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CLAR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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LEGISLATIVE COMMITTEE ON BILL C-20, AN ACT TO GIVE EFFECT TO THE REQUIREMENT FOR CLARITY AS SET OUT IN THE OPINION OF THE SUPREME COURT OF CANADA IN THE QUEBEC SECESSION REFERENCE

COMITÉ LÉGISLATIF CHARGÉ D'ÉTUDIER LE PROJET DE LOI C-20, LOI DONNANT EFFET À L'EXIGENCE DE CLARTÉ FORMULÉE PAR LA COUR SUPRÊME DU CANADA DANS SON AVIS SUR LE RENVOI SUR LA SÉCESSION DU QUÉBEC

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 24 février 2000

• 0938

[Français]

Le président (M. Peter Milliken (Kingston et les Îles, Lib.)): À l'ordre, s'il vous plaît. Nous pouvons maintenant commencer.

[Traduction]

Notre premier témoin, ce matin, représente Alliance Québec.

Adios, les caméras. Désolé, j'oublie toujours.

M. William Johnson comparaît au nom d'Alliance Québec.

Veuillez vous asseoir à la table, monsieur. Vous êtes le bienvenu au comité.

M. Butcher et M. Housefather l'accompagnent. Très bien.

Merci beaucoup, messieurs. Veuillez vous asseoir à la table.

Faites sortir les caméras. Nous sommes désolés, mais la séance est commencée.

Je tiens à vous remercier de prendre le temps de comparaître ce matin devant le comité. Nous attendrons simplement que les caméras soient sorties.

Nous avons hâte d'entendre votre témoignage. D'après les règles adoptées par le comité, vous avez 10 minutes pour présenter votre exposé qui sera suivi d'un maximum de 35 minutes de questions de la part des membres du comité.

Monsieur Johnson, je présume que c'est vous qui commencerez.

• 0940

M. William Johnson (président sortant, Alliance Québec): Oui, en effet. Merci de nous accueillir.

Honorables membres du comité,

[Français]

Honorables députés, merci de nous recevoir ce matin.

[Traduction]

Je vais d'abord vous présenter Anthony Housefather, le premier vice-président d'Alliance Québec, et Bill Butcher, le président de notre conseil. Nous répondrons tous à vos questions et nous ferons l'exposé ensemble.

Pour commencer, Alliance Québec félicite le gouvernement pour le projet de loi sur la clarté, qui reconnaît les erreurs de la campagne référendaire de 1995 et répond aux demandes de la plupart des fédéralistes du Québec pour l'établissement d'un cadre clair garantissant leurs droits constitutionnels tels que reconnus par la Cour suprême du Canada.

En 1995, le gouvernement sécessionniste du Québec a tenu un référendum qui devait mener à une déclaration unilatérale d'indépendance. On a posé une question ambiguë faisant référence à une entente entre les trois chefs séparatistes. La population du Québec a voté dans la confusion, la plupart des citoyens ayant l'illusion que la sécession était un droit, qu'un référendum pouvait activer ce droit et qu'un oui majoritaire serait suivi, normalement et tout naturellement, par l'indépendance du Québec avec ses frontières intactes.

Quelles illusions dangereuses! Nous avons frôlé une crise des plus graves en 1995 parce qu'on a permis aux illusions de prévaloir sur la clarté.

Il fallait du courage pour présenter le projet de loi C-20 parce que, après des décennies pendant lesquelles les séparatistes ont construit des mythes et où les fédéralistes n'osaient riposter, la population du Québec avait subi un tel lavage de cerveau et une telle déformation de la réalité qu'elle se croyait réellement dans le conte de fée de la sécession raconté par Jacques Parizeau et Lucien Bouchard. Pour Bouchard, comme il l'a lui-même révélé en 1995, le référendum était une «baguette magique» qui rendait tout possible. Le «peuple québécois» pourrait vivre heureux à tout jamais.

Certaines vérités doivent être dites, même si ce n'est pas facile. La première, c'est que le Québec n'a pas droit à la sécession, ni en vertu du droit canadien, ni en vertu du droit international, ni en vertu de toute autre loi, s'il en existait. Comme l'ont dit unanimement les cinq éminents experts en droit international consultés par le gouvernement du Québec en 1992:

[Français]

le droit à la sécession n'existe pas en droit international.

[Traduction]

Quant à l'argument selon lequel les Québécois sont un peuple qui a droit à l'autodétermination, les cinq experts ont insisté sur le fait que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ou le droit à l'autodétermination, n'inclut jamais le droit à la sécession. Je les cite:

[Français]

le peuple québécois exerce effectivement son droit à disposer de lui-même dans le cadre de l'ensemble canadien, et n'est pas juridiquement fondé à l'invoquer pour justifier son éventuelle accession à l'indépendance.

[Traduction]

Cela ne signifie pas que le Québec serait maintenu de force dans le Canada, si c'était vraiment la volonté des Québécois de se séparer du Canada. Cela signifie qu'il y a deux façons, et seulement deux façons de faire sécession. La première voie, c'est la négociation d'un accord qui serait suivi d'un amendement de la Constitution du Canada et qui permettrait la sécession.

[Français]

La deuxième voie, c'est la voie de la révolution, c'est-à-dire le contrôle effectif du territoire du Québec par le gouvernement du Québec, à l'exclusion du gouvernement du Canada. Les deux voies sont semées d'embûches, que je dirais, fatales. La première voie semble écartée par le projet de loi 99 lui-même présentement devant l'Assemblée nationale puisqu'on y proclame le territoire actuel du Québec comme étant indivisible. Un gouvernement du Québec ne pourrait clairement se résoudre à signer une entente de sécession où il renoncerait aux territoires des Cris, des Inuits, des Montagnais, etc.

[Traduction]

En outre, l'indépendance par voie révolutionnaire, par exclusion du fédéral du territoire du Québec, échouerait aussi, puisque les nations autochtones, les milieux anglophones et toutes les minorités éthiques du Québec refuseraient d'être pris en otage par un gouvernement rebelle et défendraient vigoureusement leur droit de rester au sein de la Constitution du Canada.

Les peuples autochtones ont exprimé clairement, trois d'entre eux, par référendum, leur volonté de rester au sein du Canada même si le reste du Québec fait sécession. Des experts en droit constitutionnel ont reconnu cette position, chacun de leur côté, nommément José Woehrling et M. Turp; l'affirmation de leur droit obtiendrait l'appui de la communauté internationale.

Permettez-moi de citer M. Turp:

    Les nations autochtones sont dans une position comparable à celle du Québec lorsqu'il s'agit d'invoquer le droit international pour appuyer l'affirmation selon laquelle ils ont droit à l'auto- détermination. Étant donné le statut de «nation» des nations autochtones, lequel a été affirmé sans équivoque par leurs représentants et reconnu explicitement par le Québec dans la résolution de son Assemblée nationale (et implicitement par le Canada, à l'exclusion du Québec, dans la Loi constitutionnelle de 1982, où c'est le terme «peuples» plutôt que «nations» qui est utilisé), ils peuvent, à juste titre, invoquer à leur profit les mêmes instruments internationaux que les Québécois—c'est-à-dire la Charte de l'ONU et les pactes internationaux relatifs aux droits de la personne—pour affirmer leur droit de déterminer librement leur statut politique et d'assurer leur développement économique, social et culturel. Les nations autochtones du Québec peuvent ainsi affirmer qu'elles remplissent la seule condition nécessaire pour jouir de ce droit et qu'elles peuvent donc l'invoquer pour elles- mêmes.

• 0945

Je continue. C'est une prose admirable.

    Un tel droit autoriserait les nations autochtones à décider de leur avenir politique et constitutionnel aussi librement que les Québécois, soit qu'ils choisissent de créer des États souverains libres et indépendants, de s'associer ou de s'intégrer à un État indépendant, ou encore d'acquérir un autre statut politique choisi librement. En d'autres termes, en vertu de leur droit à l'auto- détermination, les nations autochtones du Québec pourraient décider d'accéder à la souveraineté, de continuer de faire partie intégrante du Canada, de demeurer au sein du Québec si celui-ci devenait souverain ou de demeurer au sein du Canada même si le Québec choisissait la souveraineté.

Merci, monsieur Turp.

M. Anthony Housefather (premier vice-président, Alliance Québec): Après le référendum de 1995, il y a eu un changement draconien d'attitude parmi les fédéralistes du Québec, en particulier au sein de la communauté anglophone. Notre confiance dans les politiciens élus a été ébranlée. On a formé des groupes sur l'unité, on a tenu des rassemblements et la lutte s'est déplacée sur la scène municipale, l'échelon administratif le plus proche des gens.

Des milliers de citoyens inquiets ont participé à des réunions de conseils locaux et ont supplié leur administration municipale de défendre leur droit de demeurer Canadiens. Ils insistaient pour que leurs dirigeants locaux défendent leurs droits constitutionnels qui, selon beaucoup, n'étaient pas protégés adéquatement par leurs représentants fédéraux et provinciaux. Je peux vous dire, en tant que conseiller de Hampstead, une banlieue de Montréal, que des milliers de gens de notre collectivité nous ont écrit pour nous demander de protéger leurs droits.

La réponse des conseils municipaux est à porter à leur crédit. Plus de 48 municipalités du Québec, représentant près d'un million de personnes, ont adopté des résolutions appuyant le droit de leurs citoyens de continuer à faire partie du Canada, abstraction faite des résultats de référendums futurs, et exigeant que le gouvernement du Canada prenne des mesures appropriées pour défendre les droits de ses citoyens. Il s'agissait notamment des villes de Mont-Royal, de Côte-St-Luc et de Hampstead, dans le comté de M. Cotler. Il y avait aussi les villes de Roxboro, Pierrefonds et Dollard, dans le comté de M. Patry.

Ces résolutions ont été suivies de résolutions d'appui adoptées par des centaines de villes à l'échelle du pays, et le processus a culminé dans le plus important rassemblement tenu au Québec lors de la campagne électorale de 1997, à l'aréna Raymond Bourque de Ville-Saint-Laurent.

M. William T. Butcher (président du conseil, Alliance Québec): Permettez-nous maintenant de parler au nom des anglophones que nous représentons.

Nous répéterons ce que nous avons dit la semaine dernière devant la commission de l'Assemblée nationale chargée d'étudier le projet de loi 99. Alliance Québec affirme solennellement, sans réserve et sans restriction, que nous faisons partie de la population du Québec, mais que nous ne faisons pas partie d'un «peuple québécois» mythique qui a le droit de faire sécession. Nous, comme les Cris, ne nous laisserons pas trimbaler d'une juridiction à l'autre. Nous avons un pays, le Canada, et nous ne laisserons personne nous priver de ce pays, si ce n'est dans le respect des règles du droit.

Toute tentative de faire sécession en se fondant sur le projet de loi 99, sans l'existence d'une modification habilitante à la Constitution du Canada, serait inconstitutionnelle, révolutionnaire et illégitime. Nous nous y opposerions par tous les moyens non violents possibles. Elle ne réussirait pas.

Qui plus est, s'il devait y avoir un jour négociation sur la sécession du Québec, les limites de l'ex-Québec en seraient l'un des enjeux, et nous ferions en sorte que les Canadiens du Québec, lesquels sont en majorité, ainsi que les nations autochtones, ne laissent pas leur part du Canada être exclue du drapeau et de la Constitution du Canada. Que personne, ni au Québec ni ailleurs au Canada, n'en doute le moindrement.

[Français]

M. William Johnson: Voilà, nous sommes prêts pour une autre question.

Le président: Merci, messieurs Johnson, Housefather et Butcher.

[Traduction]

Monsieur Hill.

M. Grant Hill (Macleod, Réf.): Merci, monsieur le président.

Merci pour votre témoignage, messieurs.

Vous avez manifesté votre appui au projet de loi sur la clarté. Vous avez aussi dénoncé publiquement, haut et fort, la question posée au dernier référendum.

J'ai essayé de comprendre comment la question aurait pu être posée pour être plus claire, s'il fallait la poser. À mon avis, cette question comportait deux éléments. D'abord, voulez-vous que le Québec fasse partie d'une nouvelle association, une souveraineté-association, un nouveau cadre économique? Je poserais cette question à part, demandant un oui ou un non. Ensuite, je poserais cette autre question: si cette proposition échoue—quelle qu'elle soit, et je suis convaincu que mes collègues du Bloc ne manquent pas d'idées à ce sujet—voulez-vous que le Québec devienne un pays souverain, oui ou non?

• 0950

Il y aurait donc deux propositions, mais on saurait très clairement si la souveraineté est une option favorisée par la majorité. Est-ce que ce genre d'approche à deux volets vous conviendrait?

M. William Johnson: Il serait nécessaire de les isoler.

En Suisse, qui a plus d'expérience référendaire que tous les autres pays du monde réunis, on ne peut pas poser une question double, parce qu'avec une question double, les électeurs peuvent voter pour une chose ou pour une autre, ou pour une, en présumant que l'autre soit possible, ce qui n'est pas nécessairement vrai. Il faut donc au moins les isoler.

Je dirais que la question que Jacques Parizeau avait dit vouloir poser pendant la campagne de 1995...

[Français]

êtes-vous en faveur d'un Québec indépendant à partir d'une telle date?—

[Traduction]

est claire.

Il pourrait y avoir une question supplémentaire. C'est possible.

Au sujet de la question que vous proposez, je peux l'examiner, je suis convaincu qu'il y aurait des tas de variantes, mais il ne doit pas y avoir d'intention de semer la confusion dans l'esprit des gens—il ne faut pas dépendre des sondages qui disent qu'en posant la question comme ceci, on sème la confusion et qu'on peut ainsi obtenir la réponse souhaitée.

Voilà pourquoi ce projet de loi est si important. Il doit y avoir une question claire et sincère. Ce n'était pas le cas en 1995, pas plus qu'en 1980.

M. Grant Hill: Hier, un politicien d'expérience est venu nous voir et nous a dit que ce projet de loi éliminait l'un des vrais bons outils que pourrait utiliser le premier ministre en cas de vote en faveur de la sécession: la confusion, l'ambiguïté et l'ingéniosité. En toute franchise, il y avait là certains aspects positifs, comme la tenue d'une consultation ou d'un référendum pancanadien.

Comme j'ai critiqué l'ancienne question parce qu'elle était confuse et ambiguë, je ne peux imaginer que quelqu'un espère que la confusion et l'ambiguïté puissent promouvoir la démocratie. Avez- vous un commentaire à ce sujet?

M. William Johnson: Oui. J'ai été journaliste pendant une trentaine d'années et j'ai observé M. Clark au travail. J'étais très conscient de ses efforts constants pour obtenir l'appui des nationalistes au Québec. Avant de devenir premier ministre et pendant qu'il l'était, il a choisi un séparatiste comme conseiller en affaires constitutionnelles et ensuite, M. Clark n'a jamais réussi à obtenir d'appui au Québec. Il défend l'indéfendable en essayant d'y donner un semblant de légitimité, mais je crois qu'il ne s'agit que d'un pari opportuniste qui ne lui donnera rien.

M. Anthony Housefather: La confusion et l'ambiguïté qui existent à l'heure actuelle expliquent pourquoi tant d'anglophones ont quitté le Québec au cours des 25 dernières années. J'ai bon espoir que le projet sur la clarté incitera la jeunesse anglophone à demeurer au Québec parce qu'elle saura maintenant qu'on ne peut pas la priver de son pays par la ruse.

M. Grant Hill: J'aimerais faire remarquer que je n'ai pas nommé l'homme politique qui a comparu devant le comité...

M. William Johnson: C'est moi qui l'ai fait.

M. Grant Hill: ...et je n'avais pas l'intention de le faire.

Pour ce qui est de la majorité, la barre a été placée à 50 p. 100 plus un lors des deux derniers référendums.

M. William Johnson: Non.

M. Grant Hill: Les avis sont partagés là-dessus. J'aurais peut-être dû m'exprimer autrement. Disons que le projet de loi ne précise pas où se situe la barre. À votre avis, devrait-il le faire?

M. William Johnson: Non, parce qu'un référendum n'a rien d'une baguette magique. Tout ne change pas parce qu'on obtient une majorité de 50 p. 100 plus un. Comme le gouvernement l'énonçait dans son Livre blanc de 1977 intitulé La consultation populaire au Québec que j'ai couvert comme journaliste, un référendum constitue un mécanisme consultatif. Par conséquent, il n'y a pas lieu de situer la barre qui correspond à la victoire ou de dire quel pourcentage de la population doit s'exprimer en faveur de l'une ou l'autre des options proposées. Le résultat d'un référendum a un caractère indicateur, pas plus.

Lors d'un référendum, on pourrait demander à la population si elle est en faveur de l'annexion du Labrador. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des gens pourraient dire oui. L'annexion se produirait- elle du simple fait que 99 p. 100 des gens la veulent? Non. Le référendum signifierait simplement que 99 p. 100 des Québécois veulent annexer le Labrador. Un référendum permet à la population d'exprimer ses souhaits, ses désirs et ses préférences. Il ne change rien à la réalité.

Pourquoi ne pas placer la barre à 50 p. 100 ou à un autre pourcentage? C'est parce que non seulement la question, mais la campagne est importante. En 1980, le gouvernement a posé une question très compliquée à la population et a fait campagne sur quelque chose d'autre, soit sur un nouvel accord. Lors de la dernière semaine de la campagne, le gouvernement a fait parvenir aux ménages une brochure où on leur disait de «Voter oui pour débloquer les négociations».

[Français]

pour débloquer les négociations.

[Traduction]

Le mot sécession n'a pas été mentionné pas plus que celui de la souveraineté-association.

En 1995, trois campagnes de publicité de masse ont été menées. La première était...

[Français]

«Oui au camp du changement»,

[Traduction]

«Oui au camp du changement», pas à la sécession, à l'indépendance ou à la souveraineté.

[Français]

Le deuxième était «Oui, on a le droit d'être différents»,

[Traduction]

«On a le droit d'être différents» non pas «Nous avons le droit d'être indépendants» ou «Nous avons le droit d'être souverains». Le troisième était...

[Français]

«Oui, et ça devient possible»,

[Traduction]

et on montrait la photo d'un homme au travail, d'une colombe en vol ou de la carte du Québec. On n'indiquait pas ce que c'était.

• 0955

La campagne n'a pas porté sur la sécession. Même si le camp du oui avait obtenu 99 p. 100 des suffrages, il n'aurait pas eu un mandat pour faire la sécession.

Le problème de la clarté ne se pose donc pas seulement au sujet de la question ou du pourcentage. Il se pose aussi au sujet de la campagne et au sujet de la compréhension qu'avaient les gens de la question qui leur a été posée.

M. Grant Hill: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Merci, monsieur le président.

J'imagine, monsieur Johnson, que votre témoignage est un peu votre chant du cygne. Vous vous joignez à nous aujourd'hui, en tant qu'ancien président.

M. William Johnson: Je le suis toujours, je suis toujours président.

M. Daniel Turp: On vous présentait comme l'ancien président.

M. William Johnson: Je suis président jusqu'à la fin mai, jusqu'aux prochaines élections.

M. Daniel Turp: D'une certaine façon, c'est un chant du cygne, j'imagine, et comme le Parti Égalité, Alliance Québec est invitée par nos amis réformistes qui semblent aussi être des partisans, comme vous, de la partition, qui pensent que la partition est une bonne idée.

M. William Johnson: Je suis contre la partition, surtout du Canada.

M. Daniel Turp: La partition, cela semble être une bonne idée lorsqu'il s'agit des anglophones du Québec et des autochtones du Québec. Mais pourriez-vous nous dire clairement, monsieur Johnson, si la partition serait une bonne idée pour les minorités francophones à l'extérieur du Québec et pour les autochtones à l'extérieur du Québec si leur province, le Manitoba, l'Ontario ou la Colombie-Britannique, voulait se séparer? Est-ce que vous tenez le même langage à l'égard des minorités francophones et des nations autochtones du Canada que celui que vous tenez à l'égard des nations autochtones et de la minorité anglophone du Québec?

M. William Johnson: Absolument, monsieur Turp. Je vais vous dire pourquoi. Je ne préconise pas ce que vous préconisez dans le texte que j'ai cité, c'est-à-dire que les autochtones avaient un droit de sécession. Ils ont un droit de rester au Canada, ils ont un droit de disposer d'eux-mêmes à l'intérieur du Canada.

Et vous savez que vos thèses ont été rejetées d'ailleurs par les cinq experts internationaux de grande réputation. Alors non, je suis contre la partition, surtout du Canada, je suis contre toutes les partitions, mais je dis que si le Canada était divisible, le Québec l'est autant.

M. Daniel Turp: Mais est-ce que vous me dites aussi, parce que la loi sur la clarification est une loi qui permettrait à une autre province de faire sécession, semble-t-il, cela s'applique à toutes les provinces?

M. William Johnson: Absolument.

M. Daniel Turp: Est-ce que vous me dites que les nations autochtones de l'Ontario et de la Colombie-Britannique et que la minorité franco-manitobaine, par exemple, auraient le droit de faire sécession du Manitoba?

M. William Johnson: Pas faire sécession du Manitoba, de rester au Canada. De rester au Canada. Ce n'est pas la sécession.

M. Daniel Turp: Mais est-ce que la minorité francophone du sud de l'Ontario et du nord de l'Ontario, est-ce qu'elle pourrait...

M. William Johnson: Rester au Canada.

M. Daniel Turp: ...se joindre au Québec si le Québec devient souverain. Est-ce que la minorité francophone de l'Ontario peut se joindre au Québec?

M. William Johnson: Une province n'a pas le droit de faire sécession.

M. Daniel Turp: Elle aurait le droit d'après la loi sur la clarté.

M. William Johnson: Non, non, non.

M. Daniel Turp: Ah oui.

M. William Johnson: Pas le droit. On reconnaîtrait qu'ils peuvent le faire. Ce n'est pas un droit. On négocierait, mais ce n'est pas un droit. Les minorités auraient le droit de rester au Canada si c'est compatible avec la géographie, etc. Oui, c'est le même principe. Elles ne feraient pas sécession. Au contraire, elles refuseraient de faire la sécession. Vous confondez les choses.

M. Daniel Turp: Mais répondez à ma question. Est-ce que la minorité francophone de l'Ontario, si le Québec était un pays, aurait le droit de choisir elle-même de rester ou de devenir partie du Québec?

M. William Johnson: Mais, elle aurait le droit.

M. Daniel Turp: Oui, oui, oui, oui.

M. William Johnson: Elle aurait le droit.

M. Daniel Turp: Oui, oui, oui, oui. C'est la même chose. Pas de doubles standards, monsieur Johnson. Dites-moi si la minorité francophone de l'Ontario aurait, comme vous le prétendez, le même droit que la communauté anglophone du Québec aurait de rester dans le Canada.

M. William Johnson: Exactement, précisément, oui.

M. Daniel Turp: Elle aurait le même droit?

M. William Johnson: Elle aurait le même droit de rester au Canada.

M. Daniel Turp: Non, non, non, non. Ce n'est pas ça que j'ai dit.

M. William Johnson: Si l'Ontario faisait sécession.

M. Daniel Turp: Non, non. Est-ce que la minorité francophone de l'Ontario aurait le droit de se joindre au Québec si le Québec devenait un pays?

M. William Johnson: Elle aurait le droit de rester au Canada. C'est son droit.

M. Daniel Turp: Vous ne voulez pas répondre à ma question.

M. William Johnson: Mais, monsieur Turp...

M. Daniel Turp: Vous ne voulez pas répondre à ma question. C'est du double standard, c'est vous qui êtes un double standard.

M. Anthony Housefather: Comme vous le comprenez, les frontières d'une province, comme vous le dites toujours, sont protégées quand cette province-là est à l'intérieur du Canada.

• 1000

Donc, si l'Ontario ne fait pas la sécession et reste à l'intérieur du Canada, ses frontières seront protégées et les francophones de l'Ontario ne voteront pour la sécession de l'Ontario. De toute façon, je suis certain que les francophones hors Québec n'ont aucun intérêt à faire partie d'un Québec indépendant.

M. Daniel Turp: C'est tellement intéressant de voir que les frontières de l'Ontario ont le droit d'être protégées, mais pas celles du Québec. Pas celles du Québec, hein, c'est cela votre thèse? C'est cela votre raisonnement?

M. Anthony Housefather: Tant que le Québec restera à l'intérieur du Canada, les frontières du Québec seront protégées. C'est clair dans la Constitution.

M. Daniel Turp: Les nations autochtones des autres provinces auraient-elles le droit de quitter leur province si telle était leur volonté?

M. Anthony Housefather: Ce n'est pas de quitter leur province...

M. Daniel Turp: Elles auraient le droit de quitter le Québec, mais pas les autres provinces, hein?

M. Anthony Housefather: Non, non, elles restent dans la province de Québec. Vous parlez de l'ex-Québec. Si un Québec fait sécession, alors dans ce cas-là ce sera réglé soit par des négociations à l'intérieur de la primauté du droit ou de façon révolutionnaire. J'ai dit que d'une façon comme de l'autre, les nations autochtones vont rester au Canada parce que c'est ce qu'elles veulent. Ce serait la même chose si le Manitoba faisait sécession ou si l'Ontario faisait sécession.

M. Daniel Turp: Mais si les nations autochtones voulaient se séparer de l'Ontario ou de la Colombie-Britannique, cela ne serait pas permis, hein? Seulement quand il s'agit du Québec.

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

Monsieur Blaikie, vous avez la parole.

À l'ordre, à l'ordre. M. Blaikie a la parole.

[Traduction]

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Monsieur le président, au risque de parler comme un ancien premier ministre qui a déjà comparu devant le comité, je pense que nous devrions changer de sujet.

Des voix: Oh, oh!

M. Bill Blaikie: Les vues de M. Clark sont peut-être plus sages que ce que le gouvernement est prêt à admettre.

Des voix: Oh, oh!

M. Bill Blaikie: J'aimerais poser une question à M. Johnson.

Compte tenu de ce qui nous a été soumis, nous pouvons pinailler au sujet des détails ou des principes de ce qu'on appelle parfois le plan B. Un certain nombre des témoins que nous avons entendus se sont dits soit favorables, soit défavorables à un plan B. Ce qu'il nous faudrait, c'est un plan A, un plan qui amènera à changer d'idée non pas ceux qui croient fermement à la souveraineté du Québec, mais ceux qui votent parfois en faveur d'un Québec souverain comme tactique de négociation, ou parce qu'ils sont incertains ou qu'ils pensent que le reste du Canada n'est pas aussi intéressé qu'il le devrait par l'idée de renouveler le fédéralisme canadien pour répondre à certaines des demandes du Québec.

J'aimerais donc savoir quel est le plan A que propose votre groupe.

M. William Johnson: Monsieur Blaikie, je préfère le plan C, C pour clarté. C'est le plan dont nous discutons maintenant.

La clarté est essentielle. Les gens ont le droit de connaître la loi. Les gens ont le droit de connaître le libellé de la loi. Ils ont aussi le droit de savoir comment le gouvernement fédéral s'acquitterait de ses responsabilités constitutionnelles en cas de sécession d'une province. Ils ne le savaient pas en 1995 ou en 1980. La prochaine fois, ils le sauront. C'est tout à fait essentiel.

Vous demandez quel est notre plan A? Je vais vous le dire tout de suite. Je vous renvoie à la série de neuf articles qui paraissent actuellement dans La Presse sous le plume d'Alain Dubuc. Nous en sommes maintenant à l'article 6. M. Dubuc dit que nous nous trouvons dans une impasse. Depuis 1960, le Québec a toujours dit non. Il n'a jamais pu dire oui. C'est le Québec qui se trouve dans cette impasse et qui doit en sortir. Il lui sera impossible de le faire jusqu'à ce qu'il décide s'il demeurera ou non au sein du Canada.

Voici comment se sont déroulées les négociations constitutionnelles depuis au moins 1964. Le Québec formule une nouvelle demande après l'autre. Lorsque le PQ accédera au pouvoir, il réclamera la sécession. Il ne convient pas de transformer ce pays qui fonctionne bien pour plaire aux dirigeants d'un parti qui un jour dit qu'il réclamera quelque chose de nouveau l'an prochain. C'est ce que Bourassa a fait dans le cas de l'Accord du lac Meech. Il a dit qu'il demanderait encore plus de pouvoir. Nous allons donc transformer toute la Constitution et quand il perdra le pouvoir aux mains du BQ, celui-ci demandera la sécession.

Le Québec doit se faire une idée. Il doit le faire en toute connaissance de cause. Jusqu'à ce qu'il le fasse, aucun changement constitutionnel de fond ne sera possible.

M. Bill Blaikie: Autrement dit, vous n'avez pas de plan A, n'est-ce pas?

M. William Johnson: J'ai répondu à votre question, monsieur.

M. Bill Blaikie: Oui, mais...

M. Anthony Housefather: Puis-je faire une observation? Jusqu'ici, le plan A a consisté à défendre le pays et à insister sur les bienfaits du multiculturalisme et du bilinguisme. Nous sommes fermement convaincus qu'il faut insister au Québec sur ce qui fait la grandeur du Canada tout entier. Cela fait partie du plan A et non du plan B.

• 1005

Je conviens avec M. Johnson qu'aucun changement constitutionnel radical ne sera possible tant que la question n'aura pas été réglée une fois pour toutes. L'étapisme est possible. On peut conclure des accords administratifs avec le Québec comme le gouvernement libéral l'a fait au grand plaisir de nombreux Québécois. On ne peut cependant pas s'attendre à ce qu'un accord comme celui du lac Meech ou de Charlottetown puisse fournir un cadre constitutionnel stable pour le pays jusqu'à ce que le Québec sache exactement ce qu'il veut.

M. Bill Blaikie: J'aimerais faire une dernière observation. On ne peut certainement pas dire que vous ayez un plan A au sens où l'entendent la plupart des gens. Je conteste aussi votre vision de l'histoire. Le Québec n'a pas été le seul à dire non—je ne suis pas trop sûr à quoi vous faites allusion—, car le reste du Canada a aussi dit non à plusieurs occasions et notamment à l'occasion de l'Accord du lac Meech.

M. William Johnson: Tout à fait.

M. Bill Blaikie: Dire que seul le Québec a dit non constitue une demi-vérité.

M. William Johnson: Monsieur Blaikie, le reste du Canada était prêt à accepter des changements constitutionnels pour plaire au Québec, mais il a vu que cela ne menait nulle part. Il ne s'agissait que de la dernière demande d'une série de demandes interminable et le reste du Canada a vu que même la population du Québec rejetait l'accord. Les Canadiens savaient lorsque ces accords ont été conclus et que la Constitution a été changée...

M. Bill Blaikie: Le reste du Canada n'a pas rejeté l'accord du lac Meech. Il a peut-être rejeté l'Accord de Charlottetown, mais pas...

M. William Johnson: Vous avez raison. Le reste du Canada n'a pas rejeté l'accord du lac Meech, mais il a rejeté l'Accord de Charlottetown.

M. Bill Blaikie: Dans ce cas, ne faites pas de généralisation.

M. William Johnson: Un instant. Seuls les libéraux se sont prononcés en faveur de l'accord du lac Meech à l'Assemblée nationale. Tous les autres partis et presque tous ceux qui ont comparu pour exprimer leurs points de vue—les syndicats, la Société Saint-Jean-Baptiste et les autres—l'ont rejeté jusqu'à ce qu'ils se rendent compte qu'il allait être rejeté par le reste du Canada. Tout d'un coup, ils ont dit: «Il faut sauver l'Accord. Nous serons insultés s'il est rejeté.»

Quant à ceux qui ont comparu en juin 1987, 85 p. 100 d'entre eux se sont prononcés contre l'accord du lac Meech. La Chambre de commerce et Alliance Québec se sont prononcées en faveur de celui- ci. Ils ne le feraient pas aujourd'hui.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Merci, monsieur le président.

L'opinion de la Cour suprême a peut-être créé un précédent. Pour une des premières fois, où une province, quelle qu'elle soit, décide de faire sécession. Premièrement, en plus d'indiquer un processus, la Cour suprême reconnaît un espace géopolitique. Elle parle d'une province et sans aller trop loin, elle reconnaît que le référendum va se dérouler à l'intérieur.

Elle parle effectivement, dans la liste des négociations, de frontières. Mais le seul endroit où elle parle directement de ce qu'on appelle ou ce que vous appelez, ou ce que d'autres, le Parti réformiste, appelez la partition du Québec. Ce n'est pas dans le sens de partition, c'est dans le sens des droits ancestraux reconnus des Premières Nations. Nulle part, directement ou indirectement, on ne reconnaît cela. Donc, c'est quelque chose de nouveau.

Qu'on soit pour ou contre la partition, on doit reconnaître maintenant que la cour reconnaît qu'un référendum est une sécession qui se déroule dans un territoire limité qui est juridiquement, politiquement et géographiquement reconnu. Donc, cela est une première étape.

Ceci étant dit, certains ne verront pas la chose de la même façon que nous la voyons et c'est correct aussi. On a entendu des choses intéressantes de la part de gens qui sont venus nous rencontrer et qui n'étaient aucunement invités par les partis d'opposition. Entre autres, le professeur Morissette—je ne veux pas généraliser à tous les témoins libéraux; il n'est pas un conservateur, ni un bloquiste— reconnaissait que le Québec n'est pas divisible au sens où les partitionnistes le reconnaissent, sauf sur la question autochtone en raison des ententes du passé, du présent et probablement du futur.

Ma question, cependant, c'est que si le Canada est divisible, il l'est. Si le Québec est divisible, la cour parle des droits des Premières Nations. Est-ce qu'une municipalité est divisible?

M. William Johnson: À votre question, je vais faire un préalable. Vous avez dit qu'on ne parle pas des minorités. On a pris comme quatre principes fondamentaux...

M. André Bachand: Non, non, ce que je vous dis, monsieur Johnson, excusez-moi de vous interrompre, je parle au niveau des droits des minorités. Effectivement, on en parle.

M. William Johnson: Mais là les quatre principes...

M. André Bachand: Lorsqu'on souligne la question territoriale, non, par exemple.

M. William Johnson: Pour considérer une sécession, la Cour suprême a dit qu'il y a quatre principes en cause qu'on doit suivre. Le quatrième principe, ce sont les droits des minorités. Donc, ne dites pas qu'on est exclus.

Deuxièmement, quand vous parlez d'une municipalité, vous parlez d'une création d'un gouvernement provincial. Alors, oui, le gouvernement provincial peut diviser la municipalité comme il l'entend. Évidemment, les gens ont des droits aussi, des droits politiques.

• 1010

Mais en réponse à votre question, non, je ne sais pas où ça mène, mais oui, une municipalité est divisible et elle peut l'être par le gouvernement provincial.

M. André Bachand: Par exemple, si 51 p. 100 de la municipalité XYZ décide, sur une question claire avec cette majorité-là, de rester à l'intérieur du Canada, selon votre argument de partition, est-ce que les autres 49 p. 100 pourraient faire un autre référendum? En fin de compte, c'est stupide ce que je dis effectivement.

M. William Johnson: Ah, on vient de trouver...

M. André Bachand: Finalement, j'allais partager la stupidité avec vous aussi un petit peu quand même. Je suis un gars généreux de nature. Mais où s'arrête cet élément de partition, sinon sur des bases légalement reconnues par la Cour suprême?

M. Anthony Housefather: Je crois, monsieur Bachand, que nous essayons de suivre les bases qui sont reconnues par la Cour suprême. La Cour suprême parle des frontières du Québec qui seraient en jeu s'il y avait une sécession. Ce sera sur la table des négociations. Il n'y a personne comme conseiller municipal même. Je ne dirais pas que si ma municipalité était dans une région isolée du Québec où toutes les autres municipalités autour avaient voté oui, je devrais avoir le droit de rester au Canada. Ça n'a pas de sens. Mais il y a plusieurs territoires au Québec. Si vous faisiez ça par comté fédéral, comté provincial, par municipalité, par région, où la majorité, non pas seulement 50 p. 100 plus, 99,3 p. 100 avait voté non au référendum... Les municipalités qui nous entouraient avaient voté à 90 p. 100 non, ces municipalités qui sont dans les régions fédéralistes, il faut regarder logiquement la carte du Québec et ce serait avec beaucoup de douleur parce que j'espérais que le Québec reste intégralement à l'intérieur du Canada.

M. André Bachand: C'est ce qu'on souhaite effectivement. Mais ce que je veux dire sur la question de partition, monsieur le président, vous l'appliquez après un référendum gagnant sur l'indépendance...

M. William Johnson: Selon certains critères.

M. André Bachand: Selon vos propres critères, qu'importent vos critères. D'autres pourraient dire à ce moment-là: «Est qu'on pourrait aussi appliquer la partition après un référendum gagnant pour vous, mais gagnant aussi pour certains comtés fédéraux?»

On sait que le même argument que M. Housefather utilisait, c'est qu'il y a une partie du Québec qui majoritairement serait prête à faire l'indépendance. Est-ce que vous reconnaissez ça automatiquement?

M. William Johnson: Monsieur Bachand, il y a deux façons de faire la sécession, dont par négociation et là un référendum tenu dans une municipalité ferait partie des déclarations politiques, des éléments et des données. L'autre façon serait par la révolution, en occupant le territoire. On vous dit qu'un gouvernement du Québec hors-la-loi n'occupera pas le territoire de l'Outaouais, de l'île de Montréal, ni des nations autochtones.

M. André Bachand: Mais répondez à ma question. Si une partie du territoire, comme M. Housefather l'a souligné très bien...

Le président: La réponse est terminée parce que votre temps est expiré.

Monsieur Cotler.

[Traduction]

M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): J'aimerais poser une question à M. Johnson.

La Cour suprême du Canada a dit que le gouvernement fédéral a l'obligation de négocier avec la province sécessionniste si la question portant sur la sécession est claire et si une majorité claire de la population appuie cette option.

M. William Johnson: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Irwin Cotler: Je n'ai pas terminé ma question.

Le projet de loi vise à faire en sorte de satisfaire de façon législative l'exigence de clarté énoncée par la Cour suprême. Voici donc ma question: pensez-vous que si une majorité claire s'exprime en faveur d'une question claire sur la sécession, le gouvernement fédéral ainsi que le reste du Canada auraient l'obligation morale et juridique d'engager des négociations sur la sécession?

M. William Johnson: Oui. Je ne conteste pas cette obligation morale ni même cette obligation juridique. C'est une simple question de respect. Si la majorité est claire, il faut négocier.

Comme le premier ministre Trudeau l'a dit en 1978, je crois, dans une entrevue à laquelle il participait le jour de l'An, si une grande majorité de Québécois se prononce en faveur de la sécession, quelqu'un devra négocier avec eux les conditions en vertu desquelles ils demeureront au sein du Canada. Des précédents existent. Il faudrait négocier pour voir si nous pourrions nous entendre sur les modalités de la sécession.

Je peux vous dire dès maintenant qu'il ne sera jamais possible de s'entendre là-dessus. Le projet de loi énonce que le territoire québécois est indivisible. On utilise toujours au Québec une carte—du moins on l'utilisait jusqu'à l'an dernier, montrant une ligne hachurée où se situe la frontière avec le Labrador. On continue de contester la frontière établie en 1927 par la Cour suprême de l'époque, c'est-à-dire par le Comité judiciaire du Conseil privé. Comment le Québec accepterait-il jamais de perdre les territoires appartenant aux Cris et aux Inuits, ce que le droit international exige qu'il fasse?

• 1015

Nous négocierions donc et nous essayerions de nous entendre, mais nous devrions nous rendre à l'évidence que nous ne pourrions pas nous entendre sur les modalités de la sécession du Québec puisque ces modalités seraient rejetées par la population du Québec qui refuserait de perdre une partie aussi importante de son territoire.

Le président: Monsieur Patry.

[Français]

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Monsieur Johnson, dans la même veine de ce que M. Cotler vient de vous poser, concernant cette obligation morale et légale d'entamer des négociations en vue de donner enfin une volonté d'une expression claire suite à une question très claire. Qui sont, d'après vous, les acteurs politiques? La Cour suprême du Canada nous parle des acteurs politiques, mais, d'après vous, qui sont ces acteurs politiques?

M. William Johnson: C'est évident que ce serait le gouvernement du Québec, les deux Chambres du gouvernement du Canada, toutes les provinces, les gouvernements provinciaux et ceux-ci, qui sont les acteurs désignés par la Constitution, pourraient s'agréger d'autres, par exemple des représentants des populations autochtones, des représentants des minorités anglophones du Québec, des représentants des minorités francophones du reste du pays. Mais d'abord et précisément, ils seraient les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral.

M. Bernard Patry: Merci, ça va.

[Traduction]

Le président: Madame Meredith.

Mme Val Meredith (South Surrey—White Rock—Langley, Réf.): Je vous remercie.

M. Cotler a posé la question que je voulais poser, mais la réponse que vous lui avez donnée m'amène à vous poser une autre question. S'il y avait une question claire et qu'une majorité claire de la population s'exprimait en faveur de la sécession, vous avez dit ne pas penser que des négociations seraient acceptables à la minorité anglophone et aux Autochtones.

Qu'adviendrait-il si, dans une entente négociée, le nouveau pays du Québec, ou quel que soit le nom qu'il voudrait se donner, était prêt à tenir compte de vos préoccupations et de celles des Autochtones? Pourquoi dites-vous d'office que ça ne pourrait jamais marcher, si vous ne lui donnez pas une chance? La Cour suprême n'a-t-elle pas dit qu'il faudrait que des négociations aient lieu de bonne foi et que les parties soient animées de bonnes intentions...

M. William Johnson: De bonne foi.

Mme Val Meredith: ...oui, de bonne foi?

M. William Johnson: C'est juste.

Mme Val Meredith: Vous ne semblez cependant pas faire preuve de beaucoup de bonne foi...

M. William Johnson: Je dis que nous négocierions. Il faudrait aussi négocier avec l'Alberta si elle tenait un référendum sur le renouvellement du Sénat. Ces négociations aboutiraient-elles? Je ne pense pas qu'on puisse m'accuser de mauvaise foi si je vous dis tout de suite que le Québec n'accepterait jamais les conditions qui lui seraient fixées et que ces négociations achopperaient.

Je suis favorable à l'idée de négocier de bonne foi. Oui, négocions de bonne foi. Je peux cependant vous dire dès maintenant qu'aucun gouvernement du Québec n'acceptera jamais de renoncer à une partie de son territoire, et c'est ce qu'il faudrait pour que les négociations se déroulent de bonne foi. Le gouvernement a déjà dit qu'il ne le ferait pas dans le projet de loi 99. Je n'invente rien.

Je vous ai donné en exemple le fait qu'on modifie encore la frontière fixée en 1927. La chose ne peut pas être portée devant un tribunal. On ne va pas non plus faire intervenir l'armée pour que ça change, mais le gouvernement continue de publier des cartes contestant cette frontière qui se trouve dans une région très éloignée.

Mme Val Meredith: Vous présumez toujours de l'issue des négociations. Vous présumez que le nouveau pays du Québec—et je ne voudrais pas donner l'impression que je suis en faveur de la séparation—ne pourrait pas en arriver à une entente avec les Autochtones comme le Canada l'a fait. Vous acceptez comme un fait accompli ce qui ne l'est pas.

M. William Johnson: Madame, je suis prêt à ne pas présumer de quoi que ce soit. Je ne suis cependant pas le seul à penser que ces négociations achopperaient. M. Jean-François Lisée et tous ceux qui disposent de sens commun et connaissent bien le Québec pensent de la même façon. Mais si j'ai offensé qui que ce soit en disant cela et si j'ai donné l'impression que j'étais de mauvaise foi, je retire ce que j'ai dit.

M. Anthony Housefather: Madame Meredith, puis-je poser une question? Le préambule à votre question me donne à penser que nous n'avons pas compris de la même façon ce qu'a dit M. Johnson. Je pense que ce qu'il voulait dire est qu'il ne serait jamais possible de s'entendre avec le gouvernement séparatiste du Québec qui aurait mené le référendum. Je ne pense pas qu'il croit qu'il ne serait pas possible de s'entendre avec les Autochtones ou la minorité anglophone du Québec.

Aussi horrible et pénible que cela puisse être, bon nombre d'entre nous accepteraient une entente juste et rationnelle qui nous permettrait de demeurer au sein du Canada. Je crois que ce que le témoin a fait remarquer est que compte tenu de la position concrète et ferme exprimée par le gouvernement du Québec dans le projet de loi 99, que vous connaissez j'en suis sûr, il serait très difficile d'en arriver à une entente. Cela ne signifie pas qu'il ne serait pas un jour possible de s'entendre avec un gouvernement du Québec plus raisonnable.

Mme Val Meredith: J'aimerais poser une question complémentaire. Dans vos observations, monsieur Johnson, vous avez fait allusion au reste du Canada. Peut-être ne devriez-vous pas présumer que le reste du Canada demeurerait tel que nous le connaissons s'il était amputé d'une de ses principales provinces.

• 1020

Si nous voulons anticiper l'avenir, peut-être devrions-nous faire preuve d'une grande ouverture d'esprit et n'écarter aucun scénario si le Québec devait se séparer... J'espère qu'il ne le fera jamais, mais s'il le faisait, les paramètres du pays seraient changeraient totalement.

M. William Johnson: Vous avez tout à fait raison. Il faut faire preuve d'ouverture d'esprit.

[Français]

Le président: Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond (Beauport—Montmorency—Côte-de-Beaupré—Île-d'Orléans, BQ): Merci, monsieur le président.

Monsieur Johnson, je crois que, tout à l'heure, vous nous avez donné une mauvaise nouvelle lorsque vous nous avez appris qu'en mai vous alliez quitter la vie publique, en tout cas la présidence d'Alliance Québec...

M. William Johnson: Oui, c'est ça.

M. Michel Guimond: ...parce que je pense que vous représentez un monument de démocratie.

M. William Johnson: Merci, monsieur.

M. Michel Guimond: Vous êtes la preuve vivante que les Québécois sont un peuple tolérant, démocrate...

M. William Johnson: Je vous retiens.

M. Michel Guimond: ...un peuple tolérant, démocrate, respectueux, avec tout le fiel que vous avez craché sur le Québec pendant de nombreuses années.

M. William Johnson: Quand? Citez quelque chose.

M. Michel Guimond: Ma question est la suivante. J'aimerais vous entendre sur le droit qu'ont les anglophones du Québec de demeurer au Canada. Je vais vous donner un exemple bien simple, l'exemple de la Gaspésie.

Entre Bonaventure et Chandler—vous connaissez très bien votre Québec, parce que c'est votre pays comme le mien—je vais prendre trois villages. Je vais prendre le village de Saint-Godefroi, suivi par le village de Shigawake—Hope Town, et par le village de Port-Daniel.

Shigawake—Hope Town est de majorité anglophone, vous vous en doutez bien. Si les Québécois anglophones de Shigawake—Hope Town décident, dans un référendum avec une question claire, avec une majorité claire, de rester au Canada, comment est-ce compatible... Parce que tout à l'heure vous avez parlé dit fallait que ce soit compatible avec la géographie. Qu'est-ce que vous allez dire aux Québécois anglophones de Hope Town qui veulent demeurer au Canada? Comment cela va-t-il se découper? Parce que vous avez posé une question. Tout à l'heure, M. Bachand vous a posé la question: «Est-ce qu'une municipalité est divisible?» On pourrait aller jusqu'à dire: «Est-ce qu'une rue est divisible?» On pourrait même pousser à l'extrême. Moi, dans ma rue, il y a 20 maisons. Si 12 citoyens des maisons décident de rester au Canada et huit décident de rester au Québec, est-ce que ça veut dire que ma rue va faire partie du territoire canadien, l'autre rue va être au Québec, l'autre rue au Canada? Comment ce droit va-t-il s'articuler? Comment ce droit va-t-il demeurer au Canada?

M. William Johnson: Monsieur Guimond, que ce soit à Rapide-Blanc, où j'ai déjà habité, ou à Parent, ou à Saint-Hippolyte, n'importe où, je dis la même chose, c'est qu'il y a deux façons de faire la sécession: un règlement global négocié suivi d'un amendement à la Constitution, ou bien la voie révolutionnaire que semble proposer, je pense, de plus en plus, du moins il me semble, le gouvernement du Québec, c'est-à-dire l'occupation. Je pense qu'ils le reconnaissent maintenant; ils n'ont pas un droit de sécession. L'occupation effective du territoire.

M. Michel Guimond: Répondez à mon exemple de Hope Town—Shigawake.

M. William Johnson: Bon. L'occupation du territoire dépendra évidemment, si c'est la première voie qu'on choisit, des négociations qui vont dessiner les frontières du nouveau Québec. Ce sera par accord et ce sera agréé des deux côtés.

Si c'est par révolution, bien, c'est évident qu'il y a bien des endroits où le gouvernement du Québec n'aura pas une occupation effective. Moi, je ne peux pas vous dire ce qui va se passer à Chandler ou ailleurs.

M. Michel Guimond: Donc il y aura l'apparition de principautés des enclaves, ni plus ni moins. Si je vous comprends bien, c'est çà.

M. William Johnson: Non, non, pas du tout. Pas du tout. Pas du tout. Ce n'est pas ce que j'ai dit. C'est pour çà que j'ai dit que si c'était géographiquement possible... Par exemple, le long des frontières, l'Outaouais, c'est très clair, l'Outaouais. L'île de Montréal, c'est très clair.

M. Michel Guimond: Êtes-vous pour ou contre la partition du Québec, monsieur Johnson?

M. William Johnson: Je suis contre la partition du Québec, je suis contre la partition du Canada, et c'est la partition du Canada qui pourrait mener, malheureusement, à la partition du Québec. Mais les partitionnistes, ce ne sont pas nous. Ce sont ceux qui abandonneraient le Canada. Ce ne sont pas nous les partitionnistes; nous voulons rester dans la province de Québec toujours, toujours, sans bouger. Mais ceux qui veulent se déplacer du Canada, ce sont eux les partitionnistes.

Le président: Monsieur Bachand, une très courte question.

M. André Bachand: Merci de votre grande ouverture, monsieur le président.

Une question, qu'on a déjà posée à quelques témoins. Après un oui clair, une majorité claire comme vous l'entendez, qu'importe, le rôle des élus fédéraux québécois ici à Ottawa et, si on garde le même portrait, le rôle du premier ministre, le rôle des députés québécois dans l'appréciation de la question claire, de la majorité claire, dans le vote en Chambre, comment voyez-vous çà?

• 1025

M. William Johnson: Je vois çà comme une question de bonne foi, de bonne foi devant tous les Canadiens, y compris les Québécois et de bonne foi devant le monde, devant la communauté internationale.

Alors ils auront un jugement à faire, ils auront des faits devant eux, et ils jugeront selon ces faits. Et à ce moment-là, la population et la communauté internationale pourront juger de la bonne foi.

M. André Bachand: Le problème québécois de négocier pour le...

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Housefather, monsieur Johnson et monsieur Butcher, nous apprécions beaucoup vos témoignages aujourd'hui.

[Traduction]

Nous vous remercions d'avoir bien voulu comparaître devant le comité avec si peu de préavis. Les questions qu'on vous a posées montrent bien que les membres du comité ont beaucoup aimé pouvoir s'entretenir avec vous.

M. William Johnson: Je vous remercie beaucoup. J'ai beaucoup aimé comparaître devant le comité.

• 1026




• 1028

[Français]

Le président: Le prochain témoin est l'honorable Joseph Facal, le ministre des Affaires intergouvernementales de la province de Québec.

Monsieur Facal, bienvenue au comité. C'est un plaisir de vous accueillir ici aujourd'hui. Nous apprécions beaucoup que vous ayez pris le temps de comparaître devant le comité aujourd'hui. Je suis certain que les membres auront beaucoup de questions.

Nos règlements sont que vous aurez dix minutes pour votre présentation, et après çà il y aura 35 minutes pour des questions par les députés. Vous avez la parole, monsieur.

L'hon. Joseph Facal (ministre des Affaires intergouvernementales, Gouvernement du Québec): Merci beaucoup, monsieur le président.

Le 30 octobre 1995, 2 308 360 Québécois votèrent oui à la question que vous connaissez. Aujourd'hui, le gouvernement fédéral veut vous octroyer, à vous les 301 élus du Parlement fédéral, le pouvoir de décréter que ces 2 308 360 personnes ne comprenaient pas cette question et qu'il faut donc les protéger contre elles-même.

Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font.

[Traduction]

«Père, pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font».

[Français]

C'est ce que le projet de loi C-20 dit aux Québécois.

[Traduction]

C'est ce que le projet de loi C-20 dit aux Québécois.

[Français]

Ainsi croit-on occulter le mal canadien, oubliant que plus de Québécois ont voté oui, qu'il y a de lecteurs en Saskatchewan, au Manitoba, à Terre-Neuve, en Nouvelle-Écosse et à l'Île-du-Prince-Édouard mis ensemble. Le projet de loi C-20 ne fera disparaître ni les souverainistes, ni l'idée que le Québec devienne un jour un pays. Ce serait trop simple. Mais si un gouvernement du Québec est ici aujourd'hui, c'est au même titre que tous les précédents gouvernements québécois, indépendamment de nos options constitutionnelles, comme gouvernement issu d'une Assemblée nationale qui est l'unique dépositaire du droit du peuple québécois de choisir seul son statut politique.

• 1030

Le projet de loi C-20 est inacceptable parce qu'il veut mettre sous tutelle le peuple québécois, parce qu'il met en cause des principes démocratiques fondamentaux, parce qu'il insulte l'intelligence des Québécois, parce qu'il instaure le règne de l'arbitraire et parce qu'il porte en lui, pour vous, les germes d'une amère désillusion.

Le Québec, comme entité politique, existait avant la création de la fédération canadienne et c'est parce qu'il a exercé son droit de choisir librement son statut politique que le Québec a, en 1867, contribué à créer le Canada. N'oubliez jamais cela.

En adhérant à cette fédération, le peuple québécois n'a ni renoncé à son droit de choisir un autre statut politique, ni voulu soumettre pour toujours son destin à un Parlement dont la majorité des membres provient de l'extérieur du Québec. Or, l'article 1 du projet de loi C-20, qui dicte indirectement la question référendaire, permet à une majorité de l'extérieur du Québec de décider qu'une question n'est pas suffisamment claire pour donner suite, malgré la volonté de l'Assemblée nationale d'une population qui, l'ayant jugée claire, y aurait répondu positivement.

Certains diront que l'Assemblée nationale du Québec demeure libre de poser la question qu'elle veut. Il le faut. Il le faut car le projet de loi C-20 rend irrecevable les questions de 1980 et de 1995 de même, par exemple, que la question de Bruxelles évoquée jadis par Robert Bourassa.

Avec l'article 2 du projet de loi, le Parlement fédéral s'arroge le pouvoir de décider que la majorité obtenue est insuffisante même si la population du Québec acceptait le résultat du vote et s'y ralliait.

Finalement, l'article 3 confère au parlement de n'importe quelle autre province, sous le couvert de la formule d'amendement contenue dans une Constitution canadienne sans légitimité parce qu'imposée au Québec et jamais entérinée depuis, un droit de veto absolu sur l'avenir du peuple québécois. Trois articles, trois mécanismes pour contrecarrer l'expression d'une volonté démocratique.

Le projet de loi C-20 remet aussi en cause la règle démocratique universelle du 50 p. 100 plus un. Or, tous les référendums tenus jusqu'ici au Canada l'ont été en vertu de celle-ci. Le Canada a aussi reconnu de nombreux pays formés à la suite de référendums tenus en vertu de cette règle, qui est également celle des Nations Unies lorsqu'elle supervise des référendums d'accession à la souveraineté. Exiger toute autre règle équivaut à donner plus de poids à un vote fédéraliste qu'à un vote souverainiste. C'est discriminer sur la base de l'opinion politique, c'est mettre en cause le principe de l'égalité des électeurs.

Le projet de loi C-20 postule que les Québécois doivent être protégés contre leur gouvernement, mais aussi contre eux-mêmes car ils seraient incapables de juger des enjeux posés par une question référendaire. Aussi vaut-il mieux tenir compte de l'avis d'un député du Manitoba ou de la Saskatchewan qui saura mieux que l'électeur québécois ce qui est clair et ce qui ne l'est pas. Il comprend, lui.

Mesdames et messieurs les députés du Parlement fédéral, est-ce que vous réalisez le ridicule dans lequel les auteurs du projet de loi C-20 vous font sombrer? Est-ce que vous réalisez que vous vous apprêtez à ériger en principe législatif la supposée supériorité de jugement des élus sur leurs électeurs?

Le projet de loi C-20 est aussi insultant parce qu'il déforme grossièrement l'avis de la Cour suprême. Nulle part dans son avis la Cour suprême ne vient conférer au Parlement fédéral un droit de regard sur le contenu de la question référendaire en l'autorisant à statuer sur sa clarté avant même que l'Assemblée nationale ne l'ait adoptée. Nulle part la Cour suprême ne donne au Parlement fédéral le droit d'imposer une question devant expressément exclure toute référence à une offre de partenariat. Nulle part la Cour suprême ne donne au Parlement fédéral l'autorité de fixer a posteriori et à son gré la majorité requise. Nulle part la Cour suprême ne donne au Parlement fédéral le droit de dicter unilatéralement le contenu des négociations postréférendaires.

Le gouvernement fédéral a joué avec le feu en s'adressant à la Cour suprême. Il s'est brûlé, récoltant la consécration du fait que le territoire canadien est divisible sur la base des territoires et des provinces. La reconnaissance du caractère légitime de l'option souverainiste, la création d'une obligation de négocier d'égal à égal et l'admission qu'en cas de mauvaise foi fédérale, la reconnaissance internationale d'un Québec souverain s'en trouverait facilitée.

• 1035

Aujourd'hui, le gouvernement fédéral vous demande à vous, députés, de racheter son erreur en récrivant l'avis.

Le parrain du projet de loi C-20 insiste aussi beaucoup sur le respect de la primauté du droit, mais la primauté du droit doit exclure le pouvoir arbitraire. Or, le projet de loi C-20 est un monument érigé à l'arbitraire. Il veut donner à la Chambre des communes le pouvoir de déclarer la question non claire sur la base de, et je cite, «tout avis qu'elle estime pertinent». L'avis de qui?

Il vous donnerait aussi le pouvoir d'évaluer la majorité requise à la lumière de, je cite, «tous autres facteurs ou circonstances» (que vous estimerez) pertinents». Lesquels?

Quelle est la nouvelle règle du jeu, si ce n'est plus 50 p. 100 plus un? Cinquante-cinq pour cent, 60 p. 100, 65 p. 100? Devant pareil arbitraire, comment un citoyen peut-il se gouverner? En fait, ce que lui dit le projet de loi C-20, c'est que son vote n'aura que l'importance que vous voudrez lui donner.

Le projet de loi C-20 crée l'illusion que le territoire du Québec serait divisible, que les votes pourraient être comptés sur une base ethnique, linguistique ou géographique. Tout cela est faux. Faux.

Le jour où les Québécois décideront de se donner un nouveau pays, C-20 ne pourra les en empêcher. Vous vous illusionnez si vous pensez le contraire. L'Union soviétique a tenté cela en 1991. En vain.

Le projet de loi C-20 est inacceptable pour le Québec, inacceptable aussi pour tous les partis représentés à l'Assemblée nationale.

Le gouvernement du Québec ne reconnaît aucune légitimité au Parlement fédéral pour s'ingérer de la sorte dans l'exercice du droit du peuple québécois de décider seul de son avenir.

L'Assemblée nationale adoptera la question qu'elle voudra. Le peuple québécois décidera seul de sa clarté. L'option victorieuse sera celle qui franchira la barre des 50 p. 100 plus une des voix exprimées. Qui a peur de la volonté démocratique des Québécois?

Je demeure convaincu qu'advenant un résultat positif, des voix s'élèveront dans le reste du Canada qui en appelleront au respect de la décision des Québécois et à une négociation conduite en toute bonne foi au nom de nos intérêts mutuels.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Facal.

Les questions. Monsieur Hill, vous commencerez.

[Traduction]

M. Grant Hill: Je vous remercie, monsieur le président.

Je remercie M. Facal d'être venu comparaître devant nous.

L'opposition officielle a invité toutes les provinces à comparaître devant le comité. En raison de contraintes temporelles notamment, vous êtes le seul à avoir accepté notre invitation. Je vous en remercie.

Vous avez affirmé qu'il n'y avait aucune confusion au sujet de la question qui a été posée lors du référendum précédent et que celle-ci ne prêtait pas à confusion et n'était pas ambiguë. J'ai demandé à un sondeur du Québec s'il pensait que ce genre de question serait une bonne question à utiliser lors d'un sondage. Il m'a répondu que non. Il m'a dit que c'était une question tendancieuse dans la mesure où il n'y avait pas une seule partie de la question à laquelle on pouvait répondre oui ou non.

Je lui demandé comment il faudrait formuler la question pour qu'elle ne soit pas tendancieuse. Il m'a dit qu'il faudrait qu'elle comporte deux parties. Cette question serait formulée de la façon suivante: «Voulez-vous, comme Québécois, une nouvelle association avec le Canada?» Je ne préciserai pas de quelle association il s'agirait. Il faudrait répondre oui ou non. La seconde question serait celle-ci: «S'il est impossible de conclure une nouvelle association, voulez-vous que le Québec cesse ou non d'appartenir à la fédération canadienne?» D'après ce sondeur, cette question ne serait pas tendancieuse.

Je me demande pourquoi on ne poserait pas une telle question aux Québécois.

Une voix: Bonne question.

M. Joseph Facal: Permettez-moi d'abord de vous remercier d'avoir si gentiment invité tous les gouvernements provinciaux, si je ne m'abuse, à comparaître devant le comité. Je me demande pourquoi nous avons été les seuls à accepter cette invitation. Je vous remercie beaucoup.

[Français]

Votre question, monsieur Hill, part de la prémisse que la question de 1995 était confuse, délibérément confuse. Je ne partage pas cette prémisse.

• 1040

Monsieur Hill, lors des élections québécoises, de 75 à 80 p. 100 des Québécois se rendent aux urnes. Lors du référendum de 1995, 93 p. 100 des Québécois ont participé. Ils comprenaient parfaitement l'enjeu en cause.

Durant les jours qui ont précédé le référendum de 1995, je me rappelle très bien avoir vu le premier ministre du Canada actuel, dans une allocution télévisée, regarder solennellement les Québécois dans le blanc des yeux et leur dire: «Pensez-y. Rester ou partir, c'est la décision que vous aurez à prendre. Votre choix est irréversible.» Il avait l'air d'avoir compris la question.

En fait, toute cette argumentation sur la clarté de la question vise à véhiculer cette idée fausse et insultante que seuls les tenants du Oui n'avaient pas compris la question.

Je vous rappelle aussi que, quelques jours avant le référendum, des milliers et des milliers de Canadiens sont venus au Québec en avion, en train, en voiture pour dire aux Québécois combien ils les aimaient et comme il ne fallait pas qu'ils partent, qu'ils devaient rester dans le Canada. Ils avaient l'air, eux aussi, d'avoir compris l'enjeu de la question.

Puis, si la question de 1995 était si confuse, pourquoi les fédéralistes répètent-ils constamment que le Québec a clairement choisi le Canada à cette occasion, et que les souverainistes ont donc tort de s'obstiner à vouloir tenir un autre référendum?

J'ajoute aussi que, dans l'avis de la Cour suprême, l'exigence de clarté est posée, mais vous ne trouvez pas, dans l'avis de la Cour suprême, une critique à l'endroit du libellé de la question de 1995, ni celle de 1980.

Je vous rappelle également que, tout à l'heure, vous faisiez référence à la possibilité d'une question à deux volets, où l'on distinguerait clairement la souveraineté d'une éventuelle association.

Savez-vous, monsieur Hill, qu'en 1991 deux pays des Balkans, la Croatie et la Macédoine, deux, en fait, ex-républiques de la fédération yougoslave, ont accédé au statut d'État souverain à la suite de référendums dont la question était à deux volets.

Dans le cas de la Croatie, par exemple, vous serez intéressé d'apprendre que la question se lisait comme suit:

    Voulez-vous que la Croatie, à titre de pays souverain et indépendant garantissant l'autonomie culturelle et tous les droits civiques aux Serbes et aux membres des autres nationalités de la Croatie, puisse avec d'autres républiques former une confédération d'États souverains?

Dans le cas de la Macédoine, la question était:

    Êtes-vous d'accord pour que la Macédoine devienne un État souverain et indépendant avec le droit d'adhérer à une union d'États souverains de Yougoslavie?

Bref, encore une fois, une question qui comportait le volet accession à la souveraineté et le volet adhésion subséquente à une confédération plus large.

Savez-vous, monsieur Hill, que le gouvernement du Canada a estimé parfaitement transparent ce processus, s'est empressé de reconnaître ces deux pays? Pourquoi ce qui serait bon pour les Balkans ne le serait pas pour le Québec?

M. Grant Hill: Dites-moi, si la question n'est pas suffisante pour un sondage, ce n'est pas suffisant pour la sécession. Qui a peur d'une question claire?

M. Joseph Facal: Excusez-moi, je n'ai pas bien compris votre deuxième question.

M. Grant Hill: Si la question n'est pas suffisante pour un sondage, ce n'est pas suffisant pour sondage, ce n'est pas suffisant pour une sécession, et qui a peur d'une question claire?

M. Joseph Facal: Monsieur Hill, quand, dans un sondage, on demande aux gens: «Êtes-vous en faveur d'une question claire?» Il va de soi que l'immense majorité des gens vont vouloir une question claire. Personne ne veut une question délibérément non claire ou obscure.

Je soutiens, moi, que les Québécois avaient parfaitement compris l'enjeu de 1995. C'est pour ça qu'ils se sont si massivement rendus voter.

Vous rendez-vous compte que la logique dans laquelle le parrain de C-20 essaie de vous amener est une logique qui donnerait à un député du Manitoba, de l'Alberta ou de la Saskatchewan des lumières qui lui permettraient de juger de la clarté, alors que les Québécois, eux, plongés dans ce débat depuis 30 ans, ne verraient pas clairement les enjeux.

• 1045

Je vous soumets respectueusement qu'à cet égard, le projet de loi C-20 est une profonde insulte à l'intelligence des Québécois qui comprennent parfaitement de quoi il est question: rester une province ou devenir un pays. D'autant plus que le camp du Oui avait été parfaitement clair sur le sens de la question. Nous avions toujours dit que c'était un référendum pour faire la souveraineté et pour offrir un partenariat; la nuance étant que la souveraineté se décide seule tandis que le partenariat, lui, est l'aboutissement d'une négociation pour laquelle il faut être au moins deux.

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président. Je voudrais d'abord remercier, au nom de mes 44 collègues du Bloc québécois, le ministre de sa présence devant ce comité J'ai deux questions à poser au ministre. J'aimerais qu'il nous explique à nous tous—et particulièrement au très courageux député Dennis Mills, qui, l'autre jour, nous disait que la règle du 50 p. 100 plus un suffirait pour engendrer... ou obliger le gouvernement du Canada à entamer des négociations— pourquoi la règle du 50 p. 100 plus un est une règle que favorise le Québec et que les Québécois ont été invités à respecter dans les derniers référendums. C'est le sens de ma première question, parce qu'il me semble que c'est quelque chose qu'il faut encore expliquer, surtout à la majorité libérale, parce qu'il semble que les partis d'opposition soient convaincus que c'est une règle universellement applicable.

Ma deuxième question porte sur l'intégrité territoriale. J'aimerais que vous expliquiez encore une fois, aux gens ici, la position du gouvernement du Québec sur l'intégrité territoriale à la lumière de l'avis de la Cour suprême, mais aussi de la pratique internationale en matière d'intégrité territoriale.

M. Joseph Facal: Vos deux questions, c'est le moins qu'on puisse dire, vont vraiment au coeur du débat. Prenons-les tour à tour.

D'abord, la question du 50 p. 100 plus un. Il faut bien comprendre qu'à partir du moment où l'on fixe hypothétiquement la barre à, disons, 66 p. 100, cela signifie qu'il faut deux votes souverainistes pour égaler un vote fédéraliste: deux tiers, un tiers. Cela suppose donc que tous les votes n'ont pas le même poids. Cela suppose que l'on remet en cause ce principe sacré qui est celui de l'égalité des électeurs. Cela suppose que l'on discrimine sur la base de l'opinion politique de celui qui s'est exprimé. Inconcevable pour un pays comme le Canada qui se targue de donner des leçons de démocratie au reste du monde.

