FAIT Rapport du Comité
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- Chapitre 1 : Le défi que pose l'arme nucléaire
- Chapitre 2 : Les États dotés d'une capacité nucléaire militaire
- Chapitre 3 : Prévenir la prolifération des armes nucléaires et des autres « armes de destruction de masse »
- Chapitre 4 : L'OTAN et l'arme nucléaire
- Chapitre 5 : Conclusion : Vers une prohibition des armes nucléaires
Chapitre 1 :
Le défi que pose l'arme nucléaire
J'ai demandé à ce Comité d'examiner la question des armes nucléaires. L'émergence de cette nouvelle et grave menace de prolifération crée un nouveau contexte pour l'accomplissement de votre travail. Nous devons trouver des moyens de promouvoir la politique dont je viens de tracer les grandes lignes pour faire en sorte qu'elle soit viable, juste et durable. Nous devons faire opposition aux proliférateurs et condamner leurs gestes tout en évitant de justifier une nouvelle realpolitik nucléaire. Il nous faut aussi en même temps exercer des pressions sur les États dotés des armes nucléaires afin qu'ils poursuivent un réel programme de désarmement, et éviter de valider le raisonnement des proliférateurs éventuels. Ce n'est pas là un défi facile à relever. C'est donc avec plaisir que je recevrai le compte rendu de vos délibérations.
L'honorable Lloyd Axworthy
ministre des Affaires étrangères1
Les débats sur l'arme nucléaire ont été un élément marquant de la guerre froide, et le Canada a été confronté au problème comme tout autre allié de l'OTAN. Le Canada a participé à la création de la première bombe atomique et a accepté l'arme nucléaire pour ses forces militaires pendant la période de la guerre froide. Il s'est également démarqué sur ces questions en étant le premier pays en mesure de développer des armes nucléaires à refuser de le faire et à décider ensuite de s'en départir et, en jouant un rôle de premier plan au moment de la prorogation, en 1995, du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, ci-après dénommé Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) (voir annexe B).
À l'automne 1996, le ministre des Affaires étrangères a demandé au Comité d'entreprendre un examen de la politique actuelle du Canada sur la non-prolifération nucléaire, le contrôle des armements et le désarmement. Les élections générales de 1997 ont retardé les travaux du Comité. Mais entre février et juin 1998, il a entendu des dizaines de Canadiens et de groupes représentant des milliers de personnes, ainsi que des experts et des politiciens des États-Unis, d'Europe et d'Asie du Sud. Sans être exhaustif, ce travail a permis au Comité de mieux comprendre les questions associées à cet important secteur des politiques étrangères et de défense et d'être en mesure de transmettre au gouvernement les opinions des Canadiens en général, ainsi que les points de vue exprimés par des législateurs.
L'élimination des armes nucléaires, le but ultime déclaré de l'ensemble de la communauté internationale, exigera du temps et des efforts. Néanmoins, il importe plus que jamais de poursuivre cet objectif. Comme l'a exprimé en septembre 1998 l'amiral Stansfield Turner, un haut gradé américain à la retraite et ancien dirigeant de la Central Intelligence Agency :
Ces dernières années, de plus en plus de voix se sont élevées pour réclamer le désarmement. À une certaine époque, il était surtout prôné par des gens ne possédant qu'une expérience militaire limitée, ce qui ouvrait la porte à l'argument superficiel selon lequel cette option était naïve ou irréaliste. Aujourd'hui, de plus en plus d'experts de la stratégie nucléaire - entre autres, Robert McNamara, ex-secrétaire américain à la Défense; les généraux Andrew Goodpastor, Charles Horner et Lee Butler, tous d'anciens commandants ayant eu des responsabilités nucléaires - prêchent en faveur du désarmement. Leur point de vue est que nous ne devrions pas sous-estimer le chemin déjà parcouru en ce qui touche les régimes de surveillance serrée nécessaires aux fins du désarmement nucléaire, ni à quelle vitesse nous pourrions continuer de progresser2.
Tous les membres s'entendent sur la nécessité de conjuguer des initiatives à court et à long terme afin d'atteindre les objectifs de la sécurité et du désarmement. Toutefois, à l'image de la société elle-même, ils ont différents points de vue quant aux mesures tangibles à prendre pour obtenir des résultats durables. Pour la rédaction du présent rapport, tous ont fait des compromis afin d'élargir le terrain d'entente; même si, comme l'ont exprimé leurs partis, ils auraient préféré que l'accent soit mis sur d'autres points, comme on peut le lire ci-après.
Bloc Québécois
Ainsi, les membres du Bloc Québécois auraient voulu insister davantage sur les coûts excessifs de l'armement nucléaire et souligner que les sommes investies pour développer et maintenir des arsenaux nucléaires nuisent au développement économique, social et culturel de la communauté internationale. Ils auraient également préféré qu'un moratoire sur la vente de la technologie CANDU soit décrété pendant la durée de l'étude que le Parlement est invité à entreprendre sur l'utilisation de la technologie nucléaire civile en application de larecommandation 4 du présent rapport. Ils auraient de même souhaité que le rapport contienne une référence au non-recours en premier à l'arme nucléaire comme matière pour fins de discussion dans le cadre du réexamen du concept stratégique de l'OTAN.
Nouveau Parti démocratique
Le Nouveau Parti démocratique aurait préféré des recommandations plus radicales et qui seraient allées plus loin dans certains cas. Par exemple, le NPD a longtemps préconisé qu'il fallait éliminer progressivement l'industrie nucléaire et fermer le polygone d'essai des missiles de Nanoose Bay en Colombie-Britannique, et, reconnaissant que les armes nucléaires demeurent la plus grande menace pour la sécurité du Canada et du monde entier, il exhorte l'OTAN à adopter une politique de « non-emploi en premier ».
Parti progressiste-conservateur du Canada
Les députés du Parti progressiste-conservateur du Canada sont d'avis que l'élimination complète des armes nucléaires est un objectif idéal que le Canada devrait s'efforcer d'atteindre. Toutefois, pour demeurer crédible dans sa démarche à l'égard du désarmement nucléaire, le Canada doit tenir compte de la réalité mondiale actuelle.
Bien qu'ils appuient les objectifs généraux du rapport, les députés du Parti progressiste-conservateur du Canada ne sont pas convaincus que le concept de « puissance souple » renforce la sécurité mondiale et accélère le désarmement, et qu'il fournisse toutes les réponses au Canada.
Les députés du Parti progressiste-conservateur estiment également que le Canada doit continuer volontiers de faire partie de l'Alliance de l'Atlantique Nord et réitérer son appui à l'OTAN, principal organisme de sécurité au monde, et qu'il doit agir en conséquence dans ses relations avec les autres pays membres. Il faut donc que le Canada envisage avec grande prudence toute modification de la stratégie nucléaire de l'OTAN, en particulier le concept de levée de l'état d'alerte des forces nucléaires en raison de l'absence de programmes viables de vérification en ce moment.
Parti libéral
Les membres du Parti libéral appuient l'idée générale du rapport et souscrivent à toutes ses recommandations. En ce qui concerne en particulier la recommandation 15 sur l'OTAN et la politique nucléaire, ils reconnaissent que la question mérite d'être soulevée en tant qu'élément de l'examen du Concept stratégique. Ce faisant, ils ne veulent pas, cependant, préjuger de la décision que les États membres de l'OTAN doivent prendre collectivement sur des questions comme l'utilisation en premier des armes nucléaires.
Par conséquent, le rapport vise un équilibre délicat. À l'instar du Henry L. Stimson Center de Washington, qui cherche à recenser des « étapes pragmatiques vers des objectifs idéaux », le Comité a voulu offrir des recommandations pratiques et ciblées pour faire avancer le dossier de la sécurité nucléaire et du désarmement progressif, tant à court qu'à long terme.
Au cours de cet examen, le Comité a eu le privilège d'entendre les déclarations passionnées d'hommes politiques et de chefs militaires à la retraite et a pu également puiser dans un grand nombre de travaux récents, notamment le rapport de 1997 intitulé The Future of U.S. Nuclear Weapons Policy, rédigé par le Committee on International Security and Arms Control (CISAC) de la National Academy of Sciences des États-Unis, le rapport de 1996 de la Commission de Canberra sur l'élimination des armes nucléaires et l'avis consultatif de 1996 de la Cour internationale de Justice sur la licéité [légalité] de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires. Plutôt que d'essayer de refaire ce travail, qui a éclairé le débat nucléaire ces dernières années, le Comité espère obtenir le soutien politique nécessaire pour renforcer bon nombre des conclusions auxquelles il a abouti. Comme le rapport le montrera clairement, en dehors de questions techniques importantes, le défi de l'arme nucléaire reste fondamentalement un problème politique. Pourtant, les législateurs de la période de l'après-guerre froide n'ont pas suffisamment contribué au débat. Le Comité espère que ce rapport permettra en partie de combler cette lacune et que sa contribution sera utile au gouvernement du Canada, et aussi, peut-être, par rapport à une perspective plus large. Comme Tariq Rauf, expert canadien en désarmement, l'a souligné dans sa présentation au Comité, les efforts importants déployés par le Canada dans ce domaine
. . . pourraient bénéficier considérablement d'un appui visible de haut niveau de la part de nos chefs politiques et du Parlement du Canada, parlant tous d'une même voix. . . à propos de la non-prolifération des armes nucléaires, du contrôle des armements et du désarmement, les leaders politiques du Canada doivent assumer la responsabilité de travailler à l'élaboration d'un consensus multipartite. Pour paraphraser un aphorisme bien connu, les questions de non-prolifération des armes nucléaires, de contrôle des armements et de désarmement sont trop importantes pour qu'on les livre aux caprices de la politique des partis3.
Au-delà de la recherche d'un soutien politique et d'un consensus public, M. Rauf a avancé que l'élaboration des orientations de politique et le processus décisionnel au sein du gouvernement doivent être améliorés afin d'établir une position canadienne solide et cohérente. Ses propositions précises citées ci-dessous valent la peine d'être notées dès le départ car elles s'appliquent à tous les aspects de la politique nucléaire actuelle et à venir. Il a poursuivi en ces termes devant le Comité :
Dans de nombreux pays membres de l'OTAN, et j'affirmerais même au Canada, les diplomates et les planificateurs de la défense ont tendance à oeuvrer au sein de deux solitudes. . .
À mon avis, ce qu'il faut pour le Canada, c'est qu'à la fois le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense nationale fassent valoir nos points de vue sur les armes nucléaires d'une façon coordonnée et énergique, traduisant aussi bien nos propres engagements internationaux que ceux de nos alliés de l'OTAN. Dans la pratique, cela pourrait impliquer des choix difficiles entre nos engagements de non-prolifération, de contrôle des armes et du désarmement, légalement exécutoires sur le plan international, et nos obligations vis-à-vis de l'Alliance.
Dans ce contexte, le Comité devrait envisager de recommander qu'un processus interministériel de consultation et de coordination soit mis sur pied entre le MAECI et le MDN en vue de coordonner et d'harmoniser nos politiques sur la non-prolifération multilatérale et le contrôle des armes avec nos positions au sein de l'OTAN, sous la gouverne et la direction du MAECI. Il serait utile qu'un représentant du MDN puisse se joindre aux délégations canadiennes présentes aux tribunes multilatérales de non-prolifération, [aux frais du MDN] dans le but de faire rapport sur les évaluations des positions de la communauté internationale qui pourraient ensuite être prises en compte dans nos interventions au sein de l'OTAN4.
Le Comité commence par reconnaître l'avantage d'obtenir un consensus politique pour soutenir les efforts du Canada en matière de non-prolifération, de contrôle des armes et de désarmement sur la scène internationale, conscient de la nécessité de répondre aux appréhensions et aux inquiétudes profondes du public suscitées par l'ère nucléaire. Dans les pages suivantes, le Comité formulera donc des recommandations visant à assurer une contribution permanente du public et des parlementaires à la politique du gouvernement ainsi que la meilleure coordination possible des initiatives que prennent les ministères fédéraux pour exécuter cette politique. Le Canada a déjà beaucoup fait dans ce domaine, mais la conjoncture internationale difficile du moment exige une nouvelle réflexion et un leadership courageux pour faire face aux dilemmes nucléaires qui menacent les objectifs de sécurité du Canada au cours du prochain siècle.
L'ARME NUCLÉAIRE ET LA SÉCURITÉ INTERNATIONALE
J'ai du mal à croire que nous allons entrer dans le XXIe siècle en voyant le sous-continent indien répéter les pires erreurs du XXe siècle, lorsque nous savons que cela n'est pas nécessaire pour assurer la paix, la sécurité, la prospérité, la grandeur ou les réalisations d'un pays.
