pas compte de cette distinction. Je trouve assez paradoxal qu'alors qu'on désigne comme «conjoints» les concubins hétérosexuels dont un bon nombre ont décidé de ne pas se marier, on semble hésiter à employer ce terme pour les partenaires de même sexe dont un grand nombre préféreraient se marier s'ils le pouvaient.

Toutefois, mes principaux arguments concernent les deux éléments susmentionnés. Le premier est la tendance générale à associer le mariage et la cohabitation dont je voudrais parler un peu plus en détail. Je crois que le projet de loi C-23 va à l'encontre de cette tendance générale. Dans mon mémoire j'examine les faits nouveaux concernant la cohabitation de personnes de sexe opposé et certaines décisions importantes comme l'arrêt Miron c. Trudel qui ont reconnu le peu de différence entre le mariage et la cohabitation. En fait, les tribunaux vont se prononcer sur d'autres cas de ce genre. Pour le moment, il existe très peu de distinction entre le mariage et la cohabitation hétérosexuelle et l'on conteste actuellement les distinctions restantes en invoquant la charte. Les tribunaux se penchent actuellement sur d'autres contestations judiciaires et nous avons toutes les raisons de croire que les requérants obtiendront gain de cause.

Pour ce qui est des couples de même sexe, je crois que la tendance générale de ces dernières années a été de leur accorder la même considération qu'aux conjoints de sexe opposé, comme en témoigne l'arrêt rendu dans M. c. H., des jugements précédents comme Egan, Vriend et, enfin, bien entendu, M. c. H.

Je présente ces événements sous la forme d'un syllogisme, à la page 9 de mon mémoire, où je dis que si vous prenez les arrêts Miron c. Trudel et M. c. H., la conclusion à tirer est la suivante: a) il est contraire à la charte de faire une distinction entre le mariage et la cohabitation de personnes de sexe opposé; b) il est contraire à la charte de faire une distinction entre la cohabitation de personnes de même sexe et de sexe opposé; et par conséquent—et c'est la dernière partie du syllogisme—c) il est contraire à la charte de faire une distinction entre le mariage et la cohabitation, que les conjoints soient de sexe opposé ou de même sexe.

Je réfute le document d'information sur le projet de loi C-23 où il est dit qu'il existe une distinction très claire entre le mariage et la cohabitation. Je le conteste. Je crois que cela se fonde sur une fausse hypothèse. Ces dernières années, il y a eu convergence du mariage et de la cohabitation et c'est là une tendance générale. Selon moi, en créant une nouvelle catégorie de conjoints de fait, le projet de loi C-23 va contre cette tendance au lieu de la suivre.

M. Svend Robinson: Vous parlez de cohabitation conjugale, n'est-ce pas?

Mme Winifred Holland: Toutes les formes de cohabitation.

M. Svend Robinson: Je voudrais des précisions.

Mme Winifred Holland: Je pense qu'il y a une convergence entre la réalité du mariage et celle de la cohabitation. Il y a de moins en moins de différence entre les deux. Contrairement à ce que l'on voit ici, on ne devrait pas faire de distinction entre le mariage d'un côté et une union de fait de l'autre, car on oppose les deux groupes et cela va l'encontre de la tendance à la convergence.

• 1640

En outre, à mon avis, cela va en sens inverse de l'évolution générale des modifications législatives. J'ai été très étonnée en fait de constater que les concubins de sexe opposé avaient perdu du terrain dans les dispositions de ce projet de loi-ci. Depuis 20 ans, il était d'usage de désigner par le terme «conjoints» les personnes mariées et les concubins de sexe opposé. Je constate que désormais nous délaissons le terme «conjoint» et nous créons une nouvelle catégorie. Cela est régressif par rapport à la tendance que l'on constate actuellement dans les modifications législatives.

Dans mon mémoire, aux pages 11 et 12, je cite certaines dispositions en particulier, notamment des dispositions de la Loi de l'impôt qui sont en fait mentionnées dans le projet de loi C-23. Quand la Loi de l'impôt a été modifiée en 1993, la définition du terme «conjoint» a été élargie pour viser les concubins de sexe opposé. Les dispositions du projet de loi C-23 abrogent cette modification car les concubins hétérosexuels cesseront d'être des conjoints et deviendront désormais des conjoints de fait. Encore une fois, cela va à l'encontre de la tendance qui jusqu'à présent voulait élargir la définition du terme «conjoint». Je donne aussi d'autres exemples. Il y a des dispositions semblables dans les conditions du Régime de pensions du Canada.

Comme je vous le disais tout à l'heure, j'ai été renversée de constater que les concubins hétérosexuels perdaient du terrain. Cela semble contraire à toutes les tendances que nous avons connues jusqu'à présent.

Il est vrai que dans une loi récemment adoptée en Colombie- Britannique, les couples homosexuels ont été également inclus dans la définition du terme «conjoint». Je ne vois absolument pas pourquoi on ne pourrait pas utiliser le terme «conjoint» pour les époux mariés, les couples hétérosexuels et homosexuels. C'est un terme qui convient parfaitement pour définir toutes ces catégories. J'ai été très étonnée. Il semble que l'on ramène un vestige du passé en introduisant cette notion d'union de fait.

Je pense qu'il y a plus qu'un symbole dans le cas qui nous occupe. À mon avis, il y a le début d'un problème. Selon moi, pour le résoudre il faudrait revenir à un langage neutre. Ou bien on utilise le terme «conjoint» pour tout le monde ou bien on utilise des termes comme «survivant» ou «membre de la famille» ou d'autres termes véritablement neutres et ce dans toutes les lois, afin de cesser de faire sans cesse des distinctions. On essaie toujours d'établir deux catégories: les époux mariés d'un bord et les conjoints de fait de l'autre. Pourquoi toujours mettre l'accent sur les différences plutôt que sur les points semblables? L'utilisation de ce vocabulaire maintient subtilement la différence et l'inégalité. Selon moi, le moment est tout à fait opportun pour que nous procédions à un réexamen de la terminologie utilisée.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Morton, 10 minutes.

M. Ted Morton (témoignage à titre personnel): [professeur, Université de Calgary] Merci.

J'ai des exemplaires de mon mémoire. Voulez-vous que je les fasse distribuer?

Le président: Je pense que les membres du comité les ont reçus.

M. Ted Morton: Si quelqu'un en veut un je vais...

Le président: Encore une fois, il faut que j'explique très très rapidement nos règles. Si les documents ne sont pas disponibles dans les deux langues officielles, le président ou le greffier ne les distribueront pas. Toutefois, si les membres du comité s'adressent aux témoins et que les témoins leur en fournissent des exemplaires, eh bien soit. Toutefois ces documents ne seront pas disponibles officiellement par notre entremise à moins qu'ils ne soient disponibles dans les deux langues officielles. Le vôtre ne l'est pas.

M. Ted Morton: L'avez-vous reçu hier par télécopieur?

Le greffier du comité: Oui, monsieur.

M. Ted Morton: Très bien.

Merci de m'avoir invité ici aujourd'hui pour vous parler du projet de loi C-23. Pour éviter de prendre trop de temps et de sortir de mon champ de compétence, je me limiterai dans mon exposé préliminaire à trois grandes questions. Premièrement, le projet de loi C-23 est-il rendu nécessaire en quelque sorte à cause de la Charte des droits?

M. Svend Robinson: Monsieur le président, je ne veux pas interrompre le témoin, et je ne veux certainement pas lui enlever de son temps de parole, mais je me demande simplement si M. Morton à l'intention de nous parler un peu, dans le temps qui lui est imparti, de ce qui fait sa compétence relativement à ce sujet.

M. Ted Morton: Il suffit de lire le mémoire.

Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Et il devrait en être de même du professeur de droit de Western—vous pourriez nous dire ce que vous enseignez à Western.

M. Svend Robinson: Oui, ce serait utile de le savoir.

Mme Aileen Carroll: Nous n'avons que vos noms. Ce serait très utile.

Le président: D'accord, merci. Nous prendrons le temps, quand M. Morton aura terminé, de corriger le compte rendu dans le cas des autres intervenants.

Monsieur Morton, vous pourriez peut-être vous présenter comme on vous l'a demandé.

M. Ted Morton: J'enseigne la science politique à l'Université de Calgary depuis 1981. J'ai obtenu mon doctorat de l'Université de Toronto. Ma thèse de doctorat portait sur l'égalité des sexes au sein de la famille. J'ai publié environ cinq livres et plus de 50 articles sur les tribunaux et les droits, la plupart portant sur des sujets canadiens.

• 1645

En 1995, j'ai été choisi par le CRSH comme boursier national Bora Laskin pour la recherche en droits de la personne. En 1997, j'ai aidé à créer un groupe qui s'appelle l'Alberta Civil Society Association. Nous sommes un groupe de défense politique qui a milité relativement à un certain nombre de droits: le droit de vote pour les détenus, le jugement Vriend concernant les droits des gais. Je crois que c'est tout. Puis, en 1998, j'ai été élu comme l'un des deux sénateurs désignés de l'Alberta.

Le président: Merci.

M. Ted Morton: Les trois questions que je traite dans mon mémoire... Je vais me contenter de résumer ce que je dis dans mon mémoire. Le projet de loi C-23 est-il rendu nécessaire en quelque sorte par la Charte des droits? Le projet de loi C-23 vise-t-il à favoriser la tolérance et à mettre fin à la discrimination? Et, troisièmement, le projet de loi C-23 est-il bon pour les enfants et les familles? En résumé, la réponse que je fais à chacune de ces questions est non. J'incite fortement le Parlement à reporter l'adoption du projet de loi C-23 tant que cette mesure n'aura pas fait l'objet de consultations plus exhaustives, tant avec des experts en la matière qu'avec la population canadienne.