Je vous rappelle également que la règle du 50 p. 100 plus un est celle qui s'est appliquée lors du référendum de 1980 et lors du référendum de 1995. Je ne pense pas que les tenants du camp du Non aient, à ce moment-là, remis cette règle en cause. Je vous soumets que si le dernier résultat référendaire n'avait pas été si serré, vous n'entendriez pas ces voix s'élevant maintenant pour plaider que l'on hausse la barre.

Je vous rappelle également que vous ne trouverez pas, dans l'histoire du Canada, un référendum s'étant tenu en vertu d'une règle autre que 50 p. 100 plus un. Cela n'empêche pas de reconnaître—et je suis d'accord qu'il faut, dans un camp comme dans l'autre, le résultat le plus fort possible—que ce qui est en cause ici, n'est pas ce qui est souhaitable. Ce qui est en cause ici, c'est la règle, et moi je vous dis qu'au Canada, tous les référendums ont été tenus en vertu de cette règle.

Je vous signale également que c'est la règle habituelle lors des référendums tenus ailleurs dans le monde. Les exemples ici sont nombreux: pour Porto Rico et les États-Unis, en 1998, la règle était 50 p. 100 plus un; pour le référendum en Nouvelle-Calédonie, 50 p. 100 plus un; pour celui des Bermudes, en 1995, 50 p. 100 plus un; pour celui tenu en Jamaïque, en 1961, 50 p. 100 plus un; pour celui, évidemment, de Maastricht, celui sur les accords de paix en Irlande du Nord et ainsi de suite, celui sur la monarchie en Australie, partout, partout, 50 p. 100 plus un.

• 1050

J'irais même plus loin. J'entends certains dire: «Ah oui, mais dans certains de ces cas-là, ce n'étaient pas des référendums sur la souveraineté». Parlons-en. Depuis 1991, les Nations Unies ont organisé trois référendums d'accession à la souveraineté. Celui qui s'est tenu en 1991 en Érythrée, qui voulait faire sécession de l'Éthiopie, la règle était de 50 p. 100 plus un. Celui qui s'est tenu l'an dernier au Timor-Oriental, la règle était de 50 p. 100 plus un. Celui qui se tiendra cette année au Sahara-Occidental, la règle sera de 50 p. 100 plus un. Mais non, mais non, le Canada, lui, se prétend maintenant au-dessus des règles des référendums supervisés par les Nations Unies.

Et puis en plus, ce qu'il faut bien voir, c'est que le projet de loi C-20 ne remplace pas la règle du 50 p. 100 plus un par une autre règle claire. Il la remplace par l'arbitraire le plus complet: un pouvoir discrétionnaire total donné à une Chambre qui, en tout respect, est composée à 75 p. 100 d'élus de l'extérieur du Québec.

Par exemple, dans le projet de loi C-20 on nous dit qu'on prendra en ligne de compte tout autre facteur pertinent. Lesquels? Je vous soumets que voilà le cas type d'une course dont on ne courrait pas au départ est la ligne d'arrivée. Inqualifiable! Manque de respect total. Mépris profond pour la démocratie.

Je me doute bien que certains vont évoquer des exemples de majorité qualifiée en disant que dans certains contextes, soit des votes parlementaires, soit des règlements syndicaux, soit des règlements de parti politique, soit des ventes de condos ou des clubs de golf, on a souvent recours à des majorités qualifiées. Ce n'est pas la même chose, ce n'est pas du tout la même chose. Premièrement, une compagnie n'est pas une démocratie.

Le référendum est un type de consultation qui a sa propre logique. Il s'agit, pour l'ensemble des citoyens égaux, de trancher une question précise qui leur est soumise. Pourquoi, par exemple, dans le cas des votes parlementaires, exige-t-on parfois une majorité qualifiée? Bien, parce que justement, la logique du parlementarisme est ainsi faite qu'avec seulement 38 p. 100 du vote, vous détenez 100 p. 100 du pouvoir. Donc, pour s'assurer que le vote du Parlement reflète bien la volonté populaire, on exige un seuil plus élevé, ce qui n'est évidemment pas requis lorsque l'ensemble des citoyens égaux sont consultés sur une même question.

Le président: Monsieur...

M. Joseph Facal: M. Turp m'avait aussi posé une question sur l'intégrité territoriale.

Le président: Oui, mais il y a cinq minutes d'allouées pour chacune des personnes qui posent des questions. M. Hill a huit minutes, M. Turp a déjà sept minutes. Avec les réponses aussi longues, le problème, ce sont les réponses.

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible].

Le président: Oui, peut-être qu'il vaut mieux continuer avec M. Blaikie. Nous aurons des problèmes si on continue avec des réponses aussi longues.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Je vous remercie, monsieur le président.

Monsieur Facal, vous vous êtes longuement étendu sur la question des 50 p. 100 plus un. Vous venez d'ailleurs de répondre à une question s'y rapportant. À titre de représentant du Nouveau Parti démocratique au sein de ce comité, j'ai proposé un amendement au projet de loi C-20 visant à faire en sorte qu'on considère 50 p. 100 plus un comme une majorité acceptable. J'ai cependant l'impression que même si le projet de loi C-20 était modifié en ce sens, vous n'y donneriez pas votre appui. Vous ai-je bien compris?

M. Joseph Facal: Vous m'avez très bien compris. Le projet de loi C-20 comporte tellement de lacunes qu'un amendement positif comme celui que vous proposez et qui témoigne de votre bonne foi ne suffirait pas à le rendre acceptable.

M. Bill Blaikie: Dans ce cas, ce n'est pas vraiment la règle des 50 p. 100 plus un qui est en cause. Certains de ceux qui appuient ce projet de loi pensent que le gouvernement du Canada a le droit d'intervenir dans le débat de cette façon, mais ils ont certaines réserves au sujet de la façon dont il s'y prend. La question de savoir si le gouvernement peut agir de la sorte est une autre affaire. Votre opposition au projet de loi porte donc sur le fond. Nous pourrions y apporter tous les changements mineurs que nous voudrions, cela ne changerait rien au fond. Vous continueriez de considérer qu'il s'agit d'une atteinte inacceptable à la compétence ou à la souveraineté du Québec.

M. Joseph Facal: Vous avez raison.

M. Bill Blaikie: Je pense que cela doit être clair.

• 1055

Même si je peux être d'accord avec vous sur la question de la règle des 50 p. 100 plus un, ce que j'ai trouvé désagréable, si vous voulez, c'est cette idée que vous avez que le reste du Canada... Vous avez demandé avec une certaine condescendance comment les habitants de la Saskatchewan et du Manitoba pourraient- ils savoir mieux que les Québécois ce que ceux-ci souhaitent? Là n'est pas la question. Par l'entremise de leurs représentants élus, ils participeront cependant aux négociations entre le Québec et le reste du Canada quelle que soit la forme qu'elles prendront.

À titre de députés représentant d'autres parties du Canada, tout ce que nous faisons, c'est assumer nos responsabilités lorsque nous acceptons le principe sur lequel repose le projet de loi même si je m'élève contre la procédure qu'on a suivie et même si je dénonce le fait qu'il ne fait pas mention, par exemple, des Autochtones. Le fait est que le reste du Canada et ses représentants sont tenus d'établir dans quelles conditions ils auraient l'obligation de négocier la sécession. Je ne parle pas d'autre chose, mais seulement de la sécession.

Dites-vous vraiment que le reste du Canada, qui constituerait une partie lors de négociations futures et éventuelles, ne devrait pas établir quelles seraient les conditions en vertu desquelles il serait prêt à participer aux négociations? Est-ce vraiment la position du Québec, c'est-à-dire que le reste du Canada ne constituerait pas une partie dans ces négociations?

[Français]

M. Joseph Facal: Monsieur Blaikie, je suis parfaitement prêt à reconnaître que la question de l'accession du Québec au statut d'État souverain est aussi un enjeu pour les Canadiens des autres provinces. Ce n'est pas cela qui est en cause. Lorsqu'il y aura un référendum au Québec, je suis convaincu que les gens du reste du Canada qui souhaitent le maintien du Québec dans la fédération feront campagne. Ils vont faire campagne pour le non. Ils vont dépenser de l'argent. Ils vont nous donner leur opinion sur la clarté de la question. Il y aura campagne et les gens qui s'opposent à notre thèse, parce qu'ils croient au Canada tel qu'il est, auront le droit de se faire entendre.

Ce qui est en cause ici, c'est de retirer à l'Assemblée nationale une prérogative sacrée, qui est le droit de déterminer les règles, et de lui imposer une tutelle entièrement confiée à un Parlement au sein duquel les Québécois sont minoritaires. Cependant, je vous reconnais parfaitement le droit de souhaiter le maintien du Québec dans la fédération, et de faire campagne. Je ne reconnais pas le droit au Parlement fédéral d'imposer un verrou législatif qui se veut une entrave au droit des Québécois de décider leur avenir librement et sans ingérence.

Je vous rappelle que le Québec existait avant la naissance du Canada, et c'est en exerçant son droit de choisir son avenir qu'il est entré dans le Canada. Pourquoi ne pourrait-il pas exercer ce même droit pour en sortir?

[Traduction]

M. Bill Blaikie: J'aimerais poser une dernière question supplémentaire, monsieur le président.

Le président: Je ne peux pas vous le permettre, monsieur Blaikie. Très bien, si elle est très courte. Tenez-vous-en à la question.

M. Bill Blaikie: Très bien.

Votre prédécesseur comme ministre des Affaires inter- gouvernementales, M. Rémillard, a présenté une position tout à fait différente. Je suppose qu'il connaît l'histoire du Québec aussi bien que n'importe qui d'autre. Que pensez-vous de la position qu'il a exprimée et qu'on vous a sans doute communiquée, à savoir que ce projet de loi est souhaitable parce qu'il confirme le droit à l'autodétermination du Québec ainsi que son droit à la sécession?

[Français]

M. Joseph Facal: J'ai énormément de difficulté à suivre les contorsions intellectuelles de M. Rémillard. Je vous en prie, monsieur Blaikie, lisons le projet de loi C-20. L'article 1 du projet de loi C-20 donne au Parlement fédéral un contrôle total sur la question référendaire; total.

L'article 2, les paragraphes (1) et (2) écartent une règle démocratique universelle en la remplaçant par l'arbitraire le plus complet. J'ai énormément de difficulté à voir d'où M. Rémillard vient, et où il s'en va. Au contraire, je dis que le projet de loi C-20 est un dispositif qui, de façon insidieuse, vise à rendre impossible l'accession du Québec au statut d'État souverain. Il vise également à multiplier les conditions qui rendraient le plus problématique possible une négociation au lendemain d'un Oui parce qu'évidemment, le gouvernement fédéral est maintenant terriblement embêté avec cette obligation de négocier et essaie de s'en sortir en multipliant les conditions, rendant la négociation problématique.

• 1100

Alors, je ne vois absolument pas en quoi M. Rémillard peut prétendre que le projet de loi C-20 élargit la capacité d'autonomie du Québec. C'est exactement le contraire. Et je dois vous dire que j'ai été beaucoup plus impressionné par les arguments développés par M. Ryan.

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Merci à l'avance, monsieur le président, pour les sept minutes que vous allez me consacrer. Je n'en demande pas huit, mais sept seulement.

Monsieur Facal, merci beaucoup et peut-être pour compléter sur M. Rémillard, il y a une rumeur. C'est une rumeur à l'effet que peut-être il aimerait ça être sénateur ici à Ottawa. Peut-être, je ne dis pas que c'est vrai. C'est une rumeur.

Monsieur Facal, effectivement, on avait demandé au gouvernement d'inviter les provinces officiellement et même au comité de se déplacer. Mais malheureusement, ça ne peut pas être fait. Je ne condamne pas, je constate que les provinces n'ont pas pu ou n'ont pas voulu être présentes. Je ne condamne pas mais je constate que les partis d'opposition dans les autres provinces et au Québec ne sont pas présents à ce comité.

Nous aurions malgré que nous sommes un parti fédéraliste, très difficile travail, je dois vous avouer. On aurait beaucoup aimé avoir un petit peu d'aide; au moins un support moral.

Ma question, monsieur Facal, sera bien simple. C'est une question. M. Turp l'avait soulevée, c'est la question de la divisibilité du territoire québécois. On n'a pas parlé du territoire canadien, mais la Cour suprême l'a reconnu explicitement. Alors, ça ne se pose plus comme question.

On a eu un témoin, je le soulignais ce matin à M. Johnson, que vous connaissez très bien et qui est sûrement un de vos proches: c'était le professeur Morissette qui reconnaissait que le Québec, pour lui, dans son ensemble, n'est pas divisible au sens partitionniste sauf pour la question autochtone des Premières Nations. C'est une question qu'on soulève beaucoup ici. Alors j'aimerais vous entendre là-dessus.

Ma deuxième question, je vous la pose tout de suite parce que je ne suis pas sûr d'avoir mon sept minutes. Ce qu'on souligne, nous, également, c'est que—et j'aimerais vous entendre là-dessus—c'est que les provinces, les Premières Nations, ont délaissé leurs prérogatives constitutionnelles légales reconnues, encore une fois dans l'opinion de la Cour suprême. Elles ont laissé leurs prérogatives d'acteurs politiques ou de partenaires de la Confédération au gouvernement fédéral et j'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Joseph Facal: D'abord sur la question autochtone, la question en fait qui est soulevée est la suivante: «Les autochtones du Québec, compte tenu des droits qui leur sont reconnus, pourraient-ils demeurer au sein du Canada?». Je conviens fort bien que les peuples autochtones ont certains droits reconnus par la communauté internationale et par le droit international.

Cependant, tous les textes juridiques de droit international, tous concordent sur le fait que l'exercice des droits des autochtones doit se faire à l'intérieur même des États souverains. Et que les droits reconnus aux autochtones ne remettent pas en cause l'intégrité des territoires des pays. Pas plus au Québec, qu'au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Amérique latine ou dans tous les autres États constitués qui ont des minorités autochtones.

Ce que nous avons, par contre, toujours dit, c'est que les peuples autochtones, advenant l'accession du Québec au statut d'État souverain recevraient la garantie explicite, formelle, solennelle que leurs droits existants seraient enchâssés dans la Constitution du Québec souverain et que ces droits ne pourraient être modifiés sans leur consentement.

Vous trouverez d'ailleurs cela en toutes lettres dans le projet de loi sur l'avenir du Québec que nous avions rendu public lors du référendum de 1995.

• 1105

La question, me dit-on souvent, se pose avec plus d'acuité pour les peuples autochtones habitant le Nord du Québec. Fort bien, allons voir. Ils ont signé la Convention de la Baie James. Son article 2.1 se lit ainsi:

    En considération des droits et des avantages accordés aux présentes aux Cris de la Baie James et aux Inuit du Québec, les Cris de la Baie James et les Inuit du Québec cèdent, renoncent, abandonnent et transportent par les présentes tous leurs revendications, droits, titres et intérêts autochtones, quels qu'ils soient aux terres et dans les terres du Territoire et du Québec, et le Québec, et le Canada acceptent cette cession.

Savez-vous, monsieur Bachand, que cette convention a aussi été approuvée par loi adoptée par le Parlement fédéral en 1977? Alors il y a ici de profonds problèmes de cohérence dans le jeu des partitionnistes. La semaine dernière, nous avons reçu, à Québec, en commission parlementaire, lorsque nous étudiions notre projet de loi 99, un témoignage fascinant. Celui de M. Ghislain Picard, le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec, qui lui, renvoyait dos à dos le Québec et le Canada en disant en substance ce qui suit. Pourquoi présumez-vous qu'en cas d'accession du Québec à la souveraineté, nous choisirions nécessairement le Canada plus que le Québec? Il faut, en effet, rappeler que c'est à l'intérieur du régime fédéral que leur aurait été imposé ce régime unique, que celui des réserves indiennes. Alors, vous comprenez qu'en matières autochtones, le Québec estime ne pas avoir de leçon à recevoir de qui que ce soit, et surtout pas du régime fédéral canadien. Je rappelle, enfin, que sur cette même question, sans doute que les députés de la majorité ministérielle seront heureux d'apprendre que le Conseil privé, en octobre 1995, avait fait préparer une étude, dont La Presse a obtenu copie, et cité des extraits. Étude qui affirmait que les autochtones n'auraient pas le droit de se séparer du Canada, ni le droit de se séparer du Québec, si celui-ci en venait à faire sécession du reste du Canada. Cette question est donc réglée, sans la moindre ambiguïté.

Maintenant, pour le deuxième question, à savoir si les gouvernements des provinces ont abdiqué leurs responsabilités en les confiant au gouvernement fédéral, vous comprenez que, si je répondais par l'affirmative, je porterais un jugement dur sur mes homologues des autres provinces. Je crois qu'il est préférable que je me contente de parler simplement au nom du gouvernement du Québec. Pour le reste, évidemment, au lendemain d'un Oui, le Québec s'attend à trouver, en face de lui, des gens prêts à négocier de bonne foi, et il serait extrêmement présomptueux pour nous de dire au reste du Canada comment il devra aménager son équipe de négociateurs.

Le président: Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler: Bonjour, et je veux vous souhaiter la bienvenue aussi à ce comité.

Nous avons entendu le témoignage des experts constitutionnels, incluant les professeurs Gil Rémillard et Yves-Marie Morissette, qui ont assisté, Michel Lebel et Peter Hogg. Parmi les experts les plus distingués en droit constitutionnel et droits de la personne, ils nous ont dit, et je cite:

    Le gouvernement fédéral a le droit de se prononcer sur la question et la majorité référendaires afin de déterminer si, oui ou non, il est dans l'obligation de négocier une sécession. Ce geste ne porte nullement atteinte à la compétence de l'Assemblée nationale.

M. Rémillard a ajouté, et je cite:

    Ce projet de loi fédéral, non seulement ne vient pas affecter la compétence du Québec, mais d'une certaine façon la confirme. Ce projet de loi vient aussi confirmer le droit du Québec de se séparer de la fédération canadienne.

Monsieur Facal, ma question est, est-ce que vous voudriez dire à l'égard du témoignage de ces experts, si je peux utiliser vos mots:

[Traduction]

«Père, pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font».

[Français]

M. André Bachand: Et on parlait de 50 p. 100 plus un. Je peux donner la réponse, par exemple. Tous deux, on parlait de 50 p. 100 plus un comme base.

M. Joseph Facal: Je vais vous laisser à vos chicanes à vous. Je vais répondre à M. Cotler. Monsieur Cotler, la prémisse de votre question est intéressante, mais après, en toute amitié, vous dérapez.

• 1110

La question n'est pas de savoir si le gouvernement fédéral a le droit ou non d'émettre une opinion sur la clarté. Bien entendu, il ne s'est jamais gêné dans le passé pour dire ce qu'il pensait de la question. Ce n'est pas cela qui est en cause ici. Ce qui est en cause ici, c'est de savoir s'il est légitime pour le projet de loi C-20 de donner au Parlement fédéral le droit de statuer unilatéralement sur la clarté de la question. C'est là que je ne vous suis plus. Ce qui est en cause ici, c'est de savoir s'il est légitime pour le projet de loi C-20 de donner au Parlement fédéral le droit d'imposer sa question. Ce qui est en cause est aussi de savoir s'il est légitime pour le projet de loi C-20 de remove the goalposts et de décider a posteriori si 53, 57, 52 ou 59, c'est suffisant. Ça, c'est inacceptable!

Il faut vraiment, et je le dis en tout respect, prendre les gens pour des imbéciles si l'on soutient que l'Assemblée nationale reste libre de poser la question qu'elle veut.

Monsieur Cotler, si le projet de loi C-20 avait été en vigueur dans le passé, la question de 1980 n'aurait pas été recevable. Si le projet de loi C-20 avait été en vigueur dans le passé, la question de 1995 n'aurait pas été recevable. Si le projet de loi C-20 avait été en vigueur dans le passé, la question de Bruxelles évoquée par M. Bourassa n'aurait pas été recevable. Vous me direz «où», «comment»? Fort bien, lisons.

Le paragraphe (3) de l'article 1 vous dicte carrément le libellé même de la question: «Voulez-vous que le Québec cesse de faire partie du Canada et devienne un État indépendant?» Question qui fait l'impasse sur une offre d'association ou de partenariat qui est au coeur du projet souverainiste depuis maintenant 30 ans.

Quand René Lévesque a quitté le Parti libéral du Québec et qu'il a fondé l'ancêtre du Parti québécois et le Mouvement souveraineté-association. Dès là il y avait une dimension associative partenariale au projet souverainiste. On ne peut pas prétendre que c'est une astuce de dernière minute. Ça fait 30 ans que les souverainistes disent cela et les Québécois l'ont parfaitement compris.

Le président: D'accord. Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Merci, monsieur le président.

Le président: Pardon, monsieur Drouin d'abord.

M. Claude Drouin (Beauce, Lib.): Merci, monsieur le président.

Merci, monsieur Facal, de votre présentation. J'aimerais revenir sur la question autochtone. Les témoins du Bloc québécois, comme la professeure Andrée Lajoie, Me André Tremblay de Pro-Démocratie, je crois que vous financez d'ailleurs avec une subvention de 300 000 $, et Marc Laviolette de la CSN sont venus nous dire ici que si le Canada est divisible, le Québec l'est aussi.

Mme Lajoie a dit que, dans le cas des nations autochtones qui habitent les territoires qu'elles habitaient au moment de la colonisation, oui, bien sûr, si le Canada est divisible, le Québec est divisible aussi.

De Pro-Démocratie, Me Tremblay disait que si le Québec peut s'autodéterminer comme peuple, les autochtones peuvent certainement revendiquer le même droit.

Les autochtones qui sont venus témoigner ici, notamment le Grand conseil des Cris, sont venus nous dire qu'ils allaient certainement exercer ce droit à l'autodétermination. Et d'ailleurs, à la question de M. Guimond du Bloc québécois, lui demandant de comparer le projet de loi C-20 au projet de loi 99, il nous a répondu que le projet de loi 99 devrait aller à la poubelle.

Monsieur Facal, vous dites que le peuple québécois a le droit de choisir de rester ou de quitter le Canada. Pourquoi votre gouvernement affirme-t-il que les peuples autochtones n'ont pas le droit de choisir de rester au Canada comme ils l'ont clairement exprimé à 96 p. 100 en 1995? On ne parle pas de 50 p. 100 plus un là, monsieur Facal: 96 p. 100. Est-ce que c'est parce que vous estimez qu'ils sont moins un peuple que les Québécois? Et si oui, pourquoi?

M. Joseph Facal: Vous commettez, je le dis en toute déférence, une erreur classique. Vous confondez le droit à l'autodétermination et le droit à la partition. Vous vous trompez. Le gouvernement du Québec a toujours reconnu aux autochtones leur autonomie et veut même élargir la sphère d'autonomie qu'il est prêt à leur reconnaître. Mais «autonomie» ne peut d'aucune façon équivaloir à «démembrement du territoire québécois». C'est un pur sophisme de soutenir que si le Canada est divisible, le territoire du Québec l'est aussi.

Il faut comprendre que l'État canadien est, sur le plan territorial, une fédération. Il est déjà divisé en provinces et en territoires. Il y a des conséquences qui découlent de ce choix d'organisation.

M. Claude Drouin: Cela, monsieur Facal...

M. Joseph Facal: Pour ce qui est maintenant du territoire québécois, savez-vous...

M. Claude Drouin: Tu es un bon fédéraliste, André, tu es un bon fédéraliste.

• 1115

M. Joseph Facal: Savez-vous, monsieur Drouin, ce que dit l'article 3 de la Loi constitutionnelle de 1871? Pour être sûr que les briefings du Conseil privé n'ont pas entièrement fait défaut, je vais vous le lire:

    Avec le consentement de toute province de la dite Puissance, le Parlement du Canada pourra de temps à autre augmenter, diminuer ou autrement modifier les limites de telle province, à tels termes et conditions qui pourront être acceptés par la dite législature...

Je vous épargne la suite.

Ce que cela signifie, c'est que tant que le Québec fait partie du Canada, son territoire ne peut être modifié sans le consentement de l'Assemblée nationale du Québec. La Constitution est formelle à cet égard et lorsque le Québec devient un pays souverain, à ce moment-là, nous nous retrouvons sous l'égide du droit international et la règle qui s'applique est celle de l'utis posidetis juris qui, grosso modo, se traduit par «Tu posséderas ce que tu possédais», qui signifie que le nouvel État garde les frontières qui étaient les siennes au moment où il a fait sécession de l'État prédécesseur. Je vous rappelle que c'est cette règle-là qui a été appliquée lors de tous les cas récents d'accession à la souveraineté et j'irais même plus loin. Savez-vous que c'est aussi la position canadienne...

M. Claude Drouin: Je voudrais juste rajouter...

M. Joseph Facal: C'est aussi la position canadienne. Savez-vous, par exemple, que quand...

M. Claude Drouin: Monsieur Facal, vous avez répondu...

M. Joseph Facal: Monsieur le président...

M. Claude Drouin: ...à ma question et vous avez devancé d'autres questions.

Le président: À l'ordre.

M. Claude Drouin: Si vous voulez me permettre, si vous dites que les peuples autochtones doivent régler leur droit à l'autodétermination à l'intérieur du pays existant, pourquoi ceci n'est-il pas aussi vrai pour le Québec? Pouvez-vous citer un instrument international qui donne un choix aux Québécois qui ne serait pas donné aux autochtones?

M. Joseph Facal: Monsieur Drouin, le gouvernement du Québec ne soutient pas que le droit à l'autodétermination confère le droit à la sécession. Le gouvernement du Québec a toujours dit que la souveraineté était une question politique et non juridique. Ce que nous avons toujours dit est que si la volonté démocratique de l'ensemble de la population habitant le territoire du Québec est claire, si le processus d'accession à la souveraineté est transparent et s'il y a reconnaissance internationale par d'autres pays, il y aura un nouveau pays et le droit en prendra acte. Le droit constitutionnel de même que le droit international n'interdisent ni n'encouragent les souverainetés, qui sont des questions de pur fait.

Le président: Monsieur Patry, une question courte, s'il vous plaît, et cela terminera les questions.

M. Bernard Patry: Elle va être très courte. Le commentaire va être peut-être un peu plus long.

Merci, monsieur Facal, de votre visite. Monsieur Facal, à une réponse de mon collègue, M. Hill, concernant la clarté de la question de 1995, qui, à son avis, n'était pas claire, vous lui avez répondu que vous ne partagiez pas son opinion et que la question de 1995 était, à votre avis, très claire. À ce moment-là, qui de mieux à citer que le premier ministre en poste à ce moment-là au Québec, en 1995: M. Parizeau. M. Parizeau écrivait dans une lettre ouverte au juge de la Cour suprême du Canada, publiée dans Le Devoir en date du 3 septembre 1998, et je le cite: «On a souvent dit que la question de 1995 n'était pas claire. C'est vrai.» de la citation. Donc, M. Parizeau nous dit que ce n'était pas clair.

Vous me permettrez aussi le commentaire suivant pour vous réfuter concernant le référendum de Puerto Rico et du Timor-Oriental. Au Puerto Rico, vous dites que la règle américaine est de 50 p. 100 plus un, mais dites-nous si vous savez que le Congrès américain a insisté, dans un projet de loi, que lors d'un prochain référendum, ça devrait être clairement indiqué qu'advenant un vote à 50 p. 100 plus un pour se joindre aux États-Unis, Puerto Rico entrerait dans une union permanente sans la possibilité de quitter. À ce moment-là, votre propre exemple démontre clairement qu'il est plus facile de s'associer que de se dissocier d'un pays.

Quant au Timor-Oriental, vous venez de nous dire que la règle de 50 p. 100 s'appliquait. Pour moi, c'était l'article 6 de la convention du Portugal et de l'Indonésie et la validité du référendum était laissée à l'appréciation du secrétaire général des Nations Unies. Ma question est très claire. Pourquoi les Québécois ne mériteraient-ils pas le respect? Vous avez parlé souvent de respect, le respect que constitue la clarté.

M. Joseph Facal: Quand vous citerez M. Parizeau, je vous prierais de le citer au complet. Ce que M. Parizeau a toujours soutenu et qu'il continue à soutenir est que la question n'était pas simple, mais qu'elle était claire. Elle n'était pas simple parce que le projet comportait un double volet, ce qui ne veut pas dire qu'elle était confuse.

• 1120

Vous avez mis en cause un certain nombre d'exemples internationaux que j'ai évoqués. Prenons par exemple le cas du Timor. Qu'est-ce que les Casques bleus canadiens font au Timor? Est-ce qu'ils sont là pour s'assurer qu'on respecte la volonté démocratique du peuple timorais, ou est-ce qu'ils sont là pour imposer le droit intérieur indonésien?

Vous voyez qu'avec votre approche juridique vous n'allez nulle part. Vous essayez de codifier en termes juridiques et législatifs ce qui, dans les faits, sera une question qui s'imposera d'évidence, si c'est ce que les Québécois ont souhaité, si le processus est transparent, et si d'autres pays acceptent de reconnaître dans le concert des nations qu'un nouveau pays vient de se joindre à eux.

Et puis, franchement, si vous voulez—en faisant le lien avec la problématique autochtone—parler de clarté de question, comparons.

Monsieur Patry, votre propre gouvernement, plus spécifiquement le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, non pas il y a dix ans mais il y a trois semaines, le 5 février de l'an 2000, organisait un référendum s'adressant à la bande des Montagnais du Lac-Saint-Jean. Je vais vous lire la question et vous allez me dire si c'est clair:

    Acceptez-vous et approuvez-vous l'entente de règlement, datée à des fins de référence le quatorzième jour de décembre 1999, intervenue entre la bande des Montagnais du Lac-Saint-Jean et Sa Majesté la reine du chef du Canada?

Et il y a un deuxième volet, parce qu'évidemment, quand c'est vous qui les organisez c'est permis les deuxièmes volets.

On demandait ensuite...

Une voix: Il y avait une entente.

M. Bernard Patry: Monsieur le ministre, il y avait une entente.

M. Joseph Facal:

    ...de sanctionner, conformément aux articles 38(1) et 39 de la Loi sur les Indiens, la cession, à titre absolu, à Sa Majesté la Reine du chef du Canada par la Bande des Montagnais du Lac-Saint-Jean, de tous ses droits et ceux de ses membres sur tous les lots des terres du réserve du rang IX du canton de Ouiatchouan?

C'était ça, la question. Est-ce que c'était clair?

Monsieur Patry, ça fait 30 ans que les Québécois débattent entre eux à savoir s'ils veulent rester une province ou devenir un pays. Vous ne pensez pas qu'au bout de 30 ans on a un peu fait le tour de la question et que notre peuple sait de quoi il est question? Pourquoi ne respectez-vous pas l'intelligence du peuple québécois, son sens démocratique, sa capacité à décider seul? Et pourquoi vous apprêtez-vous à vous faire le complice d'une manoeuvre qui vise à donner à des députés fort respectables de l'Île-du-Prince-Édouard ou de la Saskatchewan, spontanément, une capacité intellectuelle supérieure à celle du peuple québécois de déterminer ce qui est clair ou ce qui ne l'est pas?

En fait, ce que vous voulez imposer, c'est un verrou, un cadenas.

M. Bernard Patry: Monsieur Facal, c'est que vous en faites simplement un point de vue politique...

Des voix: Oh, oh!

Le président: À l'ordre. À l'ordre.

Non, le temps est bien expiré.

M. Michel Guimond: Rappel au Règlement, monsieur le président. Rappel au Règlement.

Le président: Un rappel au Règlement? Oui.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, je crois que mon collègue Patry en face avait de savantes questions à poser encore de son cru. Je demande le consentement unanime du comité. Je suis persuadé que tous les collègues de ce comité seront d'accord pour prolonger les débats du comité pour les 15 prochaines minutes.

Un rappel au Règlement, je demande le consentement unanime pour prolonger de 15 minutes pour que vous puissiez poser d'autres questions.

Le président: Est-ce qu'il y a le consentement unanime de prolonger cette session de 15 minutes?

M. Michel Guimond: Êtes-vous d'accord? Vous êtes d'accord? Agreed?

Des voix: Oh, oh!

M. Bernard Patry: ...M. Facal ici. Absolument. Voyons donc. Mais c'est au président de décider. On a d'autres témoins par la suite.

Le président: Est-ce qu'il y a un accord?

Des voix: Oui.

Des voix: Non.

Le président: Non, il n'y a pas de consentement unanime.

Une voix: Ah, c'est dommage.

Le président: Merci, monsieur Facal.

[Traduction]

M. Joseph Facal: Je commençais à peine à me réchauffer.

[Français]

Le président: Oui, je sais bien. Je sais bien. Et nous apprécions beaucoup votre comparution devant le comité ce matin. Merci. Vous avez bien aidé le comité avec vos réponses et votre venue.

M. Joseph Facal: Monsieur le président, je vous remercie infiniment pour l'accueil très aimable qui m'a été fait. Je remercie tous les parlementaires, et en particulier M. Hill, qui a eu la gentillesse de nous inviter. Merci.

Le président: Merci beaucoup.

• 1124




• 1129

Le président: Nous sommes prêts à commencer. Notre prochain témoin, c'est M. Michael Oliver. Monsieur Oliver, merci d'être venu ce matin. Vous êtes bienvenue devant le comité. Nous apprécions beaucoup que vous ayez pris le temps de venir à Ottawa, aujourd'hui. Comme vous avez peut-être déjà vu, les témoins auront 10 minutes pour leur présentation, et après, il y aura

[Traduction]

35 minutes pour les questions des députés. Vous avez la parole, monsieur. Vous avez dix minutes pour faire votre exposé.

M. Michael Oliver (témoignage à titre personnel): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

[Français]

Je suis devant vous comme Canadien et Québécois, et surtout comme individu. Je ne veux pas parler ni pour la minorité anglophone du Québec, ni pour aucune autre association particulière.

• 1130

Comme vous devez le savoir, j'ai un background académique en sciences politiques. J'étais le directeur de recherche pour la commission Laurendeau-Dunton, alors j'ai toujours suivi avec un certain intérêt les questions comme celles qui préoccupent votre comité ce matin.

[Traduction]

Je vais faire mon exposé en anglais. Je serai cependant heureux de répondre à vos questions en français.

Je sais que le comité a déjà entendu beaucoup de témoignages au sujet du projet de loi C-20 et je ne veux pas répéter ce qui a déjà été dit. Permettez-moi d'abord de dire quelques mots au sujet du caractère général du projet de loi.

Bon nombre de critiques qui sont formulées à l'endroit du projet de loi C-20 sont sans fondement. On lui a reproché de ne pas être démocratique parce qu'il propose des décisions qui toucheront les Québécois et qui seront prises par une institution qui compte une majorité de non-Québécois. Tant que le Canada existera, le Parlement du Canada sera cependant habilité à prendre pour l'ensemble du pays des décisions démocratiques dans ces domaines de compétence.

On peut comprendre que les indépendantistes soutiennent que seules des décisions prises au Québec soient démocratiques quand il s'agit de l'avenir du Québec. On comprend moins bien que des Canadiens qui acceptent le principe fédéral soutiennent la même chose. Je fais allusion à la pétition qui dénonce le projet de loi C-20 qui circule en ce moment parmi les gens et les groupes sociaux-démocrates avec lesquels j'ai normalement des affinités.

Certains soutiennent aussi que par le projet de loi C-20, la Chambre des communes s'arroge le droit de décider quelle sera la question qui sera posée aux Québécois lors d'un référendum futur sur la sécession. Cette allégation est fausse. L'Assemblée nationale du Québec peut poser la question qu'elle souhaite aux électeurs du Québec, mais elle ne peut obliger le reste du Canada à entamer des négociations avec elle à moins que la question posée ne soit claire et qu'elle donne lieu à une majorité claire.

Avec beaucoup de sagesse, la Cour suprême du Canada a rejeté la thèse voulant que le Québec ait le droit constitutionnel de déclarer unilatéralement l'indépendance et la thèse voulant que le Canada ait le droit de ne pas tenir compte du fait que la population se serait clairement exprimée en faveur de la sécession. La Cour a estimé qu'il appartiendrait aux processus politiques d'un État fédéral démocratique d'établir le contexte dans lequel auraient lieu les négociations portant sur la sécession. Ces négociations seront de toute évidence complexes et délicates. Le projet de loi C-20 propose d'établir certaines règles de base.

Je ne vois pas de raison suffisante de s'opposer à l'adoption du projet de loi, mais tant ce qu'il contient que ce qu'il ne contient pas me préoccupe.

Parlons d'abord de ce qu'il contient. Il prévoit qu'il convient de traiter le projet de sécession d'une des parties importantes du Canada—je dirais même l'une de ses parties essentielles—comme n'importe quelle autre modification constitutionnelle. Il reflète la décision de la Cour suprême sans pour autant refléter la façon subtile dont la Cour a abordé le problème.

Comme un témoin précédent, M. Jack Jedwab, l'a fait remarquer, le Québec et l'Ontario ont mis 30 ans après la Confédération à s'entendre sur la répartition de l'actif. Le projet de loi C-20 ne précise pas qu'il faudra procéder de façon urgente à des négociations si une majorité claire d'électeurs se prononçait en faveur de la sécession et ne prévoit pas non plus les procédures spéciales auxquelles il faudrait recourir pour permettre des négociations rapides.

Le projet de loi sur la clarté donne également l'impression que le gouvernement fédéral gérera le processus de négociation. Si je ne m'abuse, la Cour suprême enjoint toutes les parties de négocier en respectant pleinement les principes constitutionnels fondamentaux sur lesquels repose l'État canadien. Or, le ton du projet de loi C-20 est péremptoire. Le projet de loi dit voici ce qu'il faut faire et voici ce qu'il ne faut pas faire.

Il est difficile d'indiquer tous les éléments du projet de loi qui donnent cette impression, mais je vous renvoie aux questions posées par M. Lorne Nystrom en vue d'établir quels seraient les facteurs que la Chambre des communes prendrait en compte pour établir si la majorité est claire. Il a fait remarquer qu'il existe des liens entre le pourcentage obtenu et le taux de participation des électeurs qui rendraient difficile de déterminer la clarté. Il a fait remarquer qu'une Chambre des communes moins rigoureuse pourrait estimer qu'une majorité n'est pas claire pour des raisons qui pourraient sembler peu valables à un observateur impartial.

• 1135

Cela m'amène à vous parler de ce que le projet de loi ne contient pas. Il ne mentionne pas la possibilité d'une impasse et il ne précise pas non plus comment en sortir, le cas échéant. Compte tenu de la complexité des questions en jeu et du grand nombre d'intérêts à prendre en compte—ceux du Québec, ceux des neuf autres provinces, ceux des territoires, ceux du gouvernement fédéral, ceux des peuples autochtones, ceux des divers représentants de la société civile—, le risque d'aboutir à une impasse sera réel.

Si les négociations menées dans le cadre de l'accord du lac Meech et de l'Accord de Charlottetown nous ont paru compliquées, songeons à la dissension à laquelle pourraient donner lieu des négociations sur la sécession. Aucun gouvernement canadien n'est susceptible de pouvoir négocier une entente reposant sur le principe du fédéralisme exécutif comme celle à laquelle sont parvenus les Tchèques et les Slovaques.

Nous ne pouvons pas compter sur l'aide d'une institution canadienne pour sortir de l'impasse. La Cour suprême a dit avec sagesse que même si la sécession soulevait des questions juridiques, elle n'interviendrait sans doute pas. Elle a statué que les négociations relèveraient des instances politiques. Je pense qu'on peut aller jusqu'à dire qu'une décision rendue par un tribunal canadien sur tout aspect de la sécession serait perçue comme manquant d'impartialité par la population du Québec si celle-ci s'était clairement exprimée majoritairement en faveur de la sécession.

Le projet de loi ne reconnaît pas le fait que la façon dont nous percevons les institutions et les procédures canadiennes changerait si une majorité claire d'électeurs québécois se prononçait en faveur de la sécession, nonobstant ce que peut dire à ce sujet le droit constitutionnel. S'il est vrai, comme le soutient la Cour suprême, que la séparation ne surviendra pas inévitablement parce qu'une majorité claire d'électeurs se serait prononcée en faveur de la sécession, il n'en demeure pas moins que cet événement ferait époque et marquerait notre entrée dans ce qu'un chercheur juridique britannique a appelé «le domaine métaconstitutionnel».

J'ai l'impression que la Cour suprême avait une assez bonne idée de la transformation qui résulterait d'un vote en faveur de la sécession parce qu'elle a exprimé l'avis que les négociations devront être purement politiques et que l'échec de ces négociations aurait sans doute des répercussions à l'échelle internationale. Toute partie aux négociations qui ferait preuve de véritable intransigeance et manquerait de bonne foi perdrait sa crédibilité à l'échelle internationale. Cette situation entraînerait d'importantes conséquences puisque l'échec des négociations n'aboutirait sans doute pas au rétablissement du statu quo.

Cet échec serait susceptible de pousser le Québec à déclarer unilatéralement son indépendance s'il pouvait convaincre le monde que le reste du Canada négociait de mauvaise foi. Même si cette mesure a été déclarée illégale par la Cour suprême, le Québec pourrait parvenir à ses fins si suffisamment d'États et les Nations Unies lui reconnaissaient le statut de pays. Les organismes étrangers ne feraient pas fi de l'opinion de la Cour suprême, mais feraient remarquer que la Cour avait enjoint les parties à négocier. Si le Canada donnait l'impression de vouloir faire achopper les négociations, beaucoup de pays seraient tentés de reconnaître au Québec le statut de pays. Si le Québec donnait la même impression, il réduirait ses chances d'obtenir l'appui de la communauté internationale.

Toutes les parties aux négociations sur la sécession auraient donc intérêt à ce que ces négociations n'aboutissent pas à une impasse parce qu'on pourrait les accuser si c'était le cas d'avoir négocié de mauvaise foi. Les négociations risqueraient tôt ou tard d'aboutir à une impasse et il faudrait trouver une façon urgente d'en sortir. Un médiateur ou un arbitre de l'extérieur pourrait peut-être permettre aux négociations de reprendre rapidement ou permettrait à tout le moins aux milieux internationaux de comprendre qui faisait preuve d'intransigeance.

Il importera que les milieux internationaux soient convaincus de la bonne foi des parties aux négociations et je pense que le projet de loi C-20 devraient en faire mention. Il serait à tout le moins bon que le projet de loi précise que si une majorité claire d'électeurs se prononçait en faveur d'une question claire, les négociations seraient beaucoup plus complexes que celles qui ont lieu lors de modifications constitutionnelles courantes et que le Canada serait prêt à demander l'aide des Nations Unies si les négociations aboutissaient à une impasse.

• 1140

Si le projet de loi C-20 évoquait la Déclaration universelle des droits de l'homme lorsqu'il parle de la protection des droits des minorités dans un Québec distinct, cela diminuerait la perception au Québec selon laquelle Ottawa compte insister pour que le Québec continue de faire comme il lui dira de le faire.

Soit dit en passant, si je prenais la parole devant une commission de l'Assemblée nationale du Québec sur cette question, je presserais l'Assemblée d'inviter des observateurs internationaux à surveiller la façon dont se déroulerait la sécession.

Ceux d'entre nous qui sont convaincus qu'il est crucial que le Québec demeure au sein du Canada préféreraient que la question de la sécession du Québec disparaisse d'elle-même. Les raisons qui militent cependant en faveur du fait que nous nous préparions calmement et sans confusion à des négociations portant sur la sécession sont fortes.

L'intention visée par le projet de loi C-20 est raisonnable. On aurait pu cependant espérer un meilleur produit.

Permettez-moi de terminer en faisant deux brèves observations.

Premièrement, j'aurais préféré que la Chambre des communes débatte d'un projet de loi qui reconnaisse le statut du Québec et qu'il lui accorde une plus grande autonomie comme le Québec le réclame au lieu de débattre d'un projet de loi portant sur la sécession. Je reconnais cependant l'utilité du projet de loi C-20.

Deuxièmement, si j'avais eu à me prononcer sur le projet de loi grandiloquent dont débat actuellement l'Assemblée nationale du Québec, un projet de loi qui fait semblant que le fédéralisme canadien n'existe pas, mes observations auraient été encore plus acerbes.

Je vous remercie beaucoup.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Oliver.

Y a-t-il des questions? Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Je vous remercie, monsieur le président.

Je vous remercie, monsieur Oliver, d'être venu témoigner.

Pensez-vous que ce projet de loi reflète tant l'intention que l'esprit du renvoi de la Cour suprême?

M. Michael Oliver: Dans l'ensemble, oui. Je pense avoir dit dans ma déclaration liminaire que la Cour suprême avait tenu un peu mieux compte de la complexité des questions en jeu que ne le fait le projet de loi C-20 qui fixe les règles de jeu préliminaires comme s'il s'agissait d'une modification constitutionnelle courante. Ce n'en est pas une.

Si par chance 50 p. 100 plus un des électeurs—je suis sûr que ce serait suffisant—se prononçaient en faveur de la sécession du Québec et si le taux de participation au scrutin était bon, je pense qu'il faudrait recourir à un processus bien différent de celui auquel on a recours pour une modification constitutionnelle courante.

J'ai cependant dit qu'il est bon que le projet de loi vise à supprimer toute confusion et malentendu. Je crois cependant qu'un meilleur projet de loi l'aurait mieux fait.

M. Grant Hill: Dois-je comprendre que vous considéreriez une majorité de 50 p. 100 plus un suffisante?

M. Michael Oliver: Oui.

Je n'aime pas beaucoup l'idée de changer les règles du jeu en cours de route. Il était bien évident au cours des deux derniers référendums qu'une majorité de 50 p. 100 plus un serait suffisante. Terre-Neuve est entrée dans la Confédération avec une majorité semblable. Toutes sortes de raisons militent en faveur du maintien de cette règle, y compris le fait que la communauté internationale n'aimerait pas beaucoup l'idée qu'on change les règles en cours de chemin.

Je pense que nous devrions nous en tenir à une majorité de 50 p. 100 plus un. C'est sans doute bon que le projet de loi ne précise pas la majorité nécessaire. Si l'on avait insisté pour que la majorité soit plus importante, je pense que cela aurait été une grave erreur. J'aurais préféré que le projet de loi précise qu'une majorité de 50 p. 100 plus un serait suffisante.

M. Grant Hill: Merci beaucoup.

[Français]

Le président: Oui, monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: Merci, monsieur le président.

Monsieur Oliver, on aurait aimé vous entendre beaucoup plus longtemps. Je vous remercie de votre témoignage. Malheureusement, le comité devra cesser ses travaux parce que le gouvernement vient de déposer une motion pour nous imposer le bâillon, de sorte que dans dix heures tout au plus, les travaux devront cesser pour ce comité. C'est vraiment inacceptable et je suis persuadé que vous qui avez fait partie, comme vous l'avez mentionné, du personnel de recherche de la commission Laurendeau-Dunton, qui avait été fondée, si ma mémoire est bonne, le 14 novembre 1962, je suis persuadé que ça doit énormément vous chagriner vous aussi qu'on n'ait pas le temps de faire une étude plus approfondie d'un projet de loi si important.

• 1145

Monsieur Oliver, je vais vous lire une citation du premier ministre Jean Lesage, qui a été prononcée devant le Canadian Club de Calgary le 22 septembre 1965. M. Lesage disait:

    Souvent, j'ai dit ce que le Québec, comme point d'appui du groupement canadien d'expression française, désire. Nous voulons l'égalité des deux groupes ethniques qui ont fondé ce pays, nous voulons nous affirmer de la façon qui convient à notre culture et à nos aspirations, nous voulons dans le Canada de l'avenir un statut [pour le Québec, bien entendu] qui respecte nos caractères particuliers.

À ce moment-là, en 1965, ces termes avaient été utilisés.

Selon vous, monsieur Oliver, démocrate comme vous êtes, êtes-vous d'avis que le projet de loi C-20 reconnaît la souveraineté de l'Assemblée nationale du Québec? Est-ce que les Québécois et les Québécoises, via nos élus, via un parti au pouvoir, via un parti d'opposition, un tiers parti, un seul député qui a obtenu passablement, au nom de son parti, passablement de votes, est-ce que vous acceptez que l'Assemblée nationale du Québec soit assujettie à la Chambre des communes du Canada par le projet de loi C-20?

M. Michael Oliver: Non. Je crois que vous allez trop loin dans votre critique du projet de loi. J'ai dit moi-même que je sentais un certain désir de faire les règles du jeu à Ottawa, disons de gérer les négociations et je regrette beaucoup cela. Mais je ne vois rien dans le texte qui soit une ingérence dans, disons la juridiction, un partage souveraineté partagée, comme cela existe dans chaque État fédéral. Je ne vois pas une ingérence dans la juridiction du Québec. Alors, je crois que ce n'est pas la faute... Il y a beaucoup de fautes dans le projet de loi, mais ce n'est pas la faute que moi je reconnaîtrais.

M. Michel Guimond: Lorsqu'à l'article 1, on dit que lors du déclenchement d'une campagne référendaire, le libellé de la question sera envoyé à la Chambre des communes, aux 301 députés, pour appréciation, pour évaluation, vous ne trouvez pas que c'est de l'ingérence, vous? Vous trouvez...

M. Michael Oliver: Je crois que le Canada, comme la Cour suprême l'a dit, se doit de demander une question claire approuvée par une majorité claire. Je crois que le Québec ne peut pas poser n'importe quelle question et, avec une réponse majoritaire dire, qu'alors, vous avez le devoir de négocier la fin d'un pays, un pays important, un pays qui fait beaucoup partie de l'esprit d'un grand nombre de personnes. Je crois qu'il est juste et tout à fait acceptable pour les gens qui doivent entrer dans les négociations des deux côtés, d'être d'accord sur la clarté et aussi sur la volonté claire qui est en arrière de the negotiation process.

M. Michel Guimond: Alors, vous avez dit donc, je vous ai bien compris, vous avez dit que l'Assemblée nationale du Québec ne peut pas poser n'importe quelle question.

M. Michael Oliver: Elle peut poser n'importe quelle question et le résultat aura une validité au Québec, mais le Québec ne peut pas lier des entités en dehors du Québec de réagir comme le Québec le veut à cause de ces questions. Ces questions doivent aussi, à mon avis, remplir les besoins, remplir le sens alors d'une....

[Traduction]

Il faut aussi que ce soit une base de négociations qui se défende pour l'autre partie.

• 1150

Je suis fermement convaincu que le Québec a le droit de tenir un référendum sur la question de son choix, mais cela n'oblige pas les institutions de l'extérieur du Québec à s'en tenir à certaines procédures. Les parties devront s'entendre sur ces procédures et la Cour suprême a dit que les parties n'auront l'obligation de le faire que si la question est claire. Cela signifie que la population doit avoir l'impression que la question est claire et que la majorité est claire.

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Merci, monsieur le président.

J'aimerais dire à M. Oliver que je regrette qu'en raison de ce qui se passe actuellement à la Chambre, nous n'ayons pas été aussi nombreux que nous aurions pu l'être pour entendre son témoignage. Cet imbroglio est lié à ce qui se passe dans ce comité.

Malheureusement, nous n'aurons pas l'occasion de vraiment étudier les recommandations et les suggestions qui nous ont été faites par des gens comme vous quant à la façon dont le projet de loi pourrait être amélioré. Malheureusement, nous ne pourrons même pas tenir compte des nombreuses suggestions qui nous ont été faites par ceux qui appuient le projet de loi mais qui pensent qu'on pourrait cependant l'améliorer à plusieurs égards, parce qu'on nous accule au pied du mur. Il semblerait que le gouvernement ne soit pas prêt à accepter aucun amendement quel qu'il soit. C'est très triste.

J'aimerais revenir à sur deux ou trois observations que vous avez faites. En semblant vouloir considérer comme une modification constitutionnelle courante une modification qui découlerait de la sécession d'une province si la question est claire et la majorité est claire... Je vous entendais parler de la communauté internationale. Vous êtes l'un des premiers témoins à vraiment nous dire quel rôle la communauté internationale jouerait dans tout le processus.

Je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais j'ai cru comprendre que vous pensez que des négociations qui partiraient du principe qu'il s'agit d'une modification constitutionnelle courante seraient vouées à l'échec ou du moins seraient très difficiles. Compte tenu du fait que nous savons qu'il est très difficile d'obtenir l'unanimité et qu'il faudrait sans doute obtenir l'unanimité pour cette modification constitutionnelle étant donné qu'elle viserait le Sénat notamment, c'est presque comme si on demandait à la communauté internationale d'intervenir dans le processus ou comme si on invitait le Québec à faire appel à elle.

M. Michael Oliver: Je dois dire que vous avez très bien compris ce que j'essayais de dire, monsieur Blaikie.

Je crois avoir une opinion diamétralement opposée à celle de M. Clark qui, si j'en crois les journaux, a dit hier qu'il serait préférable pour le Canada qu'il règne une certaine confusion et que le processus se prolonge pour aboutir à rien. Je pense personnellement que ce serait désastreux. Cela, parce qu'il me semble absolument déraisonnable de croire qu'à l'issue d'un vote référendaire favorable au Québec, tout continuerait comme avant. Ce n'est pas vrai. C'est quelque chose à laquelle on s'intéressera partout au Canada et, évidemment, partout dans le monde. La notion que nous passons dans une situation métaconstitutionnelle doit à mon avis être prise en considération. Je peux donner les références d'un article sur ce concept si vous le souhaitez.

Nous ne voudrions certainement pas manquer de bonne foi, sembler ne pas tout faire pour éviter un genre d'impasse. Et ce ne sera pas ce qui ressortira si nous suivons la procédure normale d'amendement constitutionnel.

M. Bill Blaikie: Si nous donnions notre...

M. Michael Oliver: Oui. C'est donc exactement ce que j'essayais de dire.

M. Bill Blaikie: Vous avez dit que si vous parliez à l'Assemblée nationale du Québec, vous lui suggéreriez d'inviter l'ONU à superviser une sécession ou...

M. Michael Oliver: Non. Pas à superviser. J'ai dit des observateurs internationaux.

• 1155

M. Bill Blaikie: Des observateurs internationaux. Désolé.

M. Michael Oliver: Oui. C'est très différent. Je ne veux pas que nous nous déchargions de nos responsabilités.

M. Bill Blaikie: D'accord. Je voulais simplement bien comprendre.

M. Michael Oliver: Nous avons aidé...En fait nous avons envoyé des observateurs canadiens partout dans le monde dans des situations politiques difficiles. La théorie est que si tout le monde comprend qu'il s'agit d'un processus légitime, le résultat sera accepté sur la scène internationale.

Si c'est quelque chose que veut réellement le Québec, pour que la communauté internationale juge que c'est une option légitime, il serait tout à fait dans son intérêt de faire venir des observateurs internationaux. Et il serait dans notre intérêt de faire venir si nécessaire une médiation internationale. Le secrétaire général de l'ONU nomme continuellement des gens très capables qui ne sont pas étroitement associés aux intérêts de l'une ou l'autre des parties pour intervenir dans des situations difficiles et des impasses.

Je crois que nous pouvons d'autre part nous faire à l'idée qu'il serait sage que nous nous assurions absolument que nous usons de tous les moyens possibles pour que la communauté internationale ne puisse pas avoir l'impression que le Canada, passant outre à l'injonction de sa propre Cour suprême, bloque toute une série de négociations.

Le président: Monsieur Scott.

M. Andy Scott (Fredericton, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Monsieur Oliver, je conviens avec vous que la perspective d'une conférence constitutionnelle post-référendaire de dix ans ne séduirait probablement que M. Clark. Cela n'intéresse certainement personne d'autre à ma connaissance.

Je veux aussi vous remercier de votre contribution au pays. Nous n'avons pas souvent l'occasion de le faire. En tant qu'ancien étudiant et que Canadien, je sais combien...vous avez parlé de votre expérience universitaire. Je dirais que votre contribution au pays doit aussi être reconnue.

J'aimerais revenir à votre expérience universitaire à propos de l'idée des référendums. Ai-je raison de dire que dans la plupart des cas, les référendums, quelle que soit la façon dont ils sont structurés, n'engagent pas, qu'ils sont plutôt consultatifs?

M. Michael Oliver: Ma foi, autrefois, on faisait une distinction entre un plébiscite et un référendum. Dans les anciens ouvrages de sciences politiques, on disait qu'un plébiscite n'engageait pas alors qu'un référendum a force exécutoire, mais il me semble que cette distinction est essentiellement disparue. Je dirais que l'on utilise le terme «référendum» à tort, si l'on considère ces anciennes définitions, et qu'il représente une consultation qui n'engage pas légalement.

M. Andy Scott: Comme dans le cas d'un référendum au Québec.

M. Michael Oliver: Oui.

M. Andy Scott: Pourquoi? Je fais appel à vos connaissances dans ce domaine. Pourquoi, à votre avis, le gouvernement du Québec voudrait-il dans ce cas que cela n'engage à rien? Qu'est-ce qu'il se réserve? Qu'est-ce qu'il ne dit pas? Dans quelle circonstance considérerait-il que le résultat ne l'engagerait pas?

M. Michael Oliver: Qu'il ne les engagerait pas?

M. Andy Scott: Oui. Autrement dit, pourquoi se réserve-t-on un droit d'évaluer la situation?

M. Michael Oliver: Ma foi, la vraie raison c'est que de bonnes décisions exigent des délibérations, de la réflexion, des échanges, un dialogue, en particulier lorsqu'il y a deux parties en cause et que l'on ne peut y échapper même avec la meilleure question du monde. Tout ce que peut faire un référendum, c'est lancer ce genre de négociations et de discussions. Cela ne peut créer un fait accompli. Cela ne peut créer une conclusion.

M. Andy Scott: En tant que tel.

M. Michael Oliver: En tant que tel.

M. Andy Scott: Le gouvernement québécois se réserve donc le droit de juger des circonstances, tout comme ce projet de loi donnerait au gouvernement canadien le droit de juger des circonstances dans l'exercice de ses obligations reconnues par la Cour suprême.

M. Michael Oliver: Oui, je dirais que c'est un bon parallèle.

M. Andy Scott: Merci.

Le président: Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler: Je voudrais moi aussi souhaiter la bienvenue non seulement à un universitaire distingué mais également au premier témoin que j'ai eu comme professeur à McGill. Je suis seul responsable de toutes les erreurs que j'ai pu commettre après dans ma carrière.

• 1200

Permettez-moi de passer à une préoccupation que vous semblez avoir à propos du projet de loi et qui me semble importante. Pour revenir à la question de Bill Blaikie, ce projet de loi ne mentionne pas la possibilité d'une impasse ni la complexité des négociations qui pourraient aboutir à une impasse.

Comme vous le dites, la Cour suprême a déclaré qu'elle n'interviendra pas. Toutefois, elle a offert un cadre de principes qui devrait guider le processus de négociation et je ne pense pas que nous y ayons tellement fait attention jusqu'ici. Ces quatre principes sont importants: le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la règle de droit ainsi que les droits des minorités. Elle a également indiqué les sujets qui feraient l'objet des négociations et notamment—c'est important—les droits, intérêts et revendications territoriales des Autochtones du Canada.

Ces principes et les sujets de négociation sont mentionnés dans le projet de loi. Celui-ci ne porte donc pas seulement sur la clarté nécessaire pour déclencher des négociations, ce qui a fait l'objet de beaucoup de nos discussions. Mais aussi sur le cadre juridique des principes qui devraient guider ces négociations. Cela m'amène directement à ma question.

On peut ainsi considérer ce projet de loi non seulement comme un code de conduite à suivre pour légitimer un droit de négocier la sécession mais également comme un code de conduite pour les négociations elles-mêmes. Maintenant, il ne s'agit évidemment pas d'un véritable mécanisme de règlement des conflits mais d'un cadre de principes pour régler les différends. Étant donné que le projet prétend mettre en oeuvre la décision de la Cour suprême, je me demande s'il aurait pu aller plus loin et inclure un mécanisme de règlement des différends et si, en l'adoptant, cela empêcherait de mettre sur pied un tel mécanisme dans un autre projet de loi qui serait plus spécifique.

M. Michael Oliver: Tout d'abord, je dois vous dire que je suis toujours ravi de voir réussir certains de mes anciens étudiants. J'ai été ravi que M. Cotler devienne membre de cette auguste Chambre.

En réponse à la question, je dirai qu'en effet la Cour suprême a très sagement fixé un cadre de négociations. Mais il semble aussi que cela concerne toutes les parties. Une des choses qui continue à m'ennuyer à propos du projet de loi C-20 est que le gouvernement a maintenant dit: «Écoutez, la Cour suprême a déclaré ceci. D'accord, c'est maintenant à nous de prendre le relais et nous allons nous assurer que tout le monde suit les règles qu'a exposées la Cour suprême».

Je pense que le projet de loi C-20 peut tout à fait énoncer à l'avance que le gouvernement fédéral doit se doter de certains moyens pour s'assurer qu'une question est claire et qu'il la considère claire et qu'il y a la majorité voulue pour entreprendre des négociations. Mais les négociations elles-mêmes, me semble-t- il, devraient suivre les règles énoncées par la Cour suprême pour tout le processus et non pas des règles qui seraient spécifiées unilatéralement par le Parlement canadien.

Je ne suis donc pas sûr, monsieur Cotler, que j'aurais vraiment voulu que ce genre de chose soit dans le projet de loi. Je pense que celui-ci devrait traiter des règles que le gouvernement fédéral juge appropriées pour sa participation et devrait se laisser guider, comme c'est indiqué, par la décision de la Cour suprême, en ce qui concerne les détails.

Le président: Avez-vous d'autres questions, monsieur Cotler?

M. Irwin Cotler: Non, merci.

Le président: Bien.

Je tiens à vous remercier, monsieur Oliver, d'être venu. Il ne semble plus y avoir de questions et les députés sont appelés à la Chambre pour un vote. C'est important pour notre comité et nous devons certainement y aller. Je suis désolé que nous n'ayons pas plus de temps. Merci beaucoup d'être venu et d'avoir répondu à nos questions.

M. Michael Oliver: Merci de m'avoir invité.

Le président: Merci beaucoup.

La séance est suspendue jusqu'après le vote.

• 1205




• 1229

[Français]

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. Il y a quorum et nous devons commencer avec notre prochain témoin.

[Traduction]

Notre prochain témoin est

[Français]

le professeur émérite Maurice Pinard, du Département de sociologie à l'Université McGill.

• 1230

Professeur Pinard, vous êtes bienvenu au comité.

[Traduction]

Nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir cet après- midi. Nous attendons votre témoignage avec impatience, monsieur.

Vous disposez, comme vous l'avez probablement constaté ce matin, de 10 minutes pour votre exposé.

[Français]

après quoi suivra, pendant 35 minutes, une période de questions de la part des députés.

Alors vous avez la parole maintenant, et merci encore une fois.

M. Maurice Pinard (professeur émérite, Département de sociologie, Université McGill): Monsieur le président, j'ai apporté, comme on me l'a demandé, des copies en français et en anglais de mon mémoire. Il y en a 30 exemplaires.

Mon mémoire est assez long, alors je ne pourrai pas évidemment le lire en entier. Ce que j'ai l'intention de faire, c'est de le résumer. J'espère pouvoir le faire en moins de 10 dix minutes, quitte à ce qu'on en discute plus en détail par la suite. J'ai soumis un mémoire que je ne saurais que résumer pour la raison suivante: il porte sur la confusion qui dure depuis longtemps et qui persiste parmi de nombreux électeurs sur l'option souverainiste. Cette confusion a été établie maintes et maintes fois dans des sondages et des études

[Traduction]

de spécialistes de sciences sociales partout au Québec et même en dehors du Québec.

Cette confusion porte sur quatre points principaux: tout d'abord, le sens des termes utilisés dans les diverses études à propos de cette option; deuxièmement, les conséquences liées à chacun de ces termes; troisièmement, le caractère divisible ou indivisible des deux parties, des deux volets, de l'option souveraineté-partenariat; et quatrièmement, la compréhension de la question référendaire de 1995 elle-même.

[Français]

Je vais passer à chacun de ces points à tour de rôle. Premier point, il y a beaucoup de confusion entourant les termes utilisés. Les termes «séparation», «indépendance» et «souveraineté», en bout de ligne, nous renvoient tous à un même phénomène, la sécession, et dans ce cas-ci la sécession du Québec. Pourtant, même encore en 1999, dans un sondage CROP, il a été établi que pour 46 p. 100 de la population québécoise, les termes «souveraineté du Québec» et «indépendance du Québec» voulaient dire quelque chose de différent. Il a été établi que les termes «souveraineté du Québec» et «séparation du Québec» voulaient dire quelque chose de différent pour 47 p. 100 de la population. En fait, la population se divisait à peu près exactement également en disant que ça veut dire la même chose, mais ça veut dire quelque chose de différent. La situation actuelle prévalait en 1980 et en 1992. Je ne peux en ce moment citer des études qui établissaient ça à ce moment-là.

Donc, il n'est pas surprenant, étant donné ces données, que l'appui à la sécession du Québec varie selon les termes utilisés. On constate que lorsqu'on passe de questions utilisant le terme «séparation» à des questions utilisant le terme «indépendance», l'appui de la souveraineté augmente de 4 p. 100 en moyenne au cours de la récente période. Avec le mot «indépendance», il y a 4 p. 100 de plus de gens qui appuient cette option.

Lorsqu'on passe du terme «indépendance» au terme «souveraineté», c'est encore à peu près la même chose. En gros, il y a 4 p. 100 de plus qui se disent favorables à la souveraineté qu'il y en a qui se disent favorables à l'indépendance. Entre «séparation» et «souveraineté», il y a donc une différence de 8 points de pourcentage d'appui à l'option.

Pour l'opposition, les chiffres sont encore plus forts. Lorsqu'on passe de séparation à indépendance, la proportion des gens qui s'opposent à ces options, il y a 7 p. 100 de moins qui s'opposent à l'indépendance, qu'il y en a qui s'opposent à la séparation. Et d'indépendance à souveraineté, un autre 4 p. 100.

C'est donc dire que l'indépendance reçoit plus d'appui que la séparation, et la souveraineté plus d'appui que l'indépendance et la séparation.

Deuxième point, cette confusion prévaut aussi quant aux conséquences qui se rattachent à ces termes. Si on comprend assez bien le terme «séparation», ce n'est pas le cas pour le terme «souveraineté». Pour ce qui est de la souveraineté, plusieurs pensent qu'un Québec souverain garderait des liens politiques avec le reste du Canada. Ils pensent, par exemple, qu'on demeurerait une province du Canada, ils pensent qu'on élirait encore des députés à Ottawa.

• 1235

Quand, dans un sondage, la question spécifie que, par la souveraineté, le Québec ne ferait plus partie du Canada, le oui baisse de 2 à 8 p. 100 selon les sondages et le non monte de 4 à 18 p. 100 selon les sondages. La différence entre les chiffres pour le oui et le non, c'est la différence entre le nombre d'indécis. Plus l'option s'approche de souveraineté, plus il y a de gens qui sont indécis comment ils voteraient là-dessus.

Il y a incompréhension aussi en ce sens que certains pensent que souveraineté et indépendance impliquent un partenariat même si on n'en fait pas mention dans la question. Et il y a incompréhension en pensant qu'avec la souveraineté, ça ne peut se faire sans partenariat. Même lorsqu'on parle seulement de souveraineté, ils assument que c'est la souveraineté-partenariat et que la souveraineté ne se ferait pas sans partenariat.

Plusieurs pensent qu'avec la souveraineté-partenariat encore plus qu'avec la souveraineté, il y a de la confusion. Plusieurs ont de la difficulté à démêler ces termes-là. Si on leur demande si on demeurait une province du Canada avec la souveraineté-partenariat, en tout, 53 p. 100 des gens pensent qu'on demeurerait une province du Canada ou ils ne savent pas si on demeurerait une province du Canada, 53 p. 100 en 1980.

Les chiffres ont diminué beaucoup en 1995 au moment du référendum; 15 p. 100 disaient qu'on demeurerait une province du Canada et 9 p. 100 ne le savaient pas pour encore une fois 24 p. 100. Mais le chiffre le plus bas atteint, c'est le quart des électeurs qui pensaient qu'avec cette option, on demeurerait une province ou ne le savaient pas. Seulement 75 p. 100 savaient que ce ne serait plus une province du Canada.

Troisième point: le caractère divisible ou indivisible des deux volets de l'option souveraineté-partenariat. On a constaté à plusieurs reprises que le soutien à cette option était largement conditionnel, c'est-à-dire qu'on appuie cette option seulement si on est certain du partenariat. Et plusieurs croient que les deux volets sont indivisibles, ce que les questions référendaires ne spécifiaient pas clairement.