Bill Clinton, président des États-Unis, mai 19985
La paix et la sécurité internationales sont des priorités pour tous les États, et le désarmement a toujours été un moyen important de les mettre en oeuvre plutôt qu'une fin en soi. Comme Mark Moher, ambassadeur du Canada au désarmement auprès des Nations Unies, l'a expliqué en 1997 :
L'objectif ultime du Canada. . . est l'abolition de la guerre. Aux yeux du Canada, sa réalisation exige deux types de mesures. D'abord, il importe d'utiliser tous les moyens possibles pour améliorer la sécurité - par la prévention et la résolution des conflits et par le maintien de la paix. . . Deuxièmement, il faut promouvoir aussi efficacement que possible les mesures visant à faire progresser le contrôle des armements, le désarmement et la non-prolifération. C'est dans ces deux perspectives, qui se renforcent mutuellement, que le Canada examine la question de l'avenir des armes nucléaires6.
La communauté internationale s'est rendu compte du danger des armes nucléaires dès janvier 1946, puisque la première résolution des États membres des Nations Unies, adoptée à l'unanimité, a été la proposition des cinq membres permanents du Conseil de sécurité et du Canada visant « l'établissement d'une commission chargée de traiter des problèmes soulevés par la découverte de l'énergie atomique ». Cette proposition n'a pas été retenue compte tenu de l'émergence de la guerre froide qui a encouragé l'accumulation, par les superpuissances, d'arsenaux nucléaires massifs, représentant jusqu'à 70 000 armes; il est impossible de quantifier, à l'échelle mondiale, les coûts des armes nucléaires sur les plans humanitaire, environnemental et économique; cependant, dans une étude importante publiée par la Brookings Institution vers le milieu de 1998, on estimait que, de 1940 à 1996, les États-Unis avaient consacré (en dollars américains constants de 1996) presque 5,5 billions de dollars aux programmes d'armes nucléaires et autres programmes d'armement7. À la fin des années 1960, le danger que posaient les arsenaux existants et la crainte de voir la prolifération des armes nucléaires s'étendre à peut-être 25 ou 30 États avant la fin des années 1970, exigeaient des mesures urgentes. C'est dans le contexte des négociations complexes du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), auquel on reviendra au chapitre 3, que la communauté internationale a convenu de limiter l'utilisation des armes nucléaires aux cinq États dotés de l'arme nucléaire - les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine - qui avaient déjà procédé à des essais avant 1967. Le Traité obligeait également ces cinq pays à oeuvrer pour mettre fin à la course aux armements nucléaires, l'objectif ultime étant leur élimination. L'Inde et d'autres États se sont plaints depuis que le TNP, en légitimant le fait de limiter la possession des armes nucléaires aux cinq États membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, est discriminatoire envers les autres pays. Ce point de vue a cependant été contesté par l'ambassadeur Thomas Graham qui, en tant que représentant spécial du président pour le contrôle des armes, la non-prolifération et le désarmement, a dirigé les efforts américains en vue de proroger le TNP en 1995 et qui a comparu devant le Comité lors de ses audiences à Washington. Il a fait remarquer en mai 1998 que « le fait qu'il existait cinq États dotés des armes nucléaires avant que l'on prenne des mesures est une question de circonstances historiques et non un privilège particulier8. »
L'après-guerre froide
Malgré cet engagement à l'égard de l'élimination à long terme des armes nucléaires, le climat de la guerre froide n'offrait guère de raison de croire qu'il s'agissait d'un objectif réalisable. Mais la fin de la guerre froide a amené ce que l'organisme Project Ploughshares et d'autres ont caractérisé comme une ouverture vers la réalisation progressive de cet objectif. Après des décennies de frustration, l'amélioration du contexte de la sécurité, l'intérêt du public et la volonté politique qui en a résulté ont permis de faire des progrès rapides et importants sur un certain nombre de fronts. Les accords passés entre les superpuissances pendant la période de la guerre froide ont permis de limiter la croissance des arsenaux nucléaires, mais c'est l'accord de 1987 sur la Force nucléaire à portée intermédiaire (FNI), qui interdisait tous ces types d'armes, qui a réellement amorcé le début de leur réduction. Les arsenaux (stratégiques) à longue portée des États-Unis et de l'Union soviétique ont dominé les discussions sur la sécurité pendant toute la guerre froide. Grâce au processus de réduction des armes stratégiques (START), ces arsenaux devaient être réduits de 10 000 ogives déployées pour chaque pays à 6 000, en vertu de START I, puis entre 3 000 et 3 500 chacun, en vertu de START II et même entre 2 000 et 2 500 chacun, en vertu de START III, dont la négociation est à venir. Les préoccupations suscitées par les armes nucléaires de courte portée moins bien protégées (sous-stratégiques ou tactiques) déployées dans les diverses républiques de l'Union soviétique en désintégration ont poussé les États-Unis et l'Union soviétique à prendre rapidement des mesures unilatérales réciproques pour rapatrier la plupart de ces armes sur leurs territoires nationaux; toutes les armes nucléaires tactiques soviétiques ont été renvoyées en Russie et la plupart des armes américaines aux États-Unis. Au cours de la dernière décennie, grâce à ces réductions cumulatives, les arsenaux nucléaires mondiaux ont diminué presque de moitié, de 70 000, leur nombre maximum, à quelque 36 000 aujourd'hui9. Il s'agit d'une réalisation exceptionnelle; mais comme le Committee on International Security and Arms Control de la National Academy of Sciences des États-Unis le faisait remarquer en 1997, la capacité destructrice des armes nucléaires modernes est telle que la détonation en Russie d'à peine 20 ogives de missiles balistiques à lanceur sous-marin américains pourrait encore détruire complètement les 12 plus grandes villes de Russie et tuer 25 millions de personnes10.
En plus de ces importantes réductions nucléaires bilatérales de la part des États-Unis et de la Russie, la fin de la guerre froide a également été marquée par des progrès sur le front multilatéral. Après des années d'attente et parfois de débats houleux, le Traité de non-prolifération nucléaire de 1995, la pierre angulaire des efforts internationaux visant à prévenir la prolifération des armes nucléaires et à engager les cinq États dotés de l'arme nucléaire à éliminer ces armes, a été renforcé et prorogé sans condition. Un des éléments importants de cette prorogation a été l'engagement politique accru de la part des États dotés de l'arme nucléaire et d'autres à conclure un Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (CTBT) proscrivant tous les essais de ce type. Ce Traité a finalement été négocié en 1996, bien que le refus de l'Inde de le signer ait compliqué son entrée en vigueur.
Une campagne de 10 ans visant à contester la légalité des armes nucléaires a également porté fruit en 1996 avec la publication par la Cour internationale de Justice (CIJ) d'un avis consultatif complexe. Dans une décision partagée, remportée par le vote du président, la Cour a déclaré que la menace ou l'emploi d'armes nucléaires « serait généralement contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés, et spécialement aux principes et règles du droit humanitaire. » Toutefois, au vu de l'état actuel du droit international ainsi que des éléments de fait dont elle dispose, la Cour a dit qu'elle ne peut cependant conclure de façon définitive que « la menace ou l'emploi d'armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle sa survie même d'un État serait en cause. Le Canada n'a pas appuyé le renvoi de ces questions à la Cour, avançant que des sujets aussi fondamentaux que la sécurité nationale et internationale et le désarmement nucléaire sont essentiellement de nature politique et doivent être abordés et négociés par les gouvernements. Mais le Canada et d'autres pays se sont réjouis de la confirmation unanime par la Cour des obligations des cinq États dotés de l'arme nucléaire, soit « de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace » (Le soulignement, par l'italique, est un ajout du Comité).
Les réactions à l'avis consultatif exprimées devant le Comité ont été diverses : même si de nombreux témoins ont dit que ses conséquences, en ce qui concerne les politiques nucléaires, étaient importantes, le professeur Paul Buteux, de l'Université du Manitoba, a rejeté l'idée que le problème des armes nucléaires pouvait être traité comme une question de droit intérieur; selon lui, il existe une « fausse idée très répandue voulant que le droit international soit de même nature que le droit municipal ou le droit national11. » Par ailleurs, le professeur Yves Le Bouthillier, de l'Université d'Ottawa, a soutenu « qu'il existe un vaste consensus que cet avis constitue un apport important dans la lutte pour le désarmement. » Ce consensus repose sur deux constats tirés de l'avis : (1) le fait que le recours à l'arme nucléaire ne se justifie que dans une situation extrême (et peut-être même pas dans un tel cas), et (2) l'obligation pour tous les États de négocier et de conclure un accord pour un désarmement nucléaire complet12.
Profitant de la fin de la guerre froide et de l'élan créé par ces autres événements, le milieu des années 1990 a vu également la création d'un certain nombre de commissions réunissant les plus grands experts en ce domaine. La Commission de Canberra sur l'élimination des armes nucléaires, par exemple, sous l'égide du gouvernement australien, a présenté des arguments très convaincants pour montrer qu'il fallait saisir cette occasion singulière de s'orienter vers une nouvelle réduction et finalement, l'élimination des armes nucléaires. Selon son rapport final :
La Commission de Canberra est persuadée qu'il faut déployer des efforts immédiats et résolus pour débarrasser le monde des armes nucléaires et de la menace qu'elles représentent. Le pouvoir destructeur des armes nucléaires est immense. Tout emploi serait catastrophique [. . .]
La fin de la guerre froide a créé un nouveau climat propice à une action internationale visant à éliminer les armes nucléaires, une nouvelle possibilité. Elle doit être exploitée rapidement ou elle sera perdue13.
Malgré ces réussites et une fois les premières réductions effectuées et l'opinion publique ainsi que l'intérêt politique détournés de ces questions, le mouvement en faveur du contrôle des armes nucléaires et du désarmement s'est considérablement ralenti. L'exemple le plus remarquable est le refus par la Douma russe (pour toutes sortes de raisons) de ratifier le traité START II, ce qui a empêché son entrée en vigueur et retardé les négociations de START III. Les États non alignés n'ont pas réussi à faire adopter un échéancier pour l'élimination des armes nucléaires et la Conférence sur le désarmement (établie à Genève), a piétiné, les États dotés de l'arme nucléaire refusant même la suggestion du Canada et d'autres d'établir un comité ad hoc chargé d'étudier en profondeur les questions liées au désarmement nucléaire. Malgré l'adoption en 1995, à la Conférence d'examen et de prorogation du TNP, d'un ensemble de décisions, y compris un processus d'examen renforcé, un énoncé de principes et d'objectifs pour la non-prolifération nucléaire et le désarmement et une résolution connexe sur le Moyen-Orient, les progrès ont été très modestes lors des réunions du Comité préparatoire de 1997 et de 1998 en vue de la prochaine étude du Traité en l'an 2000.
FAIRE MONTER LES ENCHÈRES
En 1946, le politologue américain Bernard Brodie écrivait que « tout ce qui concerne la bombe atomique est obscurci par le double fait qu'elle existe et que son pouvoir destructeur est absolument énorme14. » Cinq décennies plus tard, Fred Iklé, ancien sous-secrétaire de la Défense de l'administration Reagan, faisait remarquer que les « trois faits incontestables » qui dominent à l'heure actuelle tout ce qui a été dit et fait à propos du problème de l'armement nucléaire sont les suivants : l'existence d'arsenaux massifs d'armes atomiques, dont bon nombre sont mille fois plus destructrices que les deux bombes utilisées en 1945; le fait qu'en raison de leur savoir-faire scientifique et technologique, au moins trois douzaines de nations sont maintenant techniquement capables de construire un arsenal de 10 à 100 armes nucléaires dans les 3 à 5 ans si elles le souhaitent; le fait qu'aucune arme nucléaire n'a été utilisée dans un but destructeur depuis 1945. Selon lui « cela explique largement l'insouciance avec laquelle la plupart des gens acceptent (et bon nombre, en fait, appuient) l'existence de milliers d'armes nucléaires prêtes à être utilisées. Malheureusement, la période de non-emploi qui dure maintenant depuis un demi-siècle pourrait prendre fin à tout moment15. »
Étant donné que tous les États signataires du TNP acceptent l'objectif de réduire et, finalement, d'éliminer la menace nucléaire, la question, à un certain niveau, se résume simplement à trouver le moyen de passer d'une étape à l'autre; mais la chose ne se réduit pas à un choix entre le statu quo et la réussite éventuelle; la situation est beaucoup plus compliquée. Les éléments suivants ont fait considérablement monter les enchères : le fait que les États dotés de l'arme nucléaire refusent de s'engager dans des discussions sur le désarmement nucléaire allant au-delà du processus START; les dangers nucléaires très réels qui découlent de la désintégration continue de la Russie, ce à quoi on reviendra au chapitre 2; la menace directe pour le régime de non-prolifération nucléaire que posent les essais nucléaires auxquels l'Inde et le Pakistan ont procédé en mai 1998. Comme de nombreux observateurs l'ont fait remarquer, cela pourrait éventuellement empêcher de prévenir la prolifération non seulement des armes nucléaires, mais aussi des armes biologiques et chimiques16. Comme le ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, l'a dit dans une déclaration adressée au Comité en mai 1998 :
Pour préserver l'intégrité du régime de non-prolifération si essentiel à la sécurité internationale, les États non dotés d'armes nucléaires comme le Canada doivent prendre l'initiative afin d'éviter qu'une tendance naissante visant à défendre l'existence des armes nucléaires, fondée sur ce que j'appellerais une « nouvelle realpolitik nucléaire », ne vienne compromettre nos efforts en faveur de ce régime. Par « nouvelle realpolitik nucléaire », j'entends l'ensemble des arguments politiques et ceux touchant la sécurité - les nouveaux comme ceux qui ont été revus - énoncés par des proliférateurs comme l'Inde ainsi que par des États dotés d'armes nucléaires pour justifier la prolifération ou la conservation d'armes nucléaires - même en nombre réduit17.
