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AGRI Rapport du Comité

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OPINION DISSIDENTE DES MEMBRES REPRÉSENTANT L'OPPOSITION

Introduction

Depuis le 21 octobre 1999, le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire de la Chambre des communes se penche sur les questions entourant la crise du revenu agricole à laquelle font face actuellement les agriculteurs. Le Comité a tenu des audiences sur l'efficacité des filets de sécurité et autres initiatives nationales à long terme visant à assurer la stabilité et l'environnement nécessaires à une croissance stable de l'industrie agricole.

Ces audiences se sont révélées nécessaires parce que la crise du revenu agricole en cours ne s'est pas résorbée et parce que le Programme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole (ACRA) s'est révélé un échec et n'a pas fourni l'indemnisation d'urgence dont avaient besoin les agriculteurs. Au moment où le présent rapport a été rédigé, moins de 25 p. 100 de la somme de 1,7 milliard de dollars promise par le gouvernement fédéral avait été versée aux producteurs.

La situation, en particulier dans l'Ouest canadien, est si grave que 40 p. 100 des producteurs ont indiqué qu'ils pourraient abandonner leur ferme au cours de la prochaine année. Il faut donc que le gouvernement prenne immédiatement des mesures afin d'éviter ce scénario.

Le gouvernement devrait commencer par adopter les recommandations incluses dans l'opinion dissidente de l'opposition officielle sur la crise du revenu agricole déposée à la Chambre des communes le 10 décembre 1998. Ces recommandations vont bien au-delà d'une aide d'urgence immédiate et pourraient, si elles sont mises en oeuvre, éliminer les causes fondamentales de l'actuelle crise du revenu agricole.

Les recommandations que nous formulons ici sont en grande partie fondées sur les consultations que nous avons tenues auprès des producteurs. Le rapport du Comité ne tient pas compte de l'opinion des agriculteurs. Le Comité s'est bien rendu dans l'Ouest canadien et y a tenu un total de neuf réunions, mais ces audiences ont été insuffisantes. Le Comité n'a pas entendu le point de vue de suffisamment d'agriculteurs, son voyage dans l'Ouest n'a pas été assez long et les audiences n'ont pas permis de débattre des besoins des agriculteurs des autres régions du pays. Un exemple manifeste des lacunes du rapport du Comité est l'absence de toute audience ou discussion sur la divergence d'opinion qui s'est développée entre les provinces qui souhaitent distribuer les fonds de protection du revenu en se fondant sur les risques et les provinces qui veulent distribuer ces fonds en se basant sur les recettes monétaires agricoles.

L'opposition officielle a formulé trois propositions afin de modifier les plans de voyage du Comité. Nous avons ainsi proposé que le voyage se poursuive jusqu'à la fin de janvier, que le Comité se rende dans les régions de l'Ontario où l'on pratique des cultures commerciales, et que les membres entendent directement les principaux producteurs durant leurs déplacements. Nous sommes troublés que la majorité des membres ait rejeté ces propositions.

Pour combler ces lacunes des audiences du Comité, l'opposition officielle a décidé de tenir des audiences indépendantes baptisées en français Discutons des Questions des Producteurs (DQP) et en anglais Action for Struggling Agriculture Producers (ASAP). Au total, nous avons l'intention de tenir 60 assemblées publiques et de présenter un rapport sur ces audiences au Comité permanent et à la Chambre des communes.

Les recommandations de l'opposition officielle s'appuient toutes sur des présentations faites au Comité permanent et permettraient d'améliorer sensiblement les revenus agricoles si elles étaient mises en oeuvre.

1. La somme de 1,7 milliard promise aux agriculteurs par le gouvernement fédéral doit leur être immédiatement versée.

Le 10 décembre 1998, le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire avait annoncé que les agriculteurs bénéficieraient d'un « programme négociable à la banque d'ici Noël ». Cette promesse n'a pas été tenue.

Les premiers ministres du Manitoba et de la Saskatchewan ont déclaré publiquement que leurs agriculteurs avaient à eux seuls besoin de 1,3 milliard de dollars. Au moment où a été rédigé le présent rapport, moins de 25 p. 100 de la somme de 1,7 milliard promise par le gouvernement fédéral avait été versée aux agriculteurs. Au Manitoba et en Saskatchewan, 62 p. 100 des agriculteurs qui ont présenté une demande d'indemnisation d'urgence ont reçu une réponse négative.