Passons à la position du PQ maintenant qui soutient que les deux volets de l'option souveraineté-partenariat sont divisibles, c'est-à-dire que s'il n'y a pas de partenariat, il y aura quand même souveraineté. En 1995, seulement environ 50 p. 100 des électeurs savaient que c'était divisible. Les autres pensaient qu'il n'y aurait pas de souveraineté s'il n'y avait pas de partenariat en même temps.

En général, tous ces éléments de confusion ont profité aux tenants de l'option souverainiste. C'était vrai en 1980, et c'était vrai aussi en 1995. Par exemple, en 1995, si dans les sondages comme on l'a fait, au lieu de demander: «Voulez-vous que le Québec devienne souverain après avoir fait une offre formelle?», si on avait dit: «Voulez-vous que le Québec devienne souverain peu importe que des négociations avec le reste du Canada réussissent ou échouent?» C'était une question qui était quand même encore en ligne avec l'option, la question référendaire, mais là tout de suite le oui descendait de 5 p. 100, lorsqu'on leur disait qu'il va y avoir souveraineté que ça réussisse ou que ça échoue dans cette option-là. Tout de suite, le nombre de gens qui disaient qu'ils voteraient oui baissait de 5 p. 100.

Ajoutons que les non ambivalents et les oui ambivalents qui se promènent un peu d'une option à l'autre sont un groupe-cible dans l'électorat et dans une décision comme celle-là sont les gens les plus confus de tous. Dans une étude que j'ai faite parmi les nons ambivalents, pas moins de 60 p. 100 étaient confus et pensaient que le Québec demeurerait une province du Canada.

Certains prétendent qu'il ne s'agit pas tellement de confusion ici mais de stratégie de la part de plusieurs électeurs. Les tenants de l'option souverainiste tentent à dire que s'il n'y a pas de confusion, il n'y a que des électeurs stratégiques. Ça peut être vrai dans certains cas, ainsi que parmi les acteurs de 1995 qui disaient avoir l'intention de voter oui. Le quart d'eux disait que c'était pour amener des changements au fédéralisme actuel tout en gardant le Québec dans le Canada. Ces électeurs pourraient aussi bien avoir été des électeurs confus que des électeurs stratégiques.

• 1240

Pourtant, notre analyse a suggéré la présence de confusion, même prononcée, chez plusieurs de ces électeurs qui à première vue auraient pu n'être que des électeurs stratégiques. Ils étaient moins scolarisés, ils s'intéressaient beaucoup moins à la politique et avaient tendance à être d'accord avec l'énoncé «plus on avance dans le temps, moins on sait sur quoi on va voter».

De plus, c'est un point crucial sur l'argument de stratégie versus confusion lorsqu'une personne interrogée dans un sondage déclare que si le Québec devenait un État souverain, pas si je vote oui, on va aboutir à quelque chose. Si le Québec devient un État souverain, si la souveraineté-partenariat se réalise, est-ce que le Québec ferait encore partie du Canada, est-ce que le Québec demeurerait une province du Canada?

À cette réponse, il ne peut y avoir de notion de stratégie. La personne croit que si ça se réalise, on va être encore une province. Ce n'est pas un vote stratégique, mais plutôt un énoncé sur une situation de faits. Au moment où c'était le plus bas, les gens qui étaient confus sur cette question, comme je l'ai mentionné tantôt, à la fin de la campagne référendaire de 1995 et comme je l'ai dit tantôt il y avait encore 24 p. 100 de gens qui ne connaissaient pas la bonne réponse à cette question, c'est-à-dire qu'on ne serait plus une province du Canada.

En somme, mon analyse et les analyses d'autres experts révèlent qu'il y a beaucoup plus d'électeurs confus que d'électeurs stratégiques. La source de cette confusion vient en partie du fait que les électeurs les plus scolarisés, surtout les plus politisés et en particulier les membres des élites et des élites politiques sont, quand ils votent de cette façon, des électeurs stratégiques. On en connaît tous qui ont voté oui en disant: «Je vote oui non pas parce que je veux la souveraineté du Québec, mais parce qu'après coup, ça mènera à d'autre chose.»

Mais on ne voit pas souvent les membres des élites, qu'elles soient des élites politiques ou autres, on ne voit pas souvent des électeurs beaucoup moins scolarisés et souvent très peu scolarisés, et surtout les électeurs pas politisés qui ne s'intéressent pas à la politique et qui ne se prononcent pas sur la politique et dont on ne voit jamais les noms d'aucune façon dans les journaux, dans les médias ou autrement. C'est un groupe beaucoup plus grand et c'est dans la masse des électeurs. Ils sont beaucoup plus nombreux que les électeurs stratégiques.

Quatrième et dernier point, très brièvement, la compréhension de la question du référendum de 1995. Étant donné tous ces résultats, il n'est pas étonnant qu'en septembre 1995, seulement 46 p. 100 des électeurs aient déclaré, lorsqu'on leur lisait la question du référendum de 1995, que c'était une question claire, tandis que 53 p. 100 disaient que c'était une question ambiguë. Au cours de 1999, on obtient des résultats identiques et une proportion plus élevée de gens qui disent que la question de 1995 n'était pas claire.

En conclusion, comment pallier à cette situation? Ce n'est pas un problème tellement compliqué. Il faudrait premièrement que la question ne comporte qu'un volet et, deuxièmement, qu'elle soit simple et utilise des termes qui sont compris non seulement des membres des élites, mais qui sont compris par le plus grand nombre possible.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, professeur Pinard.

Des questions, monsieur Jaffer.

M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Réf.): Merci, monsieur le président. Merci, monsieur Pinard, pour votre contribution aujourd'hui.

Vous avez beaucoup parlé de cette question dans le dernier référendum qui pour beaucoup de gens était confuse. C'est très intéressant d'entendre les statistiques que vous avez mentionnées aujourd'hui. Je me demandais si avec ce projet de loi C-20, si le processus pour établir une question vous aiderait à résoudre les problèmes que vous avez identifiés dans votre présentation sur la question claire, selon votre opinion.

M. Maurice Pinard: La première chose que je dirais, c'est que le jugement de la Cour suprême a insisté que la question soit claire. Je ne sais pas si vous êtes au courant ou non de toutes ces données. Ils veulent une question claire. Je pense que ce qu'on pourrait dire de façon stratégique, le projet de loi C-20 pourrait avoir une certaine influence sur la formulation de la question qui serait faite à Québec par l'Assemblée nationale.

M. Rahim Jaffer: Je vous poserai une autre question parce que nous n'avons pas eu la chance d'entendre votre opinion sur la majorité claire. Je veux savoir si vous êtes d'accord de laisser un nombre pour la majorité peut-être après un référendum ou si c'est très important pour établir un pourcentage comme 50 p. 100 plus un avant un référendum qu'il pourrait y avoir dans n'importe quelle province. Je voudrais avoir votre opinion là-dessus.

• 1245

M. Maurice Pinard: Je n'ai pas d'expertise particulière sur cet aspect-là. Mon expertise là-dessus, ce que je peux apporter comme éclairage, vous le savez probablement, c'est ce que la population en pense de la majorité. Or, depuis deux ans, sondages après sondages ont établi qu'une très forte proportion de la population, dans les 60-70 p. 100, une très forte proportion de la population disait que 50 p. 100 plus un ce n'était pas assez.

Au cours du mois de décembre, au moment où la loi a été présentée, ça s'est amenuisé quelque peu. Les sondages révélaient une population très légèrement, dans deux sondages seulement, favorables à 50 p. 100 plus un et d'autres sondages montraient le contraire. Alors, actuellement, il n'y a pas eu assez de sondage pour savoir où se situe vraiment la population sur le 50 p. 100 plus un.

Personnellement, quant à mes propres préférences, même si ce n'est pas mon expertise, je peux me prononcer, on ne peut pas prendre, à mon sens, une décision d'une telle importance comme la sécession du pays, comme l'indépendance sans un consensus très large dans la population. Ne serait-ce que pour éviter l'érosion de cette majorité très tôt à la suite du référendum.

Je peux vous prédire qu'un référendum comme ça, il est très possible qu'après un Oui dans un référendum à 50 p. 100 plus un, très tôt après cela, immédiatement après des gens diraient «si on avait un nouveau référendum, comment vous voteriez?». Le chiffre tomberait en bas de 50 p. 100 plus un. Il faut que le chiffre soit très élevé pour qu'il soit un peu stable.

Deuxièmement, évidemment, plus le chiffre sera élevé, plus on aura de chances de s'engager dans la phase subséquente dans une certaine atmosphère de compromis, de compréhension mutuelle, etc.

À mon sens, c'est la faiblesse de notre situation. Idéalement, la Constitution canadienne, comme ça été le cas, par exemple, dans le cas du Jura,... La constitution du canton de Berne prévoyait quelles seraient les règles qui devraient être suivies dans un référendum. Et c'était dans la constitution et c'était binding tant pour les Jurassiens que pour les citoyens du canton de Berne autres que Jurassiens.

[Traduction]

M. Rahim Jaffer: Me reste-t-il un peu de temps, monsieur le président?

Le président: Oui. Vous pouvez poser une autre question.

M. Rahim Jaffer: Ma dernière question est la suivante: en essayant de parvenir à une question claire dans une province où il doit y avoir un référendum, ce que nous avons dit, dans l'Opposition officielle, c'est qu'il est évident qu'il faut que les autres provinces puissent donner leur avis. Surtout si l'on veut tenir compte du fait que si, finalement, l'issue du référendum est un oui pour la sécession d'une province et que les autres provinces sont appelées à négocier en toute bonne foi, il est très important de parvenir à poser une question claire et d'avoir l'assentiment des autres provinces à ce sujet.

Comment envisagez-vous la participation d'autres provinces soit aux négociations soit à la rédaction de cette question? Pensez-vous que ce projet de loi particulier, d'après ce que vous avez vu, tient compte de cela?

M. Maurice Pinard: Là encore, idéalement, notre Constitution devrait prévoir tout le processus, notamment comment doit être formulée la question, par qui et qui devrait participer à cette formulation. Ce n'est pas prévu.

Mais même si nous n'avons pas cela dans la Constitution, je crois—je suis probablement un peu idéaliste—que la question devrait obtenir le plus large consensus possible parmi ceux qui sont pour et ceux qui sont contre la souveraineté. Ce serait la meilleure solution possible car ainsi le résultat... Et d'ailleurs la Constitution devrait aussi prévoir ou on devrait s'entendre à l'avance sur la majorité nécessaire.

Cela nous donnerait une situation similaire à celle que nous avions dans le cas du Jura. Tout cela était établi à l'avance. Lorsque les chiffres ont atteint ce que prévoyait la Constitution du canton de Berne, tout s'est bien passé. Nous n'avons pas cela ici. Je ne sais pas comment nous pourrions y parvenir facilement, mais l'idéal serait d'y parvenir.

[Français]

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président.

Merci, monsieur Pinard, pour votre présence. La première question qui me vient à l'esprit, monsieur Pinard, est-ce que vous avez déjà fait des étude sur la confusion et d'incompréhension entourant le Non aux référendums de 1980 et 1995? À la lumière des remarques, par exemple, que M. Trudeau avait faites lors de la campagne référendaire de 1980 ou à la lumière des remarques qu'avait faites M. Chrétien et d'autres leaders fédéralistes pendant la campagne référendaire de 1995. Est-ce que vous avez déjà fait des études sur la confusion et l'incompréhension entourant l'option du Non?

• 1250

M. Maurice Pinard: Les problèmes de confusion que j'ai notés et que je note dans mon mémoire sont des problèmes de confusion qui existent non seulement chez les Oui. Il y a aussi des Non qui pensent qu'après un Oui, on resterait une province du Canada. Cet aspect de confusion, il existe chez des Oui aussi bien que chez des Non et ce n'est pas sain ni du côté des Oui ni du côté des Non.

Par ailleurs, l'aspect auquel vous référez, je ne suis pas sûr que je l'appellerais «confusion». De la même manière que des gens ont pu se tromper sur ce que M. Chrétien ferait ou sur ce que les libéraux ou le gouvernement fédéral ferait en prenant le Non, de la même manière il y a des électeurs qui pourraient ne pas être sûrs de ce qui arriverait dans le cas d'un Oui, de la part du gouvernement du Parti québécois. Est-ce que, oui ou non, après ils procéderaient sans négociations? Est-ce que, comme M. Parizeau l'a dit, ils déclareraient immédiatement la souveraineté? Ou est-ce que le partenariat serait réalisable? Les forces du Oui disaient «c'est certain qu'ils vont négocier un partenariat». Alors les gens qui croyaient cela, est-ce que ce sont des gens confus? Non, pas nécessairement. Sauf que c'est loin d'être certain que ce serait fait.

M. Daniel Turp: Et est-ce que vous admettez que c'est loin d'être certain non plus pour ceux qui ont voté non et à qui on disait qu'il y aurait une réforme du fédéralisme, que ces gens qui ont voté non auraient peut-être voté oui s'ils avaient constaté que la réforme du fédéralisme qu'on leur proposait n'est pas celle qui a eu lieu, par exemple en 1982, rapatrier la Constitution unilatéralement, après 1995 ne pas vraiment enchâsser le droit de veto dans la Constitution? Parce que, vous savez, je trouve qu'il y a un double langage. Le Oui, c'est confus, mais le Non, ce n'est pas confus.

M. Maurice Pinard: Je ne suis pas d'accord avec vous là-dessus. Non, je n'ai pas dit cela, j'ai dit très clairement et le Oui et le Non sont confus. Mais les aspects que vous soulevez, ce ne sont pas des aspects de confusion, ce sont des aspects d'expectation, d'expectative, les attentes auxquelles les électeurs font.

Est-ce que M. Trudeau réalisera ce qu'il nous dit? Est-ce que M. Parizeau et M. Bouchard réaliseront ce qu'ils disent? Cela, les gens sont obligés de faire des évaluations de cela, comme dans n'importe quelle élection. Est-ce que tel parti réalisera ses promesses, est-ce qu'il ne les réalisera pas?

S'ils avaient su que ce qui s'est passé s'est passé, ils auraient peut-être changé de vote, oui, mais après un oui aussi, le même phénomène va pouvoir se produire. Si j'avais su que c'était cela qui allait se produire, je ne suis pas sûr que j'aurais voté oui. Cela, je n'appelle pas cela de la confusion, c'est une estimation que les gens font de l'avenir, des attentes, cela est autre chose que la confusion dont je parle.

M. Daniel Turp: Non mais, finalement, quand même, on peut penser que ceux qui ont voté non en 1980 et en 1995 sont des gens qui auraient peut-être voté oui si la question de la réforme du fédéralisme avait donné lieu à une réforme du fédéralisme et, dans ce sens-là, vous savez, il y a bien des Non qui étaient confus ou qui avaient donné lieu à des attentes et qui auraient peut-être pu se transformer en oui. Peut-être le résultat de 1995 aurait été différent et il y aurait plus que 50 p. 100 plus un de oui parce que les gens ont été trompés, alors qu'on laisse entendre que seuls ceux qui ont été trompés, ce sont ceux qui ont voté oui.

M. Maurice Pinard: Je suis complètement d'accord avec vous que des Non ont pu ou pas être trompés. Je suis d'accord avec vous.

M. Daniel Turp: Ah bien, je suis content de l'entendre.

M. Maurice Pinard: Mais je suis aussi, si vous me permettez, j'insiste aussi que le jour où ce sera l'inverse, où le Oui, par hypothèse, gagnerait, il y a des gens aussi qui auront été trompés. Mais cela n'est pas de la confusion.

M. Daniel Turp: Écoutez, l'autre question que j'ai c'est: vous avez parlé d'un consensus très large pour accéder à la souveraineté. On entend souvent cela, les consensus, qu'il ne faudrait même pas faire de référendum, s'il n'y a pas de consensus. M. Dion dit cela, vous le dites, d'autres le disent. C'est une norme assez importante, le consensus, si je comprends bien, lorsqu'il s'agit d'avenir du Canada, du Québec, de référendum, de loi?

Écoutez, ce projet de loi C-20, croyez-vous qu'il y a un consensus en faveur de son adoption, vous qui êtes un sondeur, qui avez lu les sondages en décembre? Est-ce qu'il y a un consensus au sujet du projet de loi C-20?

M. Maurice Pinard: J'ai l'impression très nette qu'il n'y en a pas. Mais j'ai aussi l'impression très nette qu'il y aura rarement un consensus dans cette Chambre comme dans n'importe quelle assemblée législative au monde.

• 1255

M. Michel Guimond: Non, non. Au Québec.

M. Daniel Turp: Je ne parle pas de la Chambre. Moi, je parle du Québec en général: le Parlement du Québec, la société civile, les milieux intellectuels, culturels et ainsi de suite.

M. Michel Guimond: Syndicaux.

M. Daniel Turp: Syndicaux.

M. Michel Guimond: L'Union des producteurs agricoles.

M. Maurice Pinard: Il y a aussi les hommes d'affaires, etc., qui sont venus vous dire le contraire. Il n'y a pas de consensus, non, sur ça, mais on n'est pas en train de décider par ce projet de loi si on fait la souveraineté ou pas. Comme tous les projets de loi qui se passent partout, il y a consensus ou il n'y a pas consensus sur ces projets de loi. Je ne sais pas si...

M. Daniel Turp: Vous constatez comme moi qu'il n'y a pas de consensus sur ce projet de loi au Québec.

M. Maurice Pinard: Il n'y a pas consensus sur ce projet de loi là au Québec, non plus qu'ailleurs au Canada. Mais il n'y en a pas sur tous les projets de loi qui sont passés par cette Chambre.

M. Daniel Turp: Mais c'est drôle, quand il y a des consensus

[Traduction]

Le président: Nous allons passer à M. Blaikie.

[Français]

M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Peut-être, monsieur le président, que M. Pinard pourrait développer sa pensée à ce sujet parce que ceux qui sont contre le projet de loi C-20 n'arrêtent pas de nous dire que le consensus au Québec est défavorable au projet de loi C-20.

Que répondez-vous à cela, monsieur Pinard?

Deuxièmement, j'ai lu assez rapidement votre document. Il me semble que vous avez beaucoup réfléchi au fait que tous ceux qui votent aux élections ou qui se prononcent sur des questions particulières ne votent pas toujours pour les mêmes raisons que leur voisin. Nous en sommes bien convaincus en politique.

J'en suis convaincu même si mes collègues du Bloc et M. Facal, ce matin, maintiennent que les Québécois savent toujours exactement ce pourquoi ils votent. Si c'est vrai, ils sont différents de tous les autres êtres humains du reste du monde... Nous parlons du reste du Canada mais c'est la même chose dans le monde entier, on ne sait pas toujours pourquoi on vote—et quelquefois on n'obtient pas ce pourquoi on a voté.

J'ai vu bien des cas où les gens ont voté... comme, par exemple, ceux qui ont voté libéral en 1993, pensaient qu'ils votaient pour un parti opposé au libre-échange. Or ils ont élu un parti qui est devenu un défenseur inconditionnel du libre-échange, qui signe des accords de libre-échange avec n'importe qui.

Il y a une dimension d'incertitude dans le vote et dans les questions et, donc, dans toute élection. Il semble que ceux qui s'opposent au projet de loi négligent cet aspect.

M. Maurice Pinard: Il y a deux questions. Je commencerai par la dernière. Si je vous ai bien compris, vous dites qu'il y a beaucoup de confusion et d'incertitude. Ce n'est pas la même chose.

M. Bill Blaikie: C'est exact.

M. Maurice Pinard: Pour beaucoup d'électeurs, et en particulier pour ceux qui sont moins politisés, moins instruits, ils ne savent pas trop à propos de quoi ils votent. Ou ils croient qu'ils votent pour quelque chose qui ne fait pas partie du programme du parti pour lequel ils votent. Il y a donc aussi là une certaine confusion. L'idéal, encore une fois, serait qu'il n'y ait pas de confusion. Dans une démocratie idéale, les gens devraient être aussi bien informés que possible, mais le programme d'un parti n'est pas un programme qui se résume à un seul élément. Nous ne pouvons pas avoir un référendum sur chaque élément du programme d'un parti. C'est malheureusement la faiblesse de notre système de gouvernement démocratique: il y a des gens qui votent sans trop comprendre les enjeux.

La différence entre des élections et un référendum comme celui dont nous parlons ici, un référendum sur la souveraineté, est que s'ils se trompent en votant aux élections, ils peuvent corriger leur tir aux prochaines élections s'ils ont l'impression de s'être fait avoir.

M. Bill Blaikie: Oui.

M. Maurice Pinard: Quant à la première partie de votre question, le consensus au Québec, ma foi, comme le disait M. Turp il y a quelques minutes, il existe un consensus au Québec. Il existe un consensus entre certaines parties des élites qui ont fait des déclarations à ce sujet. Le consensus n'est pas total. Comme je le disais, les représentants du patronat ne sont pas d'accord avec les syndicats sur ce projet de loi. C'est une chose.

Mais qu'en est-il de la population québécoise? J'ai dit qu'il n'y avait pas de consensus. Il n'y a que quatre sondages à ma connaissance qui aient été faits depuis que le projet de loi a été déposé à la Chambre des communes et ces quatre sondages se contredisent totalement quant au sentiment de la population à ce sujet.

• 1300

Il y a le sondage de Léger et Léger qui demande—et je résume la question—approuvez-vous la proposition fédérale qui serait de fixer les règles du prochain référendum? Du point de vue des sciences sociales, je ne pense pas que ce soit une bonne question. Ce n'est pas ce que vous faites, par exemple, comme le disait mon ancien collègue M. Oliver. Vous obtenez ainsi la réponse que la population ne veut pas qu'Ottawa fixe les règles du référendum, comme si personne au Québec n'allait suivre les règles imposées par le Québec.

Par contre, quand vous demandez aux gens s'ils sont d'accord sur l'intention du gouvernement fédéral de clarifier les conditions d'un référendum futur, il y en a 58 p. 100 qui sont d'accord et 27 p. 100 qui sont contre, ainsi les sondages... Et il y en a très peu; maintenant il nous faudrait attendre dans une telle situation, que la population comprenne bien ce dont il est question, pas seulement les élites, afin que nous puissions avoir une idée de l'opinion publique sur le projet de loi. Jusqu'ici, les sondages sont divisés et cela dépend largement des questions qui ont été posées.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Merci, monsieur le président.

Effectivement, les questions dans les sondages sont aussi pas souvent claires, alors vous avez absolument raison, monsieur Pinard.

Tantôt vous n'avez pas, sur une question de mon collègue du Parti réformiste, vous n'avez pas été clair, si je prends le mot à la mode, sur la question de la majorité, mais vous avez cité à deux ou trois reprises la question du Jura suisse. Donc, vous aimeriez qu'un élément de majorité, vous aimeriez...c'est un élément important, la majorité, deux éléments qui ressortent de l'opinion de la Cour suprême: la question claire et la majorité claire. Donc, la majorité, finalement, c'est 50 p. 100, pas 50 p. 100 plus un mais 50 p. 100 de l'importance du processus référendaire si on regarde, si on va juste au niveau d'une lecture grammaticale. Mais, pour vous, ce serait quoi une règle qui pourrait, dans toutes les études que vous avez faites, avec les marges d'erreur ou les marges de confusion, pourquoi vous... [Note de la rédaction: inaudible] Surtout pour une marge d'erreur, parce qu'un vote de l'électeur...l'électeur ne se trompe pas, comme on dit souvent: Vox populi, vox Dei, alors... Mais à quel moment la majorité, selon vous, serait assez solide pour annihiler les marges de confusion? Avec le principe de votre question claire, dont vous avez quand même assez bien discuté?

M. Maurice Pinard: Je ne suis pas un constitutionnaliste, mais je voudrais entendre des constitutionnalistes avant de me faire une idée pendant beaucoup plus longtemps, et me faire une idée sur qu'est-ce que ce devrait être. Pour moi, cela m'apparaît clair que ça devrait être plus que 50 p. 100 plus un dans une question aussi fondamentale, et que si on était en train de discuter d'une nouvelle Constitution pour le Canada, j'insisterais qu'on y mette quelque chose sur ces choses-là dans la Constitution, et que ce soit plus que 50 p. 100 plus un, sans moi-même avoir une opinion sur quel pourcentage on devrait avoir.

L'autre chose que j'aimerais dire là-dessus, c'est que plus la question sera claire, moins le problème d'une très forte majorité est importante. Si on avait une question très claire, je pense que ça prendrait bien du temps avant qu'on arrive au point où il faut se demander si la majorité est claire ou pas.

M. André Bachand: Malheureusement, comme vous le soulignez, il y a d'autres éléments aussi dans le projet de loi. Mais je reviens sur cet item-là. Malheureusement, ceux qui veulent des éléments de clarté provenant de la législature fédérale sont déçus. D'ailleurs, je pense que la plupart des partis politiques, en tout cas de ce côté-ci, en tout cas le Parti réformiste le reconnaît et aussi le NPD, qui a mis un amendement sur la table, reconnaissent qu'un chiffre devrait apparaître; que ce soit 50 p. 100 plus un, que ce soit 55 p. 100, 66 p. 100, que ce soit 50 p. 100 plus un du vote absolu finalement. Alors, il y a toutes sortes... mais on n'a pas d'éléments de clarté sur la majorité; on ne vient pas donner cet élément tant souhaité par des gens.

M. Maurice Pinard: Je pense que je répondrais en ligne, je pense, un peu avec ce que M. Derriennic vous a dit. Si on mettait le chiffre dans la question, ce serait quelque chose de... là, je me contredis peut-être avec ce que j'ai dit avant, qui lierait trop fortement. Je pense que ce n'est pas une mauvaise chose que, étant donnée la question qui sera posée, étant donnée la majorité qui aura été obtenue, la sorte de légitimité qu'aura le référendum fera que la proportion à discuter, si c'est une majorité suffisante, va changer beaucoup.

• 1305

M. André Bachand: Dernier commentaire, monsieur le président. C'est que la majorité, lorsqu'elle est connue, et on en a plusieurs exemples, les gens se déplacent, ou se déplacent moins, parce qu'il y a un élément de majorité. On a un objectif à atteindre. C'est comme lorsqu'on est en politique, en élection, on a un chiffre à atteindre: c'est d'avoir, d'être le candidat qui a au moins un vote de plus que les autres.

Alors on a un objectif de mobilisation qui va avec. Vous ne pensez pas que d'avoir une majorité, et disons quelle qu'elle soit pour l'instant, pour fins de discussion, fait en sorte que les gens vont peut-être prendre conscience encore plus de la question, de l'enjeu et du rôle comme électeur aussi. Que ce soit 50 p. 100 plus un ou 66 p. 100, ne pensez-vous pas que l'élément d'une majorité fait en sorte qu'un processus invente une dynamique différente? Si c'est 50, c'est la moitié. Si c'est les deux tiers...

Il y a un élément qui est reconnu pour d'autres circonstances parce que dans cette circonstance-là, d'avoir une majorité établie, écrite, pourrait faire en sorte que ça aiderait à diminuer les éléments d'incompréhension, de confusion, ou quoi que ce soit.

M. Maurice Pinard: Vous avez certainement un point là, que de spécifier la majorité. Il y aurait des éléments positifs à spécifier la majorité. Mais, je pense qu'étant donné que la majorité ne serait pas fixée par consensus, surtout pas par consensus avec les dents, je ne sais pas si on peut s'engager dans cette voie-là, actuellement.

Le président: Merci, monsieur Bachand.

Monsieur Drouin.

M. Claude Drouin: Merci, monsieur le président.

Merci, monsieur Pinard, pour votre présentation. On vous a lu. On vous a entendu aujourd'hui, dire que la question de 1995 n'était pas claire. Je suis content de voir que M. Turp est là, et qu'il a pu vous écouter aujourd'hui.

Vous savez, le Bloc simplifie beaucoup l'argument selon lequel la question de 1995 était confuse. Ils nous l'ont dit ici au comité. Pour eux, soulever le degré de confusion que vous avez mesuré vient à dire que vous mettez l'intelligence des Québécois... C'est ça. Vous insultez l'intelligence des Québécois. Comment répondez-vous à ces accusations, ou à ce triste argument?

M. Maurice Pinard: Quelqu'un récemment a écrit, tout en me citant d'ailleurs, que ce n'était pas un vote confus ou un vote stratégique, mais que c'était un vote idiot ou un vote stratégique. Je m'excuse, mais je n'ai pas employé le terme «vote idiot». Je ne l'emploierais pas. Il y a toujours de la confusion et la confusion dépend du degré de scolarité des gens, du degré de politisation, comme j'ai insisté déjà, et certains sont beaucoup moins informés sur ces choses-là. Ils sont confus. Ça ne veut pas dire qu'ils sont idiots.

M. Daniel Turp: [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Claude Drouin: S'il vous plaît. On écoute le témoin, monsieur le président.

M. Maurice Pinard: Alors, la confusion ce n'est pas un vote idiot. Moi, je suis très confus sur les théories d'Einstein. Je ne voudrais pas qu'on conclut que je suis idiot à cause de cela.

M. Claude Drouin: Merci.

Aujourd'hui, M. Facal, le Bloc, les conservateurs, pardon, M. Bachand reconnaissent...

Le président: C'est une période de questions.

M. Claude Drouin: Monsieur le président, ils reconnaissent que la Cour suprême donne l'obligation au gouvernement canadien de négocier. Est-ce que pour vous, comme pour moi, à mon point de vue, ça veut dire qu'à la prochaine question, s'il y a une prochaine question, on n'aura pas besoin de parler de négociations, étant donné que la Cour suprême l'a mentionné, et que nos amis d'en face sont d'accord avec ça? Donc, on pourra y aller avec une question beaucoup moins confuse, qui pourrait mentionner: «Voulez-vous demeurer dans le Canada, oui ou non?». Étant donné qu'il y a une obligation de négocier, je pense que ce sera beaucoup plus clair, et que vous n'aurez pas longtemps à étudier la question pour savoir si elle était confuse.

M. Daniel Turp: C'est la question de Guy Bertrand.

Le président: À l'ordre. Monsieur Pinard, vous avez la parole.

M. Maurice Pinard: Ces bruits m'ont fait perdre... Pouvez-vous répéter, s'il vous plaît?

M. Claude Drouin: Étant donné que l'avis de la Cour suprême demande la négociation s'il y a sécession, est-ce qu'on va pouvoir l'enlever de la prochaine question, si jamais il y a une prochaine question? À ce moment-là, ce sera beaucoup moins confus et les Québécois et Québécoises pourront décider clairement si oui ou non, ils veulent demeurer dans le Canada.

• 1310

M. Maurice Pinard: L'obligation de négocier est là, mais aussi, il faudra faire la distinction entre l'obligation de négocier quoi: l'obligation de négocier la sécession, ou l'obligation de négocier le partenariat. Encore là, une belle confusion qui s'établit de la part du Parti québécois et après un Oui, les gens diraient: «On nous a trompés».

On parle seulement d'obligation de négocier. Non, ce n'est pas l'obligation de négocier, mais c'est l'obligation de négocier la sécession. Et il n'y aura pas d'obligation de négocier le partenariat.

M. Claude Drouin: Merci.

[Traduction]

Le président: Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

Vous avez déjà dit, monsieur Pinard, que vous n'êtes pas un expert en matière constitutionnelle, mais si les souverainistes posaient une question référendaire sur un mandat de négocier, pensez-vous que le résultat mènerait finalement à une impasse constitutionnelle?

[Français]

M. Maurice Pinard: Certainement. Une question avec un mandat de négocier, d'une certaine façon, complique et rend les choses encore plus confuses. Mais en même temps, ça mène à quoi une obligation de négocier? Votre projet de loi dit que dans ce cas-là, on ne négocierait pas avec une question comme celle-là. Alors, le deadlock serait encore plus complet qu'avec les autres questions.

Est-ce que je réponds à votre question?

[Traduction]

Mme Karen Redman: Donc, à votre avis, est-il productif pour le gouvernement fédéral de refuser de négocier sur la base d'une telle question, ce qui serait conforme au projet de loi C-20?

M. Maurice Pinard: De refuser de négocier sur un mandat de négocier...? Ma foi, si, par cela...les gens veulent proclamer l'indépendance après, oui.

Mme Karen Redman: Merci.

Le président: Monsieur Cotler.

[Français]

M. Irwin Cotler: Monsieur Pinard, si vous me permettez, il y a une erreur dans la traduction du français à l'anglais de votre soumission, qui est très importante. Je réfère au paragraphe 4 à la page 1 qui dit, à mon avis, l'inverse de ce que vous voulez dire. Le paragraphe 4 dit en anglais:

[Traduction]

    It is not surprising that support for secession increases when questions featuring the term separation are used instead of the terme independance.

Si on regarde le français, il aurait fallu dire dans la traduction que l'appui à la sécession augmente lorsqu'on passe du terme «séparation» au terme «indépendance». Je voulais simplement consigner cela au compte rendu car j'ai pensé qu'autrement, cela serait trompeur.

M. Maurice Pinard: Merci beaucoup. Malheureusement, je n'ai vu la traduction que très tard hier soir et n'ai pu la regarder de près.

[Français]

M. Irwin Cotler: C'est seulement pour...

M. Maurice Pinard: Non, c'est une erreur de substantif.

M. Irwin Cotler: J'ai seulement une question.

Le président: Vos cinq minutes sont maintenant expirées, mais sans doute que vous aurez une autre opportunité plus tard.

Monsieur Guimond a demandé la parole pour un autre cinq minutes.

Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: Merci, monsieur le président.

Professeur Pinard, vous êtes un professeur émérite. Je pense que dans notre régime scolaire et universitaire au Québec, des titres de professeur émérite représentent une reconnaissance dans la société, et je vous en félicite. Vous l'avez sûrement mérité.

Vous, professeur Pinard, la question de 1995, l'avez-vous comprise la question référendaire de 1995?

M. Maurice Pinard: Complètement et parfaitement.

M. Michel Guimond: Par définition, un sociologue, c'est un spécialiste de l'étude des gens et des groupes en société. Pourriez-vous nous qualifier, selon vous, étant donné que c'est une question confuse et que la démarche était confuse, pouvez-vous nous donner des exemples de groupes dans la société qui ne l'ont pas comprise?

Est-ce qu'il y a une relation avec le niveau salarial? Est-ce qu'il y a une relation avec le niveau scolaire? Je ne le sais pas... Votre petit camelot, s'il a 19 ans au moment du référendum, en 1995, qui passait le journal chez vous, est-ce qu'il l'a comprise lui? Le chauffeur de taxi? Les autres professeurs émérites, est-ce qu'ils l'ont tous comprise?

D'abord, si vous dites qu'elle était confuse et que vous vous l'avez comprise parfaitement, c'est sûrement parce que vous êtes intelligent et professeur émérite. Donnez-nous des exemples de gens qui n'ont pas pu la comprendre, et est-ce que vous faites un lien avec leurs conditions sociales?

M. Maurice Pinard: Ma présentation a dû être confuse, parce que j'ai insisté à plus d'une reprise dans ma présentation...

• 1315

M. Michel Guimond: Il y a 48 p. 100 de votre présentation qui étaient clairs; il y en a 22 p. 100 qui n'étaient pas très clairs, et après cela, il y a 12 p. 100... C'est parce que c'est un déluge de statistiques et moi, je ne suis pas assez intelligent pour toutes les comprendre. Alors, répondez sur les questions. Il y a des individus qui n'ont pas compris.

M. Maurice Pinard: Je vais répondre. La réponse est très simple, et elle est connue de tous les sondeurs. Plus les gens sont scolarisés, plus ils ont compris la question. Deuxièmement, encore plus important que cela, pas seulement scolarisés, plus les gens sont politisés, s'intéressent à la politique, discutent de politique et parlent de politique, écoutent les émissions de nouvelles politiques, etc., plus ils ont ça, plus les gens ont compris. Alors, il y a des gens, et cela me renverse, il y a des gens qui ont fait des études universitaires dans nos sondages, qui ne comprennent pas la question. Je pense que la proportion est beaucoup plus petite chez les gens qui sont allés au collège ou au cégep ou à l'université, les gens qui n'ont pas compris, la proportion est beaucoup plus petite que parmi les gens qui ont très peu de scolarité.

M. Michel Guimond: Monsieur Pinard, c'est un commentaire méprisant à l'endroit des gens ordinaires que vous venez de faire là. C'est très pédant et pompeux, ce que vous faites là.

Le président: À l'ordre. À l'ordre.

M. Maurice Pinard: Mon cher monsieur, comme je vous l'ai dit tantôt, si on me disait....

Le président: À l'ordre. Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: [Note de la rédaction: Inaudible].

Le président: Nous avons ici un témoin, et... À l'ordre, monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: [Note de la rédaction: Inaudible].

Le président: Monsieur Guimond, nous n'aurons pas cela... À l'ordre. À l'ordre.

M. Maurice Pinard: ... [Note de la rédaction: Inaudible]... je vous ai donné un exemple, puis les théories d'Einstein, je ne les connais pas, pas du tout. Non seulement que je suis mêlé...

M. Michel Guimond: [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Maurice Pinard: Bon, alors, c'est cela.

M. Michel Guimond: Vous les méritez, vos mentors.

M. Maurice Pinard: Merci, monsieur.

[Traduction]

Le président: Le comité n'acceptera pas que l'on insulte des témoins.

[Français]

À l'ordre. À l'ordre.

[Traduction]

Nous n'accepterons pas que des témoins soient insultés à ce comité. Je l'ai dit clairement dès le début. C'est inacceptable.

Monsieur Cotler.

[Français]

M. Irwin Cotler: J'ai seulement une question à poser. Le projet de loi C-20 exige que soit posée une question claire, et certains témoins indépendantistes, si je peux utiliser ce mot, soutiennent toutefois, que peu importe la question posée lors d'un référendum sur la souveraineté, et ils utilisent le mot «souveraineté»... On peut dire le mot «indépendance». Mario Dumont a dit qu'il n'a jamais été souverainiste. Les électeurs, particulièrement dans un troisième référendum, les électeurs comprendront que l'essentiel de l'objectif des partisans du Oui, c'est de sortir le Québec du Canada. Est-ce que vous êtes d'accord avec eux? Sinon, est-ce que vous pouvez expliquer votre raison?

M. Maurice Pinard: Malheureusement, je ne suis pas d'accord. Malheureusement—et les sondages le répètent—, le degré de confusion a diminué depuis 1980. J'ai cité des chiffres. C'était tout près de 50 p. 100 des gens qu'on qualifiait comme confus, parce qu'ils pensaient qu'on demeurait une province du Canada après la chose. Cela a diminué jusqu'à 15 p. 100 qui pensaient cela au mois d'octobre 1995, à la toute fin de la campagne référendaire. Cela a continué d'augmenter, mais cela a diminué à 15 p. 100. Il y avait aussi 9 p. 100 des gens qui disaient ne pas savoir s'ils allaient rester dans une province ou pas. Alors, il y avait 24 p. 100 des gens qui ne savaient pas la réponse pourtant simple, à mon sens, de qu'est-ce qui va arriver après la souveraineté. On ne sera plus une province du Canada.

Cela a diminué. Cela a recommencé, on en parle moins, ces gens idiots, ou autrement qualifiés, qui sont des cruches, qui ne comprennent pas cela, ces gens-là, depuis le référendum, en parlent de moins en moins, suivent cela de moins en moins, n'écoutent pas les nouvelles à ce sujet-là. Le degré de confusion est réapparu et remonté, pas comme en 1980, mais autour de 35 p. 100 à 40 p. 100. Au moment d'un référendum, cela va diminuer encore. Il est possible que cela diminue plus qu'en 1995. Tout dépend de la question, évidemment, mais cela va diminuer encore, mais il va rester des gens confus, même avec la question la plus claire possible. Il est impossible de l'éliminer complètement.

M. Irwin Cotler: Alors, après 20 ans de discussions, après deux référendums...

M. Maurice Pinard: Malheureusement, et cela surprend bien des gens que les gens ordinaires ne suivent pas cela comme eux et restent confus jusqu'à la fin.

• 1320

Le président: Professeur Pinard, merci beaucoup pour votre témoignage de cet après-midi. Vous avez aidé le comité dans ses délibérations sur ce projet de loi, et je vous remercie de la part de tous les membres du comité. Merci beaucoup. Et merci beaucoup aussi pour votre patience. Je reconnais que nous étions en retard, en commençant votre témoignage.

M. Daniel Turp: On va aller voter comme ça a été notre habitude, là, ces dernières heures. On n'a pas encore entendu le début du témoignage. Est-ce qu'on devrait aller voter, comme ça a été notre habitude?

Le président: Est-ce qu'il y a un désir de voter, parmi les...?

M. Daniel Turp: Oui.

Le président: D'accord.

M. Daniel Turp: Et monsieur, notre prochain témoin pourra commencer sa présentation, et on pourra...

Le président: D'accord?

M. Daniel Turp: Oui.

Le président: Non?

[Traduction]

Le président: Tout le monde veut partir ou rester?

[Français]

M. Daniel Turp: Allons voter, là.

[Traduction]

Le président: J'hésite car nous n'avons plus beaucoup de temps, comme le sait le député. Il serait peut-être bien de passer à nos autres témoins si cela nous permettait d'entendre tout le monde avant que le temps soit écoulé. Je suppose que tout le monde veut entendre d'autres témoins.

[Français]

M. Daniel Turp: Monsieur le président, en revenant, là, il est 13 h 20, le vote va durer une quinzaine de minutes.

Le président: Oui, mais nous avons...

M. Daniel Turp: Et on a le temps avant 15 h 30. Notre prochaine est seulement à 15 h 30.

Le président: Oui, mais nous avons besoin d'une réunion du Sous-comité du programme et de la procédure, aussi.

M. Daniel Turp: Écoutez. Ce qui est prévu, c'est un témoignage d'abord, là. Et on devrait juste aller voter. On revient dans 15 minutes, et on peut entendre le prochain témoin.

[Traduction]

Le président: Je m'en remets au comité.

[Français]

M. Claude Drouin: Monsieur le président, on est tous d'accord sur l'horaire. Par respect pour les témoignages.

M. Michel Guimond: Vous avez imposé le bâillon. On était prêts à continuer à travailler. Je veux dire, là, un vote. Retournez-nous pas l'argument que vous nous avez invoqué, Claude. On a du retard.

Le président: Monsieur Bachand,

M. Daniel Turp: On ne pourra pas voter.

Le président: Vous pouvez rester ici, ou voter.

M. André Bachand: On peut prendre un café, aussi. On peut prendre un café. Mais non, je pense qu'on pourrait aller voter. On s'est déplacés ce matin pour aller voter, et c'est pas tellement long, non plus, alors sans être irrespectueux vis-à-vis le témoin, je pense qu'on pourrait aller voter. C'est quand même des votes importants, mais on s'empresse d'être ici.

Le président: Je recommencerai quand il y aura cinq personnes ici, dont deux députés de l'opposition, après le vote.

• 1324




• 1340

Le président: À l'ordre. Nous pouvons maintenant commencer. Notre prochain témoin

[Traduction]

est M. Robert Young.

[Français]

M. Daniel Turp: On a le quorum, monsieur le président?

Le président: Oui, le quorum réduit, c'est cinq avec deux députés de l'opposition.

M. Daniel Turp: Il n'y a pas beaucoup de libéraux.

[Traduction]

M. Young est professeur à la University of Western Ontario au Département de sciences politiques.

Monsieur Young, bienvenue au comité. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de comparaître devant nous aujourd'hui. Inutile d'expliquer comment nous procédons puisque vous avez assisté au début de la séance. Vous avez donc dix minutes. Nous sommes très heureux de vous recevoir.

M. Robert Young (professeur, Département de sciences politiques, University of Western Ontario): Merci beaucoup, monsieur le président.

Mesdames et messieurs, je suis très heureux d'être ici aujourd'hui. Je considère comme un grand privilège de comparaître devant votre comité pendant qu'il étudie un projet de loi historique.

Je me permettrais aussi de signaler que parmi les quelques spectateurs qu'il nous reste après le départ de M. Facal, il y a ma chère vieille maman. Je lui suis très reconnaissant d'avoir renoncé pour quelques heures au golf et au canal météo pour venir vous entendre et je remercie mon frère de l'avoir amenée.

M. Daniel Turp: Où se trouve votre mère?

[Français]

Bonjour, madame Young.

M. Robert Young: Bon. Je suis ici parce que j'ai publié en 1995 un livre intitulé The Secession of Quebec and the Future of Canada. Cela a été publié simultanément en français, La sécession du Québec et l'avenir du Canada, c'était très bien traduit. Déjà, vous pouvez constater deux choses: premièrement, je dis la même chose en anglais qu'en français, et vice-versa.

M. Daniel Turp: Je sais que c'est une traduction.

M. Robert Young: Deuxièmement, je préfère des termes neutres et corrects, je préfère «sécession», par exemple, au lieu de «séparation», et c'est plaisant pour moi de constater que dans le projet de loi C-20, on trouve le mot «sécession» 22 fois; on ne trouve pas le mot «séparation». Il y a une seule exception à cette neutralité, à laquelle je veux revenir à la fin de ma présentation.

Ce livre est un effort de prédire précisément ce que seront les résultats d'un vote pour le Oui, en 1995. L'approche, c'était la réelle politique. Je ne suis pas un théoricien normatif, mais un analyste de la politique, comme elle existe. Ce livre a été très bien reçu au Québec. Mes prévisions étaient prises comme raisonnables, il a été critiqué, sûrement, par certains, notamment le politicologue Stéphane Dion, mais en général, ça a été bien reçu.

Récemment, j'ai publié une deuxième rédaction. Je vous la montre. C'est devenu plus grand. Je prédis maintenant que s'il y a un vote pour le Oui dans l'avenir, cela tomberait sur un champ politique plus complexe et plus difficile qu'auparavant. Un désengagement entre le Québec et le reste du Canada pourrait être beaucoup plus lent et coûteux qu'il ne l'aurait été en 1995. Ce livre a été écrit avant le jugement de la Cour suprême, et avant le projet de loi donnant effet à l'exigence de clarté, le C-20.

Ici, je veux parler du lien entre le jugement de la Cour suprême et le projet de loi. Mais premièrement, je veux parler de la démocratie. Dans ce projet de loi, la caractéristique la plus remarquable, c'est l'acceptance, en principe, que le Québec peut devenir un État souverain. C'est si central, tellement au coeur du projet de loi, qu'on oublie souvent que c'est le point de ce projet de loi. C'est remarquable parce qu'on ne peut pas trouver un cas pareil dans une démocratie avancée, où un gouvernement fédéral accepte qu'une province peut devenir souveraine. C'est remarquable parce que c'est une loi.

On a eu des énoncés auparavant, notamment par M. Dion et par M. Rock, que la population du Québec ne sera pas tenue dans le Canada contre son désir. Mais ceci est une loi. C'est très important parce qu'on a aussi eu des énoncés au contraire de cette proposition. Souvenez-vous de la campagne référendaire de 1995; la question de la démocratie a été soulevée et par les souverainistes et par les réformistes, et la question n'a jamais trouvé de réponse claire.

• 1345

Je cite M. Bouchard dans son adresse en réponse à l'adresse télévisée à tout le Canada de M. Chrétien. Monsieur Bouchard dit:

[Traduction]

    Une des choses suprêmes et fondamentales que partagent et chérissent le Québec et le Canada est la démocratie. Dans la décision que prendra la majorité des Québécois lundi prochain, je suis certain que cette valeur commune de démocratie prévaudra. Je suis rassuré d'avoir entendu des citoyens du Canada redire que les Québécois peuvent décider de leur propre avenir et que leur décision devrait être acceptée par le reste du pays.

[Français]

Il n'a jamais eu une réponse claire.

M. Manning, en Chambre, jour après jour:

[Traduction]

    Ils pensent qu'ils peuvent voter pour la séparation et continuer à jouir des avantages du fédéralisme. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé au premier ministre de préciser que oui signifie séparation et non signifie fédéralisme. Je demanderai à nouveau sincèrement au premier ministre, puisque nous ne plaisantons pas ici, pourquoi il hésite tant à faire très clairement cette distinction?

[Français]

Il n'a jamais eu de réponse.

Le premier ministre, le 26 octobre, dans une entrevue télévisée, a dit, quand on lui a demandé s'il accepterait un Oui:

    Non, je n'ai pas reconnu rien, vous ne savez pas le résultat et moi non plus [...]. Les gens auront exprimé leur point de vue. Les mécanismes, après, c'est très nébuleux.

Bon. Avec ce projet de loi, on a un engagement formel d'accepter un Oui. On reconnaît que le Québec peut faire la sécession. C'est vraiment un cadre, c'est clair, ce n'est plus nébuleux, et c'est démocratique.

[Traduction]

Maintenant, je vais utiliser le temps qu'il me reste pour entrer dans certains détails. Comme l'a noté la Cour suprême, et comme le prétendent maintenant les souverainistes, le problème se trouve dans les détails. Notamment dans la nature de la question à poser, l'article 1 du projet de loi C-20, et dans le niveau d'appui nécessaire, l'article 2.

Il n'y a qu'une question à poser ici, à mon avis. Ces articles du projet de loi correspondent-ils bien à la lettre et à l'esprit de l'avis de la Cour suprême sur le Renvoi sur la sécession? Cela, à supposer que tous les acteurs acceptent la compétence de la Cour suprême du Canada et la légitimité de son avis dans le Renvoi. Si c'est le cas, la seule question est la mise en oeuvre.

Je suppose que tous les acteurs acceptent cette légitimité et cette compétence. Même le professeur Henri Brun, qui a déclaré dans Le Devoir d'hier que le projet de loi C-20 est anticonstitutionnel, l'a fait en se reportant au jugement lui—même. Il n'y a peut-être pas de consensus au Québec quant au projet de loi C-20, mais je pense qu'il y en a un au sujet de l'avis de la Cour suprême.

Si c'est le cas, nous pouvons brièvement passer à la question. Au coeur de la décision est le fait qu'une déclaration unilatérale d'indépendance est illégale, que la sécession exige des négociations et un amendement constitutionnel. Cela a permis à la Cour de rejeter deux propositions absolutistes: d'une part, que le reste du Canada est obligé d'accepter les conditions du Québec; d'autre part, que le reste du Canada peut passer outre à une expression claire de la volonté du Québec.

Cela nous amène à la nature de la question. Une question claire n'a pas évidemment été spécifiée dans la décision, mais, au paragraphe 93, les juges ont indiqué qu'une question claire était nécessaire pour poursuivre l'idée de sécession. Dans le résumé qui, à bien des égards, est plus clair que l'avis lui-même, la Cour déclare que ce qui est nécessaire, c'est «une expression claire d'une majorité claire de Québécois déclarant qu'ils ne souhaitent plus demeurer au sein du Canada».

Selon moi, l'article 1 portant que la Chambre des communes décide à l'avance de la clarté, représente une juste application de cette opinion.

Également, la taille de la majorité n'est pas précisée. Cependant, au paragraphe 76, la Cour suprême précise: «Les Canadiens n'ont jamais admis que notre système est entièrement régi par la seule règle de la simple majorité.» Le principe de la majorité est limité par d'autres principes constitutionnels, que les juges ont mis en lumière.

Cela est exprimé tout aussi clairement au paragraphe 87:

    Pour être considérés comme l'expression de la volonté démocratique, les résultats d'un référendum doivent être dénués de toute ambiguïté en ce qui concerne tant la question posée que l'appui reçu.

L'article 2 du projet de loi C-20 dispose que la Chambre des communes porte un jugement et prenne une décision concernant la suffisance de l'appui reçu. Voilà ce qui constitue selon moi une interprétation juste du jugement les juges de la Cour suprême.

• 1350

Enfin, ces derniers ont fait ressortir que l'une et l'autre de ces questions sont d'ordre politique. Ils l'ont dit très clairement au paragraphe 100. Le niveau d'appui et la clarté relèvent du domaine politique, tout comme le contenu des négociations, ainsi que le moment où les ambiguïtés seraient résolues. La chose ressort encore plus clairement dans le résumé, au paragraphe 153.

Il s'agit donc d'un processus politique. Un processus qui s'amorce ici et dont je suis heureux de faire partie. Je me ferai un plaisir d'entendre vos vues et de répondre à vos questions, dans la mesure de mes moyens, mais permettez-moi de revenir à un aspect du texte qui, à mon avis, ne reflète ni l'esprit du jugement ni la neutralité et l'objectivité dont il convient de faire preuve face à cette question.

Je veux parler de la phrase suivante du préambule: «Whereas any proposal relating to the break-up of a democratic state...» Or, le choix du terme «break-up» me semble des plus malheureux. Sa traduction par le terme «démembrement» m'horripile encore davantage. Voilà des termes qui n'ont aucune signification reconnue sur le plan juridique ou constitutionnel. Selon moi, ils vont à l'encontre de l'esprit de la décision de la Cour suprême. Je propose qu'on les remplace par des termes où intervient la notion de sécession.

Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Young. Je tiens également à vous remercier de votre disponibilité.

Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Merci, monsieur le président.

Je tiens également à remercier M. Young d'être des nôtres aujourd'hui.

Vous avez établi une distinction entre les termes «sécession» et «séparation». Je ne suis pas certain de votre préférence. Pouvez- vous me la faire connaître et me l'expliquer?

M. Robert Young: Je préfère le terme «sécession», et c'est donc ce terme que j'ai utilisé comme titre dans ces ouvrages et d'autres, étant donné qu'il a un sens clair et précis en droit international, à savoir la situation où une partie d'un État souverain devient elle-même un État souverain, en se retirant de l'État prédécesseur.

M. Grant Hill: Dois-je comprendre par là qu'il s'agit d'un terme moins incendiaire? Avez-vous considéré cet aspect dans votre choix?

M. Robert Young: J'estime qu'il est moins incendiaire que le terme «séparation», bien que certains aspects du terme «séparation» soient plus désagréables. Il y a là la métaphore du mariage et cela implique que deux entités vont se séparer. En réalité, les Québécois ont vécu ici côte à côte avec les gens du reste du Canada sous six constitutions durant des centaines d'années, et personne ne va s'en aller nulle part. Il se peut bien qu'à l'occasion d'une sécession le Québec devienne un État souverain, mais il ne va pas s'agir d'une séparation comme on pourrait parler d'une séparation en cas de divorce. Je trouve le terme quelque peu trompeur.

M. Grant Hill: Pour ce qui est des questions posées lors de référendums antérieurs, les avis sont partagés concernant leur non- ambiguïté, le fait qu'elles ne portent pas à confusion et qu'elles étaient bien comprises par les gens à qui elles étaient posées. J'aimerais connaître votre position concernant la clarté des questions antérieures.

M. Robert Young: C'est évident que les questions auraient pu être plus claires. J'estime cependant que la question posée était tout aussi claire que certaines autres qui ont également été posées, quoique sur des sujets beaucoup moins importants.

Ce que j'ai trouvé difficile et que certains électeurs, selon moi, ont peut-être également trouvé difficile, c'est l'importance relative accordée par le camp du Oui à la souveraineté d'une part à un moment donné, et au partenariat, d'autre part, à d'autres moments. En effet, il ressort d'une analyse serrée du discours entourant l'enjeu référendaire, que l'importance relative à accorder à tel ou tel aspect a certainement varié dans le camp du Oui, tout comme ce fut le cas dans le camp du Non.

• 1355

M. Grant Hill: J'ai eu l'occasion de demander à un expert en sondage comment il poserait ce genre de question s'il avait à effectuer un sondage. Il m'a répondu qu'il diviserait la question en deux volets. L'un des volets porterait sur une forme d'association quelconque. Il demanderait aux gens s'ils préféreraient que le Québec participe, oui ou non, à une autre association avec le reste du Canada. Il demanderait ensuite si, en cas d'échec, la personne interrogée préférerait, oui ou non, que le Québec fasse sécession—et ici je m'en tiens à votre expression préférée—du Canada. Voilà comment ce sondeur formulerait sa question.

Une telle formulation correspondrait-elle à votre notion de clarté, étant donné que la question ne pourrait être ni ambiguë, ni mal comprise?

M. Robert Young: Eh bien, c'est un sujet qui comporte une ambiguïté inhérente étant donné qu'il concerne l'avenir. Je crois qu'une question brève, claire, en deux volets permettrait vraisemblablement aux électeurs d'avoir un plus grand degré de certitude concernant l'objet du vote. Cependant, pour l'être humain, l'avenir comporte un certain degré d'incertitude et d'indétermination et il est donc très difficile de savoir exactement pour quoi l'on vote, quel que soit le degré de clarté de la question.

Il est clair par exemple qu'en 1995—et le professeur Pinard vous a donné des chiffres—que bon nombre d'électeurs s'attendaient à conserver leur passeport et à continuer à être représentés par des députés à la Chambre des communes, et ainsi de suite. Or, il est tout à fait possible—sans être nécessairement très probable—que si le Oui l'avait emporté, certains scénarios auraient abouti précisément à de tels résultats.

Je pense d'ailleurs à un ouvrage très bien connu de Patrick Monahan, qui n'est pas un partisan de la sécession, dans lequel ce dernier étudie l'ensemble des possibilités découlant d'une victoire du Oui—et je parle ici du référendum de 1995. Dans bon nombre de cas, le Québec finissait par continuer à faire partie du Canada même si, pour certains scénarios, cet aboutissement ne résultait que du refus d'Ottawa de négocier ou du dépôt par Ottawa de nouvelles offres.

J'estime pour ma part que cela ne donne pas grand-chose de sonder les motifs des gens qui exercent leur droit de vote, même si je comprends l'importance d'une question claire et simple concernant la sécession et la souveraineté.

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président.

Professeur Young, merci d'être des nôtres. D'abord, je constate et je prends acte du fait que vous êtes d'avis qu'il n'y a pas de consensus sur le projet de loi C-20. Comme observateur de la scène politique québécoise, je crois que vous avez raison en constatant que l'absence de consensus, et nous avons dit et nous répéterons sans cesse devant ce comité que quand il y a un projet de loi aussi important qui n'a pas de consensus, bien il y a un problème de légitimité avec un tel projet de loi, et M. Facal l'a dit ce matin, il ne faudrait pas que les gens pensent que des projets de loi qui n'ont pas de légitimité peuvent avoir une influence réelle sur le cours des choses.

J'ai deux questions. La première c'est: vous savez que vous êtes un lecteur attentif de tout ce qui s'est produit, tout ce qui s'est écrit au Québec et au Canada, les lois et ainsi de suite. Moi, quand je lis ce projet de loi, je ne vois que des choses assez négatives. Dans la formulation, vous avez dit que c'est un projet de loi qui accepte l'idée que le Québec devienne un pays. Mais quand on regarde à peu près tous les articles, 1 paragraphe (4),

    (4) Pour l'application du paragraphe (3), la question référendaire ne permettrait pas...

    (6) Le gouvernement du Canada n'engage aucune négociation...

Au paragraphe (2): «sauf si elle a conclu conformément à l'article 1».

Paragraphe 2(4):

    Le gouvernement du Canada n'engage aucune négociation...

Paragraphe 3(1):

    3. (1) Il est entendu qu'il n'existe aucun droit...

La formulation de ce projet de loi est tout à fait négative. Ce n'est pas tellement ne pas reconnaître que le Québec peut faire sécession, mais c'est essentiellement un projet de loi qui dit que le gouvernement fédéral ne fera pas certaines choses si certaines conditions ne sont pas remplies. Alors, j'aimerais avoir votre commentaire là-dessus, sur la formulation très négative que l'on retrouve dans la plupart des dispositions de ce projet de loi.

Puis ma deuxième question: vous avez fait référence tout à l'heure, à ce que Patrick Monahan a écrit: il dit qu'une question à double volet ne serait pas du tout inconsistante avec l'avis de la Cour suprême alors que le projet de loi le laisse entendre. Quelle est votre position là-dessus?

• 1400

[Traduction]

M. Robert Young: Je commencerai par votre seconde question. Pour reprendre votre préambule, je ne prétends certainement pas avoir lu tout ce qui s'est produit au Québec ou ailleurs sur cette question. Personne ne serait en mesure de le faire, me semble-t-il.

J'ai parcouru les travaux récents de Monahan. S'il juge acceptable une question à double volet, il a droit à son opinion. Il me semble toutefois que, dans l'esprit du jugement de la Cour suprême, un jugement que je considère tout à fait remarquable, une question claire et explicite s'impose.

Pour ce qui est de la formulation négative du projet de loi, c'est peut-être à ses rédacteurs qu'il faudrait l'imputer. Pour ma part, j'aurais mis beaucoup plus d'accent dans le préambule sur le fait que le projet de loi reconnaît en principe la possibilité pour le Québec de faire sécession et de devenir un pays souverain. Il est vrai que de nombreuses conditions y sont énoncées concernant la question tout particulièrement, mais je ne les trouve pas déraisonnables, pour ma part, à la lumière encore ici de la décision de la Cour suprême, qui fait état de façon très claire et répétée du fait que les intérêts en jeu ne se limitent pas à ceux du Québec et que certains principes doivent être respectés. Je ne considère pas que les subtilités concernant la question et le niveau d'appui vont à l'encontre de ce qu'ont déclaré les juges.

[Français]

M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président.

Le président: Monsieur Blaikie.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Professeur Young, l'une des critiques formulées à l'égard du projet de loi a trait au fait qu'il ne permet, ou ne semble pas permettre—si je peux m'exprimer ainsi—de référendums sur d'autres questions. Ce n'est pourtant pas ce que j'ai compris à la lecture du projet de loi. Il me semble que le projet de loi traite des seuls référendums à l'égard desquels un gouvernement du Québec pourrait souhaiter demander des négociations visant la sécession.

Il n'en subsiste pas moins un problème au sujet de la possibilité d'autres référendums. Par exemple, pourrait-on tenir un référendum sur de nouveaux arrangements dans le cadre de la Confédération, sur un rapport plus asymétrique entre le Québec et le reste du Canada ou entre le Québec et le reste des provinces, ou Dieu sait quoi? À votre avis, de telles initiatives seraient-elles possibles dans le cours normal de la vie politique? Il ne s'agirait pas simplement de référendums qui risqueraient de déboucher sur l'obligation de négocier dont la Cour a fait état. Une telle interprétation est-elle valable?

M. Robert Young: Elle est valable en effet, selon moi. Selon ce que j'en ai compris, ce projet de loi porte sur tout référendum ayant pour objet l'intention d'obtenir un mandat de négocier la sécession. Il me semble que cela n'empêche nullement le gouvernement du Québec ou l'Assemblée nationale du Québec de poser quelque question que ce soit à sa population.

Il pourrait...

M. Bill Blaikie: Cela ne reviendrait-il pas à mettre en doute des négociations portant sur une proposition non sécessionniste découlant d'un tel référendum?

M. Robert Young: Tout à fait.

M. Bill Blaikie: En effet.

M. Robert Young: On pourrait avoir une question libellée de telle sorte qu'elle semblerait proposer des changements constitutionnels d'envergure, ou même des changements mineurs, mais qui comporterait dans son libellé une implication advenant la non- acceptation de tels changements. J'estime que, dans un tel cas, étant donné que l'idée de sécession aurait été implicite dans la question référendaire, le Parlement aurait à prendre une décision concernant la question.

Cependant, si l'Assemblée nationale proposait l'obtention d'un ensemble de pouvoirs, comme le veut par exemple la proposition de Jean-François Lisée concernant les pouvoirs que le Québec devrait chercher à obtenir, dans la mesure où la non-acceptation n'impliquerait nullement la sécession, le référendum pourrait aller de l'avant. Le Parlement n'aurait rien à dire à ce sujet.

• 1405

Je ne vois pas du tout ici en quoi l'Assemblée nationale du Québec est limitée dans sa capacité de poser quelque question que ce soit, même une question à laquelle la Chambre des communes aurait déclaré ne pas souhaiter répondre. Les autorités québécoises pourraient poser la question. Le gouvernement du Canada n'y répondrait tout simplement pas.

M. Bill Blaikie: Ainsi, le projet de loi à l'étude ne ferait que permettre à la Chambre, non pas de dire qu'elle ne répondrait pas, mais plutôt qu'elle ne jugerait pas qu'une telle question, à laquelle une majorité claire aurait répondu, suffirait à créer ou créerait une obligation de négocier la sécession. Il y aurait une possibilité mais non pas une obligation. Voilà tout ce que vise le projet de loi.

Advenant un référendum semblable à celui dont vous venez de parler, la Chambre ne serait pas tenue de décider d'y répondre ou non. Elle y répondrait ou n'y répondrait pas dans le cours normal de la vie politique.

M. Robert Young: En effet. Je crois que le projet de loi n'a d'incidence sur aucune proposition de l'Assemblée nationale du Québec sauf celles qui débouchent sur la perspective de négocier la sécession.

M. Bill Blaikie: Vous avez parlé de M. Lisée. Ce dernier, me semble-t-il, a signalé, comme certains autres témoins l'ont fait par la suite, que le fait d'exiger que la sécession s'effectue par le truchement d'un amendement constitutionnel ordinaire—et je me rends bien compte que la Cour en a dit autant—revient, selon certains, à favoriser en principe un processus aboutissant à la sécession tout en sachant que, en pratique, le processus de modification constitutionnelle ne permet pas un tel aboutissement dans le Canada tel que nous le connaissons.

Vous étiez peut-être ici ce matin lorsque le professeur à la retraite Oliver a déclaré que cela risquerait également de déboucher sur une impasse. En effet, l'étape de l'amendement constitutionnel créerait le climat de mauvaise foi qui pourrait permettre au Québec d'en appeler à la communauté internationale.

Avez-vous des opinions sur tout cela?

M. Robert Young: Des opinions, j'en ai en abondance, mais je m'efforcerai d'être bref.

D'après moi, la Cour a déclaré sans ambages que la sécession nécessiterait un amendement constitutionnel, sans quoi on agirait en dehors du cadre de la loi, et c'est justement pourquoi elle a déclaré qu'une déclaration unilatérale d'indépendance serait illégale.

D'après moi, la sécession ne pourrait que résulter du recours à l'article 41 de la Loi constitutionnelle, soit l'article qui exige l'unanimité, étant donné que le poste de lieutenant-gouverneur du Québec serait certainement remis en question et que la Loi sur la Cour suprême devrait être modifiée.

J'ajoute que tous ne partagent pas ce point de vue. Le professeur Hogg semble parfois être d'avis contraire. Selon moi, c'est la formule de l'unanimité qui s'applique.

Trois aspects sont à considérer, en l'occurrence. Tout d'abord, en dépit de toute la clarté pouvant découler de la loi sur la clarté, un vote pour le Oui entraînerait dans son sillage beaucoup d'incertitude économique et de bouleversements. Même si les Québécois votaient oui à 80 p. 100, même s'il existait au Québec un large consensus et que le Parti libéral du Québec acceptait les résultats, l'incertitude économique serait tout de même d'une ampleur très considérable. Voilà qui inciterait les intéressés à négocier et à le faire dans les meilleurs délais.

Ainsi, même si l'unanimité était nécessaire, il n'est pas nécessairement impossible qu'on ne puisse y aboutir. En effet, dans le cas d'un fort pourcentage de oui, les électeurs du reste du Canada auraient tendance à favoriser une modification de la Constitution ayant pour effet de faire du Québec un pays souverain et à tourner la page.

M. Bill Blaikie: Et qu'adviendrait-il si le vote était serré?

M. Robert Young: L'unanimité n'est donc pas inconcevable.

Selon une autre disposition qui mérite notre attention, le Québec disposerait d'un droit de veto en matière de renouvellement constitutionnel. En effet, jusqu'à ce que le Québec devienne légalement un pays souverain, il continue d'être une province du Canada et doit donner son accord à toute proposition de changements constitutionnels. Voilà, me semble-t-il, une ambiguïté des plus intéressantes.

En troisième lieu, j'estime que les changements constitutionnels qui accompagneraient la sécession du Québec seraient très minimes, de manière à conserver le statu quo dans la mesure du possible. Encore ici, il s'agit là d'une caractéristique qui rendrait de tels amendements acceptables. La population canadienne, me semble-t-il, ne s'intéresse pas seulement au processus mais aussi au résultat.

• 1410

J'ai été de ceux qui ont essayé de faire accepter l'Accord de Charlottetown, et ce n'était pas du tout facile. C'était tout un plat à faire accepter.

M. Bill Blaikie: Je ne vous le fais pas dire!

M. Robert Young: Ainsi, le phénomène de rejet que nous avons constaté tient bien davantage au contenu qu'au processus.

Le président: André Bachand.

