Passer au contenu
;

ENVI Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

2.    NÉCESSITÉ D'UNE NOUVELLE LOI


Une loi dépassée

2.1    L'actuelle Loi sur les produits antiparasitaires a été adoptée par le Parlement en 1969. Même si elle a été modifiée à plusieurs reprises depuis, elle n'a jamais été révisée systématiquement. La structure de la Loi demeure fondamentalement celle d'il y a 30 ans : cette loi cadre relègue au règlement la tâche importante de préciser le régime fédéral de la lutte antiparasitaire au pays.

2.2    Depuis plusieurs années, on reconnaît qu'il faut mettre la Loi à jour et on fait des démarches en ce sens. En 1987, la Commission de réforme du droit du Canada3 a publié, dans sa série sur la protection de la vie, une étude de la loi et de la politique fédérales sur les pesticides qui comptait 23 recommandations de changement détaillées4. Peu après, en 1989, M. Don Mazankowski, alors ministre de l'Agriculture, a créé un groupe multidisciplinaire qui devait recommander des façons d'améliorer le système. Après deux ans de longues négociations et de consultations publiques, ce groupe, l'Équipe d'examen du processus d'homologation des pesticides, a déposé son rapport en 1990. Appelé Livre bleu, le rapport recommandait un renouvellement complet du système, notamment par la création de l'ARLA et le transfert de la responsabilité législative du ministre de l'Agriculture au ministre de la Santé5.

2.3    Parmi les promesses électorales du Parti libéral du Canada, M. Jean Chrétien, alors chef de l'Opposition officielle, s'était engagé en 1993 à se conformer aux recommandations de l'équipe d'examen et à présenter une nouvelle loi fédérale sur les pesticides6. Dans un document publié en octobre 1994 et intitulé « Proposition du gouvernement concernant le système de réglementation de la lutte antiparasitaire » (Livre mauve), le gouvernement libéral nouvellement élu précisait comment il comptait mettre en œuvre les recommandations de l'Équipe d'examen sur la réglementation antiparasitaire. Plusieurs mois plus tard, le 9 février 1995, il a annoncé officiellement la création de l'ARLA et le transfert des responsabilités administratives de la Loi au ministre de la Santé. Il s'est également engagé à présenter une nouvelle loi, après consultations avec les parties intéressées7.

2.4    Conformément à cette annonce, l'ARLA a été effectivement créée en avril 1995 et le ministre de la Santé a reçu la responsabilité administrative de la Loi. À noter toutefois que ces changements majeurs ont été le résultat de mesures administratives. L'ARLA a été créée comme une direction générale au sein de Santé Canada, tandis que le transfert de responsabilités du ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire au ministre de la Santé s'est fait par un décret émis le 28 mars 19958. La Loi sur les produits antiparasitaires, quant à elle, n'a pas été modifiée en conséquence. En fait, puisque c'est un décret plutôt qu'un changement législatif qui a permis le transfert de responsabilités au ministre de la Santé, la Loi continue de définir le « ministre » comme le « ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire ».

2.5    Le Comité s'inquiète qu'un changement aussi fondamental au régime fédéral de lutte antiparasitaire se soit fait sans la participation ni l'approbation du Parlement. À notre avis, il aurait été préférable que ces changements découlent de mesures législatives, à la suite d'un débat complet et public.

2.6    Le fait que la Loi sur les produits antiparasitaires actuelle continue de faire référence au « ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire » plutôt qu'au « ministre de la Santé » souligne la nécessité de présenter au plus tôt un nouveau projet de loi. Il s'agit surtout de moderniser la Loi afin qu'elle reflète les progrès scientifiques et le changement fondamental des valeurs et des politiques qui s'est opéré au fil des ans.

2.7    Notons à cet égard l'émergence du concept de développement durable qui a acquis une stature internationale après que la Commission mondiale des Nations Unies sur l'environnement et le développement l'ait adopté (Commission Brundtland)9. La Commission définit le développement durable comme celui qui permet de répondre aux besoins actuels sans compromettre la capacité des générations futures de répondre à leurs besoins. Elle a aussi établi la relation capitale entre la qualité de l'environnement et la santé humaine.