Le Programme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole (ACRA) n'a pas du tout permis de régler la crise du revenu agricole. Cette opinion a été résumée par le président du Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire qui a affirmé que ce programme a été un échec total.

L'échec de ce programme et le refus du gouvernement de corriger ses lacunes ont créé un sentiment d'aliénation chez les agriculteurs, comme l'a démontré Mme Susan Van de Velde lorsqu'elle a déclaré ce qui suit à Portage la Prairie, au Manitoba : « ... le gouvernement actuel est totalement inconscient de la situation réelle dans laquelle se trouvent les agriculteurs au Canada... ».

L'opposition officielle continue à exiger que le gouvernement verse immédiatement l'aide d'urgence qu'il avait promise il y a plus d'un an.

2. Les programmes de protection du revenu agricole doivent être repensés afin de garantir aux agriculteurs une protection stable et permanente et d'éliminer le recours à des programmes ponctuels à l'avenir.

L'opposition officielle recommande que le gouvernement n'hésite pas à utiliser les programmes de protection du revenu fédéraux afin de venir en aide aux producteurs canadiens de denrées alimentaires qui sont aux prises avec des difficultés indépendantes de leur volonté comme les subventions des pays étrangers, les distorsions du commerce, les cycles du marché et les dangers naturels.

a) Programme de soutien du revenu en cas de calamité

Les programmes de protection du revenu doivent comprendre un programme efficace de soutien du revenu en cas de calamité qui permet de protéger les producteurs contre les dérèglements du marché attribuables aux subventions versées par des pays étrangers.

Lors des audiences tenues par le Comité à Airdrie, en Alberta, l'Alberta Soft White Wheat Producers Commission a mis de l'avant une proposition qui intégrerait un compte de protection du revenu en cas de calamité au Programme du compte de stabilisation du revenu net (CSRN). Cette proposition est avantageuse et devrait être étudiée de manière plus approfondie par le Comité consultatif national sur la protection du revenu, le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire et le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire.

b) Programmes d'assurance-récolte

Les programmes d'assurance-récolte doivent exiger des primes abordables, assurer la protection des superficies non ensemencées et prévoir une protection suffisante pour les pertes de récoltes.

De nombreux producteurs partageaient l'avis de M. Ray Toews qui a déclaré ce qui suit durant les audiences tenues à Portage la Prairie : « les programmes d'assurance-récolte ne vous permettent pas d'accroître votre protection lorsque vos risques augmentent ».

L'amélioration des programmes d'assurance-récolte, notamment l'inclusion d'une protection suffisante en cas de désastres naturels, permettrait d'éviter à l'avenir de graves pertes de revenu comme celles qu'ont occasionnées les inondations survenues dans le sud-ouest du Manitoba et dans le sud-est de la Saskatchewan au printemps de 1999.

c) Programmes d'assurance-revenu

Les agriculteurs ne peuvent pas avoir facilement accès au Compte de stabilisation du revenu net (CSRN) lorsqu'ils en ont besoin. C'est ce qu'a expliqué M. Stewart Sander, de Dauphin, au Manitoba : « ... il nous est difficile de retirer notre argent [du CSRN]. C'est ce que j'essaie de faire, mais en vain, depuis de nombreuses années... ». Le CSRN doit donc être modifié afin de corriger cette lacune.

De plus, ce programme n'existe pas depuis assez longtemps pour que les agriculteurs aient pu y accumuler une somme suffisante. M. Duane Zimmer, de Dauphin, au Manitoba, a souligné que « le CSRN est un bon programme qui en est encore au stade de l'enfance. Il faudra qu'il y ait de nombreuses autres bonnes années avant qu'il permette de stabiliser l'industrie agricole ».

Certains agriculteurs se sont plaints que le CSRN soit discriminatoire à l'endroit des céréaliculteurs des Prairies parce que les frais de transports et d'élévation ne sont pas considérés comme des dépenses admissibles. L'opposition officielle recommande que le CSRN soit modifié afin de permettre aux agriculteurs d'inclure ces frais dans les dépenses admissibles.

Ici encore, la proposition soumise au Comité par l'Alberta Soft White Wheat Producers Commission pourrait régler certains des problèmes liés au CSRN.

3. L'opposition officielle recommande au gouvernement fédéral d'accorder sans délai des réductions fiscales générales, de réduire les frais que le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire impose aux utilisateurs et de diminuer les taxes fédérales sur la fabrication, le transport et la vente des intrants agricoles tels que les engrais et le carburant.