[Français]

M. André Bachand: Merci, monsieur le président. Juste quelques questions qu'on pose souvent à des gens qui viennent nous voir et, parfois, on a des réponses, parfois, on n'a pas de réponse, parfois on a des réponses d'un côté, puis de l'autre... C'est pour cela qu'on reçoit plusieurs témoins; pour essayer d'avoir, après cela, le principe de l'entonnoir.

Vous avez soulevé deux ou trois éléments du projet de loi qui reflétaient, à ce moment-là, correctement ou fidèlement, le jugement, ou l'opinion de la Cour suprême. Lorsque j'ai lu la première fois, et après cela, on l'a lu plusieurs fois, l'opinion, on parle des participants, on parle des acteurs politiques, on parle des participants à la Confédération, on parle des représentants démocratiques, etc. Je posais la question, entre autres, à des gens, un représentant de l'Ouest canadien, et la question, je vais vous la poser rapidement. Les provinces, dans l'opinion de la Cour suprême... Est-ce que vous pensez que les provinces et le gouvernement fédéral sont traités avec un poids égal ou le fédéral a la légitimité de décider de l'analyse de la question pendant un processus d'une province, a le loisir de décider de la majorité, en prenant simplement avis, et après cela, de dire go, no go, on négocie avec tous les autres partenaires de la Confédération? J'aimerais voir ce que vous en pensez, puis, où retrouve-t-on cela dans l'opinion de la Cour suprême?

M. Robert Young: C'est évident que si on veut faire un amendement à la Constitution, il serait sensible de consulter les provinces sur la majorité. Ça c'est sûr. Mais ce que je trouve frappant dans le projet de loi, c'est que les acteurs qui sont mentionnés la plupart des fois sont les autres partis dans l'Assemblée nationale. À mon esprit, quand le gouvernement fédéral—la Chambre des communes, pour le dire proprement—, quand la Chambre des communes regarde la clarté de la question et un niveau d'appui, c'est au Parti libéral du Québec et à l'Action démocratique du Québec qu'on va se tourner dans la première instance. Y a-t-il un consensus entre les Québécois parmi les Québécois? Aussi, évidemment, il serait très important de consulter les provinces, et même s'ils n'ont pas, il paraît, un parfait droit légal de participer à un amendement constitutionnel, on consulterait sans doute les autochtones.

M. André Bachand: Je répète ma question, monsieur Young, parce que je ne suis pas satisfait de la réponse, ou ce n'est pas clair. Ça se peut que ce ne soit pas clair pour moi aussi. Où trouve-t-on, dans l'opinion de la Cour suprême, le fait que c'est le gouvernement fédéral seul qui va parler officiellement par un vote pour déterminer si la question est claire avant le vote; qui va déterminer si la question est claire après le vote; qui va déterminer si la majorité est claire après le vote; qui va prendre en ligne de compte l'opinion des autres, alors que l'esprit, il me semble, de l'opinion de la Cour suprême, c'est qu'on n'avait pas donné, directement ou explicitement, un rôle spécial au gouvernement fédéral? Est-ce que les provinces ne viennent pas de laisser au gouvernement fédéral le soin de faire toute l'analyse d'une demande d'une province en termes de modifications constitutionnelles? Il semble que je ne retrouve pas cela dans l'opinion de la Cour suprême.

[Traduction]

M. Robert Young: Le jugement ne fait pas état de façon explicite de la nature des consultations. Elles entrent dans la catégories des questions qui, selon la Cour, sont d'ordre politique et doivent faire l'objet de décisions de la part des instances politiques. La Cour précise toutefois que de telles décisions, de tels avis ou de telles négociations doivent être le fait de deux majorités, soit celles du Québec et du Canada dans son ensemble.

• 1415

Évidemment, il s'agit là d'une situation difficile, étant donné que les Québécois sont représentés au Canada. Il n'existe pas de gouvernement du «reste du Canada». Si tel était le cas, on saurait tout à fait clairement qui a l'obligation de déterminer si la question est claire et si elle bénéficie d'un appui suffisant, et d'entamer par la suite des négociations.

La Cour s'empêtre quelque peu et déclare qu'il faudrait tenir compte de deux majorités, au Québec et dans le reste du Canada, «quoi que cela puisse vouloir dire» pour ce qui est de la majorité du reste du Canada, déclare-t-elle à un moment donné.

Mais dans la mesure où il existe une entité pouvant décider d'amorcer ou non des négociations, il me semble que ce doit être le Parlement et le gouvernement du Canada, après qu'il aura, bien entendu, consulté les gouvernements provinciaux et tenu compte des avis d'autres intervenants.

M. André Bachand: Une dernière question? Il me suffira de 15 secondes.

Le président: Non, nous n'avons plus le temps.

[Français]

Monsieur Proulx.

M. Marcel Proulx (Hull—Aylmer, Lib.): Monsieur Young, bonjour. Le Bloc, en réaction à M. Bernard Landry, ou télécommandé par M. Landry, insiste souvent pour dire qu'ils veulent la souveraineté-partenariat; pas l'indépendance. Monsieur Bouchard disait que le partenariat était un squelette, M. Dumont disait, en janvier, qu'il n'avait jamais été souverainiste. Ce squelette de partenariat sans chef souverainiste est-il réaliste? La proposition actuelle du Bloc, leur réflexion actuelle sur le partenariat, sont-elles squelettiques ou irréalistes?

[Traduction]

M. Robert Young: Il serait préférable d'adresser une telle question aux personnes qui ont été associées de beaucoup plus près à la rédaction des propositions de partenariat.

Comme je l'ai dit, souvent devant des auditoires peu réceptifs, l'expérience m'a appris que l'idée d'envisager un partenariat en bonne et due forme comme celui proposé dans l'accord du 12 juin 1995 est fort peu réaliste. Il y a deux raisons à cela. D'une part, un vote favorable au oui et une sécession réussie constitueraient un événement perturbateur et galvanisateur qui rendrait très difficile l'édification d'une nouvelle superstructure économique et politique.

La politique des deux États aurait tendance, selon moi, à diverger assez rapidement. Le grand problème serait celui de la règle de prise de décisions.

S'il s'agit d'un partenariat d'envergure considérable, deux règles peuvent régir la prise de décisions: celle de la proportionnalité, auquel cas le Québec serait constamment en position minoritaire sur toute question où il y avait conflit d'intérêts; et celle de la parité, qui mettrait la partie majoritaire du partenariat, soit le reste du Canada, à savoir le Canada tel qu'il serait alors constitué, à la merci d'un veto du Québec.

Ni d'une part, ni de l'autre, me semble-t-il, ne serait-on prêt à accepter de telles règles de décision, de sorte que tout partenariat ne pourrait avoir que très peu de portée politique ou économique. C'est d'ailleurs ce que j'ai toujours cru.

[Français]

M. Marcel Proulx: Merci.

[Traduction]

Le président: Monsieur Scott.

M. Andy Scott: Merci beaucoup, monsieur le président.

Monsieur Young, j'aimerais discuter brièvement avec vous de ce que vous avez écrit concernant le référendum de 1995 et de ce qui s'est passé depuis cette date. Lorsque M. Rae a comparu hier, j'ai trouvé fort intéressant qu'il nous dise que, avant 1995, des dirigeants politiques un peu partout au pays estimaient que les gens ne voulaient tout simplement pas entendre parler de l'idée d'une séparation, d'une sécession, ou d'un vote favorable à cet égard.

Les milieux politiques semblaient d'avis à l'époque qu'une mesure comme le projet de loi C-20 aurait constitué une forme d'ingérence puisqu'elle aurait assorti de certaines conditions toute réaction du gouvernement national au référendum, ou encore qu'il se serait agi d'un dérapage, d'une façon quelconque de baliser le chemin vers la sécession, selon l'expression que d'autres ont utilisée.

• 1420

Voilà donc ce que pensaient bon nombre de gens à l'époque. Cependant, j'ai pu constater une nette évolution dans la façon de penser depuis 1995, compte tenu du coup de fouet donné par le résultat très serré du référendum.

Avez-vous été à même de constater la même chose, vous qui connaissez bien ces questions? Avez-vous pu discerner la même évolution chez ceux qui réfléchissent à cette question, notamment parmi les dirigeants politiques du pays?

M. Robert Young: Vous avez certainement raison, tout au moins en partie. Je ne pense pas qu'il soit vrai de dire que, avant 1995, personne n'avait réfléchi d'aucune manière à ce qui allait se passer après un référendum favorable au oui. Plusieurs livres publiés à ce sujet à l'époque, et bon nombre d'articles—je pense par exemple aux travaux de Gordon Gibson—présentaient des perspectives fort lucides.

J'estime par contre que ceux qui dirigeaient la Campagne du non ont été réticents à même envisager la possibilité de la souveraineté du Québec. À l'époque, pour d'ardents fédéralistes, la chose était tout simplement impensable. Il y avait d'ailleurs certaines raisons à cela.

On ne pouvait tout simplement pas envisager une telle éventualité. C'est principalement pour cette raison, à mon avis, que les forces du oui ont pu, en 1995, gagner du terrain dans l'opinion publique au cours de la campagne en faisant valoir qu'un vote pour le oui causerait très peu de tort sur le plan économique et que le partenariat protégerait les Québécois des coûts de transition.

La seule façon pour Ottawa, ou pour le Camp du non, de contrer ce genre d'argument aurait consisté à préciser que le Québec ferait sécession en cas de vote pour le oui et qu'il n'y aurait alors aucun partenariat. Or, les partisans ne pouvaient se résoudre à le faire.

M. Andy Scott: Peut-on donc dire sans risquer de se tromper que, devant ce résultat très serré, les arguments qui militaient à l'encontre d'une approche plus structurée, plus stabilisatrice comme celle dont nous discutons, ne tiennent plus désormais?

M. Robert Young: Pas à mon avis. À cause justement du résultat très serré en 1995, les risques d'une sécession qui sera compliquée, coûteuse et source de division ont considérablement augmenté.

En 1995, j'avais prédit que, advenant un vote pour le oui, il y aurait une sécession rapide, claire et nette, suivie d'une très forte baisse de l'activité économique, et que ce serait tout. Or, la chose est beaucoup moins probable aujourd'hui, puisque les dirigeants ne sont plus les mêmes, l'opinion publique s'est endurcie, et que de nouvelles mesures ont été introduites de part et d'autre.

Il y a maintenant des partitionnistes qui n'avaient pratiquement aucune existence organisée en 1995. Une sécession très rapide ne leur aurait pas permis de s'organiser. Or, maintenant, les frontières qu'ils proposent sont connues.

Ainsi, les risques d'une sécession compliquée à la suite d'un vote favorable au oui à l'avenir ont augmenté considérablement. Le projet de loi sur la clarté est donc justifié à cet égard, étant donné qu'il vise tout au moins à contenir certaines possibilités farfelues et à favoriser un certain degré de certitude.

M. Andy Scott: Merci beaucoup.

Le président: Monsieur Hill.

M. Grant Hill: J'espère que je ne vous semblerai pas impertinent, monsieur Young, mais j'aimerais vous demander si on vous a consulté au sujet de ce projet de loi avant qu'il n'ait été connu du public, avant que le Parlement en ait pris connaissance?

M. Robert Young: Je suis politicologue, mais je ne suis pas dans le secret des dieux. Non, je n'ai pas du tout été consulté au sujet de ce projet de loi. On m'a souvent consulté sur ce qui pourrait se passer après un vote favorable au oui, et ce sont là des perspectives plutôt lugubres, et j'espère bien pouvoir faire porter ma recherche sur un autre sujet...

Des voix: Oh, oh!

M. Robert Young: ...cependant je ne suis pas rédacteur législatif.

M. Grant Hill: Voilà qui est bien dommage, selon moi. En effet, j'ai trouvé votre témoignage fort utile.

Merci.

M. Robert Young: Merci. J'ai toutefois formulé une proposition.

M. Bill Blaikie: À titre de comité parlementaire, nous ne sommes pas habilités à recevoir des propositions.

Le président: D'autres questions?

Merci beaucoup, monsieur Young, de votre comparution d'aujourd'hui. Nous vous sommes très reconnaissants de l'aide que vous avez fournie au comité et de la patience dont vous avez fait preuve avant de comparaître. Effectivement, nous avons un certain retard à cause de certains événements qui se déroulent ailleurs.

Merci beaucoup.

M. Robert Young: Je tiens à remercier les membres du comité.

• 1425

[Français]

M. Michel Guimond: Monsieur le président.

Le président: Un instant.

[Traduction]

Je vais maintenant lever la séance du comité pour que le comité de direction puisse se réunir. Compte tenu des délibérations de la Chambre ce matin, j'estime que nous devrions discuter à huis clos du déroulement du reste de la journée, et c'est ce que j'ai l'intention de vous proposer à l'instant.

[Français]

M. Michel Guimond: Monsieur le président...

Le président: Oui.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, je vous souligne, bien respectueusement, qu'hier dans le procès-verbal, vous m'avez mentionné... Lundi, pardon, dans le procès-verbal, et cela apparaît à la ligne 1535, vous m'avez mentionné que chaque motion ainsi présentée conformément au paragraphe a) peut être présentée et débattue seulement à la fin de la présentation des témoins. Alors, cela a été présenté. Nous avons maintenant d'autres témoins. Nous continuerons nos débats après. Vous êtes certainement bienvenu de continuer vos remarques après les témoins.

Je veux vous dire, monsieur le président, que je ne me sens pas lié, absolument pas du tout, par le fait que le gouvernement a décidé de nous imposer une limite de temps de 10 heures à partir de 12 h 10, et que je veux maintenir mon droit de continuer à parler sur la motion qui a été présentée par M. Alcock. Je veux maintenir aussi le droit, mon droit, de parler de la motion qui est présentement devant vous, monsieur le président.

[Traduction]

M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.): Monsieur le président, j'invoque le Règlement pour vous dire que je ne suis pas tout à fait certain...

M. Michel Guimond: Ce n'est pas un rappel au Règlement.

M. Reg Alcook: Il s'agit d'un rappel au Règlement.

Le président: Je vous écoute.

M. Reg Alcock: Voici. Si M. Guimond prend la parole comme s'il le faisait au sujet de la motion précédente, alors j'aimerais invoquer le Règlement—je n'étais pas certain de pouvoir le faire puisque j'avais manqué le début de la déclaration—pour faire valoir qu'il n'a plus le droit de le faire. Les motions de la Chambre ont priorité par rapport à celles du comité, et la motion de la Chambre a annulé celle dont il est en train de débattre.

Monsieur le président, compte tenu de ce qui s'est passé à la Chambre, je recommanderais que le comité convoque le comité de direction afin que nous ayons l'occasion de discuter des ramifications du vote qui a eu lieu à la Chambre.

Le président: C'est ce que j'ai l'intention de faire. Je traiterai du rappel au Règlement à la fin de la réunion du comité de direction.

Je vais suspendre les délibérations du comité plénier maintenant. Nous tiendrons une réunion du comité de direction et une fois qu'elle sera terminée, nous reprendrons les délibérations du comité et je traiterai du rappel au Règlement soulevé par M. Alcock.

[Français]

M. Michel Guimond: Monsieur le président...

[Traduction]

Le président: Je suis désolé, monsieur Guimond, mais c'est ce que j'ai l'intention de faire, et en tant que président, je...

[Français]

M. Daniel Turp: Un rappel au Règlement, monsieur le président.

Le président: Très bien.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, je ne veux pas manquer de respect pour vous, mais je veux vous dire que vous avez aussi devant vous, le comité a aussi devant lui une motion que j'ai déposée le 21 février et qui s'intitulait «Avis de motion».

Le président: Oui.

M. Michel Guimond: La motion disait:

    Que la motion relative au temps alloué pour l'étude article par article, adoptée par le comité législatif le 14 février 2000, soit annulée.

Je crois que j'ai le droit aussi de parler sur cette motion qui est débattue devant le comité.

Le président: Nous allons discuter de tout cela au comité directeur dans quelques instants.

M. Michel Guimond: Oui, mais monsieur le président, pourquoi ne se réunit-on pas au vu et au su du grand public, ici, devant tout le monde? Pourquoi aller faire cela en cachette, la nuit, dans un bureau où ce n'est pas télévisé? Pourquoi est-ce qu'on ne se réunit pas tout le monde ici, tout le grand comité, pour discuter de ce sujet?

[Traduction]

Le président: Parce que c'est parfaitement normal,

[Français]

monsieur Guimond, comme vous le savez, de discuter des choses concernant les affaires d'organisation des détails dans une réunion de comité de direction, en sous-comité du comité, et je voudrais faire cela maintenant pour quelques instants. Peut-être qu'il n'y aura pas d'accord ou non. Je ne le sais pas, mais je crois que nous devons avoir cette discussion-là avant de recommencer le débat. Nous aurons une opportunité ici de continuer cette discussion après et avant les prochains témoins à 15 h 30. Alors...

M. Michel Guimond: Est-ce qu'on peut en appeler de votre décision au moyen d'un vote par appel nominal?

Le président: Oui, certainement.

M. Michel Guimond: Est-ce que je peux avoir un vote enregistré, monsieur le président?

[Traduction]

Le président: Bien sûr.

[Français]

M. Daniel Turp: Monsieur le président, j'aimerais rajouter quelque chose sur ce point d'ordre et répéter avec mon collègue, pour les gens qui nous écoutent et pour mes collègues ici, qu'il semble que les gens de la majorité libérale ne veulent pas qu'on discute de ces questions-là devant eux et que c'est quelque chose qui prouve jusqu'à quel point la démocratie parlementaire est bafouée.

[Traduction]

Le président: À l'ordre.

M. Reg Alcock: C'est tout simplement malhonnête.

[Français]

M. Daniel Turp: La démocratie est bafouée par les procédures que vous nous imposez.

[Traduction]

Le président: À l'ordre, je vous prie.

Il ne s'agit pas d'un rappel au Règlement. Il est parfaitement normal...

À l'ordre! J'occupe le fauteuil. J'ai la parole, le président a la parole. J'ajournerai la séance si l'ordre n'est pas rétabli.

Je propose que nous nous réunissions en comité de direction immédiatement. Si vous n'êtes pas d'accord pour qu'on le fasse, nous voterons là-dessus. Puis, si on se prononce contre la réunion du comité de direction, nous ne la tiendrons pas.

Le comité souhaite-t-il que nous mettions cette question aux voix?

• 1430

[Français]

Des voix: Oui.

Des voix: Non.

M. Daniel Turp: Non, non. Là, on va voir des députés libéraux voter en faveur d'une décision qui nous amènerait à ne pas discuter, débattre devant le public la suite des procédures.

[Traduction]

Le président: Très bien. Nous allons voter pour décider si nous tiendrons une réunion du comité de direction. C'est la question dont est saisi le comité.

[Français]

M. Michel Guimond: Rappel au Règlement. J'ai demandé à notre greffier de faire un vote par appel nominal.

Le président: Un vote par appel nominal. Très bien.

[Traduction]

(La motion est adoptée par 8 voix contre 2)

Le président: Nous allons donc suspendre la séance, nous réunir en comité de direction, puis reprendre la séance à la convocation de la présidence.

• 1431




• 1539

Le président: La séance est ouverte.

Cet après-midi, nous accueillons l'Inuit Tapirisat du Canada représenté par Mme Okalik Eegeesiak.

• 1540

Selon nos règles, vous avez 10 minutes pour présenter votre exposé puis il y aura une période maximale de 35 minutes pour les questions des membres du comité. Vous avez donc la parole pour les 10 prochaines minutes. Je vous remercie beaucoup de comparaître devant nous. Nous vous en sommes reconnaissants et nous nous faisons un plaisir d'entendre ce que vous avez à dire.

Mme Okalik Eegeesiak (présidente, Inuit Tapirisat du Canada): [Le témoin parle dans sa langue maternelle].

J'aimerais remercier le comité de l'occasion qu'il nous offre aujourd'hui de présenter notre point de vue sur le projet de loi C-20. Je crois comprendre que quelqu'un voulait changer de place avec moi pour faire son exposé. Je tiens à vous rappeler que nous avons déjà eu des problèmes d'horaire, et que nous estimions que c'était à notre tour. Nous vous rappelons que c'est le moment qui nous a été alloué. Je dirai quelques mots à propos de notre organisation avant de passer à notre exposé proprement dit. Notre organisation, l'Inuit Tapirisat du Canada ou ITC, représente tous les Inuits du Canada. Les présidents des organisations inuites de revendications territoriales du Labrador, du Québec, du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest siègent au conseil d'administration de l'ITC, et c'est par le biais de cette organisation que les Inuits du Canada s'expriment sur les enjeux nationaux.

J'aimerais profiter de l'occasion pour vous signaler la présence dans l'auditoire d'un membre de l'une de nos associations inuites, Peter Kritaqliluk d'Aklavik.

Merci beaucoup d'être venu, Peter.

Nous avons aussi certains délégués de NTI, Nunavut Tunngavik Incorporated, ainsi que des techniciens de l'ITC et des techniciens de Makivik. Nous sommes également accompagnés de représentants du gouvernement du Nunavut qui appuie certaines de nos vues.

L'Inuit Tapirisat du Canada a représenté les Inuits lors de la réforme constitutionnelle qui a mené au Rapport du consensus sur la Constitution de Charlottetown, et c'est par le biais du comité spécial de l'ITC que les Inuits ont participé à une série de conférences de premiers ministres durant l'inscription des droits des peuples autochtones dans la Constitution, au cours des années 80.

Je profite aussi de l'occasion pour vous entretenir des relations entre l'ITC et le nouveau territoire du Nunavut. Les Inuits de l'ensemble du pays ont appuyé énergiquement la création du Nunavut, et nous croyons qu'il s'agit d'une de nos réalisations les plus importantes au Canada à ce jour. Toutefois, je me dois de souligner que près de la moitié des Inuits du Canada vivent à l'extérieur de ce nouveau territoire. En d'autres mots, il importe de se rappeler qu'il ne faut pas considérer que le Nunavut et ses diverses institutions puissent représenter les Inuits du Canada.

En ce qui concerne le projet de loi C-20, l'Inuit Tapirisat du Canada perçoit deux aspects très différents dans le projet de loi envisagé. D'une part, nous discernons que le projet de loi C-20 assurerait une question référendaire plus claire, et qu'il établirait les conditions et le processus en vertu desquels le gouvernement du Canada débattrait de la possibilité de la sécession du Québec. Mais, ce qui est plus important, c'est que le projet de loi C-20 protégerait le Canada de toute déclaration d'indépendance unilatérale du Québec.

Les Inuits appuient énergiquement cette dimension du projet de loi C-20. En effet, il est réconfortant pour les Inuits, à la fois du Québec et de l'extérieur, de savoir que le prochain référendum ne peut pas mener à une situation dans laquelle l'avenir du Canada et du Québec peut être décidé du jour au lendemain par le biais d'une simple déclaration politique.

Nous voyons aussi un deuxième aspect au projet de loi C-20. C'est une perspective qui reflète la manière dont le Canada se perçoit en tant que fédération, la manière dont il se définit en tant que pays et, s'il le faut, la manière dont il se reconstituerait en tant que pays, sans le Québec. On retrouve cet aspect dans les articles qui mettent en évidence la nécessité d'utiliser la procédure de modification de la Constitution et qui établissent le processus que le gouvernement fédéral utiliserait, au nom de tous les Canadiens, pour répondre à un référendum éventuel sur la sécession et à son dénouement possible.

Malheureusement, ces articles échouent à reconnaître expressément le rôle, le statut et les droits des Inuits et des autres peuples autochtones en relation avec ce qui concerne la nature de la Confédération et l'avenir du pays. L'ITC est profondément perturbé par cette omission et, du point de vue des Autochtones, c'est un aspect obscur et avilissant du projet de loi C-20. Les maîtres d'oeuvre de la législation projetée ont peut-être essayé d'aborder les problèmes relatifs aux référendums du Québec sur la souveraineté, mais ils ont, par mégarde ou autrement, créé un ensemble de problèmes tout à fait nouveaux en relation avec les peuples autochtones du Canada.

• 1545

Le préambule et l'article 3(1) du projet de loi C-20 réaffirment que la sécession d'une province pourrait être conciliée seulement par le biais d'une modification constitutionnelle, et que cela exigera les négociations nécessaires. Le libellé met ensuite expressément l'accent sur le rôle des gouvernements fédéral et provincial dans ces négociations.

Les articles 1(5) et 2(3) du projet de loi C-20 établissent le processus par lequel la Chambre des communes donnera suite au référendum envisagé sur la sécession et à son dénouement possible. Le libellé de ces articles donne à entendre que la Chambre des communes devra tenir compte des points de vue des participants dans la procédure de modification de la Constitution, de même que ceux des administrations territoriales et des partis de l'opposition de la province qui se propose de faire la sécession du Canada.

Malheureusement, ni le préambule, ni les articles mentionnés ci-dessus ne reconnaissent expressément le rôle des peuples autochtones. Cela est difficile à comprendre étant donné les précédents établis au milieu des années 80 et au début des années 90 qui reconnaissaient la pleine participation de peuples autochtones dans les processus de réforme et dans les conférences des premiers ministres relatives à ce sujet.

C'est d'autant plus déconcertant lorsque l'on considère que, en plus de la Chambre des communes, le Sénat, les assemblées législatives provinciales et la Constitution établissent expressément que les peuples autochtones ont un rôle à jouer dans certaines révisions constitutionnelles. Ce rôle est énoncé à l'article 35.1 de la Loi constitutionnelle de 1982. En comparaison, la Constitution ne mentionne pas les administrations territoriales ni les partis provinciaux de l'opposition dans ses procédures de révision. Dans ce contexte, les peuples autochtones ont une qualité pour contester supérieure à celle des administrations territoriales pour ce qui est d'être cités expressément dans le cadre d'une procédure de révision constitutionnelle.

En disant cela, l'ITC ne plaide pas contre la participation des administrations territoriales dans les questions constitutionnelles. Au contraire, nous croyons que le rôle accordé à ces administrations par le projet de loi C-20 est à la fois constitutionnel et nécessaire. Toutefois, nous contestons l'omission manifeste du rôle explicite des peuples autochtones dans la législation envisagée.

Nous reconnaissons que certaines personnes puissent être tentées de faire ressortir le libellé des articles du projet de loi C-20 mentionnés précédemment et d'insister sur le fait qu'il ne met aucun obstacle au rôle des peuples autochtones. Toute personne qui s'appuie sur une telle argumentation n'aura rien compris à la présentation de l'ITC. Le libellé actuel du projet de loi C-20 ne donne aucune assurance que les peuples autochtones auront quelque rôle que ce soit à jouer, il minimise notre place dans la Confédération et nous relègue à l'échelon d'un simple groupe d'intérêts.

Il peut être discutable pour un gouvernement d'ignorer les peuples autochtones en ce qui concerne des enjeux et des processus dans lesquels ils n'ont pas de rôle reconnu. Mais lorsqu'un gouvernement prend la liberté au vu de tous de faire abstraction du rôle des peuples autochtones qui est reconnu par les dispositions et la convention de la Constitution, il envoie un message très inquiétant. Non seulement le gouvernement n'est pas disposé à respecter le rôle des peuples autochtones dans la Confédération, mais il cherche à l'amoindrir.

Malheureusement, l'omission de notre rôle dans le projet de loi C-20 est fidèle au modèle qui s'est imposé de plus en plus au cours des six dernières années. Nous avons été expressément exclus d'une conférence constitutionnelle tenue en vertu de l'article 49 de la Loi constitutionnelle de 1982, pour les besoins de la révision de la formule de modification. Peu de temps après, nous avons été exclus des discussions qui ont donné naissance à la déclaration de Calgary. Nous avons ensuite demandé de participer au processus sur l'union sociale pour rééquilibrer et renouveler le libellé de la fédération canadienne. Nos demandes ont été ignorées et l'entente cadre sur l'union sociale a été signée sans notre participation. Et maintenant, nous constatons que notre rôle dans l'évolution du pays a été écarté par le projet de loi C-20. Le modèle d'exclusion a maintenant atteint des proportions scandaleuses.

L'ITC fera aussi quelques observations sur l'article 3(2) du projet de loi C-20. C'est le seul article qui fait référence directement aux peuples autochtones, mais nous nous sommes demandé quelles garanties il fournira aux Inuits de Nunavik ou aux autres peuples autochtones qui vivent au Québec. Je tiens à vous rappeler qu'il existe aussi une responsabilité pour les peuples autochtones qui vivent à l'extérieur du Québec et dont les frontières établies dans le cadre du règlement des revendications ou dont les frontières politiques risquent d'être touchées par la sécession du Québec.

• 1550

Considéré dans le contexte d'un projet de loi qui échoue clairement à reconnaître notre rôle dans la Confédération canadienne et en matière constitutionnelle, il est possible que l'article 3(2) ne représente rien de plus qu'une directive voulant que les intérêts des autochtones ne devraient pas être complètement ignorés si jamais il devenait nécessaire de conclure une entente en ce qui concerne la sécession entre le Québec et le reste du Canada.

Quoi qu'il en soit, il est clair que cet article échoue à garantir que, sauf convention à l'effet contraire, les peuples autochtones du Québec, leurs terres, leurs territoires et leurs ressources continueront à faire partie du Canada. Par la suite, l'article ne réussit à offrir aucune assurance voulant que les Inuits de Nunavik ou d'autres peuples autochtones du Québec puissent participer pleinement aux négociations et à l'accord en ce qui concerne la sécession.

Et, en dernier lieu, l'article ne garantit même pas qu'il y aura un processus de consultation parfaitement au point avec les peuples autochtones habitant au Québec. La seule chose qu'il précise, c'est que le gouvernement fédéral doit aborder les intérêts et les droits des autochtones dans ses négociations sur le plan de la sécession avec le Québec. L'histoire du Canada est parsemée de telles assurances ou libellés confus.

Nos préoccupations concernant le manque d'assurance de l'article 3(2) ne sont pas purement hypothétiques. Les souverainistes soutiennent depuis longtemps que le Québec sera habile à assumer bonnement les responsabilités et les obligations fédérales à l'égard des peuples autochtones, qui découlent de ses rapports fiduciaires, des traités, des accords sur des revendications territoriales et de la Constitution canadienne. Ou alors, ils proposent que la moindre des choses soit que les responsabilités et les obligations fédérales seront transférables au Québec de façon bilatérale. Ils disent aux peuples autochtones de la province qu'ils n'auront rien à craindre puisque le Québec respectera pleinement leurs droits lorsqu'il s'acquittera des responsabilités assumées ou transférées par le gouvernement fédéral.

Le but de cette observation n'est pas de contester la sincérité des souverainistes sur cette question. Il s'agit plutôt de souligner le fait que ni les souverainistes, ni le projet de loi C-20 ne donnent l'assurance que les divers peuples autochtones qui vivent au Québec détermineront eux-mêmes leur avenir ou celui de leurs territoires, dans l'éventualité de la sécession du Québec du Canada.

À cause de nos préoccupations, l'ITC demande que, à tout le moins, le comité recommande que le projet de loi C-20 soit modifié pour permettre de couvrir les trois points suivants.

Le sixième paragraphe du préambule et le paragraphe 3(1) doivent être modifiés pour préciser expressément que les peuples autochtones du Canada participeraient pleinement aux négociations requises pour une révision de la Constitution du Canada autorisant la sécession d'une province.

En second lieu, les paragraphes 1(5) et 2(3) de la législation envisagée devraient être modifiés pour obliger expressément la Chambre des communes à tenir compte de l'opinion des peuples autochtones du Canada et, en particulier, de l'opinion des peuples autochtones qui résident dans la province où le gouvernement propose un référendum sur la sécession ou dont les limites en matière de revendications territoriales ou de territoires politiques pourraient être touchées par la sécession.

En dernier lieu, le projet de loi C-20 doit être modifié pour indiquer clairement que le gouvernement du Canada ne négociera pas des conditions de sécession qui transformeront, mineront ou compromettront les droits de tout peuple autochtone, y compris leur statut de citoyens canadiens, et leur rapport fiduciaire avec la Couronne aux droits du Canada, sans leur consentement explicite.

Dans la même veine, la législation envisagée doit garantir que le gouvernement du Canada ne conclura pas de négociations qui prévoient l'enlèvement de terres, de territoires et de ressources de tout peuple autochtone du Canada sans leur consentement explicite. Dans le cas où des peuples autochtones accorderaient un tel consentement au gouvernement fédéral, le projet de loi C-20 devrait confirmer que les peuples autochtones en question participeront pleinement aux négociations et aux conditions de la sécession.

Merci. Voilà pour mon exposé. Je suppose que nous avons du temps pour des questions.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Merci, monsieur le président.

Merci beaucoup pour votre exposé.

Pour ma gouverne, pourriez-vous me dire combien il y a d'Inuits qui vivent dans le nord du Québec et que vous représentez?

Mme Okalik Eegeesiak: Je crois qu'il y en a environ 9 000, soit 25 p. 100 à peu près des Inuits du Canada.

• 1555

M. Grant Hill: Très bien. Voici une question qu'on a posée à beaucoup de témoins: si le Canada est divisible, pensez-vous que le Québec l'est aussi?

Mme Okalik Eegeesiak: Oui, nous croyons qu'il l'est, et les Inuits du Québec veulent continuer à faire partie du Canada.

M. Grant Hill: Avez-vous une idée de ce qu'on pourrait fixer comme limite pour les Inuits qui voudraient continuer à faire partie du Canada si le Québec décidait de se séparer?

Mme Okalik Eegeesiak: Ce serait à partir du 55e parallèle en montant.

M. Grant Hill: Vous prendriez donc tout ce qui est au nord du 55e parallèle?

Mme Okalik Eegeesiak: Oui.

M. Grant Hill: Un des dirigeants politiques du Québec nous a dit aujourd'hui que, dans leur cas particulier, les Autochtones de la baie James avaient signé un accord par lequel ils renonçaient à une bonne part de leurs droits relativement au développement hydroélectrique de la baie James. Les Inuits ont-ils signé avec le Québec un accord quelconque par lequel ils ont renoncé à leurs droits relativement aux ressources minéralogiques ou à d'éventuels développements hydroélectriques dans le Nord?

Mme Okalik Eegeesiak: Je vais demander à Michael de m'aider pour cette question-là. Michael est un conseiller technique de Makivik.

M. Michael McGoldrick (adjoint spécial et conseiller politique du président, Société Makivik): Pour que vous sachiez bien à quoi vous en tenir, Okalik est présidente de l'association nationale, si bien que ses connaissances et sa capacité à donner des informations précises relativement à Makivik sont limitées. Pour ma part, je travaille pour Makivik et je donne un coup de main pour les questions nationales, de sorte que je peux peut-être vous être utile pour répondre à cette question.

L'accord qui a été conclu est semblable à la plupart des autres accords sur des revendications territoriales qui ont été conclus au Canada. L'accord confirme des droits précis qui sont protégés par la Constitution. Il y a toutefois la question de l'extinction des droits dans le cadre d'un accord comme celui-là, mais il n'en reste pas moins que les droits civiques demeurent intacts et qu'ils sont d'ailleurs confirmés par l'accord.

Les droits issus de traités demeurent très présents. Je dirais même qu'il est bien plus facile de cerner les droits issus d'un traité que les droits ancestraux généraux, qui ne sont pas précisés dans le document.

M. Grant Hill: Je veux m'assurer d'avoir une réponse très claire. Le ministre nous a lu aujourd'hui un extrait d'un accord que les Cris de la baie James ont signé relativement à un développement hydroélectrique. Le texte précisait qu'on avait renoncé à tous les intérêts relatifs au territoire, etc. Aucun accord comme celui-là n'a été conclu entre le Québec et les Inuits du Nord qui auraient le même effet pour les Inuits?

M. Michael McGoldrick: Les Inuits ont signé un accord, mais ils n'ont pas perdu tous leurs droits à jamais. Le traité remplace par de nouveaux droits et de nouvelles relations les droits auxquels ils ont renoncé. Ce n'est donc pas comme si tout avait été effacé.

M. Grant Hill: Je ne suis toujours pas sûr de bien comprendre. C'est sans doute à cause de mon manque d'expérience dans ce domaine. Ainsi, les droits issus de traités ont été signés à quelle date?

M. Michael McGoldrick: Le but du traité était d'autoriser l'aménagement du territoire à des fins hydroélectriques et autres, si bien que les droits qu'exerçaient les Inuits afin d'empêcher les développements de ce genre ont été pris en compte et éteints, puis remplacés par les droits issus du traité. Dans le document, on dit donc que tous les droits et les intérêts relatifs au territoire sont supprimés, mais on dit aussi qu'il existe maintenant ces autres droits et intérêts relatifs au territoire.

M. Grant Hill: D'accord, je crois que je...

M. Michael McGoldrick: J'ajouterais aussi qu'il s'agit là de titre de propriété. Les droits du peuple ne sont pas éteints pour autant. Les droits de la personne ne sont pas éteints: le droit de chacun de disposer de lui-même, le droit d'être représenté, le droit de vivre sur la planète Terre. Ce sont le droit de propriété et le titre ancestral relativement à ces terres qui ont été modifiés. Il ne fait aucun doute cependant que ceux qui signent un traité deviennent en quelque sorte différents pour ce qui est des droits de la personne et du droit à l'autodétermination.

M. Grant Hill: Ainsi, les Inuits ont renoncé à la propriété du territoire, au titre de propriété, en signant cet accord relatif aux ressources.

M. Michael McGoldrick: Il faudrait que je lise l'accord pour me rappeler le libellé exact, mais les accords sur les revendications territoriales qui sont signés dans toutes les régions du Canada, conformément à la politique fédérale, prévoient normalement l'extinction des droits ancestraux relatifs aux terres—aux terres. Il y a d'autres droits qui ne concernent pas nécessairement les terres et qui sont remplacés par des droits issus de traités.

C'est quelque chose que contestent depuis toujours les peuples autochtones du Canada mais qui fait clairement partie de la Convention de la Baie James et du Nord québécois dont les Inuits sont signataires.

M. Grant Hill: Merci.

[Français]

Une voix: Oui, monsieur Bachand? L'autre M. Bachand.

• 1600

M. Claude Bachand: Oui. Merci, monsieur le président.

Je veux dire un beau bonjour à madame Eegeesiak; il me fait toujours plaisir de la rencontrer. On a des activités sociales ensemble quelquefois. Je pense que, la dernière fois, on était au Musée des civilisations, à Hull. On a eu beaucoup de plaisir. On était assis à la même table.

J'ai trouvé votre présentation très intéressante, cependant je dois vous avouer que, selon moi, l'extinction des droits fonciers pour ce qui est des Inuits c'est la même chose que les Cris, à ma connaissance. On va vérifier, cependant, mais je suis pas mal persuadé que c'est le cas, et c'est d'ailleurs une exigence du Canada à l'époque qui exigeait qu'il y ait extinction des droits pour procéder à la signature, mais on va vérifier. À ma connaissance, vous avez raison, les droits sur le fond de terrain ont été éteints.

Maintenant, moi, je me suis arrêté, madame Eegeesiak, à votre présentation sur je ne dirais pas une menace, mais toute la question de la partition du nord du Québec, et vous prétendez que c'est à partir du 55e parallèle. On entend cela souvent, les partitionnistes nous répètent ça continuellement, mais je voudrais qu'on aille plus loin dans votre pensée.

Là, c'est très clair pour moi que vous dites que c'est une menace qui est sérieuse, et que vous adhérez à la thèse que si le Québec se sépare du Canada, les Inuits et les Cris ont le droit eux aussi de se séparer du Québec. Mais faisons un pas de plus. Est-ce que les communautés autochtones et les communautés inuits d'ailleurs au Canada peuvent se séparer aussi du Canada? Est-ce que des communautés inuits dont je vais taire le nom mais qui sont au Labrador et qui me disent: «Nous, on aimerait ça, s'il y a sécession du Québec, faire partie du Québec», est-ce que cela aussi est acceptable?

Alors je pense que si on fait le pas de dire qu'un nouveau pays, on passe par-dessus le droit international et on dit on peut le séparer lui aussi, bien, il me semble qu'on doit faire le même raisonnement pour le Canada, et là je pense que c'est beaucoup plus problématique parce que vous risquez de morceler complètement, si vous permettez aux Inuits et aux Cris du Québec de quitter le Québec souverain, il faut permettre aux Inuits et aux autres autochtones du Canada de quitter le Canada aussi. C'est comme ça que le raisonnement va, si on le pousse jusqu'au bout.

Est-ce que vous pourriez réagir à mes propos?

[Traduction]

Mme Okalik Eegeesiak: Ma réponse à la première question est la suivante: si le Québec se sépare—et il est sûr et certain que les Inuits veulent demeurer Canadiens—, il faut qu'ils puissent rester Canadiens. Il n'est pas question que les Inuits ne veuillent pas être Canadiens. Nous voulons être Canadiens. Nous sommes Canadiens.

[Français]

M. Claude Bachand: Oui, mais maintenant, si je pousse le raisonnement plus loin, je sais que vous voulez rester Canadiens, mais s'il y a d'autres Inuits ou d'autres communautés autochtones au Canada qui décident, elles, suite à la séparation du Québec, soit de quitter le Canada ou soit d'adhérer au Québec, il faut leur donner la possibilité aussi de le faire. Ce n'est pas unilatéral, ça. Il faut qu'il y en ait des deux côtés.

Si vous permettez le concept de la partition au Québec, il faut permettre le concept de la partition aussi dans le reste du Canada pour les communautés autochtones et les communautés inuits. D'ailleurs, il y en a des velléités. Il y a des velléités et des intentions de certaines communautés inuits et autochtones aussi de devenir complètement souveraines et de quitter le Canada. Alors si on le permet pour le Québec, il faut que vous le permettiez pour tous les autres aussi.

[Traduction]

Mme Okalik Eegeesiak: Tout ce que je peux répondre à cela, c'est que nous, les Inuits, nous considérons comme un peuple. Nous ne sommes pas divisés en communautés ni en provinces; nous ne sommes séparés que par des limites territoriales qui ont été établies par les gouvernements. Nous sommes un peuple. Nous voulons demeurer Canadiens, et nous sommes Canadiens. Nous ne voulons pas être divisés. Nous ne disons pas que les Inuits de telle communauté sont une nation, que ceux de telle autre communauté sont une autre nation, que les Inuits de telle province sont une autre nation. Nous soutenons que nous sommes un seul peuple.

[Français]

M. Claude Bachand: Une petite dernière, monsieur le président. Une petite dernière.

Je comprends pour les Inuits, maintenant, pour ce qui est des autres autochtones, il y aurait 60 nations autochtones au Canada. Soixante. Alors est-ce que c'est permis qu'une nation autochtone quitte le Canada, selon vous? Si, dans un Québec souverain, les Cris décident de quitter le Québec, est-ce que c'est permis que les Haidas ou les Nisga'as quittent aussi le Canada ailleurs au Canada?

[Traduction]

Mme Okalik Eegeesiak: Ce serait à eux d'en décider, pas à moi.

• 1605

[Français]

M. Claude Bachand: Donc, vous reconnaissez que c'est une possibilité si vous dites que c'est à eux à décider. C'est une possibilité.

[Traduction]

Mme Okalik Eegeesiak: Pas pour les Inuits.

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Merci, monsieur le président.

Cela ne fait qu'accroître mon sentiment de frustration—et je présente mes excuses aux témoins—que d'entendre Mme Eegeesiak venir dire à notre comité de façon très éloquente que les Inuits veulent demeurer Canadiens et continuer à aider à bâtir notre pays et de savoir qu'ils sont déconcertés, intrigués, offusqués, vexés et je ne sais trop quoi encore par le fait qu'ils ne soient pas du tout reconnus dans le projet de loi C-20 comme les acteurs politiques constitutionnels qu'ils sont au sens strict de la Constitution et au sens des conventions politiques.

La situation est d'autant plus déplorable qu'il semble maintenant que le comité ne pourra même pas, grâce à une combinaison de mesures prises par le gouvernement pour limiter le temps de parole et de mesures prises par le Bloc pour retarder les travaux et de toutes les autres insuffisances du processus auquel nous sommes parties et qui compromettent terriblement nos travaux, que nous n'aurons même pas... Nous entendons en ce moment les Inuits et, avant eux, nous avons entendu le Grand conseil des Cris, et avant eux, l'Assemblée des Premières nations, et c'est finalement une comédie tout cela, puisque... Vous savez ce que je dis aux témoins? Je leur dis que nous n'allons même pas pouvoir étudier les amendements que j'ai proposés au nom du NPD, qui correspondent justement à ce que vous proposez. Non seulement nous ne pourrons pas voter sur ces amendements, mais je ne pourrai même pas les proposer. Nous ne pourrons pas en débattre. Ces gens-là ne pourront pas faire en sorte que leurs voix comptent pour quelque chose dans ces amendements.

Nous n'avons pas pu obtenir la moindre indication du gouvernement, quand nous pensions toujours qu'il serait possible de débattre de ces amendements et de les mettre aux voix, du degré d'appui que ces amendements recueilleraient, de manière générale, du côté du gouvernement. Voilà maintenant que nous ne le saurons jamais. N'est-ce pas commode? N'est-ce pas commode pour le gouvernement et pour le Bloc qui témoignent jusqu'à maintenant, d'après moi, d'une attitude très semblable, en dépit de leurs différences quand il s'agit de savoir comment on peut prévoir dans le projet de loi C-20 une participation équitable des peuples autochtones?

Je suis en faveur des amendements que vous proposez. Ils sont très semblables à ceux que nous voulons présenter et dont nous avons fait valoir le bien-fondé à la Chambre et ici. J'estime qu'il faut mettre fin à cette comédie. Le fait est que nous nous retrouvons maintenant dans une situation telle que nous ne pourrons même pas proposer ces amendements—personne ne pourra en proposer. Vos propos seront donc engloutis dans le grand trou noir que nous appelons le Parlement canadien, où rien de constructif ne peut vraiment être accompli, parce que le gouvernement a déjà son idée, que l'opposition s'oppose de façon irrationnelle au totalitarisme irrationnel du gouvernement et que rien de constructif ne pourra surgir des fentes qui existent, si tant est qu'il en existe, entre ces deux solitudes.

Je me sens donc obligé de présenter mes excuses, au nom du processus, à tous ceux qui sont venus ici en pensant qu'ils venaient témoigner devant un comité parlementaire et qu'il serait peut-être possible de modifier le projet de loi, de l'améliorer. Ce sera sans doute le même cirque à l'étape du rapport, quand nous débattrons du projet de loi à la Chambre des communes. Il y aura des centaines et des centaines d'amendements, et toute la substance et le reste seront perdus dans les manigances parlementaires à n'en plus finir. Il se trouvera toutefois un moment dans la mêlée qu'est l'étude à l'étape du rapport où des amendements seront présentés qui refléteront vos préoccupations, et j'ose espérer que, d'ici ce temps-là, nous aurons réussi à persuader le gouvernement d'avoir le courage moral et politique de les appuyer.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Merci, monsieur le président.

Effectivement, je dois vous dire que si jamais le gouvernement refuse d'amender le projet de loi pour inclure les peuples autochtones et en voyant la façon dont mon collègue néo-démocrate nous a sensibilisés à tous les jours sur la question autochtone, je suis maintenant convaincu que le NPD jugera suffisante cette omission pour ne pas supporter le gouvernement.

• 1610

Cela étant dit, j'aimerais, j'ai une question oui, bien sûr, mais vous êtes le troisième groupe autochtone qui vient nous sensibiliser à cette omission du projet de loi. Nous, pour plusieurs autres raisons, on refuse de supporter le projet de loi, mais ce que je veux vous dire, c'est que vous devriez aller plus loin dans vos amendements, et je l'ai suggéré aux Premières Nations, aux Cris, et maintenant aux Inuits. Vous êtes reconnus, encore une fois, probablement, mais explicitement dans l'opinion de la Cour suprême, et vous devez vous en servir. Vous êtes, pour moi, un acteur politique majeur, au même titre que les provinces, pour moi. Vos amendements ne vont pas assez loin. Le projet de loi ne va pas assez loin, tant pour vous que pour les provinces. Vous laissez au gouvernement fédéral, encore une fois, la possibilité, pour vous, comme peuple autochtone, d'être au même niveau que le fédéral ou que les provinces, parce qu'on parle de changement à la Constitution. Mais cela étant dit, il semble, vous semblez faire confiance au gouvernement. Peut-être que c'est bon de faire confiance à nos institutions, mais dites-vous que c'est 156, 158 députés qui vont décider pour vous, officiellement, la question est claire, et pour vous, les provinces, qui vont pour vous, avant le vote sur une sécession, qui vont décider pour vous si après un vote la question est encore claire, si la majorité est claire, et c'est le gouvernement fédéral qui va décider pour vous de vous dire, maintenant on négocie, ou on ne négocie pas. Et à ce moment-là, vous rentrez avec un rôle beaucoup plus égal. Donc, moi, c'est un mot d'avertissement de ne pas, vous vous battez pour être vus comme égaux au sein de la fédération canadienne, et je pense que les amendements doivent aller plus loin que ceux que vous avez suggérés, mais cela étant dit, ce que je vous souhaite, ce que je nous souhaite, c'est que minimalement, le gouvernement répare cette omission qui est flagrante face aux autochtones et aussi flagrante face aux provinces. J'aimerais vous entendre sur mes commentaires plus qu'une question, monsieur le président. Vous savez, on arrive à la fin de ce magnifique processus ouvert et démocratique, alors on a plus le goût de faire des commentaires que de s'en aller dans des questions, mais j'aimerais entendre quand même la présidente.

[Traduction]

Mme Okalik Eegeesiak: Merci pour ces propos encourageants, et merci aussi à M. Blaikie.

Le problème tient en partie au fait—vous avez raison là- dessus—qu'il s'agit là de ce que nous proposons au minimum. Pour ce qui est du fait que la Cour suprême ait rappelé au gouvernement que nous devons avoir un rôle à jouer, nous ne cessons de le rappeler au gouvernement. En rédigeant nos propositions minimales, nous sommes partis du principe que, comme toujours, ce n'est pas le gouvernement qui travaille pour nous, mais nous qui travaillons avec le gouvernement.

Nous cherchons constamment à établir une meilleure relation ou un meilleur partenariat avec le gouvernement, comme il a, lui aussi, promis de le faire dans Rassembler nos forces, même si nous attendons toujours qu'il élabore et mette en oeuvre toutes les mesures voulues. Nous cherchons des moyens de travailler avec le gouvernement, plutôt que de travailler contre lui en le traînant devant les tribunaux. Voilà une des façons de satisfaire à nos propositions minimales relativement à ce projet de loi et à notre participation.

Le président: Monsieur Cotler, vous avez une question à poser?

M. André Bachand: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Irwin Cotler: Je tiens seulement à dire à M. Bachand que je prépare moi-même mes questions.

Des voix: Ah, Ah!

M. André Bachand: Merci, monsieur. Vous le faites très bien.

Le président: À l'ordre!

Monsieur Cotler.

• 1615

M. Irwin Cotler: Pour faire suite à ce que disaient M. Bachand et M. Blaikie, je voudrais simplement réitérer ce que j'ai dit en présence des autres témoins qui sont venus ici comme représentants des peuples autochtones, à savoir—et je crois parler au nom du gouvernement là-dessus puisque c'est quelque chose qui se trouve dans la Constitution—que nous reconnaissons les peuples autochtones comme des acteurs politiques, que cela va de soi puisque c'est quelque chose qu'on retrouve à l'article 35.1 de la Constitution canadienne, comme vous l'avez fait remarquer. Cela se retrouve aussi dans la jurisprudence relative aux Autochtones, comme vous l'avez dit.

La question de savoir si les peuples autochtones sont des acteurs politiques ne se pose même pas à mon avis. Ils le sont.

Je voudrais aussi répéter que nous allons étudier attentivement les amendements que vous nous avez présentés et ceux que nous ont présentés les groupes qui vous ont précédés. Je trouve franchement regrettable que nous ne puissions pas entamer aujourd'hui l'étude article par article. Nous aurions ainsi eu l'occasion d'étudier ces amendements, mais j'espère bien ne pas en être encore rendu à ce point cynique, si je peux répliquer à mon collègue, M. Blaikie, que le Parlement m'apparaît comme un grand trou noir; c'est peut-être parce que je viens tout juste d'être élu, mais j'aime à penser qu'il sera possible à l'étape du rapport et à d'autres moments d'étudier ces amendements.

Le président: Si vous avez quelque chose à dire en réponse, je vous invite à le faire.

Mme Okalik Eegeesiak: Si donc vous êtes vraiment convaincu que nous faisons partie de la Constitution et que nous devons participer au processus, toutes nos propositions seront sûrement approuvées.

Merci beaucoup.

J'ai terminé.

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Madame Eegeesiak, comme vos collègues, les Cris, hier, on souhaite nous, du Bloc québécois, et je pense que je peux parler au nom des collègues ici, souligner que c'est toujours très émouvant de vous entendre parler la langue des autres peuples de ce pays et j'aimerais, dans votre langue, dans la langue de votre peuple, de votre nation, vous dire: [Note de la rédaction: Le député s'exprime en langue crie].

Merci.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup d'avoir comparu aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir témoigner devant nous. Je tiens à vous faire nos excuses pour le malentendu qu'il semble y avoir eu au sujet de lundi et dont vous m'avez parlé juste avant la réunion. Nous vous remercions d'avoir bien voulu patienter pour nous présenter votre témoignage aujourd'hui.

Merci beaucoup.

Mme Okalik Eegeesiak: Il semble que le rôle de l'ITC dans les régions et celui des organisations dans le cadre des accords que nous avons avec le gouvernement fédéral et les gouvernements territoriaux et provinciaux ne soient pas bien compris. J'ai ici un dépliant sur l'ITC, qui explique ce que nous faisons à l'échelle nationale et qui contient aussi des renseignements sur la population et les communautés et sur les dates auxquelles les accords sur les revendications territoriales ont été signés.

Je vous en laisse des exemplaires ici.

Le président: Merci beaucoup. Le greffier va les prendre. Merci.

Le témoin suivant est M. Gordon Gibson, agrégé supérieur en recherches d'études canadiennes, à l'Institut Fraser.

M. Gibson n'a pas beaucoup de temps, alors nous allons rapidement entendre son témoignage et je vous préviens que je m'en tiendrai assez strictement au temps de parole prévu pour les questions. Bien entendu, M. Gibson ne prendra pas plus que les dix minutes qui lui sont accordées pour son exposé.

Monsieur Gibson, je vous remercie beaucoup de votre présence ici aujourd'hui. Nous espérons pouvoir entendre rapidement votre témoignage pour que vous ne ratiez pas le vol que vous devez prendre plus tard ce soir. Nous sommes impatients d'entendre votre témoignage.

Vous avez la parole, monsieur.

M. Gordon F. Gibson (agrégé supérieur en recherches d'études canadiennes, Institut Fraser): Je vous remercie, monsieur le président. Je ferai de mon mieux pour être bref.

Vous avez entendu beaucoup de témoins distingués. J'ai lu autant de leurs témoignages que j'ai pu. J'essaierai de ne pas trop répéter ce qui a déjà été dit.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, c'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui. Je pars du principe que l'intention du projet de loi est bonne, qu'il vise à servir l'intérêt du Canada et que, à première vue, il paraît acceptable, voire quelque peu utile.

Il ne fait aucune doute par ailleurs qu'il recueille l'appui du reste du Canada pour des raisons que je vais expliquer et qu'il est donc très difficile pour les hommes et les femmes politiques du reste du Canada de s'y opposer.

• 1620

Quand on l'examine de plus près, cependant, comme c'est le cas pour la plupart des mesures constitutionnelles, on se rend compte que le projet de loi, s'il est adopté, suivra le modèle classique de la règle des conséquences involontaires, dont la plupart défavorables. En termes plus précis, le projet de loi n'est pas nécessaire, à mon avis, il ne sera d'aucune utilité dans le monde réel, il accroît le risque d'un mauvais calcul de la part des électeurs québécois, il servira d'excuse pour justifier l'omission d'avoir pris des mesures vraiment constructives sur la question de l'unité nationale, il tend à polariser l'opinion et—c'est là un précédent—il prévoit dans la loi la possibilité d'une séparation, avec les risques importants que cela comporte.

Aussi, après avoir présenté des arguments à l'appui des affirmations ci-haut, je vous conseillerais de déclarer simplement que le débat est utile et de laisser le projet de loi mourir faute d'arguments convaincants. Tout d'abord, le projet de loi n'est pas nécessaire. Je serai heureux qu'on me pose des questions à ce sujet, mais je soutiens qu'il n'ajoute rien d'utile à la décision de la Cour suprême et qu'il n'ajoute manifestement rien aux pouvoirs existants du Parlement. Pourquoi alors nous faut-il ce projet de loi? Même après avoir lu attentivement la déclaration de M. Dion, je ne suis toujours pas convaincu de son utilité. Il y a peut-être d'autres raisons qui militent en sa faveur.

Deuxièmement, le projet de loi sera inefficace dans le monde réel. Je vous donne deux exemples. Je vous invite à imaginer que le projet de loi était en vigueur au moment du référendum de 1995. Imaginez que le oui l'a emporté par 50 p. 100 plus un et que vous êtes Paul Martin en train de dire à un banquier new-yorkais au téléphone à minuit, après le dépouillement des votes, qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter parce que nous avons une loi sur la clarté. Imaginez l'autre au bout du fil, tout poli, qui rirait dans sa barbe et qui, aussitôt après avoir raccroché, crierait: «Débarrassez-vous de vos huards!» Autrement dit, 50 p. 100 plus un, ça compte, peu importe ce que dit le projet de loi.

Imaginez aussi la réponse à la question théorique proposée par Jean Paré de L'Actualité—et il faudrait, bien entendu, que la loi référendaire soit modifiée pour qu'on puisse proposer ces trois options. Sa question était: Préférez-vous a) la séparation et l'indépendance, b) le statu quo ou c) un Québec souverain à l'intérieur d'une nouvelle union constitutionnelle avec le Canada? Il dit qu'il est fort possible que la nouvelle union recueille plus de 50 p. 100 des votes et qu'il y a fort à parier que le statu quo en recueillerait moins de 15 p. 100.

Je ne sais pas ce que vous pensez de l'avis de M. Paré là- dessus, mais d'après moi, il montre ainsi que le projet de loi donne un faux sentiment de sécurité, comme une ligne Maginot, et qu'il n'offre pas plus de protection qu'un pare-feu en papier.

Je soutiens ensuite que le projet de loi accroît le risque d'un mauvais calcul de la part des électeurs québécois. Je vous ai fait remarquer qu'un vote à 50 p. 100 plus un en faveur d'une motion évoquant la souveraineté est quelque chose d'important, qui change la donne. Pensez à ce qui se passe quand on vote pour la grève. Avec ce projet de loi, l'électeur québécois moyen trouvera plus facile de dire: Il n'y a pas lieu de s'inquiéter, le gouvernement fédéral va s'assurer, en raison de la loi sur la clarté, que rien n'arrive, alors je peux me permettre d'appuyer mes négociateurs en leur donnant un mandat de grève. Pourtant, je soutiens qu'à 50 p. 100 plus un, le trou noir s'ouvre et qu'il est plus susceptible de s'ouvrir si on a l'assurance que donne le projet de loi C-20.

Mon point suivant est que le projet de loi est un moyen d'éviter à avoir à prendre des mesures vraiment constructives pour renouveler la fédération. Plusieurs des témoins que votre comité a entendus ont déploré l'absence d'un plan A. Je sais que ce n'est pas là votre objet, mais j'aimerais moi aussi déplorer l'absence d'un plan A. Tous les sondages menés au Québec depuis une génération montrent que c'est ce que veulent les deux tiers des Québécois, et je me dois de poser la question suivante: Pourquoi les Québécois—voire les Britanno-Colombiens—n'ont-ils pas droit à un dialogue quelconque sur un plan A?

L'intransigeance d'Ottawa à l'égard d'un éventuel plan A a pour effet de coincer le Parti libéral du Québec, tout comme les nationalistes fédéralistes. Même les souverainistes qui préféreraient tout compte fait une fédération renouvelée sont ainsi acculés au pied du mur. Pourquoi faut-il attendre les instances de Jean-François Lisée pour engager un dialogue là-dessus? Pourquoi l'initiative ne viendrait-elle pas d'ici?

L'argument suivant concerne l'effet polarisateur du projet de loi. Le projet de loi a pour effet, d'une part, de polariser le reste du Canada contre le Québec et de polariser l'opinion à l'intérieur du Québec, les défenseurs du plan B étant opposés aux souverainistes. Les deux types de polarisation causent du tort au Canada à mon avis.

J'aimerais vous présenter une définition de la polarisation, puisque nous nous y connaissons très bien en la matière en Colombie-Britannique depuis 1933. C'est ce qui caractérise la vie politique chez nous, la soi-disant libre entreprise étant opposée au soi-disant socialisme; c'est toujours nous contre eux. Dans ce contexte de polarisation, le moyen terme n'a aucune chance, les options modérées sont exclues et, chaque fois qu'on passe d'un camp à l'autre, d'un extrême à l'autre, la politique gouvernementale change complètement de cap, ce qui n'est pas la meilleure façon de gérer les affaires publiques. Le gagnant rafle tout et il ne reste plus rien pour le perdant; il vaudrait mieux que tout le monde soit gagnant.

• 1625

Dès qu'un camp arrive au pouvoir, voici ce qu'il clame. Nous avions ce qu'on appelait une coalition en Colombie-Britannique pendant les années 40. C'était une coalition de libéraux et de conservateurs. Ils sont devenus extrêmement arrogants comme parti politique. Ils s'étaient alliés pour exclure le NPD et ils gagnaient avec des marges faramineuses. Voici une anecdote que racontait mon ancien patron, Art Lang, celui avec qui je suis venu à Ottawa pour la première fois. C'était un ministre du gouvernement de coalition qui, prenant la parole—après avoir pris un verre ou deux—pendant la campagne électorale et qui disait: «Le choix est simple. C'est nous ou ce sera pis encore.» C'est à cela que conduit la polarisation en politique. Trouvez-vous que cela ressemble à: «Ce sera le plan B ou pis encore»? Je trouve que oui.

Parlons donc du premier type de polarisation, soit la polarisation du reste du Canada contre le Québec. Il y a une ambivalence assez curieuse dans le reste du Canada. On voit des automobilistes qui arborent sur leurs pare-chocs des affichettes où on peut lire «Mon Canada comprend le Québec». On entend aussi les mêmes personnes dire que le Québec obtient toujours tout parce qu'il ne cesse de se plaindre, et ils en ont ras-le-bol. On entend des Britanno-Colombiens dire: En Colombie-Britannique, nous avons presque 60 p. 100 de la population du Québec et nous n'avons même pas droit à 10 p. 100 des sollicitudes. Cela finit par se faire remarquer au fil des ans.

Dans le reste du Canada, on voit le projet de loi C-20 comme le signe qu'enfin, le gouvernement affirme son autorité, qu'il dit au Québec de cesser son chantage, et ils applaudissent à cette fermeté. Le Québec voit dans le projet de loi C-20 un autre message de la part du gouvernement. Naturellement, la société québécoise n'est pas monolithique, mais le message qu'on en retient surtout est le suivant: Vous pouvez faire tout ce que vous voulez en ce qui concerne le dossier de l'unité, et nous modifierons les règles au fur et à mesure pour nous assurer que rien ne va se produire.

Encore là, le moyen terme, celui du plan A, celui de la coopération, est tassé. Au Québec, la polarisation se fait entre le plan B et la souveraineté. C'est un dilemme pour les fédéralistes. J'ai séjourné au Québec à trois reprises, pendant des périodes assez longues, depuis que le projet de loi a été présenté. Les fédéralistes n'osent pas proposer de changements constructifs à la fédération de peur que ces changements soient rejetés et qu'ils perdent ainsi de leur crédibilité. C'est un dilemme aussi pour les nationalistes souverainistes qui n'osent pas renoncer à leur seul vrai moyen de pression, malgré les conseils de M. Lisée, et c'est un dilemme pour les deux en ce sens qu'ils n'osent pas collaborer.

J'ose espérer que toute cette friction fait partie de ce que j'appelle les conséquences involontaires, car toute mesure qui oppose inutilement un Canadien à un autre est mauvaise, et ce n'est sûrement pas là ce qu'on veut faire—il n'en reste pas moins que la polarisation que je viens de décrire est déjà un phénomène réel et observable.

Voici mon dernier point: nous avons pour la première fois un projet de loi qui prévoit dans la loi canadienne la possibilité d'une sécession, avec les risques importants que cela comporte.

Premièrement, ce qui est prévu par la loi devient respectable. À une époque qui ne remonte pas plus loin que ma naissance, l'avortement, les jeux de hasard, l'homosexualité de même que les films et les sports le dimanche étaient tous considérés comme illégaux. Dans les trois premiers cas, il s'agissait de quelque chose qui était non seulement illégal, mais considéré comme très répréhensible. Toutes ces activités sont maintenant légalisées et considérées comme normales et respectables.

La loi suivait-elle en quelque sorte l'évolution de la société? Oui. Et le fait que la loi ait été modifiée a-t-il accéléré la vitesse à laquelle ces activités sont devenues respectables? Cela ne fait aucun doute. Je dis donc que le Projet de loi C-20 contribuera à rendre l'idée de la sécession respectable à l'extérieur du Québec.

Deuxièmement, nous avons en Colombie-Britannique un petit mouvement sécessionniste. D'après les derniers sondages, environ 15 p. 100 de la population estime que la province devrait examiner l'option sécessionniste. Il en est ainsi depuis 130 ans en Colombie-Britannique. L'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse a déjà voté une fois pour la sécession. L'Assemblée législative de la Colombie-Britannique l'a fait deux fois.

Troisièmement, les Britanno-Colombiens adorent le Canada, mais ils n'aiment pas Ottawa. Dans presque tous les dossiers où la capitale nationale a joué, elle est considérée comme faisant partie, non pas de la solution, mais du problème.

Ottawa ne fait que quatre choses importantes pour la Colombie- Britannique. Premièrement, Ottawa soutire environ 20,5 milliards de dollars chaque année à sa population et lui retourne 16 milliards de dollars, quand la province tient compte de sa part des dépenses relatives aux Forces armées, aux ambassades et à tout le reste. Il s'agit d'une perte nette équivalent à quelque 4 p. 100 de son PIB, et ce, pour une province dont le PIB par habitant n'est plus que de 95 p. 100 de la moyenne canadienne. Nous ne sommes plus une province nantie. Naturellement, le Québec, qui n'est pas non plus au nombre des provinces nanties, reçoit en subventions nettes l'équivalent d'environ 2 p. 100 de son PIB.

Si nous faisons abstraction des questions financières, Ottawa gère trois grands programmes en Colombie-Britannique: les Autochtones, les pêches et l'immigration. Les trois sont catastrophiques. Or, dans la structure parlementaire actuelle, la Colombie-Britannique n'a à peu près aucune influence à Ottawa, bien entendu, et il en sera ainsi tant que nos doléances nous amèneront à élire des députés de l'opposition. Ces trois programmes sont tellement mal gérés que même le gouvernement provincial en Colombie-Britannique—bien entendu, nous sommes célèbres pour nos hurluberlus politiques et nous en avons élus pas mal—ne pourrait faire pire. Les gens de la Colombie-Britannique le savent.

• 1630

En dépit de l'idée qu'ils ont d'Ottawa, les Britanno- Colombiens adorent le Canada, mais les liens qui nous unissent au Canada, il me semble, se fondent, non pas sur des considérations pratiques, mais sur le sentiment et l'inertie. La Colombie- Britannique a bien plus les moyens de devenir indépendante que le Québec.

Quatrièmement, le projet de loi C-20 s'appliquerait autant à la Colombie-Britannique qu'au Québec, mais la clarté du libellé ne ferait aucunement problème en Colombie-Britannique. Le projet de loi C-20 n'apporte rien au Canada, même si on fait appel aux considérations les plus théoriques qui soient, mais il lui enlève quelque chose. Il rend la séparation légale et la met ainsi sur la voie de la respectabilité. En adoptant ce projet de loi, comme vous le ferez sans doute, vous allumez la minuterie d'une bombe à retardement sur la côte Ouest du Canada que nous devrons tous essayer de désamorcer—mais pourquoi voulez-vous allumer la minuterie de la respectabilité de la séparation?

Ma conclusion? Le projet de loi C-20 n'apporte rien d'utile au Canada. Du côté négatif, il suscite un faux sentiment de sécurité, il polarise le dialogue civil et l'empoisonne donc et il déchaîne des forces imprévisibles à l'extérieur du Québec qui pourraient revenir nous hanter. Il vaut mieux oublier ce projet de loi.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Gibson.

