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CLAR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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LEGISLATIVE COMMITTEE ON BILL C-20, AN ACT TO GIVE EFFECT TO THE REQUIREMENT FOR CLARITY AS SET OUT IN THE OPINION OF THE SUPREME COURT OF CANADA IN THE QUEBEC SECESSION REFERENCE

COMITÉ LÉGISLATIF CHARGÉ D'ÉTUDIER LE PROJET DE LOI C-20, LOI DONNANT EFFET À L'EXIGENCE DE CLARTÉ FORMULÉE PAR LA COUR SUPRÊME DU CANADA DANS SON AVIS SUR LE RENVOI SUR LA SÉCESSION DU QUÉBEC

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 16 février 2000

• 1538

[Traduction]

Le président (M. Peter Milliken (Kingston et les Îles, Lib.)): À l'ordre. Nous sommes prêts à commencer, les caméras peuvent donc sortir, comme d'habitude.

Il manque des microphones à deux tables. Monsieur Blaikie, vous n'en avez probablement pas, ni M. Mills et les gens à côté de vous. Cela sera rectifié dans quelques instants. J'ai pensé qu'il n'était pas nécessaire de les avoir pendant que nous nous préparons à entendre le ministre.

J'ai quelques nouvelles à annoncer au comité. Nous n'entendrons pas de témoins ce soir. Aucun d'entre eux n'était disponible. Le comité ne siégera donc pas ce soir, ce qui décevra tous ses membres. Nous allons siéger demain matin, et à la fin de la séance d'aujourd'hui, je communiquerai à tous les membres l'heure de cette rencontre.

[Français]

Deux attachés de recherche ont été affectés à notre comité, soit M. Brian O'Neal et Mme Mollie Dunsmuir. Ils pourront répondre aux questions des membres du comité, les appuyer lors de la rédaction d'amendements et les aider à s'acquitter de leur travail dans le cadre des délibérations de ce comité.

[Traduction]

Nous avons également aujourd'hui avec nous deux présidents, le président de l'Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest et le président de l'Assemblée législative du Manitoba, qui nous rendent visite dans le cadre du programme qu'administre le Président de notre Chambre. Cinq Présidents d'assemblée législative sont en visite à Ottawa, et deux d'entre eux sont venus assister aujourd'hui aux délibérations de notre comité. En votre nom, j'aimerais leur souhaiter la bienvenue. Ils sont accompagnés de trois greffiers de diverses assemblées législatives, qui sont avec le groupe de présidents des assemblées législatives.

J'ai reçu un avis de motion de M. Turp.

• 1540

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Monsieur le président, je voudrais vous donner avis de deux motions.

Je propose en premier lieu que la motion relative au nombre de témoins invités à comparaître devant le comité législatif, adoptée par le comité le 14 février, soit annulée.

En deuxième lieu, je propose que la motion relative au temps alloué pour l'étude article par article, adoptée par le comité législatif le 14 février 2000, soit annulée.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Turp.

[Français]

Nous accueillons aujourd'hui comme témoin l'honorable ministre des Affaires intergouvernementales, M. Stéphane Dion.

Monsieur Dion, nous vous accordons 30 minutes pour votre présentation, après quoi suivra une période de questions de 50 minutes au cours de laquelle chaque parti disposera de 10 minutes. J'accorderai ensuite cinq minutes à chaque membre du comité.

Monsieur Dion, vous avez la parole.

L'hon. Stéphane Dion (président, Conseil privé de la Reine pour le Canada; ministre des Affaires intergouvernementales Canada): Merci beaucoup, monsieur le président. Je voudrais remercier mes collègues de m'avoir invité à discuter avec eux du projet de loi sur lequel ils doivent se pencher.

Je voudrais d'abord vous présenter mes collaborateurs: mon bras droit depuis quatre ans, le sous-ministre George Anderson; mon adjoint parlementaire, Geoffroi Montpetit, qui sera à votre disposition tout au long des travaux de votre comité—vous constaterez qu'il est un travailleur infatigable—; Mme Constitution canadienne elle-même, Mary Dawson, du ministère de la Justice; et Warren Newman, qui travaille aussi au ministère de la Justice. Warren a écrit un livre sur l'avis de la Cour suprême, que je recommande aux membres de ce comité.

Chers collègues, si j'avais à résumer en un seul mot ce projet de loi, ce mot serait évidemment «clarté». Et si j'en avais un deuxième à suggérer, ce serait «raisonnable». Il est tout à fait raisonnable qu'un État démocratique moderne ne puisse envisager la négociation de sa scission que si une question claire sur la sécession a été posée.

On ne négocie la sécession que sur la base d'une question claire sur la sécession. Il est tout à fait raisonnable de ne pas envisager d'engager des négociations aussi graves sur une majorité précaire. Il faut une majorité claire. Il serait aussi tout à fait raisonnable que de telles négociations, si elles devaient avoir lieu, se déroulent dans le cadre constitutionnel du pays en question. C'est ce qu'a dit la Cour suprême, et c'est ce que dit le projet de loi sur la clarté. Je crois que c'est le caractère raisonnable de ce projet de loi qui explique l'échec des efforts déployés par le gouvernement du Québec et par le Bloc pour créer de l'émotion et pour tenter d'enflammer les passions sur ce projet de loi. Les Québécois, dans l'ensemble, l'ont trouvé raisonnable et les Québécois n'ont pas peur de la clarté; de fait, ils la souhaitent.

La perspective de division que laisse supposer la possibilité d'une sécession est déjà suffisamment préoccupante sans qu'on l'envisage en dehors du droit et de la clarté. C'est donc d'abord et avant tout

[Traduction]

à titre de Québécois, je suis fier d'être le ministre parrain de ce projet de loi, parce qu'une tentative de sécession, opérée dans la confusion et en dehors du cadre juridique, aurait des effets très néfastes à Saskatoon, Winnipeg, Vancouver, Toronto et Halifax, mais les conséquences seraient bien pires à Tadoussac, Chicoutimi, Montréal, Québec et Trois-Rivières.

Je tiens donc à dire que ce projet de loi est pro-Québec, pro- démocratie, et que ce projet de loi est bon pour tous les Canadiens.

[Français]

C'est un projet de loi pro-démocratie, pro-Québec et pour tous les Canadiens.

L'une des raisons pour lesquelles ce projet de loi est raisonnable, c'est qu'il colle à l'avis de la Cour suprême du Canada. Qu'a donc dit la Cour suprême le 20 août 1998? Elle a dit que, pour qu'il y ait obligation de négocier la sécession, il fallait qu'une majorité claire se dégage en faveur de la sécession, en réponse à une question claire, et que les négociations, une fois qu'il y a obligation de négocier la sécession, aient lieu dans le cadre constitutionnel, avec tout sur la table, sans que rien ne soit décidé à l'avance. Voilà ce que dit l'avis de la cour.

• 1545

L'une des raisons pour lesquelles il nous faut un projet de loi en plus de cet avis de la cour, qui a la portée d'un jugement, c'est que l'actuel gouvernement du Québec a refusé de s'engager à ce qu'il n'y ait pas de référendum et que le premier ministre du Québec a refusé de s'engager à respecter l'avis de la cour.

L'interprétation qu'il en donne est, bien sûr, partielle. Il commence la phrase sans la terminer. Il dit: «ils seront obligés de négocier.» Il ne prononce pas la suite de la phrase, soit «en cas de majorité claire, en présence d'une question claire et dans le cadre constitutionnel.» On retrouve dans le projet de loi sur la clarté la suite de la phrase. Cela vous concerne en tant que députés de cette Chambre. Pourquoi? Parce que dans l'expression «ils seront obligés de négocier», le pronom «ils» vous concerne, vous. Vous êtes inclus dans ce «ils». Je suis convaincu que tout le monde va admettre cela.

La cour a parlé des acteurs politiques, des participants à la fédération qui auraient à évaluer la question et la majorité et, le cas échéant, à négocier. Je suis convaincu que tout le monde admettra que parmi ces acteurs, il y a la Chambre des communes et le gouvernement du Canada. Même mon collègue le député de Beauharnois—Salaberry, le critique du Bloc québécois en matière d'affaires intergouvernementales, a dit au mois de décembre dernier:

    S'il y a un rôle où le gouvernement fédéral peut être fondé d'agir en lisant l'opinion de la Cour [...] c'est après le référendum qu'il pourra évaluer la clarté de la question et de la majorité requise afin de déterminer s'il y a une obligation de négocier.

Donc, la Chambre des communes doit évaluer s'il y a obligation de négocier. On est bien d'accord. Que ce soit la Chambre des communes ou le gouvernement, une autorité politique fédérale devra faire cette évaluation.

Mon problème, cependant, c'est que le député de Beauharnois—Salaberry est tout à fait isolé dans son mouvement politique. Dans la propagande que le gouvernement du Québec et le Bloc québécois déploient partout, ils prétendent que les autorités fédérales et les élus à l'élection fédérale ne pourraient d'aucune façon essayer de déterminer si la question est claire et si la majorité est claire. Leur argument, c'est qu'ici, à la Chambre des communes, les élus venant du Québec sont en minorité.

À cela il faut répondre deux choses. Nous, Québécois, sommes aussi des Canadiens et nous avons les mêmes droits que les autres Canadiens. Notre Parlement fédéral ne peut pas annuler ses responsabilités envers nous sans s'assurer que c'est bien notre volonté. C'est ce que la cour nous dit de faire de toute façon et, moralement, c'est ce que nous devons faire et ce qui se passerait dans n'importe quel autre pays. J'imagine que jamais le parlement d'un pays n'accepterait que le quart de sa population perde ses droits au pays sans s'assurer que telle est bien sa volonté.

Il y a une deuxième chose qu'on doit dire. Les autres Canadiens ne sont pas des étrangers pour nous, les Québécois. Ce sont nos concitoyens. S'il y avait négociation en raison d'une volonté claire de sécession de notre part, cette négociation porterait sur la scission de leur pays, parce que le Québec fait partie de leur pays et que la perte du Québec aurait des conséquences graves pour eux, de la même façon que la perte du Canada aurait des conséquences graves pour nous.

Ils doivent donc s'assurer auprès de leurs électeurs, tout comme auprès des Québécois, qui sont des concitoyens pour eux, qu'il y a une volonté claire de sécession avant d'engager des négociations aussi graves.

Parlons de clarté. Ce débat sur la clarté n'a pas été inventé par l'avis de la Cour suprême ou par le projet de loi sur la clarté. Ce débat se pose depuis le début de cette affaire.

En 1980, il n'y a pas eu entente entre M. Lévesque et M. Trudeau sur la portée du référendum. M. Trudeau avait dit à M. Lévesque lors d'un de ses fameux discours durant le référendum:

    Si vous frappez à la porte de la souveraineté-association, il n'y a pas de négociation possible.

M. Trudeau excluait tout possibilité de négociation en 1980. On ne peut donc pas parler de changement des règles du jeu puisqu'on ne s'entendait pas sur les règles à l'époque.

En 1995, le lendemain du référendum, lorsqu'il faisait le bilan de la campagne en Chambre, M. Bouchard s'indignait du fait qu'à ses yeux, M. Chrétien s'était réservé le droit «de ne pas respecter un verdict favorable à la souveraineté en cas d'une majorité serrée pour le oui».

On ne s'entendait pas en 1995. Il ne faut pas inventer des choses qui n'existent pas. Il n'y a pas eu d'entente et, après le Oui, il n'y aurait pas eu d'entente non plus sur la signification de ce Oui.

Commençons par la clarté de la question. La Cour suprême nous dit, au paragraphe 151, que pour qu'une question soit claire, il doit être clair qu'il y a volonté de ne plus faire partie du Canada.

• 1550

La façon de s'assurer de cette volonté de ne plus faire partie du Canada est de ne poser une question que là-dessus. Si vous posez une question qui engage d'autres dimensions, vous rendez la question confuse.

Prenez n'importe quel livre de méthodologie et vous constaterez que, lorsqu'on demande comment on pose une question claire, on dit toujours qu'il ne faut pas qu'il y ait deux dimensions dans la question. Je citerai une phrase qu'on trouve dans un ouvrage qu'ont publié deux collègues de l'Université de Montréal, André Blais et Claire Durand, et qui s'intitule Recherche sociale:

    Une question est ambiguë si elle porte sur plus d'une dimension. Il convient donc de n'introduire qu'une seule idée à la fois.

Le partenariat est une idée autre que celle de la sécession, et il n'a rien à faire dans une question sur la sécession. C'est ce que dit le projet de loi sur la clarté en donnant effet à l'avis de la cour.

La deuxième raison pour laquelle le partenariat ne doit pas être dans la question, c'est que non seulement c'est une autre dimension que la sécession, mais qu'en plus on ne sait pas ce que c'est que ce partenariat. Ils ont eu 30 ans pour le définir.

Le 19 juin 1997, M. Bouchard jetait l'éponge et disait que ce partenariat était un squelette. C'est quand même incroyable qu'il ne nous ait pas dit en 1995, quand il nous a invité à voter: «Je vous offre de voter sur la souveraineté avec une offre de squelette, parce que, voyez-vous, je ne sais pas ce que c'est.»

Depuis 1997, malgré tous les colloques que le Bloc a pu tenir, tous aussi peu concluants les uns que les autres, ils n'ont pas mis de la chair sur le squelette. Eux aussi ont jeté l'éponge et on dit qu'on définirait cela plus tard, durant la négociation. On invitait les Québécois à voter sur quelque chose, mais on ne savait pas sur quoi. On sait bien pourquoi ils ne le savent pas. Comment voulez-vous que 25 p. 100 de la population canadienne brise le pays? Ils reviennent en force en disant maintenant: «Coucou, on fait 50 p. 100 dans les institutions communes». Mais si ce n'est pas 50 p. 100 dans les institutions communes, si c'est moins de 50 p. 100, le Bloc doit le dire. Ce n'est plus l'indépendance. Si vous avez un partenaire qui est toujours majoritaire pour toutes les décisions, vous êtes toujours minoritaire. Il ne peut donc pas y avoir partenariat quand vous êtes un pays indépendant, à moins que ce soit comme en Europe, où il y a un partenariat à plusieurs. Mais quand on un partenariat à deux, c'est 50 p. 100 dans les institutions communes. Au Canada, il n'y a aucun appui à une telle idée. Le premier ministre de l'Ontario a dit qu'il ne voyait pas pourquoi l'Ontario compterait moins que le Québec dans ce partenariat et pourquoi le Canada s'imposerait un palier de gouvernement additionnel.

Alors donc, il n'y a pas d'appui pour cela et, dans la mesure où l'on préciserait qu'il n'y a pas d'appui, on ne pourrait pas le préciser. Ça reste confus et, de toute façon, c'est une autre dimension que la sécession. Donc, aucune question ne pourrait être claire si cette notion était incluse.

Parlons maintenant de la majorité. La cour nous a dit plus de 13 fois qu'il fallait évaluer la majorité, si la majorité est claire. Elle l'a dit 13 fois. C'est donc important. Ce n'est pas quelque chose que cette Chambre pourrait traiter à la légère. Ce serait vraiment une décision grave. Elle nous dit aussi que nous ne devrions pas fixer à l'avance cette majorité claire.

Je cite le paragraphe 153 du texte de la cour:

    Toutefois, il reviendra aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste «une majorité claire en réponse à une question claire», suivant les circonstances dans lesquelles un futur référendum pourrait être tenu.