Je dis notamment dans mon mémoire que, compte tenu du nombre de votes que le gouvernement au pouvoir a reçus aux dernières élections, il serait inacceptable qu'il poursuive ces efforts pour faire adopter ce projet de loi. Ce qu'il lui faudrait plutôt faire, si tant est, comme le laisse entendre le ministre de la Justice, que ce projet de loi est nécessaire et conforme aux normes constitutionnelles de la population canadienne, c'est laisser à la population canadienne le soin d'en décider par la voie d'un référendum qui serait tenu en même temps que le prochain scrutin.

Premièrement, le projet de loi C-23 est-il rendu nécessaire en quelque sorte par la Charte des droits? Le ministre de la Justice et d'autres représentants du gouvernement continuent à insister pour dire qu'il l'est. Je soutiens qu'il n'en est rien. L'orientation sexuelle a été expressément exclue de la charte quand elle a été rédigée en 1981. En allant à l'encontre de cette intention exprès des rédacteurs de la charte, la Cour suprême a, selon moi, abusé de son pouvoir d'examen judiciaire, et il faudrait ou bien passer outre à sa décision à cet égard ou bien l'annuler en invoquant la clause de dérogation prévue à l'article 33.

L'article 15, qui est l'article de la charte qui énonce les droits à l'égalité, ne protège pas l'homosexualité. L'orientation sexuelle n'est pas incluse au nombre des motifs de discrimination interdits, et il ne s'agit pas là du fruit du hasard. Les défenseurs des droits des homosexuels n'ont pas ménagé leurs efforts pour faire en sorte que la charte protège l'orientation sexuelle. M. Robinson a d'ailleurs proposé en 1981 des amendements au Comité mixte sur la Constitution afin que l'orientation sexuelle soit ajoutée à la liste des droits devant être protégés. Le ministre de la Justice de l'époque, en l'occurrence M. Chrétien, a déclaré, non pas une fois mais sept fois, que son gouvernement ne voulait pas des mots «orientation sexuelle» dans la charte. Le 29 janvier 1981, le Comité mixte de la Chambre et du Sénat sur la Constitution a rejeté l'amendement de M. Robinson par 22 voix contre 2. Il me semble qu'on ne pouvait pas être plus clairs.

Donc, non seulement l'orientation sexuelle n'est-elle pas protégée par l'article 15 mais c'est sciemment, comme l'historique de la charte le montre, que les rédacteurs l'en ont exclue.

J'estime que les juges ont tort d'ajouter à cet article de la charte un motif sciemment exclu. Si les juges peuvent réécrire la charte pour qu'elle dise une chose un jour et son contraire le lendemain, nous ne serons plus gouvernés par la suprématie constitutionnelle mais par la suprématie judiciaire. C'est d'ailleurs précisément la raison pour laquelle l'article 33 figure dans la Charte des droits. Vous trouverez des renseignements complémentaires sur cet article 33 dans mon mémoire.

Deuxièmement: La tolérance et la discrimination sont-elles les objets du projet de loi C-23? Même si la Charte des droits ne rend pas nécessaire d'une certaine manière le projet de loi C-23, certains prétendent—et certes c'est ce que semblent prétendre la majorité des autres témoins ici présents—que cette mesure législative demeure souhaitable en elle-même pour promouvoir la tolérance et mettre fin à la discrimination contre les homosexuels. C'est une prétention que je conteste également. Le projet de loi n'a pas pour objet la tolérance. La tolérance, au sens strict du terme, c'est permettre une conduite autrement désapprouvée. Ce n'est pas contraindre ceux qui la désapprouvent à l'approuver ou encore moins les punir s'ils continuent à la désapprouver. Il y a toutes sortes de choses que nous tolérons—la prostitution, la pornographie, le tabagisme, l'abus d'alcool—mais que nous continuons à ne pas avaliser, encore moins à financièrement encourager.

Prétendre que le projet de loi C-23 est nécessaire pour mettre fin à la discrimination est également faux. Selon le dictionnaire, discriminer c'est simplement faire des distinctions raisonnables. Ce que la charte interdit ce n'est pas la discrimination en soi, mais les lois fondées sur des distinctions déraisonnables, telles qu'elles sont définies à l'article 15. Comme les tribunaux ne cessent de le répéter, traitement inégal ne veut pas forcément dire traitement déraisonnable. Les 160 textes législatifs affectés par le projet de loi C-23 ont pour objet d'aider les familles en consolidant la notion de famille naturelle. Ces lois discriminent en faveur des familles naturelles, des couples hétérosexuels—à la fois mariés et de fait—parce que ce sont les unions hétérosexuelles qui produisent des enfants. Cette distinction faite par les gouvernements est parfaitement raisonnable.

• 1650

Les fondateurs intellectuels du libéralisme moderne reconnaissent le rôle positif de la famille naturelle. Les dernières recherches en sciences sociales telles que les travaux de Robert Putnam sur la société civile, de Sara McLanahan de l'université Princeton et de David Popenoe de l'université Rutgers insistent toutes sur l'importance de l'intégrité de la famille biparentale pour l'équilibre des enfants.

Les conclusions de ces dernières recherches confirment le vieil adage selon lequel un enfant à toutes les chances de devenir un adulte productif, responsable et heureux s'il est élevé dans une famille où il y a à la fois une mère et un père. Les sociétés stables ont tout intérêt à encourager ce genre de famille. Le régime juridique actuel confère certains avantages aux couples hétérosexuels pour encourager la responsabilité parentale.

Enfin, si l'objet du projet de loi C-23 est ni l'égalité ni la tolérance, quel est son objet? Bien entendu, je ne peux lire dans les pensées du premier ministre ni de la ministre de la Justice, mais je peux lire et j'ai lu le programme du mouvement des droits des homosexuels parce que personne ne peut l'ignorer. Vous pourrez le retrouver dans les articles d'examen judiciaire cités dans mon mémoire. Ce programme est beaucoup plus ambitieux qu'un simple traitement égal des personnes, comme dans l'affaire Delwin Vriend, ou des couples, comme dans l'affaire M. c. H. Comme l'a dit Didi Herman, professeure de droit, lesbienne influente et militante féministe: «La réforme du droit fait partie d'une bataille idéologique et lutter contre les définitions de mariage et de famille c'est résister à l'hégémonie hétérosexuelle.» Il ne s'agit donc pas simplement de définitions juridiques; c'est une tentative de modification de la politique publique en changeant la terminologie juridique. Je cite un certain nombre d'autres exemples de ce genre.

Contrairement aux grands discours sur l'homophobie, la vraie cible du mouvement des droits des homosexuels est la famille traditionnelle. Je crois que c'est en fait ce qu'ont indiqué plusieurs autres intervenants cet après-midi. La famille traditionnelle est décriée comme «pivot idéologique de la suprématie hétérosexuelle».

Puisqu'une attaque directe contre la famille traditionnelle susciterait trop d'opposition, les activistes homosexuels ont adopté ce que j'appellerais la stratégie du cheval de Troie, c'est-à-dire des droits égaux aboutissant à des mariages de même sexe. Au centre de cette stratégie, la notion que la famille hétérosexuelle n'est pas fondée sur la nature, mais bien sur une convention. Comme le Pr Bruce Ryder, qui apparemment doit comparaître la semaine prochaine, l'a écrit: «Le privilège hétérosexuel est élaboré socialement et légalement, et par conséquent, il peut être démantelé socialement et légalement.» Et de toute évidence, c'est ce que les causes mentionnées aujourd'hui ont tenté de faire.

La clé de ce démantèlement, c'est la légalisation du mariage homosexuel. Comme l'a dit Peter Rusk, un autre activiste: «En sanctionnant les relations de même sexe, l'État légitimiserait ces relations socialement dans une large mesure.»

Jody Freeman, autre activiste, observe: «En reconnaissant le mariage entre les homosexuels, hommes ou femmes, on révolutionnerait sa signification», etc., etc.

Le gouvernement refuse de reconnaître que le projet de loi C- 23 concerne le mariage homosexuel, et bien sûr, du point de vue purement technique, c'est exact. Toutefois, ce refus est contredit par la stratégie d'acquisition progressive de droits qui a été celle des homosexuels depuis 10 ans. Quand j'examine le processus qui nous a menés où nous en sommes aujourd'hui, où on a commencé par ajouter l'orientation sexuelle aux lois relatives aux droits de la personne, puis ensuite aux relations privées, pour les étendre maintenant aux prestations publiques, quand je vois ce qui s'est passé au cours des 10 dernières années, je me demande si nous pouvons vraiment refuser de voir que le mariage est la prochaine étape. Et si le gouvernement ne le reconnaît pas, les activistes homosexuels le font certainement, de même en fait que certaines autres personnes ce matin.

Dans un mémoire distribué sur Internet le jour même où la Cour suprême a publié sa décision dans l'affaire M. c. H., Doug Elliott, qui représentait la Fondation en faveur de l'égalité des familles, se félicitait, ainsi que tous les autres stratèges canadiens pour les droits des homosexuels, pour avoir pris ce qu'il appelait: «une démarche progressive» et pour avoir évité l'erreur des activistes américains qui avaient décidé que c'était «le mariage homosexuel ou rien». Par conséquent, que le gouvernement s'en rende compte ou pas, le projet de loi C-23 est la prochaine étape. Pour cette raison, je recommande qu'on ne le retienne pas.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Nous allons maintenant faire un tour de questions. Certaines personnes ont demandé que les témoins préfacent leur réponse par une explication de ce qu'ils enseignent et ainsi de suite. Je ne veux pas perdre trop de temps à le faire maintenant.