Après avoir passé des mois à étudier ces questions, le Comité se rallie à cette opinion. L'Inde et le Pakistan (tout comme Israël) avaient refusé de signer le TNP, mais étaient largement reconnus comme des États dotés d'une capacité nucléaire militaire. Par conséquent, leurs essais peuvent ne pas avoir changé grand chose sur le terrain tant que l'on peut les persuader de ne pas déployer d'armes nucléaires. Dans une perspective plus large, le TNP intègre l'opinion bien claire, émise par 187 des États du monde, selon laquelle la prolifération continue des armes nucléaires après 1967 est contraire aux intérêts de la paix et de la sécurité mondiales. Le fait que l'Inde et le Pakistan aient choisi de remettre directement en cause ce consensus exige que la communauté internationale exerce des pressions vigoureuses, unifiées et constantes afin que ces deux pays suivent l'exemple de l'Afrique du Sud au début des années 1990, démantèlent leurs arsenaux et leurs programmes nucléaires et ratifient le TNP en tant qu'États non dotés d'armes nucléaires.
Alors que l'Inde et le Pakistan assument la principale responsabilité de leur action dangereuse, les cinq États dotés de l'arme nucléaire, et d'ailleurs tous les États signataires du TNP, sont coupables de ne pas avoir agi assez rapidement et de leur avoir donné, ainsi qu'à d'autres proliférateurs éventuels, une excuse pour se joindre au club nucléaire par leur inaction en matière de désarmement. Dans le rapport mentionné plus haut, John Holdren, président du Committee on International Security and Arms Control de la National Academy of Sciences, faisait remarquer après les essais :
Il n'est pas certain qu'un leadership plus fort et moins d'hypocrisie de la part des États-Unis et d'autres puissances nucléaires déclarées auraient empêché ces deux pays de procéder à leurs essais, compte tenu des tensions et des pressions politiques internes en jeu. Mais il devrait être évident que l'intransigeance des grands États dotés d'armes nucléaires, à propos de leurs propres arsenaux nucléaires, renforce la position des factions pronucléaires dans les États au seuil de la nucléarisation, affaiblissant les arguments contre ces armes et donnant un nouvel élan à la prolifération. Si nous n'admettons pas cette réalité et si nous n'agissons pas pour y remédier, nous faisons considérablement grossir le risque que les dernières folies nucléaires ne soient pas les dernières18.
Les cinq États dotés de l'arme nucléaire légalement reconnus, qui possèdent encore presque la totalité des armes nucléaires mondiales, ne sont pas encore prêts à abandonner le concept de la dissuasion nucléaire, qui est le fondement de leur politique en matière de sécurité. D'autre part, ils ne savent probablement pas comment ils pourraient le faire en toute sécurité. Comme le Royaume-Uni l'a admis dans un document d'information accompagnant son Defence Review de juillet 1998 :
[. . .] La dissuasion nucléaire reste encore une question complexe et portant à controverse en raison des terribles conséquences de l'emploi des armes nucléaires. Il n'y a pas de réponse facile. Le monde serait un endroit plus sûr si ces armes n'étaient pas encore nécessaires, mais les conditions d'un désarmement nucléaire total n'existent pas encore19.
Sir Michael Quinlan, un haut fonctionnaire britannique qui a été étroitement impliqué dans le dossier nucléaire pendant des décennies et qui a témoigné devant le Comité, a fait remarquer que
Le concept fondamental de la dissuasion est simple : il s'agit de persuader quelqu'un de s'abstenir de prendre une mesure non souhaitable en lui montrant que le fait de la prendre entraînera une réaction dont les inconvénients l'emporteront largement sur les avantages. Cette notion a toujours joué un rôle dans la gestion des relations humaines20.
Pourtant, d'anciens chefs militaires, comme le général George Lee Butler, qui, à titre de commandant du Commandement stratégique des États-Unis de 1992 à 1994, avait la responsabilité de toutes les forces de dissuasion nucléaires des États-Unis, ont fait remarquer que la notion de dissuasion est devenue beaucoup plus dangereuse en passant du contexte conventionnel au contexte nucléaire. Au début de 1998, le général Butler soulignait ce qui suit :
Compte tenu des réalités, qui sont plus claires, des risques, qui sont plus nettement définis et des coûts, qui sont beaucoup mieux évalués, je vois la dissuasion sous un tout autre jour. Reprise du lexique de la guerre conventionnelle, cette simple définition d'un état de préparation militaire suffisant est devenue la recette d'une catastrophe absolue. Elle est fondée sur une litanie de suppositions injustifiées, d'affirmations non prouvées et de contradictions logiques [. . .]
La dissuasion nous mène sur un terrain glissant. C'est une notion qui n'est ni stable, ni statique et ses ruses ne peuvent être contenues. Elle est à la fois maître et esclave. Elle séduit le scientifique, mais se plie à sa création. Elle sert les fins du mal autant que celles des nobles intentions. Elle affirme la culpabilité de l'innocent comme celle du coupable. Elle offre un abri sémantique facile aux armes nucléaires en masquant les horreurs de leur emploi avec les voiles de l'infaillibilité. Au mieux, il s'agit d'un pari qu'aucun mortel ne voudrait prendre. Au pire, elle appelle la mort à une échelle qui rivalise avec le pouvoir du Créateur21.
De semblables arguments, bien que peut-être moins catégoriques, qui avaient été présentés sur les dangers de la dissuasion dans le contexte des superpuissances et de la guerre froide, ne peuvent qu'être renforcés par la nouvelle prolifération des armes nucléaires. L'expert français de la défense, Camille Grand, a déclaré au Comité :
Une blague, dite par un diplomate, éclaire bien la situation. Lorsque le jeu nucléaire est joué par deux intervenants, c'est exactement comme les échecs : vous connaissez les règles et il y a peu de place pour la chance; vous pouvez faire des erreurs, mais habituellement vous restez dans un petit espace de 36 cases noires et blanches. Lorsque vous jouez à cinq, c'est plutôt comme une partie de cartes, quelque chose comme le poker, où il y a encore des règles, mais où le risque d'un problème est plus élevé et vous devez vous fier à votre chance d'avoir les bonnes cartes et de donner les bonnes réponses. Mais il y a encore beaucoup de règles.
Lorsque nous sommes dans un monde où il y a 36 pays ayant des armes nucléaires, ce qui est probablement le nombre de pays qui pourraient faire avancer la technologie nucléaire en ce moment, c'est le monde de la roulette, où il n'y a que le hasard et c'est par pur hasard si vous n'utilisez pas les armes nucléaires22.
Le général Andrew Goodpaster, ancien commandant en chef des Forces alliées en Europe, a fait remarquer que la dissuasion devra finalement être remplacée par une « garantie » qui « . . .implique l'établissement d'un consensus entre les puissances nucléaires et les États non dotés de l'arme nucléaire, un consensus axé sur une réduction très importante du rôle des armes nucléaires dans les plans et les politiques de sécurité »23. Cette transition politique ne sera pas facile, mais compte tenu de la situation actuelle, on peut préconiser avec force la réduction plus rapide de la dépendance à l'égard des armes nucléaires, même en s'appuyant sur les attitudes traditionnelles pour ce qui a trait à la « sécurité nationale ». Comme l'universitaire américain Michael Mazarr l'a souligné en 1997, « l'argument en faveur du contrôle des armes nucléaires ne repose plus, s'il l'a jamais fait, sur de faibles appels à l'unité de l'humanité et à la nécessité de la coopération internationale. Il peut maintenant s'appuyer sur la liste réaliste des intérêts américains et ceux des alliés24. » Selon de nombreux analystes, le plus évident de ces facteurs est le suivant : un renversement de la situation qui n'oblige plus les États-Unis et l'OTAN, comme pendant la guerre froide, à dépendre des armes nucléaires pour compenser l'infériorité des armes conventionnelles; les États-Unis, même sans ses alliés, bénéficient actuellement d'une telle supériorité militaire conventionnelle qu'ils n'ont pas besoin des armes nucléaires, sauf à titre de dissuasion à l'égard de l'arsenal nucléaire des autres. Dire qu'elles sont encore utiles ne peut qu'encourager d'autres États à acquérir ces armes ou leur solution de rechange plus simple, les armes biologiques et chimiques.
RÉDUIRE L'IMPORTANCE POLITIQUE DES ARMES NUCLÉAIRES
Les cinq États dotés de l'arme nucléaire déclarés et leurs alliés sont traditionnellement d'avis que la possession de l'arme nucléaire ne menace pas la sécurité internationale. Le Comité convient que tant que la sécurité internationale reste fondée sur le statu quo nucléaire, il ne sera pas possible d'en arriver à un abandon volontaire immédiat. En même temps, il fait sienne la mise en garde suivante : il ne faut pas que, pour ceux qui s'engagent à avoir pour objectif l'élimination « ultime » des armes nucléaires, cela veuille dire « jamais ». Les membres du Comité ont des opinions différentes sur la question de l'échéancier du désarmement nucléaire, mais ils demandent tous que des progrès importants soient réalisés rapidement. Le monde est aux prises avec la menace des armes nucléaires depuis cinq décennies, mais la chance peut tourner. Il faut bien comprendre que la possession de ces armes par un État, quel qu'il soit, pendant cinq décennies est une menace fondamentale à la sécurité internationale.
Lors d'une discussion sur les essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan, Sir Michael Quinlan a déclaré au Comité : « De toute évidence, la question revêt maintenant beaucoup plus d'importance à cause de ce qui s'est passé. On a dorénavant l'impression qu'il faut faire vite, ce que je ne déplore pas, bien que je déplore ce qui nous y a poussés, la façon dont les choses se sont passées25. » Le Comité convient qu'un des grands défis consistera à transformer le découragement international face à ces essais en politiques axées sur l'avenir qui permettront d'améliorer la paix et la sécurité internationales. Pour sa part, le professeur Holdren a déclaré ce qui suit :
Mais on ne peut pas blâmer uniquement l'Inde et le Pakistan pour cette calamité. Les États-Unis et d'autres puissances nucléaires déclarées sont également coupables de ne pas avoir pleinement exploité jusqu'à présent la conjoncture favorable présentée par la fin de la guerre froide pour dévaluer considérablement la devise des armes nucléaires dans le monde des affaires26.
Le Comité accepte cette opinion après avoir entendu les experts à Washington et ailleurs dire que la politique globale la plus importante pour le Canada et les autres États est de réduire la valeur et la légitimité politiques des armes nucléaires. Des recommandations plus précises figurent dans les chapitres suivants sur les politiques des États-Unis, de la Russie et d'autres États dotés d'une capacité nucléaire militaire (chapitre 2); prévenir la prolifération des armes nucléaires et autres armes de destruction de masse ainsi que leurs vecteurs (chapitre 3); l'OTAN et les armes nucléaires (chapitre 4); la voie vers la prohibition des armes nucléaires (chapitre 5). Bien que ces recommandations contribuent toutes à l'objectif de réduction et d'élimination progressive de la menace des armes nucléaires, elles ne représentent qu'un élément de cette approche globale et c'est uniquement dans ce contexte qu'elles peuvent être pleinement mises en oeuvre.
Par conséquent :
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada adopte le principe fondamental suivant pour sa politique de non-prolifération, de contrôle des armes et de désarmement nucléaires, à l'intérieur d'un cadre qui englobe tous les aspects - politiques, militaires et commerciaux - des relations internationales du Canada :
- que le Canada travaille de façon soutenue à réduire la valeur et la légitimité politiques des armes nucléaires, afin de contribuer à l'objectif de leur réduction progressive, puis de leur élimination.