C'est là un avis très sage de la cour. Il serait très difficile aujourd'hui, dans la tranquillité d'un Canada uni, d'essayer de déterminer une telle chose à la place des politiciens, qui se retrouveraient certainement dans une situation de turbulence après un Oui.

Le projet de loi nous dit que le premier acteur ayant à évaluer la clarté de la majorité serait le gouvernement séparatiste lui-même. Il reçoit un résultat, il y a majorité et c'est à lui ou à son assemblée législative de déterminer s'il va inviter les autres parties de la fédération à négocier la séparation. Donc, il fera cette évaluation.

Je vois qu'il y a déjà une certaine ouverture du côté bloquiste ou d'un mouvement indépendantiste. Par exemple, M. Jean-François Lisée a écrit dans son livre qu'il faudra regarder de très près la question du recomptage judiciaire ou des bulletins rejetés. M. Turp disait hier qu'il faudrait peut-être donner au président des élections du Québec une responsabilité à cet égard. On commence à se rendre compte qu'il faudrait faire cette évaluation.

Je crois que le bon sens triompherait dans ces circonstances. Si on était dans la zone du recomptage judiciaire, on arrêterait évidemment tout cela. On ne ferait pas une telle négociation avec une majorité au fil du rasoir.

Si on estime avoir une majorité claire, on invite les autres participants et la Chambre des communes, à son tour, aura à faire cette évaluation. Tel est le processus fixé par le projet de loi sur la clarté. Je suis sûr que tout le monde convient que la cour n'aurait pas insisté à ce point sur la question de la majorité claire si elle avait estimé que la Chambre des communes devait accepter une majorité de 50 p. 100 plus un, sans autre examen.

On aurait à faire cette évaluation et personne ne devrait mettre cela en cause. Je m'étonne donc que le Bloc et le gouvernement indépendantiste le fassent, en affirmant que 50 p. 100 plus un contient en soi la démocratie et que la démocratie n'a pas d'autre façon de procéder selon certains enjeux.

On va reprendre cela.

• 1555

[Traduction]

Si le Parti réformiste exige un vote de deux tiers de ses membres pour la dissolution du parti,

[Français]

et si le Code civil québécois prévoit qu'il faut une majorité des trois quarts pour dissoudre une copropriété, c'est qu'il y a une raison logique à cela. C'est que dès lors que vous avez dissous une association, vous ne pouvez pas la rebâtir par un vote. Qui voterait puisqu'elle n'existe plus?

C'est la même chose pour un pays. Après un Non, les dirigeants indépendantistes peuvent dire «à la prochaine» ou «à très bientôt», et ils ne se gênent pas pour le faire. Ils peuvent reprendre le vote, et c'est ce qu'ils font. Ils nous annoncent un troisième référendum et ils ne disent pas que ce sera le dernier.

Après un Oui, ceux qui auraient voté en faveur du Non ne pourraient pas dire «à la prochaine» ou «à très bientôt» si ce Oui menait à la séparation. Ça serait une décision irréversible qui engagerait les générations futures. Pour cette raison fondamentale, elle ne devrait être prise qu'à partir d'une majorité claire ayant la légitimité nécessaire pour engager les générations futures, et suffisamment claire aussi pour passer à travers la dure période des négociations.

C'est ce que prévoit de toute façon la Loi sur la consultation populaire du Québec. On trouve dans le Livre blanc l'énoncé suivant:

    Ce caractère consultatif des référendums fait qu'il serait inutile d'inclure dans la loi des dispositions spéciales à l'égard de la majorité requise ou du taux nécessaire de participation.

Un référendum est une consultation. Après la consultation, les autorités politiques évaluent le résultat et prennent des décisions en conséquence. C'est le droit québécois et c'est le droit fédéral canadien.

J'ai maintes fois formulé ces arguments et je m'en excuse auprès de ceux qui les ont déjà entendus. Mais le fait est que jamais le gouvernement péquiste ou le Bloc ne les ont réfutés. Ils ont préféré accuser le gouvernement du Canada d'être antidémocratique, en répétant qu'on mettait en cause l'égalité des électeurs.

L'égalité des électeurs veut dire que chaque voix compte pour une unité dans le décompte du vote. Quant aux résultats, les autorités politiques évaluent ce qu'il convient de faire dans les circonstances. C'est ce que dit la Loi sur la consultation populaire du Québec. On doit demander au Bloc et au gouvernement péquiste si cette loi est elle aussi antidémocratique.

Ils disent que la loi du 50 p. 100 plus un est universelle. En 1995, il y a eu des référendums dans le Nord du Québec. Les populations qui vivent là ont voté à plus de 95 p. 100 pour rester dans le Canada. Le gouvernement péquiste et le Bloc ont prétendu qu'on pouvait ignorer ces référendums. Est-ce que cette règle du 50 p. 100 plus un serait plus universelle pour certains que pour d'autres?

[Traduction]

Au moins le Parti réformiste est cohérent. Le Parti réformiste dit que si 50 p. 100 plus un est la règle pour sortir du Canada, ce devrait être la règle pour rester au Canada. L'argument est cohérent mais totalement irresponsable. Il est évident que pour une décision aussi importante, 50 p. 100 plus un ne suffit pas.

[Français]

Le journal The Economist, à la suite de tant d'autres, disait récemment dans un éditorial qu'une sécession devait être réalisée uniquement si une majorité claire, bien au-delà de 50 p. 100 plus un des électeurs, l'a choisie librement. Et d'ailleurs, si 50 p. 100 plus est une majorité claire, que serait une majorité non claire?

Comment limiter les risques de désaccord à propos de la majorité? Il faudrait qu'il n'y ait jamais de référendum à moins que les indépendantistes n'aient l'assurance de le gagner clairement. Cette assurance, avec les moyens que nous avons, peut être donnée de différentes façons, par des majorités claires qui se dégagent de façon stable dans les sondages et par le ralliement des différentes sources politiques à cette idée de la sécession. Sur cette base, on pourrait faire ce qui s'est passé partout ailleurs dans le monde.

• 1600

En dehors de la situation coloniale, quand il y a eu des référendums dans des circonstances où la sécession a été réussie, on n'a pas tenu un référendum pour savoir si la moitié du peuple voulait se séparer; on en a tenu un parce qu'on savait que la population voulait se séparer. De fait, les résultats de ces référendums ont toujours dégagé des majorités de plus de 75 p. 100.

Je donne raison à M. Bouchard quand il dit qu'il ne tiendra son référendum que s'il peut le gagner. Je lui donne tout à fait raison. Mon désaccord, cependant, tient à ce que la question ne doit pas faire partie de son arsenal de conditions gagnantes. Il ne doit pas essayer de concevoir une question qui lui permette de gagner; il doit essayer de concevoir une question qui lui permette de savoir ce que les gens veulent: «Voulez-vous cesser de faire partie du Canada pour faire du Québec un pays indépendant?» C'est ce qu'il s'agit de savoir. C'est mon premier point.

Le deuxième porte sur le moment de la tenue du référendum. Il relève de son pouvoir à lui seul d'en décider; c'est sa prérogative. Le moment du référendum ne doit pas être déterminé à partir de considérations tactiques pour essayer de trouver le bon moment où, sous le coup des émotions, on va franchir une barre. Non. Le moment du référendum doit être choisi dans l'intérêt de tout le monde et ce moment doit être un moment où on sait qu'on va gagner, par une majorité claire, en faveur de la séparation.

C'est une faute morale en démocratie que de chercher à obtenir une décision permanente par des effets de circonstance. On devrait tous se dire que ce n'est pas dans l'intérêt public.

L'intérêt de tout le monde est que le soir d'un référendum, si malheureusement il devait y en avoir un autre, le Oui veuille dire une seule chose, à savoir que nous voulons que le Québec soit un pays indépendant et qu'il ait son siège à l'ONU en tant qu'État indépendant, distinct du Canada. Tous les acteurs qui ne sont pas d'accord sur cette idée doivent être compris dans le Non.

C'est ce que tout le monde devrait souhaiter parce que, s'il y a des gens qui ont dit oui et qui ne sont pas de cet avis, ils n'accompagneront pas longtemps le mouvement séparatiste dans sa tentative de sécession lors des négociations. Et si on devait voir fondre cette majorité durant les négociations, on se trouverait bien sûr dans une impasse dangereuse et inutile pour tout le monde.

J'en arrive, monsieur le président, au troisième article de ce court projet de loi, qui parle du cadre juridique des négociations.

La Cour suprême, au paragraphe 149, a confirmé que les négociations sur la sécession devaient se dérouler dans le cadre constitutionnel existant et dans le respect des principes qu'elle a identifiés au paragraphe 90: le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit ainsi que le respect des minorités.

Une des conséquences pratiques de cela est que le gouvernement du Québec ne pourrait pas déterminer seul ce qui est négociable et ce qui ne l'est pas. Je cite la cour:

    À notre avis, le Québec ne pourrait prétendre invoquer un droit à l'autodétermination pour dicter aux autres parties les conditions d'une sécession:

Il faudrait plutôt tenir compte des intérêts du gouvernement fédéral, du Québec et des autres provinces, d'autres participants ainsi que des droits de tous les Canadiens à l'intérieur et à l'extérieur du Québec et des autochtones et ce, à propos de tous les sujets, du partage de la dette à la question des frontières. Ici encore, le projet de loi est tout à fait fidèle à l'avis de la cour.

Le gouvernement du Québec et le Bloc québécois ont une difficulté quant à la possibilité de négocier les frontières. À ce sujet, la cour a écrit, au paragraphe 96:

    Nul ne peut sérieusement soutenir que notre existence nationale, si étroitement tissée sous tant d'aspects, pourrait être déchirée sans efforts selon les frontières provinciales actuelles du Québec.

Le Bloc a commandé au juriste et professeur Alain Pellet un avis juridique où il a confirmé que les frontières pourraient être négociées. Mais il n'y a pas de certitude qu'elles seraient négociées. S'il n'y a pas de demande en ce sens, il n'y a aucune raison de les négocier. Par contre, s'il y a une demande en ce sens et que cette demande est claire, au moins aussi claire que la demande de sécession, il sera très difficile et probablement immoral de l'ignorer.

Mais il n'y a pas non plus de garantie que cette demande serait honorée. On est dans un monde où la cour nous dit que rien ne serait déterminé à l'avance. Ce que l'on sait, c'est qu'il est possible que, pour qu'il y ait un accord sur la séparation, il faille qu'il y ait au préalable un accord sur la redéfinition des frontières. Le gouvernement du Québec ne peut faire l'autruche; encore la semaine dernière, des leaders autochtones sont venus le lui rappeler.

Par contre, le projet de loi, conformément à ce que dit la cour, ne va pas dans le sens de ce que proposait le député de Beauharnois—Salaberry avant son entrée en politique, alors qu'il disait que les peuples autochtones avec leurs territoires pourraient rester dans le Canada s'ils le souhaitaient. On ne peut pas donner cette garantie.

• 1605

On sait cependant qu'en 1980 et en 1995, il y a eu des demandes en ce sens. On sait que le problème se poserait très probablement. Et on sait que ce ne serait certainement pas la seule pomme de discorde. Une sécession engage un ensemble de problèmes qui peuvent créer des désaccords entre les gouvernements comme entre les populations. Le projet de loi sur la clarté, pas plus que l'avis de la cour, n'invente ni ne crée ces désaccords. Ils sont intrinsèques à la demande de sécession elle-même. Le projet de loi sur la clarté limite autant que possible ces risques de désaccord dans les circonstances en insistant sur la légalité, sur la clarté, sur la délibération et sur la consultation.

N'oublions pas que ce projet de loi n'est valable que

[Traduction]

pour la Chambre des communes et le gouvernement du Canada. Nous ne nous immisçons pas dans les responsabilités des autres acteurs politiques de la fédération. Il appartiendrait à l'Assemblée législative de la province de décider de la question. Il appartiendrait aux autres acteurs politiques, dont les autres gouvernements provinciaux et assemblées législatives, de décider de la manière dont ils veulent évaluer la majorité, la question, leur participation dans les négociations, et le reste. Nous ne pouvons pas décider à leur place.

Ce que nous leur disons, c'est ceci. Nous allons examiner sérieusement la question, pour voir si elle est claire ou non; nous allons examiner sérieusement la majorité, pour voir si elle est claire ou non; nous allons assumer nos responsabilités envers tous les Canadiens si nous devons négocier; et nous allons prendre en compte leurs points de vue dans la transparence. Tout dépend d'eux. Nous espérons travailler avec le même esprit, le même respect pour l'ordre juridique du Canada.

[Français]

Monsieur le président, je vais conclure. Je crois que ce projet de loi pousse la clarté au maximum dans les circonstances. Une sécession demeure un trou noir chargé d'incertitude. Monsieur le président, l'important est que nous sachions bien à l'avance qu'il y aurait négociation si l'appui était clair, mais qu'il n'y aurait pas négociation si l'appui n'était pas clair. La Chambre des communes et le gouvernement du Canada sont clairs là-dessus: c'est un principe fondamental et ces négociations seraient menées dans le respect du droit si elles devaient malheureusement avoir lieu.

C'est maintenant, dans le calme, en dehors de toute campagne référendaire, que le gouvernement du Canada a tenu à apporter ces précisions. Les citoyens y ont droit. La sécession demeure un trou noir. Le projet de loi sur la clarté nous fournit simplement la meilleure lampe de poche disponible, avec les meilleures piles.

Le président: Merci, monsieur le ministre.

Il doit se tenir un vote Chambre dans les minutes qui viennent. Est-ce que c'est le désir du comité de continuer à siéger malgré la tenue de ce vote?

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Une seule question. Il n'y avait pas de vote annoncé. Qui a demandé le vote? Quel parti a demandé un vote en Chambre?

Le président: Je n'en ai aucune idée, mais c'est un vote sur une motion d'acceptation du rapport d'un comité. Si le comité veut continuer à siéger, nous pouvons le faire.

[Traduction]

Devons-nous continuer? D'accord? Ça va.

Questions, monsieur Hill.

M. Grant Hill (Macleod, Réf.): Je crois que j'ai dix minutes, monsieur le président.

Je remercie le ministre de son témoignage.

Je tiens à affirmer pour mémoire que l'opposition officielle approuve les principes qui animent ce projet de loi. Mais nous sommes fort troublés par la hâte que l'on met à conduire les délibérations du comité. À mon avis, ce n'est pas raisonnable, ce n'est pas intelligent, ce n'est pas démocratique, et ce n'était pas nécessaire non plus. Je tiens à le dire d'emblée.

L'autre grand reproche que nous faisons au projet de loi tient au fait que la majorité n'est pas claire. Le ministre nous a dit ce qu'il ne veut pas; il dit qu'il désapprouve la règle du 50 p. 100 plus un. Je lui demanderai donc franchement s'il compte établir une majorité après que le comité aura entendu les experts? Allons-nous clarifier la majorité?

M. Stéphane Dion: La cour nous a incités à ne pas nous prononcer à l'avance sur ce que serait le seuil au départ. En fait, la cour parle d'une évaluation qualitative tenant compte des circonstances, et cette évaluation qualitative exigerait des compétences politiques qu'il nous faudra utiliser. Je crois qu'il est très sage d'éviter cela. Sans contexte référendaire, il nous est très difficile de savoir et de décider, car les politiciens du moment disposeront d'un tas d'informations que nous n'avons pas aujourd'hui.