Madame Meredith.

Mme Val Meredith: Merci, monsieur le président.

Étant de la Colombie-Britannique, je suis à même d'apprécier votre témoignage, monsieur Gibson. Je voudrais que vous nous parliez du projet de loi. Je sais que vous estimez qu'il vaut mieux l'oublier, mais le projet de loi ne fixe pas de barre. Vous avez fait allusion à la barre de 50 p. 100 plus un, en disant que, si le vote était favorable, elle serait certainement considérée comme un message dont un gouvernement, quel qu'il soit, pourrait très difficilement ne pas tenir compte. Pensez-vous qu'on tient suffisamment compte de cette possibilité en passant sous silence la règle du 50 p. 100 plus un ou en ne fixant pas de barre?

M. Gordon Gibson: Je répondrai de deux façons à cette question. Tout d'abord, je suis fermement d'avis que 50 p. 100 plus un change la donne. Dès que cette barre est atteinte, il y a forcément négociations, qu'on le veuille ou non. Dans ce sens, c'est peut-être... Je ne dis pas que la question est sans importance; elle est importante. Mais c'est vraiment de cette façon-là que je répondrais. Si j'étais à la place du gouvernement, je dois dire que je maintiendrais l'ambiguïté en ne fixant pas de chiffre.

Mme Val Meredith: Si vous étiez à la place du gouvernement, vous maintiendriez l'ambiguïté du...?

M. Gordon Gibson: Oui...

Mme Val Meredith: Et vous ne fixeriez pas de chiffre...?

M. Gordon Gibson: ...mais j'indiquerais très clairement qu'un résultat de 50 p. 100 plus un changerait la donne.

Mme Val Meredith: Très bien.

M. Gordon Gibson: Je ne partirais pas du principe que cela conduirait inévitablement au démantèlement du Canada. Vous êtes peut-être d'avis que le projet de loi ne conduit pas inévitablement au démantèlement du Canada, qu'il ne fait que conduire à des négociations. Je serais heureux d'en discuter avec vous, et peut- être que nous pourrions en arriver à un terrain d'entente.

Mme Val Meredith: Nous avons entendu beaucoup d'avis sur la signification qu'aurait le projet de loi. Certains disent qu'il n'en aurait aucune, que, même si les Québécois votaient oui à 95 p. 100, le gouvernement ne serait aucunement tenu de faire quoi que ce soit d'autre que d'engager des pourparlers. D'autres soutiennent qu'on n'acceptera jamais de négocier, que tout effort en ce sens serait voué à l'échec.

Nous avons aussi discuté de la question de savoir si, en supposant que le Canada puisse être divisé, le Québec puisse l'être aussi. Trouvez-vous cet argument valable ou pensez-vous qu'il vaut mieux éviter d'aborder ce sujet?

M. Gordon Gibson: Quand on ouvre la porte à un débat sur le territoire, c'est un trou noir encore plus grand qui s'ouvre. J'estime qu'il faut donner suite aux expressions très fortes de la volonté locale; tout le monde aurait intérêt à le faire. À mon avis, les limites territoriales sont une question très délicate et elles ne devraient pas servir de monnaie d'échange. À bien y penser, c'est une raison de plus de ne par parler du plan B. Cela nous mène à tellement de ruelles obscures. J'ai beaucoup écrit sur le sujet.

Dans le témoignage qu'il a présenté au comité, M. Dion a fait remarquer que le gouvernement fédéral serait en position de force advenant, par exemple, une déclaration unilatérale d'indépendance. Peut-être que oui, mais peut-être que non. Il y a beaucoup de possibilités dont il n'a pas fait mention dans son témoignage. Le seul avantage qu'il y a à discuter du territoire, à mon sens, c'est qu'on peut ainsi encourager tout le monde à éviter ce trou noir. Pour cette raison, j'accepte d'en parler, mais si jamais nous nous retrouvons face à ce trou, ce sera un fouillis catastrophique.

• 1635

Mme Val Meredith: On parle du principe autour de cette table qu'advenant que le Québec décide de se séparer du Canada, le reste du Canada, comme vous dites, continuerait à exister, sauf qu'il ne comprendrait plus le Québec. Voici ma dernière question: Croyez- vous que le reste du Canada demeurera intact, à part le fait que le Québec s'en trouvera séparé, ou pensez-vous qu'il y aurait des changements dans le reste du Canada, dans les autres régions du Canada?

M. Gordon Gibson: À mon avis, il est absolument impossible que le reste du Canada continue simplement avec la Constitution existante et avec le Québec en moins. J'estimerais à 50 p. 100 les chances que le reste du Canada continue à exister sous forme de confédération où les liens seraient plus ou moins étroits et à 50 p. 100 les chances qu'il serait divisé en deux ou trois autres États, dont la Colombie-Britannique, l'Alberta et l'Ontario seraient en tout cas viables. Quant aux autres, il faudrait qu'ils se trouvent des partenaires.

Mme Val Meredith: Merci.

[Français]

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président.

D'abord, j'aimerais remercier M. Gibson de sa présence devant ce comité. Il est un des derniers témoins que nous entendrons, le 38e, si je me rappelle bien. Il aurait dû y en avoir 45, mais il n'y en aura eu que 39.

Ce que j'ai toujours apprécié de Gordon Gibson, c'est son intérêt pour le Québec, mais un intérêt qui résulte de sa volonté de le comprendre, d'y aller, de parler aux Québécois et de savoir ce que pensent les Québécois en leur parlant, et pas seulement en se contentant de les connaître à travers les pages du Globe and Mail ou du Vancouver Sun ou du National Post maintenant. Je crois que c'est ce qui fait que vous n'êtes pas convaincu de la valeur de ce projet de loi, que vous êtes sans doute très conscient que, au Québec, il y a un consensus contre le projet de loi. Il n'y a pas unanimité.

Mon collègue Blaikie laisse entendre qu'il y a parfois des dissidences. Il est vrai qu'il y a des dissidences, il faut en convenir, mais il y a un très large consensus au Québec contre ce projet de loi, et sans doute dans vos récents périples au Québec, vous avez pu le constater.

Je suis content aussi de voir qu'ailleurs au Canada, il y a un observateur de la scène politique qui constate que les arguments de Stéphane Dion ne sont pas convaincants, que les arguments qu'il présente ici et ailleurs ne le convainquent pas, et parce qu'ils ne convainquent pas grand monde au Québec.

Ma question c'est, et je vais reprendre vos mots, monsieur Gibson, car je les trouve intéressants. Ça reprend un peu ce que notre ami Bachand ici dit souvent: «Le projet de loi C-20»—je reprends vos mots—donne «a sense of false security».

Mais j'aimerais vous entendre dire, et j'espère que vous allez pouvoir le dire, est-ce que vous trouvez que ça crée au Québec un sense of real disempowerment? On parle beaucoup d'empowerment maintenant, mais au Québec il y a ce sentiment que ce projet de loi est du disempowerment. M. Ryan a parlé de tutelle, de «tutelage». Est-ce que c'est votre sentiment, après avoir visité le Québec ces dernières semaines?

[Traduction]

M. Gordon Gibson: Je n'aurais certainement pas la présomption de vouloir ajouter quoi que ce soit à ce qu'a dit M. Ryan. J'ai lu son témoignage. J'en ai été très impressionné. Je souscris à presque tout ce qu'il a dit.

Il ne fait aucun doute que le projet de loi est, aux yeux des Québécois, une tentative de modifier le rapport de force, si c'est là ce que vous entendez par «disempowerment». Je ne sais pas si l'effort sera couronné de succès ou si... Je suppose que c'est ce sur quoi on mise. J'estime que cela s'apparente beaucoup à un coup de dés. Nous ne savons pas quel sera le résultat au bout du compte. Nous avons vu des résultats de sondages qui montrent une légère hausse de popularité pour le gouvernement. Par contre, la cause de la souveraineté demeure à un niveau très bas dans les sondages. Mais les sondages montent aussi facilement qu'ils baissent. Il est encore trop tôt pour savoir quel sera l'effet selon moi.

[Français]

M. Daniel Turp: Vous êtes l'auteur, monsieur Gibson, d'ouvrages intéressants. J'ai beaucoup aimé Thirty Million Musketeers. Vous avez longtemps fait la promotion de votre plan A. Qu'est-ce que vous pensez du plan B de Stéphane Dion et de son aboutissement par le projet de loi C-20?

[Traduction]

M. Gordon Gibson: Je ne connais pas tous les détails du plan B de M. Dion. J'ai dit ce que je pensais du projet de loi C-20. Pour ma part, je préfère certainement le plan A. Ce qu'il faudrait, à mon avis, c'est une décentralisation massive. Je ne peux pas en dire plus.

[Français]

M. Daniel Turp: Est-ce que je peux me permettre, monsieur le président?

Mais il me semble que le plan B, c'était quelque chose qui avait plusieurs dimensions: tout le débat sur l'intégrité territoriale, tout le débat sur le refus de laisser parler les Québécois sur la scène internationale, de les contredire sur la scène internationale, et maintenant le projet de loi C-20.

• 1640

Est-ce que vous croyez que ça contribue à permettre qu'un plan A, que ce soit le vôtre ou les autres, ait des chances de recevoir l'adhésion des Québécois?

[Traduction]

M. Gordon Gibson: Je crois qu'un plan A qui miserait fortement sur la décentralisation aurait des chances d'être bien accueilli au Québec—du moins, c'est ce que nous disent les sondages. C'est ce que nous dit le sondage Léger et Léger que Lisée cite dans son dernier ouvrage. Ce qui sera encore bien plus difficile, c'est d'obtenir l'aval d'Ottawa pour un plan A qui offrirait une réforme en profondeur.

M. Daniel Turp: L'aval du Parti libéral?

M. Gordon Gibson: Je ne parle que de la ville. Il y a bien des gens ici que je ne connais pas.

Des voix: Ah, ah!

[Français]

M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Merci, monsieur le président.

Je dois dire, même si ce n'est pas la première fois que je me trompe, que je m'attendais en quelque sorte à ce que M. Gibson vienne ici appuyer le projet de loi C-20, si bien que je suis surpris—ni agréablement ni désagréablement. C'est ainsi. Parfois, on pense que les gens auront une certaine opinion et il se trouve qu'on se trompe.

Il a commencé par parler du reste du Canada et de la difficulté qu'éprouvent les politiques du reste du Canada face au projet de loi C-20.

Je pense que nous avons eu un bon exemple de cela hier—quand M. Clark a tenu des propos qui ne sont pas sans rappeler les vôtres. Le Parti réformiste a fait venir M. Lowther, adversaire éventuel de M. Clark à Calgary-Centre, qui allait apparemment mener la vie dure à M. Clark, accusant celui-ci d'appuyer en quelque sorte les séparatistes. Je pense que cela est le présage du type d'atmosphère politique auquel vous avez fait allusion tout à l'heure.

Cependant, je serais curieux de savoir si votre objection au projet de loi C-20 ne tient pas, en partie, au fait qu'il s'applique à toutes les provinces, et non seulement au Québec. Je me demande également si cela n'est pas le résultat du principe de l'égalité des provinces. De toute évidence, à un moment donné dans le coeur du débat sur la séparation du Québec, les Canadiens ont dû tenir pour acquis que seul le Québec cherchait à se séparer du reste du pays. Vous ne pensiez certainement pas au Manitoba, à la Colombie-Britannique ou à une autre province.

Pourtant nulle mention n'est faite du Québec dans le projet de loi dont nous sommes saisis: on y parle des provinces. C'est l'une des conséquences involontaires, si vous voulez, pour reprendre votre propre expression, de l'insistance sur l'égalité des provinces, principe qui remonte aux années Trudeau et qui caractérise la mentalité réformiste. C'est pourquoi nous ne pouvons même pas imaginer un projet de loi C-20 qui soit asymétrique, c'est-à-dire un projet de loi qui ne s'applique qu'au Québec.

Cela n'aurait-il pas été préférable? N'aurait-on pas ainsi soustrait le reste du Canada, comme vous le dites si bien, à cette bombe à retardement?

M. Gordon Gibson: À mon avis, l'asymétrie au plan opérationnel ne pose pas de problème, mais au plan juridique, elle n'est presque jamais justifiable, et je ne voudrais pas l'inclure dans ce projet de loi non plus.

M. Bill Blaikie: Pour revenir à votre plan A, le problème tient en partie au fait que... J'en ai déjà parlé. Pour notre part, au NPD, nous avons récemment effectué un exercice au terme duquel nous avons élaboré notre propre version du plan A. Je pense que notre parti n'est pas le seul à avoir fait du bon travail. Mais le problème, c'est que nous ne nous entendons pas sur ce qu'est un bon plan A. Votre plan A est probablement trop décentralisateur pour moi, et le plan A du NPD comporte des aspects que vous n'aimerez pas. Quant à eux, les libéraux n'ont pas de plan A, mais de toute façon, c'est une autre histoire.

Il me semble que le véritable problème est d'essayer de satisfaire la dimension symbolique et constitutionnelle des aspirations du Québec au sein du Canada, qui parfois est... On l'a déjà appelée.

[Français]

deux nations.

[Traduction]

On a déjà parlé de statut spécial. On a parlé de société distincte. Dans la déclaration de Calgary, on a parlé de caractère unique. On a parlé de toutes sortes de choses. Votre plan A prévoit-il quelque chose de ce genre? Essaie-t-il de répondre à ce besoin? Ou proposez-vous tout simplement une sorte de décentralisation uniforme où il n'en serait pas question.

• 1645

M. Gordon Gibson: Mon plan A comporte trois grands aspects. Le premier concerne les institutions de la fédération. Le deuxième a trait à l'équilibre des pouvoirs et le troisième est ce que j'aime à appeler la sécurité et l'identité constitutionnelles.

À mon avis, il y a deux façons d'envisager le Canada—et je vais utiliser une analogie du monde des affaires. Scénario un: le Canada est une fusion des parties qui le composent, lesquelles disparaissent et fondent leur identité. Scénario deux: le Canada est une coentreprise où les parties qui le composent gardent dans une certaine mesure leur identité et jouissent notamment, comme tout avocat qui négocie des ententes de coentreprise le sait, du droit de veto sur les décisions importantes. Selon moi, le Canada a évolué davantage dans le sens d'une coentreprise. Par conséquent, il me semble que le veto constitutionnel est quelque chose d'important, que j'appuie. Soit dit en passant, je pense que la formule proposée par le Parlement du Canada n'est pas si mauvaise.

Puis, on passe à la question de l'expression de l'identité. Comment peut-on le faire sans asymétrie?

La solution que je propose—et nous pouvons débattre de son efficacité—est une décentralisation poussée, une délégation complète des pouvoirs linguistiques à toutes les provinces, par exemple. Ce pouvoir ne sera peut-être utilisé que par une seule province, mais au moins nous aurons maintenu la symétrie juridique et donné plus de latitude à la province canadienne qui se préoccupe le plus d'un aspect en particulier et qui voudrait s'en occuper. Même si le Québec obtenait tout ce qu'il voulait, cela le satisfera-t-il et le persuadera-t-il qu'il peut être traité sur un pied d'égalité avec les autres provinces? Je l'ignore. Il me semble que c'est la logique même, mais les gens ne sont pas logiques en politique. C'est la meilleure solution que je puisse proposer.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Merci, monsieur le président. Merci beaucoup, monsieur Gibson, d'être ici. Je le disais aujourd'hui et je le dis à peu près tous les jours, ce n'est pas évident pour un parti fédéraliste d'être contre le projet de loi. On a des bonnes journées; on a des moins bonnes journées. Parfois ça va bien; parfois ça va mal. C'est sûr que le combat va se continuer au Sénat, c'est sûr. On ne lâchera pas.

Juste pour aller dans la même direction que M. Blaikie sur un élément... Vous disiez que c'était une bombe à retardement, C-20, pour l'ensemble des provinces. Le mot «Québec», effectivement, n'apparaît pas dans le coeur du projet de loi et je l'ai soulevé en Chambre à quelques reprises dans le discours sur C-20. Essentiellement, c'est que les libéraux ont compris une chose. C'est que si le projet de loi était axé uniquement sur Québec, même si le titre parle du Québec, même si le préambule parle du Québec, même si l'opinion de la Cour suprême parle du Québec, ce n'était pas une bombe à retardement. C'était une bombe, dans le sens politique du terme, immédiatement, qu'il mettait au Québec. La réaction aurait été absolument virulente parce que leurs sondages ont démontré que le mot «Québec» dans le coeur d'un projet de loi serait vu comme un geste direct des fédéraux à l'intérieur d'une décision du Québec provincial. Alors, ils ont eu, comme mon grand-père disait, les couilles molles—je ne sais pas comment cela va être traduit—face à cette question-là et ils ont décidé de noyer le poisson au niveau du projet de loi.

L'autre élément. Vous êtes quelqu'un de l'Ouest canadien. Je dois vous dire que vous parlez des provinces. Il est absolument aberrant de voir de quelle façon votre province, les provinces au pays, n'ont pas réalisé à quel point leur juridiction, leur pouvoir constitutionnel était dilué. Il laisse aller un pan complet entre les mains du gouvernement fédéral, entre les mains de 160, 155 députés fédéraux. C'est le gouvernement fédéral, monsieur Gibson, qui va décider si la question est claire, si la majorité est claire, qui va vous dire, en Colombie-Britannique: «Vous négociez ou vous ne négociez pas.» C'est le fédéral qui va vous dire cela, alors que la Cour suprême dit que ce n'est pas comme cela que ça doit être.

Moi, j'aimerais vous demander—je sais que cela ne se discute pas toujours dans les Tim Horton dans l'Ouest canadien, cette question-là du C-20—, mais quel message pouvez-vous dire aux gens du ROC, du reste du pays à propos de C-20? Vous dites que c'est très populaire. Tout le monde est pour la vertu, la clarté, la majorité claire, etc. Quel message pourriez-vous nous aider à lancer aux gens de l'extérieur du Québec ou de partout au Canada, finalement, sur la non-utilité du projet de loi C-20?

• 1650

[Traduction]

M. Gordon Gibson: Pour votre gouverne, je vous dirai tout d'abord qu'en Colombie-Britannique, le fait que ce projet de loi puisse d'une certaine façon circonscrire toute question référendaire éventuelle ne nous pose pas de problème, puisque tout séparatiste de la Colombie-Britannique poserait la question suivante: «Voulez-vous quitter le Canada?», et je pense que c'est une question claire.

Il ne circonscrit pas non plus la chose que nous aimerions le plus faire, à savoir profiter de la partie de la décision de la Cour suprême du Canada qui précise que les autres partenaires de la Confédération devront avaliser toute initiative constitutionnelle. Le projet de loi ne fait rien de tel, et c'est pourquoi la question ne se pose pas.

Quelle opinion la plupart des gens en Colombie-Britannique ont-ils du projet de loi C-20? Eh bien, laissez-moi vous dire que la plupart d'entre eux n'y pensent même pas, mais ceux qui y ont réfléchi ont tendance à féliciter le gouvernement fédéral. Enfin, disent-ils, on met les choses au clair avec le Québec.

Voilà, en partie, la polarisation dont je parlais plus tôt. Ce n'est pas quelque chose de nouveau ni d'utile qu'il convient d'apporter à une relation.

M. Claude Bachand: Merci, monsieur.

Le président: Monsieur Alcock.

M. Reg Alcock: Je vous remercie, monsieur le président.

Je vous remercie également, monsieur Gibson. C'est toujours intéressant de rencontrer un ancien collègue libéral de l'Ouest. Je suis moi-même de l'Ouest, quoique moins à l'ouest que vous. Vous avez une façon de vous exprimer que je trouve très utile, puisque vous créez des histoires ou des images. Vous avez une façon intéressante d'aborder les questions, mais j'essaie tout simplement de comprendre quelle est votre position.

Vous avez commencé par dire que vous pensez que la décision de la cour était une décision raisonnable, et qu'elle était suffisante, que nous n'avions pas besoin de ce projet de loi. Ensuite, vous avez décrit un scénario qui pourrait se produire, si on devait voter en faveur de la séparation au Québec, en invoquant l'image de Paul Martin au téléphone en train de dire à un banquier de New York «écoutez, j'ai cette arme infaillible, ce projet de loi», et en fin de compte, les gens qui s'empressent de vendre le huard.

Il me semble que si vous acceptez la décision de la Cour suprême, l'autre scénario envisageable est la tenue d'un référendum, légitimé par la décision de la Cour suprême, que vous appuyez—une question claire, un vote clair, une obligation de négocier, une obligation de s'asseoir à la table des négociations—, et c'est le pire scénario. Ni cadre de discussion, ni participation des partenaires. Rien de prévisible, et je sais pertinemment que New York, Londres, Zurich et Tokyo aiment ce qui est prévisible.

Lequel d'après vous serait le pire scénario?

M. Gordon Gibson: Toutes les analyses que j'ai faites de la situation me portent à croire que si on devait avoir un référendum qui remet en question la continuité du Canada, la conjoncture financière deviendrait tellement difficile qu'elle exigerait une résolution très rapide des questions.

Mais le problème, comme vous le dites, c'est que les modalités de négociation sont inconnues. Souvenez-vous de la célèbre question de Pierre Trudeau: «Qui parle au nom du Canada?» Une fois qu'on aura voté en faveur de la séparation à 50 p. 100 plus un, un premier ministre originaire du Québec n'a-t-il plus le droit de parler au nom du Canada? Devra-t-il former un gouvernement de coalition? Devra-t-il former un conseil des premiers ministres?

Nous avons donc de graves problèmes mécaniques, et une demande extérieure nous dit qu'il faut agir sans tarder pour les régler, sinon on vend le huard et on ne le rachète plus. Par conséquent, les taux d'intérêt grimperont et les choses deviendront d'autant plus difficiles.

C'est pour cette raison que je pense que nous devrions entamer des discussions, à l'avance, et élaborer un modèle de solutions dans l'éventualité d'une victoire du oui.

Je ne veux pas créer de remous, ni être alarmiste, mais en 1995, le gouvernement fédéral n'avait pas de plan d'urgence, à l'exception de ce qui existait déjà dans les coffres de la Banque du Canada, où l'on avait déjà prévu quelque chose. Cela ne doit plus jamais se reproduire, car si on doit se retrouver dans une telle situation de nouveau, ce n'est pas une loi sur la clarté de la question référendaire qui nous tirera d'affaire. Ce sera grâce à la prévoyance de quelqu'un et au fait qu'on aura défini exactement comment régler ces problèmes et qui seront les acteurs. On sera prêts à agir.

M. Reg Alcock: Mais étant donné que vous acceptez la décision de la Cour suprême et son avis sur la question référendaire et la majorité, n'y a-t-il pas un problème si l'on ne dispose pas d'un mécanisme qui permette de définir ces choses au moment du vote? Cela n'ajouterait-il pas à la confusion?

• 1655

M. Gordon Gibson: Vous dites que j' «accepte» la décision de la Cour suprême. Je ne savais pas que j'avais le choix.

M. Reg Alcock: Oh, quelle bonne réponse!

M. Gordon Gibson: Non, en fait, il y aura véritablement de la confusion une fois que l'on se mettra dans ce guêpier. Comment s'en sortir alors? Le projet de loi sur la clarté de la question référendaire précise clairement que le Québec peut poser la question qu'il veut, si jamais on en est rendu là, et il obtiendra une réponse. C'est la réalité à laquelle nous faisons face. Il faudra composer avec, et il faudra le faire très vite.

M. Reg Alcock: [Note de la rédaction: Inaudible]...pour entamer des négociations sur une question quelconque.

M. Gordon Gibson: Ottawa négocierait si elle était obligée de le faire. Qu'importe l'objet des négociations. Si les choses se mettent à tourner très rapidement au vinaigre, tout le monde se sentira alors obligé de négocier.

M. Reg Alcock: Vous avez bien dit «si».

Monsieur le président, je crois que M. Cotler s'intéresse également à cette question.

Le président: Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler: Monsieur Gibson, je trouve que votre exposé en est un qui donne à réfléchir et qui nous interpelle. Il nous faudrait bien plus de temps pour en débattre en profondeur.

Je veux revenir sur un aspect de votre exposé, et c'est quand vous dites que vous vous opposez à ce projet de loi car, entre autres choses, il légitime le droit de faire sécession. Êtes-vous en train de nous dire que le Québec n'a pas le droit à l'autodétermination ni à la sécession, ou que le droit de faire sécession devrait pas faire partie de notre Constitution?

Vous avez en outre dit que la décision de la Cour suprême était suffisante. Or, même sans ce projet de loi, la Cour suprême a déjà légitimé le projet sécessionniste sous certaines conditions. Je ne comprends pas pourquoi vous dites que le «projet de loi» légitime ce processus, alors que l'on sait que le processus a déjà été légitimé par la Cour suprême.

M. Gordon Gibson: En effet, la Cour l'a bel et bien fait. Vous avez raison. Je ne réfute pas votre point de vue, ni celui de M. Dion, qui l'a exprimé officiellement, que le Canada est l'un des rares pays du monde qui reconnaît aux parties qui le composent le droit, sous certaines conditions, de se séparer.

Je veux simplement dire qu'un geste positif de la part du gouvernement du Canada visant à expliquer la manière de procéder lui donne un degré de respectabilité supplémentaire qui, à mon sens, est malheureux.

M. Irwin Cotler: Si l'on doit parler d'un degré de respectabilité, je pense que la décision de la Cour suprême du Canada l'a déjà apporté. Et je dirais que cela nous amène au point suivant, à savoir que si on reconnaît le droit à l'autodétermination et à la sécession, ne convient-il donc pas d'avoir un code de conduite défini dans une loi? En d'autres mots, la Cour suprême a déjà confirmé le droit fondamental à la sécession de même qu'elle a établi les normes procédurales. Par conséquent, le gouvernement fédéral est obligé de négocier si la question sur la sécession est claire et si une majorité claire y souscrit.

La Cour suprême ayant déjà confirmé le droit fondamental à la sécession, ayant établi les normes procédurales et ayant précisé qu'il appartient maintenant aux acteurs politiques de déterminer si la question et la majorité sont clairs, le gouvernement fédéral, étant l'un des acteurs politiques désignés, n'a-t-il pas le droit sinon l'obligation, comme de nombreux constitutionnalistes qui ont comparu devant le comité l'ont déjà dit, y compris Peter Hogg, d'énoncer les principes de la clarté définis par la Cour suprême sous forme d'un cadre juridique ou de modalités pour la négociation de la sécession?

M. Gordon Gibson: Nous pourrions avoir un débat utile à ce sujet, monsieur Cotler, si nous pouvions trouver une façon de tout régler, de déterminer qui participera aux négociations, d'annoncer la création d'un conseil des premiers ministres qui se réunira à telle date, de dire que l'on nommera un arbitre international qui sera chargé d'examiner la dette, et ainsi de suite.

Si vous pensiez judicieux d'entrer dans les détails des modalités, je me ferai un plaisir d'engager un débat intellectuel avec vous. Je pourrais même être d'accord avec vous à la fin du débat, quoique je n'en sois pas si sûr. Cela dit, la Cour suprême a établi des lignes directrices très générales, et je crois qu'il est imprudent de la part du gouvernement de vouloir aller plus loin. Je pense qu'on aurait dû se contenter de dire merci et au revoir.

À mon avis, il aurait été plus sage de la part du gouvernement de ne pas solliciter l'avis de la Cour suprême, car on ne sait jamais à quoi s'attendre. D'ailleurs, le gouvernement a été surpris au bout du compte. Quoi qu'il en soit, c'est là où nous en sommes maintenant. Je pense tout simplement qu'on n'aurait pas dû réveiller le chat qui dort.

Le président: Monsieur Gibson, je sais que vous devez nous quitter, mais M. Hill a une question; à moins que ce ne soit une observation.

M. Grant Hill: Est-ce que vous devez absolument nous quitter maintenant?

Le président: Il y a un taxi qui attend dehors.

M. Gordon Gibson: J'ai tout le temps qu'il faut.

Le président: Très bien alors, allez-y.

M. Grant Hill: Il y a une question qui me semble être d'une importance capitale, mais que vous n'avez pas abordée. La question du dernier référendum était ambiguë et déroutante pour bien des esprits. Pour sa part, la Cour suprême a précisé qu'une question claire est une condition sine qua non des négociations.

• 1700

Pour imparfait qu'il est, ce projet de loi—et je pense qu'on peut pousser votre critique plus loin—nous garantira une question référendaire plus claire que celles que nous avons eues jusqu'à présent. De même, la discussion et le débat que nous avons entamés autour de cette table et dans les quotidiens, notamment Le Devoir, nous garantiront une meilleure question référendaire, et ce, qu'importe l'issue de tout ce dossier.

Qu'en dites-vous?

M. Gordon Gibson: Je suis d'accord avec pour dire que le débat est très utile. Par contre, je ne crois pas que le projet de loi améliorera, somme toute la question référendaire, car je maintiens que si une question référendaire est imprégnée un tant soit peu de souveraineté et qu'elle obtient plus de 50 p. 100 plus un des voix, nous nous retrouverons en terrain absolument inconnu et qui soit ce qui se produira. Ce que je peux vous dire, en revanche, c'est qu'il y aura une perte considérable de contrôle à partir de là.

Je ne pense pas que le projet de loi apporte quoi que ce soit de nouveau, mais le débat a certainement été formidable.

M. Grant Hill: Étant donné que je fais confiance aux Québécois, qui sont des gens démocratiques et qui respectent bien la démocratie, j'ose croire qu'à cause de ce débat, il y aura une question bien différente de celles que nous avons eues jusqu'à présent. J'en suis certain, et c'est pourquoi je pense que même si le projet de loi n'avait pas de suite, nous nous retrouverions avec une question différente de celles que nous avons eues jusqu'à présent.

Des voix: Bravo!

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Est-ce que j'ai bien entendu que the bill pourrait être set aside, si j'ai bien compris? C'est une bonne nouvelle qu'on apprend des réformistes, et justement, je pense que monsieur Hill, vous avez raison. C'est une question de confiance dans un peuple, dans sa capacité de déterminer lui-même son avenir comme il a cherché à le faire et qu'il l'a fait jusqu'à maintenant, son appartenance à la fédération. Est-ce que justement la confiance ne se gagne pas par le respect plus que par des lois? Monsieur Gibson, est-ce que la confiance ne se gagne pas par le respect plutôt que par des lois?

[Traduction]

M. Gordon Gibson: Monsieur Turp, je ne sais pas vraiment ce que vous me demandez. Manifestement, la confiance vaut mieux que le mensonge. Je suis d'accord avec vous là-dessus. Mais j'avoue que je ne sais pas à quoi rime tout cela.

[Français]

M. Daniel Turp: Je ne sais pas si vous avez compris.

[Traduction]

Je crains que vous n'ayez mal entendu l'interprétation. C'est bien de lois que je vous parle.

M. Gordon Gibson: Ah, je vois.

M. Daniel Turp: La confiance des Québécois ne se gagne-t-elle pas par le respect plutôt que par des lois?

M. Gordon Gibson: Je crois que le respect est à la base même de la loi—respect mutuel et consentement mutuel des gouvernés. C'est le fondement d'une société civile. Il n'y a pas de doute là- dessus.

Si vous êtes en train de me dire que cette mesure législative ne renforce pas le degré de confiance, je suis d'accord avec vous. Je vous dirai ce que je dis toujours: on renforce la confiance davantage en étant disposé à entamer un dialogue sur le renouvellement de la fédération. Il faut reconnaître la difficulté, les complexités, et comprendre que toutes les parties concernées craignent que si elles ne cachent pas leur jeu, quelqu'un pourrait les exploiter. Mais cela fait plus d'une génération que cette question paralyse notre pays. Toute ma vie j'ai été témoin de ce débat politique, j'ai vu ce fichu problème gaspiller l'énergie de tous nos dirigeants et paralyser notre pays. Il me semble qu'il est temps de faire quelque chose de mieux. À mon avis, il faut envisager quelque chose qui s'aligne sur le plan A et non sur le plan B.

M. Daniel Turp: Trouvez-vous que ce projet de loi favorise le dialogue entre le Canada et même les fédéralistes du Québec?

M. Gordon Gibson: J'ai déjà dit que ce projet de loi a un effet polarisant et empoisonne donc le dialogue.

M. Daniel Turp: Merci.

Le président: Merci, monsieur Gibson, d'être venu aujourd'hui. J'espère que vous ne raterez pas votre vol. Nous avons appelé un taxi pour vous, et j'espère qu'il vous attend dehors.

M. Gordon Gibson: Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Merci encore pour votre témoignage. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous avez pris pour venir nous voir.

• 1705




• 1707

Le président: Nous allons maintenant reprendre nos délibérations.

Notre témoin suivant est Frances Abele, professeure à l'École d'administration publique de l'Université Carleton.

Je vous remercie beaucoup d'être venue cet après-midi, madame Abele. Nous vous en sommes reconnaissants. Je pense que vous êtes notre dernier témoin de l'après-midi.

Je ne sais pas si vous êtes au courant de notre règlement, mais vous avez droit à 10 minutes pour faire votre exposé, après quoi les députés vous poseront des questions pendant un maximum de 35 minutes.

Sur ce, vous avez la parole.

Mme Frances Abele (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup.

Je vous remercie de bien vouloir m'entendre à la fin d'une très longue journée. Je voudrais vous parler de lois, notamment du projet de loi dont vous êtes saisis et de ses conséquences pour les Autochtones.

Pendant la majeure partie du XXe siècle, les gouvernements canadiens et une bonne partie des Canadiens et Canadiennes en général ont traité avec les peuples autochtones de l'une de deux façons. Je pense que la plupart des gens supposent que les peuples autochtones sont voués à l'extinction, qu'ils n'existeront plus en tant que peuple et qu'ils seront assimilés à la société canadienne.

Des politiques fédérales en général et certaines politiques provinciales, en particulier, sont allées encore plus loin. Des efforts conscients ont été déployés dans le but de détruire les institutions traditionnelles de gouvernance, de religion et de transmission culturelle et dans le but d'assimiler des individus, notamment les enfants, à la société canadienne dans son ensemble.

Ainsi, on a proscrit les cérémonies sacrées et on les a reléguées à la marge de la société, tout en s'affairant à empêcher les enfants autochtones d'apprendre leur propre langue et d'acquérir les habilités qui ont permis à leurs ancêtres de survivre.

Avant la modification de la Loi sur les Indiens au début des années 50, les Indiens n'avaient pas le droit de ramasser des fonds à des fins de représentation politique collective. Dans bien des endroits, les Indiens vivant dans les réserves devaient obtenir d'un agent des sauvages un laissez-passer pour aller travailler hors réserve moyennant un salaire. Jusqu'en 1960, les Indiens inscrits n'avaient pas le droit de voter lors des élections fédérales sous prétexte qu'on ne pouvait pas être à la fois Autochtone et Canadien.

Le gouvernement fédéral s'est récemment excusé pour cet épisode de notre histoire dans la déclaration de réconciliation qui faisait partie de la réponse au rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones. Le reste de la réponse du gouvernement fédéral, contenu dans le document intitulé Rassembler nos forces, cherche à définir des mesures précises qui devront être prises pour établir une relation plus saine entre les peuples autochtones et le reste du Canada.

• 1710

Dans la réponse fédérale au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones et les énoncés de principe des autres gouvernements, y compris celui du Québec, on reconnaît que les luttes politiques des 30 dernières années ont fait changer les choses.

Au Canada, nous nous sommes engagés dans une expérience courageuse en ce sens que nous reconnaissons le droit des Autochtones à l'autonomie gouvernementale au sein même du pays. Cette entreprise complexe, difficile et risquée a captivé l'attention du monde.

La création du Territoire du Nunavut, la signature du traité Nisga'a et les progrès réalisés par les institutions du Nunavik ainsi que nombre d'autres initiatives témoignent de la bonne volonté dont on fait preuve quand on reconnaît la diversité des nations, des peuples et des collectivités autochtones et leur droit à l'autonomie gouvernementale.

Toute cette entreprise respecte l'esprit du rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones, dans lequel on recommandait la renégociation d'une relation basée sur le respect et axée sur l'avenir entre les peuples autochtones et le reste du Canada.

C'est dans l'esprit de cette politique que le gouvernement du Québec reconnaît depuis 1984 l'existence et les droits des nations autochtones se trouvant au Québec. C'était le premier gouvernement provincial à le faire.

Étant donné les importants progrès réalisés au cours des dernières décennies, il est paradoxal et étonnant de constater que le projet de loi C-20 ne prévoit pas que les peuples autochtones sont des partenaires à part entière dans les discussions et les négociations qui auront une incidence fondamentale sur leur vie. Pourtant, les principes de la négociation et du consentement du gouvernement sous-tendent ce projet de loi.

Certes, le débat a été houleux au sujet du projet de loi et de différents points qui s'y rapportent, notamment la façon de déterminer ce qu'est une majorité claire. Il est vrai également que le projet de loi C-20 n'envisage pas d'assimilation forcée ni de domination ethnique—sauf, évidemment, quand il s'agit des Autochtones vivant au Québec, dont le destin sera décidé par d'autres.

Il est par conséquent impératif que l'on amende le projet de loi pour faire en sorte que le droit de consentir au gouvernement et le droit de négocier soient également applicables aux nations autochtones. Cela signifie qu'elles devront être des partenaires à part entière à toutes les étapes des négociations décrites dans le projet de loi.

Je pense que des amendements de ce genre vont dans le sens de la Loi constitutionnelle. En effet, ils ne font qu'exprimer la quintessence de la Constitution. Ils sont en outre conformes aux politiques fédérales et provinciales.

En guise de conclusion, je voudrais vous lire un court extrait de la déclaration de réconciliation:

    La réconciliation est un processus continu. Pour renouveler notre partenariat, nous devons veiller à ce que les erreurs ayant marqué notre relation passée ne se répètent pas. Le gouvernement du Canada reconnaît que les politiques qui cherchent à assimiler les Autochtones, tant les femmes que les hommes, n'étaient pas la meilleure façon de bâtir un pays fort. Nous devons plutôt continuer à trouver des solutions qui permettront aux peuples autochtones de participer pleinement à la vie économique, politique, culturelle et sociale du Canada tout en préservant et en améliorant les identités des collectivités autochtones.

Tout ce que j'ai à vous dire à ce sujet, c'est que la déclaration de réconciliation a marqué le début d'un processus, un processus national important, et ce n'est pas le moment d'abandonner.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci beaucoup pour cet exposé, madame Abele.

Mme Meredith sera la première à vous poser des questions.

Mme Val Meredith: Merci, monsieur le président.

Merci, madame Abele, d'être venue. De toute évidence, vous vous préoccupez du fait que le projet de loi C-20 ne prévoit pas la consultation de la communauté autochtone, ni de la communauté inuit. Y a-t-il d'autres aspects du projet de loi qui vous inquiètent? Par exemple, le fait que l'on n'ait pas défini ce qui constitue une majorité claire et une question claire?

Mme Frances Abele: Je suis venue ici par que j'avais une mission à accomplir. Je suis venue vous parler de la participation des premières nations et des Inuits. J'ai une opinion sur les autres aspects, mais je sais que vous avez entendu de nombreux témoins à ce sujet, et je ne crois pas avoir tellement de nouvelles choses à ajouter.

• 1715

Cela dit, je vous prie instamment de vous pencher sur la question constitutionnelle que j'ai soulevée au sujet de la participation. Je ne parlais pas que d'une consultation mais également de la participation.

Le modèle en serait le processus de traités par lequel on a inauguré les rapports entre le Canada et les premières nations, et entre le Québec et les premières nations. C'est sur un tel modèle de négociation de nation à nation, ainsi que sur le principe de libre négociation que j'aimerais attirer votre attention.

Mme Val Meredith: Si grâce à un référendum, le Québec obtient le mandat de négocier sa sécession du Canada, estimez-vous que les premières nations devraient elles aussi être en mesure de négocier en tant que «nation», pour reprendre votre terme, afin de quitter la province de Québec et de demeurer au sein du Canada?

Mme Frances Abele: Oui. Les Autochtones ont au moins les mêmes droits que la population du Québec.

Mme Val Meredith: Plus tôt aujourd'hui, dans certains témoignages, on nous a dit que les collectivités autochtones, et particulièrement celles qui ont signé la Convention de la Baie James et du Nord québécois, ont renoncé à leurs droits fonciers dans le processus de traités, ce qui pourrait mettre en doute leur titre de propriété, dans le cas où ils voudraient que leurs territoires soient exclus ou qu'ils continuent à faire partie du Canada.

Aimeriez-vous faire une remarque là-dessus?

Mme Frances Abele: Oui. À mon avis, la Convention de la Baie James et du Nord québécois doit être jugée comme un traité moderne. Elle est donc protégée par la Loi constitutionnelle de 1982, et reconnue par elle. Or ce traité établit les conditions de l'entente intervenue entre les peuples Cris et Naskapi du nord du Québec et les autres signataires de l'entente. Aucun des signataires n'a renoncé à son identité autochtone.

Mme Val Meredith: Non, mais ils ont permis l'extinction de leur droit de propriété, ou tout au moins de leur revendication d'un droit de propriété, parce qu'il y a eu extinction des titres de propriété.

Mme Frances Abele: Certains des droits fonciers ont été éteints. Toutefois, les négociations ont tiré au clair ce qu'on entend par un titre de propriété foncière. Certains des territoires d'origine des Autochtones demeurent leur propriété en droit, mais dans d'autres cas, ils ont convenu de les partager.

Mme Val Meredith: En ce cas, vous vous trouvez à répondre qu'en vertu de la Convention de la Baie James, les Autochtones n'ont pas accepté de céder tous leurs droits inhérents.

Mme Frances Abele: Non, ils n'ont pas convenu de laisser abolir aucun de leurs droits inhérents. Après négociation avec les autres parties prenantes, ils sont arrivés à une entente relative à ces mêmes droits fonciers et à d'autres questions de nature politique.

Mme Val Meredith: Merci.

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Monsieur le président, je n'ai pas de question pour l'instant.

[Traduction]

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Je me réjouis que le professeur Abele ait eu l'occasion de tirer cela au clair au sujet de la Convention de la Baie James, parce qu'on a dit à quelques reprises que des droits avaient été cédés. En fait, il s'agit d'un traité, et l'un des signataires à ce traité est le gouvernement fédéral, qui avait pour vis-à-vis les Cris de la Baie James et les Naskapi. Dans la mesure où la sécession du Québec exigerait qu'on modifie le traité, il serait indispensable que toutes les parties signataires y consentent.

En conséquence, cette convention et sa constitutionnalisation aux termes de l'article 35 de la Constitution font des peuples autochtones du Québec un intervenant politique protégé par la Constitution. C'est pour cela que je suis resté tellement interloqué lorsque par le ministre des Affaires intergouvernementales, au début de ce processus, a dit que la raison pour laquelle il n'avait pas inscrit les Autochtones sur la liste des gens et organismes à consulter était qu'ils ne sont pas des parties prenantes protégées par la Constitution. Cependant, pressé de questions, il a admis avoir inclus les Territoires, qui eux n'ont pas besoin d'être consultés lorsqu'il s'agit d'adopter une modification constitutionnelle. On s'est donc demandé à quoi pensait vraiment le ministre, à part le fait qu'il vous avait probablement omis, comme cela arrive tellement souvent.

Pour ma part, l'histoire se répète. Si on parle encore, malheureusement, des droits autochtones «actuels», c'est parce qu'en 1982, ils ont été ajoutés à la dernière minute. Or s'ils sont là, c'est que lors de discussions constitutionnelles antérieures, le NPD a insisté pour qu'on reconnaisse les droits des Autochtones en échange de son appui au rapatriement de la Constitution.

• 1720

En dépit de cela cependant, bon nombre d'années plus tard, l'histoire se répète. J'espère tout au moins que cela voudra dire que le gouvernement libéral inscrira vos droits dans le processus, tout comme il l'a fait après avoir d'abord négligé de s'en acquitter au moment du rapatriement de la Constitution. Quoi qu'il en soit, nous n'en sommes pas encore là dans ce processus, et le gouvernement libéral actuel ne semble pas avoir envie de fonder le projet de loi sur une légitimité plus vaste, comme le souhaitait le premier ministre Trudeau à l'époque, lorsqu'il cherchait à rallier le plus de partis politiques possible pour légitimer son entreprise.

En l'occurrence, le gouvernement semble plus déterminé à agir seul, à se passer d'amendements, et paraît plus fermé à cet égard. Je me réjouis donc de votre présence ici et de la mission que vous avez entreprise, ainsi que vous l'avez dit vous-même. Je vous souhaite d'ailleurs du succès, car votre mission est aussi la mienne au sein de ce comité, où je représente le NPD. Nous avons proposé des amendements, ou devrais-je plutôt dire nous avons déposé des amendements; il semble que nous ne pourrons pas les proposer en comité pour le moment. Il faudra que nous le fassions à la Chambre, où la procédure sera beaucoup moins commode.

Je n'essaie pas ici de vous mettre sur la sellette car je suis d'accord avec vous. Vous avez raison à propos de l'assimilation et des conséquences douloureuses mais nécessaires, des poursuites lancées contre les églises et le gouvernement au sujet des pensionnats. Cela a certainement été une tragédie sociale, et elle a entraîné des répercussions qui vont beaucoup plus loin que tout ce qu'on s'imaginait à l'époque.

Sentez-vous libre d'intervenir, madame Abele.

Mme France Abele: Je me réjouis de pouvoir vivre dans un pays qui ne veut pas se contenter de simplement reconnaître ce lourd héritage en disant que c'est du passé et qu'il faut vivre avec. Nous sommes en train de concevoir un processus de cohabitation grâce auquel les peuples pourront vivre à la fois dans leur collectivité et être Canadiens.

M. Bill Blaikie: On ne le dirait pas à en juger d'après le projet de loi C-20.

Mme Frances Abele: Non. Le projet de loi manque de cohérence par rapport aux autres politiques fédérales du gouvernement libéral. Il contredit aussi la réponse au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, intitulée Rassembler nos forces.

Le président: Madame Redman.

Mme Karen Redman: Merci, monsieur le président.

Je vous remercie vivement d'être venue ici aujourd'hui. Vous avez manifestement consacré votre vie entière à l'étude des questions liées à la situation des Autochtones, et votre travail est très impressionnant.

Lorsque M. Phil Fontaine a témoigné devant notre comité, il a présenté une déclaration au nom de l'Assemblée des Premières nations, et je cite:

    ...nous appuyons complètement l'esprit et l'intention du projet de loi C-20. Nous accueillons favorablement toute mesure législative qui protège le Canada et aide les Premières nations à résister à toute tentative visant a nuire à l'intégrité constitutionnelle, gouvernementale ou territoriale du Canada sans la pleine participation et le consentement de tous les Canadiens et des premières nations.

Je me demande si vous appuyez l'idée exprimée par l'Assemblée des Premières nations au sujet de l'esprit et de l'objet du projet de loi C-20.

Mme Frances Abele: Encore une fois, je ne suis pas venue ici pour me prononcer sur le projet de loi en général. Je dois avouer être en train d'y réfléchir. Je suis profondément Canadienne. Je vis aussi au Québec. Je tiens absolument à ce que nous inventions un Canada où chacun se sente chez lui. Quant à savoir si le moyen approprié d'y parvenir est ce projet de loi précis présenté à ce moment-ci, cela est un avis de nature politique.

Mme Karen Redman: Ce matin, nous avons entendu le témoignage du ministre des Affaires intergouvernementales du Québec, M. Facal. Lorsque nous l'avons interrogé au sujet de la position de son gouvernement sur le droit des peuples autochtones à l'autodétermination dans un Québec souverain, il a répondu quelque chose qui nous a déconcertés. Il a en effet affirmé que selon le droit international, les peuples autochtones doivent transiger avec l'État dans lequel ils se trouvent pour établir leur droit à l'autodétermination, mais que cette règle ne s'appliquait pas à la population du Québec, c'est-à-dire que cette dernière jouissait d'emblée du droit à l'autodétermination. Je me demande comment vous réagissez à cela.

Mme Frances Abele: Quel est ce droit qui ne s'applique pas aux peuples autochtones du Québec? Je ne vous ai pas bien entendu.

Mme Karen Redman: Excusez-moi.

Selon le ministre, en vertu du droit international, si les peuples autochtones désirent être souverains, exercer leur droit à l'autodétermination, ils doivent faire affaire avec l'État dans lequel il se trouve, tandis que le peuple québécois n'est pas tenu de respecter cette même exigence, il jouit d'emblée du droit à l'autodétermination. Il y a donc deux poids deux mesures en cette matière, une règle pour les Autochtones et une autre pour le peuple du Québec.

• 1725

Mme Frances Abele: Eh bien, je n'appuierais pas une telle interprétation, mais je ne suis pas avocate. Quoi qu'il en soit, ça ne me semble pas vrai.

M. Bill Blaikie: C'est tout à votre honneur de le penser.

Le président: Y a-t-il d'autres questions?

[Français]

Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Est-ce que je comprends que c'est une des dernières interventions, monsieur le président?

Le président: À ce moment, oui.

M. Daniel Turp: Madame Abele, comme je vous l'ai dit tout à l'heure en toute courtoisie, vous êtes celle qui devra être le témoin d'une déclaration beaucoup plus que d'une question sur les travaux de ce comité puisque c'est une des dernières occasions que nous avons de prendre la parole dans le cadre des travaux de ce comité.

Et à tous les citoyens et les citoyennes du Canada et du Québec qui nous écoutent, à tous nos collègues qui ont participé aux travaux de ce comité, je voudrais rappeler que les travaux de ce comité tirent à leur fin et que le projet de loi C-20 sera adopté par le comité à la suite d'un autre bâillon, closure pour rappeler l'expression en anglais, à 12 h 15 aujourd'hui et qu'il nous oblige à terminer nos travaux à 22 h 15, donc dans moins de cinq heures.

Le Parti libéral du Canada nous a habitués à ce genre de pratiques. Il a déjà adopté 63 bâillons depuis le début de cette législature et il est toujours difficile de s'y habituer. Il est même impossible de s'habituer à ce genre de pratiques qui n'ont rien de démocratique.

Cette motion, mes collègues l'ont déjà souligné, est foncièrement antidémocratique, celle qui a été adoptée à 12 h 15. Elle a amené d'ailleurs tous les partis d'opposition du côté de cette table à quitter ensemble la Chambre des communes ce midi. Ce processus qui a été imposé par la majorité libérale de ce comité est tout aussi antidémocratique parce qu'il ne nous a permis d'entendre que 39 témoins en définitive, alors que 45 témoins devaient être entendus ou auraient dû être entendus. Cette motion a privé aussi toutes celles et tous ceux qui avaient demandé de comparaître devant ce comité et d'être entendu par celui-ci. Elle a aussi empêché le comité d'aller recueillir au Québec et dans le reste du Canada les témoignages et les vues des citoyens qui n'auraient pu se déplacer dans cette capitale fédérale.

La démocratie au-delà des institutions parlementaires juridiques ou politiques, c'est le pouvoir que se donne le peuple de décider de son avenir. On l'oublie trop souvent, comme si la démocratie était immuable et qu'il ne fallait pas la défendre constamment au jour le jour. Et la démocratie, c'est toujours fragile, monsieur le président.

Le projet de loi qui est débattu actuellement dans cette chambre vise très précisément à restreindre le pouvoir qu'a le peuple québécois de faire ses propres choix, de maîtriser son destin. Et le projet de loi C-20 vise non seulement à désavouer les décisions des institutions démocratiques que les Québécois et les Québécoises se sont données au fil des ans, mais aussi à désavouer un jour un résultat référendaire qui aura été donné par le peuple du Québec.

Le premier ministre du Canada, Jean Chrétien, et le ministre des Affaires intergouvernementales, Stéphane Dion, peuvent bien répéter partout que le Québec reste libre de ses choix, mais leur projet vient dire exactement le contraire. Comme Claude Ryan, un fédéraliste québécois, l'a dit devant ce comité, le projet de loi C-20 crée un régime de tutelle à l'égard du Québec.

Monsieur le président, le Parlement est un instrument de la volonté populaire ou devrait l'être. C'est une institution au service de la population qui ne devrait jamais être au service d'un parti. Ces jours derniers, cette institution a été prise en otage par le Parti libéral. Elle a été au service d'un parti, un parti qui a multiplié les bâillons pour accélérer le débat, a bousculé les témoins, nous a bousculés ici, les députés, un parti qui nous réserve sans doute, le secrétaire parlementaire nous le prépare sans doute, cela est devenu tellement prévisible dans ce Parlement d'autres bâillons pour l'étape du rapport et la troisième lecture.

• 1730

[Traduction]

Le président: Madame Redman a un rappel au Règlement.

À l'ordre, s'il vous plaît.

[Français]

M. Daniel Turp: Un parti qui transforme le Canada, monsieur le président, en république...

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. À l'ordre.

Madame Redman.

[Traduction]

Mme Karen Redman: Par respect pour notre témoin, je demanderais respectueusement à M. Turp: Où est la question?

[Français]

M. Daniel Turp: Madame, nous sommes dans une période, nous avons le droit de faire des commentaires aussi. Je voulais dire que vous transformez votre parti, ce pays, en république du bâillon. C'est ça votre démocratie, une démocratie du bâillon. Ce n'est pas à votre honneur. Ce n'est pas à l'honneur d'un parti qui utilise ce Parlement de façon abusive. C'est une démocratie, une république du bâillon.

Le président: Les cinq minutes sont expirées.

[Traduction]

Je crois que nous sommes arrivés à la fin des questions, madame Abele. Je vous remercie beaucoup d'avoir témoigné devant nous cet après-midi. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir ici, et nous vous remercions de tout ce que vous nous avez dit. Cela a été instructif pour notre comité.

M. Reg Alcock: J'ai un rappel au Règlement, monsieur le président. Je tiens moi aussi à remercier notre témoin, et j'aimerais aussi profiter de l'occasion pour rappeler que les fonctionnaires du ministère sont présents, dans le cas où on souhaiterait discuter du contenu du projet de loi ce soir.

Le président: Je remercie M. Alcock de sa remarque.

[Français]

M. Daniel Turp: Il y a une motion.

M. Michel Guimond: On parle sur la motion.

[Traduction]

Le président: Cet après-midi, M. Alcock a invoqué le Règlement au sujet d'une motion dont le comité a discuté, ou tout au moins dont l'un des membres du comité a discuté, à diverses occasions, lors de pauses dans les témoignages.

[Français]

M. Guimond était presque le seul participant à ce débat. Je crois que M. Hill a déjà dit quelque chose concernant la motion de M. Alcock. Mais cette motion, à mon avis, ne peut faire l'objet de débat par le comité.

[Traduction]

Cette motion doit maintenant se subordonner aux événements qui ont eu lieu à la Chambre ce matin, à savoir l'adoption d'une autre motion, et par conséquent, je déclare la motion de M. Alcock irrecevable. Elle n'a plus sa place à cause des événements, et conséquemment les délibérations qui s'y rapportent sont terminées.

[Français]

Maintenant, monsieur Guimond, vous avez une autre motion, je crois, que vous voulez proposer. La motion, c'est que, et nous avons reçu un avis de cette motion, et c'est:

    Que la motion relative au temps alloué pour l'étude article par article, adoptée par le comité législatif le 14 février 2000, soit annulée.

M. Michel Guimond: Oui.

[Traduction]

Le président: Je pense que M. Guimond sera le premier à intervenir au sujet de la motion puisqu'il en est le parrain.

[Français]

Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: Merci, monsieur le président.

Pour bien comprendre le contexte de cette motion, je crois qu'il serait pertinent de se référer à la motion que cette motion demande d'annuler parce que, lorsque, comme vous l'avez lu avec justesse, la motion relative au temps alloué pour l'étude article par article adoptée par le comité législatif le 14 février 2000 soit annulée, j'ai pensé qu'il serait pertinent de renseigner tous nos collègues ici présents et les personnes qui nous écoutent à la télévision. Quelle est-elle cette motion que je demande d'annuler?

Monsieur le président, la motion qu'avait déposée Reg Alcock se lit comme suit, et je me réfère encore une fois au procès-verbal qui a été préparé par le greffier du comité, M. Marc Toupin, où il est stipulé:

    Que, pendant l'étude article par article du projet de loi C-20, pas plus d'une (1) heure soit allouée à l'étude de chaque article et de ses sous-dispositions et qu'une heure additionnelle soit allouée à l'étude du préambule.

Vous vous rappellerez, cher collègue, monsieur le président, vous vous en rappelez sûrement, que cette motion a été mise aux voix et a été adoptée par le vote suivant.

• 1735

Les collègues qui ont voté pour, je le rappellerai pour le bénéfice de ceux qui l'ignorent, sont tous de la majorité libérale et les personnes qui ont voté pour, il s'agit de M. Alcock, M. Bonin, M. Cotler, M. Drouin, M. Mills, M. Patry, Mme Redman et M. Scott, pour un total de huit membres de la majorité libérale qui ont voté pour cette motion présentée par M. Alcock.

Du côté contre, nous étions M. Bachand, M. Bellehumeur, M. Blaikie, M. Hill, Mme Meredith et M. Turp, représentant six votes. Et c'est pour cela, monsieur le président, que ça me fait énormément plaisir de m'entretenir sur la motion que je vous ai présentée et que vous avez jugée avec justesse, et je crois que vous avez fait preuve, monsieur le président, d'un sens très démocratique et vous avez fait preuve que vous connaissez très bien votre Règlement en acceptant que cette motion soit acceptée et puisse faire l'objet d'un débat.

Je voudrais donc, dans une certaine mesure, aujourd'hui m'entretenir devant les collègues au nom de l'opposition parce que je considère que je suis le seul membre de l'opposition qui, le premier membre de l'opposition, devrais-je dire, qui s'entretient sur cette motion. Tout de suite?

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Et sans doute aussi le dernier.

M. Michel Guimond: Je n'en sais rien.

[Français]

Et, monsieur le président, pourquoi nous nous sommes opposés à cette motion? Parce que, si on regarde le libellé, de prévoir une heure seulement à l'étude du préambule d'un projet de loi si important, de prévoir une heure, d'allouer une heure à l'étude de chaque article pour un projet si important. Monsieur le président, avec respect, je vous soumets qu'il s'agit d'un déni de démocratie. On sait que cette motion avait comme objectif rien d'autre que d'écourter le débat sur un projet de loi qui ne repose sur aucun consensus au Québec et je pense que les collègues ici ont entendu des témoins et les témoins ont été à même de se rendre compte que le projet de loi C-20 ne fait pas consensus au Québec.

De plus, nous sommes opposés à cette motion qui avait été présentée par M. Alcock parce que nous estimions, nous, bien modestement, nous du Bloc québécois, et de toute façon tous les partis d'opposition y souscrivaient, que rien ne justifiait l'empressement du gouvernement d'adopter rapidement ce projet de loi après avoir tenu si peu d'audiences et après avoir entendu si peu de témoins, monsieur le président.

Pour votre information, je pense qu'il serait pertinent à ce stade-ci de se rappeler que le comité a refusé de voyager au Québec et au Canada pour entendre des témoins. Si on dit que c'est un projet de loi si important, si on a voulu le décrire comme étant le projet de loi de la clarté, pourquoi a-t-on refusé de faire rayonner cette soi-disant clarté dans toutes les régions du Québec et dans les autres provinces du Canada et dans les territoires?

Je suis persuadé qu'il y aurait eu des citoyens et des citoyennes ordinaires, des gens qui sont nos commettants, qui auraient apprécié venir déposer des mémoires devant nous dans ce comité itinérant qui aurait été de toute façon conforme avec nos règlements parce que nous avons un paquet de comités qui voyagent en cette Chambre et on a toujours été collaborateurs, nous, du Bloc québécois, pour accepter que les comités puissent aller entendre les opinions des gens dans les régions.

Monsieur le président, quand je vous dis aussi pourquoi cette motion est inacceptable et que je vous ai fait part tout à l'heure que nous avions entendu si peu de témoins, je vous rappellerai, monsieur le président, que le nombre de témoins a été limité à 45. Nous en avons, au terme de l'exercice, avec le témoignage de Mme Abele tantôt, nous en aurons entendu 39. Il y a des témoins qui ont été placés dans quel type de conditions? Qu'est-ce qu'on a demandé à ces témoins? On les a bousculés et on les a appelés moyennant un préavis très très court. On leur a demandé, à ces témoins-là, de venir avec des copies bilingues de leur présentation. Mais eu égard au délai très court, parce que cette motion aussi voulait bousculer tout le monde, ces témoins n'ont pu fournir des copies dans les deux langues officielles du Canada, en français et en anglais.

• 1740

Monsieur le président, nous croyons qu'il aurait été essentiel de prendre le temps d'entendre tous les citoyens et citoyennes qui désiraient s'exprimer sur ce projet de loi. Ce n'est pas un projet de loi, monsieur le président, qui se règle en une journée, en une nuit ou en une semaine, encore moins un projet de loi comme la motion qui a été déposée par M. Alcock qui peut se discuter article par article: une heure pour le préambule; une heure pour l'article 1; une heure pour l'article 2 et une heure pour l'article 3.

Ce n'était pas la question pour nous de faire en sorte d'accommoder des témoins. Ce qu'on voulait, c'était de respecter le droit des témoins d'être entendus, d'être écoutés par des parlementaires, et d'être écoutés par le gouvernement majoritaire libéral.

Monsieur le président, c'est un projet de loi trop important qui remet en question les règles de l'exercice de la démocratie au Québec. Je crois qu'il était donc normal, souhaitable et voire rassurant de constater que des citoyens et des citoyennes voulaient être entendus là-dessus.

La motion qui a été déposée par M. Alcock, monsieur le président, elle n'était qu'une preuve additionnelle de l'arrogance du gouvernement qui n'était pas intéressé à entendre ce que la population avait à dire sur le projet de loi. Peut-être que le gouvernement a peur d'être contredit.

[Traduction]

M. Reg Alcock: Monsieur le président, j'invoque le Règlement. Je ne veux pas contester ce que le député vient de dire, mais nous avons offert d'entamer l'étude article par article ce soir en présence des ministres, et les hauts fonctionnaires sont ici présents, ils attendent la tenue de telles délibérations.

M. Michel Guimond: Ce n'est pas un rappel au Règlement.

Le président: Ça ne ressemble pas à un rappel au Règlement. Ça ressemble à un argument dans le cours d'un débat.

M. Reg Alcock: Oh, je m'en excuse, monsieur le président.

[Français]

Le président: Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: Donc, je répète, et nous venons d'en avoir une démonstration flagrante par le dernier rappel au Règlement de M. Alcock. Je repose la question et je vous laisse juge de savoir la réponse. Peut-être le gouvernement a-t-il peur d'être contredit? Et c'est là-dessus que M. Alcock a répondu à ma question; il a soulevé un appel au règlement non pertinent.

Monsieur le président, je suis d'avis, avec respect pour M. Alcock, que sa motion n'était pas justifiée parce qu'il n'y avait pas urgence à adopter ce projet de loi maintenant. Nous sommes toujours persuadés que les délais qui ont été impartis à ce comité pour entendre des témoins étaient antidémocratiques.

J'espère que vous constatez, monsieur le président, et j'espère que vous l'avez réalisé, et aussi les personnes qui m'écoutent présentement, que moins de deux semaines se seront écoulées entre le début des travaux du comité et la fin de la période d'audition des témoins si cette motion avait été adoptée. C'est inacceptable, monsieur le président.

Rien n'explique que le comité dont la première séance a eu lieu le lundi 14 février en soirée, soir de la Saint-Valentin—c'est un très beau cadeau de Saint-Valentin—doive avoir terminé ses travaux neuf jours plus tard. D'ailleurs, en raison de la précipitation du gouvernement, il aura été impossible pour le comité d'entendre des témoins, et c'est l'analogie que je faisais tout à l'heure, monsieur le président, j'explique sa réalisation concrète à l'effet que nous avions prévu entendre 45 témoins en vertu d'une motion dûment adoptée et qu'au terme de l'exercice, nous en aurons entendu 39. Pourquoi on en a entendu 39? Parce que les témoins ont été bousculés. Ça pressait pour le gouvernement d'arriver d'adopter à la vapeur, en vertu de la motion antidémocratique de M. Alcock, une heure dans l'exercice d'article par article.

• 1745

Le président: Je sais qu'il pourrait être tentant pour certaines personnes de dire que si l'article par article n'a pas eu lieu, c'est la faute du Bloc québécois. Bien oui, c'est la faute du Bloc Québécois, mais il faudrait peut-être se rappeler le rouleau compresseur que le gouvernement a voulu passer sur la démocratie. Ça fait mal, ça fait mal.

[Traduction]

M. Reg Alcock: J'invoque le Règlement, monsieur le président. Je ne suis pas certain au sujet de ces rappels au Règlement... Je ne comprends pas toujours. J'aimerais tout simplement dire que j'approuve ce que M. Guimond vient de dire.

Une voix: Et c'était...?

Le président: À mon avis, ce n'est pas vraiment un rappel au Règlement.

[Français]

Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, c'est sûr que le secrétaire parlementaire du ministre des Affaires intergouvernementales pourra tenter d'utiliser des mesures dilatoires pour tenter de me déconcentrer, pour tenter de me faire perdre ma contenance. Vous savez, vous avez appris à me connaître, monsieur le président, vous savez que je suis quelqu'un qui garde toujours son calme, qui ne se fâche jamais. C'est sûr que je voudrais profiter de l'occasion pour remercier le secrétaire parlementaire de m'aider à former mon mauvais caractère. J'apprécie qu'il m'aide à former mon caractère, mais je veux juste lui dire qu'il ne me fera pas perdre le fil du débat. Jusqu'à présent, monsieur le président, on n'a pas parlé du hockey et on n'a pas parlé de l'épaisseur de la glace sur le canal Rideau. Nous avons eu, et j'ai respecté mon propos, il est très pertinent, et le secrétaire parlementaire aura beau utiliser toutes les mesures dilatoires qui lui tentent, toutes les mesures dilatoires qui lui sont suggérées par le whip du gouvernement, par le cabinet du ministre Dion, il aura beau s'essayer, mais je me suis conditionné à ne pas perdre ma contenance. Je veux juste l'en informer, et je serai comme ça jusqu'à 22 h 15 ce soir, qu'il se le prenne pour dit.

Je disais donc, monsieur le président, nous avons dû nous plaindre, nous du Bloc québécois, en réponse au rouleau compresseur que le gouvernement a littéralement passé sur le dos de l'opposition ce matin, ce midi, à 12 h 15, et on a vu en cette chambre quelque chose qui ne s'est pas vu très souvent.

J'ai hâte de m'entretenir avec les auteurs, MM. Montpetit et Marleau, du livre La procédure et les usages de la Chambre des communes. J'ai hâte d'en discuter avec eux si ça s'est vu souvent que tous les partis d'opposition, sauf les trois indépendants, aient quitté pour se plaindre d'une motion qui constituait un rouleau compresseur comme celui-là.

Monsieur le président, nous sommes d'avis que le comité, s'il avait adopté la motion présentée par M. Alcock, au sujet de laquelle je discute à l'heure actuelle, n'aurait tenu qu'un simulacre d'audiences, des pseudo-audiences, des audiences bidons, token audiences, comme on le dit par chez-nous.

Monsieur le président, même le premier ministre, et je peux comprendre, je peux comprendre pourquoi la majorité libérale en cette chambre se comporte comme ça, le leader de leur parti, pas le leader parlementaire, mais le chef de leur parti, le premier ministre Chrétien, affirmait lui-même, la semaine dernière qu'il n'avait pas de temps à perdre avec ça, qu'il ne fallait pas passer la nuit là-dessus. Autrement dit, ça me fait penser au ministre de la Santé, quand on l'avait questionné sur le droit des personnes qui avaient été infectées, il nous avait dit qu'il avait hâte de passer à un autre dossier. Envoie, un autre dossier, on passe à un autre dossier.

Bien, monsieur le président, nous, les députés d'opposition de ce côté-ci, ne considérons pas que nous perdons notre temps en écoutant la population sur le projet de loi C-20. C'est pour ça que nous aurions voulu des audiences beaucoup plus longues. Pour sa part, le ministre des Affaires intergouvernementales a justifié son projet de loi en affirmant au sujet de son projet de loi, il parle de lui-même et on sait que le ministre des Affaires intergouvernementales aime beaucoup se citer. Il valorise beaucoup le culte de sa personne. On le connaît.

• 1750

C'est rendu caricatural. C'est connu partout dans nos régions au Québec. Il nous a dit:

    Nous avons amélioré le Canada de différentes façons et nous continuerons de le faire. Nous le ferons d'autant mieux que plus personne de ce pays ne menacera les autres avec les possibilités de séparation.