Afin de concrétiser ce principe fondamental, le Comité recommande que le gouvernement du Canada produise un énoncé de politique expliquant les liens entre d'une part la politique du Canada touchant la non-prolifération, le contrôle des armes et le désarmement nucléaires, et d'autre part, tous les autres aspects de ses relations internationales. En outre, qu'il favorise l'émergence d'un consensus en tenant le public et les parlementaires canadiens au courant des faits nouveaux dans ce secteur, notamment par les moyens suivants :
- des réunions préparatoires annuelles - tenues, par exemple, sous les auspices du Centre canadien pour le développement de la politique étrangère - du genre de celles qui ont lieu avec les organisations non gouvernementales et les représentants de la société civile avant la rencontre annuelle de la Commission des droits de l'homme de l'ONU;
- le témoignage public annuel, devant le présent Comité, de l'ambassadeur au désarmement auprès des Nations Unies;
- le renforcement de la coordination entre le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et le ministère de la Défense nationale, en commençant par inclure un représentant de la Défense nationale dans les délégations canadiennes auprès des institutions multilatérales sur la non-prolifération nucléaire.
L'APPROCHE CANADIENNE
Le défi consiste à créer des conditions dans lesquelles aucun État n'estime devoir posséder les armes nucléaires pour garantir sa sécurité. Les améliorations radicales apportées à la sécurité européenne ces dernières années ont montré que cela n'est pas un objectif impossible à atteindre. Mais ce n'est pas une tâche réservée uniquement aux États dotés d'armes nucléaires. Tous les États ont leur rôle à jouer.
Ministère de la Défense du Royaume-Uni, juillet 199827
Les experts s'entendent de plus en plus pour insister sur la nécessité de progresser rapidement vers un contrôle des armes nucléaires et sur bon nombre des mécanismes clés nécessaires pour ce faire; par exemple, la « levée de l'état d'alerte » des forces nucléaires, dont il sera question au prochain chapitre. La question suivante est celle de savoir comment les États peuvent faire avancer ce dossier. Comme l'ambassadeur Mark Moher l'a expliqué au Comité, la politique et les activités du Canada dans le domaine du désarmement et de la non-prolifération s'appuient sur la promotion de la sécurité internationale au sens le plus large. Pour ce qui est des armes de destruction massive, qui englobent les armes nucléaires, biologiques et chimiques : « L'objectif du Canada est leur élimination - en s'assurant que ceux qui possèdent des armes de destruction massive en réduisent le nombre et les éliminent et en empêchant d'autres pays de les acquérir ». L'ambassadeur Moher a ajouté que le Canada poursuit ses activités « indéfectiblement, résolument et énergiquement, en tenant compte de l'évolution des questions relatives à la sécurité ».
Tous les Canadiens partagent l'objectif de réduction et d'élimination de ces armes, mais ils ne conviennent pas tous qu'« un processus continuel et progressif, qui consiste à défendre fermement, s'il y a lieu, des mesures nationales, bilatérales ou multilatérales, constitue la meilleure façon de progresser et, de fait, la seule possible28. » Par conséquent, le gouvernement du Canada rejette comme peu réalistes des mesures telle l'exigence d'un échéancier pour l'élimination des armes nucléaires et comme prématurées d'autres mesures telle une convention sur les armes nucléaires. Les critiques affirment que cette approche « étapiste » donne de bons résultats dans certains cas, mais qu'elle ne permet pas de résoudre l'impasse actuelle puisque les cinq États dotés de l'arme nucléaire ne sont pas prêts à s'engager à poursuivre le désarmement nucléaire. Ils soulignent la réussite du « processus d'Ottawa », qui a permis d'interdire le fléau que représentent les mines terrestres antipersonnel en faisant intervenir la société civile, en mobilisant l'opinion publique et en collaborant avec des États ayant une optique commune, pour montrer qu'il est possible de dépasser les mécanismes diplomatiques traditionnels et de proposer une démarche semblable dans le domaine nucléaire.
Des témoins comme l'ancien ambassadeur au désarmement, Doug Roche, ont déclaré au Comité que le Canada devrait se joindre à d'autres États d'optique commune pour former une coalition de puissances moyennes qui permettrait de faire avancer le dossier international du nucléaire. Pour citer l'ambassadeur Roche :
La guerre froide étant maintenant terminée, le jour des moyennes puissances est venu. L'abolition des armes nucléaires, élément central de la quête gouvernementale mondiale de la sécurité commune, doit être maintenant prise en charge par une nouvelle coalition de moyennes puissances. Cette diplomatie préventive pourrait amener les États dotés d'armes nucléaires à renoncer à la folle voie dans laquelle ils se sont engagés. Il faudrait que cette coalition soit composée de divers représentants des groupements onusiens des pays de l'Est, de l'Ouest et du mouvement des non-alignés, nés des idéologies de la guerre froide. Il devra s'agir d'États importants et influents ayant déjà fait leurs preuves au chapitre du désarmement et capables de bien s'entendre. Grâce aux efforts conjugués de ses membres, une nouvelle coalition devrait avoir la capacité de jouer un rôle sans précédent à l'égard de la paix.
Vu le leadership dont il s'est montré capable lors de la conférence de 1995 sur l'examen et la prorogation du Traité sur la non-prolifération, le Canada est tout désigné pour remplir le rôle de maître d'oeuvre dans l'établissement d'une nouvelle coalition qui se vouerait à l'élimination des armes nucléaires. À titre de fier défenseur du TNP et de membre de l'OTAN, le Canada a le droit et le devoir de parler en faveur de l'élimination des armes nucléaires et de jouer un rôle de premier plan dans la réalisation de cet objectif29.
Un mois après le témoignage de l'ancien ambassadeur Roche devant le Comité, un réseau d'organisations internationales de citoyens a lancé une « initiative de moyennes puissances » en vue de poursuivre ce travail.
En fait, bien que ses débuts aient été assombris par les essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan, il existe déjà un embryon de coalition de ce genre sous la forme de la « New Agenda Coalition » composée du Brésil, de l'Égypte, de l'Irlande, du Mexique, de la Nouvelle-Zélande, de la Slovénie, de l'Afrique du Sud et de la Suède. Dans une déclaration en juin 1998, ces pays ont souligné les problèmes que continue de poser le désarmement nucléaire et ont demandé que l'on prenne des mesures précises pour y faire face30. S'appuyant sur cette déclaration, la Première commission de l'Assemblée générale de l'ONU a adopté une résolution en novembre 1998, (97 pays en faveur, 19 contre, à l'égard de laquelle 32 pays dont le Canada se sont abstenus). Sur ce point, le Comité tient également compte des témoignages selon lesquels, même si l'on s'accorde sur les objectifs finaux, le système de sécurité internationale reste fondé sur la dissuasion nucléaire, et le Canada doit veiller à ne pas agir trop rapidement dans ce domaine. Comme le colonel Victor Coroy, du Congrès des associations de la Défense, l'a dit au Comité :
Bien que je n'aime pas citer des slogans lorsque je discute d'une question aussi importante, je dois vous rappeler qu'il est impossible de désinventer les armes nucléaires. Pour cette raison d'ailleurs, le CAD conseille au gouvernement de ne pas se hâter lorsqu'il aborde des questions tels la non-prolifération nucléaire, la réduction des armements et les projets d'élimination totale des ogives nucléaires. On commettrait une grave erreur si on ne faisait pas preuve de prudence et si on se précipitait aveuglément pour contourner les inefficiences prétendues de la diplomatie à l'ancienne. Les conséquences pourraient être d'enclencher les désastres nucléaires mêmes qu'un grand nombre d'activistes craignent31.
Il semble évident que l'on ne peut pas reproduire complètement le processus d'Ottawa dans le domaine du nucléaire et ce, pour un certain nombre de raisons. La première est, bien entendu, que les armes nucléaires ne sont pas des mines terrestres. Les mines terrestres antipersonnel étaient une arme militairement marginale, utilisée un peu partout dans le monde; une interdiction internationale, même si elle n'a pas encore été acceptée par certaines grandes puissances, est toujours très utile. En revanche, une interdiction internationale des armes nucléaires, acceptée uniquement par certains États qui ne les possèdent pas, ne constituerait pas une grande amélioration par rapport à la situation actuelle où les États dotés de l'arme nucléaire se sont engagés à éliminer leurs arsenaux en vertu du TNP. Cela dit, compte tenu des circonstances actuelles, on ne saurait continuer à avancer à pas de tortue. Lorsque le ministre des Affaires étrangères a comparu devant le Comité à la suite des essais nucléaires de l'Inde, il a déclaré que « le Canada poursuivra avec vigueur sa politique de désarmement. Nous ne pouvons permettre un quelconque ralentissement de ce processus et nous avons même ces derniers mois cherché activement à l'accélérer32. » Pour ce faire, le Comité croit qu'une des méthodes consisterait à insister davantage sur la définition d'un terrain d'entente et à collaborer avec les États de toutes les régions du monde ayant une optique commune.
La complaisance règne hélas largement dans ce domaine depuis plusieurs années. Le politologue américain Richard Betts a posé la question suivante au début de 1998 : « Après tout, dans l'esprit des gens normaux, quel est le principal soulagement apporté par la fin de la guerre froide ? Ne s'agit-il pas du fait qu'ils sont débarrassés du danger de la guerre nucléaire33? » Tout au moins jusqu'aux essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan en mai 1998, les questions nucléaires étaient loin de faire les manchettes; ce sera un défi que d'utiliser la révulsion latente du public à l'égard des armes nucléaires, qui existe dans tous les États, et de la transformer de façon efficace en énoncés de politique et en gestes concrets. Un sondage Angus Reid, réalisé en février 1998, a montré que 92 p. 100 des Canadiens appuient fortement ou appuient plutôt l'idée que le Canada assume un « rôle de chef de file dans la promotion d'une interdiction internationale des armes nucléaires34. »
Selon Joseph Cirincione du Carnegie Endowment for International Peace, qui a témoigné devant le Comité à Washington, même si des sondages semblables indiquent tous que, de l'avis des Américains, réaliser des progrès notables dans le domaine nucléaire serait un legs important de n'importe quel gouvernement, et qu'ils auraient une opinion favorable des politiciens qui en sont responsables, ces convictions n'influencent généralement pas leurs intentions de vote35. À New York, le directeur adjoint, bureau du sous-secrétaire général du désarmement des Nations Unies, Evgeniy Gorkovskiy, a rappelé au Comité que le désarmement est une question d'ordre pratique et que l'opinion publique joue un rôle important pour faire avancer les États vers un consensus36. Dans le cas du processus d'Ottawa, on a réussi à mobiliser l'opinion publique en insistant plus sur le caractère humanitaire que militaire de la question des mines antipersonnel. Cette approche est probablement aussi la clef de la réussite dans le domaine nucléaire.
Par conséquent :
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada, de concert avec d'autres États tels ses alliés de l'OTAN et les membres de la « New Agenda Coalition », accentue ses efforts afin de faire avancer le processus de désarmement nucléaire. À cette fin, il doit encourager la participation du public et sensibiliser celui-ci aux coûts exorbitants de la prolifération des armes nucléaires sur les plans humanitaire, environnemental et économique, de même qu'à son incidence sur la paix et la sécurité internationales. Il doit en outre encourager les États dotés de l'arme nucléaire à démontrer leur engagement non équivoque à entamer et à conclure des négociations sur l'élimination de ces armes. S'inspirant du processus d'Ottawa, il devrait également étudier des moyens novateurs de faire progresser le dossier.
LES DILEMMES QUE POSE LA TECHNOLOGIE NUCLÉAIRE CIVILE À L'ÉCHELON DU CANADA
Depuis un demi-siècle, l'attention s'est portée, à juste titre, sur les dangers des armes nucléaires. L'ancien ambassadeur au désarmement, Doug Roche, a déclaré vouloir maintenir l'attention du Comité sur la « tâche nécessaire d'éliminer complèment les armes nucléaires dans le monde entier », tout en reconnaissant « que l'énergie nucléaire est un dossier connexe, mais distinct37. » Mais le Comité a également entendu un nombre important de Canadiens qui se préoccupent plus généralement de l'exploitation de l'énergie nucléaire civile et du soutien qui lui est apporté.