• 1610

M. Grant Hill: À mon avis, cela ressemble à un cadeau que l'on fait à ceux qui diront qu'on va relever la hauteur de la barre, quel que soit le résultat. C'est un cadeau à ceux qui diront aussi que ce processus n'est pas démocratique. Le ministre dit que la règle du 50 p. 100 plus un n'était pas la norme admise auparavant. Je ne suis pas d'accord. Je crois pour ma part que c'était bel et bien la norme admise. C'était la norme admise généralement.

Lorsque la Chambre des communes vote sur une question—et je m'attends à ce que nous ayons une certaine discussion pour ce qui est de savoir si la question était claire ou non—c'est la majorité simple qui l'emporte. La majorité sera de 50 p. 100 plus un pour ce qui est de savoir si la question était claire ou non. Si la Chambre des communes se contente de 50 p. 100 plus un pour établir si la question était claire ou non, par une majorité simple, pourquoi n'en serait-il pas autant pour le référendum?

M. Stéphane Dion: La cour nous a demandé d'évaluer avant les négociations s'il y a eu une majorité claire. C'est une décision que nous devons prendre. La cour n'a pas dit que les décisions à prendre au cours du processus doivent reposer sur une majorité de 50 p. 100 plus un. Pour savoir si nous pouvons entamer les négociations, nous devons évaluer si la majorité était claire. La raison pour laquelle il nous faut une majorité claire est la même raison pour laquelle votre parti ne peut pas être démembré par suite d'un vote à 50 p. 100 plus un. Une fois que votre parti sera démembré, vous ne pourrez pas le rebâtir par un nouveau vote. Qui voterait? Vous n'existerez plus. Donc si le Parti réformiste exige une majorité de deux tiers pour sa propre dissolution, comment se fait-il que le Parti réformiste exige 50 p. 100 plus un pour le démembrement du Canada?

M. Grant Hill: Pour ce qui est du démantèlement d'un parti, il existe une constitution, et les deux parties ont adhéré à cette constitution. Il n'y a aucune contestation; il n'y a aucune discussion. Il est illogique de dire que nous avons ici l'accord des deux parties sur cette question, parce que ce n'est pas le cas. Nous croyons que la règle du 50 p. 100 plus un est logique parce que cela voudrait dire également que si le Canada peut être démembré avec la règle du 50 p. 100 plus un, il serait possible de diviser... les frontières ne seraient plus sacrées. Voilà la raison. C'est une arme à deux tranchants. Cette règle du 50 p. 100 plus un est un seuil très clair, précis.

Je pose ma question de nouveau: si le ministre n'est pas d'accord avec la règle du 50 p. 100 plus un, quelle proportion propose-t-il? Va-t-il nous proposer une proportion?

M. Stéphane Dion: Je cite la cour, et je suis sûr que vous serez d'accord pour dire qu'il faut respecter la cour:

    Seuls les acteurs politiques auraient l'information et l'expertise pour juger du moment où ces ambiguïtés seraient résolues dans un sens ou dans l'autre.

C'est à l'article 100.

Je vais respecter la Cour suprême de mon pays. Votre parti refuse d'accepter sa propre dissolution avec la règle du 50 p. 100 plus un, alors ne prétendez pas qu'il s'agit de l'impératif démocratique absolu pour un pays comme le Canada. Vous ne pouvez pas me montrer un seul texte juridique qui dit cela. Même dans la loi québécoise sur les consultations, sur les référendums, et ils ont dit exactement le contraire dans le Livre blanc. Le référendum est une consultation, et il faut évaluer ce qui se passe.

Donc, vous voyez, quand vous dites que vous êtes prêt à laisser votre pays se démembrer avec 50 p. 100 plus un, vous ne pouvez pas dire que c'est la règle démocratique que nous devons respecter. Vous vous prêtez à des jeux afin de dire aux électeurs que c'est 50 p. 100 plus un pour sortir du Canada. Ce serait la même chose pour y rester. C'est irresponsable. C'est dire que vous faites exprès pour créer un gâchis. Moi, c'est quelque chose que je veux éviter.

Je suis très résolument opposé à la séparation, comme vous le savez. Mais je veux un texte de loi qui montre que le Canada est un pays responsable. Ce que vous proposez serait affreux pour ma société, et non démocratique.

M. Grant Hill: Il a encore dit ce qu'il n'acceptera pas. Je lui demande de dire ce qu'il accepterait. Le Dr Monahan de l'Université de Toronto a dit que la règle du 50 p. 100 plus un n'est pas illogique, alors je demande au ministre de nous donner une proportion. S'il refuse, qu'on me le dise et je cesserai de lui poser des questions à ce sujet. Si le ministre ne veut pas nous dire quelle est la proportion qu'il privilégie, je passerai à un autre sujet.

• 1615

M. Stéphane Dion: La cour nous a invités à nous en abstenir avant un référendum. Je vais respecter la Cour suprême de mon pays.

M. Grant Hill: La cour a dit que ce sont les acteurs politiques qui doivent décider. Il est parfaitement évident que les acteurs politiques, dont certains sont ici aujourd'hui, pourront se prononcer aussi. C'est une question négociable, et je pense qu'elle devrait être négociée à l'avance.

Quant à la hâte dont j'ai parlé plus tôt, c'est à mon avis un autre cadeau aux séparatistes. On nous a imposé la règle d'attribution de temps. On a donné très peu de temps au comité. À mon avis, nous excluons aussi largement les provinces. L'opposition officielle a tenté de faire entendre les provinces qui sont les autres grands acteurs politiques dans ce débat. Cela nous a été refusé. Nous prenons ensuite à témoin les provinces, si l'on peut imaginer une chose pareille. Nous allons écarter tous les autres témoins, et nous avons écrit aux provinces. J'aimerais savoir quelle importance le ministre attache à la contribution provinciale à ce débat très important.

M. Stéphane Dion: De toute évidence, le rôle des autres acteurs politiques sera pris en compte.

Tout d'abord, s'il s'agit d'un référendum provincial, notre Chambre ne déterminera pas la question. La question sera déterminée par l'assemblée législative ou le gouvernement de la province.

Deuxièmement, l'article 1 au sujet de la question dit que la Chambre devra prendre en compte le point de vue des autres participants, le point de vue des provinces et le point de vue des partis à l'assemblée législative. Pour ce qui est d'évaluer la clarté de la majorité, ce sera la même chose. La même Chambre devra prendre cela en compte.

L'article 3 reconnaît le rôle des autres participants au cours des négociations. Ce que le projet de loi ne fait pas, c'est décider à la place des autres acteurs politiques de la conduite qu'ils vont suivre. Il leur appartiendra de décider ce qu'ils doivent faire. J'aimerais également signaler qu'aucun premier ministre provincial, aucun gouvernement provincial, ne s'est plaint de cela ou a dit que son rôle n'était pas respecté dans ce projet de loi.

[Français]

M. Grant Hill: Telle n'est pas la question que j'ai posée au ministre.

M. Stéphane Dion: Oui, sauf une.

M. Grant Hill: La question est de savoir pourquoi les provinces ne sont pas impliquées dans ce processus. Pourquoi ne sont-elles pas ici, représentées par des témoins formels? Je me l'explique difficilement.

M. Stéphane Dion: Demandez-leur pourquoi. Ce que je sais, à la lumière de mes entretiens avec les représentants des gouvernements provinciaux, c'est qu'ils sont assez contents de ce projet de loi, sauf pour le gouvernement du Québec, bien entendu. C'est à eux de parler pour eux-mêmes.

Pour sa part, le premier ministre de l'Ontario a dit qu'il ne s'en mêlait pas parce que c'était une question de compétence fédérale. C'est son affaire, mais il n'a pas exigé d'être ici aujourd'hui. Alors, pourquoi voulez-vous exiger pour les provinces ce qu'elles ne demandent pas elles-mêmes?

[Traduction]

Le président: Monsieur Hill, je crains que votre temps de parole soit épuisé.

Nous allons passer au suivant, monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Merci. Je voudrais d'abord, monsieur le président, vous souhaiter bon courage lors de nos délibérations.

J'aimerais saluer le ministre, son équipe et nos collègues. Au nom de mes collègues du Bloc québécois, je voudrais vous dire que, malgré la difficulté du débat que nous entamons aujourd'hui, nous chercherons à avoir une attitude de dignité dans la dissidence et je voudrais vous assurer que tous ceux qui nous écoutent seront témoins de cette dignité dans la dissidence.

Aujourd'hui, je serais tenté de répondre à tous ces jugements sur la catastrophe anticipée advenant une sécession du Québec, puisque c'est le langage que le ministre tient souvent, sinon toujours, lorsqu'il parle du projet très démocratique auquel beaucoup de Québécois adhèrent.

• 1620

Je serais aussi tenté de répondre à certaines objections, à certains arguments. Nous avons eu l'occasion de croiser le fer, M. le ministre et moi, il y a quelques semaines à l'Université McGill. Monsieur le ministre, j'attends d'avoir le plaisir de croiser le fer dans notre Université de Montréal au cours des prochaines semaines. Vous semblez être plus hésitant à accepter l'invitation d'aller croiser le fer à l'Université de Montréal, mais j'espère qu'on pourra le faire avant que ce projet de loi ne soit adopté.

Je me garderai bien de parler des questions importantes, techniques, juridiques que vous avez évoquées, parce que c'est à l'architecte du plan B que je veux parler aujourd'hui, le ministre des Affaires intergouvernementales du Canada, Stéphane Dion.

Le plan B a deux composantes. Ce plan B est d'abord un plan de la carotte, des choses qu'on veut donner aux Québécois pour les convaincre, pour les séduire, pour leur dire que le Canada est le meilleur pays du monde, le «plus meilleur» pays du monde. On fait bien des choses. On en parle d'ailleurs en Chambre. On révèle que de généreuses subventions ont été accordées dans des circonscriptions, celle du premier ministre et d'autres. On est aussi généreux lorsqu'il s'agit, par exemple, de la Fête nationale du Canada. Grâce à la Loi sur l'accès à l'information, nous avons appris que cette année, Patrimoine Canada investirait 5 millions de dollars dans la Fête du Canada et que l'an dernier, il avait investi 3,5 millions de dollars, alors que le Canada, dans sa totalité, recevait 5,5 millions de dollars. On apprenait aussi, grâce à cette même Loi sur l'accès à l'information, que parmi ceux qui réclamaient que l'on dépolitise la Fête nationale du Québec, il y avait un certain Serge Savard, celui qui orchestrait les fêtes du Canada l'année dernière et qui faisait d'ailleurs rapport à la ministre Sheila Copps il y a quelques mois.

Laissez-moi parler, monsieur le ministre. Je vous ai écouté.

M. Savard nous disait récemment, dans une lettre, qu'il avait porté une attention toute particulière à l'est du Québec, région plutôt orpheline du côté de la députation fédéraliste et réputée pour être plus nationaliste. Ce même Serge Savard nous disait que plus de 12 000 personnes avaient participé à la fête du 1er juillet, qu'il s'agissait du plus grand rassemblement jamais organisé dans cette ville, pourtant dite nationaliste. Et que dire des 40 000 participants à Chicoutimi, le fief souverainiste? On donne beaucoup d'argent au Québec, aux Québécois pour faire la Fête du Canada. On augmente les subventions au Canada. Elles sont négociées au Bureau du premier ministre, semble-t-il. Ça, c'est la carotte. Ça, c'est le plan B.

Mais, de toute évidence, cela ne suffit pas. Cela ne séduit pas les Québécois et n'augmente pas véritablement l'appui à un fédéralisme que les Québécois veulent réformer, qui ne se réforme pas étant donné les attentes qu'ils ont. Alors, qu'est-ce que ça prend? Ça prend maintenant un bâton. Et c'est quoi, ce bâton? C'est le projet de loi C-20. C'est la deuxième composante du plan B: le bâton.

Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous qui dites être le seul à vouloir la clarté, alors que les souverainistes veulent la clarté autant que vous, c'est vous qui êtes isolé. Aucun parti de l'Assemblée nationale du Québec ne soutient ce projet de loi. Tous les partis de l'Assemblée nationale sont contre. La société civile au Québec, c'est-à-dire les syndicats, les étudiants, les femmes, les groupes communautaires, dénonce ce projet de loi. Dans cette Chambre des communes, lorsque nous avons voté sur ce projet de loi en deuxième lecture, une très nette majorité de députés québécois ont voté contre.

• 1625

Monsieur le ministre, ma question est simple: pourquoi ce bâton, sinon pour mater une démocratie québécoise qui était très capable et qui est encore capable de donner un choix aux Québécois?

M. Stéphane Dion: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Je m'interrogeais au sujet de la règle du 50 p. 100 plus un des électeurs que le Dr Monahan a énoncée que le député préconise.

[Français]

Je ne peux dire quelque chose sur le contenu du projet de loi, le député ne me permettant pas de le faire. Monsieur le président, c'est le 23 mars que j'aurai le plaisir de discuter avec mon collègue à l'Université de Montréal, et j'invite tout le monde à y être. Je crois qu'il n'est pas très crédible quand il prétend que je suis hésitant. La preuve, c'est qu'il a été incapable d'apporter le moindre argument de substance dans la longue diatribe qu'il vient de faire.

Qu'est-ce qu'il offre? Qu'est-ce que je peux répondre à cela? Ce sont des slogans. C'est mieux, dois-je dire, que la propagande odieuse qui a été envoyée par lui dans tous les foyers québécois, où on m'accuse personnellement. C'est écrit: «Stéphane Dion ne négociera jamais». Qu'est-ce que tu en sais, Daniel Turp? C'est un procès d'intention et tu as envoyé cela dans tous les foyers québécois. Je trouve cela indigne parce que tu sais que ce n'est pas le cas. Ou si tu le penses vraiment, c'est un procès d'intention que tu fais.

Je sais une chose: dans ce pays, on accepte la divisibilité de ce pays et il n'y a pas une seule force politique au Canada qui veut retenir les Québécois contre leur volonté clairement exprimée. Cela, je le sais. Je sais que dans d'autres pays, ce n'est pas le cas. Des démocraties tout à fait respectables se disent indivisibles. Eh bien, je suis fier de mon pays parce qu'au Canada, notre unité repose sur l'adhésion volontaire; c'est un pays où on sait que, sans le consentement mutuel, ce ne serait plus le Canada.

Maintenant, parce que nous acceptons cela, cela ne veut pas dire que notre unité a moins de valeur que celle des autres pays. Je dirais qu'elle en a plus. C'est pourquoi avant de négocier la fin du Canada, ce qui serait une décision énorme avec toutes les difficultés que cela représente, on doit s'assurer que la population le veut. Nous, Québécois, sommes autant des Canadiens que les autres Canadiens et nous avons droit à ce pays comme eux. On ne peut nous l'enlever à partir d'une procédure qui manquerait de clarté.

On ne pourrait pas nous l'enlever, par exemple, à partir d'un accord signé entre trois partis politiques, dans lequel ces trois partis s'entendraient sur la souveraineté, alors que l'un des trois leaders, M. Dumont, écrivait récemment dans un journal qu'il n'avait jamais été souverainiste. Il n'a pas dit qu'il avait été souverainiste et avait changé d'idée. Il a dit qu'il n'avait jamais été souverainiste. Qu'est-ce que c'est que ça? Pensez-vous qu'il y a beaucoup de pays dans le monde qui accepteraient de se diviser dans des circonstances comme celles-là, quand l'un des trois leaders en faveur du Oui nous dit qu'il ne voulait pas l'indépendance?