C'est ce qu'il mentionnait dans le Compte rendu officiel des Débats le 14 décembre dernier.

Monsieur le président, nonobstant la motion présentée par M. Alcock, il n'y a pas de menace souverainiste comme le prétendent certains membres du gouvernement. Il y a plutôt, comme le soulignaient à juste titre les juges de la Cour suprême, une volonté légitime pour les Québécoises et les Québécois de chercher à réaliser la souveraineté.

Monsieur le président, le seul argument qui a été mis de l'avant par le gouvernement pour expliquer la démarche derrière son projet de loi, c'est la volonté de mettre fin à la menace souverainiste. Il n'y a pas de menace souverainiste. Il y a la volonté du peuple du Québec de choisir démocratiquement et librement son avenir politique.

La précipitation inexpliquée des travaux du comité empêchera justement les Québécoises et les Québécois de venir expliquer au gouvernement et aux membres de ce comité pourquoi le projet de loi C-20 est inacceptable pour le Québec et pourquoi le projet de loi C-20 nie les droits du peuple du Québec.

Le bâillon que tentait de nous imposer, par cette motion, la majorité libérale du comité, fait en sorte que les membres du comité n'auraient pas pu avoir la chance de se prononcer longuement sur les dispositions contenues dans ce projet de loi. Personne n'aurait été en mesure d'entendre plus de Québécoises et de Québécois nous dire pourquoi devraient être protégés les droits fondamentaux du Québec et les prérogatives de son Assemblée nationale que nie le projet de loi C-20.

Cette volonté, monsieur le président, elle n'est pas nouvelle. Et c'est depuis lundi à 14 h 30 que je tente de vous illustrer que cette volonté n'est pas nouvelle. On ne s'est pas levé, nous du Bloc québécois, un matin, du jour au lendemain, et dit «Ah ben tiens là, ce matin, je deviens souverainiste.» Ça fait partie de l'évolution logique d'un peuple.

Monsieur le président, depuis lundi à 14 h 30, je prends la parole pour essayer de vous convaincre d'adopter des motions qui respecteraient cette volonté qui trouve ses origines principalement dans la mouvance de la modernisation de l'État du Québec et dans la volonté du peuple québécois de prendre son destin en main.

Monsieur le président, je vous ai fait part d'où nous en étions dans les années 1997 lors des diminutions importantes qu'a faites le gouvernement fédéral dans les paiements de transfert aux provinces destinés au financement des programmes sociaux. Je vous ai dit que même si nous avions devant nous cette motion, ces coupures unilatérales pourraient mener à une demande de la part des provinces du Canada pour des discussions intergouvernementales sur la question des politiques sociales.

Je vous avais dit aussi, monsieur le président, que le gouvernement du Québec avait prôné la capacité du Québec d'exercer un droit de retrait avec compensation des initiatives pancanadiennes dans le champ social. Ce droit de retrait représentait un moyen de concilier, d'une part, une vision endossée par les provinces à majorité anglophone qui est favorable à l'action politique et normative du fédéral en matière sociale et d'autre part, une vision qui exige le respect de l'autonomie du Québec sur ces matières et que les gouvernements québécois successifs ont défendues.

• 1755

Monsieur le président, je pourrais vous entretenir, vous montrer comment cette motion s'insère dans toute la démarche du gouvernement fédéral depuis les dernières années. Je pourrais vous entretenir de la conférence annuelle des premiers ministres tenue à Saskatoon en août 1998 qui a donné lieu, malgré un consensus entre les provinces, à l'adoption de l'Union sociale.

Je pourrais aussi, monsieur le président, vous dire comment cette entente-cadre a été déplorée par plus d'un observateur. En particulier, je pourrais vous citer M. Claude Ryan, qui a témoigné devant ce comité et qui avait commenté l'entente-cadre sur l'Union sociale. Il disait que c'est C'est la troisième fois au cours des 30 dernières années qu'après s'être engagé dans une démarche commune avec les autres provinces et territoires, le Québec aura été lâché en cours de route par ses partenaires. En effet, selon M. Ryan, un premier abandon a eu lieu en 1981 au moment de la négociation sur le rapatriement de la Constitution, et un deuxième, en 1990, lors de l'échec de l'Accord du lac Meech.

Monsieur le président, je pourrais vous dire en conclusion de ce survol très succinct, très parcellaire, très épisodique que je vous ai fait, parce que de toute façon, il a été entrecoupé à six ou sept reprises, et je vous avouerai, monsieur le président, que c'est difficile d'essayer de garder le fil. Donc, j'en viens à vous expliquer le statut politique et constitutionnel du Québec. J'en viens à la conclusion, et vous allez voir le lien que je vais faire entre cette motion que nous jugions... C'est pour cela que notre motion demande d'annuler la motion présentée par M. Alcock. C'est là que je vais vous faire le lien entre cette motion, la motion de M. Alcock et l'analogie que le projet de loi C-20 est exactement de la même facture que le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982.

J'en viens à la conclusion donc sur le statut politique et constitutionnel du Québec. Le dualisme ou la présence des deux communautés nationales distinctes fut un élément central dans l'évolution institutionnelle canadienne à partir du régime britannique. Pour le Canada français, la Constitution de 1867 devait assurer le respect et le développement de ce dualisme, mais au fil de l'expérience fédérale et de l'évolution des rapports entre le Canada français et le Canada anglais, des revendications d'égalité se sont formées chez les francophones. En ce qui concerne le Québec plus particulièrement, il a cherché à faire respecter l'autonomie que promettait le régime de 1867, une autonomie jugée à l'époque essentielle à l'épanouissement d'une nation canadienne française dans le nouvel ensemble.

Durant les années 1960, la Révolution tranquille amena le constat que la réforme du statut constitutionnel du Québec s'imposait dans la recherche d'une égalité véritable entre les deux grandes communautés politiques de la fédération.

Monsieur le président, je ne pense pas que la motion qui a été déposée par M. Alcock, ainsi que la mienne qui demande d'annuler la première, s'inscrive dans cette recherche d'égalité véritable entre les deux grandes communautés politiques de la fédération. Je ne pense vraiment pas.

Parallèlement à l'approfondissement de cette revendication fondamentale, s'opérait, sur le plan de l'identité, l'émergence du peuple québécois. Les différentes tentatives de renouvellement du fédéralisme canadien depuis les 35 dernières années se sont cependant toutes terminées par un refus des demandes du Québec et de ses revendications fondées sur sa situation particulière.

En 1982, une modification importante de la Constitution établie en 1867 a été effectuée sans le consentement du Québec. C'est ce qu'on a appelé un coup de force, monsieur le président. Des tentatives de réparation à cet égard, Meech et Charlottetown, ont échoué, illustrant ainsi le refus du reste du Canada de reconnaître le caractère particulier du Québec dans son expression minimale. Néanmoins, la défense des droits du peuple québécois ainsi que la recherche de son affirmation se sont peu à peu inscrites au coeur de l'avis institutionnel et démocratique de l'État du Québec.

À l'aube du troisième millénaire, la quête d'égalité du peuple québécois reste toujours aussi actuelle.

Monsieur le président, c'est inconcevable de voir, de constater l'incapacité du Canada de reconnaître le Québec.

• 1800

Une voix: C'est incroyable.

M. Michel Guimond: Cette volonté des Québécois de se doter légitimement et démocratiquement d'un pays trouve également son origine dans l'incapacité du Canada de répondre favorablement aux attentes du peuple du Québec et aux demandes traditionnelles de ses gouvernements successifs, qu'ils soient d'allégeance souverainiste ou fédéraliste.

Monsieur le président, j'espère que les feuilles que vous remet le secrétaire parlementaire ne me concernent pas. Je suis persuadé que si le secrétaire parlementaire avait des choses à dire au grand public, il tenterait de faire une mesure dilatoire, il invoquerait le Règlement et il essaierait de me déconcentrer. Mais là, il préfère modifier sa tactique et vous donner des papiers, en tout cas.

Bref, de toute façon, cela ne rend pas pour autant la motion qu'il a déposée acceptable et c'est justement pour cela, monsieur le président, que nous avions demandé et que nous discutons présentement de la motion d'annuler la sienne. Il voulait limiter l'étude article par article du projet de loi à une heure seulement, et le préambule à une heure aussi. C'est pour ça, monsieur le président, que ça n'a pas de bon sens, c'est pour ça qu'il n'y en a pas eu d'étude article par article ce soir.

Donc, faisant un bilan du Canada, Pierre Elliott Trudeau, quelque temps avant de faire le saut en politique, écrivait au sujet du Canada:

    On avait graduellement remplacé le compromis rationnel sur lequel la nation reposait en 1867 par une sorte de jus à base d'émotivité dans lequel le tiers de la population était considérée comme quantité passablement négligeable. La stabilité du consensus national dépendit de ce que le Québec ne pouvait rien y faire.

M. Trudeau disait cela avant de venir en politique.

Trudeau souligne dans ce même texte que malgré le travail de certains groupes du travail, entre autres la CSN qu'on a entendue ici, monsieur le président, devant ce comité en plus des autres centrales syndicales, que:

    Malgré le travail de certains groupes du Québec et aussi la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval autour du Père Georges-Henri Lévesque pour rétablir le consensus, ces avertissements passèrent inaperçus. Ottawa ne changea pas.

Ce constat, monsieur le président, aujourd'hui, il reste le même. Malgré les bonnes intentions au départ, la carrière de Pierre Elliott Trudeau fut tout autre, faisant ce qu'il dénonçait avant sa carrière politique.

L'incapacité du Canada de répondre aux attentes du Québec et aux aspirations du peuple québécois ne date pas de l'époque Trudeau. L'attitude des gouvernements Trudeau envers le Québec n'a fait qu'envenimer davantage les relations entre le Québec et le Canada, excluant toujours davantage le Québec, le rapatriement latéral étant le point culminant de cette attitude irrespectueuse envers le Québec.

Ce manque de respect de la volonté du Québec n'était pas le premier, ni le dernier, et c'est pour cela, monsieur le président, en poursuivant ma présentation, ma discussion sur l'avis de motion qui demande d'annuler la motion de M. Alcock, je crois qu'il serait pertinent maintenant de présenter comment le projet de loi C-20 s'apparente au coup de force de 1982.

La veille du référendum, on s'en souviendra, la veille du référendum du 20 mai 1980, le premier ministre fédéral, Pierre Elliott Trudeau, s'engage envers les Québécois dans un vibrant discours à renouveler le fédéralisme en profondeur s'ils demeurent dans le Canada. Son appel semble entendu et les Québécois rejettent l'option souverainiste dans une proportion de 59,1 p. 100.

En 1980, devant l'impasse constitutionnelle qui persiste, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau dépose à la Chambre des communes une résolution portant sur une adresse commune, Sénat et Chambre des communes, à la reine Elizabeth II en vue d'un rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne à laquelle sera ajoutée une charte des droits et libertés.

Avant d'aller plus loin, monsieur le président, j'aimerais rappeler l'analyse d'André Patry de la Loi constitutionnelle de 1867 et de ses conséquences. M. Patry nous disait que cette loi qui est le fondement juridique de notre fédération résulte d'un ensemble de faits qu'il est essentiel de rappeler.

• 1805

    Vers 1860, il y a d'un côté les provinces et colonies britanniques de la région de l'Atlantique qui manifestent le désir de s'unir entre elles et, de l'autre côté, la province du Canada qui, victime de cette dissension chronique, envisage de résoudre ses problèmes intérieurs en se joignant aux provinces et colonies britanniques de l'Atlantique. Le Canada envoie à la rencontre tenue par celles-ci à Charlottetown une délégation chargée de discuter avec elles la possibilité de créer un seul État qui engloberait tous les territoires relevant de la Couronne britannique.

    À la Conférence de Québec en 1864, on adopte un projet de fédération que l'on mettra au point à la Conférence de Londres en 1866. Mais à cette dernière réunion, il n'y a plus que trois provinces: le Canada, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Ce sont elles qui, avec le concours du Colonial Office, rédigeront un projet final de fédération qui sera édicté le 29 mars 1867 et entrera en vigueur le 1er juillet de la même année.

    Que sont à ce moment-là, politiquement parlant, ces provinces qui décident de s'unir entre elles? Ce ne sont pas des comptoirs coloniaux comme l'Angleterre en a établis en Afrique et en Asie. Ce ne sont pas non plus des territoires gouvernés de Londres par décret. Ces trois provinces sont des entités juridiques dotées chacune d'une constitution, d'un gouvernement responsable et d'institutions. Elles ont de véritables pouvoirs. Elles peuvent même adopter en matière commerciale des lois protectionnistes mettant leurs industries à l'abri de la concurrence étrangère, y compris celles des entreprises britanniques. Elles sont du reste admises à participer au sein des délégations anglaises aux pourparlers engagés avec des États étrangers chaque fois que leurs intérêts sont en jeu.

    Ces provinces sont donc des entités capables d'une volonté propre et habilitées à se faire entendre, ce qu'elles feront notamment en 1867. À Londres, cette année-là, elles détermineront en toute liberté leur mode d'association. Elles opteront pour un fédéralisme de type agrégatif...

agrégatif, monsieur le président, dans le sens d'esprit centraliste

    et prévoiront l'entrée éventuelle des autres provinces et colonies britanniques au sein de leur union. Le gouvernement impérial ratifiera leur décision.

    Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 est clair. Il énonce que les trois provinces déjà dotées d'autonomie expriment leur volonté commune de se fédérer en un seul Dominion.

On souligne à ce moment-là into one Dominion.

    Nous sommes en présence d'un contrat, d'un pacte intervenu entre des parties habilitées à le conclure, avec l'approbation du Parlement impérial. Mais ce pacte, devenu une loi, ne renferme aucune disposition relative à son amendement et cette lacune finira par devenir embarrassante.

    Vers 1925, le problème des amendements à la Loi de 1867 en ce qui concerne le partage des compétences devient sérieux. Un mouvement se dessine qui préconise la seule intervention du gouvernement fédéral pour modifier ce partage. À la Chambre des communes, Ernest Lapointe, premier ministre intérimaire pose à Arthur Meighen, chef de l'opposition, une question qui est demeurée très pertinente aux yeux de la majorité des Québécois.

    La question de Lapointe était la suivante. La Confédération devint un fait accompli et le nouveau Parlement se réunit en 1867. Croit-il que deux ans après, disons en 1869, ce Parlement eût pu justement et avec raison modifier la loi constitutive ou en demander la modification au Parlement impérial sans le consentement des quatre premières provinces. Si cela ne peut se faire dans ce temps-là, pourrait-il se faire 25 ans ou même dans 50 ans plus tard sans le consentement des partis signataires du pacte de la Confédération?

• 1810

C'est intéressant de voir ça, monsieur le président. C'est le premier ministre intérimaire qui pose une question au chef de l'opposition. C'était sûrement à l'occasion d'un débat.

    Le chef de l'opposition lui répondra. Le ministre de la Justice a démontré de façon indiscutable qu'il ne devrait être question de modifications concernant d'autres partis au contrat avant d'avoir obtenu leur consentement. Cette idée d'un droit prépondérant des provinces fondatrices de la fédération n'a jamais cessé d'être partagée par de nombreux juristes et politicologues, et d'être admise par une grande partie de l'opinion publique québécoise.

    Quand en 1931, le gouvernement fédéral, alors dirigé par R.B. Bennett, voudra adhérer au projet de Statut de Westminster élaboré dans les années précédentes par la Grande-Bretagne et ses Dominions, il se verra contraint, en avril, de le reformuler et d'y ajouter, à la demande de l'Ontario et surtout du Québec, l'article 7, qui laisse au Parlement impérial le pouvoir d'amender la loi de 1867 et gèle le partage des compétences établi par cette même loi.

    C'est cette disposition du Statut de Westminster qui, entre 1940 et 1964, incitera Ottawa à quatre reprises à obtenir le consentement de toutes les provinces avant de prier le Parlement britannique d'apporter des modifications à la répartition des compétences institutionnelles et empêchera, par voie de conséquence, le gouvernement fédéral en 1964 et en 1971... on s'en rappelle

    de proposer des changements constitutionnels en raison de l'opposition du Québec aux amendements projetés.

    Il était donc clair, en 1981, qu'Ottawa ne pouvait domicilier la loi de 1867, et encore moins en modifier le partage des compétences sans le consentement de toutes les provinces, parce que le projet fédéral était, en fait, un amendement à l'article 7 du Statut de Westminster dont il avait été pourtant déclaré à deux reprises dans l'adresse du Parlement canadien au Parlement britannique qu'il avait reçu l'assentiment de toutes les provinces.

    Malheureusement, dans l'ordre juridique, deux faits devaient affaiblir la position d'un Québec résolument hostile à l'initiative illégitime et dangereuse d'Ottawa. Le rejet par la Cour d'appel du Québec...

dont l'un des membres était manifestement borné

    de l'argumentation québécoise et le libellé impropre de l'avis sollicité par le Québec auprès de la Cour suprême, où il était question de la nécessité de l'assentiment préalable des provinces, alors qu'il fallait parler de l'assentiment préalable de toutes les provinces, comme le justifiaient les conventions constitutionnelles fermes et solides, ce qu'on appelait le unbounding, découlant des conférences intergouvernementales tenues entre 1940 et 1964.

    L'omission de ce mot-clé par le Québec devait naturellement alléger la tâche de la Cour suprême. La Cour suprême, en limitant la portée du préambule de la Loi de 1867, qui indiquait clairement que cet acte était un pacte conclu librement entre trois partis, a pu déclarer suffisant l'assentiment d'une majorité de provinces, même en l'absence de l'une des provinces fondatrices de la fédération, dont les droits spécifiques dans les domaines de l'éducation, de la langue et de la législation civile se trouvaient restreints par le projet de loi constitutionnel qui était soumis à son appréciation.

    Conformément à notre tradition juridique, la Loi constitutionnelle de 1982 est légale. Elle s'applique partout au Canada, mais dans l'ordre politique, dont l'ordre juridique ne peut être que l'expression et aussi la garantie, la Loi de 1982 est légitime et, dans son avis, la Cour suprême ne pourra l'oublier.

J'invite maintenant les membres du comité à bien écouter parce qu'il faudrait comprendre, monsieur le président, que ce dernier bout-là, comme je vous l'avais dit, représentait l'opinion ou l'analyse qu'André Patry faisait de la Loi constitutionnelle de 1867 et de ses conséquences.

• 1815

Puisque j'ai terminé cette analyse, j'inviterais maintenant les membres du comité à bien écouter l'analyse que faisait en 1992, soit dix ans plus tard, Lise Bissonnette des effets du rapatriement de la Constitution.

Monsieur le président, vous me suivez toujours, je vous fais la démonstration que le projet de loi C-20 s'apparente au tour de force de 1982 et, partant de là, que toutes les motions qui ont été déposées à ce comité s'apparentant à une adoption rapide en catimini du projet de loi C-20 rendent vicié le processus qui nous a été mis sur la gorge depuis le début. C'est pour cela qu'on a déposé cette motion, pour faire annuler la motion qui avait été présentée par M. Alcock.

Madame Bissonnette nous dit:

    Normalement, en allumant les bougies de 1992 et en faisant pleuvoir les millions sur le cent-vingt-cinquième anniversaire de la confédération canadienne, on aurait dû prévoir un surboum pour demain le 17 avril, dixième anniversaire de la proclamation, par la Reine d'Angleterre et du Canada, de l'Acte constitutionnel de 1982.

Mais là, il faudrait se rappeler que le premier ministre actuel était là. J'ai encore présent à l'esprit le formulaire de signature signée par Sa Majesté la reine Elizabeth II, où on voyait le premier ministre Chrétien qui était là, accompagné par André Ouellet, tous de vrais défenseurs du Québec.

    «Rapatriée» symboliquement de Grande-Bretagne, et amendée, la loi fondamentale du Canada fêtera cependant sa décennie le plus discrètement possible Tout au plus, occupera-t-elle les pensées des malheureux fonctionnaires provinciaux et fédéraux qui sacrifieront peut-être leur congé de Pâques pour la remodeler, un oeil sur l'échéance référendaire au Québec, et l'autre sur les récriminations de l'Ouest, de l'Est, et des populations autochtones. De fête, nul n'en a envie, le cours de la Constitution est au plus bas.

    Aux étrangers sidérés devant le danger d'éclatement d'un pays apparemment béni des dieux, l'histoire des derniers dix ans apportera des réponses. La division Québec-Canada, c'est là qu'elle s'est consommée,

en 1982, lors du rapatriement unilatéral de la Constitution

    dans l'acte même d'un rapatriement par et pour le seul Canada anglais. Et l'apparition du nouveau Canada, c'est dans la proclamation de la Charte canadienne des droits qu'on la trouvera. Les deux dynamiques étaient contraires, l'explosion inévitable.

selon madame Bissonnette.

    On laissera à d'autres le soin de ressasser, encore une fois, la longueur des «couteaux» de la conspiration politique qui a isolé le Québec, lors de la négociation de 1981 sur le rapatriement. Il est bien possible, comme le disent les anciens du gouvernement Trudeau, qu'un gouvernement québécois séparatiste n'eut jamais signé une entente de rapatriement consolidant pour longtemps la fédération. On ne le saura jamais. Ce qu'on sait, c'est que les neuf autres provinces et le gouvernement fédéral ont, en toute conscience des risques, fait le pari de créer le Canada nouveau en se passant de la signature du Québec. Ils ont cru, parce qu'un Québécois premier ministre du Canada...

M. Trudeau,

    le leur disait et qu'ils préféraient le suivre que penser par eux-mêmes, que les Québécois oublieraient vite l'incident.

C'était oublié. La devise qu'on a au Québec est une belle devise: Je me souviens.

    Qu'ils préféreraient, en avril suivant, se passionner pour les éliminatoires de hockey plutôt que de hurler le parchemin que transporterait Elizabeth II.

    Mais on ne se débarrasse jamais d'un problème de fond en le glissant sous le tapis. Le rapatriement de 1982, c'était une cassure profonde. Il disait aux Québécois que leur perception plus que centenaire de la Confédération avait été un leurre. Ce n'était pas un «pacte» entre deux nations puisque l'une des deux pouvait carrément se passer de l'autre pour renouveler la loi fondamentale. La Cour suprême le confirmait, dans l'affaire du droit de veto québécois, qui n'avait jamais existé sauf dans les conventions. Pas besoin d'être membre à part entière de l'industrie constitutionnelle pour saisir ces choses, pour ressentir la perte de contrôle, de leviers dont on disait soudain qu'ils avaient été imaginaires.

• 1820

Mme Bissonnette disait dans le temps, moi je suis originaire de la région de Québec:

    On peut écouter un match Canadiens-Nordiques et le comprendre en même temps, personne n'est si bête. Pas besoin non plus de saisir toutes les nuances de l'érosion des pouvoirs de l'Assemblée nationale pour savoir d'instinct que le Québec n'avait justement pas eu le «pouvoir» d'arrêter la machine. Qu'il n'était pas, dans l'ensemble canadien, l'incontournable pierre d'angle qu'il avait toujours pensé être.

    C'est 1982, et non les déboires de la décennie suivante, qui a fait d'emblée de la Constitution canadienne un document étranger aux yeux de la majorité des Québécois. Bien mauvais sort pour une loi qui, dans la plupart des pays, est la plus chérie des citoyens, le fondement de leur patriotisme.

Et je demande aux grands patriotes canadiens qui sont devant moi s'ils sont fiers, s'ils sont contents que le Québec, depuis 1982, avec des premiers ministres fédéralistes comme Robert Bourassa... Est-ce qu'ils sont contents, nos amis d'en face, que le Québec n'ait pas réintégré encore la Constitution? Est-ce que, pour un document qui, dans les autres pays, fait la fierté, est-ce que ça vous préoccupe, vous autres, qu'il y ait encore des gens qui disent que ce pays-là, ce n'est pas leur pays? Vous êtes de grands Canadiens, je suis persuadé que vous aimeriez cela, vous, les grands Canadiens, nous faire voir comme les Américains qui se mettent la main sur le coeur lors de leur hymne national. Est-ce que vous aimez cela, vous, que les Québécois, pour la majorité, ne soient pas contents du régime fédéral actuel et que ça ne fonctionne pas, le régime fédéral actuel?

Vous avez beau avoir des professeurs émérites d'université qui vont venir vous dire qu'ils ont fait toutes les études possibles et imaginables, qu'ils ont trituré tous les chiffres jusqu'aux moindres décimales, vous aurez beau en amener des tonnes et des tonnes, mais ça ne passe pas, on ne l'avale pas cette couleuvre-là. Vous voyez bien que ça ne marche pas. Vous n'êtes pas capables de proposer d'autres choses. Vous arrivez avec un couteau sur la gorge comme le projet de loi C-20.

Monsieur le président,

    Véritable sentiment de décolonisation...

[Traduction]

M. Dennis J. Mills (Broadview—Greenwood, Lib.): Monsieur le président, j'invoque le Règlement.

[Français]

M. Michel Guimond:

    de recommencement de nouvelle ère...

[Traduction]

Le président: Monsieur Mills.

M. Dennis Mills: M. Guimond nous a posé une question, et je suppose qu'il va nous donner l'occasion d'y répondre.

M. Michel Guimond: Me permet-on de faire une remarque au sujet de son rappel au Règlement?

Le président: Oui.

M. Dennis Mills: Oui. Certainement.

M. Michel Guimond: M. Mills pourra faire son observation sur mes propos à la fin de mon discours.

Des voix: Ah, ah!

M. Denis Mills: D'accord. Alors, vous ne...

[Français]

M. Michel Guimond: Comme je le disais:

    Véritable sentiment de décolonisation, de recommencement de nouvelle ère: les discours de l'époque regorgent d'une euphorie qui éloignait encore plus un Québec réservé, souvent hostile.

    Ce qui a séduit les Canadiens, ce qui leur a donné comme jamais auparavant un sens de l'appartenance, ce n'était pas le vieux document ramené des archives britanniques, c'était le greffon tout neuf de la Charte canadienne des droits. Rarement un document aussi aride aura-t-il eu un effet aussi marqué sur l'imaginaire d'un peuple. Avant même que la Cour suprême commence à rendre des jugements sur la constitutionnalité des lois en regard de la Charte, avant même que les effets pratiques de ce nouveau régime de droits se fassent sentir—il est bien trop tôt pour les évaluer, la Charte a pris un caractère quasiment sacré. Ceux qui l'avaient combattue, au Canada anglais, en s'inquiétant de la suprématie des juges sur les législateurs, n'avaient réussi qu'à renforcer cet engouement. Car les Canadiens entraient dans une phase de désenchantement absolu vis-à-vis des législateurs fédéraux et provinciaux, et ils accueillaient avec bonheur l'idée d'une «souveraineté des citoyens», porteur de droits que les juges allaient forcer les gouvernements à respecter.

• 1825

    Tandis que le Québec se soustrayait à la Charte, jusqu'en 1986, en soumettant l'ensemble de ses lois à la fameuse clause «nonobstant», le Canada en faisait le symbole contemporain de la citoyenneté. Ainsi s'explique la virulence de l'opposition à l'Accord du lac Meech: la moindre menace d'accroc à la Charte, dans une Constitution amendée, était inacceptable. Et c'est exactement ce qu'on craignait dans la formulation de la clause de «société distincte». La décision du Québec de recourir à nouveau au «nonobstant» en 1988, même ponctuellement et pour protéger une loi linguistique, allait aussi heurter de plein fouet la nouvelle idéologie canadienne. L'échec de l'Accord, dans ces conditions, devenait inévitable.

    Le Canada anglais commence à nuancer un brin sa passion pour la Charte canadienne des droits. Les représentants de minorités, ou de groupes traditionnellement défavorisés, craignent de ne pouvoir faire valoir leurs droits à l'égalité, faute de moyens pour prendre le long chemin vers la Cour suprême (pis encore, le gouvernement fédéral vient de supprimer, pour des raisons budgétaires paraît-il, le programme d'aide à la contestation judiciaire, à laquelle ces groupes avaient accès). Au «nonobstant» du Québec a correspondu une résistance tout aussi efficace des autres gouvernements provinciaux qui se soustraient à la Charte en faisant traîner les procédures et en combattant ad nauseam ses dispositions, comme on l'a vu pour les droits scolaires des francophones minoritaires. Mais la critique prend surtout corps sur la gauche. La Charte, c'est la liberté des plus forts, et prétendre qu'elle accroît la participation des citoyens au processus politique, c'est «une blague», écrit le politicologue bien connu Philip Resnick, dans The Mask of Proteus, qui étudie les plus récentes transformations idéologiques de l'État canadien. L'engouement du Canada anglais pour la cause autochtone a également refroidi l'attachement inconditionnel à la Charte, puisque les leaders autochtones la remettent en question. On n'hésite plus, dans certains milieux, à la qualifier de document «blanc», d'inspiration trop européenne ou américaine, un texte colonial, quoi.

    Mais dans l'ensemble, la greffe a pris fort et bien. Même au Québec qui boude la Charte canadienne, et où les juristes débattent savamment de l'influence trop grande de la common law dans la jurisprudence que favorise la Cour suprême, on est entré dans le jeu. Après un lent départ, les recours se font plus nombreux. S'il y avait une constitution québécoise à écrire, une Charte des droits régnerait à son faîte, on ne saurait en douter.

    Naturel, normal et sain, le débat qui aurait dû avoir lieu en 1982 commence à peine en 1992.

Dix ans plus tard, nous dit Mme Bissonnette.

    Mais on voit à quel point, justement, on a mis le vers dans le fruit il y a dix ans. Ce fut une opération de règlement de comptes dont la trace se retrouve jusque dans les clauses linguistiques de la Charte; l'entourage de M. Trudeau reconnaît aujourd'hui...

[Traduction]

M. Reg Alcock: Je fais un rappel au Règlement, monsieur le président.

Le président: Monsieur Alcock.

M. Reg Alcock: Monsieur le président, je vois que le député a du mal à comprendre ce point-là en particulier. Nous avons ici des fonctionnaires du ministère qui ne demanderaient pas mieux que de venir à la table pour expliquer ce point-là, s'il le souhaite.

Le président: Je suis sûr que M. Guimond est touché par cette offre,

[Français]

mais ce n'est pas un appel au Règlement.

Monsieur Guimond, vous avez la parole.

• 1830

M. Michel Guimond: Oui, je prendrai la balle au bond, balle que m'a lancée M. Alcock et je lui dirai que, à partir de 22 h 20, ça me fera plaisir de discuter, au terme de ma présentation, avec les savants fonctionnaires qui sont ici, qui pourront certainement éclairer ma lanterne.

Mais à cet effet, par contre, je les inviterais à être attentifs, à prendre de bonnes notes et à dresser une critique de mes propos et je pense que, étant donné que je n'ai pas la prétention d'avoir la science infuse, je suis un être essentiellement perfectible et j'apprécierai les commentaires de nos savants fonctionnaires.

Donc, monsieur le président, je disais:

    Ce fut une opération de règlement de comptes dont la trace se retrouve jusque dans les clauses linguistiques de la Charte; l'entourage de M. Trudeau reconnaît aujourd'hui que ces clauses étaient la raison principale de l'exercice. Contrer la Loi 101, on s'en souvient, c'était aussi important sinon plus que de peaufiner les droits des citoyens à l'égalité. Et rapatrier la Constitution sans le Québec, c'était la victoire contre un nationalisme québécois honni. Au lieu de recréer un pays, dont la Charte aurait pu être l'assise commune, on en a fait gagner un aux dépens d'un autre. C'est ainsi, forcément, qu'il en naît deux.

Ça, je pense que ça vaudrait la peine de le relire parce que ce que j'explique par là c'est qu'on visait, par le rapatriement de la Constitution, on visait de recréer un pays. Et au passage je pourrais effleurer pourquoi malgré le rapatriement de la Constitution, qui venait, au sens juridique, confirmer l'indépendance du Canada de la Couronne britannique,— c'est le sens du rapatriement unilatéral de la Constitution,—pourquoi la reine Elizabeth II d'Angleterre est-elle encore la reine du Canada alors que le Canada a atteint sa souveraineté en 1982 avec le rapatriement unilatéral? Je vais demander aux savants fonctionnaires de m'expliquer cela.

Parce que, quand les Américains se sont dotés d'une constitution, pourquoi ont-ils décidé que la Couronne britannique n'aurait plus d'emprise sur le peuple américain? Pourquoi la reine d'Angleterre et toutes les créatures apparentées à la reine d'Angleterre, pourquoi sont-elles encore dans le décor? Pourquoi, malgré que le Canada soit devenu indépendant en 1982,— peut-être que M. Cotler pourra me répondre vers les 22 h 20,—pourquoi le Canada, avec l'exercice du rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982,... Cet exercice, selon ma compréhension, venait confirmer l'indépendance du Canada à la Couronne britannique et on rapatriait la Constitution. Mais ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi la reine d'Angleterre est encore la reine du Canada? Et pourquoi avons-nous encore, au Canada, un gouverneur général, des lieutenants-gouverneurs avec tout ce que cela représente, tandis que les Américains, eux, quand ils ont fait l'indépendance, ils ont coupé le cordon ombilical avec la Couronne britannique et aujourd'hui, la reine d'Angleterre n'a pas d'emprise sur le peuple américain.

Et j'aimerais encore une fois que nos grands Canadiens, nos grands fédéralistes canadiens, nos real Canadian people, j'aimerais qu'ils se penchent sur cette question, qu'ils se posent cette question-là.

Donc, rapatrier la Constitution sans le Québec, c'était la victoire contre un nationalisme québécois honni. Au lieu de recréer un pays dont la charte aurait pu être l'assise commune, on en a fait gagner un aux dépens d'un autre. C'est ainsi fortement qu'il en naît deux.

En 1996, Trudeau reprenait la plume pour dénoncer le premier ministre Lucien Bouchard dans une lettre qu'il avait pompeusement intitulée J'accuse. Voici tout d'abord la réponse de M. Bouchard:

    La lettre de Pierre Elliott Trudeau remâche des arguments poussiéreux, mais elle éclaire en 1996 les dangereux sentiers que ses successeurs sont tentés d'emprunter.

    Il n'y aura jamais de lecture unique et définitive de l'histoire des relations entre le Québec et le Canada des 30 dernières années. Le débat entre les acteurs, puis entre les historiens, fera toujours rage. C'est normal.

• 1835

    Il est cependant intéressant de noter qu'un des acteurs principaux de ce drame, l'ancien premier ministre, Pierre Elliott Trudeau, considère qu'il n'existe qu'une lecture acceptable de cette histoire controversée: la sienne. Dans la lettre ouverte qu'il m'a adressée, dit M. Bouchard, M. Trudeau ne se limite pas à réitérer, une énième fois, sa version des faits. Du haut de sa certitude, il décrète que la lecture que les souverainistes en font tient, nécessairement, de la démagogie.

Là, M. Bouchard nous dit:

    Ce qui me place en assez bonne compagnie. En effet, M. Trudeau poursuit depuis des années l'ensemble des premiers ministres québécois de sa vindicte et son J'accuse a de forts relents de déjà vu. De plus, sa diatribe est sérieusement déphasée dans le contexte québécois actuel, soulevant de vieilles querelles au moment où les Québécois et leur gouvernement s'entendent sur des priorités tout autres: l'emploi, l'éducation, et les finances publiques.

Monsieur le président, c'est pour cela que je vous disais tout à l'heure qu'il n'y a pas de menace séparatiste. Le gouvernement du Québec avait carrément décidé de donner la priorité à la santé, l'emploi, l'éducation et les finances publiques. Mais le gouvernement fédéral, en présentant le projet de loi C-20, a voulu repartir les hostilités, redémarrer l'industrie constitutionnelle et il sera jugé pour cela.

M. Bouchard nous disait donc:

    Il serait donc futile de débattre du passé avec M. Trudeau si l'occasion ne permettait pas, aussi, d'éclairer le présent et l'avenir. Dans la mesure où les successeurs de M. Trudeau semblent vouloir s'engager dans des chemins balisés par lui, il m'a semblé opportun de relever quelques-uns de ses thèmes et d'en tirer des leçons utiles.

Au chapitre «Le mépris», dans la lettre de M. Bouchard:

    M. Trudeau me reproche de «prêcher le mépris pour les Canadiens qui ne partagent pas (mes) opinions». Aucune des citations qu'il m'attribue n'étaye cette accusation. J'estime que les intérêts légitimes des deux peuples qui forment le Canada sont contradictoires et ne peuvent être réconciliés au sein du cadre fédéral, comme l'atteste amplement l'histoire récente du pays. La volonté du mouvement souverainiste d'établir un partenariat entre nos deux peuples devenus souverains démontre, d'ailleurs, notre intérêt pour une politique de bon voisinage et de respect mutuel.

    Dans le débat démocratique, il y a un pas entre les chocs des idées et le mépris de l'autre; un pas que M. Trudeau franchit malheureusement assez allègrement dans ses écrits, notamment envers ceux qu'il appelle les Canadiens français et qui ne partagent pas ses opinions.

    Ainsi, il reprenait sans gêne, comme introduction à un texte publié il y a quatre ans, une phrase de son tout premier article de Cité libre de 1950, où il affirmait: «Nous sommes en voie de devenir un dégueulasse peuple de maîtres-chanteurs.»

M. Trudeau disait cela en 1950. Il disait cela des Québécois.

    Actualisant ce verdict, il ajoutait en 1992: «Les choses ont bien changé depuis ce temps, mais pour le pire.»

Donc, monsieur le président, pour bien comprendre, en 1950, Trudeau disait, en parlant des Québécois: «Nous sommes en voie de devenir un dégueulasse peuple de maîtres-chanteurs.» En 1992, il dit: «Les choses ont bien changé depuis ce temps, mais pour le pire.» Alors, imaginez-vous, monsieur le président, le qualificatif venant de l'ancien premier ministre Trudeau. Il est assez rare qu'un homme politique exprime, à répétition et avec l'expérience de toute une vie, un tel dédain pour l'ensemble de ses concitoyens.

• 1840

    Dans son texte de samedi dernier, il accuse Jean Lesage, René Lévesque et Robert Bourassa de tous les maux. Il est particulièrement novateur lorsqu'il tente de rendre M. Bourassa partiellement responsable de la mort de l'Accord du Lac Meech.

    M. Trudeau, qui omet de citer son propre rôle et celui de M. Jean Chrétien dans l'échec de Meech, ne se gênait pas, à l'époque, pour affirmer «Meech me terrifie...

Monsieur le président, je me rappelle qu'à l'occasion des discussions sur Meech, j'avais parlé avec beaucoup de mes concitoyens et les gens disaient: «Ouais, Meech ça doit être bon pour le Québec». Alors, je disais: «Sur quoi vous basez-vous pour dire que Meech doit être bon pour le Québec?». Oui, Meech ça doit être bon pour le Québec, Trudeau est contre. Si Trudeau est contre c'est parce que c'est bon pour le Québec.

    Nous avons des exemples dans l'histoire où un gouvernement devient totalitaire parce qu'il agit en fonction d'une race et envoie les autres dans les camps de concentration.» Il traitait «d'eunuques» et de «pleutres» les premiers ministres du Canada et des provinces qui avaient signé l'Accord. Ils se rendaient coupables à ses yeux de modifier ainsi «sa» Constitution de 1982 qui devait, disait-il en empruntant une véritable référence à une sinistre idéologie des années 30, «durer 1000 ans».

    Quand au rôle joué par M. Chrétien dans le torpillage de l'Accord, on ne trouve guère de meilleur témoin que son actuel ministre des Finances, Paul Martin,...

Ah! Là, je vais faire mal aux libéraux, monsieur le président. Vous allez voir ce que je veux vous dire, regardez bien les appels au Règlement et les interruptions, les criages de l'autre côté de la Chambre parce que là je m'adresse à Paul Martin. Il y a des gens qui veulent se positionner en fonction d'une éventuelle course à la chefferie. Il y a des gens qui n'accepteront pas qu'on parle en mal de Paul Martin.

    ...on ne trouve guère de meilleur témoin que son actuel ministre des Finances, Paul Martin, qui le suivait à la trace dans la course au leadership libéral. Il accusait à l'époque son adversaire d'avoir «fait campagne pendant un an sur le dos du Québec en disant au Canada anglais qu'il n'y aurait pas de problème au Québec si l'Accord du Lac Meech échouait». M. Martin trouvait notamment «inacceptable le fait que Jean Chrétien refuse de parler en bien du Québec».

    Il ne fait aucun doute qu'au cours des débats des dernières années, les représentants québécois ont dû commettre, de temps à autres, des erreurs d'appréciation, de stratégie ou de tactique. Nous laisserons aux historiens le soin d'en faire le tri. Ils ont cependant eu le courage, et je pense ici en particulier à Brian Mulroney, de tenter de forger un compromis canadien qui inclurait, plutôt que d'exclure, les Québécois. M. Mulroney a payé très cher sa tentative de sortir le Canada du «gâchis» légué, disait-il avez raison, par son prédécesseur.

Et ça, monsieur le président, je dois le reconnaître, même si nous du Bloc québécois avons contribué à la défaite électorale des conservateurs, où en 1993 ils se sont ramassés avec deux seuls députés. Je dois confesser que M. Mulroney, au moins, ne mérite pas le reproche de ne pas avoir essayé.

    Notons, cependant, que M. Trudeau considère personnellement n'avoir commis aucune erreur dans sa propre action canadienne, malgré les traumatismes dans lesquels il a plongé son pays.

    De même, aujourd'hui, M. Chrétien et plusieurs ténors fédéralistes, Comme on pourrait dire le ministre Dion,

    font preuve d'une grande arrogance envers l'intelligence des Québécois. Eux qui ont mis le mot «séparation» sur chaque poteau de téléphone du Québec, affirment maintenant que les électeurs du OUI n'ont pas compris la question et ne savaient pas qu'en disant OUI, le Québec deviendrait souverain.

Monsieur le président, c'est une insulte à l'intelligence des Québécois. Et je peux vous dire que j'ai de la difficulté à l'accepter. Parce que j'ai énormément de respect pour les 2 361 741 personnes qui ont voté oui.

• 1845

Et comme M. Facal nous le disait ce matin, ce n'est pas vrai que les 301 députés de la Chambre des communes, dont 226 proviennent de l'extérieur du Québec, ce n'est pas vrai que les 301 députés, incluant même les députés du Bloc québécois, ce n'est pas vrai qu'ils sont capables de mieux apprécier que les personnes qui se seront prononcées démocratiquement sur un référendum, exactement comme monsieur Facal l'a dit ce matin.

En réponse au fameux J'accuse de Trudeau M. Bouchard dit:

    Il est indubitable qu'une proportion de gens, sachant qu'ils votaient pour la souveraineté, espéraient que le processus déclenché par un OUI provoquerait un ultime sursaut du Canada, modifiant l'issue du parcours. Les chefs souverainistes ne partagent pas leur analyse, mais des électeurs ont le droit de la faire— comme une bonne proportion des électeurs du NON de 1980 et de 1995 ont le droit de faire le pari que leur vote entraînerait une plus grande autonomie pour le Québec, même si M. Trudeau et M. Chrétien y étaient farouchement opposés.

Rappelons-nous M. Trudeau qui disait: «Un vote pour le NON c'est un vote pour le OUI». Imaginez-vous, déjà là...

Une voix: C'était clair.

M. Michel Guimond: ...déjà là la clarté: «Un vote pour le NON, c'est un vote pour le OUI». Mais un oui à quoi? Un oui au renouvellement de la fédération canadienne. Ah oui? Et comment s'est manifesté ce renouvellement de la Constitution canadienne? Il s'est manifesté par le coup de force du rapatriement unilatéral de la Constitution, en 1982. Bel exemple de démocratie, monsieur le président!

M. Bouchard nous dit:

    Mais il est inquiétant que des leaders fédéralistes assimilent cet espoir—ce pari—à de l'ignorance ou de la stupidité. Leur attitude, comme celle de M. Trudeau dans les années 70, prédispose à un aveuglement qui ne peut que conduire à de nouvelles désillusions.

Examinons maintenant la trahison.

    Trois fois dans son texte publié samedi dernier, M. Trudeau accuse René Lévesque d'avoir «trahi» ses alliés du Canada en 1981. Dans son texte anglais, il utilise le même terme à mon endroit.

C'est Lucien Bouchard qui parle.

    Même s'il a été assez largement utilisé pour décrire les événements entourant la promesse référendaire de M. Trudeau de 1980, puis l'attitude du Canada anglais lors des négociations de 1981, le mot «trahison» ne fait pas partie de mon vocabulaire et, contrairement à ce qu'affirment certains leaders fédéralistes dont Daniel Johnson, je ne l'ai pas employé.

    Il est intéressant de noter, cependant, que les leaders du camp du NON de 1995, Daniel Johnson, et de 1980, Claude Ryan...

qui a témoigné ici devant ce comité, qui a commencé en nous disant, d'entrée de jeu,... Il n'a pas voulu qu'il y ait aucune ambiguïté quant à ses opinions politiques. M. Ryan a été honnête. Il a commencé son témoignage devant le comité ici qui étudie le projet de loi C-20, le projet de loi aussi, à ce comité législatif, où le gouvernement a voulu nous imposer le bâillon.

Une voix: Il a toujours défendu le Québec, M. Ryan. On ne pourra jamais lui reprocher ça.

M. Michel Guimond: Le gouvernement a voulu déposer une motion pour nous empêcher de faire l'étude article par article, auquel nous avons dû nous opposer.

M. Ryan...

[Traduction]

M. Reg Alcock: Je fais un rappel au Règlement, monsieur le président. Encore une fois, je constate qu'il y a confusion. J'ai indiqué que le ministre est prêt à venir ici pour débattre de cette question. Je sais que le député à un petit peu peur de débattre avec le ministre, mais je l'assure que le ministre se comportera de façon rationnelle, qu'il sera raisonnable, qu'il l'aidera peut-être à comprendre ce point-là.

Nous avons des fonctionnaires qui sont ici qui pourraient certainement l'aider à comprendre ce qu'il a du mal à comprendre.

Le président suppléant (M. Bill Blaikie): Il me semble que c'est comme le non-rappel au Règlement que nous avons eu tout à l'heure.

[Français]

M. Michel Guimond: Oui, monsieur le président. Et je veux juste dire—

[Traduction]

M. Reg Alcock: Il n'y a aucune raison d'avoir peur de discuter avec le ministre.

[Français]

M. Michel Guimond: Je voudrais juste dire au secrétaire parlementaire du ministre Dion que nous n'avons pas peur de débattre du contenu de ce projet de loi. Et j'ose espérer que le gouvernement, lors de l'étude du rapport en Chambre, nous donnera tout le temps nécessaire pour discuter de chacun de nos amendements, nous donnera le temps nécessaire pour que chacun des collègues, chacun des 301 députés de la Chambre des députés, s'ils ont le goût de s'exprimer puissent le faire en toute légitimité sur chacun des amendements qui seront déposés par chacun des partis.

• 1850

Si le secrétaire parlementaire est en mesure de garantir cet esprit démocratique, cette offre si conviviale qu'il me fait de nous donner en pâture le ministre, de nous donner la chance d'interroger le ministre.

[Traduction]

M. Reg Alcock: J'invoque le Règlement, monsieur le président. Je comprends ce que dit le député. Je le comprends un petit mieux maintenant. J'estime toutefois qu'il serait mieux préparé à ce débat s'il permettait aux fonctionnaires qui sont dans la salle de se présenter à la table. Il sont nombreux à attendre d'offrir au député des explications et des conseils sur la façon d'améliorer le projet de loi. S'il n'avait pas si peur de débattre de ces choses-là, je crois qu'ils ne demanderaient pas mieux que de venir discuter avec lui.

Le président suppléant (M. Bill Blaikie): Je crois qu'il s'agit du même rappel au Règlement.

[Français]

M. Michel Guimond: Monsieur le président, on va s'engager dans un débat du type, nous au Québec on a cela quelques fois, «mon père est plus fort que ton père». Qui n'a pas voulu qu'on entende de nombreux citoyens et de nombreux groupes? Quel côté n'a pas voulu que ce comité se déplace au Québec et au Canada dans toutes les régions?

Monsieur le président, je ne veux pas commencer à débattre ça. Je veux vous dire qu'on va le faire en Chambre lorsque les 301 collègues auront la possibilité de s'exprimer et de discuter chacun des amendements. De toute façon, les sbires du Conseil privé, on sait qu'ils vont être dans l'antichambre du côté du gouvernement et qu'ils vont être capable de dire, comme on a vu les sbires du Conseil privé suggérer des questions pendant tous les débats. On a vu comment ça s'est passé.

Moi, en toute bonne foi, j'ai initié mes questions. J'ai initié mon débat. Bref, monsieur le président, j'étais en train de vous dire que:

    Il intéressant de noter, cependant, que les leaders du camp du NON de 1995, Daniel Johnson, et de 1980, Claude Ryan, dans des textes bien pesés ont récemment utilisé ce terme pour décrire les conséquences des actions de M. Trudeau.

C'est le terme «trahison» auquel on réfère.

    En juillet dernier, dans la revue Foreign Policy, Daniel Johnson [fils] écrivait ce qui suit:

Et Daniel Johnson, monsieur le président, à ce que je sache, n'est pas membre du Bloc québécois. Il n'est pas membre du Parti québécois. Il ne contribue pas à la Caisse électorale du Parti québécois. Il ne contribue pas à la Caisse électorale du Bloc québécois. Il n'a pas la réputation d'avoir beaucoup d'affinités avec les souverainistes. Et ce qu'on reconnaît là-dessus...Je vois mon collègue de Hull—Aylmer qui est attentif, qui me laisse m'exprimer. J'apprécie sa grande ouverture d'esprit et sa grande sollicitude. Il a été proche des cercles libéraux.

Je vais lui demander d'opiner du bonnet parce qu'il va pouvoir parler juste vers 10 h 20 quand j'aurai fini de parler. Mais il va être d'accord avec moi que Daniel Johnson, quand il écrivait dans la revue Foreign Policy ce qui suit:

    Le rapatriement de la Constitution de 1982 s'est soldé par l'exclusion du Québec et a empêché les Québécois de participer à une étape importante de l'auto-identification des Canadiens. Cela a créé chez les Québécois un sentiment de trahison et d'isolement qui subsiste encore aujourd'hui.»

    En novembre dernier nous dit M. Bouchard

    dans le quotidien The Gazette, Claude Ryan abondait en ce sens: «Un grand nombre de Québécois, dont plusieurs fédéralistes, ont eu le sentiment d'avoir été trahis.»

    Personne ne devrait se surprendre de l'opposition des souverainistes québécois aux agissements du premier ministre fédéral de l'époque. Cependant, les jugements portés par ces alliés fédéralistes québécois sapent considérablement les prétentions de M. Trudeau et nous éclairent sur les réflexes postréférendaires fédéraux, ceux du passé et ceux du présent.

• 1855

    Dans son livre Regard sur le fédéralisme canadien publié le printemps dernier, Claude Ryan résumait les évènements de 1980 comme suit: «Quand il s'était engagé, quelques jours avant le référendum, dans un discours prononcé au centre Paul-Sauvé, à Montréal, à réformer le système fédéral canadien, plusieurs, dont l'auteur de ce livre, (donc Claude Ryan), avaient compris qu'il envisageait alors une opération qui serait conçue et conduite de concert avec ses alliés référendaires. (...) Mais Trudeau avait son propre ordre du jour, qui n'était pas celui du PLQ.»

Monsieur le président, on a eu devant nous ici, à ce comité sur C-20, où on s'est fait imposer le bâillon, où on s'est fait imposer le droit de pouvoir prendre du temps pour discuter article par article du projet de loi, on a voulu nous limiter à une heure, et c'est pour ça qu'on parle à l'heure actuelle. C'est pour ça qu'on s'oppose, parce qu'on a voulu nous bâillonner, monsieur le président. C'est la seule raison.

Je suis persuadé que si le gouvernement ne s'était pas comporté comme il s'est comporté, on aurait pu faire une étude beaucoup plus approfondie du projet de loi C-20. Mais, monsieur le président, je vous dis qu'on va la faire quand même cette étude approfondie du projet de loi. On va la faire lorsque nous serons à la Chambre des communes, en plénière.

    Ainsi, le chef du camp du NON de 1980 fut complètement écarté des opérations constitutionnelles postréférendaires de M. Trudeau. M. Ryan a une vision nuancée du contenu de la réforme de 1982, mais il récuse fermement la méthode employée et il s'y opposa à l'Assemblée nationale. Samedi dernier, comme il l'avait fait par le passé, M. Trudeau,

dans son J'accuse,

    trafique à ce sujet les dates et les votes. Dans son livre, M. Ryan juge sévèrement ces tentatives de «faire croire qu'une majorité des parlementaires siégeant à Québec et à Ottawa avaient approuvé son projet». Il conclut...

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. À l'ordre.

M. Daniel Turp: On parle trop, là.

Le président: Est-ce qu'il y aura une disposition de la part du comité de suspendre la séance pour un quart d'heure pour qu'on puisse manger? Je sais bien que l'honorable député, M. Guimond, qui parle, a peut-être une grande faim. Et il y a d'autres députés autour de la table qui ont aussi une grande faim. Si tout le monde est agréable, nous pouvons avoir une petite pause.

M. Michel Guimond: Monsieur le président.

Le président: Oui, monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: Je veux vous dire que j'apprécie énormément l'offre que vous faites, et je pense que ça fait tout simplement démontrer votre grand respect pour les êtres humains, entre autres pour celui qui parle, entre autres pour celui qui hume les fumets du met qui nous attend.

Mais, monsieur le président, je dois vous dire que je ne peux donner mon consentement unanime parce que j'ai tellement de choses à dire et que le temps me manque. Je vous demande la permission, monsieur le président, de continuer. Mes collègues sont libres de faire comme la très grande majorité des collègues font à l'heure actuelle. Ils sont très libres de manger. Ils ont le respect de ne pas manger à ma face, ils ne mangent pas à table. Mais j'aimerais continuer, monsieur le président.

Le président: Ah, nous serons sans doute enchantés de vous entendre, monsieur Guimond. Continuez.

M. Michel Guimond: Je disais donc que:

    Ainsi, le chef du camp du NON de 1980 fut complètement écarté des opérations constitutionnelles postréférendaires de M. Trudeau. M. Ryan a une vision nuancée du contenu de la réforme de 1982, mais il récuse fermement la méthode employée et il s'y opposa à l'Assemblée nationale.

Donc M. Ryan conclut dans son livre que M. Trudeau s'adonne à une déformation de l'histoire.

    De même, le chef du camp du NON de 1995, Daniel Johnson, a été aujourd'hui

au moment de la période de la campagne référendaire de 1995,

    à ce point exclu de la réflexion en cours à Ottawa qu'il doit signaler à ses alliés d'hier, par médias interposés, qu'ils sont «à côté de la track» et s'engagent dans des voies contraires aux orientations fondamentales du PLQ, notamment en ce qui concerne l'intégrité territoriale du Québec.

Ce qu'on a appelé la partition.

• 1900

    L'histoire est-elle en train de se répéter?

nous dit M. Bouchard,

    En 1981, plusieurs électeurs libéraux se sont sentis, disons, «floués» par M. Trudeau. Ils n'avaient pas compris que les changements proposés allaient se faire unilatéralement, contre la volonté du PLQ et de l'Assemblée nationale. En 1995, M. Chrétien a promis qu'un NON provoquerait des «changements qui s'imposent». Comment les électeurs du NON réagiront-ils lorsqu'ils s'aviseront que les changements proposés visent à modifier unilatéralement les règles de la démocratie québécoise et à dépecer le territoire québécois?

M. Bouchard, parlant de Pierre Elliott Trudeau, dit:

    L'ancien premier ministre canadien ne se contente pas de dénigrer les efforts constitutionnels de ses homologues québécois et de ses successeurs. Il prétend définir, seul, en quoi consistent les «revendications traditionnelles du Québec». Ainsi, il affirme qu'elles «consistaient essentiellement en une chose: le respect du fait français au Canada, principalement en matière de langue, dans les instances fédérales et d'éducation dans les provinces où les francophones étaient en minorité».

M. Bouchard dit:

    Ces objectifs étaient certes louables et soutenus par les Québécois. Mais vouloir réduire la revendication québécoise à ces seuls éléments est tellement étranger à la réalité historique de l'après-guerre qu'il serait fastidieux de l'invalider point par point.

    Notons simplement qu'au moment où M. Trudeau vote sa fort nécessaire Loi des langues officielles, en 1969, il y a trois partis politiques au Québec: l'Union nationale, au pouvoir, a été élue sur la plate-forme «égalité ou indépendance»; le Parti libéral québécois vient d'adopter une plate-forme proposant «le statut particulier»; et le Parti québécois, naissant, prône «la souveraineté-association». En niant l'existence des revendications historiques du Québec, M. Trudeau se conduit comme ces pharaons de l'ancienne Égypte qui, lorsqu'ils étaient insatisfaits de l'histoire, faisaient gommer et disparaître de leur royaume toute inscription, mention ou tout rappel désobligeants.

    On trouve cependant ici une importante leçon. Dans sa croisade en faveur des langues officielles, M. Trudeau a créé un énorme malentendu entre nos deux peuples. Il a fait croire au Canada que l'adoption du bilinguisme institutionnel allait régler le problème québécois. Rien n'était plus faux. Des millions de Canadiens ont investi leur énergie politique et leur bonne foi dans cet espoir. La frustration que M. Trudeau a ici engendrée au Canada anglais est un des facteurs les plus néfastes de notre histoire récente.

    Aujourd'hui, M. Chrétien et son ministre Stéphane Dion s'astreignent à convaincre le Canada qu'une reconnaissance du caractère distinct du Québec, agrémentée de quelques verrous supplémentaires,

comme ce projet de loi C-20,

    pourrait régler le cas québécois. Au Québec, les leaders d'opinion fédéralistes et souverainistes et les sondages d'opinion contredisent énergiquement ces affirmations dépassées et erronées. Ce serait tragique, pour le Canada et pour le Québec, qu'un second malentendu de cette ampleur empêche une lecture plus lucide des choses et brouille pour une génération ce qui reste de bonne volonté réciproque.

M. Bouchard nous dit:

    M. Trudeau affirme que, par mes arguments référendaires, j'aurais «souillé la bonne réputation démocratique de la province du Québec».

    On pourrait rétorquer sèchement que le premier ministre canadien qui a suspendu les libertés civiles de 1970, ouvrant la voie à l'emprisonnement sans raison, sans acte d'accusation et sans recours des 500 citoyens—dont quelques poètes— pour simple délit d'opinion et cautionnant 3 000 perquisitions sans mandat, est mal placé pour donner des cours de démocratie.

• 1905

    Pour en revenir aux questions constitutionnelles, M. Trudeau a déjà avoué que son opération de 1981 avait été sciemment conçue comme une offensive qui n'aurait pas à respecter les règles démocratiques et il a reconnu qu'elle pourrait causer un tort irréversible.

    Ainsi, lorsque ses biographes,

les biographes de M. Trudeau,

    Stephen Clarkson et Christina McCall lui ont demandé pourquoi il n'avait pas retenu les services du respecté mandarin Gordon Robertson pour le conseiller sur la Constitution à compter de 1980, M. Trudeau a donné une réponse révélatrice: «Disons simplement qu'à cette dernière étape, je pensais qu'il fallait presqu'un putsch,

C'est M. Trudeau qui parle, là.

    «...je pensais qu'il fallait presqu'un putsch, un coup de force et Gordon (Robertson) était beaucoup trop gentleman pour ça. Gordon était un mandarin dévoué au bien commun et qui craignait qu'un dommage irréparable soit causé au tissu social. J'ai donc choisi quelqu'un d'autre.»

Fin de la citation tirée de la biographie de M. Trudeau, mais qui sort de la bouche de M. Trudeau.

On a entendu des gens comme Alliance Québec parler de gouvernement révolutionnaire, monsieur le président. On n'a pas de leçon de démocratie à recevoir de Bill Johnson et d'Alliance Québec.

    Le dédain de M. Trudeau pour les formes démocratiques est également visible dans sa relation des événements du 4 novembre 1981. Par-dessus tout, l'entêtement avec lequel il persiste à trouver normal et légitime le procédé utilisé dans la nuit du 4 au 5 novembre force l'admiration. Un test simple suffit pourtant à percer l'artifice. Expliquez à n'importe quel étranger que 11 premiers ministres étaient conviés à une conférence cruciale pour l'avenir et que, pendant la dernière nuit, dix d'entre eux se sont concertés pour concevoir un accord qui, loin de satisfaire le onzième, lui enlevait une partie de ses acquis. Vous ne trouverez aucun étranger qui croira qu'une démocratie ait pu agir ainsi, quelles qu'aient été les circonstances ou les alliances.

    Mais suivons un instant la chambranlante thèse de M. Trudeau. Il accuse René Lévesque d'avoir «trahi» ses alliés. Qu'est-ce qui vaut au chef québécois cette épithète? C'est qu'il avait accepté de soumettre un aspect clé de la nouvelle Constitution à un référendum.

    Voilà ce qu'on reproche à René Lévesque. Il voulait que les Canadiens et les Québécois puissent s'exprimer, par référendum, sur leur loi fondamentale. Selon l'ancien premier ministre, c'est la raison pour laquelle tous les acteurs du drame—ses alliés et ses adversaires—ont convenu d'une entente qui l'excluait, lui, sa province et son peuple.

    M. Trudeau nous pousse donc à choisir entre un démocrate qui se serait plié à la volonté populaire et un premier ministre fédéral planifiant «presque un putsch, un coup de force».

comme il le disait tout à l'heure dans sa biographie.

    Le choix est facile. Si M. Lévesque était le seul à Ottawa, à croire à la démocratie, il fut fort bien entouré lorsqu'il revint au Québec.

    Les Québécois n'ont cessé de refaire ce choix depuis. Lorsqu'il fut élu en janvier 1980, donc avant le «coup de force», M. Trudeau avait raflé 74 sièges au Québec, avec 68 % du vote. Après le coup de force, à l'élection suivante, en 1984, son parti chuta à 17 sièges et à 35 % du vote. Certes, plusieurs facteurs ont joué dans ce renversement. Mais l'un d'entre eux était la promesse de M. Mulroney de réparer l'erreur commise de 1982. Jamais, depuis 1980, le parti de Pierre Elliott Trudeau n'a réussi à obtenir au Québec, une pluralité de voix. Ne doit-on pas trouver, là, un quelconque signal?

• 1910

Monsieur le président, je veux dire aux libéraux que c'est en plein ce qui va leur arriver aux prochaines élections, en raison de l'adoption du projet de loi C-20. Ça va vous arriver au Québec, et ça va vous arriver ailleurs aussi. Pour les Québécois, là, vous semblez l'oublier, monsieur le président et les collègues, la devise Je me souviens, ce n'est pas l'effet du hasard.

On a une belle devise et souvent on la met en pratique. Comme, quand on a mis les libéraux dehors en 1984, comme quand on a mis les conservateurs dehors en 1993, comme quand on a porté l'élection des députés du Bloc québécois en grand nombre en 1993 où nous sommes devenus l'opposition officielle, alors qu'on ne l'avait pas demandé. On l'a assumée, mais on n'avait jamais dit dans la campagne électorale de 1993: Votez pour un député du Bloc québécois et nous deviendrons l'opposition officielle. Nous sommes devenus l'opposition officielle uniquement en raison du nombre. Uniquement en raison de la démocratie parlementaire d'origine britannique, dont ce parlement est inspiré. C'est pour ça que nous sommes devenus l'opposition officielle.

Et je veux vous dire ce soir que je fais ce discours pour protester contre la motion antidémocratique qui avait été présentée par M. Alcock, qui voulait limiter les travaux et les discussions article par article de ce projet de loi. Il voulait limiter les travaux à une heure par article, une heure pour le préambule. C'est là-dessus que je m'entretiens, monsieur le président, pour encore les trois prochaines heures, et je veux vous dire qu'on va s'en rappeler. On va s'en rappeler. Les libéraux fédéraux de Jean Chrétien et de Stéphane Dion auront à supporter, auront à payer le prix de leurs décisions. En démocratie, monsieur le président, vous allez être d'accord avec moi.

    Aujourd'hui, la tentation du coup de force est malheureusement toujours présente dans l'univers fédéraliste construit par M. Trudeau.

Parce que rappelons-nous que le premier ministre actuel, M. Chrétien, est l'héritier de Trudeau. M. Trudeau a longtemps été son maître à penser, son mentor. Le ministre Dion aussi est l'émule de Pierre Elliott Trudeau, monsieur le président.

    Le soir du référendum d'octobre dernier, s'adressant à la nation et fort d'un vote de 50,6 % pour le NON, M. Chrétien a déclaré: «En démocratie, le peuple a toujours raison. Ce soir, il n'y a qu'un seul gagnant, c'est lui, le peuple. Ce soir, plus que jamais,

nous disait M. Chrétien,

    nous avons toutes les raisons d'être fiers de la démocratie canadienne.»

    Il a ajouté:

M. Chrétien, le soir du référendum de 1995: «Les Québécoises et les Québécois se sont exprimés, nous devons respecter leur verdict.»

    Quelques jours plus tard, cependant, il a déclaré que si le résultat avait favorisé le OUI, il n'aurait pas respecté le verdict des Québécoises et des Québécois.

C'est un moyen bon grand démocrate, ça. Il a bien raison d'être fier de la démocratie canadienne mais probablement que ça ne s'applique pas à lui.

    Depuis, M. Chrétien et ses ministres tentent de trouver des façons de tricher avec la démocratie québécoise, de modifier le seuil qui entraîne un respect du verdict.

On en a encore ici la démonstration dans ce projet de loi C-20. À un article, il est stipulé qu'on donne le pouvoir aux élus de la Chambre des communes, on donne à la Chambre des communes, aux 301 députés dont la grande majorité provient de l'extérieur du Québec, on leur donne la possibilité de se prononcer sur la majorité claire, le pourcentage acceptable.

Mais ça prend vraiment du courage de la part du ministre Dion d'avoir refusé d'en mettre une majorité dans son projet de loi. Pourquoi est-ce qu'il n'a-t-il pas mis 52, 55, 60, 65, 66,6 p. 100? Pourquoi M. Dion n'a-t-il pas fait comme le député Dennis Mills, député de Broadview—Greenwood, au centre-ville de Toronto, qui s'est carrément prononcé en faveur de la règle de 50 p. 100 plus un?

• 1915

Une voix: Quel démocrate! Bravo!

M. Michel Guimond: Et je pense que M. Mills—vous serez d'accord avec moi, monsieur le président, parce que je sais que vous le connaissez personnellement, et je sais que vous avez beaucoup de respect pour lui et pour sa pensée idéologique—je crois qu'il mériterait d'être félicité d'avoir eu le courage...

Une voix: Bravo! Grand démocrate!

M. Michel Guimond: ...d'avoir rompu, d'avoir brisé la ligne de parti.

Une voix: D'avoir eu du courage.

M. Michel Guimond: Parce qu'on l'a vu, monsieur le président, au comité, on l'a vu, M. Mills, après qu'il eut fait ce commentaire. On a vu comment il a été victime, comment il a été torturé par les sbires du ministre Dion. Il a passé un paquet de temps au téléphone. Et là, je vous fais grâce de la façon dont il a été cuisiné par les journalistes. Et les journalistes ont très bien fait leur rôle.

Et le lendemain, on lui a lu, sous la plume du journaliste Alexandre Sirois, on a lu le verbatim, le mot à mot. Et je vais utiliser l'expression en anglais, parce que, entre guillemets, je suis persuadé qu'il est assez bilingue pour le comprendre, ses paroles étaient rapportées in brackets. In brackets! Ces paroles, il les a prononcées.

Je me serais attendu, et on a encore une possibilité, à l'étape du rapport en Chambre, que le ministre Stéphane Dion dépose un amendement pour vraiment réaffirmer. Et j'espère que le ministre Dion aura au moins le courage de dire: «Le député Dennis Mills m'a convaincu.» Ça a pris du cran, du courage, mais il m'a convaincu que la règle du 50 p. 100 plus un était une règle immuable, une règle démocratique.

Une voix: Inviolable.

M. Michel Guimond: Et je félicite le député Mills, un grand démocrate.

Des voix: Bravo!

M. Michel Guimond: Monsieur le président, j'aurais pu m'entretenir longuement encore, mais si je veux finir mon discours dans les moins de trois heures qu'il me reste, je devrai malheureusement revenir au texte parce que le genre de discussion que nous avions ensemble ou plutôt le genre de monologue que j'avais avec vous me fascinait au plus haut point.