Sur le plan de la politique étrangère, ces préoccupations portent principalement sur la vente, limitée par des contrôles stricts, de la technologie nucléaire canadienne à l'étranger, ce dont on reparlera au chapitre 3, et de l'option dite « MOX », consistant à brûler, pour des raisons de désarmement, l'excédent de plutonium russe et américain dans les réacteurs nucléaires du Canada, ce dont il sera question au chapitre suivant; bien que celles-ci ne touchent pas la puissance nucléaire civile, la Nanoose Conversion Campaign et d'autres intervenants ont également fait part au Comité de leurs préoccupations concernant les éventuels problèmes de sécurité nucléaire découlant de la présence de sous-marins américains à propulsion nucléaire dans la zone d'essai de Nanoose située dans le détroit de Georgia. Bien que le Comité n'ait ni le mandat ni la compétence pour aborder ces questions en profondeur, la question nucléaire comporte aussi des volets touchant la politique intérieure qui sont importants et qui doivent être traités par la société canadienne dans son ensemble.
Les préoccupations intérieures soulevées par l'énergie nucléaire civile
Les préoccupations que suscite l'énergie nucléaire civile en matière d'environnement et de santé au Canada, et en outre dans le monde entier, ont trait à la fois à la sécurité des installations nucléaires, compte tenu de la crainte que ne se produisent des accidents du genre de celui de Tchernobyl, et au problème que pose de façon permanente l'élimination des déchets nucléaires produits par l'exploitation des réacteurs. Le Canada est un chef de file mondial de la technologie nucléaire. En 1996, environ 16 p. 100 de son électricité était produite par des réacteurs nucléaires, dont 21 étaient en exploitation en mars 199738. Les problèmes de transport et d'élimination des déchets nucléaires au Canada restent encore à régler de façon cohérente et définitive. La question de la sécurité du transport jouera un rôle essentiel dans l'adoption éventuelle d'une proposition officielle sur le MOX, ainsi que dans la décision qui devra finalement être prise sur la façon d'éliminer à long terme les déchets nucléaires au Canada. Mais le transport n'est pas actuellement une question pressante puisque seulement environ 5 p. 100 des déchets hautement radioactifs (provenant des réacteurs) produits au Canada jusqu'à présent ont été placés dans des caissons de stockage de surface, alors que le reste (qui remplirait plusieurs piscines olympiques) est actuellement stocké sur les lieux où se trouvent les réacteurs39.
Certains témoins ont déclaré au Comité qu'il était impossible de traiter séparément les emplois civils et militaires de l'énergie nucléaire; selon Anne Adelson, de l'organisme La voix des femmes canadiennes pour la paix, « En ce qui nous concerne, il n'y a aucune séparation entre les applications civiles et militaires de l'énergie et des armes nucléaires40. » Tous les critiques de l'énergie nucléaire ne vont pas aussi loin, mais la plupart affirment qu'elle n'est ni sûre, ni économique, comme ses partisans le prétendent, et que le gouvernement du Canada devrait l'éliminer progressivement en faveur d'autres sources d'énergie.
Les partisans de l'énergie nucléaire civile font remarquer que le Traité de non-prolifération nucléaire garantit l'accès aux avantages d'une utilisation pacifique de l'atome à tous les États qui sont prêts à accepter un régime de garanties international. Du point de vue national, ils affirment que le Canada a déjà de très bons antécédents en matière de sécurité nucléaire - lesquels pourraient encore être meilleurs si l'on investissait davantage et si l'on améliorait la formation - et que l'énergie nucléaire est une source d'énergie économique qui, dans la mesure où elle réduit la dépendance à l'égard des combustibles fossiles, est écologique. Comme l'a dit William Epstein, diplomate canadien à la retraite et militant de longue date du désarmement, en répondant aux questions sur l'énergie nucléaire civile et la vente de la technologie nucléaire à l'étranger :
Sur la question de savoir si je suis en faveur de cesser d'utiliser l'énergie nucléaire, je ne le suis pas, parce que tant que nous n'arrivons pas à obtenir de l'énergie de façon économique en utilisant le soleil, le vent et d'autres choses, nous allons être obligés d'utiliser cette source d'énergie. Cela revient à demander si nous ne devrions pas renoncer à utiliser le pétrole et le gaz parce que ces produits ont tendance à polluer l'atmosphère. Nous ne devrions pas utiliser cette source d'énergie, mais nous pouvons, je crois, renforcer beaucoup la sécurité en exigeant, comme je l'ai déclaré il y a un instant, que les utilisateurs renvoient le carburant utilisé au pays d'origine. L'AIEA a mis en place des mesures de protection beaucoup plus efficaces pour les utilisations pacifiques. Ces mesures pourraient encore être renforcées. Elles ont déjà été resserrées quelque peu avec l'affaire de la Corée du Nord, mais pas suffisamment41.
En récupérant son carburant utilisé ailleurs, le Canada pourrait contribuer à atténuer la possibilité d'une nouvelle prolifération des armes nucléaires, mais cela ne ferait que renforcer le premier dilemme sur l'utilisation intérieure de l'énergie nucléaire. Comme on le dit dans un livre de vulgarisation scientifique « la question à laquelle nous faisons tous face est de savoir si notre société est prête à accepter les risques (même limités) associés à l'énergie nucléaire pour obtenir les avantages de l'électricité produite par des réacteurs. Ce n'est pas une question scientifique, mais une question de valeurs - pondérer les coûts par rapport aux avantages42. »
Le Comité ne peut pas trancher ce débat, mais les députés ont été frappés par le fait que tant les témoins que ceux qui ont présenté des mémoires, ont réclamé plus de renseignements ainsi qu'un débat sur le désarmement nucléaire et l'énergie nucléaire civile. Pendant que se déroulaient les audiences, le rapport de la Commission d'évaluation environnementale du concept de gestion et de stockage des déchets de combustible nucléaire, longtemps attendu, a été publié. Ce document fixe des normes encore plus élevées à l'égard de la politique publique dans ce domaine. Mise sur pied en 1989 pour évaluer la proposition d'Énergie atomique du Canada limitée visant le stockage permanent des déchets nucléaires dans des formations géologiques en profondeur, la Commission a souligné qu'une importante distinction devait être faite entre la faisabilité technique de la proposition, qui était adéquate, et la sanction de cette solution par la population, qui ne suivait pas. La Commission a notamment relevé que « Dans certains segments de notre société, on a peur de la technologie nucléaire et on s'en méfie profondément. Le `facteur de peur' est réel et palpable. Il tient une grande place dans les décisions en matière nucléaire, car il influera sans doute sur la confiance populaire à l'issue des démarches décisionnelles43. » Phillip Penna, de la Canadian Uranium Alliance, a déclaré au Comité que l'importance accordée par la Commission à la nécessité de faire accepter les solutions envisagées à la population s'applique non seulement à cette proposition particulière, mais également à l'ensemble de la technologie nucléaire. Selon lui,
[. . .] vous y trouverez quelques conseils spécifiques très judicieux sur les questions qui touchent les aspects sociaux de ces technologies. Il ne faut pas oublier que la technologie nucléaire a des répercussions sociales. Toute technologie a des répercussions sociales [. . .] nous devons mettre au point une technologie en tenant compte du cadre social approprié [. . .] Nous n'avons pas encore suffisamment réfléchi aux conséquences d'ordre éthique de la technologie nucléaire. Nous ne nous sommes pas demandé ce que cela signifiait pour la société et ce que nous aimerions voir se passer au sein de notre société. De quelle façon est-ce que la société aborde ce problème44 ?
Le Comité convient que le rapport de la Commission d'évaluation environnementale va beaucoup plus loin que la question de l'enfouissement géologique en profondeur des déchets nucléaires.
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada envisage de prendre d'autres moyens pour mieux renseigner les Canadiens sur l'utilisation civile de la technologie nucléaire et pour accroître la participation du public à l'élaboration des orientations de la politique gouvernementale dans ce domaine. À cette fin, le Comité recommande en outre que le Parlement mène une étude distincte et approfondie sur l'utilisation ici au pays et l'exportation à l'étranger de la technologie nucléaire civile du Canada.
Chapitre 2 :
Les États dotés d'une capacité nucléaire militaire
Il faut que nous, puissances nucléaires - et là je parle également pour la France - sachions démontrer que les avantages apparents de la possession d'armes nucléaires sont avant tout des responsabilités et ne nous donnent pas un prestige ou des droits supérieurs à ceux d'autres pays [. . .] les États nucléaires et non nucléaires doivent travailler ensemble sur ces questions [. . .] cela ne doit pas rester un domaine d'exlusivité des États nucléaires.
Camille Grand45
Les progrès réalisés pour réduire et éliminer finalement la menace des armes nucléaires dépend manifestement des politiques des huit États qui les possèdent déjà. Le Comité est pleinement conscient que l'influence bilatérale du Canada dans ce domaine ne saurait être aussi importante que celle qu'il est en mesure d'exercer dans un contexte multilatéral. Mais si la communauté internationale doit influencer le processus de paix et la teneur du programme de désarmement nucléaire, elle doit comprendre la situation et les problèmes dans chacun des cinq États dotés de l'arme nucléaire - les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine - qui ont accepté les responsabilités du désarmement et de la sécurité dans le contexte de la négociation globale du Traité de non-prolifération nucléaire, et dans les trois autres États dotés d'une capacité nucléaire militaire - l'Inde, Israël et le Pakistan - qui ne l'ont pas fait. La terminologie est maladroite, il faut le reconnaître, mais importante : bien que les huit pays soient, sur le plan technique, des « États dotés d'une capacité nucléaire militaire », il est plus exact de désigner les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine comme étant des « États dotés de l'arme nucléaire » pour tenir compte du fait qu'ils ont adhéré au régime international de non-prolifération.
Ces États se sont dotés de l'arme nucléaire dans des conditions différentes, mais le même argument en faveur de leur réduction et de leur interdiction s'applique dans chaque cas : la sécurité et le prestige accrus que cet armement semble fournir sont illusoires; en fait, il réduit les deux. Les essais nucléaires de mai 1998 ne permettront pas à l'Inde, comme elle le souhaitait, de hausser son prestige au niveau de celui des cinq États dotés de l'arme nucléaire. Cela pourrait avoir, en fait, l'effet contraire et diminuer le prestige des huit États. Comme un observateur l'a fait remarquer après les essais, « j'ai l'impression que le prestige politique et psychologique, sinon militaire, associé aux armes nucléaires sera plutôt ramené à la baisse par les événements récents46. » Dans ce chapitre, on étudiera chaque État séparément, mais leurs politiques sont étroitement liées. Le désarmement nucléaire qui se poursuit aux États-Unis et en Russie et la transparence accrue que manifestent le Royaume-Uni, la France et la Chine, ainsi que d'autres mesures prises par ces pays n'entraîneront pas automatiquement l'adoption de politiques plus sûres en Inde, au Pakistan et en Israël, mais sont probablement essentiels à leur réalisation.
Réduire l'importance accordée aux armes nucléaires
Dans ces huit États, le problème fondamental demeure l'importance politique et militaire accordée à l'armement nucléaire malgré son coût élevé et les dangers qu'il représente. Pire encore, depuis le milieu des années 1990, cette perception a en fait pris de l'ampleur dans plusieurs États, notamment en Russie, aux États-Unis, en Inde et au Pakistan. Comme le professeur William Walker l'a expliqué, après les premiers succès en matière de contrôle des armements au début des années 1990, « [. . .] on en est venu à trouver une utilité accrue (et on a permis de le faire) aux armes nucléaires dans la plupart des huit États sinon tous, possédant des programmes nucléaires actifs. Les armes nucléaires n'ont pas retrouvé le rôle central qui leur était attribué pendant la guerre froide - il ne s'agissait pas d'un retour à la case départ - mais elles ont commencé à regagner de l'importance dans certains contextes politiques et militaires 47.» Le présent rapport insiste sur la nécessité de réduire l'importance politique et militaire de ces armes afin de renforcer la sécurité nucléaire immédiate et de permettre à la collectivité mondiale de poursuivre l'élimination, ou tout au moins l'interdiction des armes nucléaires. Mais il existe un paradoxe : aux termes du TNP, les cinq États dotés de l'arme nucléaire ont convenu d'éliminer finalement leurs armes nucléaires, mais ni ces États, ni les trois États dotés d'une capacité nucléaire militaire n'ont sérieusement commencé à préparer leur population (ou leurs élites) à accepter ce changement48. C'est donc dans les États, comme le Canada, qui n'en possèdent pas que l'on est le plus décidé à réduire l'importance des armes nucléaires, alors que c'est dans les États où cela est le plus nécessaire que l'on est le moins enclin à le faire; il est donc impératif et urgent d'attirer l'attention du public sur ces questions dans ces États.