Si on respecte les Québécois, et je veux qu'on nous respecte, on ne doit jamais même penser nous enlever le Canada sans qu'une majorité claire d'entre nous veuille que nous cessions d'être Canadiens.

M. Daniel Turp: Monsieur le président, permettez-moi de poursuivre. Je n'ai pas eu de réponse à ma question, de toute évidence, et la polémique est quelque chose qu'on doit vivre.

Le président: Une minute. C'est dans la période de...

M. Daniel Turp: Je répète ma question. Malgré tous vos beaux discours, malgré le fait que vous dites que ce pays est divisible et que vous acceptez la divisibilité et les prescriptions de la Cour suprême, ce projet de loi C-20 crée et impose des conditions qui, comme l'ont dit des commentateurs, sont là pour empêcher le Québec d'accéder à la souveraineté, pour mettre fin à la menace de la souveraineté, comme vous le dites si souvent, pour empêcher la catastrophe appréhendée.

C'est cela, le réel objet de ce projet de loi C-20. Ce n'est pas de proposer démocratiquement que ce pays est un État démocratique, plus démocratique que les autres. C'est de créer des conditions pour prévenir que les Québécois puissent choisir un jour la souveraineté. C'est cela, le bâton qui n'est pas accepté des Québécois.

Le président: À l'ordre. Monsieur le ministre, une réponse très courte, s'il vous plaît.

M. Stéphane Dion: Je suis le parrain de ce projet de loi d'abord et avant tout en tant que Québécois, parce que j'aime ma société et que je ne voudrais jamais la voir divisée dans la confusion, sans cadre juridique, ce qui serait inacceptable en démocratie. Si les Québécois veulent clairement cesser d'être Canadiens, eh bien, cette triste chose se négociera parce qu'on est dans le Canada. Alors que d'autres démocraties ne voudraient pas d'une telle négociation, on l'accepterait ici.

Cette négociation serait difficile non pas à cause de la mauvaise volonté présumée des uns et des autres. Cette décision serait difficile parce que briser des liens construits depuis des décennies de vie démocratique commune serait une opération extrêmement délicate. Il faudrait certainement la faire, à ce moment-là, dans le cadre du droit et de la clarté. C'est ce que nous dit l'avis de la cour, et on doit tous le respecter.

• 1630

La difficulté dans laquelle se trouvent le Bloc québécois et le gouvernement péquiste face à leur projet, qui entraîne chez eux tant de frustrations et qui les amène à faire tant d'attaques personnelles, en particulier contre les Québécois qui ne partagent pas leur projet, n'est pas attribuable au projet de loi sur la clarté, à l'avis de la Cour suprême, aux lois ou aux juges. Leur difficulté vient de la volonté des Québécois de rester Canadiens.

[Traduction]

Le président: Au suivant, monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie (Winnipep—Transcona, NPD): Merci, monsieur le président.

J'ai quelques questions et je tâcherai d'être bref. Si je peux obtenir des réponses brèves, nous pourrons faire pas mal de chemin.

Le ministre a mentionné le fait que la cour a bel et bien dit qu'au sujet d'un référendum, il faut porter un jugement qualitatif pour ce qui est de savoir si la majorité était claire ou non. On aura jugé au préalable si la question était claire ou non; on déterminera après si la majorité est claire ou non.

Cette situation présente notamment le problème suivant—mon collègue du Parti réformiste y a fait allusion et je ne parle pas de cela dans le contexte du 50 p. 100 plus un mais seulement dans le contexte de ce jugement qualitatif qu'il faut porter: comment éviter que ce jugement qualitatif a posteriori que la cour exige et dont le projet de loi dit qu'il ne faut pas abuser n'expose le gouvernement fédéral, dans le cas de ce qui pourrait être une majorité claire aux yeux de certains, à l'accusation d'avoir modifié les règles du jeu, pour ainsi dire, après la fin du match?

Je me demande si le ministre pourrait nous proposer des moyens de régler ce problème que craignent bien des gens, peut-être en amendant le projet de loi d'une manière quelconque. Ou comment répond-il à ce reproche qu'on fait au projet de loi?

M. Stéphane Dion: Nous avons une obligation morale et, depuis le jugement de la Cour suprême, une obligation juridique de négocier au vu d'une majorité claire. La cour dit qu'elle n'a pas autorité de décider ce qui constitue une majorité claire en dehors du contexte. Nous ne pouvons pas nous non plus décider en dehors de ce contexte, mais nous devrons le faire.

À mon avis, si vous considérez que les gens sont de mauvaise foi, à ce moment-là, aucune loi ne va protéger ce genre de processus. Si vous tenez compte du fait que les Canadiens ont une culture politique où il est admis que si une population veut clairement partir, alors des négociations s'ensuivront, alors il faut se conformer au renvoi de la Cour suprême et au contenu du projet de loi sur la clarté.

Nous procéderions à une évaluation. Cette évaluation devrait être honnête dans les circonstances. La Chambre ne serait pas seule. Elle devrait prendre en compte le point de vue des autres acteurs politiques, et du grand public canadien. Telle serait la situation. Je pense que dans mon pays, la plupart des gens sont de bonne foi. Si vous partez du principe que ce n'est pas le cas, alors le scénario qui va se jouer sera bien pire que le mien.

M. Bill Blaikie: À ce sujet, monsieur le président, j'aimerais croire que c'est le cas, mais je dirais au ministre que le gouvernement ne s'est pas conduit de manière exemplaire depuis le début de ce processus, depuis le moment où le premier ministre a indiqué pour la première fois qu'un projet de loi de ce genre nous serait soumis, et si j'en juge d'après la manière dont le projet de loi a été déposé en Chambre, et la manière dont notre comité se conduit... C'est loin d'être le genre de comportement qui donne confiance aux gens, qui leur donne à croire que notre pays est inspiré par la bonne foi lorsque des problèmes comme ceux-là se posent. Donc si le ministre en réponse à ma question me dit, ne vous en faites pas, c'est un pays qui est animé par la bonne foi, si j'en juge d'après la façon dont notre comité agit, je pourrais penser le contraire.

Pour ce qui est de ma deuxième question, vous avez mentionné les acteurs politiques et le fait que le gouvernement serait obligé, conformément à la loi, après la tenue d'un référendum, de prendre en compte les vues des assemblées législatives provinciales ou territoriales. Vous avez mentionné plus tôt le vote qui a eu lieu dans le nord du Québec et le fait que le gouvernement péquiste n'a tenu aucun compte du vote des Autochtones. Vous avez dit cela sur un ton critique, avec raison.

• 1635

Voici ma question: Pourquoi dans ce projet de loi, le projet de loi C-20, le gouvernement fédéral n'a-t-il tenu aucun compte des peuples autochtones du Québec en ne le mentionnant pas parmi les acteurs politiques dont les vues doivent être prises en compte au moment de porter le jugement qualitatif qui suivra la tenue d'un référendum? C'est un reproche que l'on fait au gouvernement péquiste, et il semble que c'est la seule chose que le gouvernement péquiste et le gouvernement fédéral libéral ont en commun, à savoir le mépris pour le rôle des peuples autochtones en tant qu'acteurs politiques.

Il me semble que c'est marquer un grand recul par rapport à l'époque de Charlottetown, lorsque Ovide Mercredi était à la table de négociation. Les Autochtones ne sont même pas mentionnés parmi les acteurs politiques dont les vues doivent être prises en compte. Je me demande ce que vous avez à dire à ce sujet.

M. Stéphane Dion: En réponse à la première question, nous devons garder à l'esprit le fait que ce que nous avons toujours fait au Canada, c'est évaluer une majorité quand nous la voyons.

En 1898, Wilfrid Laurier, le premier ministre de l'heure, a été saisi du résultat d'un référendum portant sur la prohibition de l'alcool. Le résultat était de 52 p. 100. Il s'est dit qu'il ne pouvait rien faire avec un résultat de ce genre, vu surtout que seulement 17 p. 100 des Québécois étaient en faveur de la prohibition. Je pense que nous avions déjà une société unique au Québec à l'époque.

Il en a toujours été ainsi. Pour ce qui est de la conscription, le premier ministre de l'heure, Mackenzie King, a attendu avant de l'appliquer parce que, comme vous le savez, cette consultation avait beaucoup divisé le pays.

Telle est notre tradition politique, et je pense que nous devons la respecter, vu surtout que la Cour suprême nous y invite.

M. Bill Blaikie: Au sujet de mes questions...

M. Stéphane Dion: Au sujet des Autochtones...

M. Bill Blaikie: Épargnez-moi votre leçon d'histoire.

M. Stéphane Dion: ...dans le projet de loi, comme vous voyez, nous disons que nous devrons considérer leurs intérêts. C'est une chose que le gouvernement du Canada devra garder à l'esprit au cours des négociations. Nous disons aussi que nous devrons prendre en compte toutes autres vues que nous jugerons pertinentes.

Il est vrai que nous mentionnons explicitement certains acteurs.

M. Bill Blaikie: Qu'en est-il des Autochtones?

M. Stéphane Dion: Ceux que nous mentionnons sont les acteurs constitutionnels. Il serait très difficile d'oublier les Autochtones. Je ne vois pas comment on pourrait faire ça. On ne peut pas faire passer un peuple d'un pays à un autre.

M. Bill Blaikie: Leurs droits sont inscrits dans la Constitution.

M. Stéphane Dion: Oui, mais ils ne sont pas considérés comme des participants dans toute formule d'amendement.

M. Bill Blaikie: La Cour suprême n'a pas parlé des «acteurs politiques constitutionnels»; elle a parlé des «acteurs politiques».

M. Stéphane Dion: C'est vrai. C'est exact. Je l'admets. Mais nous avons mentionné les acteurs constitutionnels qui auraient un rôle à jouer si l'on devait modifier la Constitution au bout du compte. Nous avons dit que nous devrions prendre en compte toutes autres vues que l'on juge pertinentes, et vous avez raison de dire que nous devrions prendre en compte...

M. Bill Blaikie: Les territoires n'ont pas un rôle à jouer dans la modification de la Constitution.

M. Stéphane Dion: C'est exact.

M. Bill Blaikie: Ils sont mentionnés.

M. Stéphane Dion: Oui.

M. Bill Blaikie: Donc étant donné qu'on ne dresse pas la liste des acteurs constitutionnels de toute manière, je demande au gouvernement s'il ne serait pas disposé à accepter ou, s'il n'est pas prêt à s'engager pour le moment, à envisager un amendement au projet de loi qui mentionnerait les peuples autochtones parmi les acteurs dont les vues doivent être prises en compte—et pas seulement si vous jugez bon de le faire, mais parce que vous y seriez obligé.

M. Stéphane Dion: Les territoires ne sont pas mentionnés explicitement non plus; on ne mentionne que les acteurs constitutionnels qui auraient un rôle à jouer si l'on devait modifier la Constitution.

M. Bill Blaikie: Vous mentionnez les territoires.

Le président: Avez-vous d'autres questions, monsieur Blaikie?

M. Bill Blaikie: Si mon temps de parole est écoulé, alors j'en ai terminé.

Le président: Non, il vous reste une minute et demie. Voilà pourquoi je vous ai posé la question.

M. Bill Blaikie: J'attends que le ministre se démêle. Il tient un petit conciliabule.

De toute manière, je crois que ma thèse se tient fort bien pour ce qui est de la convention constitutionnelle, si l'on tient compte du précédent de l'Accord de Charlottetown et du fait que les dirigeants autochtones étaient à la table de négociation, ou si l'on invoque simplement comme vous l'argument constitutionnel par opposition à un argument strictement politique.

• 1640

Il y a donc toutes sortes d'arguments politiques, des arguments conventionnels sur le plan constitutionnel, que l'on peut invoquer, sans parler du fair-play.

Que la question ait été claire ou non, ce sont eux qui ont sauvé le pays lors du dernier référendum. Leur vote a été décisif.

Il me semble que c'est là un acte particulièrement outrageant de la part du gouvernement fédéral qui prétend sauver le pays—et je vous crois sur ce point—d'écarter de cette analyse, de cette évaluation post-référendaire, si l'on veut, ceux-là même qui ont plus que quiconque le méritent d'avoir sauvé le pays. Je crois que c'est une preuve assez flagrante d'injustice et j'invite instamment le ministre à envisager d'amender le projet de loi pour y remédier.

M. Stéphane Dion: Je dois dire que je me suis trompé; les territoires sont inclus. Vous avez raison.

M. Bill Blaikie: J'ai lu le texte.

M. Stéphane Dion: Oui, moi aussi. Mais vous avez vu juste.

M. Bill Blaikie: Oui.

M. Stéphane Dion: Il y aurait aussi d'autres points de vue à considérer.

À mon avis, si les Autochtones ont sauvé le pays, c'est plutôt lorsque les Américains nous ont attaqués au début du XIXe siècle.

M. Bill Blaikie: Il faudrait le reconnaître un jour, et les traiter avec le respect qui leur est dû.

Le président: Question suivante.

[Français]

Monsieur Bachand, s'il vous plaît.

M. André Bachand: Monsieur le ministre, je vous salue.

Depuis quelques semaines, on entend le gouvernement, spécialement le premier ministre de même que les membres du comité du côté ministériel, nous dire que c'est un projet de loi simple, de trois articles peu détaillés, que cela n'a rien à voir avec la politique du gouvernement, etc. Je suis content de voir que dans votre discours d'aujourd'hui, vous avez eu besoin de 16 pages pour expliquer ce qu'est la clarté. Donc, ce n'est peut-être pas si clair que cela.

Monsieur le ministre, dans toute votre présentation d'aujourd'hui et dans toutes vos autres présentations, vous parlez du Québec, du Bloc québécois, vous parlez du PQ, des référendums au Québec. Pourquoi ne parle-t-on pas du Québec dans les trois petits articles du projet de loi? Dans le titre, on parle du Québec. Le préambule en parle. La Cour suprême en parle. Pourtant, les articles ne font pas mention du Québec. Est-ce que vous nous annoncez qu'une autre province veut se séparer?

M. Stéphane Dion: En effet, le projet de loi s'applique à toutes les provinces; il est générique. La Cour suprême nous autorise à le faire dans certains de ses...

M. André Bachand: Oui, elle vous autorise à le faire, mais si vous voulez être clair... Quand les gens ont réagi à votre projet de loi, favorablement ou non, c'était parce que c'était un projet de loi axé sur le Québec. Votre discours porte sur le Québec. Vous n'êtes pas clair. Ne trouvez-vous pas que vous auriez pu être clair?

Seriez-vous prêt à apporter un amendement à votre projet de loi? À ce que je sache, il y a des représentants des autres provinces ici. Y a-t-il d'autres provinces qui veulent se séparer? Si ce n'est pas le cas, si on veut vraiment avoir un projet de loi sur la clarté fondé sur un renvoi, sur trois questions concernant le Québec et le renvoi spécifique au Québec, parce qu'on y parle entre autres de peuples et qu'on essaie donc de le cadrer sur le Québec, pourquoi avez-vous eu peur—c'était peut-être par crainte ou pour une raison juridique—de mettre le mot «Québec» dans ce projet de loi? Quel élément de clarté formidable! Vous en parlez pendant 16 pages. Pourquoi ne pas en parler dans quelques articles?

Une voix: C'est le principe de l'égalité des provinces.