Cette recommandation était incluse dans l'opinion dissidente de l'opposition officielle sur la crise du revenu agricole déposée en décembre 1998. C'est toutefois l'une des recommandations que le gouvernement a choisi de rejeter.

Pratiquement tous les agriculteurs qui ont comparu devant le Comité permanent ont déclaré que le coût élevé des intrants était en train de tuer leurs fermes. Or, le gouvernement fédéral contribue de manière importante à l'accroissement de ces coûts.

L'Institut canadien des engrais estime que les agriculteurs versent environ 300 millions de dollars en taxes cachées lorsqu'ils se procurent des engrais. Le gouvernement fédéral prélève également des taxes sur d'autres intrants agricoles comme le carburant, les pesticides et les services de transport. Ce fardeau fiscal doit être réduit.

Ces taxes sur les intrants agricoles viennent s'ajouter aux 2,75 milliards de dollars que les agriculteurs ont payés en impôts sur le revenu entre 1993 et 1997. Comme tous les Canadiens, les agriculteurs bénéficieraient également d'une réduction générale et immédiate des taxes et impôts.

L'impact de la fiscalité a été démontré de manière éloquente par M. Boris Michaleski, de Dauphin, au Manitoba, qui a expliqué que la ponction fiscale sur une bouteille de bière représente 190 fois le prix de vente original de l'orge.

Comme l'ont signalé de nombreux témoins, cet allégement du fardeau fiscal ne repose pas uniquement sur les épaules du gouvernement fédéral. L'opposition officielle encourage les gouvernements provinciaux à envisager des réductions de la charge fiscale des agriculteurs, en particulier dans le domaine de l'impôt foncier.

Le ministre fédéral de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire continue également à imposer des frais d'environ 137 millions de dollars aux utilisateurs. Dans son rapport de novembre 1999, le vérificateur général du Canada critiquait d'ailleurs le ministre parce que ces frais n'étaient pas établis en fonction du coût des services fournis. En d'autres mots, ces frais ne constituent qu'une autre taxe pour les agriculteurs.

L'opposition officielle continue à exiger du ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire qu'il réduise ces frais immédiatement. Le ministre doit suivre le principe établi pour le recouvrement des coûts et ne pas se servir de ces frais pour générer des recettes. Il lui faut également recenser tous les utilisateurs et bénéficiaires d'un service.

4. L'opposition officielle recommande au gouvernement d'accorder sans délai aux agriculteurs de l'Ouest canadien le droit d'exploiter leurs propres débouchés commerciaux, indépendamment de la Commission canadienne du blé. Les agriculteurs pourraient entre autres vendre leurs céréales directement à la nouvelle génération de coopératives qui leur appartiennent.

De plus en plus d'agriculteurs de l'Ouest canadien exigent qu'on apporte des changements aux pouvoirs monopolistiques de la Commission canadienne du blé. Ainsi, un sondage mené récemment auprès d'agriculteurs de cette région indique que seulement 33 p. 100 des producteurs appuient la Commission dans sa forme actuelle.

Ces changements sont exigés de manière de plus en plus vigoureuse parce que la Commission refuse toujours d'exempter la nouvelle génération de coopératives de ses politiques de fixation des prix monopolistiques, ce qui aurait encouragé le développement des activités de transformation menées par les agriculteurs.

Une proposition mise de l'avant par les Prairie Pasta Producers aurait majoré le prix des céréales de 3 $ le boisseau, ce qui aurait permis de verser 15 millions de dollars de plus par an dans les poches des producteurs de blé dur. En raison de l'opposition de la Commission, il est peu probable que cette proposition soit mise en oeuvre. Il est inacceptable que la Commission utilise ses pouvoirs législatifs pour bloquer des initiatives prises par des agriculteurs afin de stabiliser leurs revenus.

Cette position est défendue par de nombreux intervenants, notamment M. Sinclair Harrison, président de la Saskatchewan Association of Rural Municipalities, qui a déclaré ce qui suit lorsqu'il a comparu devant le Comité permanent : « Ils [la Commission] vont devoir apprendre à vivre avec les produits à valeur ajoutée ».

5. L'opposition officielle recommande que le gouvernement fédéral réduise immédiatement les coûts des agriculteurs en permettant, par des modifications législatives, l'établissement d'un système de manutention et de transport des céréales qui soit concurrentiel et responsable sur le plan commercial.