Au-delà du « 2 + 3 + 3 »
On peut beaucoup mieux comprendre la dynamique du contrôle des armes nucléaires au moyen de ce que l'on a appelé l'« approche 2 + 3 + 3 49». Traditionnellement, les négociations se déroulent entre les États-Unis et l'Union soviétique/la Russie (« 2 ») de façon bilatérale. Les arsenaux nucléaires du Royaume-Uni, de la France et de la Chine n'ont jamais représenté plus de 5 p. 100 de ceux des superpuissances. Bien qu'il s'agisse d'États dotés de l'arme nucléaire engagés dans le désarmement en vertu du Traité de non-prolifération nucléaire, ces États (« 3 ») ont essentiellement assisté de loin aux négociations sur le contrôle des armes nucléaires et maintenant, sur le désarmement. N'ayant pas accepté les obligations internationales en vertu du TNP ou de régimes équivalents, l'Inde, Israël et le Pakistan (« 3 ») n'ont pas participé du tout à cet exercice.
Les États-Unis et la Russie ont toujours déterminé le rythme et la teneur des mesures de contrôle des armements nucléaires. Les négociations bilatérales entre les États-Unis et la Russie ont permis de mettre fin à la guerre froide dans le contexte du processus START et de réduire pour la première fois le nombre des armes nucléaires stratégiques. Compte tenu des avantages évidents de ce processus pour la sécurité, les témoins ont été unanimes pour dire qu'il devait se poursuivre, de préférence par la ratification immédiate par la Douma russe du traité START II, vieux de cinq ans. Si la Douma continue de faire de l'obstruction, selon Harald Müller, de l'Institut de recherche sur la paix de Francfort, et d'autres, les États-Unis et la Russie devraient néanmoins commencer immédiatement à négocier le traité START III. De même, ils pourraient décider, comme ils l'ont fait pour les armes nucléaires tactiques au début des années 1990, d'adopter des mesures unilatérales réciproques non contraignantes. Bien que moins satisfaisantes, ces mesures ont au moins l'avantage de ne pas lier tout nouveau progrès à l'attente d'une ratification50. Cependant, bien que les progrès doivent se poursuivre entre les États-Unis et la Russie, cela n'est pas suffisant. Pour avancer vraiment, il faut dépasser l'approche traditionnelle des « 2 + 3 + 3 ». Les autres États dotés de l'arme nucléaire ne vont probablement pas accepter les réductions négociées de leurs arsenaux tant que les États-Unis et la Russie n'auront pas procédé à de nouvelles réductions. Parallèlement, le Comité croit que le Canada devrait exiger d'eux qu'ils suivent le bon exemple donné par le Royaume-Uni en juillet 1998 et commencent immédiatement à faire preuve de plus de transparence à l'égard de leurs stocks, matières fissiles et doctrine nucléaires.
« Levée de l'état d'alerte » des forces nucléaires
Comme certains l'ont déclaré au Comité, un des moyens particulièrement efficaces de renforcer la sécurité nucléaire et de faire avancer le dossier du désarmement est le concept de la « levée de l'état d'alerte » réciproque des forces nucléaires, laquelle aurait pour effet d'augmenter le temps nécessaire pour la préparation du lancement par rapport aux dispositifs de déclenchement immédiat mis au point pour répondre aux besoins de la guerre froide. Bien que prêtant le flanc à la critique en tant que réponse technique à un problème politique et moral, la levée de l'état d'alerte comporte plusieurs avantages : renforcer la sécurité nucléaire à court terme, sans modifier radicalement les politiques de défense, et instaurer la confiance à long terme, ce qui encouragera de nouveaux progrès. Bruce Blair, un ancien officier chargé du contrôle du lancement des missiles des Forces aériennes américaines et maintenant une autorité en matière de systèmes de commandement et de contrôle nucléaires, a déclaré au Comité à Washington qu'en raison de la réduction de l'arsenal nucléaire russe et de la désuétude de ses systèmes d'alerte avancée, de contrôle et de commandement, même une levée de l'état d'alerte modeste permettrait d'assurer une plus grande sécurité nucléaire. De plus, si l'on en arrivait finalement à un système d'alerte zéro, on fixerait une norme internationale qui pousserait tous les États à ne pas maintenir leurs armes nucléaires en état de lancement sur alerte. Il existe également une convergence entre la levée de l'état d'alerte et l'élimination des armes nucléaires à long terme : la levée permanente de l'état d'alerte permettrait d'instaurer une situation qui, en général, reviendrait en fait à une élimination51.
Les pages qui suivent contiennent les renseignements sur lesquels se fonde la position du Comité à l'égard de la question de la levée de l'état d'alerte; on y mentionne l'intérêt accru qui se manifeste à l'égard de cette question - avec la publication, par exemple, à l'automne 1998 par l'Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR) de la Lettre de l'UNIDIR no 38, « La levée de l'état d'alerte des forces nucléaires ». Il va de soi que la levée de l'état d'alerte ne peut permettre d'accroître la sécurité et la confiance que si elle est réciproque et vérifiable. Les détails restent à être négociés entre les États, mais c'est pour cette raison que le Comité appuie fermement le concept de la levée de l'état d'alerte de toutes les forces nucléaires.
Dans l'intérêt d'une plus grande sécurité et stabilité nucléaires et afin d'atteindre l'objectif plus général qu'est l'élimination des armes nucléaires, le Comité recommande que le gouvernement du Canada appuie le concept de la levée de l'état d'alerte, en autant qu'elle soit réciproque et vérifiable, de toutes les forces nucléaires - notamment les arsenaux des membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, ainsi que des États dotés d'une capacité nucléaire militaire, et qu'il encourage les gouvernements de ces pays à agir en ce sens.
LES ÉTATS-UNIS ET LA RUSSIE
[. . .] malgré la réduction du nombre d'armes et des niveaux d'alerte, les deux pays restent en mesure de placer leurs forces nucléaires en état de préparation immédiate. Cette disponibilité opérationnelle exacerbe inutilement le risque limité mais important d'utilisation erronée ou non autorisée.
Committee on International Security and Arms Control,National Academy of Sciences des États-Unis, 199752
Les États-Unis et l'Union soviétique ont dominé les programmes de sécurité et de contrôle des armes nucléaires pendant la guerre froide et les États-Unis et la Russie continuent à le faire maintenant que la guerre froide est terminée. Ces deux voisins du Canada détiennent encore 95 p. 100 environ des armes nucléaires du monde53. Les politiques étrangères et de défense des États-Unis et de la Russie ont été façonnées par la guerre froide dans une plus grande mesure encore que celles des autres États. On s'attendait donc à ce qu'ils récoltent les fruits de la fin de la guerre froide, qu'ils révisent leur politique nucléaire respective et abordent la grave question du legs nucléaire de la guerre froide, c'est-à-dire l'excédent d'ogives et de matières fissiles découlant de la réduction des armements. Comme le Comité l'a noté dans son rapport d'avril 1997, le Canada et l'univers circumpolaire : relever les défis de la coopération à l'aube du XXIe siècle, un des legs les plus dangereux de la guerre froide est la menace environnementale que représentent les bases navales russes dans la région de l'Arctique.
Malgré la réduction de la taille de leurs arsenaux, comme on l'a dit au Comité à Washington, les États-Unis et la Russie n'ont pas encore saisi l'occasion de réfléchir à leur politique nucléaire. Bruce Blair l'a expliqué ainsi : « Aucun changement important ne s'est produit dans l'équation nucléaire États-Unis et Russie - ni dans la planification de la guerre, ni dans les pratiques d'alerte quotidiennes, ni dans le contrôle des armements stratégiques et peut-être même pas non plus dans les attitudes fondamentales54. » Jack Mendelsohn, de la Arms Control Association, a convenu qu'une relation typique de dissuasion nucléaire existe encore entre les États-Unis et la Russie. À Washington, il a déclaré au Comité que tant que le fondement politique de leurs relations ne changera pas, ces deux États continueront d'accorder la primauté à leurs forces nucléaires stratégiques.
Renforcer le processus START
Pendant la guerre froide, on jugeait la parité nucléaire stratégique entre les superpuissances comme étant essentielle à la « stabilité ». Le processus START continue de reposer sur ce principe. Alors que les réductions visées par les négociations START restent vitales, ce principe devient de plus en plus irréaliste, puisque la Russie ne peut pas se permettre de maintenir un arsenal nucléaire comparable à celui des États-Unis. En fait, selon un certain nombre de témoins, les difficultés nucléaires que posent ces deux États sont largement inversées : les États-Unis semblent déterminés à maintenir le statu quo nucléaire, alors que la Russie est incapable de le faire.
Le processus START a produit des avantages réels sur le plan de la sécurité mondiale, mais il est bloqué du fait que la Douma russe a pris le risque d'usurper une politique que soutient le président Eltsine. Pour répondre aux préoccupations légitimes des Russes, les États-Unis et la Russie ont convenu, en mars 1997, d'un cadre de travail en vue d'un accord START III qui serait négocié immédiatement après la ratification de START II. En plus de réduire davantage le nombre des ogives stratégiques déployées, START III permettra d'accomplir d'importants progrès dans des domaines comme la transparence. Les avantages de START II et de START III, encore au stade de proposition, sont évidents. Bien qu'insuffisant en soi, le processus START est indispensable pour progresser. Le Canada et d'autres États doivent donc peser de tout leur poids pour convaincre les États-Unis et la Russie de poursuivre les négociations et d'élargir le processus.
Les États-Unis et la Russie ont convenu de réduire leurs arsenaux stratégiques entre 2 000 et 2 500 ogives stratégiques déployées en vertu du traité START III dont la négociation est à venir. Mais ils devront également maintenir un bouclier d'ogives non déployées. Même après l'application de tous les traités de réduction des armements actuels, les États-Unis prévoient maintenir indéfiniment un arsenal total de quelque 10 000 ogives nucléaires. Comme on l'a vu dans le dernier chapitre, moins de 1 p. 100 de ce total peut encore tuer des millions de gens. Les projets de la Russie sont moins clairs, mais elle maintiendra un niveau probablement aussi proche de celui des États-Unis qu'elle peut se le permettre. Plus frappant encore que les chiffres est le fait que les politiques opérationnelles et autres politiques nucléaires fondamentales de ces pays n'ont guère changé.
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada prenne toutes les mesures possibles pour encourager les États-Unis et la Russie à poursuivre le processus START. Le Canada devrait encourager la Russie à ratifier START II en lui apportant un appui concret pour ce faire, et inciter les États d'optique commune à oeuvrer avec celle-ci à assurer une plus grande stabilité politique et économique dans ce pays. Au-delà, le Canada doit encourager les deux parties à poursuivre des réformes progressives et réciproques de leurs dispositifs nucléaires respectifs.
L'incident norvégien
Les craintes concernant le niveau d'alerte élevé des forces nucléaires et la détérioration des systèmes d'alerte russes se sont concrétisées le 25 janvier 1995, lorsque le système d'alerte avancée antimissile russe a détecté une fusée scientifique lancée à partir de la côte norvégienne. Cette région est fréquentée par des sous-marins américains dont les missiles balistiques peuvent disperser huit ogives nucléaires sur Moscou en 15 minutes55. La Norvège avait informé le ministère des Affaires étrangères de la Russie du lancement, mais cette information n'avait pas été transmise aux militaires. Dans les minutes qui ont suivi, le président Eltsine a été informé d'une attaque américaine éventuelle et pour la première fois, sa « mallette nucléaire » a été placée en mode d'alerte en vue d'une utilisation d'urgence, lui permettant de commander une réaction nucléaire totale de la part de la Russie. La tension a monté pendant les étapes de séparation de la fusée, mais la crise a pris fin après environ huit minutes (seulement quelques minutes avant la limite pour répondre à une attaque nucléaire imminente), lorsqu'il est devenu évident que la fusée se dirigeait vers la mer et ne menacerait pas la Russie.
Les commentaires qui ont suivi cet incident ont souligné les dangers de se fier aux systèmes d'alerte avancée, de commandement et de contrôle nucléaires désuets de la Russie. Mais ces commentaires ne tiennent pas compte du fait que les systèmes russes ont en fait fonctionné comme prévu dans ce cas et ont permis au président Eltsine d'ordonner une action de rétorsion dans les minutes qui ont suivi, avant même qu'il soit confirmé qu'une attaque était en cours. La nécessité de pouvoir prendre ce genre de décision en quelques minutes est le résultat de la crainte d'une attaque nucléaire surprise pendant la guerre froide. Pourtant, malgré la fin de la guerre froide depuis plusieurs années et l'amélioration remarquable des relations entre les États-Unis et la Russie, la réaction du président Eltsine témoigne d'une même tension et d'une même incertitude. Le danger a résulté du niveau élevé d'alerte plutôt que du fonctionnement du système russe lui-même. De fausses alarmes avaient déjà activé les forces nucléaires stratégiques américaines pendant la guerre froide mais, comme l'inventeur de la fameuse « mallette nucléaire » russe le faisait remarquer peu après l'incident :
Ce qui est important, c'est que cela se soit produit non pas au moment où les Pershings américains étaient déployés en Europe, mais maintenant que la Russie a signé le traité START et d'autres accords avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine sur « le non-ciblage mutuel des missiles » [. . .] La sécurité de l'humanité ne peut dépendre de l'omission de signaler un lancement ni d'une négligence dans la transmission de l'information56.