M. Stéphane Dion: Premièrement, je n'ai jamais peur.

M. André Bachand: C'est une expression verbale, monsieur le ministre, et vous le savez. Je sais que vous n'avez pas peur.

M. Stéphane Dion: Deuxièmement, je ne vois pas ce qu'on gagnerait à faire cela. Vous avez raison: il y a un seul mouvement séparatiste au Canada. Un, c'est bien assez. Mais qu'est-ce qu'on gagnerait à faire cela? Expliquez-moi. Le principe s'applique à toutes les provinces et on l'applique donc à toutes les provinces. On souhaite qu'on n'ait jamais à le mettre en application pour aucune de nos provinces.

M. André Bachand: D'accord, mais de toute façon, c'est un élément de clarté qui brille par son absence.

Vous avez dit tantôt dans la langue de Shakespeare: «I respect the Supreme Court of my country.» Pourquoi avez-vous alors interprété les acteurs politiques? Vous vous êtes emparé de 100 p. 100 de la responsabilité de l'analyse d'une question et de l'analyse d'une majorité. Vous allez prendre l'opinion des gens. Je ne vous dis pas que vous n'aviez pas le droit de faire un projet de loi, mais ne pensez-vous pas que normalement, selon l'esprit et la lettre de l'avis de la Cour suprême, il revenait aux autres acteurs politiques, spécialement aux gouvernements de droit—non pas de droite car j'espère que cela n'arrivera pas—, ceux des provinces de faire le même projet de loi si le vôtre est si bon que cela?

• 1645

M. Stéphane Dion: Il leur revient de déterminer comment elles veulent...

M. André Bachand: Est-ce que vous souhaitez que les provinces appliquent le jugement de la Cour suprême et que, comme le gouvernement fédéral, elles déposent un projet de loi sur la clarté?

M. Stéphane Dion: C'est à elles de déterminer cela.

M. André Bachand: Mais vous personnellement, monsieur le ministre, vous qui avez consulté les provinces, qu'est-ce que vous en pensez?

M. Stéphane Dion: Tous mes homologues provinciaux, à l'exception d'un seul, sont d'accord sur ce projet de loi. L'Ontario nous a dit que c'était notre affaire et qu'elle ne s'en mêlait pas. Elle ne nous a pas dit que nous empiétions sur sa prérogative. Ce projet de loi dit qu'on doit tenir compte du point de vue des autres acteurs, mais il ne dicte d'aucune façon...

M. André Bachand: Non, non. C'est ce que dit le projet de loi, mais pas la Cour suprême, monsieur le ministre.

M. Stéphane Dion: Permettez-moi de citer l'article 100 de la décision de la Cour suprême:

    Seuls les acteurs politiques auraient l'information et l'expertise pour juger du moment où ces ambiguïtés seraient résolues dans un sens ou dans l'autre, ainsi que des circonstances dans lesquelles elles le seraient.

La cour ne nous demande pas d'être unanimes avant de bouger. Elle n'a pas dit que tous les acteurs politiques devaient être d'accord s'il n'y a pas une négociation. Si tel est le point de vue du Parti conservateur, à savoir que la Chambre des communes ne doit pas autoriser le gouvernement du Canada à négocier une sécession à moins d'avoir l'accord de toutes les provinces, dites-le. Mais ce n'est pas écrit dans l'avis de la cour ou dans le projet de loi sur la clarté.

M. André Bachand: De toute façon, monsieur le ministre, avec tout le respect que j'ai pour vous, l'avis de la cour ne précise nulle part qui sont ces acteurs politiques. Cela n'est écrit nulle part, dans aucun paragraphe.

Je vais passer à d'autres questions puisque le temps file.

Certains de vos confrères et consoeurs du milieu constitutionnel et de la science politique se demandent quelle sera la mécanique au niveau des amendements à la Constitution. On essaie trop d'être clair dans votre projet de loi. Quelle sera la mécanique de la modification constitutionnelle? Est-ce qu'elle sera entamée si on a l'accord d'au moins sept provinces représentant au moins 50 p. 100 de la population ou seulement s'il y a unanimité? Je dois vous avouer que j'aurais besoin de votre aide pour bien interpréter le point de vue de la Cour suprême et savoir si on exigera l'unanimité ou l'accord d'au moins sept provinces représentant au moins 50 p. 100 de la population. Le Québec devra-t-il être parmi elles?

M. Stéphane Dion: Premièrement, je vais revenir à la notion d'«acteurs politiques». Si le Parti conservateur estime que la Chambre des communes et le gouvernement du Canada ne sont pas des acteurs politiques dans ce pays, vous devez le dire.

M. André Bachand: Monsieur le ministre, puisque vous me posez cette question, je vous répondrai que oui, le gouvernement du Canada est un acteur politique. Cependant, on n'est pas plus ouverts que vous l'êtes. On reconnaît encore une fois que c'est un système bicaméral et qu'on devrait peut-être inclure tout le monde.

Bien qu'il me semble que nous ayons un gouvernement à deux chambres, vous prenez tout le contrôle. Vous savez d'ailleurs, monsieur le ministre, que des sénateurs libéraux ministériels se promènent avec une lettre réclamant des amendements.

Cela dit, j'aimerais que vous me parliez de la formule d'amendement à la suite d'une question claire et d'une majorité claire, sans connaître ni la question ni la majorité.

M. Stéphane Dion: Monsieur le président, si le député veut que je lui réponde, il faudrait qu'il me laisse le temps de le faire.

Je reviens à la notion d'«acteurs politiques». Le Parti conservateur nous laisse entendre qu'il faut que les autres provinces soient d'accord avec nous avant qu'on négocie, mais que nous ne serions peut-être pas un acteur politique. Il est convaincu que les autres provinces sont des acteurs politiques, mais n'est pas convaincu que la Chambre des communes en est un. Dans l'avis de la cour, on fait allusion aux participants de la fédération. Bien que le Parti conservateur puisse croire possible que la Chambre des communes ne soit pas un participant de la fédération, je dois avouer que j'ai beaucoup de difficulté à appuyer un tel point de vue.

M. André Bachand: Moi aussi, bien que je ne vous suive pas. Mais allez-y.

M. Stéphane Dion: Je pense que tout le monde me suit.

Le Parti conservateur nous met aussi en garde en nous disant que le Sénat doit avoir un rôle équivalent à celui de la Chambre des communes. On nous dit qu'il faut que les autres provinces soient d'accord avec nous avant qu'on négocie. On nous dit qu'il faut également que le Sénat le soit. De plus, M. Clark nous a dit qu'il ne fallait pas empiéter sur les responsabilités de l'Assemblée nationale. Je ne sais pas comment vous allez concilier tous ces différents points de vue.

M. André Bachand: Monsieur le ministre, vous êtes bien...

[Note de la rédaction: Inaudible]

...aujourd'hui. Qu'est-ce que vous avez mangé ce matin?

M. Stéphane Dion: Je voudrais terminer mon intervention, monsieur Bachand.

M. André Bachand: Monsieur le ministre, êtes-vous d'accord avec moi que toute modification constitutionnelle ne devrait pas être faite par la Chambre des communes seule?

Le président: Nous ne pouvons pas vous entendre tous les deux en même temps.

M. André Bachand: Au lieu de répondre à mes questions, il fait de la partisanerie. Je pose des questions très techniques.

Le président: Je sais très bien qu'il est souvent en désaccord avec vous. Si le ministre pouvait terminer ses remarques, vous auriez peut-être l'occasion, monsieur Bachand, de faire des commentaires. Vous êtes tous deux les bienvenus.

M. André Bachand: Merci, votre Sainteté.

M. Stéphane Dion: Monsieur le président, à propos du Sénat, il faut faire attention parce que la cour dit bien qu'il incombe plutôt aux représentants élus de s'acquitter de leurs obligations dans cette affaire. À ce que je sache, les membres du Sénat ne sont pas encore élus. J'aimerais pouvoir comprendre le point de vue du Parti conservateur. Croit-il que ce projet de loi impose trop de conditions à la négociation ou pas assez? Il faudra qu'on le sache à un moment donné. Mais en ce qui concerne la modification constitutionnelle qui avaliserait un accord de séparation, la cour nous dit encore là qu'on ne peut pas la déterminer en dehors du contexte. C'est elle qui le dit.

• 1650

M. André Bachand: Qu'en pensez-vous personnellement?

M. Stéphane Dion: Comme la cour, je crois qu'il faut avoir les circonstances voulues avant de déterminer cela. Quant à l'argument que je viens d'entendre, selon lequel on ne clarifie pas tout à l'avance, je vous répondrai qu'on ne peut pas tout clarifier à l'avance parce qu'il est indéniable qu'une tentative de sécession est chargée d'incertitude. Cependant, la cour nous a précisé ce qu'on pouvait clarifier à l'avance.

M. André Bachand: Mais finalement, monsieur le ministre...

M. Stéphane Dion: On clarifie ce qui peut l'être, mais on n'essaiera pas de clarifier ce qui ne peut pas l'être. La modification constitutionnelle qui résulterait d'un accord de séparation fait partie du domaine du trou noir.

M. André Bachand: Monsieur le ministre, j'aimerais finir par un commentaire qui n'exigera que cinq secondes de notre temps.

Le président: Un commentaire très bref, s'il vous plaît.

M. André Bachand: Il sera très bref, je vous le promets. Finalement, on se rend compte que c'est un projet de loi qui n'est clair à aucun égard. Voici ma question finale ou mon commentaire final. Ce sera à vous d'en juger, monsieur le président. Est-ce que le gouvernement est prêt à soumettre directement à la Cour suprême sa loi afin qu'elle puisse en faire une analyse avant qu'elle ne soit mise en vigueur?

M. Stéphane Dion: Monsieur le président, toute loi adoptée par le Parlement peut être contestée.

M. André Bachand: De vous-même, de vous-même.

M. Stéphane Dion: Pourquoi le gouvernement ferait-il cela, alors que nous avons l'assurance que ce projet de loi est tout à fait conforme à la lettre et à l'esprit de l'avis de la cour?

M. André Bachand: Monsieur le ministre...

M. Stéphane Dion: Comme tout projet de loi, monsieur le président, celui-ci a obtenu l'accord du ministère de la Justice ici représenté.

Le président: J'accorde maintenant 10 minutes aux députés du Parti libéral.

Monsieur Alcock.

[Traduction]

M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président. Ce dernier thème m'intéresse. Comment répondez-vous, monsieur le ministre, au chef du Parti conservateur, M. Joe Clark, qui considère que ce projet de loi est un affront fait à l'Assemblée nationale du Québec?

M. Stéphane Dion: En même temps, il dit que le projet de loi est la voie express vers la séparation. Je ne pense pas que M. Bouchard considérerait la voie express vers la séparation comme un affront. Il est difficile de concilier les propos des Conservateurs, car ils disent que le projet de loi est une voie express vers la séparation et que c'est aussi un

[Français]

affront, une déclaration de guerre

[Traduction]

au Québec.

Je le répète, c'est avant tout en tant que Québécois que je me présente aujourd'hui devant vous, car je sais que toute tentative de séparation réalisée dans la confusion dans ma province—puisque le seul parti séparatiste au Canada se trouve dans ma province—en dehors du processus juridique normal serait terriblement injuste pour la société.

Le président: Monsieur Patry.

[Français]

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Monsieur le ministre, de nombreux Québécois se demandent ce qui se passerait dans l'éventualité où un gouvernement provincial ignorerait une loi fédérale telle que celle que nous étudions ici aujourd'hui, ainsi que l'avis de la Cour suprême du Canada, et déclarait unilatéralement son indépendance.

La question est d'actualité parce que le gouvernement du Québec, par l'intermédiaire de son ministre des Affaires intergouvernementales et de son premier ministre, revient assez souvent à ce scénario. Il nous répète assez souvent que le gouvernement du Canada serait alors obligé de négocier, notamment sur la question de la dette.

Qu'arriverait-il si le gouvernement du Québec ou celui d'une autre province faisait fi de l'avis de la Cour suprême du Canada et de ce projet de loi, qui deviendra loi?

M. Stéphane Dion: Merci. Malheureusement, même si elle ne devrait pas l'être, cette question est pertinente parce que le gouvernement du Québec et le Bloc québécois parlent régulièrement de ce scénario. Le chef bloquiste et les principaux ténors du gouvernement du Québec nous disent, par exemple, que si la négociation leur déplaît, ils se retireront et se déclareront indépendants. Ils affirment que si le gouvernement du Canada ne veut pas négocier, ce sera bien simple, ils cesseront de payer en vue du remboursement de la dette. On a bel et bien dit cela. On n'enverra pas le chèque, disent-ils.

• 1655

Le problème, et je m'étonne qu'ils ne le voient pas, c'est qu'après une déclaration unilatérale d'indépendance, personne ne leur demanderait de contribuer à la dette fédérale. Personne ne demanderait à un gouvernement sécessionniste qui se serait déclaré indépendant de contribuer au remboursement de la dette fédérale. Ce serait plutôt lui qui serait demandeur d'une part des impôts fédéraux pour qu'il puisse assumer les responsabilités qu'il estime devoir assumer en tant que seul gouvernement ayant désormais autorité sur le territoire en question.

On ne sait vraiment pas comment il pourrait faire une telle chose. Il n'en aurait pas le droit. Si des millions de Québécois, puisqu'on parle du Québec, disent qu'ils veulent rester Canadiens, comment pourrait-il leur retirer le Canada sans leur volonté? Comment irait-il chercher tous ces impôts qui lui manqueraient? Comment assumerait-il toutes ces responsabilités qui ne sont pas les siennes? Comment intégrerait-il, sans la contribution active du gouvernement du Canada, ces milliers et ces milliers de fonctionnaires qui travaillent actuellement dans les sociétés de la Couronne ou au gouvernement fédéral? Le gouvernement du Canada pourrait invoquer trois raisons: première raison, parce que l'appui pour la sécession ne serait pas clair; deuxième raison, parce que la négociation n'aurait pas été dûment négociée; et troisième raison, parce que le gouvernement du Canada n'aurait pas la capacité d'accepter de participer de lui-même à un acte illégal et anticonstitutionnel. Comment ferait-il cela? Il n'y a pas de réponse à ça. C'est tout à fait irresponsable de leur part de proposer une telle chose. Une sécession devrait toujours être faite dans le contexte du respect du droit et de la recherche de la clarté. Comme l'a dit M. Bouchard, je suis pour la primauté du droit et, dans tous les cas, il faut respecter les droits. Alors, respectons les droits et ne mentionnons jamais de tels scénarios, qui mèneraient certainement à l'impasse.

M. Bernard Patry: Monsieur le ministre, dans le même ordre d'idées, la Cour suprême n'a-t-elle pas déclaré dans son avis que le gouvernement du Canada serait tenu de négocier toute demande démocratique de changement? Pourquoi ne serait-il pas tenu de négocier la souveraineté-association si telle était la volonté des Québécois?

M. Stéphane Dion: Merci. J'aimerais revenir brièvement à votre autre question. Même les députés bloquistes auraient de la difficulté dans de telles circonstances puisqu'il faudrait conclure une entente préalable au sujet de leur caisse de retraite, sans quoi ils seraient obligés de partir sans pouvoir s'en prévaloir.

Des voix: Oh, oh!

Un député: Ce n'est pas fort, fort, là.