• 1655

M. Lowther a sept minutes.

M. Eric Lowther: Merci.

Ma première question s'adresse à l'Association nationale de la femme et du droit. Vous n'avez probablement pas besoin de préciser qui vous êtes, sinon...

Mme Susan Ursel: Nous ne sommes pas de l'Association nationale de la femme et du droit. En fait, les représentantes de l'association sont là-bas. Peut-être cela devrait-il être précisé.

M. Eric Lowther: Michelle...

Mme Susan Ursel: Elle appartient à la Fondation en faveur de l'égalité des familles.

M. Eric Lowther: D'accord, dans ce cas je vais m'adresser à Andrée. Merci pour cette précision; j'aurai d'autres questions pour l'association tout à l'heure.

Mme Susan Ursel: En fait, ce n'est pas l'association, c'est la fondation.

M. Eric Lowther: Merci. C'est bon de préciser ce genre de chose.

Je m'adresse donc à l'Association nationale de la femme et du droit; j'aimerais savoir quelle est votre définition du terme «conjugal», relation conjugale. Le projet de loi C-23 pose des conditions, et pour avoir droit à des prestations, il faut qu'une relation conjugale existe. D'après le dictionnaire canadien du droit, que j'ai ici, il s'agit des droits d'une personne mariée, y compris l'intimité des relations domestiques. D'après le dictionnaire Oxford, conjugal signifie qu'il y a union sexuelle.

Dans le contexte du projet de loi C-23, avec concision si vous le voulez bien, quelle est à votre avis la définition de conjugal? À qui cela s'applique-t-il? Quelles sont les conditions pour être couvert par ce projet de loi?

Mme Andrée Côté: Je pense que le terme «conjugal» a été défini par les tribunaux. À mon avis, ce n'est pas une définition qu'on puisse modifier librement.

M. Eric Lowther: Eh bien, qui ne serait pas couvert par cette loi? Qui aurait droit aux prestations et qui n'y aurait pas droit? Est-ce que cela vous semble clair? Pouvez-vous le définir? Vous représentez une association d'avocats ou de gens qui s'y connaissent bien en droit, et nous avons ici une mesure législative. Pouvez-vous me dire précisément à qui les dispositions s'appliquent et à qui elles ne s'appliquent pas?

Mme Andrée Côté: Les tribunaux ont déjà déclaré que beaucoup de facteurs entraient en ligne de compte pour déterminer qui est un partenaire conjugal. L'interdépendance financière est certainement un de ces facteurs; aussi les termes de la vie quotidienne, le fait d'avoir des enfants ou de vivre en famille, le fait de se présenter publiquement comme des conjoints. Il y a de nombreux facteurs qui entrent en ligne de compte.

M. Eric Lowther: Autrement dit, pour savoir à qui s'appliquent ces dispositions, il va falloir demander l'opinion d'un tribunal? Est-ce qu'avec ce projet de loi nous allons forcer les gens à s'adresser à un tribunal pour savoir s'ils réunissent les conditions voulues?

Mme Andrée Côté: Non. Je pense que les opinions passées des tribunaux sont une indication. Ce sera la base des conditions et des critères que nous devrons examiner. La position des tribunaux est qu'il n'y a pas un seul critère déterminant.

M. Eric Lowther: Donc, à votre avis, deux personnes qui n'ont pas de relations sexuelles pourraient réunir tout de même les conditions voulues?

Mme Andrée Côté: Je connais beaucoup de gens mariés qui n'ont pas de relations sexuelles...

M. Eric Lowther: Je me demandais, et vous pourrez répondre à cette question par un oui ou par un non; pensez-vous que deux personnes qui n'ont pas de relations sexuelles pourraient réunir les conditions voulues? Oui ou non.

Mme Andrée Côté: Qui n'ont jamais eu de relations sexuelles?

M. Eric Lowther: Oui.

Mme Andrée Côté: Qui n'auront jamais de relations sexuelles?

M. Eric Lowther: Oui, exactement. Je vous demande si elles réuniraient les conditions voulues?

M. Réal Ménard: Quelle vie ennuyante.

Mme Andrée Côté: Si vous pensez à deux amis, probablement pas.

M. Eric Lowther: Probablement pas.

Vous avez dit que cela ne coûterait rien, et c'est un aspect très intéressant. Je m'adresse ici à une association de gens qui connaissent bien la loi, et pourtant, en écoutant votre description—probablement pas, peut-être que non—j'ai du mal à me faire une idée. Nous ne savons même pas encore qui pourra réunir les conditions voulues, et pourtant, vous êtes certaine que cela nous coûtera rien. Comment peut-on être certain que cela ne coûtera rien quand on ne sait pas encore à qui ces dispositions s'appliquent?

Mme Susan Ursel: Voulez-vous qu'on réponde à cette question monsieur?

M. Eric Lowther: C'est à cette association que je m'adressais.

Mme Susan Ursel: Il me semble que c'est une excellente question.

M. Eric Lowther: Si j'ai une question à vous poser, je vous la poserai le moment venu.

Mme Susan Ursel: Oui.

M. Eric Lowther: D'ailleurs, je pourrais vous poser une question tout de suite.

Mme Susan Ursel: Certainement, mais laissez-moi parler de cette question. Ce que vous dites est particulièrement intéressant car justement, le facteur conjugal constitue un critère en droit depuis environ 40...

M. Eric Lowther: J'apprécie beaucoup cette réponse, mais je n'ai que sept minutes, et c'est une autre question que je pose. Si vous le voulez bien, ce sont certaines réponses que je cherche.

Mme Susan Ursel: Si vous ne voulez pas de cette réponse, c'est très bien.

M. Eric Lowther: Merci.

J'aimerais demander à la Fondation en faveur de l'égalité des familles si elle serait d'accord pour qu'on autorise les mariages homosexuels?

Mme Susan Ursel: C'est une question que la fondation examine actuellement, c'est certainement une question qu'on se pose dans la communauté. Il y a beaucoup de gens qui souhaitent faire reconnaître leurs unions dans le cadre d'une sorte de mariage. En fait, nous ne sommes pas encore parvenus à une conclusion, mais c'est une question dont on discute activement dans notre communauté.

M. Eric Lowther: Vous n'avez donc pas de position pour l'instant?

Mme Susan Ursel: Non, par pour l'instant.

M. Eric Lowther: Pouvez-vous nous donner des précisions quelconques pour que nous sachions qui réuniraient les conditions voulues aux termes de ce projet de loi et qui ne les réuniraient pas.

• 1700

Mme Susan Ursel: Autant de précisions que la loi a jamais offert aux couples hétérosexuels en union libre qui, eux aussi, doivent satisfaire aux critères qui permettent de déterminer ce qui est conjugal.

M. Eric Lowther: Mais n'y a-t-il pas une distinction, en effet, ils devaient commencer par être hétérosexuels? Cette distinction disparaît, il peut s'agir de gens de même sexe ou encore de gens hétérosexuels.

Mme Susan Ursel: Il peut s'agir d'un ami...

M. Eric Lowther: Donc il n'y a plus de distinction. Donc le critère essentiel, c'est la conjugalité.

Mme Susan Ursel: C'est cela.

M. Eric Lowther: Pourtant, personne dans ce groupe n'a clairement dit qui répondait ou non à ce critère.

Mme Susan Ursel: C'est la même question qu'on poserait à un couple hétérosexuel, en union libre, au sujet de leur conjugalité.

M. Eric Lowther: Il y a tout de même une distinction bien particulière que le témoin semble omettre, c'est-à-dire qu'il y a deux critères. Le premier, c'est l'aspect hétérosexuel et le second, c'est la notion de conjugalité. Or, on a laissé de côté le premier critère. On a dit que l'on se fonderait sur la relation sexuelle, et il ne reste que l'aspect conjugal.

Mme Susan Ursel: Tout ce que je vous dis,...

M. Eric Lowther: Le critère de ce projet de loi, c'est donc l'aspect conjugal,...

Mme Susan Ursel: Exactement.

M. Eric Lowther: ...oui ou non. Et pourtant personne ne veut me dire qui correspond ou non à ce critère.

Mme Susan Ursel: La preuve utilisée par un couple homosexuel pour établir une relation conjugale serait la même que celle qu'utilise un couple hétérosexuel.

M. Eric Lowther: Mais ce dernier réunit les conditions voulues parce que les personnes sont hétérosexuelles, et parce qu'il est entendu...

Mme Susan Ursel: Non, vous l'avez dit vous-même, c'est un critère double. Les dispositions s'appliquent à eux parce qu'ils sont hétérosexuels et parce qu'ils ont une relation conjugale.

M. Eric Lowther: Et nous avons supprimé l'un des critères. Bon. En tout cas, ce que je constate ici, c'est qu'on ne peut pas dire qui répond ou non à ce critère. Nous allons laisser cela aux tribunaux.

Mme Susan Ursel: Idem pour les couples hétérosexuels en union libre.

M. Eric Lowther: Ah, là, c'est différent.

Mme Susan Ursel: Pas vraiment.