L'actuel système de manutention et de transport des céréales est rigide et géré de manière irresponsable; il ne permet pas de répondre de manière efficace aux besoins des agriculteurs, des compagnies de céréales ou des chemins de fer.

Ainsi, M. Curtis Simms a déclaré au Comité, à Portage la Prairie, au Manitoba, que le système actuel avait « éliminé la créativité, l'ingéniosité, la performance et la responsabilité ».

La Prairie Farm Commodity Coalition estime quant à elle qu'une réforme de ce système de manutention et de transport des céréales pourrait faire épargner plus de 300 millions de dollars annuellement aux agriculteurs. En d'autres termes, cette réforme entraînerait une réduction des coûts de plus de 15 000 $ par an pour la ferme moyenne.

6. L'opposition officielle demande au gouvernement fédéral d'entreprendre immédiatement, de concert avec les États-Unis et les pays du Groupe de Cairns, des négociations bilatérales avec la France, le Japon et la Corée dans le but de régler le problème des subventions intérieures et des subventions à l'exportation.

Les agriculteurs canadiens, qui dépendent des exportations, sont acculés à la faillite parce que des subventions versées par des pays étrangers font baisser les prix mondiaux des denrées. Ainsi, les producteurs de blé européens tirent 56 p. 100 de leurs revenus des subventions gouvernementales, les producteurs de blé américains 38 p. 100 tandis que ce pourcentage ne s'élève qu'à 9 p. 100 dans le cas des producteurs de blé canadiens. Les éleveurs de bovins de boucherie canadiens, dont seulement 6 p. 100 des revenus proviennent de subventions gouvernementales, sont ainsi forcés de concurrencer des éleveurs européens qui reçoivent des subventions représentant 62 p. 100 de leurs revenus.

Les subventions versées par des pays étrangers handicapent également les industries à valeur ajoutée qui constituent une source importante de revenus pour les familles agricoles. Ainsi, l'Association canadienne des déshydrateurs est venue expliquer au Comité permanent comment elle avait perdu ses marchés d'exportation en raison des subventions versées par l'Union européenne. Le Canada doit donc mener des négociations vigoureuses afin de convaincre nos partenaires commerciaux de cesser de fausser les règles du marché.

Le Canada doit négocier une réduction des subventions versées par des pays étrangers afin de réduire ce déséquilibre. Bien que des négociations énergiques soient nécessaires au sein de l'OMC, il est clair, étant donné l'échec récent des pourparlers préliminaires tenus à Seattle, que le Canada doit entreprendre aussi des négociations commerciales bilatérales.

Le pouvoir d'achat collectif des pays libre-échangistes devrait être utilisé pour inciter les pays protectionnistes à revenir à la table de négociation. Ainsi, de janvier 1999 au début de septembre, la valeur des importations canadiennes en provenance de la France a dépassé de 2,5 milliards de dollars la valeur de nos exportations dans ce pays. Cet excédent commercial constitue un levier dont on devrait se servir lors de ces négociations, conjointement avec le pouvoir d'achat de nos partenaires.

L'opposition officielle demande depuis des mois au premier ministre de diriger personnellement des missions commerciales destinées à réduire les subventions dans le domaine agricole. Il a toujours refusé. Avec l'échec des pourparlers de Seattle, il est encore plus important qu'il prenne en main personnellement ce dossier des négociations bilatérales.

7. L'opposition officielle recommande que le gouvernement fédéral, de concert avec les gouvernements provinciaux, s'assure que des programmes de counseling et de soutien suffisants sont offerts aux familles agricoles qui souffrent de la crise actuelle.

Les médias ont fait état du stress énorme auquel sont soumises les familles d'agriculteurs. L'évêque Malcolm Harding, du diocèse anglican de Brandon, a ainsi déclaré : « Je sais qu'il y eu des suicides et j'ai entendu parler de menaces de suicide; ce problème est très réel... ».

L'opposition officielle est d'accord avec l'évêque lorsqu'il affirme : « Je crois fermement que nous devons nous impliquer dans cette crise, particulièrement sur le plan humain et social, parce qu'il s'agit non seulement d'une crise économique, mais également d'un grave problème social ».

8. Le gouvernement doit clairement définir, en particulier pour les producteurs agricoles, l'orientation future de la politique agricole canadienne. Pour ce faire, il doit, de concert avec les provinces et le Comité sur la protection du revenu, établir une définition d'« agriculteur » afin de s'assurer que les bénéficiaires de la politique agricole et des fonds gouvernementaux sont ciblés de manière précise.