M. Stéphane Dion: Votre autre question portait sur les autres possibilités de négociation. Le chef conservateur nous a dit qu'il faudrait inclure dans ce projet de loi des possibilités autres que la sécession, à savoir des possibilités d'amélioration du Canada par la voie constitutionnelle. C'est la dernière chose à faire. Ce projet de loi vise uniquement la sécession parce qu'il faut que ce soit clair. La première condition de la clarté, c'est qu'il soit clair pour chaque électeur que, s'il vote oui à un référendum sur la sécession, il vote pour sortir du Canada, et non pas pour l'améliorer. On ne doit pas confondre les deux plans.

Ce projet de loi n'entrave en rien ou ne traite en rien de toute proposition constitutionnelle ou autre qui viserait à modifier le Canada. Ce projet de loi ne porte que sur des propositions visant à sortir du Canada. Si le gouvernement d'une province souhaite un changement constitutionnel, vous savez ce qu'il doit faire. Il n'a même pas besoin d'obtenir une majorité claire en réponse à une question claire. Il n'a qu'à proposer un amendement constitutionnel. Ce qui retient actuellement les gouvernements d'en proposer, c'est qu'on sait à l'avance que ceux qu'on envisage ne seraient pas forcément acceptés par d'autres gouvernements. Ce n'est pas une procédure qui rend cela difficile.

Ceux qui disent qu'on propose ici une fast track pour la sécession ne comprennent pas comment fonctionnent les changements constitutionnels dans notre pays.

M. Bernard Patry: Je vais céder la parole à M. Drouin.

Le président: Monsieur Drouin.

M. Claude Drouin (Beauce, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je ne sais pas si le ministre a été aussi étonné que moi d'entendre M. Turp l'interpeller sur la démocratie au Québec en nous parlant de bâton, de carotte et de patrimoine. Je me serais attendu, étant donné que le projet de loi ne contient que trois articles, à ce qu'il sache nous prouver que cela est antidémocratique.

J'aimerais que le ministre nous dise comment il se fait, si on est aussi antidémocratiques que cela, que contrairement à des pays comme la France et les États-Unis qui sont indivisibles, nous puissions accepter qu'on ait un débat et reconnaître le Québec comme un pays si la question est claire et si on a une majorité claire.

M. André Bachand: Il ne s'agit pas que du Québec; il pourrait s'agir de n'importe quelle autre province.

M. Claude Drouin: J'aurais dû dire «toute province». Excuse-moi, André. La perfection n'est pas de ce monde, et j'apprécie ta correction. J'aimerais que le ministre nous explique.

• 1700

M. Stéphane Dion: Je pense que c'est dû à notre histoire. Le Canada est un pays qui s'est construit sur le consentement mutuel de différentes populations, qui ne parlaient pas toujours la même langue et qui n'avaient pas toutes la même culture. Il y a eu plusieurs pages noires, plusieurs moments difficiles, mais cela a donné un pays qui, dans les comparaisons internationales, se place pas loin du podium ou sur le podium quand il est question de la tolérance et de l'ouverture aux autres.

Mais il ne faudrait pas croire que, parce que nous acceptons la possibilité d'une division du Canada, nous accordons moins d'importance à notre pays que les pays qui se disent indivisibles. C'est justement parce que nous attachons une très grande importance au Canada que nous ne pouvons imaginer qu'il repose sur autre chose que le consentement mutuel.

Quant aux remarques du député bloquiste, je déplore qu'il n'ait apporté aujourd'hui aucun argument de substance, qu'il ait refusé le débat avec moi sur le fond et qu'il se soit camouflé derrière des slogans maintes fois répétés.

M. Claude Drouin: Merci.

M. Stéphane Dion: Tu avais ton occasion et tu l'as ratée.

Le président: Monsieur Drouin, avez-vous une autre question?

M. Claude Drouin: Y a-t-il d'autres pays qui accepteraient qu'une telle loi sur la clarté soit mise en oeuvre?

M. Stéphane Dion: Probablement que oui, mais je constate que ce n'est pas le cas des pays démocratiques bien établis en ce moment. Il faut aussi dire que jusqu'à présent, jamais une sécession ne s'est produite dans des démocraties bien établies. Tous ces pays qu'on a vu arriver depuis la création de l'ONU, et notamment depuis les années 1990, sont nés soit de la décolonisation, soit de l'éclatement des anciens empires totalitaires. Il ne faut pas oublier cela.

À mon avis, la raison fondamentale pour laquelle cela ne s'est pas produit jusqu'à maintenant—et je ne dis pas que c'est impossible, la preuve en étant qu'on en discute au Canada—c'est qu'il y a quelque chose de difficile à concilier entre sécession et démocratie. La difficulté de concilier ces deux phénomènes tient à ce que la démocratie nous invite à accepter tous nos concitoyens et à être solidaires de chacun d'eux, tandis que la sécession nous invite à les choisir, à déterminer qui nous gardons et qui nous transformons en étrangers. Donc, concilier ces deux phénomènes n'est pas facile et exige deux ingrédients essentiels: la légalité et la clarté.

M. Claude Drouin: Merci, monsieur le président.

Le président: Le deuxième tour

[Traduction]

permet des interventions de cinq minutes, et nous entendrons tout d'abord M. Jaffer.

[Français]

M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Réf.): Ma question porte encore sur la majorité claire. Monsieur le ministre, vous vous êtes servi de l'exemple de notre parti, le Parti réformiste, par rapport à la règle des deux tiers pour apporter des changements importants à la Constitution. Cette norme a été proposée par un membre de notre parti et s'applique à un référendum tenu par notre parti ou à une conférence de notre parti.

Comme l'a dit mon collègue, si vous êtes prêt à modifier la norme utilisée en démocratie, seriez-vous prêt à demander au peuple canadien, peut-être dans un référendum pancanadien, comment la modifier, car ce serait apporter un véritable changement en démocratie? À quoi allez-vous vous référer pour établir une nouvelle norme?

M. Stéphane Dion: Premièrement, comme je l'ai dit au Dr Hill, il n'y a pas cette règle dont vous parlez. Elle n'existe pas. Jamais il n'a été écrit qu'on pouvait briser le Canada à partir d'une majorité de 50 p. 100 plus un dans l'une de ses provinces. Jamais, dans le droit québécois comme dans le droit fédéral canadien... Un référendum est une consultation, et l'avis de la Cour suprême nous le rappelle. C'est la Cour suprême qui nous invite à évaluer la clarté de la question. Donc, une majorité claire est nécessaire pour engager des négociations.

Si le Parti réformiste estime que 50 p. 100 plus un est une majorité claire, il doit nous dire ce que serait une majorité qui ne serait pas claire, premièrement.

Deuxièmement, il doit nous expliquer pourquoi il est lui-même incapable d'imaginer sa brisure à 50 p. 100 plus un. Je dis que vous avez raison de ne pas imaginer votre brisure à 50 p. 100 plus un parce qu'une fois le parti brisé, vous ne pouvez pas le reconstruire facilement puisqu'il n'existe plus. On ne peut pas reconstruire cela par un seul vote.

Mais vous avez tort d'exiger 50 p. 100 plus un pour la brisure du Canada et de dire que ce n'est pas grave parce qu'on utilise un sabre à deux tranchants. Moi, je n'ai aucun sabre. Je suis contre les sabres. J'aime tous mes concitoyens et je veux trouver des règles justes et responsables pour eux. Je ne veux pas utiliser de sabre. Vous comprenez ça?

M. Rahim Jaffer: Oui, mais...

M. Stéphane Dion: Je veux aussi respecter l'avis de la cour. On doit tous le respecter, y compris le Parti réformiste. Et la cour nous invite à ne pas faire cela à l'avance. Donc, si elle dit que c'est aux acteurs politiques de faire cette évaluation dans les circonstances du référendum, elle ne nous invite certainement pas à faire un référendum où on poserait au peuple canadien une question à laquelle il ne pourrait pas répondre à l'avance.

• 1705

[Traduction]

M. Rahim Jaffer: Mon autre question, monsieur le président, concerne le moment choisi pour déposer ce projet de loi. On peut prétendre que la Loi sur la clarté référendaire énumère des conditions qui ne sont toujours pas très claires. Mais en plus, comme l'a toujours dit le Parti réformiste, il faut avancer des arguments pour essayer de réformer la fédération, pour faire en sorte que tout l'ensemble puisse aller de l'avant.

Le Bloc a donné son point de vue qui comporte un nouveau partenariat au Canada. Nous, au Parti réformiste, nous avons présenté notre plan d'un nouveau Canada, mais le gouvernement n'a présenté aucun plan sur la façon dont il entend améliorer la fédération. Comme bien d'autres, je remarque que nous attendons toujours un peu plus de clarté concernant ce projet de loi. Dans quelle direction le gouvernement entend-il s'engager pour réformer la fédération en versant une forme de plan A au débat?

M. Stéphane Dion: Merci. La première condition de la clarté consiste à dissocier totalement les propositions concernant l'abandon du Canada et les propositions concernant son amélioration. Un projet de loi qui porte sur les deux questions à la fois n'est pas un projet de loi clair. C'est un projet de loi de confusion. Il faut donc éviter cela.

Le présent projet de loi concerne toute proposition faite par une province qui voudrait se retirer, une situation où le premier ministre d'une province dirait au premier ministre du Canada: «Venez négocier, je veux quitter le Canada». Voilà le cas où le projet de loi s'applique. Pour le reste, il ne peut pas s'appliquer. Il ne fait pas obstacle à tout changement au sein du Canada, et ne facilite pas davantage le changement. Il n'a aucune incidence sur toute autre forme de changements.

Vous voulez savoir si le Parti libéral du Canada a une solution pour améliorer le pays; évidemment, nous pensons que c'est ce que nous avons fait. Je sais bien que vous n'êtes pas payé pour dire que nous avons fait du beau travail. Ce débat se poursuivra au Canada entre nos deux partis tant que votre parti existera. Tout dépend du seuil des 60 p. 100. Ce que je veux dire, c'est qu'il est possible d'améliorer le Canada à la façon des Réformistes, à la façon des Néo-démocrates, à la façon des Conservateurs et à la façon des Libéraux.

Mais si vous voulez me faire intervenir dans ce débat, j'ai toute la liste des changements que nous avons apportés à la fédération au cours des dernières années. Cependant, je ne crois pas qu'il faille tenir ce débat à l'occasion de l'étude du présent projet de loi.

M. Rahim Jaffer: La réforme de la fédération et la clarté référendaire sont deux questions distinctes, j'en conviens, mais mon argument, conforme à la thèse constante de notre parti, c'est qu'il est essentiel de définir une perspective précise sur la question du référendum. En tant que gouvernement, vous devez faire preuve d'initiative et proposer aux Canadiens quelque chose qui leur permette d'envisager à tout le moins de rester au Canada. J'ai beau chercher cette vision d'un nouveau Canada, je n'en trouve pas.

Le président: Bien. Vos cinq minutes sont écoulées.

[Français]

Monsieur Bergeron, vous disposez de cinq minutes.

M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Monsieur le président, le ministre disait tout à l'heure que c'est maintenant, alors qu'il n'y a pas de référendum prévu à court terme, qu'il faut étudier cette question dans le calme. Cela n'aura échappé à personne que le gouvernement veut procéder dans le calme mais avec précipitation, compte tenu de la façon dont il bouscule les travaux de ce comité et l'étude du projet de loi en Chambre.

Il faisait allusion à son projet de loi comme à une lampe de poche munie de bonnes piles. Je veux bien, sauf que j'ai vaguement l'impression que sa lampe de poche munie de bonnes piles n'a pas d'ampoule. La première condition pour la clarté, et vous y faisiez allusion tout à l'heure, ne serait-elle pas que vous nous indiquiez ce qu'est une majorité claire et ce que serait une question claire?

Lorsqu'on lit votre projet de loi, en dehors du verbiage, on n'y trouve aucune définition très précise de ce qu'est une majorité claire et de ce qu'est une question claire. Tout ce qu'on sait, c'est que pour vous, 50 p. 100 plus un n'est pas suffisant. Jusqu'à preuve du contraire, en démocratie, 50 p. 100 plus un constitue une majorité claire.

Vous qui voulez faire la lumière sur cette question-là, expliquez-nous ce que sont une majorité et une question claires.

Je vais énumérer toutes mes questions en cascade, monsieur le président, pour être certain d'avoir la chance de les poser toutes. Le ministre aura ainsi certainement l'occasion d'y répondre.

Je voudrais revenir sur le point qu'a soulevé notre collègue M. Bachand. Le projet de loi s'intitule: «Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême dans son avis sur le renvoi sur la sécession du Québec». À quel endroit, dans l'avis, le ministre se voit-il investi de la responsabilité, du pouvoir de donner effet à l'exigence de clarté formulée par la cour? À aucun endroit dans l'avis on ne trouve quelque indication que c'est la responsabilité du gouvernement fédéral que de donner effet à cette exigence.

• 1710

En fait, la cour va plus loin car elle dit qu'il reviendrait aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste une majorité claire à une question claire. Le gouvernement fédéral s'investit-il du rôle de seul acteur politique en cause?

Revenons maintenant à la règle de 50 p. 100 plus un. Le ministre prétend que la cour dit que 50 p. 100 plus un ne serait pas suffisant. Que dit la cour sur la question de la majorité? La cour prend bien soin de dire qu'elle parle d'une majorité claire au sens qualitatif, et donc non pas au sens quantitatif. C'est vous qui donnez cette interprétation de l'avis de la cour.

Puisqu'on veut parler de la cour et dire que la cour n'a pas été précise sur la question dans son avis, allons voir certains jugements antérieurs dans lesquels elle a parfois été très précise. Si on dit que 50 p. 100 plus un n'est pas la règle, cela veut dire qu'il y a des votes qui ont plus d'importance que d'autres. Voici ce que dit la cour dans un jugement rendu en 1991 dans un autre cas:

    Chaque vote doit être relativement égal à tout autre vote [...]. Toute dilution de l'importance et de la signification d'un suffrage est un affaiblissement du processus démocratique.

La cour a toujours été constante par rapport à cet avis puisqu'elle disait dans un autre jugement:

    Le système qui dilue indûment le vote d'un citoyen comparativement à celui d'un autre, court le risque d'offrir une représentation inadéquate au citoyen dont le vote a été affaibli. Le pouvoir législatif de ce dernier sera réduit, comme pourra l'être l'accès qu'il a auprès de son député et l'aide qu'il peut en obtenir. La conséquence sera une représentation inégale et non équitable...

Vous qui vous targuez de démocratie, vous qui vous targuez de respecter l'avis de la cour, vous qui vous targuez de respecter les jugements de la cour, comment pouvez-vous prétendre que refuser le seuil du 50 p. 100 plus un respecte l'avis et les jugements antérieurs de la cour sur la question du 50 p. 100 plus un?

Le président: Monsieur Bergeron, il ne vous reste plus qu'une minute. Je dois être juste.

M. Stéphane Bergeron: Eh bien, on va la lui laisser, mais j'aurais eu d'autres questions. Puisqu'il demande tant d'avoir des questions sur le fond, je m'en étais préparé toute une liste. C'est dommage qu'il doive quitter si tôt.

Le président: Vous avez posé vos questions très rapidement. L'honorable ministre ne dispose que d'une minute.

M. Stéphane Dion: J'aimerais remercier le député d'être entré davantage dans la substance. C'est dommage que cela ait pris autant de temps, mais enfin...