M. Eric Lowther: Parce qu'on a laissé de côté un des critères.

Votre organisation a-t-elle une position officielle sur l'adoption par des homosexuels?

Mme Susan Ursel: Oui. Nous estimons que les familles d'homosexuels doivent pouvoir adopter des enfants.

M. Eric Lowther: Pour vous, donc, peu importe que les parents de l'enfant soient deux femmes ou deux hommes, plutôt qu'une mère et un père.

Mme Susan Ursel: En effet, car nous ne voyons pas la distinction entre deux parents affectueux et un parent affectueux. Nous estimons que l'affection d'un père ou d'une mère est souhaitable dans tous les cas de figure.

M. Eric Lowther: Vous estimez donc que le fait d'avoir des parents que d'un seul sexe ne désavantage pas l'enfant?

Mme Susan Ursel: Pas plus que les enfants élevés dans des familles monoparentales.

M. Eric Lowther: Je vois. Vous placez donc la relation homosexuelle sur le même plan que la famille monoparentale?

Mme Susan Ursel: Non. Vous m'avez demandé si cela désavantageait l'enfant, vous ne m'avez pas parlé de niveau. Je ne fais pas de hiérarchie.

Le président: Merci beaucoup.

Voilà une bonne transition pour passer à M. Ménard, qui a été très généreux et n'a plus que quatre minutes. À votre bon plaisir.

M. Réal Ménard: Cinq.

Le président: Je vous retirais une minute pour votre interjection de tout à l'heure.

[Français]

M. Réal Ménard: Monsieur le président, j'ai trois courtes questions.

Anne, je crois qu'il y a deux suggestions dont vous n'avez pas eu le temps de nous faire part. J'aimerais que vous les partagiez avec nous. Après cela, j'aimerais que Mme Côté, qui nous a dit souhaiter que l'on inscrive une référence historique à la discrimination des lesbiennes dans le préambule du projet de loi, nous parle de la valeur interprétative que pourrait avoir une telle recommandation. Troisièmement—et je termine là-dessus—j'aimerais, madame Holland, que vous soyez plus explicite sur la nouvelle catégorisation de «conjoint de fait» que l'on s'apprête à établir dans le projet de loi, comme vous l'avez suggéré.

Comme je n'ai que quatre ou cinq minutes à ma disposition, allez à l'essentiel et soyez claires. Je ne reviens pas.

Mme Anne Kettenbeil: Une des suggestions les plus importantes du Comité canadien d'action sur le statut de la femme concerne le droit à la vie privée et le fait que le projet de loi C-23 comporte certaines obligations qui vont exclure des lesbiennes et des gais qui, jusqu'à maintenant, ont fait le choix de vivre leur orientation sexuelle de façon plus discrète, surtout dans leur milieu de travail, où il y a un danger de de représailles. Nous savons très bien que nous vivons dans une société homophobe et qui porte toutes sortes de jugements sur les lesbiennes ou les homosexuels et que la discrimination peut être assez subtile et, malgré nos lois, assez difficile à régler. Donc, cela constitue une préoccupation et nous suggérons au gouvernement de prendre le temps d'établir des lignes directrices et des moyens quand viendra le temps de rédiger les règlements.

• 1705

M. Réal Ménard: La discrimination est si subtile qu'elle existe même dans certains partis politiques. Imaginez jusqu'où on va dans notre société!

Mme Anne Kettenbeil: Je l'imagine, oui. De plus, nous suggérons au gouvernement du Canada d'entreprendre, comme partie intégrale de ce projet de loi, une vaste campagne d'éducation du public. Nous suggérons, comme point de départ, quatre cibles, la première étant constituée des fonctionnaires. Au Québec, on constate que même depuis le passage de la Loi 32, les fonctionnaires des divers ministères n'ont aucune idée de la façon dont ils doivent gérer ces changements. Bien entendu, les employeurs constituent une autre cible, ainsi que les gais et les lesbiennes et le grand public, afin que tous comprennent ces lois.

Nous recommandons aussi au gouvernement de faire vite pour inclure l'orientation sexuelle à l'intérieur de la loi sur les crimes haineux.

M. Réal Ménard: D'accord. Madame Côté, pourriez-vous répondre à ma question?

Mme Andrée Côté: Oui. Je vais vous répondre très brièvement, parce que le temps est écoulé et que je veux laisser du temps à mes collègues aussi.

C'est certain qu'un préambule n'a qu'une valeur interprétative. Il ne créerait pas d'obligations positives à l'intérieur du projet de loi, surtout qu'il s'agit d'un projet de loi qui vise beaucoup de mesures législatives. Néanmoins, je pense que le préambule est très important. Depuis quelques années, on a entamé des réformes législatives, par exemple au Code criminel, où on a pris des dispositions pour protéger les victimes d'agressions sexuelles. On a mis un préambule dans lequel on reconnaît l'incidence d'une agression sexuelle, son impact sur l'égalité des femmes, etc. Je pense que ça aide les juges à mieux exercer leur pouvoir discrétionnaire lorsqu'il y a matière à le faire.

Dans ce projet de loi-ci, je pense qu'un préambule établirait que le gouvernement reconnaît qu'il y a une discrimination historique et que son objectif est d'y mettre fin dans un souci de s'assurer que les réformes n'auront pas d'effets pervers et que l'on veut aller vraiment vers une égalité effective des lesbiennes. De plus, il permettrait aux agents qui doivent exercer un pouvoir discrétionnaire de mieux l'exercer. Par exemple, on sait qu'il va y avoir demain, à la Cour suprême, une contestation de la Loi sur les douanes en ce qui concerne son impact discriminatoire sur la liberté de circulation de la littérature et de représentations visuelles de gais et lesbiennes, qui font l'objet de saisies systématiques. Un préambule permettrait peut-être aux agents des douanes d'exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon plus juste.

Donc, nous aimerions qu'il y ait un préambule pour bien établir l'optique de la...

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

Je crois qu'il y avait aussi une question à Mme Holland, et si elle veut bien y répondre, ce sera tout.

Mme Winifred Holland: Je suis désolée, je n'ai pas entendu cette question.

M. Réal Ménard: Ah, il faut suivre le jeu.

[Français]

La question est la suivante: est-ce que vous pourriez nous dire quelles sont vos craintes concernant la nouvelle catégorisation des conjoints de fait?

[Traduction]

M. Eric Lowther: J'invoque le Règlement, monsieur le président.

Le président: Oui, monsieur Lowther.

M. Eric Lowther: Il a eu cinq minutes, je crois, parce qu'il avait accordé une partie de son temps à un témoin qui ne figurait pas sur la liste et que le comité n'avait pas approuvé. Il a dépassé les cinq minutes et il continue.

Le président: Non.

M. Eric Lowther: Si nous continuons comme ça, parfois, mais je...

Le président: Pour être juste, M. Ménard a été retenu.

M. Réal Ménard: La vérité, c'est qu'il essaie d'être généreux.

M. Eric Lowther: Il faut aussi qu'il soit précis. Soyons généreux pour tout le monde.

Le président: Une question a été posée à Mme Holland. Elle ne l'a pas entendue et il n'a fait que la répéter.

Madame Holland.

Mme Winifred Holland: Si vous me permettez de reformuler la question que vous m'avez posée, vous me demandez quelles sont mes craintes à propos de la création d'une nouvelle catégorie d'unions de fait.

Je pensais que vous vouliez savoir quels étaient mes titres et compétences. C'est par cela que je vais commencer. C'était d'ailleurs dans mon mémoire. Je pensais qu'il allait vous être remis, mais ce n'est pas le cas.

Mme Aileen Carroll: Cela va figurer au compte rendu.

Mme Winifred Holland: Très bien.

J'ai commencé à enseigner en 1966 à l'University College à Londres et j'enseigne le droit de la famille depuis. Mes deux domaines de spécialisation sont le droit de la famille et le droit pénal. J'ai rédigé plusieurs ouvrages. J'ai écrit le premier livre sur la cohabitation au Canada en 1980. J'ai compilé un recueil de feuillets mobiles sur la cohabitation qui comporte un grand nombre d'articles. Je suis aussi coauteure d'un ouvrage sur les biens matrimoniaux et j'ai aussi beaucoup écrit dans le domaine du droit pénal.

Mme Aileen Carroll: Merci.

Mme Winifred Holland: Bon.

Je n'ai pas grand-chose à dire à propos de mes craintes concernant la création de cette catégorie. Je trouve seulement que c'est en grande partie inutile. Je ne suis pas certaine de savoir quels sont les objectifs de la création de cette nouvelle catégorie par opposition à l'idée de se servir de la catégorie existante de conjoint, comme on l'a fait pour tous les changements législatifs des 30 ou 40 dernières années. Nous n'avons jamais créé de catégorie distincte de cohabitant ou concubin; cela a toujours fait partie de la définition de conjoint, et je me demande pourquoi aujourd'hui on a choisi d'adopter une nouvelle catégorie. Ce n'est pas tant que j'ai des craintes que je me demande pourquoi. Pourquoi procédons-nous ainsi? Est-ce nécessaire? Je ne pense pas.

• 1710

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Robinson, vous avez sept minutes.

M. Svend Robinson: Merci, monsieur le président.

Je pense que la nouvelle représentante du Comité canadien d'action a répondu à la question en ce qui concerne les deux points qui restaient et je ne vais donc par revenir là-dessus. J'ai une observation à faire puis une ou deux questions à poser.