2.8    Le principe de prudence a obtenu lui aussi une reconnaissance internationale et plusieurs le considèrent comme un levier clé pour la promotion du développement durable. Ce principe est inclus dans de nombreux accords internationaux dont la plupart ont été ratifiés par le Canada10. Il réclame pour l'essentiel des mesures préventives pour éviter des torts éventuels à l'environnement ou à la santé humaine, même en cas de doute scientifique. Cependant, il n'existe pas de définition universellement reconnue de ce principe, qui a été défini de façon différente dans les diverses ententes.

2.9    La prévention de la pollution est un autre principe qui est perçu comme essentiel pour atteindre le développement durable. Il cherche à éviter directement la production de polluants, plutôt que de composer avec eux une fois qu'ils sont présents. En 1995, le gouvernement fédéral a endossé expressément la prévention de la pollution comme stratégie privilégiée pour protéger la santé humaine et l'environnement11.

2.10    Lors de sa comparution devant nous le 2 novembre 1999, Mme Claire Franklin, directrice exécutive de l'ARLA, a affirmé que la préparation d'une nouvelle loi était en cours. Par la suite, elle nous a fourni un document intitulé Changements proposés à la Loi sur les produits antiparasitaires. Ce document, préparé en janvier 1999, formule les modifications à la Loi que l'ARLA recommande.

2.11    Le ministre de la Santé a, à son tour, informé le Comité qu'il n'avait pas d'échéancier précis pour présenter une nouvelle loi sur la lutte antiparasitaire au Parlement. Il a affirmé qu'avant d'agir, il voulait consulter son caucus sur diverses questions et considérer les recommandations de notre Comité12.

2.12    Le Comité remercie le ministre de retarder le dépôt du projet de loi jusqu'à ce qu'il ait eu le loisir d'examiner nos recommandations. Cependant, il est incontestable que la réforme législative a trop tardé et qu'il est urgent d'agir, puisque la loi actuelle a 30 ans. Elle ne fait guère plus que formuler les prohibitions générales et permettre le règlement d'application. De l'avis du Comité, la réglementation actuelle de la lutte antiparasitaire au Canada n'est plus acceptable. Il est essentiel que le Parlement contribue à définir les éléments du nouveau régime fédéral de lutte antiparasitaire.

2.13    Bien des témoins ont réclamé que la Loi soit modernisée. Le Comité est d'accord et recommande qu'on dépose une nouvelle loi le plus tôt possible.

Le Comité recommande que le ministre de la Santé dépose en priorité une nouvelle loi sur les pesticides.

Principes directeurs de la nouvelle loi

2.14    Le Comité a examiné l'ensemble de modifications proposé par l'ARLA dans son document de janvier 199913. Comme on l'explique en détail dans le présent rapport, ces changements présentent des lacunes concrètes à plusieurs égards. De l'avis du Comité, la nouvelle loi doit clairement établir les principes directeurs qui sous-tendent le nouveau régime. Elle doit également fournir un cadre d'actions détaillées incorporant les notions modernes de l'évaluation du risque et de la gestion du risque. En particulier, elle doit faire en sorte que les segments les plus vulnérables de la population, plus particulièrement les enfants soient suffisamment protégés.

2.15    En considérant les témoignages présentés, le Comité estime que la nouvelle loi devrait être fondée sur les principes suivants :

  • accorder la priorité absolue à la protection de la santé humaine et de l'environnement dans les décisions en matière de lutte antiparasitaire;
  • inscrire le principe de la prudence dans la prise de décision;
  • promouvoir et accroître le recours à des stratégies de prévention de la pollution afin de réduire ou d'éliminer le recours aux pesticides;
  • favoriser la confiance du public en informant et en faisant participer réellement les Canadiens.

2.16    Lorsque l'ARLA a été créée en 1995, on lui a donné plusieurs objectifs. L'un d'eux consiste à protéger la santé humaine et l'environnement; un autre est de soutenir la compétitivité des secteurs agricoles, forestiers et manufacturiers. De l'avis du Comité, l'ALRA ne devrait pas s'occuper de favoriser la compétitivité de l'industrie. Au sein du gouvernement fédéral, il existe des ministères mieux placés pour effectuer cette tâche : Finances, Industrie, Affaires étrangères et Commerce international, Ressources naturelles, Agriculture et Agroalimentaire.