En ce qui concerne la clarté de la question, la cour nous dit, comme je l'ai déjà mentionné, qu'il doit y avoir une volonté de cesser de faire partie du Canada. Alors, tout libellé qui se rapproche de cela sera considéré comme clair et tout libellé qui s'en éloigne sera considéré comme non clair.

De toute façon, il n'y aurait pas de débat sur la clarté de la question si vous saviez que les Québécois veulent se séparer du Canada. Tout ce débat vient du fait que vous savez que les Québécois veulent rester dans le Canada ou que leur appui à la séparation n'est pas assez élevé. Cela requiert donc un concoctage de la question qui permette de gonfler artificiellement le Oui. Or, cela n'est pas possible; ce n'est pas respecter les Québécois.

Deuxièmement, en ce qui concerne la majorité claire, si 50 p. 100 plus un est une majorité claire, qu'est-ce qu'une majorité qui n'est pas claire? La cour nous invite en effet à faire une évaluation qualitative, ce qui nous invite à ne pas déterminer aujourd'hui, en l'absence de circonstances concrètes, si la majorité est claire ou pas.

Quant à l'égalité des votes, celle-ci fait en sorte que chaque vote compte pour une unité. Ensuite les gouvernements ou les autorités évaluent ce qu'ils doivent faire du résultat. Il y a quantité de votes qui ne requièrent pas 50 p. 100 plus un des voix exprimées dans ce pays, notamment dans la Loi sur les Indiens, notamment chez les Montagnais, où c'est 50 p. 100 plus un des inscrits. L'autre fois, le critique bloquiste, M. Turp, disait que c'était un bon référendum. Donc, le Bloc québécois s'est rallié à la règle du 50 p. 100 plus un des inscrits.

Une voix: Monsieur le président, ce n'est pas si clair que cela.

M. Stéphane Bergeron: Monsieur le président, j'ai posé une question sur le jugement de la cour.

Le président: Votre temps est écoulé.

Monsieur Blaikie, c'est maintenant à vous.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Une courte question. Tout d'abord, monsieur le président, d'après ce que j'ai compris des propos de mon collègue conservateur, il semble souhaiter que le Sénat joue un rôle plus important dans ce processus. Je tiens à exprimer clairement notre point de vue, celui du NPD, à savoir que le Sénat joue déjà un rôle trop important dans cette affaire.

En fait, ce que nous trouvons particulièrement paradoxal, choquant, contestable—choisissez l'expression qui vous convient—c'est que le Sénat soit désigné comme l'un des acteurs politiques qui devront être consultés sur ce qui constitue une question claire ou une majorité claire. Les chefs autochtones, qui sont élus, contrairement à tous les sénateurs jusqu'à maintenant, n'ont pas à être consultés.

• 1715

Voici ma question. En fait, je réfléchis à voix haute. Ce que reprochent au projet de loi mes collègues du Bloc et d'autres députés, qui ne sont pas forcément séparatistes, c'est que ce projet de loi constitue un manque de respect envers l'Assemblée nationale du Québec. Je ne suis pas d'accord, mais c'est en tout cas ce qu'ils disent.

Le jugement qualitatif qui suit un référendum doit être fait par le gouvernement fédéral. J'ai entendu parler de cette idée, et je voudrais savoir si le ministre pourrait envisager d'inclure dans le projet de loi une disposition qui ferait disparaître cette responsabilité dans le cas où l'Assemblée nationale reconnaît unanimement l'existence d'une majorité claire. Je parle ici d'une majorité claire, et non d'une question claire.

Si l'Assemblée nationale est unanime pour dire, après un référendum, que ces résultats constituent qualitativement une majorité claire, est-ce que cela suffirait pour que le ministre déclare que dans les circonstances, le gouvernement fédéral n'a pas besoin de rendre un jugement et que l'avis de l'Assemblée nationale suffit? J'aimerais savoir si le ministre a envisagé cette possibilité et, le cas échéant, ce qu'il en pense.

M. Stéphane Dion: Comme vous le savez, en ce qui concerne la majorité, le projet de loi prévoit que la Chambre devra tenir compte des points de vue de tous les partis politiques représentés à l'assemblée législative. C'est ce qui figure explicitement dans le projet de loi. Quant à vous, vous dîtes: «Mais pourquoi ne pas prévoir qu'en cas de point de vue unanime...».

Je considère qu'il n'est pas concevable que le projet de loi dispense la Chambre de ses responsabilités. Nous ne pouvons pas renoncer à évaluer la majorité dans certaines circonstances. Il est déjà assez difficile d'accepter de négocier la séparation du pays. Quelles que soient les circonstances, nous devons pouvoir évaluer le résultat.

S'il y avait cependant unanimité à cet égard à l'assemblée législative de la province, on peut supposer que les pressions politiques qui seraient exercées pour que le gouvernement fédéral considère la majorité claire seraient grandes. J'hésiterais cependant à dire que la Chambre des communes n'aurait pas à évaluer la situation dans ce cas-là.

M. Bill Blaikie: Le projet de loi ne pourrait-il pas contenir une disposition aux termes de laquelle le Parlement ne renoncerait pas à ses responsabilités, mais qui indiquerait que le gouvernement fédéral considérerait comme un facteur déterminant dans la question de savoir si la majorité est claire qu'il y ait unanimité à cet égard dans l'assemblée législative de la province sécessionniste?

M. Stéphane Dion: Non...

M. Bill Blaikie: Autrement dit, je propose une disposition qui témoignerait d'un respect particulier pour l'Assemblée nationale du Québec en l'occurrence. Nous faisons semblant de parler d'autres provinces, mais c'est bien du Québec dont il s'agit.

M. Stéphane Dion: Nous serions tenus de prendre en compte la réalité politique. Le projet de loi le prévoit d'ailleurs déjà. Ce qu'on peut dire au sujet de ce qui s'est passé en 1980 et en 1995, c'est qu'on n'a pas tenu compte de la réalité politique. L'opposition officielle à l'Assemblée nationale s'opposait alors catégoriquement à la question qui a été posée, et il faudrait aussi que la Chambre des communes tienne compte de cette situation si elle se reproduisait.

M. Bill Blaikie: Oui, j'en conviens. Il me faut donc comprendre que vous n'aimez pas mon idée.

Le président: Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

Ma question est très précise. Il est question d'établir ce qui constitue qualitativement une majorité. L'importance de la majorité ainsi que le pourcentage des électeurs admissibles ayant voté au référendum doivent être pris en compte. Quel a été le taux de participation des électeurs ainsi que la répartition de ceux-ci lors des derniers référendums?

M. Stéphane Dion: Au Canada.

Mme Karen Redman: Oui.

M. Stéphane Dion: Dans le monde politique, un référendum qui donne lieu à une majorité faible est considéré moins valide qu'un référendum qui aboutit à une majorité certaine. Voilà pourquoi le projet de loi comporte ce critère. Dans de nombreux pays, comme en Suisse, l'issue du référendum est incertaine lorsqu'il aboutit à une majorité très faible. Il serait dangereux de fixer à l'avance ce que constitue une majorité claire. Comme la Cour suprême l'a énoncé, divers critères qualitatifs doivent être pris en compte, dont l'un est certainement le taux de participation au scrutin.

Mme Karen Redman: J'aimerais poser une question complémentaire. Certains estiment que 50 p. 100 plus un constitue une majorité acceptable. Il s'agit de 50 p. 100 plus un de quoi au juste? Sait-on vraiment ce dont on parle?

• 1720

M. Stéphane Dion: La cour parle à plusieurs reprises de la majorité de la population. On peut en déduire qu'il s'agit de la majorité des personnes ayant le droit de voter, mais n'est pas sûr. L'assise juridique du projet de loi n'est donc pas très évidente et voilà pourquoi il ne précise pas qu'une majorité claire est 50 p. 100 plus un des personnes ayant le droit de voter. Le projet de loi précise simplement que le gouvernement fédéral devra évaluer la majorité. Je répète que le premier acteur qui devra évaluer la majorité est le gouvernement séparatiste advenant le cas où il y aurait majorité des voix en faveur de la sécession.

Mme Karen Redman: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Scott.

L'honorable Andy Scott (Fredericton, Lib.): Je vous remercie beaucoup, monsieur le ministre, de participer à cet important débat.

J'aimerais vous poser deux ou trois questions. Une partie du débat porte sur la question de savoir quelles sont les responsabilités du gouvernement fédéral à l'issue de la décision rendue par la Cour suprême. Le débat porte aussi sur la question de savoir ce que constitue une question claire. À cet égard, je pense que les facteurs à prendre en compte pour établir si la question est claire importent beaucoup. Autrement dit, je crois qu'il faut se reporter aux questions précédentes pour se faire une idée de la clarté ou du manque de clarté de la question posée. J'aimerais que vous nous expliquiez ce qu'on a constaté par le passé au sujet de la clarté de la question posée.

Un second élément du débat dont il n'a pas été beaucoup question, au moins au sujet de ce projet de loi, est le délai de préemption de l'expression claire de la volonté de la population. Je crois qu'il s'agit d'un facteur important étant donné qu'il y a déjà eu deux référendums. La population a exprimé sa volonté une première fois, mais quelqu'un a décidé à un moment donné qu'il fallait la consulter de nouveau. Quelle est la durée de l'expression de la volonté de la population? Je pense qu'il s'agit d'une question importante sur laquelle devront s'exprimer les acteurs politiques qui auront à porter un jugement qualitatif sur la majorité. J'ai pu constater qu'il s'est déjà produit que la durée de l'expression de la volonté de la population ne soit pas aussi longue que ce que j'aurais cru.

M. Stéphane Dion: Vous avez raison au sujet du second point que vous soulevez. C'est l'un des critères qui doivent être pris en compte. La majorité obtenue est-elle soudaine et peut-elle disparaître aussi soudainement ou sera-t-elle stable pendant longtemps ou pendant une période raisonnablement longue?

Quand on a demandé à la population d'autres pays sa position au sujet de la sécession, on lui a parlé d'indépendance et non pas de partenariat et de souveraineté, sauf dans certaines circonstances très précises lorsqu'on savait obtenir une majorité écrasante. On a voulu ainsi éviter de diviser la population. Vous soulevez un point très important, celui de la durée de l'expression de la volonté de la population.

Quant à la clarté des questions qui ont été posées par le passé, lorsqu'on lit à des étrangers la question qui a été posée à la population en 1995, il leur est difficile de ne pas rire même s'ils sont polis. Pensez qu'on peut briser un pays comme le Canada avec ce genre de question illogique. On ne peut pas permettre que cela se produise parce que ce ne serait pas respecter le pays. Les Canadiens, et en particulier les Québécois, ont le droit de demeurer dans ce pays.

La cour a beaucoup insisté sur la clarté de la question. Or, le gouvernement du Canada ne lui a pas soumis ce critère. Le gouvernement n'a demandé à la cour de se prononcer que sur le caractère unilatéral de la sécession. La cour a d'elle-même soulevé la question de la clarté. Je précise que j'étais en faveur qu'on demande à la cour de le faire. Je l'ai dit à mes collègues du ministère de la Justice, mais ils étaient d'avis qu'il fallait se limiter à la teneur de l'arrêt Pigeon de la Cour supérieur du Québec qui portait sur la question de savoir si la sécession unilatérale serait légale ou non. C'est la question que nous avons soumise à la cour qui, d'elle-même, a abordé l'aspect de la clarté.

Je suis tout à fait d'accord avec la cour à ce sujet. Permettez-moi de citer ce que j'ai moi-même dit lors d'une des premières déclarations que j'ai faites comme ministre et qui est parue dans le Soleil, un excellent journal de Québec:

[Français]

    Si le Québec malheureusement votait avec une majorité ferme sur une question claire pour la sécession, j'estime que le reste du Canada a l'obligation morale de négocier le partage du territoire.

• 1725

J'ai dit cela le 27 janvier 1996, deux ans et demi avant l'avis de la cour.

Si la cour a tellement insisté sur cette notion de clarté, c'est parce que les procédures de 1980 et de 1995 n'ont probablement pas été jugées très claires.

Le président: Les cinq prochaines minutes sont pour M. Cotler.

M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Monsieur le ministre, dans le débat d'aujourd'hui, on a dit que le premier ministre Bouchard n'avait pas accepté le jugement de la Cour suprême du Canada. Mais ce que M. Bouchard a dit, et je suis d'accord avec lui, c'est qu'à cause du renvoi à la Cour suprême, le gouvernement fédéral avait le devoir de négocier la sécession et que ce devoir était reconnu en vertu du jugement de la Cour suprême.

[Traduction]

Autrement dit, comme le premier ministre Bouchard l'a fait remarquer, le gouvernement fédéral est tenu de négocier en raison de la Constitution. Dans ce cas, il faut reconnaître que le jugement de la Cour suprême est conforme à la Constitution. Accepte-t-il le jugement ou non?

M. Stéphane Dion: Il a affirmé publiquement accepter le jugement. La difficulté, c'est qu'il n'a pas terminé sa phrase. Il a commencé par dire que le gouvernement du Canada était tenu de négocier, mais comment voulait-il terminer sa phrase? Il aurait dû dire: «Si une majorité claire des électeurs se prononcent en faveur d'une question claire sur la sécession, les négociations se dérouleront alors dans le cadre constitutionnel canadien». Voilà la fin de la phrase. C'est ce qu'on retrouve dans le projet de loi et c'est la seule solution qui respecte la primauté du droit dans ce pays, notre culture politique, les droits de tous les Canadiens et en particulier ceux des Québécois, qui ont le droit de ne pas perdre le Canada dans la confusion.

Le président: Monsieur Cotler, avez-vous d'autres questions à poser?

M. Irwin Cotler: Non.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: J'ai quelques questions supplémentaires. Je sais que le temps passe rapidement, monsieur le ministre.

Ma question est très générale. Êtes-vous ouvert aux amendements? Si vous y êtes ouvert, sous quelle forme et sur quoi? Ou croyez-vous, comme vous et le premier ministre le dites si bien, que le projet de loi est simple, clair, raisonnable, complet?

Alors, est-ce que vous êtes ouvert aux amendements? Si vous l'êtes, que voyez-vous comme amendements, vu que vous connaissez bien ce projet de loi, dont vous êtes d'ailleurs le parrain?

M. Stéphane Dion: Écoutez, si je pensais que le projet de loi n'était pas simple, clair et tout ce que vous avez dit, je l'aurais rédigé autrement. Si je vous le présente, c'est que je pense que c'est le projet de loi qu'il faut pour le Canada, pour les Canadiens, pour les Québécois.

Maintenant, à savoir si je suis ouvert à des amendements, je vous dirai que je suis ici pour écouter. J'entends des suggestions et j'en prends note au nom du gouvernement du Canada.

M. André Bachand: Donc, vous êtes ouvert?

M. Stéphane Dion: Oui, mais ce n'est pas le moment de discuter d'amendements.

M. André Bachand: Je voulais juste savoir si vous étiez ouvert ou pas.

Il y a une question qui n'est pas claire dans le projet de loi. On demande une question claire; on ne l'a pas. On demande une majorité claire; on ne l'a pas. Il y a des conséquences à cela, et vous en avez entendu parler. Je pense même que vous vous êtes exprimé là-dessus; il s'agit du rôle des députés et des ministres québécois. Par exemple, dans la situation actuelle, le premier ministre est un Québécois de Shawinigan. Puisque vous parlez des joueurs présents à Québec, je vais parler des joueurs présents à Ottawa. Dans pareille situation, si un référendum était tenu au Québec au mois de mai, qu'une majorité claire était obtenue à la suite d'une question claire et qu'on devait négocier, verriez-vous un problème juridique, politique ou administratif à ce que cette négociation se fasse pas seulement entre Québécois, mais presque? Comment voyez-vous cela personnellement? Quel message lancez-vous au reste du pays là-dessus, pour le réconforter ou pour l'énerver?