Je pense que l'argument de Mme Holland à propos de «conjoint» est très importante. La Colombie-Britannique, elle, a choisi de modifier la définition de conjoint. Mais entendons-nous bien. Il s'agissait d'une décision politique, on n'a pas voulu inclure les conjoints de même sexe dans la définition de conjoint. On a plutôt décidé de changer toute la définition en common law et de ne pas adopter la voie d'une nouvelle catégorie, comme c'est le cas en Ontario. Par cette mesure, c'est au moins mieux que la loi de l'Ontario, n'est-ce pas?

Mme Winifred Holland: Tout à fait.

M. Svend Robinson: Oui, cela a été une décision politique.

Je voulais que ce soit précisé. Je tiens également à remercier les témoins, en particulier la Fondation en faveur de l'égalité des familles, pour le travail admirable qu'elle a fait pour nous mener où nous en sommes aujourd'hui. C'est la poursuite globale intentée par la fondation contre ces nombreuses lois discriminatoires qui est à l'origine de cette affaire et il faut l'en remercier.

C'est à dessein que vous avez décidé de ne pas inclure le mariage dans cette contestation judiciaire. Je suis un peu troublé par la réponse donnée par Mme Ursel. Peut-être que la présidente, Mme Douglas, pourrait nous donner des précisions. Je crois savoir que votre position au nom de la Fondation en faveur de l'égalité des familles est que même si vous n'avez pas inclus le mariage dans votre contestation judiciaire, vous acceptez que cette option soit offerte aux conjoints gais ou lesbiens qui veulent se marier. J'imagine que c'est la position de la fondation.

Mme Michelle Douglas: À moment-ci, nous reconnaissons qu'il est essentiel d'explorer toutes les nuances compliquées associées à la question du mariage, et la fondation n'a pas officiellement exprimé de position sur la question du mariage. Toutefois, puisque nous sommes une association de défense de l'égalité, il serait juste de dire que la fondation estime que pour les familles de même sexe—c'est-à-dire deux hommes ou deux lesbiennes—qui voudraient à terme avoir la possibilité de se marier officiellement, c'est tout à fait acceptable, et que nous sommes en faveur de cela. Mais en ce qui concerne une déclaration officielle sur notre position concernant le mariage, comme je l'ai dit, je précise que nous ne l'avons pas exprimé officiellement.

M. Svend Robinson: Je comprends.

Je vais maintenant aller de l'autre côté de la table et m'adresser au professeur Morton—le sénateur désigné du Parti réformiste, n'est-ce pas?

M. Ted Morton: Oui.

M. Svend Robinson: Monsieur Morton, je voudrais faire une observation et poser une question. Puisque vous avez cité l'amendement que j'ai proposé en comité à l'autre bout du couloir, à la salle 200 de l'édifice de l'Ouest, lorsque j'ai eu l'insigne honneur de siéger au Comité de la Constitution, je pense qu'il faut que les choses soient très claires.

J'ai effectivement proposé un amendement à ce moment-là pour inclure l'orientation sexuelle dans la charte là où il y a un nombre précis et limité de motifs. L'amendement a été rejeté, mais un autre a été accepté, qui a laissé à l'article 15 son caractère non limitatif et reconnu explicitement la possibilité qu'à l'avenir les tribunaux puissent très bien inclure des motifs non explicités à l'article 15. Je suis certain que ce n'est qu'un oubli de la part de M. Morton s'il n'a pas fait allusion à cela et à l'affirmation explicite du comité parlementaire composé de représentants de tous les partis. Un comité unanime, avec des représentants du Parti conservateur—qui sont peut-être un peu à gauche de M. Morton, mais c'était le Parti conservateur—le Parti libéral et le NPD, a déterminé en 1985 que la charte comprenait effectivement l'orientation sexuelle. Je crois donc que cela doit être clair.

Ma question d'adresse à M. Morton. Je vais la lui poser puis je poserai ma question à l'ANFD et nous pourrons entendre la réponse des deux. Il y a une phrase qui m'a surpris et préoccupé dans le mémoire qu'il n'a pas lu. Je cite: «De fait, un comportement ayant des conséquences pour l'hygiène publique, comme l'homosexualité, est d'ordinaire déconseillé dans l'intérêt public.» J'ignore à quoi exactement M. Morton fait allusion ici. La réalité évidemment—si par hasard il était question du sida—, c'est que 70 p. 100 des cas de sida dans le monde aujourd'hui touchent des hétérosexuels. Peut-être veut-il dire qu'il faudrait dissuader les hétérosexuels d'avoir des rapports.

• 1715

Mais s'il ne s'agit pas du sida, j'aimerais savoir à quoi M. Morton pense. Quelles sont les conséquences pour l'hygiène publique de l'homosexualité qu'il faut éviter selon lui?

Je vais poser mon autre question puis les deux témoins pourront peut-être répondre. Mon autre question s'adresse aux témoins de l'ANFD.

Je comprends les préoccupations pour l'égalité des sexes que soulève ce texte, surtout en ce qui concerne les prestations du Régime de pensions du Canada. La question avec laquelle je me débats est de savoir comment le gouvernement aurait-il pu proposer un texte qui accorde des prestations sans du même coup imposer des obligations? J'aimerais que l'ANFD nous dise comment. Il y a déjà de la controverse politique autour de cette question et imaginez ce que ce serait si on présentait un texte qui accordait des prestations de pension et des avantages fiscaux sans imposer les obligations qui sont celles des conjoints de fait hétérosexuels. Je ne sais pas comment cela peut se faire.

Voilà donc la question que je vous pose, puis M. Morton voudra peut-être répondre à l'autre.

Le président: Merci beaucoup.

Dans votre réponse, ne prenez pas trop de temps. Deux autres députés ministériels veulent des réponses et nous voulons donner la chance à tout le monde.

M. Ted Morton: Si vous permettez, je dirai d'abord que je conteste un peu votre interprétation des délibérations de 1981. Il est vrai qu'on n'a pas voulu limiter la portée de l'article 15, mais chose certaine, c'était qu'on voulait ainsi permettre aux juges de suivre l'opinion publique dans l'actualisation des normes constitutionnelles au fur et à mesure que se développaient des consensus de société. Il ne s'agissait pas, à mon avis, et il n'y a certainement pas, selon moi, de précédent de poids en ce sens, pour les juges d'imposer des normes qui n'avaient pas encore évolué.

On dirait que la charte a renversé la tradition de la common law. Alors que l'on suivait auparavant l'évolution de l'opinion publique, les juges actualisait le droit pour le rendre conforme à l'opinion publique, maintenant, avec la Charte des droits, les juges changent les normes juridiques afin de refaçonner l'opinion publique.

M. Svend Robinson: Monsieur Morton, vous voudrez peut-être prendre connaissance des sondages d'opinion sur l'élargissement des droits aux avantages.

M. Ted Morton: Eh bien, si vous inclinez à consulter le public, alors vous et moi sommes d'accord, parce que bien sûr, c'était ma dernière recommandation.

Au sujet des conséquences du comportement homosexuel pour la santé, les chiffres que vous citez sont exacts bien sûr sur une base globale, mais vous savez aussi bien que moi qu'en Amérique du Nord, la vaste majorité des cas de sida se retrouvent strictement chez les homosexuels et les toxicomanes qui se piquent. Et bien sûr, il y a un lien de ce côté-là aussi. Donc ce qui me préoccupe, moi et de nombreux Canadiens, c'est que la légitimation... J'approuve sans réserve le mouvement qui nous a permis de passer de la persécution à la tolérance de l'homosexualité. Si je m'oppose à cette loi et à de nombreuses autres, c'est parce que l'État cesse d'être neutre et prend position, et parce qu'on va se servir de cette position prise par l'État, chose que l'on souhaite clairement dans les écrits militants que j'ai mentionnés, pour encourager non seulement les personnes qui peuvent être prédisposées génétiquement au comportement homosexuel, mais aussi la libération sexuelle de manière générale. C'est de toute évidence la visée de la plupart de ces initiatives, et le fait est que si ce comportement est présenté comme étant une option légitime aux jeunes gens, les jeunes gens étant surtout ce qu'ils sont,...

M. Svend Robinson: Il risque de se jeter là-dedans en masse.

M. Ted Morton: ...ces problèmes de santé vont continuer d'augmenter.

Le président: Merci. Je crois qu'on a posé une question à l'ANFD.

Mme Andrée Côté: C'est une bonne question, bien sûr, et je pense que l'on s'interroge ici sur les conséquences qu'il y aurait à adopter une stratégie d'égalisation sociale en règle. De toute évidence, si nous, comme conjointes, allons être traitées sur un pied d'égalité, nous aurons les obligations et les avantages de tout couple.

La question pour nous est de savoir quel effet cela aura sur les femmes. Qu'il s'agisse de lesbiennes ou de femmes hétérosexuelles, comment ces obligations vont-elles se concrétiser dans un contexte où les femmes font de plus en plus de travail sans rémunération au sein de la famille et sont de plus en plus contraintes à compter sur leur famille pour trouver une sécurité sociale essentielle? Je pense que c'est une question plus vaste ici. Je sais que la Commission de réforme du droit de Canada étudie justement la question de savoir si nous devons compter sur le mariage ou sur l'État pour trouver notre sécurité socio-économique essentielle ou un agent de dernier recours, et nous hésitons à trop compter sur la famille.