2.17    Le Comité accorde beaucoup d'importance au fait que l'ARLA a été créée au sein de Santé Canada, plutôt que dans un autre ministère. Pour que cette décision soit fondée, la protection de la santé humaine et de l'environnement doit devenir la priorité absolue de l'Agence. Comme nous l'expliquons en détail dans les chapitres 5, 6 et 7, les pesticides sont réputés causer, ou sont soupçonnés de causer, une vaste gamme d'infections et d'anomalies chez l'être humain et les animaux. Par définition, les pesticides sont toxiques. Il est donc essentiel que la protection de la santé humaine et de l'environnement sous-tende toutes les décisions en matière de lutte antiparasitaire, et cela doit être clair dans la nouvelle loi, à la fois dans le préambule et dans les articles exécutoires.

2.18    De nouvelles générations de pesticides apparaissent constamment sur le marché afin de remplacer les précédentes. Avec les progrès de la science, on découvre que les nouveaux pesticides, que l'on croyait moins toxiques, pourraient également s'avérer nocifs pour la santé. L'expérience nous dit que les pesticides sans danger n'existent pas. Afin de s'offrir une marge de sécurité pour compenser les lacunes scientifiques, il est essentiel d'utiliser une approche de prudence dans tous les aspects de la prise de décision. Par conséquent, le Comité recommande que la nouvelle loi endosse le principe de la prudence comme l'un de ses principes directeurs.

2.19    Il existe de nombreuses définitions de ce principe, mais le Comité endosse celle contenue dans la Convention de Londres de 1972 sur l'immersion de déchets en mer14. Cette définition offre une plus grande perspective d'action que bien d'autres que nous avons examinées. Modifiée légèrement pour le contexte de la réglementation antiparasitaire, cette définition stipulerait que :

Des mesures appropriées doivent être prises quand il y a lieu de croire qu'un produit antiparasitaire peut causer des dommages, même s'il n'existe pas de preuve concluante d'une relation causale entre le produit antiparasitaire et ses effets.

2.20    Comme on l'a affirmé au début du chapitre, la prévention de la pollution est un outil jugé essentiel à l'atteinte du développement durable. De l'avis du Comité, il s'agit de l'option privilégiée pour protéger la santé humaine et l'environnement, étant donné qu'elle vise à éliminer ou à réduire la production et l'utilisation de pesticides et d'autres polluants, plutôt qu'à gérer les risques qui découlent de leur usage. Dans le contexte des pesticides, la prévention de la pollution est réalisée par la mise en œuvre de plans de réduction du recours aux pesticides et de stratégies intégrées de lutte antiparasitaire, afin de réduire ou d'éliminer le recours à ces produits. Ces approches sont considérées dans les chapitres 11 et 12.

2.21    Dans la stratégie de prévention de la pollution de 1995, le gouvernement fédéral a réclamé que l'accent passe de la gestion de la pollution à sa prévention15. Le Comité est d'accord avec ce changement d'insistance et recommande que la nouvelle loi suive aussi, comme principe directeur, la promotion des stratégies de prévention de la pollution et une dépendance accrue envers elles.

2.22    Un autre principe qui, de l'avis du Comité, est nécessaire, réclame un processus ouvert et transparent afin de favoriser la confiance du public envers la réglementation antiparasitaire. Les Canadiens doivent être informés des risques découlant de l'utilisation des pesticides. Ils doivent également avoir l'occasion de participer à la prise de décision. Plus les Canadiens seront sensibilisés à l'utilisation des pesticides, plus ils seront susceptibles d'appuyer et de réclamer la préparation et la mise en œuvre de stratégies de remplacement. Il est donc important que la nouvelle loi insiste sur le besoin d'informer et de faire participer les Canadiens.

2.23    Le Comité désire souligner cependant que ces principes doivent figurer non seulement dans le préambule, mais également dans les articles exécutoires de la loi. Le rapport formule plusieurs recommandations pour rendre ces principes « fonctionnels » dans des domaines précis. Afin de faire en sorte qu'ils soient d'application générale cependant, le Comité recommande en outre qu'ils soient codifiés dans une disposition administrative semblable à l'article 2 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999).