Des voix: Ah, ah!

M. Stéphane Dion: Je comprends très bien votre frustration quant à la difficulté de tout clarifier. Mais parce que nous sommes incapables de clarifier tout ce qui touche la sécession, ce n'est pas une raison pour ne rien clarifier. L'avis de la cour nous dit ce qui peut être clarifié. La cour ne s'est pas engagée à discuter de la mécanique régissant les négociations. Donc, le projet de loi ne traite pas de cet aspect.

M. André Bachand: Mais...

M. Stéphane Dion: La question que vous avez posée, à savoir quel serait le rôle des élus québécois à la Chambre des communes en cas de négociations sur la sécession de Québec, est une très bonne question, à laquelle le projet de loi ne répond pas et à laquelle je souhaite que nous n'ayons jamais à répondre.

• 1730

M. André Bachand: Monsieur le ministre, vous êtes le parrain de la clarté. Je dois vous dire que tout à l'heure, quand je vous ai parlé de la formule d'amendement, vous n'avez pas été clair. Je vous parle maintenant du rôle.

Vous attaquez, à juste titre, dois-je dire, le gouvernement et les souverainistes, qui vous ont passablement magané au cours de votre carrière politique. Je vous pose la question encore une fois: qu'adviendra-t-il des Québécois, comme vous et moi, qui sont fédéralistes d'une façon différente, si au référendum... Vous refusez d'être clair sur une question aussi importante, sur une mécanique aussi importante qui peut amener des résultats très importants pour l'avenir du pays. Pourquoi ne seriez-vous pas clair? Le jugement de la Cour suprême est limité, mais répondez donc à cette question.

M. Stéphane Dion: Eh bien, merci pour votre sollicitude, mais j'ai la peau solide et ils ne m'ont pas magané. Ils essaient, mais ils ne réussissent pas.

Deuxièmement, en ce qui concerne vos questions, elles vont dans le même sens depuis le début. Pourquoi ne clarifiez-vous pas? Pourquoi ne dites-vous pas quelle doit être la question, par exemple? Si on ne dit ce que doit être la question, c'est qu'on ne peut pas le faire dans le cadre d'un référendum provincial. Il faut respecter la compétence de l'Assemblée législative de la province et nous le faisons pleinement.

Nous disons cependant que si la question manque de clarté, il n'y aura pas de négociations. Une question qui inclurait d'autres notions que celle de la sécession ne serait pas claire. Ce ne serait pas respecter les gens que d'essayer de leur enlever le Canada sans avoir l'assurance que c'est bien ce qu'ils veulent. On est d'accord sur cela, et c'est très bien.

Sur la question de la majorité, nous disons qu'il faudrait faire une évaluation dans les circonstances et que le premier acteur qui ferait l'évaluation serait le gouvernement de la province en question. On est d'accord là-dessus.

M. André Bachand: Répondez à ma question.

M. Stéphane Dion: Si le Parti conservateur, dans ces circonstances, disait que dès que le 50 p. 100 plus un est dépassé, c'est clair pour lui, eh bien, il votera en conséquence. Et si c'est lui qui forme le gouvernement, les Canadiens doivent savoir qu'il accepterait la séparation dans ces circonstances.

Sur l'autre aspect, qui est la mécanique de la négociation, vous demandez quel est le rôle des élus québécois. Eh bien, il n'y a pas de réponse à cette question. Je ne suis pas autorisé...

M. André Bachand: Vous n'êtes pas clair! Vous n'êtes pas clair! Vous n'êtes même pas capable de dire aux Canadiens qui va négocier: la Chambre des communes et pas le Sénat, la Chambre des communes, le gouvernement du Canada. Oui, mais si ce sont tous des Québécois entre eux...

M. Stéphane Dion: Attendez une seconde.

M. André Bachand: Allez plus loin dans votre réflexion.

M. Stéphane Dion: Attention, j'ai répondu...

Une voix: C'est important, cet élément-là.

M. Stéphane Dion: Est-ce que je peux répondre, monsieur le président?

Le président: À l'ordre, à l'ordre. Nous avons dépassé les cinq minutes.

Monsieur Hill, s'il vous plaît.

M. André Bachand: On n'a pas atteint cinq minutes.

Le président: Les cinq minutes sont terminées.

Monsieur Hill.

[Traduction]

M. Grant Hill: Je vous remercie, monsieur le président.

Je vais me laisser aller à faire des spéculations même si c'est quelque peu dangereux dans le domaine politique. Supposons que le gouvernement fédéral juge que la question posée à la population d'une province ne soit pas claire. J'aimerais savoir ce qu'il ferait alors.

Permettez-moi de faire une suggestion au nom de l'opposition officielle, c'est-à-dire que le gouvernement fédéral pose alors une question claire qui comporte deux volets. Si vous le souhaitez, je vous soumettrai le libellé exact de cette question, mais j'aimerais d'abord savoir si le ministre pense que ce serait une bonne idée.

[Français]

M. Stéphane Dion: Une petite remarque incisive au Parti conservateur: il devrait se poser lui-même ses propres questions. On ne connaît pas leur propre réponse.

[Note de la rédaction: Inaudible]

M. André Bachand: ...

M. Stéphane Dion: Non, mais c'est vrai. Le Parti conservateur pose beaucoup de questions au gouvernement. On voudrait savoir si le Parti conservateur a une opinion sur quoi que ce soit relativement à ce sujet.

[Traduction]

Quant à la question de savoir ce qui se passerait si la question n'était pas claire, il n'y a qu'une certitude: les négociations ne seraient pas possibles. Qu'est-ce qui serait alors possible? Vous avez fait une suggestion, mais je pense qu'il appartiendrait aux dirigeants politiques qui se trouveraient malheureusement dans cette situation d'aviser.

Nous ne pouvons pas préciser ce que ferait le gouvernement fédéral dans le projet de loi. Ce ne serait pas responsable. Il appartiendrait aux dirigeants politiques du moment d'aviser si un gouvernement provincial était suffisamment irresponsable pour poser une question qui ne serait pas claire qui pourrait aboutir à l'éclatement du Canada.

M. Grant Hill: Très bien.

J'aimerais soulever une autre question. La liste des questions qui devraient faire l'objet de discussions est assez courte: les frontières, la dette, les questions autochtones et les minorités.

• 1735

Je ne pense pas que cette liste soit exhaustive. Je pense qu'elle pourrait comporter d'autres questions comme l'actif fédéral dans la province sécessionniste, des questions monétaires comme celle de savoir si la province pourrait continuer d'utiliser le dollar canadien, la création d'un corridor de transport si cette province se trouvait dans le centre du pays et que le pays se retrouvait partagé en trois, par exemple, et l'environnement.

Pourquoi ces questions ne figurent-elles pas dans le projet de loi?

M. Stéphane Dion: C'est une bonne question, mais la séparation d'un État moderne comme le Canada, une démocratie de longue date, n'a jamais été tentée ailleurs. Il est donc impossible d'établir une liste exhaustive des questions qui devraient faire l'objet de discussions. Cette liste serait très longue.

Vous avez mentionné des questions qui devraient évidemment faire l'objet de discussions, mais ce qui figure dans le projet de loi est exactement ce qui a été mentionné par la cour elle-même. Nous ne prétendons pas que la liste des questions mentionnées au paragraphe 3(2) soit exhaustive.

Voici comment s'énonce ce paragraphe:

    Aucun ministre ne peut proposer de modification constitutionnelle portant sécession d'une province du Canada, à moins que le gouvernement du Canada n'ait traité, dans le cadre de négociations, des conditions de sécession applicables dans les circonstances, notamment...

... et notamment ne signifie pas «exclusivement»...

    la répartition de l'actif et du passif, toute modification des frontières de la province, les droits, intérêts et revendications territoriales des peuples autochtones du Canada et la protection des droits des minorités.

Voilà les questions qui ont été explicitement mentionnées par la cour.

[Français]

M. Grant Hill: Mais ces enjeux sont prévisibles. Ce n'est pas difficile de voir qu'il sera nécessaire de négocier certains points. La liste n'est pas si longue. Pourquoi ces points ne sont-ils pas mentionnés?

M. Stéphane Dion: La décision qui a été prise par le gouvernement est de proposer un projet de loi qui donne effet à l'avis de la cour et qui lui colle de très près. On a été assez prudents, cependant, pour dire que cette liste n'était pas exhaustive, que d'autres aspects seraient négociables. En dresser la liste prendrait plusieurs pages. Ce serait une négociation énorme. Ce serait probablement la dissociation administrative, en termes de gestion publique, la plus complexe de l'histoire de l'humanité.

Des voix: Ah, ah!

M. Stéphane Dion: Ce qui s'en rapproche le plus serait, par exemple, la réunification de l'Allemagne. Cela a causé d'énormes difficultés et en cause encore.

Une voix: Et cela a marché.

Le président: Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Monsieur le président, j'ai une seule question à poser à M. le ministre.

J'aimerais que vous nous apportiez certains éclaircissements sur certains énoncés véhiculés par les séparatistes, du genre «c'est un projet de loi antidémocratique», «ce projet de loi n'annule-t-il pas le droit du Québec à l'indépendance et n'interdit-il pas de reconnaître l'indépendance, quelle que soit la clarté du vote en faveur de la sécession?»

M. Stéphane Dion: Pour qui sait lire, la réponse est non. Vous êtes bien d'accord.

Il y a une chose que je veux dire à mes collègues. Je suis persuadé que dans l'intérêt même de leur projet, ils doivent s'assurer que les électeurs qui voteraient oui seraient seulement ceux qui veulent l'indépendance du Québec. C'est dans leur intérêt. Puisqu'ils disent que ce comité est bousculé, ils ne devraient certainement pas bousculer les choses. S'il n'y a pas une majorité claire pour l'indépendance du Québec, n'essayons pas de la faire.

Or, qu'a déclaré M. Landry, vice-premier ministre du Québec, il y a quelque temps, le 15 octobre 1999?

Le président: À l'ordre. Il faut gagner du temps.

M. Stéphane Dion: Les gens vont rire encore plus quand j'aurai fini de lire ce qu'il a dit. Le 15 octobre 1999, il disait:

    Même moi, je ne suis pas sûr si je répondrais oui à une question qui porterait sur l'indépendance, parce que ce que je veux, c'est la souveraineté-partenariat.

Le projet, c'est que le Québec ait un siège à l'ONU. Sinon, que M. Landry nous le dise. Pour que le Québec ait un siège à l'ONU, selon la définition même de l'ONU, il doit être un État indépendant. Donc, M. Landry est pour l'indépendance. Il est pour l'indépendance, mais il ne le sait pas. Alors, par simple charité chrétienne, on lui a fait le projet de loi sur la clarté pour l'aider à s'y retrouver.

Le président: J'accorde la dernière question à M. Turp.

• 1740

M. Daniel Turp: Mon cher collègue, vous avez beau ne pas vouloir faire de politique, je vais revenir à mes carottes et à mes bâtons. Aujourd'hui, le premier ministre du Canada, le premier ministre Jean Chrétien, a dit à la Chambre des communes que oui, il était très important que les gens de chaque circonscription du Canada sachent que, quand il y a une subvention qui provient du Canada, l'argent provient des contribuables du Canada, particulièrement dans des régions où certaines personnes veulent quitter le Canada. Voilà pour les carottes.

Je vais revenir au projet de loi. Vous n'aimez pas ça, mais je vais y revenir. C'est un bâton. C'est un bâton dans les roues de l'Assemblée nationale, une Assemblée nationale qui se fait dire, malgré tout votre discours sur le préambule et l'inclusion dans le préambule du droit de l'assemblée de choisir une question, qu'il ne doit pas y avoir de question sur un mandat de négocier ou de question sur un partenariat, qu'elle ne peut dire ou décider que la règle sera de 50 p. 100 plus un, que ce ne doit pas être la règle. Eh bien, j'en ai une question de fond pour vous, cher collègue.

Il y aura une loi de l'Assemblée nationale, la loi 99. Vous la connaissez car vous l'avez lue. Elle sera vraisemblablement adoptée. À moins que vous ayez la bonne conscience de retirer votre projet de loi, comme nous le souhaitons et comme les Québécois le souhaitent très majoritairement, il y aura une loi C-20.

Quelle loi prévaudra, monsieur le ministre? Quelle loi prévaudra en ce qui concerne l'avenir du Québec? Est-ce la loi fédérale à laquelle se seront opposés 60 p. 100 des députés québécois?

M. Stéphane Dion: Merci, cher collègue.

Nous sommes dans un État de droit. C'est la primauté du droit qui répond à cette question. Si l'une des lois est conforme au droit et l'autre pas, c'est celle qui est conforme qui s'applique.

Le président: Merci, monsieur le ministre, de votre comparution d'aujourd'hui. Nous apprécions beaucoup le temps que vous nous avez consacré.

M. Daniel Turp: J'invoque le Règlement.

Le président: Nous pourrons voir à cela après.

Nous vous recevrons sans doute plus tard au cours de notre étude de ce projet de loi. Merci beaucoup.

[Traduction]

Avant que je ne lève la séance, j'aimerais signaler au comité que nous nous réunirons demain à 10 h 15 au lieu de 9 h 30 parce que notre premier témoin ne peut pas arriver plus tôt. Nous entendrons trois témoins au cours de la matinée. À la fin de l'audition des témoins, à 12 h 30, je m'attends à ce qu'on propose une motion dont nous avons reçu avis aujourd'hui.

Aucun témoin n'est pour l'instant prévu pour cet après-midi. Il se peut que cela change, mais si c'est le cas, voilà ce que nous ferons. M. Turp pourra, s'il le souhaite, présenter l'une ou l'autre de ces motions et nous l'expliquer à 12 h 30.

M. Daniel Turp: Je présenterai les deux.

Le président: Les deux? Il faudra de toute façon que vous les présentiez l'une après l'autre. Nous ne pouvons tout faire. Nous ferons de notre mieux.

Voilà donc pour votre gouverne ce que nous prévoyons pour demain. Nous essayons évidemment d'organiser la comparution d'autres témoins.

Monsieur Turp, vous invoquez le Règlement.

[Français]

M. Daniel Turp: Monsieur le président, le ministre, pendant nos débats, a laissé entendre que le référendum parmi les Montagnais, auquel il a été fait allusion à la Chambre des communes, prévoyait une majorité des inscrits.

Les dispositions qui ont été portées à ma connaissance prévoient pourtant que la majorité devant être obtenue est celle des votants.

Une voix: Oh, oh!

M. Daniel Turp: Le ministre a induit ce comité en erreur en disant que la majorité, dans ce cas-là, était la majorité des inscrits, puisqu'il s'agit de la majorité des votants.

Une voix: Ça fait mal, n'est-ce pas?

[Traduction]

Le président: Je ne pense pas que le député... Il y a peut- être divergence de vues sur les témoignages entendus et sur les déclarations qui ont été faites, mais je pense que cela ne peut pas faire l'objet d'un rappel au Règlement.

Par conséquent, je lève la séance. Le comité reprendra ses travaux demain à 10 h 15.