Cela dit, concrètement, nous n'avons pas pris position, mais le fait de reconnaître la légitimité du mariage lesbien pourrait résoudre la difficulté, et ainsi celles qui sont prêtes à accepter aussi bien les obligations que les avantages pourraient adhérer à cela. Ou il pourrait aussi y avoir des options de retrait, et ainsi la lesbienne qui ne voudrait pas se soumettre à ces obligations et profiter de ces avantages pourrait choisir de ne pas être incluse.

• 1720

Cela dit, nous n'avons pas étudié la question suffisamment à fond pour voir comment nous pourrions structurer cela, mais à mon avis, il y aurait moyen de trouver des solutions. Mais ce que je tenais à dire, c'est que du point de vue des femmes, nous avons raison d'être un peu méfiantes à l'idée d'insister autant sur les obligations qu'ont les membres de la famille parce qu'en effet, les femmes contribuent souvent à la famille beaucoup plus qu'elles n'en reçoivent.

M. Svend Robinson: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Bennett. Sachez que M. McKay veut poser une question aussi.

Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Tout d'abord, monsieur le président, j'aimerais demander à la représentante du Comité canadien d'action de nous exposer les deux recommandations qu'elle n'a pas eu le temps de nous présenter.

M. Svend Robinson: C'est chose faite.

Mme Carolyn Bennett: Quand j'étais au téléphone? D'accord, ça va.

Madame Holland, pour bien nous expliquer vos préoccupations relativement à la divergence par rapport à la convergence, dites- nous à quoi ressemblerait votre loi, et cette loi-ci résistera-t- elle à une contestation en vertu de la charte, à votre avis?

J'ai ensuite une petite question pour M. Morton.

Mme Winifred Holland: Je répondrai d'abord à la deuxième question, à savoir une contestation en vertu de la charte. À mon avis, on ne sait pas encore exactement ce qui adviendra au niveau de la charte. Je pense que l'article 5 du projet de loi, qui isole les couples de même sexe, est vulnérable, naturellement. On le conteste en ce moment dans le cadre d'une requête adressée à la Cour suprême. Ce projet de loi n'est pas aussi rébarbatif. Mais il sépare effectivement les cohabitants ou concubins des conjoints. On ne sait pas encore si ce mécanisme qui vise à assurer un traitement séparé mais égal résistera à une contestation en vertu de la charte.

Je me contenterai donc de dire pour le moment que ce n'est pas clair, mais j'imagine qu'il peut y avoir contestation, et je ne peux pas me prononcer catégoriquement dans un sens ou l'autre. On entre dans l'inconnu ici.

Vous m'avez demandé aussi ce que je préférerais voir. À mon avis, l'essentiel ici consiste à s'éloigner de cette double terminologique, où l'on sépare constamment les conjoints mariés des conjoints de fait, et il faudrait peut-être adopter une terminologie où l'on utiliserait le mot «conjoint», mot qui peut être défini de diverses façons. On peut inclure ainsi les conjoints mariés et tous les autres. Mais le terme le plus fréquemment utilisé est «conjoint». Et c'est ce que l'on a vu jusqu'à maintenant. Dans la plupart des lois, les lois relatives aux droits de la famille et de nombreuses autres lois, on emploie le terme «conjoint», mais il désigne aussi bien les conjoints mariés que les cohabitants. Mais on utilise ce terme commun, et ainsi on ne nous rappelle pas constamment qu'il y a divers groupes, parce qu'il n'y a aucune raison particulière de faire de telles distinctions étant donné qu'ils doivent être traités de la même façon. Il me semble indiqué d'utiliser le même terme pour désigner les deux.

Mme Carolyn Bennett: Au sujet du droit à la vie privée, du traitement fiscal ou de tout le reste, de toute évidence, on s'expose presque parfois à une pénalité financière à admettre qu'on était dans une relation conjugale et à se faire enregistrer de cette façon. Les témoins ont-ils des réserves à ce sujet? Mme Ursel pourrait peut-être nous dire ce qu'elle en pense. Comme vous le savez, dans son argumentaire savant, l'opposition officielle parle de cette police des sexes qui va établir s'il y a relation conjugale. Existe-t-il des précédents juridiques qui pourraient nous inquiéter ou s'agit-il vraiment ici de relations sincères?

Mme Susan Ursel: Il s'agit vraiment de relations sincères. Il s'agit de relations intimes et sincères qui sont au coeur de la cellule familiale. Il y a des années que les unions libres hétérosexuelles font l'objet de discussions et de procès, et la question de la nature conjugale de leur rapport a fait l'objet d'études juridiques et pratiques. Mais l'essentiel ici, à toutes fins utiles, c'est que deux personnes considèrent qu'elles forment un couple, qu'elles sont le noyau d'une famille, et c'est bel et bien ce que fait un couple où les deux conjoints sont du même sexe; ils considèrent qu'ils forment un couple, qu'ils sont le noyau d'une famille. Ce n'est pas nécessairement comme ça que se voient un frère et une soeur, comme étant le noyau d'une nouvelle famille; ils font déjà partie d'une famille existante. Ce n'est pas comme ça qu'une tante et son neveu se voient; ils ne forment le noyau d'une nouvelle famille.

La question de l'interdépendance dans les relations familiales élargies mérite qu'on s'y attarde, mais il n'y a pas nécessairement ici de lien naturel avec ce projet de loi. Ce projet de loi vise à établir des analogies et des concordances entre les relations gais et lesbiennes et leurs homologues dans le milieu hétérosexuel, on essaie d'équilibrer ces intérêts et de trouver un terrain d'égalité et de coexistence.

• 1725

Donc, dans la mesure où il puisse avoir ait été question dans la loi du caractère conjugal des relations, les gens ont tout simplement dit qu'ils étaient des partenaires conjugaux et leur parole suffisait. Je pense que notre parole suffit également.

Mme Carolyn Bennett: J'aurais une petite question à poser au professeur Morton. Est-ce que Robert Putnam est au courant que vous le citez ici? Votre interprétation de ce qu'il dit est assez différente de la mienne. Je croyais qu'il disait que nous devrions connaître nos voisins et les amis de nos voisins, dans les chorales et les ligues de quilles. Je n'arrive pas à imaginer que M. Putnam puisse penser que la famille biparentale où il y a de la violence et qui n'éclate pas serait préférable sur le plan du capital social—ou de sa définition du capital social—à n'importe quel groupe qui a décidé de vivre ensemble pour s'occuper honnêtement l'un de l'autre. Je n'arrive pas à comprendre cela.

Je me demande si le greffier pourrait envoyer cela à M. Putnam pour voir s'il a quelque chose à dire en réponse.

M. Ted Morton: Cela me fera plaisir de répondre à cette question. Les termes clés dans l'article de M. Putnam, naturellement, sont le capital social et la société civile. Je pense qu'il est reconnu dans pratiquement tous les écrits sur la société civile que la famille est l'une des institutions de base. En fait, comme je l'ai dit, les nouvelles vérités ne sont en fait qu'un écho des anciennes vérités. J'ai inclus une citation de Rousseau, qui dit que c'est le bon fils qui fait un bon mari qui fait un bon père qui fait un bon citoyen...

M. Svend Robinson: Cela exclut les femmes également, n'est-ce pas?

M. Ted Morton: Non. Au XVIIIe siècle, c'était le cas, mais pas au XXIe siècle.

Le fait est que dans les démocraties, créer un sentiment d'appartenance dans une société est difficile. Ce que Rousseau et d'autres voulaient dire, c'est que les liens naturels de la famille sont le fondement des liens conventionnels qui doivent être établis pour qu'une société puisse fonctionner normalement.

Mme Carolyn Bennett: Donc, si on ne reconnaît pas les relations sincères... Comment cela peut-il améliorer le capital social?

M. Ted Morton: L'élément clé, c'est que dans une société libérale qui valorise la liberté individuelle et le respect de la vie privée et qui se préoccupe en même temps de questions comme celles de la société civile et du capital social, les particuliers, précisément parce que nous croyons à la liberté et au respect de la vie privée, devraient être libres d'être non-conformistes. En ce sens, comme je l'a dit, j'appuie entièrement l'abrogation de toute loi qui punit activement un comportement homosexuel ou qui prévoit des sanctions pour un tel comportement. Ce n'est cependant pas la même chose que de dire... Je me réjouis que la société canadienne soit passée de la persécution à la neutralité. Mais la raison pour laquelle je m'oppose au projet de loi C-23, c'est que nous passons de la neutralité et de la tolérance traditionnelle à une prise de position de la part de l'État. Par cette prise de position, l'État veut affirmer la présence d'un nouveau style de vie qui, je l'admets, est devenu plus courant dans notre génération, la génération des années 60, mais qui est toujours au stade expérimental et qui est simplement trop expérimental à ce moment-ci pour que nous passions carrément à la sociologie appliquée qu'en fait Anne...

M. Svend Robinson: Certains d'entre nous ont cessé d'expérimenter depuis longtemps.

M. Ted Morton: En tant que Conservateur qui valorise la liberté et le respect de la vie privée, je suis heureux que l'expérimentation ne soit plus punie.

Le président: Je vous remercie de votre réponse, mais j'aimerais poursuivre...

M. Ted Morton: Cependant, sur le plan de la sociologie appliquée, je m'y oppose.

Le président: Nous allons écrire à M. Putnam, nous lirons M. Rousseau, et nous allons passer à M. Lowther.