Monsieur le président, quelques jours plus tard, donc, le premier ministre Chrétien a déclaré que si le résultat avait favorisé le Oi, il n'aurait pas respecté le verdict des Québécoises et des Québécois.

    Depuis, M. Chrétien et ses ministres tentent de trouver des façons de tricher avec la démocratie québécoise, de modifier le seuil qui entraîne un respect du verdict.

    S'inspirant des propos de M. Trudeau de 1980 sur la divisibilité du Québec, MM. Chrétien et Dion jouent un jeu dangereux avec la démocratie canadienne, sa réputation internationale et, plus encore, sa santé au Canada même.

Monsieur le président, vous savez que les propos que je vous tiens sont directement reliés à la motion qui avait été votée par la majorité des membres de ce comité, qui avait été proposée par M. Alcock et qui prévoyait un bâillon de limiter à une heure l'étude de chacun des articles. Et vous savez que mon propos vise à faire annuler cette motion. C'est pour ça que je tente de convaincre le comité.

Et vous vous rappelez, monsieur le président, que:

    S'inspirant des propos de M. Trudeau de 1980 sur la divisibilité du Québec, MM. Chrétien et Dion jouent un jeu dangereux avec la démocratie canadienne, sa réputation internationale et, plus encore, sa santé au Canada même. Les Québécois ont toujours, eux, respecté les règles démocratiques. Ils ont agi comme un peuple, solidaire de ses décisions, prises à la majorité. Songeons un instant à ce qui ce serait produit s'ils avaient, au contraire, adopté la logique de Trudeau-Chrétien et Dion.

nous dit M. Bouchard.

    En 1865, les parlementaires du Bas-Canada—le Québec d'alors—ont accepté la Confédération par un vote de 37 contre 25. Selon la règle Trudeau-Chrétien-Dion, environ 40 % du Québec aurait donc dû rester à l'extérieur du nouveau Canada.

• 1920

    En août 1867, dans l'élection qui a entériné la Confédération, seulement 55 % des Québécois ont voté pour le Parti conservateur pro-Confédération. Selon la règle Trudeau-Chrétien-Dion, les 45 % restants auraient dû se «partitionner»—comme d'ailleurs les 48 % de Terre-Neuviens qui ont voté contre leur rattachement au Canada en 1942.

C'est un point intéressant, monsieur le président. Il y a 48 p. 100 des Terre-Neuviens, lors du référendum sur l'adhésion de Terre-Neuve à la Confédération canadienne, qui ont voté pour ne pas joindre la Confédération canadienne. Alors, pourquoi ne leur a-t-on pas donné la possibilité de se partitionner, ces 48 p. 100 de Terre-Neuviens? En tout cas, ce serait une belle question à se poser.

Ces décisions majeures nous dit M. Bouchard,

    concernaient pourtant «nos enfants et nos petits-enfants» pour reprendre l'argument qu'invoque M. Dion à l'appui de sa thèse d'un nouveau seuil référendaire. Ces décisions modifiaent fondamentalement l'identité des citoyens concernés. Chaque fois, pourtant, les Québécois ont respecté le verdict majoritaire.

    En 1980, les souverainistes ont tenu leur premier référendum. Alors, le Saguenay—Lac-Saint-Jean a voté OUI, comme 40 % de l'ensemble des Québécois. Il n'est venu à l'idée de personne de décréter que ces territoires pouvaient se proclamer indépendants. Avec raison. C'est le peuple en son entier qui décide,

La souveraineté du Québec, monsieur le président, ou l'attachement de demeurer au Canada, contrairement à ce qu'en pense Alliance Québec, contrairement à ce qu'en pense Equality Party, cela ne se décidera pas rue par rue. Cela ne se décidera pas maison par maison. Cela ne se décidera pas par la grand-mère qui reste dans le sous-sol qui veut rester Canadienne, puis par son petit-fils qui reste en haut dans sa chambre avec ses parents qui, lui, veut devenir souverain. Cela ne se décidera pas pièce par pièce dans une même maison. Voyons. C'est ridicule. C'est une aberration, monsieur le président.

Mais c'est cela, l'Equality Party, qu'ils essaient de nous faire croire, que cela devrait se décider MRC par MRC. Regardez ce qu'ils m'ont répondu quand j'ai parlé des gens de Shigawake et puis de Hope Town. Shigawake et Hope Town pourraient demeurer territoires canadiens. Saint-Godefroi, à côté, ça fait partie du Québec. Après cela, plus loin, Douglastown, à côté de Gaspé, ça ferait partie du territoire canadien. L'Anse-à-Beaufils, ça ferait partie du territoire québécois. Mais c'est une aberration, monsieur le président.

    C'est le peuple tout entier qui décide, pas les MRC, les régions, les quartiers ou les groupes linguistiques,

mais les citoyens et citoyennes qui font partie du peuple du Québec.

    De même, en 1995, toutes les régions québécoises sauf l'Outaouais, la Beauce et une partie de l'île de Montréal ont voté OUI. Personne n'a proposé que les régions ayant voté OUI se «partitionnent». Pour le peuple québécois et l'ensemble de ses partis représentés à l'Assemblée nationale, la règle cardinale exige que la majorité du peuple tranche, ne serait-ce que par une seule voix, ou par 26 000 voix. Le 30 octobre 1995, les souverainistes étaient minoritaires et ils ont respecté le verdict.

Mais cela ne veut pas dire que cette volonté profonde qu'on a en-dedans de nous, qu'on a dans notre âme, qu'on a dans notre coeur, de former un peuple souverain, cela ne veut pas dire qu'avec... Souventes fois, on se fait dire, ici, en face: «Bien, vous avez déjà voté non en 1980. Vous avez déjà voté non en 1995.» Est-ce que cela veut dire que c'est fini? Ce n'est pas la question.

La volonté d'avoir confiance en nous, puis de se prendre en main, puis de dire qu'on est capables de gérer nos affaires, cette question-là se pose souvent dans une vie et elle s'est posée en 1995. Elle va se poser encore, monsieur le président. La démarche du Québec vers sa souveraineté, c'est une démarche irréversible. Que ceux qui nous écoutent au Conseil privé, les sbires du Conseil privé, qu'ils se le tiennent pour dit.

• 1925

Vous aurez beau essayer d'enfermer les Québécois dans n'importe quel projet de loi C-20, vous aurez beau en amener des projets de loi C-20, des caisses de projets de loi C-20, ce n'est pas vrai que vous allez décider pour le peuple du Québec. Comme c'est vrai qu'il y aura beau y avoir n'importe quel jugement de la Cour suprême, ce n'est pas vrai que neuf perruques vont décider pour six millions de tuques!

Des voix: Bravo! Bravo!

M. Michel Guimond: Monsieur le président,

    Le peuple québécois suit en cela l'exemple du Canada, qui a reconnu ces dernières années dans leurs frontières d'origine un grand nombre de nouveaux pays. Tous ces peuples comportaient en leur sein des minorités linguistiques ou régionales démocratiquement et légitimement opposées à la souveraineté de leurs nouveaux États. Le Canada n'a proposé, dans leur cas ni de changer les règles démocratiques, ni de bousculer les frontières. Pourquoi les Québécois, qui se sont rendus aux urnes en octobre dans une extraordinaire de 94 %

pourquoi eux, ces Québécois-là,

    n'auraient-ils pas droit au même respect démocratique?

M. Bouchard nous dit, en parlant de Pierre Elliot Trudeau:

    L'ancien premier ministre a pris la plume pour se rappeler à notre mémoire. C'est son droit. Au-delà des batailles d'«ego» et d'historiens, saisissons-nous de son intervention pour nous rappeler que les 15 ans écoulés depuis son dernier coup de force n'ont pas suffi à réparer le tort qu'il avait causé.

Et je vous dis sincèrement, monsieur le président, avec le dépôt du projet de loi C-20, si ce projet de loi est adopté, on continue encore l'affront au Québec et on continue encore, sous une autre démonstration, le coup de force de 1982. Cela dure depuis 18 ans, monsieur le président. Il doit y avoir des raisons.

Pourquoi ne l'a-t-on pas acceptée cette Constitution depuis 18 ans? Pourquoi nous, les Québécois, depuis 30 ans, 40 ans, il y a une forte proportion de la population qui veut devenir souveraine. Alors,...

[Traduction]

Le président suppléant (M. Dennis Mills): Monsieur Guimond, je suis sûr que vous vous rendez compte qu'il y a près de 3 à 4 millions de Canadiens d'un océan à l'autre qui vous écoutent. Nous recevons des appels de certains d'entre eux qui voudraient prendre une pause repas. Aimeriez-vous prendre une pause repas? Ils sont tellement pris par ce que vous dites...

Des voix: Ah, ah!

Le président suppléant (M. Dennis Mills): Qu'en pensez-vous? Voulez-vous prendre une pause de 15 ou 20 minutes pour que les Canadiens d'un bout à l'autre du pays puissent aussi aller prendre une bouchée vite faite, après quoi ils seront de retour?

[Français]

M. Michel Guimond: Monsieur le président, encore une fois vous allez vous rendre compte que moi, avant d'être député, j'ai travaillé 16 ans en relations de travail. Des nuits à négocier et des nuits à argumenter j'en ai passées; des nuits sans manger, des nuits à boire du café et boire de l'eau, j'en ai passées.

Je vais vous dire, monsieur le président, vous aussi je vous apprécie, je vous remercie pour l'offre que vous me faites, mais je veux vous dire que je ne la relève pas et je crois qu'il serait pertinent que je continue. Vous allez vous rendre compte, monsieur le président, et les personnes qui nous écoutent aussi, les 3 à 4 millions que vous avez dits tout à l'heure, vont se rendre compte que j'ai la couenne dure.

Des voix: Ah, ah!

M. Michel Guimond: Je suis un tough.

M. Daniel Turp: Guimond, prouve-le.

M. Michel Guimond: Monsieur le président,

    À l'heure où certains, à Ottawa, inspirés par ces thèses,

les thèses de Trudeau,

    envisagent de suivre ses traces, il est bon de voir où son comportement passé nous a conduits, Canadiens et Québécois, anglophones et francophones.

    Au Québec, les Jean Lesage et René Lévesque, Daniel Johnson père et fils, Jacques Parizeau, Claude Ryan et Brian Mulroney ne sont sans doute pas parfaits. Leurs projets et leurs lois ne dureront peut-être pas «mille ans».

Comme ceux de M. Trudeau.

    Mais, tous ils ont respecté le processus et le verdict démocratique. Tous ils se sont pliés aux décisions majoritaires. Tous ils ont donné raison à la volonté du peuple québécois.

• 1930

    Tous, à un moment ou à un autre, ont été répudiés, conspués, accusés par Pierre Elliot Trudeau.

M. Bouchard nous rappelle que:

    Six jours seulement après mon assermentation, me voici introduit par Pierre Elliott Trudeau dans ce club des démocrates.

Et M. Bouchard conclut sa réponse au fameux J'accuse de M. Trudeau:

    Avec eux, et tous les Québécois, je plaide coupable.

Examinons maintenant, monsieur le président, ce que M. Claude Morin, ancien ministre des Affaires gouvernementales dans le gouvernement de René Lévesque, écrivait lors du rapatriement et, lui aussi, pour répliquer à Pierre Elliott Trudeau:

    Dans les journaux du 3 février dernier, Pierre Elliott Trudeau repartait en guerre. Cette fois, c'était contre le premier ministre Lucien Bouchard qui, je suppose, symbolise à ses yeux ce qu'il a vainement combattu toute sa vie: le patriotisme québécois. Mais il ne s'en prend pas seulement au premier ministre: sans doute furieux du résultat obtenu par les souverainistes au référendum du 30 octobre, frustré qu'on ne lui ait pas demandé d'intervenir pendant la campagne...

Ça, c'est intéressant. C'est vrai, dans la campagne référendaire de 1995, pourquoi est-ce qu'on n'a pas demandé à M. Trudeau de venir faire campagne au Québec? C'était un grand Québécois, c'était quelqu'un qui avait laissé un monument, quelqu'un qui avait une politique importante, quelqu'un qui avait eu l'appui des Québécois, quelqu'un qui avait été élu, réélu, réélu, réélu par les Québécois. Pourquoi est-ce qu'on ne l'a pas invité, en 1995, à venir faire campagne à côté de M. Daniel Johnson fils, avec M. Chrétien? La question est intéressante.

Je m'excuse de cette digression, je reviens à mon texte.

    ...frustré qu'on ne lui ait pas demandé d'intervenir pendant la campagne, toujours inquiet de voir son «oeuvre» de 1982 remise en question et soucieux de l'opinion que garderont de lui les générations futures, il profite de sa sortie...

M. Morin commente le J'accuse.

    ...il profite de sa sortie pour nous présenter de nouveau sa propre interprétation de l'histoire selon laquelle—mais cela n'est pas nouveau—il est l'unique détenteur de la vérité.

    Dans son article, M. Trudeau avance une vision tronquée des revendications politiques du Québec et offre des négociations constitutionnelles de 1980-1981 une image qui n'est pas, pour dire le moins, très exacte. Il traite aussi de l'accord du lac Meech...

Mais M. Morin nous dit qu'il ne sent pas le besoin d'en parler ici.

    ...encore nombreux aujourd'hui, les participants et les témoins peuvent rétablir les faits.

    M. Trudeau dit que les revendications véritablement historiques des Canadiens français consistaient essentiellement en une chose: le respect du fait français au Canada. Puis, se référant à une déclaration de Jean Lesage en juillet 1960, il réduit les réclamations de ce dernier à deux seuls points: le rapatriement de la constitution et le respect des droits linguistiques et éducationnels des minorités francophones hors Québec. C'est tout.

    Selon M. Trudeau,

nous dit M. Morin,

    ces points auraient pu être réglés par la formule Fulton-Favreau de 1964 et la charte de Victoria de 1971, mais, accuse-t-il, l'une et l'autre solution furent répudiées par les premiers ministres Lesage et Bourassa qui les avaient pourtant négociées et acceptées: manquant à la parole donnée, ils abandonnèrent les propositions traditionnelles du Québec et provoquèrent l'échec des pourparlers. De la même manière et dans la version trudeauiste des faits, le projet fédéral de 1980-1981 visait à donner suite aux «revendications véritablement historiques» du Québec (...), mais cette fois c'est René Lévesque qui s'y opposa.

• 1935

    Autrement dit, ce sont les représentants québécois eux-mêmes qui, ne respectant pas leur parole, ont toujours été responsables de leurs échecs. Ce sont eux qui ont abandonné les revendications traditionnelles du Québec, alors que, pour leur part, Ottawa et les autres provinces faisaient preuve d'ouverture et étaient prêts à les satisfaire.

Selon M. Morin,

    M. Trudeau caricature les positions québécoises et masque le plus important: les revendications du Québec et ses suggestions de réforme du fédéralisme ont d'abord et avant tout constamment porté sur le partage des pouvoirs, position qui était et demeure fondée sur le fait sociologique et vérifiable que les Québécois forment un peuple.

On se rappelle tous que:

    Pendant les années 1940 et 1950, Maurice Duplessis a exigé le respect de ce qu'il appelait l'autonomie provinciale et s'est opposé à l'envahissement systématique par Ottawa des compétences relevant des provinces. C'est même en tant que défenseur des droits du Québec, donc de ses pouvoirs, que Duplessis est surtout passé à l'histoire.

Rappelez-vous ce que M. Duplessis disait, monsieur le président: «donnez-nous notre butin», vous savez, avec sa verve, avec sa mimique, quand M. Duplessis disait«redonnez-nous notre butin».

    M. Trudeau semble bien être seul à ne pas s'en souvenir.

    En juillet 1960, peu après son élection, Jean Lesage a adopté une position semblable à celle de Duplessis et est même allé plus loin que lui: il a demandé, contre compensation, la fin des programmes conjoints fédéraux-provinciaux. Cette réclamation, il l'a maintes fois reprise, comme en témoignent ses fréquentes interventions publiques sur le sujet, mais il ne s'est pas limité à cela. Par exemple, le 20 septembre 1964, dans un discours à la Fédération libérale du Québec, il déclarait: «Notre province a des traits particuliers, un caractère propre, qu'il est de son devoir de sauvegarder et qu'elle a le droit de mettre en valeur.»

M. Lesage nous disait:

    Le Québec d'aujourd'hui doit posséder et contrôler, dans la mesure du possible, les leviers économiques, sociaux, administratifs et politiques grâce auxquels, et grâce auxquels seulement, il pourra réaliser ses aspirations légitimes de peuple adulte.»

    Dans le même discours il précisait que le cadre constitutionnel canadien devait évoluer de façon à «permettre à notre communauté d'atteindre elle-même et par les moyens qui lui conviennent les objectifs qu'elle se fixe librement.»

    Daniel Johnson, père, reprenait un thème identique dans le mémoire qu'il déposait devant la conférence sur le Canada de Demain, à Toronto le 27 novembre 1967: «Que veut le Québec?

Rappelons-nous du fameux What does Quebec want?», What does Quebec want?. C'est une façon de dire qu'est-ce qu'il y a au Québec? Vous n'êtes jamais contents. Vous êtes donc bien chiâleux. C'est quoi votre problème? Pourquoi, depuis 40 ans, que les Québécois et les Québécoises ne sont pas contents? Y a-t-il quelque chose de viscéral? Y a-t-il quelque chose qu'on a? On n'est pas contents parce que le système,—et j'espère que vous allez le comprendre,—ça ne marche pas. Il ne marche pas le système et les Québécois ont compris que le seul moyen de sortir de... le seul moyen d'avoir un système qui marche pour les Québécois, c'est de sortir du système actuel.

Donc, Daniel Johnson, père, dans son...

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. M. Proulx fait appel au Règlement.

M. Marcel Proulx: Monsieur le président, j'aimerais suggérer à nos confrères du Bloc québécois, en avant, pourquoi on ne procéderait pas à l'étude article par article du projet? Ils pourraient en débattre avec le ministre Dion qui est prêt à venir ici avec ses conseillers. Ou est-ce que les membres du Bloc québécois ont plutôt peur de débattre avec M. Dion?

• 1940

Le président: Je n'interpréterai pas que c'est un appel au règlement. C'est une question, mais ce n'est pas un appel au règlement. Monsieur Guimond a la parole.

M. Michel Guimond: Oui, monsieur le président, il faut simplement se rappeler que nous sommes à l'étude d'une motion qui a été adoptée par le comité, où il avait été décidé, pour ne pas qu'il y ait de débat, il avait été décidé que l'étude, article par article, durerait uniquement une heure pour chaque article, et qu'il y aurait seulement une heure pour étudier le préambule.

Monsieur le président, cette motion qui a été mise comme un couteau sur la gorge de l'Opposition, et c'est pour ça que je parle aujourd'hui au nom de l'Opposition. Si le gouvernement n'avait pas déposé cette motion, qu'il avait voulu nous laisser faire un véritable débat, on ne serait pas obligés, aujourd'hui, de s'entretenir de la sorte et d'utiliser les règles de procédure comme elles sont prévues, comme elles ont été votées à l'Opposition, comme elle ont été votées au gouvernement. Comme elles ont été votées, par contre, devrais-je dire, par le Parlement?

Donc, je suis obligé de discuter de la motion que j'ai présentée, la motion qui s'intitule, que j'aimerais relire, que la motion relative au temps alloué pour l'étude article par article, adoptée par le Comité législatif, le 14 février 2000, soit annulée. Si j'ai demandé que la motion de M. Alcock soit annulée, c'est parce que j'étais d'avis qu'une heure, article par article, c'était pas suffisant pour faire un débat sérieux pour des articles qu'il y a dans ce projet de loi-là, et pour un projet de loi très très très sérieux pour l'avenir des choses.

C'est pour ça que j'ai déposé cette motion, pour annuler ce bâillon qui nous avait été imposé par M. Alcock. Mais monsieur le président, c'est normal. À tour de rôle, les huit membres du Parti Libéral vont m'interrompre de la sorte, en disant, pourquoi est-ce qu'on ne peut pas débattre, article par article, mais je vais toujours leur répondre, parce que j'ai de la continuité dans les esprits.

[Traduction]

M. Reg Alcock: J'invoque le Règlement, monsieur le président. Excusez-moi, mais je crois que M. Guimond a mal compris. La question n'est pas de savoir pourquoi nous ne pouvons pas avoir un débat, mais bien pourquoi il a peur de débattre avec le ministre.

Le président: Excusez-moi, j'ai perdu le fil, mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'un rappel au Règlement. Il me semble que c'est une question.

[Français]

M. Guimond a la parole.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, on verra, dans les prochaines étapes à la Chambre, qui a peur de qui. Que le gouvernement nous donne tout le temps pour étudier le projet de loi C-20, que le gouvernement donne la possibilité aux collègues de tous les partis représentés ici en cette Chambre, de se prononcer sur ce projet de loi-là, que le gouvernement donne la possibilité d'étudier chacun des amendements déposés par chacun des partis d'opposition en cette Chambre, et on verra qui a peur de qui. Si le gouvernement mentionne qui a peur de qui, qu'il ne l'adopte pas à la vapeur, et qu'il prenne le temps d'en débattre. La population canadienne sera juge et sera en mesure de savoir qui a peur de débattre, qui a peur de débattre avec qui.

Donc, comme je disais, Daniel Johnson père, dans un discours qu'il faisait à Toronto, le 27 novembre 1967, «What does Quebec want?»

    Comme point d'appui d'une nation, il veut être maître de ses décisions, en ce qui a trait à la croissance humaine de ses citoyens, (c'est-à-dire à l'éducation, à la sécurité sociale et à la santé sur toutes leurs formes), à leur affirmation économique, c'est-à-dire au pouvoir de mettre sur pied les instruments économiques et financiers qu'ils croient nécessaires à leur épanouissement culturel, c'est-à-dire non seulement aux arts et aux lettres, mais aussi à la langue française et au rayonnement de la communauté québécoise, c'est-à-dire aux relations avec certains pays et organismes internationaux.

• 1945

    En février 1969, Jean-Jacques Bertrand affirmait que «l'important [...] c'est de pouvoir collectivement vivre en français, de se construire une société qui ressemble [aux Québécois], c'est de pouvoir organiser leur vie communautaire en fonction de leur culture. Et cela n'est vraiment possible que si le gouvernement du Québec possède des pouvoirs proportionnés aux tâches que sa population attend de lui.»

    Le 14 septembre 1970, à sa première conférence constitutionnelle à titre de premier ministre, Robert Bourassa déclarait: «Je pense qu'il faut poursuivre à fond les discussions relatives à la répartition des pouvoirs, question qui est en fait fondamentale.»

Robert Bourassa déclarait, et je pense qu'il est pertinent de le répéter: «Il faut poursuivre à fond les discussions relatives à la répartition des pouvoirs».

    Voilà en quoi, selon cinq premiers ministres québécois d'allégeance fédéraliste, consistait la substance du renouvellement nécessaire du régime canadien. Au lieu de retrancher de l'histoire politique du Québec les éléments les plus significatifs, M. Trudeau devrait constater la cohérence des positions avancées par ces cinq premiers ministres. Il devrait aussi voir qu'elles ont toutes un commun dénominateur.

Et là, monsieur le président, je ne sais pas si mes collègues ont très bien compris ce que les cinq premiers ministres fédéralistes dont on parlait, Maurice Duplessis, Jean Lesage, Daniel Johnson père, Jean-Jacques Bertrand et Robert Bourassa, disaient.

M. Morin nous dit aussi:

    M. Trudeau [dans son J'accuse] devrait aussi voir que les positions avancées par ces premiers ministres ont toutes un commun dénominateur: les Québécois forment un peuple, ils veulent être reconnus comme tel et exigent que, dans le partage des pouvoirs et dans ses institutions, le régime admette concrètement cette aspiration. Si le mouvement souverainiste s'est développé, c'est précisément parce que, d'une conférence à l'autre, jamais les dirigeants fédéraux n'ont voulu respecter cette exigence légitime et positive.

    M. Trudeau lui-même n'ignorait pas l'existence et la nature de cette aspiration lorsqu'il laissa entendre aux Québécois, en mai 1980, qu'un Non au référendum signifierait un Oui au renouvellement du régime. Sauf qu'il jouait sur les mots, comme on s'en est aperçu après. De fait, il prit soin d'exprimer son engagement de façon à ce que les Québécois y voient enfin l'acceptation, après tant d'années, de leur réclamation sur la redéfinition du rapport Québec-reste du Canada.

    On connaît la suite. Dans la foulée de la victoire du Non, le Québec se trouva devant une opération dont le but n'était pas de répondre à ses aspirations, mais bien de faire exactement le contraire. Même si le gouvernement québécois mit tout en oeuvre contre l'agression fédérale, au bout du compte, Ottawa et les neuf provinces anglophones s'allièrent, en novembre 1981, pour imposer, en l'absence (voulue par les fédéraux) de tout membre de la délégation québécoise, une constitution qui, entre choses, niait le caractère distinct du Québec, réduisait ses droits collectifs et diminuait unilatéralement ses pouvoirs en matière de langue. Le plus grand changement constitutionnel depuis 1867 s'effectuait ainsi de manière illégitime et au détriment de la seule population du Canada envers qui on avait pris des engagements en vue de la faire opter pour un Non.

• 1950

    Peut-être pour se déculpabiliser face à l'histoire, toujours est-il qu'aujourd'hui, M. Trudeau [par son J'accuse] tente de rendre le Québec lui-même responsable du sort qu'on lui a fait en novembre 1981. Ainsi, il accuse René Lévesque d'avoir détruit le front commun interprovincial de huit provinces qu'il avait réussi à mettre sur pied pendant les discussions postréférendaires et qui avait pu s'opposer avec un certain succès aux entreprises d'Ottawa. Cette thèse ne tient pas debout.

M. Claude Morin nous dit:

    Après la victoire du Non, le gouvernement québécois était en position de faiblesse. C'est d'ailleurs à cause de cette situation qu'Ottawa mit tant de hâte, après le référendum, à réunir les provinces pour une nouvelle ronde constitutionnelle. Selon les plans fédéraux, celle-ci devait être brève et se terminer trois mois plus tard, au début de septembre 1980. Il s'agissait, on l'aura compris, de profiter des circonstances pour modifier la loi fondamentale du Canada dans le sens souhaité par M. Trudeau et non pas pour répondre aux demandes du Québec. Devant ces intentions rapidement visibles, le gouvernement québécois disposait de peu de moyens de défense. En fait, il n'en avait qu'un: susciter la création d'un front commun de provinces soucieuses de s'opposer à telle ou telle proposition fédérale. C'est effectivement ce qui se produisit. Dans les mois qui suivirent, le front commun représenta le plus grand obstacle auquel Ottawa eut à faire face, si bien qu'au lieu de durer seulement trois mois, les pourparlers constitutionnels s'étirèrent sur 18 mois.

Pourquoi René Lévesque se serait-il de lui-même privé d'un front commun qui, M. Trudeau l'admet, avait aussi efficacement servi le Québec?

M. Morin poursuit son article en nous disant:

    M. Trudeau prétend que les provinces alliées au Québec s'en dissocièrent à partir du moment où René Lévesque accepta, le 4 novembre 1981, sa proposition de tenir un référendum sur le projet fédéral de modifications constitutionnelles. Voyons de plus près.

    Avant même que commence la conférence de novembre 1981, le front commun interprovincial n'existait virtuellement plus. En effet, vu l'avis de la Cour suprême, connu fin septembre et selon lequel trop peu de provinces appuyaient le plan fédéral, les fédéraux cherchèrent, en octobre, à détacher du front commun trois ou quatre d'entre elles. Des émissaires d'Ottawa entreprirent des pourparlers avec ces provinces dans le but d'en venir avec elles à un compromis qui leur conviendrait. Ce compromis, cependant, maintiendrait les changement auxquels le Québec s'opposait. Les envoyés fédéraux eurent quelque succès car, dans la semaine précédant la conférence de novembre, un journal comme The Globe and Mail de Toronto put faire état des discussions bilatérales en cours, avec le résultat que, quand la conférence de novembre 1981 débuta, la moitié des provinces jusque-là membres du front commun avaient virtuellement glissé du côté d'Ottawa.

Ça, monsieur le président, c'est un coup classique. Premièrement, il faudrait comprendre pourquoi la fuite est arrivée dans le Globe and Mail. Il y a un paquet de similitudes. Vous savez, quand on entend souvent dire, l'histoire se répète, je pense qu'on en a encore une démonstration. Je pense qu'on n'a pas à être surpris que la moitié des provinces membres du front commun avaient virtuellement glissé du côté d'Ottawa. De fait, le matin du 4 novembre, une d'elles, la Saskatchewan, présenta un volumineux compromis dont la délégation québécoise n'avait jamais entendu parler et qui, évidemment, ne reflétait en rien les exigences du Québec.

M. Claude Morin demande:

    Jean Chrétien conseillait de ne pas s'en inquiéter; c'était, leur disait-il, une affaire entre Québécois qui ne les concernait pas.

    Comment René Lévesque aurait-il pu briser un front commun qu'Ottawa avait déjà réussi à torpiller?

• 1955

    Il faut savoir aussi qu'en novembre 1981, les provinces anglophones jugeaient que les discussions constitutionnelles avaient déjà trop duré. Leur opinion publique les enjoignait d'aboutir à une entente sur place. C'était faisable, mais à condition de passer outre aux réclamations québécoises.

M. Morin nous dit:

    Aux provinces qui se préoccupaient des réactions négatives possibles de notre délégation, Jean Chrétien conseillait de ne pas s'en inquiéter; c'était, leur disait-il, «une affaire entre Québécois» qui ne les concernait pas et dont M. Trudeau et lui sauraient bien s'en occuper.

    Ce qui nous amène au fameux référendum proposé par M. Trudeau. Parce qu'il savait ne plus pouvoir compter sur le front commun et qu'il était conscient du fait que les provinces anglophones voulaient en finir au cours de la conférence, René Lévesque se déclara favorable à une idée énoncée par M. Trudeau vers midi, le 4 novembre. Comme il restait bien des points en suspens et qu'il fallait en arriver à un accord quelconque avant la fin de la conférence, M. Trudeau suggéra qu'on se contente pour l'instant de rapatrier la Constitution telle quelle, sujet qui ne soulevait pas de difficulté, et qu'on se donne ensuite deux ans pour continuer la discussion sur une charte des droits et une formule d'amendement; à défaut d'entente entre les gouvernements, un référendum aurait lieu au terme de cette période.

Monsieur le président, le discours que je suis en train de faire sur cette motion que je vous ai présentée et qui modifie la motion qui a déjà été adoptée par le comité, j'ai dû y revenir au moins une cinquantaine de fois depuis le début de ma présentation, aux environs de 17 h 30 ou 17 h 35, je l'ignore, mais je suis persuadé qu'il y a quelqu'un qui s'en rappelle. Et ce discours que je fais avec mon coeur, avec mon âme, que j'essaie de faire de mon mieux mon rôle de parlementaire en utilisant les règles démocratiques de ce Parlement, je veux vous dire que cela me fait énormément de peine de voir et cela me fait prendre conscience d'un thème dont on a souvent parlé au Canada au niveau des deux solitudes: les Québécois d'une part, et le reste du Canada d'autre part; un Québécois qui parle et le reste du Canada qui ne l'écoute pas.

M. Daniel Turp: C'est cela, exactement.

M. Michel Guimond: C'est qu'on a devant nous ici ce soir au comité, et j'aurai eu l'occasion d'en vivre un témoignage. Je serai en mesure d'en témoigner par la suite, vraiment qu'est-ce que cela représente, les deux solitudes au Canada.

M. Daniel Turp: Exactement, et je pensais la même affaire.

M. Michel Guimond:

    Or, dès le début de l'après-midi, force fut de constater qu'il s'agissait d'un bien étrange référendum: contrairement à ce que M. Trudeau avait dit quelques heures plus tôt, il s'avéra que cette consultation n'aurait lieu qu'après que toutes les provinces auraient donné leur accord au projet fédéral alors en discussion et ne servirait, pour la population, que d'instrument de ratification d'un fait accompli!

Monsieur le président, quand j'entends des collègues... Je vais juste finir cette phrase-là.

    René Lévesque rejeta tout de suite le procédé, à vrai dire le truc, esquissé par le premier ministre fédéral.

Quand j'entends un collègue qui dit: «Oui, mais tu fais cela, tu n'es pas à la télévision», moi je veux vous dire, monsieur le président, que je ne le fais pas parce que je suis ou pas à la télévision; je le fais par conviction. Tous les propos... Je serais même prêt à consentir qu'on débranche les caméras. La question n'est vraiment pas là. Je serais même prêt à... Je le fais pour mes convictions. J'aurais pu y penser si j'avais eu ce genre d'offre, j'aurais pu y penser, mais cela ne veut pas dire que je le ferais. Mais je veux juste dire que je ne le fais pas pour les caméras. Je le fais parce que j'ai un rôle à jouer, j'ai un travail à faire et pour m'améliorer. Comme je vous le disais tout à l'heure, étant donné que je suis avant tout un être perfectible, je peux m'améliorer. C'est pour ça que je suis quand même heureux que les caméras soient présentes parce que je veux vous dire que je vais récupérer les cassettes. Je vais les écouter et je vais voir les points que j'ai à améliorer. Je veux voir comment je me comporte et si je suis capable de garder mon sang-froid malgré un stress intense, malgré des insultes, malgré des interruptions, malgré des appels au Règlement qui ne sont pas pertinents.

• 2000

Mais heureusement, monsieur le président, vous êtes le gardien de la démocratie en ce comité et je veux vous rendre hommage. Je suis persuadé, monsieur le président, que lors de la 37e Législature, si le Président actuel décidait de ne pas se représenter... J'ai beaucoup de respect pour M. Parent, mais je veux vous dire que si le Président actuel décidait de ne pas se représenter, comme le dit la rumeur, je suis persuadé que vous feriez un très bon Président.

Je suis persuadé que nous, les députés du Bloc québécois, serons plus que 44 pour écouter ce que vous aurez à dire vis-à-vis votre candidature si vous voulez vous présenter à la présidence. Nous serons probablement 55 ou 60 députés du Bloc québécois. Nous étudions votre candidature à son mérite, monsieur le président.

    Si le front commun existait encore aussi solidement que certains essaient de le faire croire, comment peut-on en attribuer l'effondrement à l'acceptation, par René Lévesque, à midi, d'un référendum qu'à peine trois heures plus tard il refusait formellement en présence des autres provinces d'accord avec lui sur ce point?

M. Claude Morin nous dit:

    M. Trudeau avait-il changé d'avis? S'était-il à dessein exprimé comme il l'avait fait à midi, sachant qu'il surgirait avec une proposition différente à la reprise de la séance? Il lui appartient de s'expliquer là-dessus. Quoi qu'il en soit, cette façon d'agir, dont M. Trudeau semble s'être félicité selon certains chroniqueurs du temps, a été ensuite saluée par des observateurs et des médias, surtout anglophones, comme la marque d'une astuce politique extraordinaire. Si tel était le cas, ce comportement signifierait-il que tous les moyens, même immoraux, même antidémocratiques, sont indiqués dès lors qu'on les emploie contre des représentants du gouvernement québécois, sous prétexte qu'ils sont souverainistes?

    Bref, à en croire M. Trudeau [dans son J'accuse], le Québec et ses représentants seraient seuls et entièrement responsables de ce qui est arrivé en novembre 1981: ces représentants auraient agi gauchement et c'est eux qui auraient fait preuve de mauvaise foi. C'est eux qui auraient manqué à leur parole et personne au Canada n'aurait de reproches à se faire ni de tort à réparer.

    Comment expliquer alors qu'Ottawa et toutes les provinces aient envisagé, en 1987, par l'Accord du lac Meech, de réparer le tort fait au Québec en novembre 1981? Et, pourquoi aurait-on encore invoqué l'argument de la réparation au moment de l'Accord de Charlottetown en 1992?

    Si l'opération fédérale de 1980-1981 avait été aussi correcte que M. Trudeau le prétend, pourquoi Jean Chrétien, son successeur et complice du temps, avouerait-il implicitement le contraire en promettant maintenant que désormais aucun changement constitutionnel ne pourra se réaliser sans l'assentiment du Québec? (Sauf s'il le fait par le truchement d'une simple loi...

Le président: Monsieur Proulx, un appel au Règlement.

M. Marcel Proulx: Par esprit d'économie, est-ce qu'on a le consentement pour fermer les caméras? Le député d'en face nous a dit tantôt qu'il était prêt à faire son discours sans caméras. On pourrait sauver de l'argent au gouvernement du Canada. Ça coûte cher. Il y a probablement trois ou quatre caméramans.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, on reconnaît chez le député de Hull—Aylmer un grand sens démocratique. Tant qu'à y être, par raison d'économie, fermons le Parlement pendant un an ou deux. Ce serait vraiment économique. Pourquoi on ne ferme pas le Parlement, tant qu'à y être? On pourrait sauver bien plus que les salaires des quatre caméramans qui font un travail fantastique.

• 2005

C'est un grand démocrate, le député d'Hull—Aylmer. Il va passer à l'histoire comme un grand démocrate, monsieur le président, de vouloir, pour sauver de l'argent, que ces travailleurs et ces travailleuses retournent chez eux. Pourquoi on ne fermerait pas le Parlement pendant deux ans?

Donc, monsieur le président, M. Trudeau aime prétendre...

Le président: À mon avis, il n'y a pas le consentement pour la suggestion. Peut-être oui, peut-être non, mais je crois que non.

Mme Marlene Jennings: Le député n'est pas conséquent avec lui-même.

M. Michel Guimond: C'est bien entendu, pas besoin d'écouter, monsieur Bonin, ce que vous faites depuis le début.

Le président: À l'ordre, à l'ordre.

M. Michel Guimond:

    L'insistance d'Ottawa, dans sa propagande actuelle...

Le président: À l'ordre, à l'ordre. C'est difficile d'entendre M. Guimond, et il a la parole.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, est-ce que vous avez remarqué une dominance, un style conducteur, une trame, au niveau de la quiétude que l'on est en droit d'exiger en comité, et du respect de l'ordre et du décorum? Avez-vous remarqué, monsieur le président, qu'il y a des écarts de langage. La voix de mon côté s'emballe, j'augmente le tonus, j'élève la voix et je suis porté à perdre mon sang-froid. Ça arrive toujours, monsieur le président, si vous l'avez remarqué, quand la majorité libérale en face... Je suis content, là, car ils sont assidus. Ils sont bien rassasiés, bien repus. Ils ont bien mangé. Alors c'est toutes les fois qu'ils font des mesures dilatoires pour me priver de mon droit légitime de m'exprimer. Le député d'Hull—Aylmer, grand démocrate, en a trouvé une, et je vous suggère, monsieur le président, que l'on poursuive jusqu'au prochain chapitre. On va voir quelle sera la prochaine mesure dilatoire, quelle sera la prochaine tactique de nos éminents tacticiens en face, suggérée par les sbires du Conseil privé et du ministre Stéphane Dion. Je vais recommencer, tranquillement pas vite, monsieur le président, et on va voir quand la prochaine va arriver. Et elle viendra de qui, celle-là? Il y a des collègues qui n'en ont pas encore fait, mais probablement parce que ce sont des collègues qui refusent d'embarquer dans ce jeu-là. Ce sont des collègues qui connaissent le Règlement et qui savent que lorsqu'un un député a le droit de s'exprimer sur une motion, on va le laisser parler, même s'il nous dit des affaires qui font mal, même s'il dit des affaires que le qualificatif intéressant, c'est avant tout un qualificatif qui est subjectif. Ce qui est intéressant pour un peut ne pas être intéressant pour un autre. Mais c'est pour ça que dans une loi, on se doit d'avoir des critère objectifs. Je l'ai dit à mon ancien professeur, M. Rémillard, qui a siégé ici devant ce comité, le même comité qui nous a déposé, le 14 février dernier... J'ai eu quasiment l'impression de faire «l'arbre est dans ses feuilles», de remonter à chacune des fois. Ce comité nous a déposé une motion inacceptable, et je me dois de demander l'annulation de le motion qui nous prive de nous exprimer sur le projet de loi dans l'étude article par article. Le gouvernement a décidé de bâillonner, de nous bâillonner. Le gouvernement a décidé de nous faire passer le bulldozer. Eh bien, qu'il vive avec sa décision, et qu'il vive avec ses conséquences.

Monsieur le président, je reviens à mon texte, jusqu'à la prochaine mesure dilatoire. Je l'attends. On est comme des gardiens de buts. On est capables d'en prendre, des rondelles, on est capables. Envoyez-en, du caoutchouc en face.

    Trudeau aime prétendre qu'en signant, le 16 avril 1981, un accord avec les sept autres provinces du front commun, René Lévesque a laissé tomber le droit de veto du Québec. Selon son habitude, M. Trudeau a préféré «oublier» certaines choses car elles auraient rendu sa démonstration impossible.

• 2010

    Après l'échec de la conférence de Victoria en 1971...

Vous comprenez que cet article, il est de Claude Morin, et Claude Morin était un acteur important à la conférence de Victoria en 1971, où il avait conseillé le premier ministre Bourassa. Donc, M. Morin nous dit:

    Après l'échec de la conférence de Victoria en 1971, l'idée que telle ou telle province détienne un veto perdit tout attrait pour la plupart des provinces anglophones. Si bien, qu'en 1980-81, sauf l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, elles étaient d'avis qu'aucune ne devait en avoir. Il est vrai qu'Ottawa favorisait encore le veto, mais, vu l'attitude ferme des autres provinces, le Québec crut prudent de prendre des précautions. Il risquait autrement de se retrouver sans protection, rien ne lui garantissant qu'Ottawa ne finirait pas par céder sur ce point aux pressions de la majorité (M. Trudeau le fera d'ailleurs pour la charte des droits lorsqu'il acceptera d'y insérer une clause dérogatoire à laquelle il était pourtant opposé.

    En signant l'accord du 16 avril 1981, la délégation québécoise expliqua à ses partenaires qu'il allait de soi que, s'il était rompu, le Québec reviendrait au veto. Mais le plus important est qu'après des échanges ardus René Lévesque fit inscrire dans l'accord une clause capitale comprenant deux éléments indissociables: le droit de retrait avec compensation. Le Québec obtenait là un veto sur toute réduction éventuelle de ses compétences. Autrement dit, même si l'accord n'offrait pas toutes les garanties souhaitables à propos d'institutions comme le Sénat, le Québec se trouvait protégé sur le plan du partage des pouvoirs. Pouvait-il faire mieux dans des circonstances particulièrement difficiles auxquelles, rappelons-le, Ottawa n'était pas étranger?

    Quand, au début de novembre 1981, il apparut évident que le front commun ne survivrait pas et que l'accord du 16 avril était de ce fait périmé, le Québec reprit sa position traditionnelle sur le veto, mais les autres gouvernements voyaient les choses différemment. Ainsi l'Ontario, qui normalement aurait pu aspirer à un veto, décida d'y renoncer, suggérant par là que le Québec devrait lui aussi s'en passer. Les événements culminèrent par «la nuit des longs couteaux» (expression inventée par les médias) où Ottawa et les provinces anglophones s'entendirent sur «package deal» qui ne correspondait en rien au renouvellement du fédéralisme promis en mai 1980. Bien plus, sans en avertir la délégation du Québec, Ottawa et ses provinces modifièrent la formule d'amendement prévue dans l'accord du 16 avril: le droit de retrait fut conservé, mais—M. Trudeau omet ce «détail» essentiel—on lui enleva sa portée réelle, en biffant la compensation, élément que le Québec tenait pour indispensable, ce que les complices nocturnes savaient fort bien.

Donc, Claude Morin nous dit:

    M. Trudeau travestit donc encore une fois de plus la réalité quand, pour se disculper, il ose prétendre que c'est le Québec lui-même qui a renoncé à son veto.

    Ce que les médias ont appelé «la nuit des longs couteaux» a provoqué plusieurs interprétations, dont certaines sont malveillantes pour le Québec. Ainsi, sa délégation aurait eu tort de loger dans un hôtel de Hull (Plaza de la Chaudière) tandis que celles du gouvernement fédéral et des provinces se concentraient habilement à Ottawa où il leur était facile de se concerter. Cette observation est ridicule pour trois raisons: a) les autres délégations provinciales étaient dispersées dans plusieurs hôtels à Ottawa et non logées dans le même; b) chaque délégation savait comment rejoindre n'importe quelle autre, y compris celle du Québec (on l'avait fait pendant des mois); c) le Québec disposait aussi d'une chambre du Château Laurier qui pouvait, au besoin, servir de lieu de réunion.

• 2015

    On a aussi dit que, le soir du 4 novembre, la délégation du Québec aurait dû chercher à découvrir si, par hasard, les autres n'étaient pas secrètement en train de comploter. Le paragraphe précédent montre combien il était facile de prendre contact à tout moment avec les représentants du Québec, mais imagine-t-on en plus ceux-ci faire le tour des restaurants, des bars et des hôtels d'Ottawa en vue de débusquer d'illicites échanges politiques?...

    Enfin, il était inutile, d'après certains, d'inviter des représentants du Québec aux ultimes rencontres puisqu'ils auraient de toute façon, par dogmatisme «séparatiste», rejeté le compromis auquel en vinrent Ottawa et les neuf provinces anglophones. Il est sûr, et même élémentaire, que notre délégation n'aurait jamais accepté une réforme constitutionnelle qui contredisait les promesses référendaires, mais n'aurait-il pas été plus courtois, disons plus intelligent, de lui permettre d'exposer les raisons précises de sa dissidence?

    Même si on ne peut, en quelques pages, en raconter tous les détails, il faut espérer que les faits rappelés ici aideront à replacer dans leur contexte les événements de 1980-1981. En tout cas une chose demeure facile à saisir, indiscutable: Il y a 18 ans, M. Trudeau et son acolyte d'alors, Jean Chrétien, ont été les principaux artisans d'une opération anti-Québec sans précédent.

C'est, monsieur le président, ce que Claude Morin fait de la lecture du rapatriement unilatéral de la Constitution de 1982 et nous avons l'avantage d'entendre des choses qui se sont passées dans les coulisses.

Monsieur le président, vous savez que je me dois de prendre la parole ce soir parce que le gouvernement a décidé de nous imposer le bâillon dans l'étude article par article du projet de loi C-20 en limitant à une heure seulement les débats sur les articles et en limitant les débats, les discussions, à une heure seulement sur le préambule. C'est pour cela, monsieur le président, que j'ai dû déposer une motion pour demander à ce comité d'annuler la motion qui avait été majoritairement votée par M. Alcock.

Maintenant, monsieur le président, j'en arrive au noeud du problème et j'aimerais laisser parler un de nos plus grands philosophes québécois, Fernand Dumont. Je veux vous dire que ça me fait plaisir de prendre la parole et de parler de Fernand Dumont parce que Fernand Dumont vient de ma circonscription. Il vient du quartier de Montmorency dans la ville de Beauport et, pour beaucoup de gens dans ma circonscription, il représente une grande fierté. M. Dumont nous dit:

    L'échec d'une communauté politique canadienne est une tragédie pour tout le monde. Dans un continent anglophone, la nation francophone aurait pu trouver dans la Confédération un point d'appui solide en Amérique; de même, les Canadiens anglais auraient pu construire avec nous un État où les uns et les autres nous nous serions sentis chez nous, fiers de nos différences comme de nos convergences. Nous n'avons pas réussi. Et on ne voit pas comment un bricolage hâtif pourrait pallier un échec historique.

    NATION, ÉTAT: ce sont là des vocables apparemment simples mais qui, à l'usage, s'avèrent ambigus.

Fernand Dumont disait:

    Je ne me livrerai pas ici à de longues spéculations de sémantique. On pourra mettre des mots différents sur les distinctions que je vais suggérer; l'essentiel réside dans les distinctions elles-mêmes.

    Entendons par nation une communauté résultant d'un héritage historique de manières de vivre. La référence collective qui en résulte suppose des repaires: une langue, une religion, des institutions juridiques, des organisations diverses, parfois un statut politique. (...)

    La langue française n'est pas parlée seulement par les francophones d'Amérique; le catholicisme a été un caractère distinctif de notre nation et il ne rallie plus l'unanimité; l'État canadien pas plus que l'État québécois ne s'identifient à une nation. Cependant, des marques de ce genre se rencontrent dans une communauté nationale; ils sont entretenus aussi bien par la mémoire historique que par les formes quotidiennes de la sociabilité.

• 2020

    Quant à lui, l'État se définit avant tout la citoyenneté. Du moins en démocratie. Il concrétise le règne de la justice. Il garantit l'égalité des droits fondamentaux, confirmant ainsi l'individu dans son statut proprement public. [...]

    Nation et État procèdent donc de deux modes différents de cohésion des sociétés. La distinction est de principe; elle est aussi de fait. Entre les deux, il n'y a pas de coïncidence obligée; il existe des nations sans État correspondant; les États plurinationaux sont d'ailleurs en majorité dans le monde actuel.

    Cependant, et c'est à ce point que j'introduirai une observation capitale pour la suite de ma réflexion, la nation et l'État entretiennent tous les deux des solidarités tissées par l'histoire.

    C'est évident pour la nation qui, à la limite, n'a pas d'autre assise. C'est également vrai pour l'État...

    Les distinctions que j'ai suggérées, et qui n'ont rien de particulier à notre situation m'amènent à récuser un projet de souveraineté du Québec qui aurait pour objectif d'identifier une nation à État: il y a ici des anglophones et des autochtones, et la nation francophone ne se limite pas au territoire québécois.

    Selon les mêmes critères, le projet de confédération canadienne est, de soi, parfaitement justifiable. Mais à ces conditions, qui ressortent tout autant de mes observations antérieures. La Confédération devait garantir la sauvegarde et l'épanouissement des nations qui y ont adhéré: dans notre cas, la nation francophone qui, après une longue histoire où ont alterné les tentatives d'assimilation et la réclusion dans une réserve folklorique, était en droit de trouver dans la Confédération un libre développement qui aurait enrichi la maison commune, sans s'y dissoudre.

Fernand Dumont nous dit:

    Cette première condition est en étroite relation avec une seconde: la Confédération devait former peu à peu une authentique communauté politique. Exigence à laquelle ne sauraient satisfaire ni des bricolages constitutionnels tardifs, ni des allusions attendries aux Rocheuses ou au passeport canadien.

    Une communauté politique, j'y ai insisté, est le produit d'une histoire de la progressive sédimentation de solidarités. Or, l'histoire de la Confédération canadienne est l'histoire de l'échec à édifier une communauté politique.

    L'Union des Canadas avait été l'ultime tentative pour assimiler les francophones. Le Québec est entré dans la Confédération après l'échec de ce régime. On voulait contrer l'instabilité ministérielle, renforcer les colonies britanniques envers le voisin américain, promouvoir une extension de l'économie, en particulier par la construction des chemins de fer; les intérêts des hommes d'affaires ont été prédominants.

    Au départ, le peu de pouvoir dévolu au Québec, la dépendance étroite des politiciens provinciaux envers les politiciens fédéraux ont empêché des frictions qui ne se sont manifestées, et de plus en plus vivement, qu'avec le temps. Par ailleurs, les Pères de la Confédération, anglophones comme francophones, espéraient fonder ce qu'ils appelaient une nation nouvelle; l'expression est revenue souvent dans leurs déclarations publiques.

Les francophones du Québec se retrouvaient, en toute hypothèse, sujets de deux nations.

    Comment a pu se dénouer l'ambivalence qui en découlait? On s'est mis à insister sur le caractère culturel de la nation francophone, sur «notre langue, nos institutions et nos droits», selon la devise consacrée auparavant. Si je comprends bien, l'autre nation devait être une nation politique. Effectivement, les pouvoirs laissés au Québec étaient surtout de l'ordre de la culture: l'éducation, l'assistance sociale, qui devaient être confiées à l'Église et mises ainsi à l'écart de la politique. Curieux arrangement, on le voit, qui laissait la nation francophone largement en marge de la «nation nouvelle» définie avant tout par la politique.

• 2025

M. Dumont dit:

    Ces facteurs sont de l'ordre des structures du régime confédératif. Mais, je le répète, une communauté politique repose aussi sur des symboles d'un consensus premier. On célèbre ses origines fondatrices dans l'émancipation des Cantons suisses, la Grande Charte britannique, la Déclaration d'indépendance américaine, la Révolution française, la Révolution belge de 1830...

    Or, rien de pareil au début de la Confédération. Les Pères ont refusé de tenir une consultation populaire: celle-ci aurait été, en la circonstance, non pas seulement le recours à un mécanisme démocratique, mais un acte fondateur analogue à ceux qu'ont connus d'autres communautés politiques. On s'est rabattu sur le vote des députés. Un excellent historien, Jean-Paul Bernard, a calculé que, parmi les 49 représentants des comtés francophones qui prennent part au vote, 25 disent oui et 24 disent non au projet de confédération.

    Le moins que l'on puisse dire, c'est que le consentement à la nation nouvelle, à la communauté politique en genèse était fragile. Voilà une communauté qui se devrait de célébrer ses origines avec discrétion...

nous suggère Fernand Dumont.

    La suite n'a fait qu'illustrer et accentuer ce défaut initial de structure et de symbolique.

    Dès les premières années de la Confédération a commencé une longue liste des atteintes aux droits scolaires des francophones des autres provinces. Les droits de la minorité anglaise au Québec avaient été soigneusement garantis, alors qu'on s'était montré plus négligent à l'égard des francophones du reste du Canada. Le gouvernement fédéral n'a jamais cessé de louvoyer, de manquer aux responsabilités qui normalement étaient les siennes. Combien de batailles aussi qui nous paraissent aujourd'hui invraisemblables ou caricaturales, pour obtenir la monnaie bilingue, le timbre bilingue, un nombre un peu équitable de fonctionnaires francophones dans les services fédéraux.

Cela, monsieur le président, les fonctionnaires sont en mesure de le savoir. Fernand Dumont dit:

    ...un nombre un peu équitable de fonctionnaires francophones dans les services fédéraux.

Fernand Dumont était très, très poli parce que je serais curieux de savoir la proportion des fonctionnaires francophones dans plusieurs ministères ici à Ottawa.

    Tout aussi significatif a été le retard du Canada à conquérir son autonomie à l'égard de l'Empire, entrave là encore à la création progressive d'une communauté politique canadienne. Les Canadiens français qui ont réclamé une plus grande autonomie, et même l'indépendance du Canada, espéraient renforcer de cette manière un État canadien susceptible de conférer à ses citoyens une identité propre.

Monsieur le président, je ne sais pas si vous pourriez demander à M. Bonin d'aller dormir en dehors de la salle parce que, je veux dire, ça me déconcentre de le voir dormir, surtout que je commence à être fatigué. Là il vient d'ouvrir les yeux, mais il dormait tout à l'heure. Parfait, je continue.

Vous savez, monsieur le président, que M. Bonin c'est un député, je veux dire, quand j'ai mentionné M. Bonin, il faut que ce soit clair que c'est un député, il dormait.

Le président: Non, non, il était réveillé.

M. Michel Guimond: Il dormait. Monsieur le président, je peux vous dire que j'ai une bonne vue et je l'ai vu comme j'ai vu des sénateurs dormir lors du discours du Trône. C'est exactement la même chose. Bref, je continue.

Fernand Dumont nous dit:

    Certes, on a rapatrié il y a peu la Constitution canadienne. Tardivement, et en l'absence du Québec: c'était répéter en quelque sorte l'échec de l'acte fondateur de 1867. Et puis, la symbolique d'une référence extérieure subsiste toujours: la chef de l'État est une reine étrangère, un gouverneur général coiffe l'État canadien. On me dira que ces symboles ne gênent en rien nos décisions. Si ces symboles n'ont aucune importance, je ne vois pas pourquoi ils subsistent; s'ils perdurent, c'est qu'ils sont indispensables aux yeux d'un grand nombre.

• 2030

    Le bilinguisme officiel pratiqué le plus souvent en surface et avec parcimonie ne pouvait faire dévier une tradition aussi longue et aussi solidement établie. On ne s'étonne pas qu'il soit si mal accepté en tant d'endroits. La politique du multiculturalisme a encore embrouillé les choses, au point où une personne normale n'arrive plus à se retrouver dans les nombreuses définitions officielles de ses allégeances politiques et nationales. Que l'on y ajoute la «société distincte et un véritable capharnaüm tiendra lieu de communauté politique.

    À ces brefs rappels, plusieurs ne manqueront pas d'objecter que tout ça c'est de l'histoire, qu'il faut se situer carrément dans le présent et face à l'avenir.

Fernand Dumont nous dit qu'il y revient:

    J'y reviens à nouveau: une communauté politique ne s'improvise pas; on ne saurait fabriquer d'un coup ce que récuse l'histoire.

Ça, j'espère que nos amis libéraux en face, s'ils adoptent le projet de loi C-20, j'espère qu'ils se rappelleront de cette phrase: «on ne saurait fabriquer d'un coup ce que récuse l'histoire.»

    On mettra au point des mécanismes de fédéralisme «asymétrique» ou «coopératif», on accumulera toutes les métaphores ou les recettes; on ne parviendra qu'à faire monter en surface les vieilles divisions.

    L'échec d'une communauté politique canadienne est une tragédie pour tout le monde. Dans un continent anglophone, la nation francophone aurait pu trouver dans la Confédération un point d'appui solide en Amérique; de même, les Canadiens anglais auraient pu construire avec nous un État où les uns et les autres nous nous serions sentis chez nous, fiers de nos différences comme de nos convergences.

Cela me rappelle, lors du 100e anniversaire de la Confédération canadienne... J'étais jeune parce que je suis né en 1953. J'avais à peine 14 ans. C'était l'année de l'Expo 67 et lors du centenaire, le thème de... parce que les gens à l'unité canadienne étaient déjà très actifs. Le thème du centenaire de la Confédération canadienne, c'était Canada, Stand Together, Understand Together. Canada, restons ensemble, comprenons-nous ensemble. Est-ce que vous trouvez que cela va bien, vous autres? Est-ce que vous trouvez que cela va bien, vous autres, depuis 1967? Avez-vous eu peur de perdre le référendum du 30 octobre 1995? Vous avez littéralement eu peur et c'est pour cela que vous voulez nous mettre C-20 sur la gorge. Vous avez assez eu peur que vous essayez, par tous les moyens, encore une fois, de faire peur au monde.

Mais je veux vous dire que le peuple québécois, cela s'adonne qu'on a été vacciné contre la peur. Vous ne réussirez plus à nous faire peur, puis vous ne réussirez pas à nous mettre à genoux. On va se tenir debout, comme on se tient debout devant vous, ici ce soir, et comme vous allez nous retrouver devant vous dans la prochaine campagne électorale, dans la prochaine campagne référendaire, vous allez nous retrouver debout, les députés du Bloc, comme un bloc à la Chambre des communes. J'espère qu'on aura le temps de discuter chacun de nos amendements qu'on va vous suggérer. Vous allez voir. Ça va être des amendements très fouillés. Ils ne seront pas considérables, mais ils seront lourds. Ils seront lourds de sens. Ils auront une valeur juridique et non des propos creux. Vous allez voir.

Voici ce que nous dit Fernand Dumont:

    Il me semble que l'on peut dégager les raisons qui militent en faveur de la souveraineté du Québec, sans céder à des ressentiments envers le passé, sans s'abandonner à quelque nationalisme étroit.

• 2035

    Si nous ne sommes pas parvenus, au cours de l'histoire, à créer au Canada un authentique consensus de base, il convient d'en tirer lucidement une conclusion: au Canada, il y a en fait deux communautés politiques.

Ça me fait de la peine de vous le dire, mais je ne sais pas si vous vous en rendez compte, il y a en fait deux communautés politiques. Et ça, c'est tout simplement une constatation. Il y a deux communautés politique, la vôtre et la nôtre. On ne vous fait pas ça pour nullement insulter, c'est tout simplement une constatation.

    Dans les imageries qui se succèdent à un rythme rapide dans le «fédéralisme asymétrique», par exemple, je ne peux manquer de constater que l'on rôde autour de l'association de deux communautés politiques.

    Par ailleurs, à mesure que se multiplient les commissions et les comités, que réclame le Canada anglais? Un gouvernement central plus centralisé, un État qui accentuerait encore la cohésion de l'autre société politique. Quelles que soient les positions où on s'arrête en chemin dans cette dérive, la tendance est nette de part et d'autre. Pourquoi ne pas consacrer en droit ce qui se dessine clairement dans les faits?

    En rappelant quelques principes préliminaires, je soulignais une évidence: la communauté politique doit respecter et promouvoir l'épanouissement des nations qui, sans s'identifier à elle, contribuent à sa vitalité.

    Depuis toujours, plus fermement encore depuis que le gouvernement de M. Lesage a inauguré la Révolution tranquille, on n'a jamais manqué de proclamer que la communauté politique québécoise est l'assise essentielle à la survie et au développement de la nation française en Amérique.

    À cet égard, la situation du Québec est radicalement différente de celle des petites nations européennes. Là-bas, les nations forment une marqueterie où la diversité est la règle, où l'identité des unes est garantie par celle des autres. En Amérique du Nord, nous sommes une toute petite population française sur un continent qui, pour le reste, est anglophone. L'appui d'une communauté politique spécifique est d'une aveuglante nécessité.

Fernand Dumont poursuit:

    Néanmoins, une question a été souvent formulée au cours des débats de ces dernières années: en quoi, nous dit-on, la renaissance que vous avez connue au Québec pendant la Révolution tranquille a-t-elle été empêchée ou favorisée par votre appartenance à la Confédération? Il vaut la peine de nous y arrêter.

    Une grande partie des énergies mises en oeuvre pendant ces années ont été vouées à contester des juridictions, à dénoncer des enchevêtrements de programmes, à concilier plus ou moins adéquatement des visées différentes. Ç'aurait été un moindre mal si cela n'avait été que perte de temps et de ressources qui auraient pu être mieux employés. Il y a plus grave: l'incidence de ces chicanes finit par faire perdre de vue, au profit des stratégies de conflits entre instances administratives, les problème eux-mêmes.

    Par exemple, dans les médias on nous parle davantage des conflits de juridiction sur la formation professionnelle, que des mesures qu'il conviendrait d'adopter pour répondre à une extrême urgence. Que l'on repasse un à un les grands défis qui nous affrontent, du sous-développement des régions du Québec aux carences du sport à notre essor culturel, on arrivera au même diagnostic: celui d'un détournement de l'attention et des débats vers les querelles de pouvoirs. À croire qu'il s'agit là, pour certains responsables, d'un utile alibi.

• 2040

    Reprenons la question que l'on oppose souvent à la thèse souverainiste: la confédération a-t-elle été un obstacle à la Révolution tranquille? N'oublions pas ce qui a été justement la composante principale de cette révolution: l'affirmation, jamais connue auparavant, du rôle de l'État québécois, de la communauté politique québécoise.

    Des secteurs déterminants de la vie collective—l'éducation, la santé, l'assistance sociale, l'environnement, le développement économique—sont devenus carrément des responsabilités politiques, nous dit Fernand Dumont.

    Pendant longtemps, la nation francophone a été livrée à la survivance. La nation, c'était des coutumes: une langue, des institutions, le tout couronné et garanti par la religion. L'Église a exercé ici [au Québec] pendant un siècle...

Vous savez, monsieur le président, nous sommes de tradition judéo-chrétienne au Québec. Vous savez que l'Église a exercé pendant un siècle une responsabilité proprement politique.

    au début des années 1960, cette fonction est passée à l'État québécois: un changement décisif qui a contribué à la consolidation d'une communauté politique originale.

    En définitive, la question est de savoir si la Confédération nous a servis ou non dans notre évolution depuis 30 ans nous invite à un constat: les changements ont été réalisés à travers d'épuisantes confrontations avec le gouvernement fédéral; ils ont entraîné sur la voie de la progressive confirmation d'une communauté politique québécoise; la conscience d'un nécessaire accroissement du rôle de l'État s'est accompagnée de l'affermissement d'un esprit public.

    L'uniformisation mondiale, oui ou non

    Au Canada comme partout dans le monde, on répète de divers côtés que les problèmes des communautés politiques se posent actuellement dans un nouveau contexte. C'est vrai, et la question de la souveraineté du Québec ne doit pas être isolée des mouvances du monde contemporain.

    Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour constater un élargissement des espaces économiques; on en conclut parfois que ce n'est pas le moment de restreindre les communautés politiques.

    Incidemment, si on tire argument pour maintenir la Confédération et sa structure actuelle, l'argument peut se retourner: pourquoi s'arrêter en si bonne voie? Si on n'y prête attention, cette rhétorique va nous ramener à l'annexion du Canada aux États-Unis, vieille tentation qui a surgi périodiquement au cours de l'histoire.

    Oui, les espaces économiques s'agrandissent et aussi bien les espaces culturels, les aires de l'information, la mobilité des populations; les communautés juridiques n'ont-elles qu'à suivre le mouvement?

    En se complexifiant, nous dit Fernand Dumont, en s'uniformisant d'une certaine manière, ces espaces ne deviennent pas pour autant des territoires abstraits où les groupes et les individus ne seraient plus que des atomes. De nouveaux pouvoirs apparaissent et étendent leur emprise, souvent à l'écart des contrôles démocratiques. Des inégalités, des privilèges et des ressources subsistent.

    Les cultures sont des entités concrètes, de même que les solidarités, qui ne sauraient être étirées à l'infini sans qu'elles perdent toute substance et toute portée. La croissance économique elle-même ne dépend pas que des flux de capitaux ou de pouvoirs supranationaux laissés à leur seul initiative.

    Par exemple, la formation de la main-d'oeuvre ou la recherche-développement sont liés aux possibilités et aux besoins de sociétés circonscrites. La scolarisation se heurte à des obstacles et profite de facilitations qui ne sont pas les mêmes partout. On peut désirer, dans certains pays, un système de sécurité sociale et de soins médicaux que n'adoptent pas des pays voisins, pour des raisons culturelles ou de préférence dans l'emploi des ressources.

• 2045

    Tout cela va à l'encontre de l'uniformisation des communautés politiques. Dans la mesure où l'économie, l'information, la mobilité des populations transgressent les frontières, il revient aux communautés politiques d'affermir leur présence selon la diversité des besoins, des cultures, des possibilités de concertation. Nous n'aurons pas autrement une économie, une information, des immigrations à dimensions humaines. On a donc raison de situer la discussion sur l'éventuelle souveraineté du Québec dans la perspective des grandes urgences de la civilisation contemporaine.

    Encore une fois, la Confédération, en tant que projet de communauté politique, n'était pas fatalement vouée à l'échec.

    Dans ce cas comme en d'autres, c'est l'histoire qui n'est pas parvenue à surmonter un désaccord de fond. Et dès le consentement, on a escamoté le processus démocratique qui aurait pu, au moins, être une promesse, un souvenir auquel on se serait reporté malgré les crises qui ont suivi.

    Je crains que l'on tente aujourd'hui de répéter cette méprise initiale. Des commissions, des comités, des rencontres où des citoyens sans mandats, des pouvoirs économiques et autres sont censés représenter la population travaillent à des replâtrages, à des manipulations d'opinions; la démocratie ne trouve pas son compte.

    On ne retape pas de cette façon des constitutions, encore moins des communautés politiques. Dans les circonstances présentes, les divergences ne sont pas seulement dues à la présence du Québec; en créant des commissions et des comités, sans doute pour gagner du temps faute de pouvoir assumer la situation, le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec ont ouvert la boîte de Pandore.

    Malgré des balises plus ou moins astucieuses, les problèmes sont dorénavant sur la place publique. On ne les fera pas sagement rentrer dans l'ombre à coups de décisions improvisées dans quelque cénacle, nous dit Fernand Dumont. Ici comme ailleurs, la démocratie est fragile. Il est des heures, dans l'histoire des sociétés, où il est indispensable de se souvenir. Pour le Canada comme pour le Québec, nous en sommes là.

Monsieur le président, j'aimerais offrir maintenant un regard, parce que vous savez qu'on discute toujours sur la motion que j'ai déposée, monsieur le président, j'aimerais maintenant vous offrir un regard sur le constitutionnalisme canadien, une réflexion de Jean-Claude Germain, qui essaie, lui, de comprendre le rationnel derrière le dépôt de la loi sur la clarté.

M. Jean-Claude Germain pose la question suivante. C'est un texte savoureux, et vous allez voir qu'il y va avec une affirmation plutôt générale, pour en arriver davantage au particulier.

Une voix: Un entonnoir.