Le Comité recommande que la nouvelle loi se fonde sur les principes suivants :
accorder à la protection de la santé humaine et de l'environnement la priorité absolue dans les décisions en matière de lutte antiparasitaire;
inscrire le principe de la prudence dans la prise de décision;
promouvoir et accroître le recours à des stratégies de prévention de la pollution afin de réduire ou d'éliminer le recours aux pesticides;
favoriser la confiance du public en l'informant et en le sensibilisant sur l'utilisation des pesticides et en le faisant participer réellement à la prise de décision.
Le Comité recommande que ces principes figurent non seulement dans le préambule de la nouvelle loi mais aussi dans les articles exécutoires, notamment qu'ils soient énoncés dans une disposition administrative semblable à l'article 2 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999).
Le Comité recommande que le principe de la prudence soit défini comme suit dans la nouvelle loi :
Le principe de la prudence implique que des mesures appropriées doivent être prises quand il y a lieu de croire qu'un produit antiparasitaire peut causer des dommages, même s'il n'existe pas de preuves concluantes d'une relation causale entre le produit antiparasitaire et ses effets.

2.24    Le titre de la loi existante, Loi sur les produits antiparasitaires, laisse entendre qu'il faut des « produits » à base de pesticides pour lutter contre les agents nuisibles. Selon le Comtié cela véhicule un message erroné qu'il convient de corriger. Parce qu'ils peuvent être dangereux, les pesticides doivent être considérés comme un moyen de dernier recours et non comme la solution de choix. C'est le message qu'il faut communiquer aux Canadiens. Le présent rapport propose une approche à la lutte antiparasitaire plus globale, fondée sur le principe de la prévention de la pollution. Il importe que le titre de la nouvelle loi reflète cette nouvelle approche au lieu de la présenter sous un mauvais jour. Il faut éliminer dans la nouvelle loi toute mention de « produits », car il existe d'autres moyens aussi efficaces de lutter contre les agents nuisibles que d'utiliser des « produits » à base de pesticides.

Le Comité recommande de modifier le titre de la Loi sur les produits antiparasitaires pour celui de la Loi sur la lutte antiparasitaire.

 


3 La Commission de réforme du droit du Canada a été officiellement supprimée en 1993 à la suite de coupures budgétaires annoncées en 1992.

4 J.F. Castrilli et Vigod, T., Pesticides au Canada, Examen de la loi et de la politique fédérales, Série sur la protection de la vie, préparé pour la Commission de réforme du droit du Canada, Commission de réforme du droit du Canada.

5 Équipe d'examen du processus d'homologation des pesticides, Révision du système réglementaire fédéral de lutte antiparasitaire, rapport final, décembre 1990.

6 Bureau du chef de l'Opposition, Le Parti libéral annonce des politiques en agriculture, le 10 mai 1993.

7 Gouvernement du Canada, Le gouvernement réforme le système de réglementation des pesticides, le 9 février 1995.

8 Décret pris en vertu de la Loi sur les restructurations et les transferts d'attribution dans l'administration publique.

19 Commission mondiale sur l'environnement et le développement, Notre avenir commun, Oxford University Press, 1987.

10 Mentionnons : le principe 15 de la déclaration de Rio sur l'environnement et le développement de 1992, la Convention sur la diversité biologique de 1992, la Convention cadre des Nations Unies de 1992 sur le changement climatique, le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone, de 1987 (tel que modifié en 1990) et le Protocole de 1996 de la Convention de Londres sur les déversements en mer de 1972.

11 Environnement Canada, Prévention de la pollution, une stratégie fédérale pour l'action, 1995.

12 Témoignages, réunion no 23, le 17 février 2000.

13 Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, Modifications proposées à la Loi sur les produits antiparasitaires, janvier 1999.

14 Le Protocole de 1996 issu de la Convention de Londres a été adopté le 7 novembre 1996. Il n'est pas encore en vigueur. Pour qu'il le devienne, il doit être ratifié par 26 pays, dont 15 doivent être des parties contractantes à la Convention de 1972. Quatre pays l'ont signé, mais ne l'ont pas ratifié.

15 Environnement Canada, La prévention de la pollution, Une stratégie fédérale de mise en œuvre, 1995.