M. Eric Lowther: J'aurais une question à poser à l'Association nationale de la femme et du droit. Si nous pouvons revenir à cette question un instant, j'aimerais savoir si vous voyez une différence dans ce projet de loi entre la façon dont on traite en principe les couples mariés et deux personnes qui vivent ensemble depuis un an et qui ont des relations conjugales, sexuelles, peu importe comment on les appellera, ce qui n'a pas encore été défini... Y a-t-il une différence dans la façon dont ces deux groupes seront traités selon la loi après d'adoption du projet de loi C-23?

Mme Andrée Côté: Je suis certaine qu'il y aura énormément de différence. C'est la raison pour laquelle on maintient officiellement la distinction entre les gens mariés et les conjoints de fait.

M. Eric Lowther: Je peux peut-être vous aider ici, car la ministre de la Justice a comparu devant notre comité et nous lui avons justement posé la question. La seule chose à laquelle elle pouvait se reporter était la Loi sur le divorce. Après que ces 68 lois auront été modifiées, il n'y aura absolument aucune différence dans la façon dont le gouvernement fédéral traite en principe un couple marié et deux personnes du même sexe qui choisissent d'avoir une relation homosexuelle et qui vivent ensemble depuis un an.

• 1730

Je me demande, si toutes les politiques sont les mêmes—sauf pour les personnes mariées, il est plus difficile de sortir de la relation. J'imagine que dans ces relations, on peut tout simplement décider de partir un jour. La Loi sur le divorce s'applique toujours au mariage.

M. Svend Robinson: Ce n'est pas comme dans l'émission «Who Wants to Marry a Millionaire», n'est-ce pas?

M. Eric Lowther: Si c'est le cas, et c'est en fait ce que la ministre de la Justice nous a dit, plus ou moins, d'après sa réponse, pourquoi est-il nécessaire maintenant d'avoir l'étiquette du mariage? Cela ne revient-il pas justement à ce que le professeur Morton disait, que l'État sanctionne le terme? On a déjà tous les avantages. Qu'y a-t-il à gagner d'avoir l'étiquette du mariage puisque le projet de loi à l'étude prévoit déjà tout sur le plan des avantages et des obligations? Pourquoi voudrait-on même envisager d'avoir l'étiquette du mariage?

Mme Andrée Côté: En fait, l'association nationale ne propose pas officiellement que la loi inclue un droit formel au mariage...

M. Eric Lowther: Vous vous opposez donc à ce concept?

Mme Andrée Côté: Ce que nous disons, c'est que la loi en fait maintient un élément assez important de discrimination. Même si elle prétend proposer une égalité officielle, elle maintiendra toujours une très grande distinction.

Le mariage est considéré comme une institution fondamentale dans notre société. Le mariage peut être considéré comme un droit de la personne fondamental. Il y a donc certaines conséquences sur le plan du respect des droits de la personne pour les homosexuels et les lesbiennes...

M. Eric Lowther: Où y a-t-il discrimination?

Mme Andrée Côté: ...mais je pense que ce qui est encore plus important, c'est que...

M. Eric Lowther: Où est la discrimination si la politique est exactement la même...

Mme Andrée Côté: Si vous me permettez de continuer, j'essaie de répondre à votre question.

M. Eric Lowther: Eh bien, vous n'y répondez pas. Voilà mon problème.

Mme Andrée Côté: Ce qui est plus important, c'est qu'il y aura des ramifications sur le plan de la législation fédérale qui sera adoptée et qui s'inspirera de la Loi sur le divorce. Je pense qu'il y aura des ramifications à l'échelle provinciale parce que le droit au mariage n'est toujours pas reconnu. Les gens seront davantage assujettis à différents régimes qui s'appliqueront selon les lois de chaque province et les régimes ne seront pas aussi homogènes qu'ils pourraient l'être.

Encore une fois, notre association ne demande pas officiellement le droit...

Mme Michelle Douglas: La beauté de tout cela, monsieur Lowther, comme la ministre l'a souligné, c'est que peut-être avec la distinction de la Loi sur le divorce, l'accès aux droits, c'est-à-dire les droits, les avantages, les fardeaux... il est certain que l'obligation serait la même. Vous avez tout à fait raison.

Je me réjouis à l'avance du fait que les organisations qui depuis des années nous accusent de chercher à obtenir des droits spéciaux reconnaîtront maintenant la simple réalité: ce que nous voulons, ce sont des droits justes, équitables, équilibrés. Donc, le concept des droits spéciaux ne s'applique plus, je pense, étant donné que ces droits spéciaux sont les mêmes pour vous et pour moi—exactement égaux.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur McKay.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Je voudrais moi aussi remettre en question ce qui constitue la discrimination, car le professeur Morton a souligné que dans le dialogue sur la charte entre les tribunaux et le Parlement, on fait constamment des distinctions en droit. Le problème ici, en supposant que le projet de loi est adopté, c'est que le mariage sera vu comme une distinction abusive.

Je vais demander aux professeurs Holland et Morton d'expliquer pour la gouverne du comité où se trouve la distinction abusive, ou plutôt la discrimination, devrais-je peut-être dire.

Mme Winifred Holland: Je regrette, je ne suis pas sûre d'avoir bien compris votre question.

M. John McKay: Dans les lois, nous faisons toujours des distinctions entre les groupes. La charte stipule clairement qu'on ne peut pas faire de discrimination entre les groupes. Ma question est donc la suivante: En quoi le fait que le mariage soit considéré comme une union entre un homme et une femme à l'exclusion de tous les autres est-il discriminatoire? Étant donné que cela va faire l'objet de contestations aux termes de la charte, je vous demanderais de bien vouloir expliquer au comité ce qui est discriminatoire.

• 1735

Mme Winifred Holland: Vous voulez vous concentrer sur la question du mariage, sur le fait que celui-ci n'est possible qu'entre deux partenaires de sexe opposé et que les couples homosexuels en sont exclus. Et vous voulez savoir en quoi cela constitue de la discrimination et quels sont les motifs. Vous voulez parler exclusivement du mariage.

M. John McKay: Oui.

Mme Winifred Holland: Je dirais qu'il y a eu déjà des contestations, qui jusqu'ici n'ont pas été couronnées de succès, mais il y en d'autres en cours et ce ne seront certainement pas les dernières.

Cela se fonde sur toute la question de l'orientation sexuelle, à savoir qu'il n'y a en fait aucune raison pour que le mariage ne soit pas possible entre deux conjoints de même sexe, et le limiter aux couples hétérosexuels constitue une discrimination en fonction de l'orientation sexuelle. À mon avis, cela va être extrêmement difficile. Il est évident que le tribunal statuera que cela est discriminatoire aux termes du paragraphe 15(1) de la charte, et la question principale consistera à établir si le gouvernement peut justifier cette discrimination aux termes de l'article 1 de la charte. L'une des questions clés qui se posent, c'est de savoir si le fait de maintenir cette distinction représente une préoccupation urgente et importante. À mon avis, il faut plutôt se demander ce qui est si important dans le mariage pour qu'on le réserve exclusivement à un homme et une femme. Je ne suis pas sûre que ce soit si important à notre époque.

Je peux comprendre facilement que certains groupes confessionnels veuillent continuer à avoir la haute main sur les mariages qui seront permis au sein du groupe, mais à l'heure actuelle, il faut quand même admettre que le mariage est une institution laïque. En fait, le mariage peut très bien se dérouler en dehors de tout cadre religieux. De ce fait, il n'existe absolument aucune raison pour ne pas l'autoriser entre deux personnes de même sexe. J'admets sans réserve que les groupes confessionnels doivent pouvoir continuer de contrôler leurs propres affaires. Il faut faire la distinction entre les deux. Il faut considérer le mariage comme deux choses distinctes: le côté religieux et le côté civil.

Le président: Professeur Morton.

M. Ted Morton: Vous voulez donc savoir dans quel cas le traitement différentiel devient de la discrimination interdite par la charte et sur quoi se fonde la définition historique et traditionnelle du mariage?

En fait, cela nous ramène au terme «conjugal». Littéralement, le mot vient du latin conjugalis, soit la réunion de deux lignées. Autrement dit, cela permet d'imaginer une nouvelle génération née de l'union de deux personnes différentes. En dépit des préférences manifestes de certaines personnes, c'est une réalité incontournable. Seuls un homme et une femme peuvent produire des enfants, et c'est pourquoi, depuis toujours, le mariage hétérosexuel a été sanctifié.

Cette question est évidemment sujette à diverses interprétations. Comme l'a dit la professeure Holland, même s'il existait cette justification historique—en d'autres termes, pourquoi il est logique de faire la distinction entre un couple hétérosexuel et les autres—existe-t-il encore aujourd'hui de bonnes raisons de le faire? Ma réponse sera oui, il y a des raisons. En effet, le but de la famille est de créer un milieu propice à la naissance, mais aussi à l'éducation et l'épanouissement des enfants.

L'évolution du droit au cours des 30 dernières années, comme l'ont si bien expliqué le professeur Holland et d'autres, à commencer par les réformes du mariage de 1969, a surtout privilégié ce que je considère comme étant les intérêts à court terme des adultes par opposition aux besoins à long terme des enfants. Le Canada ne fait pas cavalier seul dans ce domaine, mais nous avons toujours été à l'avant-garde. À mon avis, le projet de loi à l'étude poursuit cette tendance. Je soutiens, comme je l'ai toujours fait, qu'il faut continuer d'accorder la préférence au mariage hétérosexuel plutôt qu'aux autres formes possibles. Les gens sont libres d'agir comme ils le veulent. S'il y a des enfants, comme c'est le cas à l'heure actuelle au sein de couples de lesbiennes, et il existe des politiques qui sont censées servir les intérêts des enfants, il va sans dire que les mères naturelles devraient continuer d'avoir droit à ces avantages, comme c'est le cas à l'heure actuelle.