M. Michel Guimond: C'est ça, c'est le principe de l'entonnoir.

Regardez la première question qu'il pose:

    Quelles sont les motivations tactiques qui ont poussé Jean Chrétien à vouloir faire adopter une loi sur la clarté?

    Le principe stratégique qui est ici en cause est celui qui dit qu'il n'y a pas de raison pour que ce qui a déjà marché une fois ne marchera pas une deuxième. Autrement dit, le premier ministre Chrétien appuie sa décision actuelle sur une expérience antérieure qui remonte au rapatriement de la Constitution en 1982.

Rappelons-nous qu'il était ministre de la Justice, en 1982, donc un acteur important.

    On se souviendra que l'aventure a commencé par un jugement de la Cour suprême qui statuait que le rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne, souhaité par Pierre Elliott Trudeau, était légal mais contraire aux coutumes et aux traditions qui nécessitent l'accord des gouvernements provinciaux pour procéder à des amendements constitutionnels, donc illégitime.

• 2050

Jean-Claude Germain nous dit:

    «J'ai sauté sur le mot légal et j'ai oublié le reste»: Jean Chrétien, qui était le ministre fédéral responsable du dossier s'en vante dans son autobiographie, où il y va même d'une réflexion philosophique. «En politique, les raisonnements intelligents sont souvent moins importants que l'impression qu'ils créent chez le citoyen.»

    Fait que si ça marché une fois, ça devrait marcher une deuxième! D'autant plus qu'encore une fois, l'aventure débute par un jugement de la Cour suprême qui statue que le gouvernement du Canada a l'obligation de négocier avec le gouvernement du Québec suite à un référendum qui aurait dégagé une majorité claire à une question claire.

Jean-Claude Germain nous dit:

    Jean Chrétien s'attend déjà à écrire dans la suite de ses mémoires: «J'ai sauté sur la clarté et j'ai tout oublié le reste!» C'est-à-dire la base même de la démocratie qui est l'égalité du vote de chacun et de chacune, l'avenir du Québec et le futur du Canada.

    Pour Jean Chrétien comme pour Wilfrid Laurier, les Québécois n'ont pas d'opinions; ils n'ont que des sentiments ou des impressions. Si on emploie cette grille de lecture, force nous est de conclure que les Québécois ont présentement le sentiment et l'impression que Jean Chrétien...

Je veux juste vous dire, monsieur le président, que je cite un article de Jean-Claude Germain. Je voudrais juste dire que ce n'est pas moi qui en suis l'auteur parce que cela pourrait soulever un tollé. Je veux être honnête. Jean-Claude Germain nous dit:

    Pour Jean Chrétien comme pour Wilfrid Laurier, les Québécois n'ont pas d'opinions; ils n'ont que des sentiments ou des impressions. Si on emploie cette grille de lecture, force nous est de conclure que les Québécois ont présentement le sentiment et l'impression que Jean Chrétien radote, que Jean Charest ergote et que Stéphane Dion capote!

C'est la fin.

Maintenant, monsieur le président, j'aimerais vous préciser que mon discours est toujours relié à la motion qui avait été déposée par M. Alcock et que je me dois de m'opposer à cette motion, d'où mon propos. Je pense que pour bien comprendre tout ce que j'ai mentionné depuis le début, même depuis lundi à 14 h 30, vous devez savoir que dans sa déclaration de principe adoptée le 30 janvier 2000 à notre congrès, le Bloc québécois a affirmé que toute décision concernant la nation québécoise ne pouvait avoir pour centre et assise que le seul État québécois par son Assemblée nationale.

Cette même déclaration rappelait que le Bloc québécois a pour mission de représenter et de défendre les intérêts du Québec, des Québécoises et des Québécois dans toute son action parlementaire et extraparlementaire. Cette mission rendait impérieuse notre participation aux travaux de la Commission des institutions de l'Assemblée nationale du Québec en vue d'appuyer le projet de loi 99 et d'inviter l'Assemblée nationale à énoncer sa primauté sur toute autre institution, notamment sur la Chambre des communes du Canada qui cherche à usurper la liberté du peuple québécois de décider de son avenir et de son statut politique.

Le Bloc québécois invite par ailleurs tous les partis politiques de l'Assemblée nationale, toutes les institutions de la société civile et les citoyens et citoyennes du Québec à donner leur appui au projet de loi présenté par l'Assemblée nationale. Devant le nouveau coup de force que représente le projet de loi C-20, il est important que les Québécoises et les Québécois, par leurs institutions et leurs représentants, fassent preuve de solidarité et défendent les intérêts supérieurs du Québec. Le Québec est maître de son avenir. Il doit faire le pari de la liberté.

Vous savez, monsieur le président, que le Bloc québécois affronte de façon quotidienne les adversaires de la souveraineté du Québec à la Chambre des communes, mais il fait face dorénavant à des adversaires de la démocratie québécoise. En effet, le projet de loi C-20 porte une atteinte réelle au droit du Québec de déterminer librement son avenir politique et d'exercer le droit qui lui a été reconnu par la Cour suprême du Canada de chercher à réaliser la souveraineté.

• 2055

Sous le couvert d'une loi qui reconnaîtrait au Québec le droit de faire sécession du Canada, la législation fédérale est, en réalité, une législation dont l'objet est d'empêcher la tenue d'un référendum et de mettre un terme, comme l'a déclaré le ministre des Affaires intergouvernementales à la Chambre des communes, à toute menace de séparation.

Cette loi ne vise donc aucunement à reconnaître, comme l'a fait la Cour suprême du Canada dans son avis du 20 août 1998, la légitimité du projet souverainiste, mais entend au contraire ériger des obstacles visant à infirmer le droit du peuple québécois de maîtriser son destin et de disposer de l'humain. Le Bloc québécois mène une lutte sans merci contre le projet de loi C-20, et utilise, comme on voit ici ce soir, tous les moyens démocratiques pour obtenir le retrait de ce projet de loi et en contester la légitimité.

D'ailleurs, parmi les moyens utilisés, on a fait appel au professeur Henri Brun, qui a donné un avis juridique sur la notion de majorité dans le renvoi relatif à la sécession du Québec:

    Il s'agit ici, plus précisément, d'indiquer quel sens il faut donner au concept de «majorité» que la Cour suprême du Canada emploie dans son avis du 20 août 1998 pour qualifier le résultat d'un référendum québécois qui engendrerait du côté canadien une obligation constitutionnelle de négocier la sécession du Québec. S'agit-il d'un résultat qui donnerait plus de voix à l'option souverainiste qu'à l'option fédéraliste (50 % des votes exprimés) ou quelque chose d'autre?

    À notre avis, la majorité dont la Cour suprême parle dans ce contexte est le plus grand nombre et rien d'autre. Naît une obligation de négocier de la part du Canada à partir du moment où il y a plus de personnes qui ont voté pour la souveraineté (plus de 50 % des voteurs) qu'il y a de personnes qui ont voté contre. Il en est ainsi parce que le mot «majorité», s'il n'est pas qualifié par d'autres mots, signifie précisément «le plus grand nombre», soit plus de 50 % du tout s'il s'agit du plus grand des deux nombres, et parce que la Cour suprême, lorsqu'elle parle de majorité dans le contexte qui nous occupe ici, ne qualifie ce mot que de l'adjectif «claire», lequel n'a pour effet que d'insister sur la présence réelle de l'objet qu'il qualifie et nullement de modifier cet objet. Autrement dit, la Cour suprême, si elle avait voulu parler d'autre chose que du plus élevé des deux scores référendaires, aurait assorti le mot «majorité» de qualificatifs autres que «claire», qui ne se retrouve nulle part dans les passages pertinents de son avis.

    Suivant la logique de la Cour suprême du Canada, il importe de le rappeler ici, cette majorité claire, dont l'avis fait état à plusieurs reprises est la condition requise pour que le Canada ait une obligation de négocier et non pas la condition requise pour que le Québec puisse accéder à la souveraineté (ou faire sécession de la fédération canadienne). Pour l'accession à la souveraineté, il faudrait en plus, normalement, que soit ensuite négocié entre le Québec et le Canada un amendement à la Constitution du Canada. Ou encore il faudrait, pour que le Québec puisse procéder unilatéralement, soit que le Canada ait refusé la négociation, soit que la négociation ait achoppé pour des raisons imputables au Canada du point de vue de la communauté internationale. Il n'est donc pas du tout étonnant, dans ce contexte, de constater que la règle posée par la Cour suprême soit celle du plus élevé des deux résultats obtenus par chacune des deux options (plus de 50 % des suffrages exprimés): ce dont il s'agit est de savoir à quel moment le Canada a l'obligation juridique de négocier et rien d'autre. Une accession possible à la souveraineté dépendra, elle, de ces négociations ou encore d'un acte unilatéral du Québec et de l'évaluation qu'en fera la communauté internationale.

• 2100

Examinons maintenant ce que dit la Cour suprême du Canada.

    Dans son avis, la Cour suprême s'exprime à plusieurs reprises sur les conditions requises pour que le Canada ait l'obligation constitutionnelle de négocier avec le Québec. Globalement, ces conditions se résument en l'idée que le peuple du Québec doit avoir exprimé clairement sa volonté démocratique de voir le Québec quitter la fédération canadienne. Voilà ce qui donne naissance à l'obligation pour le Canada de négocier.

Si c'est pour moi, le téléphone, monsieur le président, vous pourriez prendre le message, je vais rappeler plus tard.

Des voix: Ah, ah!

M. Michel Guimond: Je ne peux pas aller répondre au téléphone parce que je lis.

    Tout au long des paragraphes 87 et 88 de l'avis, tout particulièrement, mais aussi aux paragraphes 92, 100, 139, 149, 151, 152 et 154, la Cour emploie pour exprimer cette idée divers vocables que nous croyons avoir justement résumés dans la formulation de l'avant-dernière phrase.

    Cette condition globale que nous avons formulée se matérialiserait grâce à la tenue d'un référendum portant sur une question claire et dont les résultats seraient clairs. Sur ce dernier point, le seul qui nous intéresse ici, la Cour s'avance davantage en précisant qu'un résultat clair, un résultat qui en supposant la question claire obligerait le Canada à négocier, serait un résultat qui donnerait une majorité claire à l'option souverainiste.

    La Cour suprême, tout au long de son avis, s'exprime à de nombreuses reprises sur la nature de ce résultat référendaire qui engendrerait l'obligation de négocier. Or, en aucun cas, à une exception près, elle ne s'éloigne de cet unique vocable de «majorité claire». Et dans ce seul cas où elle va plus loin, c'est justement afin de prévenir le lecteur, dès le départ, qu'il aurait tort d'attribuer à ce vocable une signification autre que celle que lui donne le sens ordinaire des mots. La Cour précise alors qu'elle parle de majorité claire «au sens qualitatif» de l'expression.

    Pour mieux savoir ce que la Cour a voulu dire par «majorité claire», c'est donc vers le sens ordinaire des deux mots qu'utilise l'expression qu'il faut se tourner.

    Les dictionnaires, qu'ils soient généraux ou spécialisés en droit ou en science politique, qu'ils soient canadiens, québécois, français, américains ou anglais, définissent tous le mot «majorité» de la même manière: ce substantif désigne le plus grand nombre, ce qui, lorsqu'il s'agit du plus grand de deux nombres, veut nécessairement dire plus de 50 %. Autrement dit, l'option qui obtient la majorité est celle qui reçoit un nombre de votes plus grand que chacune des options concurrentes, ce qui signifie forcément plus de 50 % des suffrages exprimés lorsque deux options seulement sont en présence. Pour signifier davantage que ce seul dépassement du 50 % des voix exprimées, le mot «majorité» doit nécessairement se trouver assorti de qualificatifs susceptibles de produire cet effet.

M. Brun dit qu'un paquet d'ouvrages

    ...font une distinction entre majorité absolue et majorité relative (ou simple), réservant la première appellation aux cas où plus de 50 % des voix sont obtenues. Mais, encore une fois, cette distinction n'a aucune espèce d'objet dans les cas où le choix doit se faire entre deux options seulement. La majorité résultant d'un référendum québécois sur la souveraineté ne sera jamais relative ou simple, de sorte qu'il eût été complètement inutile pour la Cour suprême d'ajouter l'adjectif «absolue» lorsqu'elle parlait de la majorité devant découler d'un tel référendum. Certains des ouvrages cités se donnent d'ailleurs la peine de préciser explicitement que la distinction absolue-relative n'a effectivement aucun objet dans les cas où seulement deux options sont en présence.

• 2105

    La plupart, en revanche, indiquent explicitement que la règle du plus grand nombre signifie bien, dans un tel cas, 50 % des suffrages exprimés plus une voix.

Monsieur Brun nous dit qu'un paquet d'ouvrages:

    évoquent aussi la possibilité de majorités «renforcées» ou «qualifiées». Il peut s'agir d'une augmentation quelconque du pourcentage requis, au-delà du 50 %, ou encore d'une référence, pour le calcul de ce pourcentage, au nombre de personnes qui avaient le droit de voter plutôt qu'au nombre de personnes qui ont effectivement exercé leur droit de vote. Dans l'un et l'autre des cas, il est toutefois nécessaire, pour qu'il en soit ainsi, que le mot «majorité» soit explicitement qualifié, comme c'est par exemple le cas au paragraphe 38(2) de la Loi constitutionnelle de 1982.

    Lorsqu'elle traite de la notion de majorité par rapport au résultat d'un référendum sur la souveraineté, la Cour suprême, dans son avis, ne fait usage que de l'adjectif «claire», lequel n'est aucunement, nous le verrons, de nature à transformer l'exigence d'une majorité ordinaire en celle d'une majorité dite renforcée ou qualifiée. En une occasion il est vrai, la Cour fait état de l'exigence d'une «majorité élargie» (par. 77). Mais son propos ne se situe pas alors dans le contexte de l'appréciation de ce qu'il faut attendre d'un résultat référendaire pour qu'il puisse avoir pour effet d'obliger le Canada à négocier. Ce contexte est plutôt alors celui de l'évaluation de l'ensemble de ce qu'il faut accomplir avant de pouvoir accéder à la souveraineté. Pour accéder à la souveraineté, il faut davantage selon la Cour suprême que la simple majorité requise pour obliger le Canada à négocier; il faut en plus un amendement constitutionnel complexe ou encore l'appui de la communauté internationale.

    L'adjectif «clair» est un mot commun, dont l'appréhension en droit ou en politique ne suggère en rien le recours à des dictionnaires spécialisés en cette discipline. Dans notre contexte il désigne ce qui est évident, manifeste; ce dont l'existence n'est guère sujette à contestation. Assortir le concept de majorité du seul qualificatif «claire» ne peut donc pas avoir pour effet de transformer ce qui est jusque-là une majorité simple ou ordinaire, c'est-à-dire une majorité de plus de 50 % des votants, en une majorité qualifiée ou renforcée de 50 % de ceux qui auraient pu voter ou encore de plus de 50 % de ceux qui ont voté. Le recours à l'adjectif «claire» ne fait qu'insister sur le fait de la présence réelle et non seulement apparente d'une majorité de plus de 50 % des votes exprimés. Le mot «majorité», dépourvu de tout qualificatif, a, comme nous l'avons vu, sa signification propre; l'assortir de l'adjectif «claire» ne fait qu'insister sur l'existence véritable de cette signification.

Le professeur Brun nous dit:

    La Cour, il est vrai, parle parfois dans son avis de majorité de Québécois ou encore de majorité de la population du Québec, et non de majorité exprimée à l'occasion d'un référendum. Mais ces propos, placés dans leur contexte, nous semblent manifestement faire référence au résultat du référendum. Et c'est d'ailleurs ce que dit expressément l'avis dans ces principaux passages pertinents.

Et là, le professeur Brun nous réfère aux paragraphes 100, 148, 150 et 153.

• 2110

    Aussi pensons-nous que la majorité claire dont parle la Cour suprême à titre de déclencheur de l'obligation de négocier est la majorité de plus de 50 % des votes qu'obtiendrait l'option souverainiste à l'occasion d'un référendum et non pas l'évaluation approximative de l'existence d'un appui majoritaire à la souveraineté au sein de l'ensemble de la population du Québec nonobstant le résultat référendaire. En revanche, il faut admettre que le mot «claire» doit avoir une fonction. À notre avis, il ouvre expressément la porte à la possibilité pour le Canada de contester la réalité d'une majorité de plus de 50 % des suffrages en faveur de la souveraineté; il ouvre la porte à la possibilité de faire valoir qu'en raison de certaines circonstances ayant entouré la tenue du référendum cette majorité de 50 % des suffrages est apparente mais non réelle. C'est ce que nous semble suggérer la Cour suprême, et rien d'autre, lorsqu'elle précise que le mot «claire», dans l'expression «majorité claire», doit s'entendre «au sens qualitatif» du mot. La clarté du résultat n'a pas à découler d'une quantité de suffrage excédant 50 % des votes exprimés, mais bien plutôt de la qualité du processus référendaire ayant conduit à ce 50 %.

    Quant aux facteurs qui justifieraient ainsi de prétendre qu'une majorité n'est pas vraiment une majorité de plus de 50 % des votes exprimés, la Cour suprême ne nous éclaire pas beaucoup. Elle répète souvent que l'expression du peuple québécois ne doit pas être ambiguë, ce qui par rapport à la qualité du processus n'ajoute pas grand-chose de plus précis que l'exigence de la clarté. Elle mentionne par contre que cette expression doit être celle d'une volonté démocratique, ce qui suggère que le processus doit pouvoir répondre aux exigences des principes de liberté et d'égalité.

    Par la négative, la Cour suprême n'avance pas d'exemples de cas où se justifierait la contestation d'un résultat référendaire donnant une majorité de plus de 50 % des suffrages à l'option souverainiste. Elle se borne à indiquer que les instances politiques se détermineront à cet égard en fonction des circonstances. L'on peut imaginer, bien sûr, que l'existence de manoeuvres frauduleuses ou d'irrégularités graves pourrait rendre crédible une telle contestation. Mais il demeure que c'est à ses risques et périls que le Canada pourrait sur cette base décider de ne pas négocier: à défaut de pouvoir prouver l'existence et la gravité de ces faits, le Canada devrait au moins être en mesure de convaincre la communauté internationale qu'il existe des motifs raisonnables de croire à l'existence et à la gravité de tels faits, sans quoi le Québec se trouverait habilité à procéder unilatéralement, sous l'égide de la communauté internationale.

Voici la conclusion de cette excellente opinion juridique du professeur Henri Brun de l'Université Laval:

    À notre avis, la «majorité claire» dont fait état la Cour suprême à titre de condition qui engendrerait pour le Canada l'obligation de négocier avec le Québec, n'est rien d'autre que le résultat référendaire qui donnerait plus de 50 % du suffrage exprimé à l'option souverainiste. Ceci découle du fait que tel est le sens du substantif «majorité», non qualifié, et de ce que le qualificatif «claire» ne change rien à cette réalité.

    Il faut conclure, en conséquence, qu'un refus de négocier fondé sur le seul fait que la majorité en faveur de la souveraineté n'aurait pas atteint 60 %, 55 % ou même 61 % du suffrage exprimé serait un acte inconstitutionnel. Un tel refus ne serait pas conforme à l'obligation constitutionnelle de négocier qui découle, selon la Cour suprême du Canada, et du principe démocratique et de la procédure d'amendement constitutionnel. Une telle attitude de la part du Canada serait normalement condamnée par la communauté internationale et serait de nature à légitimer l'accès du Québec à la souveraineté par déclaration unilatérale.

Telle est l'opinion du professeur Brun.

    L'adjectif «claire», en revanche, souligne explicitement le fait que cette majorité de plus de 50 % du suffrage exprimé doit être réelle, véritable, non douteuse. L'insistance que met la Cour suprême à le répéter pourrait être de nature à inciter le Canada à prétendre, le cas échéant, que cette qualité fait défaut.

• 2115

    Du point de vue de la rhétorique, elle pourrait être vue comme une invitation à faire valoir que cette majorité en faveur de la souveraineté n'est pas réelle. Du point de vue de la réalité politique, cette ouverture ne pourrait toutefois se traduire par un refus de négocier que si le Canada était en mesure de convaincre la communauté internationale qu'il existe en l'espèce des circonstances qui sont de nature à invalider le résultat du référendum. À défaut de quoi, le refus de négocier légitimerait ici encore une démarche unilatérale sous l'égide de la communauté internationale.

Maintenant, monsieur le président, étant donné que nous discutons toujours du bien-fondé de la décision du gouvernement de nous bâillonner dans notre étude article par article, étant donné qu'on n'a pas pu faire une étude article par article sérieuse de ce projet de loi, je pense qu'il serait pertinent de savoir ce que le professeur Andrée Lajoie, qui a témoigné devant nous, qui a témoigné devant ce comité, pense de l'expression «question claire» dans le renvoi relatif à la sécession du Québec.

Pour résumer ma pensée, d'entrée de jeu, le professeur Lajoie nous dit que la Cour suprême n'a pas défini ou, plus précisément, a refusé de définir ce qu'est une question claire. Et cela, pour d'excellentes raisons, pas toutes expliquées mais qui impliquent néanmoins des conséquences importantes.

    Une relecture attentive de l'avis consultatif de la Cour suprême dans l'affaire du Renvoi relatif à la sécession du Québec mène à la conclusion que non seulement la cour n'a-t-elle pas défini ce qu'est une question claire, ni à quelle condition une question serait claire, mais qu'elle a expressément refusé de le faire.

    Au meilleur de ma connaissance, la cour n'utilise l'expression «question claire» qu'à quatre reprises: aux paragraphes 93, 100, 148 et 153, dont les deux derniers reprennent les premiers en résumé aux fins de conclusion. Dans le même sens elle réfère quatre fois à «expression claire» (87, 88, 92, 151) ou «non ambiguë» (trois fois:87, 100, 104) et, dans un sens voisin mais différent, à un «résultat référendaire clair» (151).

    Essentiellement, son raisonnement pose la «question claire» comme une question de légitimité de la démarche référendaire (87, 88, 150), légitimité qui enclenche à son tour l'obligation de négocier, dès lors imposée aux autres provinces et au gouvernement fédéral (88, 151). Mais cette obligation de négocier, la Cour la fonde au départ sur le fait que la sécession constitue à son avis une modification constitutionnelle (84, 87, 88, 92, 194): il s'agit en effet pour elle d'un cas particulier—et sans doute extrême—à ranger dans la catégorie des modifications constitutionnelles, dont «chaque participant de la Confédération [a] le droit de prendre l'initiative», un droit qui «impose aux autres participants l'obligation réciproque d'engager des discussions constitutionnelles pour tenir compte de l'expression démocratique d'un désir de changement dans d'autres provinces et d'y répondre»(69).

    L'obligation de négocier n'est donc pas réservée au cas d'un référendum sur une éventuelle sécession, mais s'applique plus largement à toute initiative (pas nécessairement référendaire, pourvu qu'elle soit exprimée démocratiquement) de modification constitutionnelle émanant d'un «participant de la Confédération», pourvu également que le processus employé permette d'«assurer à toutes les parties le respect et la conciliation des droits garantis par la Constitution» (76). Bref, un référendum sur la sécession est un cas particulier de déclenchement d'un processus de modification constitutionnelle, soumis aux conditions que le principe démocratique impose à de telles modifications (88).

• 2120

    C'est dans ce contexte que la Cour, appliquant ce principe à ce cas particulier, énonce ensuite la «question claire» comme condition de légitimité d'un processus particulier de modification constitutionnelle que constitue un référendum sur la sécession (84, 87), processus particulier qui enclenchera, comme d'autres initiatives de modifications constitutionnelles pareillement soumises à une condition d'expression démocratique (76), l'obligation de négocier de la part des autres participants à la Confédération (87, 88).

    Dans aucun des paragraphes précités où la Cour réfère à la «question claire» ou à «l'expression claire», ou «non ambiguë» de la volonté des Québécois, les juges n'ont ils défini ou explicité le sens qu'ils entendaient donner à ces expressions, ni quelle(s) condition(s) éventuelle(s) la question devrait remplir pour respecter cette exigence de clarté qu'elle impose comme critère de légitimité suffisante pour enclencher le processus de négociations impliqué par toute modification constitutionnelle. Certes il doit s'agir d'une «expression démocratique» (69, 87), mais cette référence ne permet pas d'apporter beaucoup de précisions, compte tenu que la Cour elle-même a déjà donné au moins trois définitions de «démocratie» depuis 1984...

    Plus encore, elle énonce expressément que la «Cour n'a aucun rôle de surveillance à jouer sur les aspects politiques des négociations constitutionnelles... [et que]... l'incitation initiale à la négociation, [...] en réponse à une question claire, n'est assujettie qu'à une évaluation d'ordre politique. [...] Seuls les acteurs politiques auraient l'information et l'expertise pour juger du moment où ces ambiguïtés seraient résolues dans un sens ou dans l'autre». Cette affirmation, d'abord apparue dans le corps de l'exposé (100), est reprise en conclusion (153).

    À défaut donc de trouver dans l'avis consultatif le sens à donner à «question claire», on peut, je crois, en exclure au moins deux, à partir du fondement même de l'exigence de la clarté imposée par la Cour.

    Le premier sens à exclure serait celui qui exigerait qu'une question claire porte uniquement sur la sécession et la mentionne expressément. Une telle contrainte est en effet exclue par le fondement même de la condition de clarté imposée par la Cour, à savoir les exigences intrinsèques à toute modification constitutionnelle (76): à partir de ce fondement, je ne vois pas comment prétendre qu'une question claire ne pourrait porter que sur la sécession, à l'exclusion de toute autre modification constitutionnelle moins extrême, sans par le fait même poser que ces dernières sont, par définition, «non claires», et conséquemment illégitimes.

[Traduction]

Le président: M. Alcock invoque le Règlement.

M. Reg Alcock: Monsieur le président, je constate que notre collègue commence à avoir l'air un peu mal. Il a l'air de ne pas se sentir bien.

Je suis tout à fait sérieux. Il s'agit d'un rappel au Règlement amical.

Aimeriez-vous prendre une petite pause?

[Français]

M. Michel Guimond: Non.

[Traduction]

M. Reg Alcock: Nous serions prêts à vous l'accorder, c'est tout.

[Français]

Le président: Monsieur, vous avez la parole.

• 2125

M. Michel Guimond:

    Le second sens à exclure serait celui selon lequel la clarté implique un seul sens univoque pour tous, et cette seconde exclusion découle également des exigences intrinsèques à toute modification constitutionnelle que la Cour situe au fondement de l'obligation de clarté dans le cas précis d'un référendum portant sur la sécession. En effet, d'autres modifications constitutionnelles antérieures sur lesquelles la Cour a souvent eu à se pencher n'ont jamais fait l'objet de commentaires de sa part quant à leur manque de clarté, bien que leur libellé ait été loin de l'univocité. Il suffit de songer à la Loi constitutionnelle de 1982, qui introduisait dans la Constitution canadienne, non seulement la Charte des droits et libertés, mais d'autres modifications, et où l'on trouve des expressions comme «société libre et démocratique» et «droits ancestraux», pour ne citer que celles-là, si peu univoques et tellement polysémiques que la Cour n'a cessé d'en donner des interprétations successivement différentes, quand elles ne sont pas incompatibles.

    Dans ces circonstances, qui prétendra qu'en 1982 tous les Canadiens, Autochtones et non-Autochtones, y compris tous les membres du Parlement, donnaient le même sens à l'expression «droits ancestraux et issus de traités» (sans parler du concept de traité lui-même...)? Ou qu'à la même occasion, l'expression «société libre et démocratique» référait au même contenu pour les Canadiens de toutes tendances politiques et les députés de tous les partis? Pourtant personne, ni surtout le premier ministre Chrétien, dont on croit se souvenir qu'il a joué un certain rôle dans ce processus, n'a attaqué la légitimité de cette modification constitutionnelle au motif de manque de clarté du texte qui allait modifier, avec la profondeur que l'on sait, la Constitution canadienne. Or, soutenir que, pour être clair—et par conséquent légitime et valide en regard du principe de démocratie qui sous-tend notre Constitution (61 et suiv.)—un texte doive être univoque, reviendrait à dire que, entre autres, les modifications constitutionnelles de 1982 sont invalides: une conclusion à laquelle, encore une fois, on ne peut soupçonner la Cour d'avoir voulu en arriver.

    Les motifs de ce silence et leurs implications.

    On aura déjà compris que la Cour avait d'excellents motifs pour ne pas définir l'expression «question claire»... Elle en a explicité certains et laissé transparaître ceux auxquels je viens de référer, mais il y en a d'autres, bien plus fondamentaux qui peuvent être invoqués au soutien de sa position.

    Les raisons que la Cour met expressément de l'avant pour refuser de préciser ce qu'elle entend par une «question claire», ont trait à l'auto-limitation qu'elle pratique dans la production du droit, et à la frontière de la justiciabilité qu'elle trace entre des questions qui relèvent de son rôle et celle qu'elle range au contraire dans les «aspects politiques des négociations constitutionnelles» (100), en les déférant à des «acteurs politiques» non identifiés autrement que par le fait qu'ils disposeraient de «l'information et [de] l'expertise pour juger du moment où ces ambiguïtés seraient résolues dans un sens ou dans l'autre» (100) «suivant les circonstances dans lesquelles un futur référendum pourrait être tenu» (153). Malgré l'ambiguïté—sinon l'absence—de critères aptes à départager «les aspects pertinents de la Constitution» des «aspects politiques des négociations constitutionnelles» (100), la Cour est parfaitement justifiée à mon avis d'utiliser sa discrétion en matière d'accueil des pouvoirs pour écarter ceux auxquels elle ne peut apporter aucun éclairage valable. Car non seulement ne peut-elle pas donner une définition de «question claire» parce que, selon elle, cette tâche ne relève pas, en droit, de sa compétence, mais parce qu'il s'agit, en fait, d'un exercice concrètement impossible.

    En effet, le sens des mots et des énoncés n'est pas donné objectivement, une fois pour toutes, il est construit selon le contexte où ils sont employés. Plus précisément, le processus qui consiste à leur donner sens ne se produit pas unilatéralement dans un vacuum social, mais au sein d'une communauté à laquelle s'adresse son auteur: l'utilisation du langage implique le dialogue. Il en résulte que ce n'est pas l'auteur seule qui détermine le sens de son discours, mais également ceux et celles auxquels le message est adressé. Ce n'est pas dire que le lecteur d'un texte, son «adressataire», ait toute latitude pour lui attribuer n'importe quel sens. Mais c'est à cet adressataire de le déterminer, à l'intérieur de la marge de manoeuvre qui est la sienne, dans le contexte qui est le sien.

• 2130

    Car les bornes imposées à l'interprétation d'un texte ne découlent pas seulement de son énoncé, ni encore moins de l'intention de son auteur, mais de sa compatibilité avec le sens «commun» qui lui attribue sa communauté interprétative de référence. C'est particulièrement le cas pour les textes juridiques, qui ont généralement l'effet de contraindre les justiciables ou du moins de modifier de façon importante leur situation antérieure: la communauté interprétative des justiciables ne permettra pas que l'interprétation choisie soit incompatible avec ses valeurs et ses intérêts majeurs. Mais cela vaut pour tout autre texte, et notamment ceux que leur portée politique place au premier rang des enjeux sociaux.

    Dit autrement, énoncé dans le contexte d'une question référendaire, ce principe devient encore plus évident: le sens d'une question posée—et conséquemment son degré de clarté—relève de ceux et celles à qui cette question est posée: ici, les Québécois. Au moment où elle est posée, et dès lors qu'elle s'adresse aux Québécois, c'est à eux de décider s'ils estiment la comprendre et pouvoir y répondre, et personne d'autre n'est habilité à décider cela pour eux. Il n'y a de définition de clarté que celle qui leur convient, et le sens que d'autres, à qui la question ne s'adresse pas, pourraient éventuellement y donner, n'est pas pertinent.

    En termes concrets, c'est aux acteurs politiques québécois de formuler la question à l'intention des Québécois, qui devront décider pour eux-mêmes si elle est claire. Devant une question ainsi posée, les acteurs politiques canadiens fédéraux issus du Québec seraient habilités, à titre individuel de Québécois, à apprécier pour eux-mêmes sa clarté et ils ont, à ce titre, entière liberté de s'exprimer à ce sujet et de tenter d'influencer leurs concitoyens du Québec ou d'adopter un autre point de vue au cours de ce dialogue. Si, au terme de l'exercice, leur interprétation de cette clarté, ou du sens de la question, coïncide avec le «sens commun» que lui attribue au même moment la communauté interprétative de ce forum auquel s'adresse légitimement cette question, aucun problème ne surgira. Dans le cas contraire, les résultats de nos recherches mènent à conclure que ce ne serait pas leur interprétation de la question ou leur appréciation de sa clarté intrinsèquement subjective comme celle de tous les autres Québécois qui serait retenue, mais celle qui dominerait dans la collectivité.

    Dès lors, à l'étape subséquente où, le référendum terminé, ils seraient amenés, en tant cette fois qu'acteurs politiques canadiens fédéraux faisant partie des «autres participants de la Confédération», à apprécier si l'exigence de clarté nécessaire à l'enclenchement de l'obligation de négocier a été respectée, c'est à l'appréciation antérieure qu'en auront faite les adressataires québécois de la question qu'ils devront se référer.

    Et ils devront le faire exactement de la même manière que tout autre intervenant canadien qui ne serait pas Québécois: leur avis personnel sur la clarté de la question n'est plus pertinent à ce stade des débats. En agissant autrement, en refusant de respecter la position collective des Québécois sur la clarté de la question, les acteurs politiques du ROC s'exposeraient au jugement...

Des voix: Oh, oh!

Le président: Vous pouvez continuer.

M. Michel Guimond: En agissant autrement, en refusant de respecter la position collective des Québécois sur la clarté de la question, les acteurs politiques du ROC s'exposeraient au jugement de la communauté internationale sur leur volonté de négocier de bonne foi, comme la Cour elle-même l'indique (152, 154).

    On aura compris que le sens des mots est construit, en contexte social, selon un processus qui implique à la fois l'auteur du texte, son «adressataire» et la communauté interprétative pertinente. Dans ces circonstances, peu importe d'où elle surgit, toute tentative, forcément réductrice, d'imposer un sens univoque, est à la fois illusoire et vouée à l'échec.

• 2135

    Quelques exemples viennent spontanément à l'esprit. Ainsi, la présence éventuelle, dans la question, des termes «sécession», «indépendance» ou «pays» sont-ils apparus à certains fédéralistes comme une garantie de clarté. Pourtant, la «sécession» exclut-elle en elle-même la conclusion ultérieure de traité? Comment prétendre cela sans refuser d'avance des négociations que l'avis consultatif de la Cour impose par ailleurs? Depuis quand un Parlement peut-il lier ses successeurs et empêcher la mise en place éventuelle de nouvelles architectures constitutionnelles? Par ailleurs, à quoi réfère «l'indépendance»? Pour Stéphane Dion, alors professeur au département de science politique de l'Université de Montréal, il était, en 1994, synonyme.

Et là, monsieur le président, j'aimerais juste que ce soit clair. Regardez ce que votre mentor, Stéphane Dion, alors professeur au département de science politique de l'Université Laval, alors qu'il était en 1994, voici ce qu'il pensait du terme «indépendance»: il disait que c'était synonyme de «souveraineté», «sécession» et «séparation».

    Le mot peut-il décrire la relation actuelle du Canada à l'égard des États-Unis, en général, et au sein de l'ALENA, en particulier? Si non, s'appliquerait-il à un Québec qui se joindrait à l'ALENA après une sécession du Canada? Enfin, qu'est-ce qu'un «pays»: lieu de naissance, région, territoire? Larousse nous donne les trois sens, et même Vignault ajoute l'hiver... La France et l'Allemagne ne sont-ils pas plus des «pays» reconnus comme tels par les États membres de la communauté internationale, maintenant qu'elles sont intégrées à l'Union européenne?

    En résumé: la Cour s'est bien gardée de définir ce qu'est une question claire, et son silence à cet égard nous empêche de cerner le contenu qu'elle y attacherait. Mais le raisonnement sur lequel elle fonde l'obligation de clarté—savoir les exigences de validité démocratique applicables à toute modification constitutionnelle parmi lesquelles elle range un référendum sur la sécession—nous permet d'exclure de ce contenu éventuel certains éléments. Ainsi, ne peuvent-être inclues dans les exigences de clarté ni l'obligation de ne faire porter la question que sur la sécession [...], ni sur celle de lui assurer un seul sens univoque pour tous (comme si toutes les modifications antérieures, et notamment celles de 1982, n'étaient susceptibles que d'une seule interprétation).

    En fait, la Cour, qui a expressément refusé de clarifier son concept de clarté, a bien saisi qu'une telle exigence était illusoire, puisque la production du sens des mots est un processus social auquel participent, autant que leurs auteurs, ceux à qui ils s'adressent et la communauté interprétative à laquelle ils appartiennent tous. Dans cette circonstance, il n'y a aucun terme magique qui serait compris par tous de la même manière, et c'est aux Québécois, auxquels s'adresse la question, de décider de sa clarté. Si les acteurs politiques fédéraux ou autres participants à la Confédération refusaient de prendre acte de l'appréciation collective des Québécois quant à la clarté de la question, ils s'exposeraient au jugement de la communauté internationale quant à leur bonne foi à l'égard des négociations imposées par la Cour.

    Comme le souligne Francis Hammon, pour qu'une question mène à un appui dénué de toute ambiguïté, il faudrait que les citoyens soient parfaitement informés des conséquences d'une éventuelle accession à l'indépendance, lesquelles constituent par ailleurs l'enjeu d'une négociation encore à venir: une contradiction interne que la quadrature du cercle elle-même ne résoudrait pas. La Cour a eu raison d'éviter ce piège: il n'existe pas objectivement de question univoquement claire. Il faudra s'y faire, et respecter le sens commun collectif de ceux et celles auxquels la question s'adressera, quand elle leur sera adressée...

• 2140

Monsieur le président, vous savez que la discussion que nous avons depuis 17 h 30, elle tourne—et si je ne l'ai pas répété 50 fois, je ne l'ai pas répété une fois... Vous savez que je me dois de prendre la parole ce soir pour appuyer l'avis de motion que je vous ai présenté et qui se lit comme suit: «Que la motion relative au temps alloué pour l'étude, article par article, adoptée par le comité législatif du 14 février 2000, soit annulée.» J'ai dû, monsieur le président, déposer cette motion parce que le gouvernement libéral avait décidé de nous bâillonner. Le gouvernement libéral avait décidé, au moyen d'une motion adoptée le 14 février, présentée par M. Alcock, secrétaire parlementaire de Stéphane Dion, la motion suivante, à l'effet de limiter à une heure par article, une heure seulement pour le préambule, le débat sur ce projet de loi qui est si important aux yeux du gouvernement.

Donc, on a dû, et c'est pour cette raison, monsieur le président, que la discussion, article par article, ce soir, elle n'a pas eu lieu. Ce n'est pas parce qu'on avait peur de débattre avec Stéphane Dion. On considérait, et on considère toujours que la souveraineté du Québec, c'est un objectif légitime. On considérait, et on considère toujours qu'on espère que le gouvernement, lors des prochaines étapes en Chambre, fera preuve d'ouverture et donnera la possibilité à tous les collègues de cette Chambre de discuter—tous les collègues sans exception—que les 301 députés de la Chambre des communes pourront s'exprimer sur le projet de loi C-20. D'autant plus, si ce gouvernement est démocratique, comme il semble l'indiquer, j'espère qu'il va nous donner la permission, en Chambre, la possibilité, en Chambre, de faire le débat sur tous les amendements que nous allons déposer. Nous allons nous contenter d'en déposer que quelques-uns, mais vous verrez que ce seront des amendements fouillés, et je suis persuadé qu'on aura le temps d'en débattre à la Chambre.

On devrait se demander, monsieur le président... Tout à l'heure, je vous disais: «What does Quebec want?» On sait que le Québec est l'une des dix provinces du Canada, que sa population totale est d'environ sept millions d'habitants, qu'elle représente environ 25 p. 100 de la population totale du Canada. On sait que la population québécoise est composée à 83 p. 100 de francophones, c'est-à-dire d'individus qui parlent surtout français à la maison, et qu'elle comprend également 9 p. 100 d'anglophones, ainsi que 7 p. 100 d'allophones, c'est-à-dire d'individus dont la langue principale parlée à la maison n'est ni le français ni l'anglais.

Il y a aussi, sur le territoire québécois, 65 000 personnes appartenant à 11 nations autochtones. Dans le reste du Canada, la population de langue maternelle française représente 1 million de personnes. La population totale des autochtones vivant au Canada est d'environ 600 000 personnes et elle se répartit en 600 bandes.

Le mouvement souverainiste québécois, monsieur le président, s'est depuis toujours fondé sur la nécessité de défendre la langue française et de promouvoir la culture québécoise. La langue française est extrêmement fragilisée par le fait qu'elle est minoritaire sur le continent nord-américain. L'assimilation des francophones hors Québec atteint des proportions alarmantes partout au Canada. Bien qu'il s'agisse d'une tendance lourde qui existe depuis très longtemps, les plus récents chiffres à ce sujet sont tout simplement dramatiques. Par exemple, les personnes de langue maternelle française vivant à l'extérieur du Québec se retrouvent pour moitié en Ontario. Or, parmi ces 500 000 personnes, seulement 300 000 déclarent parler surtout le français à la maison.

• 2145

Il s'agit d'un taux d'assimilation de 40 p. 100. La situation est plus grave encore dans les autres provinces, sauf au Nouveau-Brunswick, où le taux d'assimilation n'atteint que 7 p. 100. C'est dans cette province que l'on trouve le peuple acadien, où il représente le tiers de la population. Au Québec même, bien que les francophones soient majoritaires, la situation du français demeure toujours précaire. Deux régimes de lois linguistiques conflictuelles s'appliquent. D'une part, le gouvernement canadien promeut un bilinguisme à l'échelle du pays, qui en réalité se traduit par un quasi-unilinguisme anglais hors du Québec, sauf au Nouveau-Brunswick, j'en conviens, et un bilinguisme relatif au Québec. Le gouvernement québécois, de son côté, vise à garantir que le français soit la langue commune des citoyens de la province, en particulier, grâce à la promotion du français comme langue d'éducation, de travail et d'affichage. Le français est d'ailleurs la langue officielle du Québec. Soulignons toutefois que la communauté anglophone québécoise s'est toujours vue reconnaître le droit d'avoir et de développer ses propres institutions, en particulier dans le domaine de l'éducation et de la santé, et qu'il est parfaitement possible pour un anglophone de vivre et même de travailler en anglais à Montréal. Quoiqu'en dise Keith Henderson, qui a témoigné devant nous ce matin, quoi qu'en dise William Johnson, qui a témoigné devant nous ce matin. Je mets au défi ces Anglo-Québécois de dire si les francophones hors Québec, les Fransasquois, les francophones en Colombie-Britannique qui se sont battus, qui n'arrêtent pas de se battre, semaine après semaine, pour avoir leurs écoles et pouvoir faire éduquer leurs enfants dans leur langue maternelle, le français, on n'a pas de leçon, nous, les souverainistes, de leçon de démocratie à recevoir de William Johnson et de Keith Henderson de la façon que la minorité anglophone est traitée au Québec. Qu'ils donnent l'équivalent dans les autres provinces. C'est ce qu'on demande.

Monsieur le président, pour notre part, nous croyons que tous les citoyens, quelle que soit leur communauté d'appartenance ou leur origine, ont droit à la liberté d'expression. Le Québec est d'ailleurs doté, à cet égard, d'une charte des droits des plus progressistes. Mais cette liberté d'expression des individus peut, à notre avis, cohabiter harmonieusement avec une légitime promotion de l'usage du français qui, dans le contexte nord-américain, demande une législation appropriée. Le gouvernement canadien, semble-t-il, n'est pas de cet avis.

Un autre indice de la fragilité du fait français concerne la capacité limitée de la majorité francophone à intégrer les immigrants. Le Canada a l'un des taux d'immigration les plus élevés au monde grâce auquel le Québec et le Canada connaissent aujourd'hui une croissance démographique qui serait absente autrement. Mais l'assimilation des immigrants, que ce soit au français ou à l'anglais, est d'à peine 40 p. 100 au Québec. L'assimilation consistant à changer de langue parlée à la maison, et si ce n'était de la très grande mobilité des anglophones dans les autre provinces canadiennes, cette assimilation tendrait à augmenter la proportion des anglophones du Québec. Les différentes mesures mises en place par les gouvernements québécois successifs, souverainistes ou fédéralistes, ont eu pour effet de freiner quelque peu l'intégration linguistique des immigrants à la communauté anglophone. Mais ces acquis sont constamment remis en question et même annulés par les pressions économiques, politiques et culturelles qui s'exercent sur les Québécois d'adoption.

En somme, même si des progrès notables ont été accomplis, la situation linguistique demeure préoccupante. Et ce, d'autant plus que le Québec ne possède pas tous les outils, législatifs et administratifs, grâce auxquels il pourrait apporter les correctifs requis.

Posons-nous la question maintenant, monsieur le président, en discussion sur cette motion, le Canada est-il un État multinational ou un État-nation? La situation précaire du Québec sur le plan linguistique est aggravée par le fait que le Canada ne reconnaît pas le caractère national de la langue française et le caractère national de la culture québécoise, qui inclut les cultures de la minorité anglophone, des nations autochtones et des Québécois de toute origine.

• 2150

Nous croyons que la diversité culturelle et linguistique du Québec est compatible avec l'existence d'une langue nationale commune qui constitue la langue utilisée par les citoyens québécois de langue différente, et d'une culture nationale commune fondée sur des institutions auxquelles tous participent, et des valeurs démocratiques que tous partagent.

Or, le gouvernement canadien ne reconnaît pas que cette langue et cette culture sont celles de l'une des nations constitutives du pays. Pour lui, le français est un trait culturel de certains de ses citoyens, un trait qui peut faire l'objet de droits individuels, mais qui ne peut être envisagé sous l'angle des droits des peuples.

Plus encore, ce gouvernement est engagé dans un processus de nation building qui consiste à construire une identité civique unique sans tenir compte du caractère multinational du pays. Les citoyens d'un État multinational peuvent, certes, se donner une identité civique commune, mais cette identité ne saurait être viable sans une reconnaissance des différentes nations constitutives de l'État.

La Charte canadienne des droits et libertés qui est enchâssée dans la Constitution canadienne est d'inspiration individualiste, et passe sous silence les droits sociaux et économiques ainsi que l'existence du peuple québécois. Le Canada cherche à nier de plus en plus son caractère d'État multinational se transformant en une fédération de 10 provinces ayant le même poids administratif.

Le processus de nation building se traduit aussi par la promotion de ce qui est communément appelé la diversité culturelle canadienne alors que les nations autochtones et québécoise ne jouissent, quant à elles, d'aucune reconnaissance politique réelle, sauf pour une reconnaissance symbolique des autochtones dans la Loi constitutionnelle (1982) et pour une reconnaissance stratégique de certains individus francophones dans l'administration publique.

Je pense qu'on a entendu, monsieur le président, dans nos témoignages un certain nombre de nations autochtones qui sont carrément venues dire que le rapatriement unilatéral de la Constitution de 1982, ils ne le prennent pas plus que nous, les Québécois, on ne le prend.

Le gouvernement canadien a mis en oeuvre une politique de multiculturalisme et une politique de bilinguisme officiel selon laquelle tout le pays est officiellement bilingue. La politique de multiculturalisme se fonde sur le principe de l'égalité de toutes les cultures sur le territoire canadien. Même si la politique de multiculturalisme canadien promeut officiellement l'intégration linguistique dans l'une ou l'autre des deux langues officielles, les immigrants s'intègrent surtout à la communauté anglophone à l'échelle canadienne et le bilinguisme s'avère une fiction en dehors du Québec.

La nation québécoise est une société libérale pluraliste et multiethnique. Les Québécois ont majoritairement accepté depuis toujours, la diversité culturelle et la cohabitation enrichissante qu'elle permet. De plus, ils ont longtemps considéré comme un avantage le fait d'avoir une double appartenance québécoise et canadienne, et d'être ainsi les citoyens d'un État multinational. Ils auraient, par conséquent, voulu trouver une solution qui, dans le cadre du régime fédéral, aurait pris en compte les besoins spécifiques du Québec, mais le Canada ne protège pas adéquatement la langue française à l'extérieur du Québec, et refuse de reconnaître pleinement l'autorité et l'autonomie du gouvernement du Québec en matière de langue sur le territoire québécois.

De plus, il cherche à nier l'existence de plusieurs nations en son propre sein. Le Canada est, dans les faits, un État multinational, mais les Canadiens aspirent désormais à lui donner la forme d'un État-nation. Ce sont là certaines des raisons qui amènent un nombre croissant de Québécois à choisir la voie de la souveraineté politique.

La lenteur même de la démarche souverainiste québécoise témoigne de son caractère démocratique et du réel désir d'accommodement de la très grande majorité des Québécois. Cette démarche repose en grande partie sur le recours à des référendums, mais ceux-ci ne constituent en fait que les points culminants de longues négociations qui remontent maintenant à plus de 30 ans.

• 2155

Un bref rappel de ces négociations peut aider à comprendre les aspirations du peuple québécois, et c'est ce que j'ai fait depuis le début de mon exposé, lundi, à 14 h 30.

Examinons maintenant la venue du prochain référendum. Si aucun changement significatif ne vient modifier les politiques fédérales, il apparaît de plus en plus possible que les tenants de la souveraineté l'emportent lors d'un prochain référendum. Et je pense que c'est pour ça que le gouvernement nous a imposé le projet de loi C-20, parce qu'il sait fort bien que la démarche du Québec vers sa souveraineté est irréversible.

Celui-ci pourrait avoir lieu d'ici à quelques années. Or cette victoire, si elle survient, ne ralliera pas l'ensemble des communautés qui composent la société québécoise. Comment la conjoncture politique se présenterait-elle alors? Nous souscrivons à la conception de la citoyenneté défendue par les partenaires de la souveraineté. Nous optons nous aussi pour une citoyenneté québécoise fondée sur une solidarité et une coopération active où les différences entre les citoyens ne sont ni effacées, ni cultivées en vase clos, mais investies dans un projet commun: l'évolution du Québec. Les divergences d'opinions, de valeurs ou de modes de vie sont le propre de toute société démocratique et n'empêchent pas le respect mutuel. Même si des désaccords persistaient dans un éventuel Québec souverain, les libertés individuelles et l'égalité de tous les citoyens du Québec serait affirmées dans sa constitution.

On enchâsserait également dans cette constitution les droits collectifs de la minorité nationale anglophone et des nations autochtones car, en plus d'être des citoyens québécois à part entière, les anglophones et les autochtones ont des besoins et des droits spécifiques.

La minorité nationale anglophone a contribué historiquement à la construction du Québec contemporain, et elle conservera le droit qui lui est actuellement garanti de créer, maintenir et de développer ses propres institutions.

Les 11 nations autochtones vivant sur le territoire québécois ont un droit à l'autonomie gouvernementale qui devra leur être officiellement reconnu. Les Québécois ne doivent pas commettre envers leur minorité les mêmes erreurs que les Canadiens. Ils doivent protéger les droits de la minorité nationale anglophone, ainsi que ceux des nations autochtones.

Le gouvernement québécois s'était d'ailleurs engagé en ce sens, en 1995, et je suis persuadé les IPSO, les Intellectuels pour la souveraineté, n'auraient jamais accordé leur appui au projet souverainiste s'ils n'avaient pas eu l'assurance que telles étaient les intentions du gouvernement québécois.

Par ailleurs, si l'opinion de la minorité ne doit pas déterminer l'orientation de la majorité, elle doit être écoutée et entendue. En ce sens, la proposition d'union politique et économique avec le Canada incluse dans le projet de souveraineté du Québec permettrait aux citoyens qui se sentent d'abord et avant tout Canadiens, de maintenir simultanément une appartenance à une entité politique unique dont l'étendue correspondrait à celle de l'actuel Canada.

Examinons maintenant la souveraineté du Québec face à l'ordre juridique international. Si l'ordre constitutionnel canadien ne peut encadrer légitimement la démarche d'accession à la souveraineté du Québec, ce processus peut-il être pris en charge et balisé par le droit international?

Le droit à l'autodétermination inscrit dans la Charte des Nations Unies, interprété par la Déclaration sur les relations amicales de l'ONU de 1970, concerne essentiellement les peuples coloniaux, bien que certains aient pu y lire une reconnaissance limitée du droit à la souveraineté.

Mais le droit international reconnaît, en pratique, qu'un peuple peut accéder à la souveraineté si sa démarche est démocratique, et s'il parvient à imposer un contrôle sur son territoire et sa population. Le processus d'accession à la souveraineté est ainsi, d'abord et avant tout, un fait politique, et non pas juridique. Le droit international n'autorise pas la souveraineté, mais il ne l'interdit pas non plus; il le constate.

• 2200

C'est en ce sens que l'on peut prétendre que la démarche souverainiste québécoise s'accorde avec le droit international comme s'est accordée avec le droit international l'accession de nombreux États depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et en particulier, depuis le début de la présente décennie où, rappelons-le, il y a eu 21 nouveaux États qui ont eu leur souveraineté.

Certains membres actuels du gouvernement canadien soutiennent que le Québec ne peut s'appuyer sur le droit international pour déclarer unilatéralement sa souveraineté, et ils en concluent qu'une telle déclaration serait illégale du point de vue du droit international. Ils espèrent, de cette manière, faire croire à la population qu'il s'agit d'une démarche moralement répréhensible. Mais ils sont contredits par la plupart des juristes internationaux qui ont émis un avis sur le sujet.

Le droit international fait plus qu'éviter de se prononcer sur la question: il constate la souveraineté. Ces juristes reconnaissent donc implicitement que le processus d'accession à la souveraineté déborde le cadre strictement juridique, et qu'une telle démarche peut parfois être politiquement légitime et moralement justifiée.

Comme nous l'avons indiqué, le Québec mettra tout en oeuvre pour éviter une déclaration unilatérale de souveraineté.

Regardons maintenant les justifications morales du Québec. Les Québécois parlent depuis toujours de s'entendre avec leurs partenaires de la fédération dans le cadre d'un pacte entre peuples. Et quand on aura fait la souveraineté, ce ne seront pas les politiciens qui vont se parler: ce sera le peuple qui va parler. Ils adhèrent au principe selon lequel on peut à la fois appartenir au peuple québécois et faire partie d'un État multinational. Pour eux, le Québec est une entité multinationale entre deux peuples fondateurs que l'on nommait à l'époque les «Canadiens français» ou les «Canayens» et les «Canadiens anglais». Maintenant, on parle plutôt du peuple québécois et d'un peuple canadien.

Les peuples autochtones existaient bien avant, et indépendamment de la création du Canada, en 1867. S'ils n'ont pas été des peuples fondateurs du Canada, c'est qu'ils ont, à tort, été exclus. Je me rappelle qu'on a eu hier le témoignage de Phil Fontaine, qui regardait ce tableau au-dessus de nous, ce tableau des Pères de la Confédération. Phil Fontaine le regardait et observait avec justesse qu'à l'arrière, on semble reconnaître qu'il y a des chaises vides. Je suis persuadé que ces chaises-là, elles auraient dû être occupées par les peuples autochtones.

On peut également dire des Acadiens qu'ils forment un peuple au sein du Canada. Telle est la réalité désormais incontournable du Canada. Si les Québécois sont ouverts à l'idée d'appartenir à un État souverain multinational, ils se sont pourtant heurtés, depuis toujours, au refus des Canadiens de reconnaître l'existence du peuple québécois.

Ce refus existe depuis le début de la fédération, en 1867, et il s'exprime autant sur le plan constitutionnel que sur les plans politiques et administratifs. Le Canada refuse d'inscrire son caractère multinational dans la Constitution. Il refuse d'accorder au Québec la pleine maîtrise d'oeuvre sur ses pouvoirs culturels: langue; communication; culture et économie.

Ces compétences devraient d'ailleurs, sur le territoire du Québec, relever exclusivement du gouvernement québécois. Le gouvernement fédéral refuse aussi de limiter son propre pouvoir de dépenser. Et là, monsieur le président, sur la limitation du pouvoir de dépenser, lundi prochain, le 28, à l'occasion du discours du budget, on verra Paul Martin, ministre des Finances, se péter les bretelles qu'il a accumulé des surplus de 95 milliards de dollars pour les cinq prochaines années, alors que c'est uniquement une démonstration que ce gouvernement taxe trop et que ce gouvernement est venu piger dans la poche des chômeurs et a coupé les transferts aux provinces.

Est-il normal et acceptable qu'un gouvernement accumule des surplus de 95 milliards de dollars pour les cinq prochaines années?

• 2205

Monsieur le président, le ministre des Finances, le lundi 28 février, lors du discours du budget, va se péter les bretelles de faire de nouvelles dépenses, de créer de nouveaux programmes, encore une fois, en refoulant les juridictions exclusives des provinces, comme on a vu ce qui se prépare au niveau des droits parentaux, comme on a vu ce qui s'est passé au niveau des bourses du millénaire. Quand on a le cash, c'est facile de refouler au pied les juridictions des provinces.

Monsieur le président, le gouvernement canadien refuse aussi de reconnaître de façon explicite une véritable asymétrie dans le partage des pouvoirs; asymétrie qui refléterait le fait que le Québec est l'un des deux peuples constitutifs du Canada. Bien que le Québec ait son Code civil, des lois linguistiques et, depuis peu, un certain contrôle sur son immigration, pour l'essentiel, sur le plan constitutionnel et politique, c'est le principe de l'égalité entre les dix provinces qui prévaut; ce qui a pour conséquence que le Québec ne peut se voir confier de statut particulier au sein de la fédération canadienne.

La démarche souverainiste québécoise s'explique aussi par le fait que le gouvernement canadien a, par de très nombreuses politiques mises en oeuvre au cours des 30 dernières années, favorisé le développement économique de la région de Toronto, aux dépens de toutes les autres régions du pays. On peut certes comprendre la nécessité d'un développement inégal lorsqu'une communauté est située dans une région périphérique, que ses ressortissants sont en nombre insuffisant, et qu'elle ne dispose pas de ressources économiques diversifiées, mais par contre, la situation du Québec se refuse de cautionner un tel développement inégal.

Monsieur le président, étant donné qu'il est 22 h 07, et que je parle depuis 17 h 30, et que j'exerce mon droit de parole démocratiquement à ce comité depuis lundi à 14 h 30, je crois que le moment est venu, monsieur le président, pour moi de conclure.

Avant de conclure, je voudrais remercier le personnel de soutien qui a travaillé très fort au sein du comité, les interprètes, les gens de la télévision, télédiffusion des débats, les pages, toutes les personnes qui, de bonne foi, ont travaillé ici au sein de ce comité.

Je veux vous dire que j'ai trouvé l'expérience pertinente de présenter mes propos, mais je demeure quand même profondément déçu que le gouvernement se serve de sa majorité parlementaire pour empêcher les débats, pour empêcher que des discussions véritables se fassent sur ce projet de loi, et je l'invite, le gouvernement, à réfléchir sérieusement sur la suite des choses à la Chambre, relativement à ce projet de loi. Si, ce soir, on a refusé le débat, article par article, c'est tout simplement parce que M. Alcock, secrétaire parlementaire du ministre Stéphane Dion, avait déposé une motion pour limiter la discussion à une heure par article, et une heure pour le préambule. C'est uniquement pour cela, monsieur le président, parce que comme mes collègues, et c'est le sens de la motion que j'ai présentée et sur laquelle j'ai commencé à parler à 17 h 30, je voulais que cette motion soit retirée et qu'on puisse en débattre librement, visière levée, et qu'on puisse avoir vraiment des débats d'idées.

Je voudrais vous rappeler que lors de la présentation devant ce comité, il y a quelques jours à peine, le Président du Conseil privé et ministre des Affaires intergouvernementales se demandait qui a peur de la clarté? Au nom des députés de l'opposition, et au nom des députés du Bloc québécois, je pose au ministre la question suivante: Qui a peur de la démocratie?

• 2210

Le ministre disait pourtant, à cette même occasion, qu'il n'a jamais eu peur. Pourtant, ses gestes, ses décisions, son discours et son attitude prouvent le contraire. Une fois encore, le gouvernement fédéral vient de faire peu de cas de l'opposition et de l'opinion du Québec dans la gestion des affaires canadiennes. Le gouvernement libéral vient d'imposer un bâillon pour imposer rapidement le projet de loi qu'il qualifie de projet de loi sur la clarté. Pourtant, rien ne le presse.

Encore une fois, il existe au Québec un large consensus contre ce projet. Encore une fois, il y a d'un côté le Canada et, de l'autre coté, le Québec. Ceux et celles pour qui le Canada est si cher, je veux vous dire qu'il n'y a pas de quoi s'en réjouir. Si vous trouvez que ça va bien au Canada à l'heure actuelle, trouvez-vous que ça va bien avec ce qu'on fait là? Vous trouvez que ça va bien? Tout le monde est heureux? Tout le monde est content? Vous êtes fier d'appartenir au plus beau pays du monde?

Depuis 1995, le Canada a terriblement peur, peur parce qu'il s'est bien aperçu que, malgré les assurances répétées de leur premier ministre, les Québécoises et les Québécois ont bien failli voter en faveur du projet souverainiste. Cette peur s'est transformée en véritable panique à l'occasion de l'organisation d'un love-in à Montréal, quelques jours avant le référendum. Peur, car le reste du Canada sait très bien ce que veut le Québec moderne, et même devant un verdict incontestable de volonté de changement de la part du Québec, il ne saurait y avoir de concession de la part du gouvernement fédéral. Cette peur appelle donc un champion qui, sous le couvert de la clarté et de tout ce qui semble à première vue raisonnable, viendra tenter de calmer cette peur, et ensuite miner et désavouer l'ultime outil légitime du Québec dans sa lutte de reconnaissance: la démocratie.

Triste époque, monsieur le président. Stéphane Dion est le porteur de cette peur, et le projet de loi sur la clarté référendaire, son incarnation. Le reste du Canada a peur de la question que le Québec se poserait à lui-même. Désavouons-la, nous dit le ministre. Le reste du Canada a peur de la règle de la majorité, changeons-la, nous dit le ministre. Le reste du Canada a peur de la légitimité de l'Assemblée nationale, nions-la, nous dit encore le ministre.

L'essence du projet de loi fédéral sur la clarté peut se résumer dans l'idée d'une peur fondamentale vis-à-vis de la démocratie, du vote populaire et de la liberté que peut et veut exercer chaque Québécoise et chaque Québécois au nom de ce qu'ils sont: un peuple. Cette peur fondamentale imprègne l'ensemble des actions du gouvernement fédéral dans le processus d'adoption de la loi sur la clarté. Tout en ayant dit, depuis son arrivée au gouvernement, que le débat public sur les règles référendaires était nécessaire, Stéphane Dion cherche à adopter sa loi à toute vitesse. Tout en ayant dit qu'il s'agissait du combat de sa vie, Jean Chrétien cherche maintenant à taire le débat. Tel un bulldozer, le gouvernement fédéral a d'abord bafoué une des règles élémentaires du Parlement en rendant son projet de loi public à l'insu des parlementaires. Tel un bulldozer, il a étouffé le débat en Chambre à la deuxième lecture en limitant les débats. Tel un bulldozer, il a organisé son comité parlementaire pour recevoir le moins de témoins possible et en finir au plus vite, alors qu'à l'Assemblée nationale, un avis public doit être émis, et que tout témoin le désirant est entendu. Le comité législatif n'émet aucun avis public et aura reçu seulement 39 témoins pour l'ensemble du Canada, et ce, seulement parce que ces témoins trouvent bien le temps de se présenter à l'intérieur des 10 jours que le gouvernement leur a alloués.

Mais de quoi ont peur Jean Chrétien et Stéphane Dion? De la démocratie, bien sûr. Ils ont peur du consensus des trois partis politiques représentés à l'Assemblée nationale qui demandent le retrait de leur projet de loi. Ils ont peur de la majorité des députés fédéraux du Québec qui demandent le retrait de leur projet de loi. Ils ont finalement peur des groupes de la société civile québécoise qui réclament pour toujours, le retrait de leur projet de loi.

• 2215

En terminant, monsieur le président, rappelons-nous les sages paroles de Franklin Delano Roosevelt, ancien président américain, grand défenseur de la démocratie lors de la Deuxième Guerre mondiale, auxquelles MM. Chrétien et Dion devraient méditer: «The only thing we have to fear is fear itself».

Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Des voix: Bravo!

[Français]

Le président: À l'ordre.

[Traduction]

Des voix: Bravo!

[Français]

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

[Traduction]

Comme il est 22 h 15, il m'incombe, conformément à l'ordre adopté plus tôt aujourd'hui à la Chambre, d'interrompre les délibérations sur le projet de loi à l'étude, si besoin est pour que l'ordre de la Chambre soit respecté, et de mettre aux voix successivement tout ce qui doit être mis aux voix pour que nous puissions terminer la présente étape de l'étude du projet de loi, sans aucun débat ni amendement.

Par conséquent, en conformité avec le paragraphe 75(1) du Règlement, l'examen du préambule est reporté.

[Français]

Est-ce qu'on vote par appel nominal sur chacun des votes?

Le greffier du comité: Sur chacun des votes, monsieur le président.

Le président: Très bien.

[Traduction]

(Les articles 1 à 3 inclusivement sont adoptés par 8 voix contre 6)

Le président: Le préambule est-il adopté?

(Le préambule est adopté par 8 voix contre 6)

• 2220

Le président: Le titre est-il adopté?

(Le titre est adopté par 8 voix contre 6)

Le président: Le projet de loi est-il adopté?

(Le projet de loi C-20 est adopté par 8 voix contre 6)

Le président: Puis-je faire rapport du projet de loi à la Chambre?

[Français]

sans amendement?

[Traduction]

(La motion est adoptée par 11 voix contre 3)

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Monsieur le président, au terme de ces travaux, je voudrais répéter les remerciements de M. Guimond, mais plus précisément remercier le personnel à la table, M. Frappier; le personnel à la console, à l'enregistrement des débats. Je voudrais remercier aussi les recherchistes, M. O'Neal, Mme Dunsmuir, nos greffiers, Mme Verville, M. Toupin pour votre travail très professionnel.

Je voudrais aussi remercier le président du comité, M. Milliken, qui a assuré l'équité dans ces débats. Nous vous en sommes très reconnaissants, monsieur Milliken. Vous me permettrez aussi, monsieur le président, de dire à nos collègues de la majorité libérale que nous allons garder un souvenir très amer de cette soirée qui mérite d'être appelée, à l'instar d'une autre nuit des longs couteaux, le soir des longs bâillons.

Merci, monsieur le président.

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Je ne soulignerai pas l'élément négatif. J'aimerais, effectivement, monsieur le président, vous remercier pour le travail, pas toujours facile, que vous avez fait. J'aimerais remercier les gens qui autour de vous ont travaillé si fort, ainsi que les membres des différents partis qui ont collaboré à cet exercice très difficile.

Je retiendrais une chose. J'ai eu la chance de discuter, cet après-midi, avec un député ministériel. Il est temps, comme le disait M. Gibson, qu'on baisse le volume un petit peu. Le pays, depuis 30 ans, est caractérisé par ses débats, ses divisions. On pourrait peut-être regarder ce qui nous unit plutôt que de regarder ce qui nous divise, pour une fois.

Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Monsieur Alcock.

M. Reg Alcock: Merci, monsieur le président.

Au nom des députés qui sont ici présents et de Stéphane Dion, je tiens à remercier le personnel qui a travaillé si fort pour que nous puissions en arriver à ce stade, je vous remercie vous-mêmes et le personnel qui vous a aidés—les interprètes, les greffiers et tous les autres qui nous ont permis d'accomplir notre travail—ainsi que les témoins qui sont venus nous faire part de leurs réflexions.

J'ajoute ma voix à celle de M. Bachand pour dire que la question est difficile. C'est une question qui divise le Canada depuis très longtemps. Imaginez le pays que nous pourrions bâtir si nous arrivions à régler cette question.

Merci.

• 2225

[Français]

Le président: En tant que président, j'aimerais remercier tous les députés qui ont exprimé leur appui pour le travail de mes collègues à cette table, et aussi à tous les députés de ce comité, qui ont travaillé très fort pendant les journées passées et les deux semaines, pour compléter cela ce soir, même avec toutes les difficultés. J'apprécie beaucoup la coopération de tout le monde.

[Traduction]

Merci d'être restés si tard si souvent pour nous aider à terminer notre travail. La tâche a été difficile, et je vous remercie.

La séance est levée.

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