Ce niveau d'alerte permanent propre à la guerre froide est inutile et dangereux à la fin des années 1990, en particulier, comme on le verra, compte tenu des conditions très différentes des États-Unis et la Russie dans le domaine nucléaire.
LES ÉTATS-UNIS
Nous sommes décidés à saisir l'occasion que l'histoire nous offre pour réduire encore les rôles et les risques des armes nucléaires. Il ne pourrait pas y avoir de cadeau plus grand pour l'avenir.
Madeleine Albright,
secrétaire d'État des États-Unis
20 mai 199857
[. . .] l'important, pour le Comité et le gouvernement du Canada, c'est d'essayer d'influencer les États-Unis. Ce sont nos amis, ce sont nos alliés [. . .] Le gouvernement américain a besoin d'aide, car il doit contrer aux États-Unis mêmes des éléments récalcitrants. Les États-Unis ont besoin de l'aide de pays de même esprit. Ils ont besoin de l'aide de l'opinion publique.
Doug Roche,
ancien ambassadeur au désarmement58
En avril 1996, le président Bill Clinton a réaffirmé que les États-Unis restaient engagés à l'égard de la poursuite d'efforts systématiques et progressifs pour réduire les armes nucléaires partout dans le monde, dans le but ultime d'éliminer ces armes. En septembre, il ajoutait devant l'Assemblée générale des Nations Unies qu'il espérait qu'au cours du prochain siècle « les rôles et les risques des armes nucléaires pourraient encore être réduits et finalement éliminés ». En mars 1998, à Washington, Frank Miller, secrétaire adjoint à la Défense pour la politique de sécurité internationale des États-Unis, (et maintenant sous-secrétaire adjoint principal à la Défense chargé de la stratégie et de la réduction de la menace), a déclaré au Comité que jamais les armes nucléaires n'avaient joué un rôle aussi peu important dans la politique de sécurité nationale américaine59. Le Comité convient qu'il en est ainsi. La question est de savoir si les États-Unis peuvent aller plus loin dans cette voie pour renforcer la sécurité de tous. Selon la plupart des témoins et beaucoup d'autres intéressés, la réponse est nettement oui. La Russie et les autres États dotés d'une capacité nucléaire militaire se partagent la responsabilité de modifier leurs propres politiques et, dans la mesure du possible, de prendre des mesures réciproques. Pourtant, bien que la responsabilité de tout nouveau progrès ne puisse pas incomber uniquement aux États-Unis, la plupart des témoins et d'autres intéressés sont d'avis qu'à titre de seule superpuissance mondiale, ils sont les seuls à même de donner l'exemple.
Au cours de la dernière décennie, les États-Unis ont considérablement réduit leur arsenal nucléaire. Mais à la suite de l'adoption d'un ensemble de programmes de modernisation, d'une souplesse accrue et de la réduction du nombre des cibles russes (dans le prolongement de la réduction du nombre des missiles stratégiques russes), la capacité des forces nucléaires américaines n'a en fait jamais été aussi grande60. Le nombre des armes, qui a atteint son maximum au milieu des années 1960, à 32 000, se situait à 23 510 au milieu des années 1980 et est actuellement de 12 070, dont 1 350 attendent d'être démantelées et aliénées61.
Dès la fin de la guerre froide, les militaires américains ont considérablement réduit le nombre des cibles dans leur plan de guerre nucléaire. Toutefois, le premier examen véritable de la politique nucléaire devait être le Nuclear Posture Review (NPR), entrepris sous l'administration Clinton à l'automne de 1993, un exercice qui devait « intégrer des examens de la politique, de la doctrine, de la structure des forces, des opérations, de la sûreté et de la sécurité, et du contrôle des armements. » Pourtant, la portée de l'examen a été beaucoup plus limitée, et les luttes bureaucratiques internes ont apparemment dominé les travaux. Alors que l'on notait dans l'examen que « les armes nucléaires jouent un rôle moins important dans la sécurité des États-Unis » et que l'on officialisait la stratégie de « maintien des forces nucléaires stratégiques », on concluait, selon les mots de Janne Nolan, « [. . .] en recommandant qu'il n'y ait pas de changement important par rapport aux orientations de politique du prédécesseur de M. Clinton en matière d'armes nucléaires. Les forces ne devraient pas être réduites en dessous des niveaux de START II, les armes nucléaires devraient être maintenues en Europe à leur niveau actuel et il ne devrait pas y avoir de modification importante aux orientations de la politique opérationnelle américaine. » Elle ajoutait que « comme il est devenu apparent à la suite de l'examen du dispositif nucléaire en 1994, il ne suffisait pas de bénéficier d'un climat international qui semblait tout à fait propice à des mesures de désarmement pour contrer la perception fortement enracinée dans la population américaine de l'importance que continuent à avoir des forces nucléaires à grande échelle activées62. » Les résultats du Nuclear Posture Review se sont vu confirmés dans le Quadrennial Defence Review de mai 1997.
Comme on pourra le constater tout au long du rapport, on estime généralement que les cinq États dotés de l'arme nucléaire protègent le statu quo en refusant d'entamer des discussions de fond sur le désarmement nucléaire. Pour les témoins, il semblait que les États-Unis tentaient de préserver le statu quo nucléaire, avec un nombre de plus en plus faible d'ogives, tout en évitant d'envisager des changements connexes dans sa politique générale ou sa politique opérationnelle. De fait, les préoccupations s'étant intensifiées ces dernières années au sujet de la prolifération éventuelle des armes biologiques ou chimiques et de leurs vecteurs, les États-Unis ont adopté une stratégie d'ambiguïté délibérée : confirmer les assurances de sécurité par la négative en ce qui a trait à l'utilisation des armes nucléaires contre des États non dotés de l'arme nucléaire, tout en affirmant que le concept légal de « représailles belligérantes » pourrait néanmoins permettre ce genre de riposte. Comme Jack Mendelsohn l'a expliqué à Washington, le moteur du statu quo nucléaire aux États-Unis n'est pas l'argent ni l'industrie de la défense, mais le sentiment que les armes nucléaires peuvent encore avoir une utilité dans la politique américaine sur la sécurité63.
Bien qu'elle allât directement à l'encontre des traités START I et START II, jusqu'à la fin de 1997, la politique nucléaire américaine est restée fondée sur l'orientation nucléaire de 1981 de Ronald Reagan, laquelle devait permettre aux États-Unis de livrer et de gagner une guerre nucléaire prolongée. Lorsque l'administration Clinton a commencé à envisager de descendre au-dessous des niveaux du traité START II en 1996, les militaires américains ont prétendu que ce n'était pas possible si l'on voulait respecter l'orientation de 1981. En réponse, le président Clinton a signé une nouvelle directive présidentielle (PDD-60), en novembre 1997, pour résoudre ce problème.Joseph Cirincione a dit au Comité à Washington que la PDD-60 était une solution « mitigée », un pas en avant et deux pas en arrière : d'un côté, elle comporte une révision nécessaire de la politique de 1981 et permet aux États-Unis d'envisager une réduction du nombre d'ogives. De l'autre, elle bloque les États-Unis à un nombre encore élevé d'ogives et il semble que (la directive est ultra confidentielle) l'on y soulève la possibilité de l'utilisation des armes nucléaires en riposte à une attaque chimique ou biologique64. Bien qu'il soit impossible de vérifier ce dernier point, c'est là la perception que l'on avait et, lors des discussions publiques sur la PDD-60, les responsables américains n'ont pas vraiment cherché à clarifier l'ambiguïté délibérée qui entoure cette question.
Du fait que les États-Unis se trouvent dans une position beaucoup plus forte que la Russie, qu'ils apprécient ce rôle ou non, ils continueront d'être considérés comme détenant le contrôle du désarmement nucléaire. Comme le professeur William Walker l'a affirmé en 1988 :
L'attitude des États-Unis peut être déterminante. Au cours des deux ou trois dernières années, leur réputation internationale de responsables du contrôle des armes nucléaires a été endommagée. On a estimé que le gouvernement américain traitait trop à la légère ses obligations après avoir obtenu la prorogation indéfinie du TNP en 1995, qu'il accordait trop vite des concessions aux groupes de droite à l'intérieur et à l'extérieur du Congrès et qu'il n'avait pas réussi à répondre de façon constructive aux préoccupations justifiées des autres États, notamment en ce qui concerne les assurances sur la sécurité et la position d'Israël sur les armes nucléaires au Moyen-Orient. On pourrait trouver cela injuste : d'autres peuvent être aussi coupables sinon plus, et ceux qui exercent une hégémonie font souvent face à des choix très difficiles. Mais à titre d'État-nation le plus puissant et le plus créatif du monde, et en tant que coauteur du contrôle des armes nucléaires, les attentes à son égard seront toujours grandes. Il est à espérer que le gouvernement américain sera prêt à prendre une direction novatrice ainsi que certains risques politiques65.
Parallèlement, le Comité accepte les arguments du professeur Douglas Ross de l'Université Simon Fraser et d'autres qui mettent en garde contre le fait que le Canada et d'autres pays, même s'ils doivent continuer de parler franchement aux États-Unis et de les encourager à faire de nouveaux progrès, doivent veiller à ne pas alimenter les courants isolationnistes.
LA RUSSIE
[. . .] les milieux de la défense russe sont beaucoup plus soupçonneux de l'Ouest que la plupart des observateurs l'imaginent. Le seuil nucléaire est inférieur à ce que l'on pense habituellement et le contexte intérieur et international est un facteur beaucoup plus critique pour l'évaluation de la menace russe que l'on ne le reconnaît normalement. Pire encore peut-être, le danger d'une erreur de calcul nucléaire de la part des Russes n'est pas aussi faible que beaucoup le supposent et la détérioration progressive du système d'alerte avancée et de contrôle de la Russie représente une menace beaucoup plus grave que nos deux gouvernements sont prêts à le reconnaître.
Bruce Blair,
été 199866
Ce qui a survécu de l'intérêt à l'égard des questions nucléaires à la fin de la guerre froide s'est concentré sur la situation en Russie, où le rythme chaotique de l'évolution politique a coïncidé avec d'importantes réductions budgétaires sur le plan militaire et avec le retour massif des armes nucléaires soviétiques en Russie, alimentant ainsi la crainte d'une perte de contrôle sur ces armes ou d'une fuite du savoir-faire et du matériel nucléaires hors du pays. Une étude importante de l'Université Harvard a saisi ces préoccupations dans son titre Avoiding Nuclear Anarchy67. Le général à la retraite Alexandr Lebed qui, en 1996, a brièvement été secrétaire du Conseil de la sécurité nationale de Russie, a rallumé, en 1997, ces craintes de « bombes nucléaires en liberté » en suggérant que l'on ne savait pas où se trouvaient au moins 84 bombes nucléaires « mallettes » russes.68 Heureusement, au cours des dernières années, on ne relève pas de signes certains de ce genre d'« anarchie », mais cela demeure un danger réel que l'on ne peut pas négliger.
La Russie est principalement responsable de la sécurité de son arsenal nucléaire et de l'aliénation de ses ogives nucléaires et de ses matières fissiles excédentaires. C'est évidemment dans l'intérêt de la communauté internationale de l'aider dans la mesure du possible. Or, l'Ouest a mis du temps à le faire dans la période immédiate qui a succédé à la guerre froide. Les États-Unis ont adopté un programme important de coopération pour la réduction de la menace (CTR, c'est-à-dire le Cooperative Threat Reduction program, aussi connu sous le nom de programme Nunn-Lugar) afin d'aider la Russie, l'Ukraine et d'anciennes républiques soviétiques à démanteler les anciens systèmes stratégiques soviétiques. Les impasses du début se sont débloquées au cours des années, et le programme s'est élargi pour comprendre toutes les armes de destruction de masse. À la fin de 1997, en vertu du programme CTR, on avait approuvé quelque 1,8 milliard de dollars d'aide destinée à toutes les anciennes républiques, dont 973 millions de dollars pour la Russie. Les États-Unis et d'autres États soutiennent également le Centre international de science et de technologie de Moscou pour veiller à offrir un emploi productif aux experts nucléaires. Le Canada a surtout concentré son appui sur un organisme semblable, le Centre des sciences et de la technologie de Kiev; comme on le verra au chapitre 3, il a également contribué aux objectifs de sécurité et de non-prolifération nucléaire dans la région grâce à l'Agence canadienne de développement international (ACDI).