La professeure Holland me reprendra si je me trompe, mais le droit influence effectivement les politiques. En fait, l'un des grands enseignements de ce mouvement post-moderniste, pourrait-on dire, en faveur des droits des gais est que la loi raconte une histoire et que cette histoire à son tour façonne la société. L'histoire que la common law a racontée à la société canadienne, c'est plus on donne d'avantages aux couples en union libre, plus il y a de couples qui vivent en union libre. C'est peut-être très bien pour les couples, mais pas pour leurs enfants. Statistique Canada vient de publier une importante étude longitudinale dont les résultats indiquent que les unions libres durent en moyenne seulement cinq ans et que les cas d'enfants maltraités et de violence familiale sont beaucoup plus fréquents dans ce type de foyers que dans d'autres.

• 1740

Je répète qu'en principe, pour le respect de la vie privée et de la liberté individuelle, je suis tout à fait en faveur des gens qui veulent adopter un mode de vie différent, mais pour le législateur, pour les députés qui établissent ces lois qui façonnent la société, je pense qu'il est trop tôt pour se lancer dans ce que je qualifierais de projet d'ingénierie sociale d'une dimension et d'une ampleur vraiment sans précédent.

Le président: Merci, monsieur Morton et monsieur McKay.

Monsieur Robinson, vous avez quatre minutes.

M. Svend Robinson: Merci, monsieur le président.

Je vous ai écouté attentivement, monsieur Morton, et j'en conclus que votre position est que vous êtes contre l'octroi de prestations aux couples hétérosexuels vivant en union libre qui choisissent de ne pas se marier mais qui ont cette option, contrairement aux conjoints de même sexe.

M. Ted Morton: Je pense...

M. Svend Robinson: Si vous voulez être logique...

M. Ted Morton: En un sens, ce projet de loi nous a peut-être rendu service, pourvu que nous ne nous précipitions pas aveuglément dans le gouffre qu'il nous pend sous les pieds. Il nous a fait réfléchir—c'était peut-être l'objet de la question de M. McKay—au sujet des raisons que nous avons de continuer à privilégier le mariage hétérosexuel, en particulier le mariage officiel. Ce serait dans l'intérêt supérieur des enfants.

M. Svend Robinson: Nous avons peu de temps. J'en conclus que votre réponse est oui, que vous privilégiez le mariage officiel et que vous êtes effectivement en faveur de supprimer les avantages qui sont actuellement accordés aux couples hétérosexuels vivant en union libre. C'est bien ce que vous dites?

M. Ted Morton: Je ne propose pas de légiférer, mais pour ceux d'entre vous qui sont législateurs, si la loi a historiquement pour objet non pas de privilégier et de protéger les intérêts des enfants, tout au moins de les mettre dans la balance, de même que les intérêts des adultes, des parents, les programmes devraient viser non pas les couples mariés ou non mariés, mais plutôt les ménages où il y a des enfants. Je réfléchis en fait à l'extérieur de...

M. Svend Robinson: Mais il y a des prestations de pension et un certain nombre d'autres prestations qui n'ont rien à voir avec les enfants, évidemment. Seriez-vous en faveur de retirer ces avantages qui sont conférés aux couples hétérosexuels vivant en union libre, puisqu'ils n'ont rien à voir avec les enfants?

M. Ted Morton: Je ne propose pas cela. Je dis que ce serait une possibilité en ce sens que cela renforcerait la liberté individuelle et que l'État n'interviendrait pour imposer des devoirs que lorsqu'il y a des conséquences. Je pensais que vous étiez un grand champion des libertés et que cela vous semblerait attrayant.

M. Svend Robinson: D'accord.

Je n'ai pas beaucoup de temps, mais j'ai une autre question à poser à la professeure Holland. Je dois dire que j'ai beaucoup apprécié votre réponse à mon collègue M. McKay au sujet de l'absence de raison d'être de l'exclusion de l'option du mariage pour les gais et les lesbiennes. En fait, on sait qu'au moins un juge, le juge dissident dans l'affaire Layland et Beaulne, a déjà adopté la même position. Je ne doute nullement que les tribunaux finiront par accepter cela comme élément essentiel de l'égalité. Le gouvernement des Pays-Bas a déposé un projet de loi reconnaissant explicitement le mariage civil pour les gais et les lesbiennes, et le Canada ne serait donc pas le premier pays du monde à le faire.

La question que je vous pose porte sur les relations conjugales. M. Lowther ne cesse de revenir à cette question et de dire que nous ne savons pas de quoi il retourne. Nous nous aventurons en territoire inconnu, en terrain glissant, etc. N'est- ce pas un fait—et peut-être pourriez-vous nous donner des explications là-dessus—qu'il y a une jurisprudence solidement établie quant à la définition des relations conjugales, notamment dans la récente décision rendue dans l'affaire M. et H.? Susan Ursel, qui connaît également très bien ce domaine, voudra peut-être intervenir également. La Cour suprême du Canada, dont le professeur Morton dit que nous pouvons tout simplement ne pas en tenir compte—je trouve que c'est une approche originale du droit, de n'en pas tenir compte tout simplement ou de l'outrepasser—la Cour suprême du Canada nous a donné des directives assez claires au sujet des relations conjugales, qui ne se limitent pas simplement aux relations sexuelles, n'est-ce pas?

Mme Winifred Holland: Non. Je pense qu'il y a une jurisprudence bien établie de longue date. La première fois que j'ai trouvé ce terme, c'était dans la loi de 1978 portant réforme du droit de la famille, qui abordait pour la première fois le soutien des cohabitants de sexe opposé. On y trouvait le mot «conjugal». Il y a donc une jurisprudence bien établie, notamment une décision dans l'affaire Molodowich et Penttinen—je me ferai un plaisir de vous donner la référence—dans laquelle on traite de tous les facteurs qu'il faut prendre en compte, notamment la cohabitation et la reconnaissance. Il y a sept ou huit facteurs et c'est très complet.

M. Svend Robinson: Si nous pouvions obtenir...

Mme Winifred Holland: C'est une décision sur laquelle on se fonde constamment et elle est encore citée, même si elle remonte à 1980. On y trouve une dissertation très claire sur les relations conjugales. Il y a un peu de flou et d'incertitude qui l'entourent, mais il y a une jurisprudence très élaborée en la matière.

Le président: Merci beaucoup.

Je vais donner la parole à M. Maloney qui posera la dernière question, car la sonnerie se fait entendre.

• 1745

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Le Comité canadien d'action et l'Association nationale de la femme et du droit ont tous deux exprimé la crainte que cette mesure législative provoque le dévoilement de situations personnelles, mais étant donné que les renseignements personnels transmis au gouvernement sont protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels et par d'autres lois qui renferment des dispositions sur la confidentialité, que craignez-vous exactement? Quelles dispositions de ce projet de loi exigeraient que les gens dévoilent publiquement leurs relations personnelles?

Mme Anne Kettenbeil: Pour bénéficier des avantages sociaux accompagnant un emploi, une personne aura à déclarer qu'elle cohabite avec un partenaire de même sexe. Maintenant, cela peut dépendre du type d'organisation ou de la compagnie, ou bien qu'il s'agisse de la fonction publique fédérale, etc., cela peut exposer des gens qui jusqu'à ce moment-là n'avaient pas décidé... Pour bénéficier de cet avantage, ces personnes seraient obligées d'indiquer quelle et leur relation.

Il y a un problème particulier dans le contexte de l'emploi. Dans les petites entreprises... J'ai personnellement été mutée d'une très grande entreprise à une très petite et il est certain que cela a changé la façon dont j'étais perçue et traitée en tant qu'employée—le fait que j'aie décidé de dévoiler publiquement mes relations dans ce contexte beaucoup plus restreint—et cela a donc influé sur l'atmosphère de mon lieu de travail. C'est en ce sens que cela pose un problème. Chacun sait qu'il y a des problèmes dans les services de ressources humaines, etc., surtout dans les grandes entreprises et les structures imposantes comme la fonction publique fédérale. Il y a beaucoup de commérage—je le sais, vous le savez, nous le savons tous—et toute la question du respect de la vie privée devient très problématique dans ce contexte.

Alors ce que nous proposons, c'est d'examiner la question et c'est également pourquoi nous proposons de mettre sur pied, parallèlement à ce projet de loi, un programme d'éducation pour renseigner les agents de ressources humaines et les employeurs sur leurs obligations en matière de respect de la vie privée. De plus, au Québec, on a fait un sondage après l'adoption de la loi 32 et l'un des thèmes qui revenaient constamment dans les divers groupes de discussion était toute la question du respect de la vie privée. Nous savons donc que c'est une préoccupation dans la communauté des gais et des lesbiennes.

Le président: Merci beaucoup. Merci, monsieur Maloney. Merci à tous.

Je tiens d'abord et avant tout à remercier chaleureusement tous les témoins. La séance de cet après-midi nous a certes été utile.

Nous avons des séances demain à 11 heures et à 15 h 30, mais j'attire l'attention des membres du comité sur le fait que les deux séances de demain, à 11 heures et à 15 h 30, auront lieu toutes les deux dans la pièce 362 de l'édifice de l'Est. Je vous le dis tout de suite parce que c'est inhabituel et je veux vous éviter de venir ici et de vous retrouver bredouille.

Merci beaucoup et à demain.