Une Russie affaiblie
Les changements survenus dans le domaine militaire en Russie au cours de la dernière décennie sont considérables. Comme on le notait dans une récente étude, « en Russie, les réductions découlant des traités, la désuétude technologique, l'absence de financement et les nouvelles préoccupations à propos de la sécurité physique à la suite du démantèlement de l'Union soviétique ont entraîné des changements encore plus spectaculaires qu'aux États-Unis69. » Les forces nucléaires d'élite traditionnelles n'ont pas souffert autant que d'autres services, mais même elles n'ont pas été épargnées. En 1996-1997, le ministre de la Défense russe, M. Rodionov, avertissait que des problèmes de financement et de gestion rendaient les forces nucléaires russes dangereusement « ingérables ». En 1997, la Central Intelligence Agency affirmait également que les systèmes centraux de commande de missiles russes désuets étaient passés accidentellement au mode de combat total plusieurs fois depuis 199170.
À son point culminant, au milieu des années 1980, l'arsenal nucléaire russe comptait environ 45 000 ogives; pourtant, l'Union soviétique n'a pas réussi à moderniser ses forces pour suivre le rythme des États-Unis. La Russie possède environ 22 500 ogives à l'heure actuelle, dont 10 240 devraient être opérationnelles. Le traité START II limitait le nombre des ogives stratégiques américaines et russes déployées entre 3 000 et 3 500 de part et d'autre, mais l'incapacité de la Russie de maintenir ce niveau l'a poussée à demander un niveau de 2 000 à 2 500 relativement au traité START III. Comme le président Eltsine l'a expliqué en mai 1998 dans un discours adressé aux diplomates russes, « nous devons atteindre des niveaux inférieurs d'armes stratégiques pour assurer notre sécurité et en arriver à l'égalité avec les États-Unis. Ce sera une percée importante, un équilibre complet avec les États-Unis. Personne ne pourra nous menacer71. » Pourtant, il semble que la Russie ne disposerait pas même de ressources suffisantes pour maintenir un tel arsenal. À Washington, Bruce Blair a indiqué au Comité que selon la plupart des experts, l'arsenal stratégique russe tombera à peut-être 1 000 ogives dans 10 ans et peut-être même à 500 dans 15 ans72. Le président Eltsine a ajouté, au début de juillet 1998, que « les articles qui paraissent ici et là dans la presse selon lesquels nos forces nucléaires s'affaiblissent, tout d'abord, sont erronés et deuxièmement, n'aident pas l'État73. »
Pendant la période de l'après-guerre froide, la Russie a utilisé les armes nucléaires pour compenser le déclin de ses forces conventionnelles et comme l'un des quelques symboles qui lui restent de son statut de superpuissance. Dmitri Trenin, un ancien officier russe affilié à l'heure actuelle au Carnegie Endowment for International Peace, a déclaré ce qui suit, en 1998 :
[. . .] Il y a eu un retournement complet de l'attitude de l'élite russe à l'égard des armes nucléaires. Les propositions de l'époque de Gorbatchev visant à créer un monde libre du nucléaire sont considérées comme du romantisme réactionnaire par certains des Russes les plus influents. Et si l'on regarde l'état du pays, qui se situe au seizième rang par rapport au PIB et où l'espérance de vie des hommes est juste au-dessous de 60 ans, il ne reste pas grand-chose en dehors des armes nucléaires pour justifier la prétention au statut de grande puissance. Si l'on y ajoute la faiblesse militaire conventionnelle et un certain nombre d'autres problèmes, on peut alors comprendre la logique de ceux qui, de fait, « renucléarisent » la politique de sécurité russe, ou tout au moins, sa politique de défense. Cette attitude pourrait avoir un effet contraire aux objectifs de la Russie, mais c'est ce qui semble se passer.
Cela ne veut pas dire qu'il y a un manque d'intérêt à l'égard du contrôle des armements. Il est bien évident que la Russie n'est pas sur le point de renverser sa position sur la réduction des armes nucléaires ou sur son dispositif nucléaire. Mais sa dépendance a certainement augmenté74.
En 1991-1992, la Russie a officiellement renversé la promesse de non-utilisation en premier des armes nucléaires à laquelle l'Union soviétique s'était engagée, adoptant plutôt une politique d'utilisation en premier, si nécessaire, plus proche de celle des États-Unis. Comme l'a expliqué le Départment d'État américain dans des réponses écrites à un comité du Sénat américain, en 1997, « le scénario le plus probable - bien que toujours extrêmement douteux - serait sans doute une guerre de faible envergure sur la périphérie de la Russie qui menacerait de s'amplifier au-delà de la capacité russe d'empêcher une défaite catastrophique en utilisant des armes conventionnelles75. » L'énoncé de politique désigné sous le nom de « concept de la sécurité nationale » adopté en décembre 1997 par la Russie, souligne à juste titre que les menaces éventuelles à la sécurité de la Russie risquent beaucoup plus d'être internes et de résulter de facteurs économiques plutôt qu'externes et de nature militaire. Pourtant, la nomination, en mai 1997, du ministre de la Défense, le maréchal Igor Sergeyev, qui avait consacré la plus grande partie de sa carrière aux forces des fusées stratégiques, signifie probablement que la dépendance à l'égard des armes nucléaires se poursuivra, au moins à moyen terme, avant que la réforme militaire tellement nécessaire soit finalement réalisée sous le bouclier nucléaire. Pourtant, la politique nucléaire américaine coexiste avec des forces conventionnelles solides, ce dont la Russie ne dispose plus. Comme un observateur l'a fait remarquer « cela marque l'arrivée d'une nouvelle ère de `riposte flexible', mais ayant peu de flexibilité76. »
Frank Miller a déclaré au Comité à Washington que la plus grande dépendance des Russes à l'égard des armes nucléaires n'alarme pas vraiment les États-Unis : il convenait avecSir Michael Quinlan que la promesse soviétique de non-utilisation en premier avait été de la propagande qui n'avait eu que peu d'incidence en pratique, et il a ajouté que la nouvelle politique russe est aussi clairement défensive, ce qui est très bien puisque les États-Unis n'ont pas l'intention d'attaquer la Russie77. Le Départment d'État américain a également minimisé l'importance pratique du changement russe :
Pour ce qui est de la politique déclarée, la dépendance de la Russie à l'égard des armes nucléaires dans sa planification stratégique a augmenté en 1992-1993 et risque fort d'augmenter à nouveau face à l'expansion de l'OTAN ou à la suite d'un débat sur la réforme militaire. Cependant, la probabilité que la Russie utilise vraiment des armes nucléaires dans un avenir prévisible reste extrêmement faible pour deux raisons. Premièrement, la Russie ne risque pas de se trouver engagée dans une guerre d'une ampleur suffisante pour justifier l'utilisation d'armes nucléaires. Deuxièmement, quelle que soit la politique déclarée de la Russie, tout futur chef d'État russe devrait peser très soigneusement la possibilité que cette utilisation en premier des armes nucléaires ait des conséquences extrêmement négatives et menace au moins la position politique à venir de la Russie et peut-être son existence physique78.
La plupart des témoins ont toutefois estimé que l'abaissement délibéré du seuil nucléaire par la Russie à la suite de son affaiblissement était une évolution inquiétante. Cela ne changera pas rapidement, mais c'est un élément qu'on ne peut négliger.
Levée de l'état d'alerte des forces nucléaires stratégiques américaines et russes
Compte tenu du renforcement de la capacité nucléaire des États-Unis et de l'affaiblissement de celle de la Russie, la question est de savoir s'il existe des moyens de consolider la sécurité et la stabilité nucléaires et si le Canada peut jouer un rôle utile pour faire progresser la situation. La plupart des témoins ont affirmé que la réponse était oui dans les deux cas.
Comme on l'a vu, bien que la taille des arsenaux nucléaires américains et russes ait diminué depuis la fin de la guerre froide, leur état d'alerte et les procédures opérationnelles restent inchangés pour l'essentiel. Pendant la guerre froide, les deux pays ont conclu qu'ils ne pouvaient pas être certains de leur capacité d'absorber une attaque nucléaire surprise et de riposter par une deuxième frappe. Par conséquent, ils ont élaboré des systèmes prévoyant des lancements très rapides. Ces niveaux d'alerte pouvaient peut-être être nécessaires pendant la guerre froide, lorsqu'une attaque nucléaire surprise était possible, mais sont difficiles à justifier à l'heure actuelle. Dans le cas de la Russie tout au moins, dont le système de commandement et autre infrastructure nucléaire continuent de se détériorer tant physiquement qu'autrement, ces niveaux sont dangereusement élevés. Comme la National Academy of Sciences des États-Unis le faisait remarquer en 1997 :
La question est d'équilibrer les risques. Au cours de la guerre froide, la réduction du risque d'une attaque surprise semblait être plus importante que les risques créés par le maintien des forces nucléaires dans un état d'alerte permanent. Avec la fin de la guerre froide, c'est l'opinion contraire qui est maintenant la plus crédible, ce qui a des répercussions importantes sur la politique nucléaire américaine, en rendant possible et fort souhaitable une baisse marquée des niveaux d'alerte79.
La levée de l'état d'alerte proposée déjà par les experts pour renforcer la sécurité nucléaire et instaurer la confiance à l'égard de nouvelles mesures, a réellement été intégrée au débat américain, au milieu de 1997, lorsque Sam Nunn, ancien sénateur et président du Comité des forces armées du Sénat américain, un homme pragmatique et très respecté, s'est joint à Bruce Blair pour préconiser cette idée. Leur argument de juin 1997 vaut la peine d'être largement cité.
Il est temps pour les États-Unis et la Russie d'abandonner les entraves mentales de la dissuasion pour lever l'état d'alerte de nos forces stratégiques et adopter une nouvelle formule qui permet une plus grande compatibilité entre nos relations nucléaires et nos relations politiques.
Les États-Unis et la Russie ne sont plus ennemis, mais presque six ans après la fin du règne communiste et de l'Union soviétique, nous sommes encore figés dans une logique de guerre froide de « destruction mutuelle assurée ». Par cette formule, la sécurité de chaque adversaire dépend de la certitude, à Washington et à Moscou, que leurs forces stratégiques pourraient survivre à une attaque nucléaire de l'autre pays et servir à riposter par une frappe dévastatrice. Par conséquent, chaque pays maintient encore environ 3 000 ogives nucléaires stratégiques prêtes à être lancées. Ces pratiques de dissuasion peuvent avoir été nécessaires pendant la guerre froide. Aujourd'hui, elles constituent un anachronisme dangereux [. . .]
Après avoir expliqué que les perpétuels problèmes budgétaires et autres de la Russie font en sorte qu'elle est de moins en moins capable de continuer dans cette voie de façon sûre, Nunn et Blair préconisaient la levée de l'état d'alerte réciproque et vérifiable des forces stratégiques :
Par la levée de l'état d'alerte, nous entendons l'adoption de mesures qui prolongent le temps nécessaire pour préparer le lancement des forces nucléaires. Bien que ces mesures puissent être inversées si les conditions changent et que la sécurité nationale l'exige, la levée de l'état d'alerte accorderait suffisamment de temps, en ce qui a trait à la capacité de lancement, pour assurer un contrôle plus fiable des armes nucléaires, réduire les tensions nucléaires quotidiennes et renforcer la confiance mutuelle à l'égard des intentions nucléaires de chacun. La levée de l'état d'alerte ne signifie pas l'élimination des armes nucléaires, mais permettrait d'éliminer le risque de déclenchement immédiat, contrairement aux mesures de déciblage prises en vertu de l'accord Clinton-Eltsine de 1994 qui peut être inversé en quelques secondes [. . .]
La levée de l'état d'alerte aboutirait à des dispositifs nucléaires beaucoup plus sûrs. Cela ne résoudrait pas le problème mondial de la protection des ogives nucléaires détachées, du matériel et du savoir-faire nucléaires, mais cela réduirait considérablement les graves dangers associés à la détérioration du contrôle nucléaire russe - tout en reléguant dans les oubliettes de l'histoire la menace déjà improbable d'une première frappe nucléaire qui soit délibérée et soudaine80.
Un événement récent a attiré l'attention sur cette idée : l'examen de la défense stratégique britannique de juillet 1998 (Strategic Defence Review), annonçait des mesures limitées de levée de l'état d'alerte, et les huit États qui composent la « New Agenda Coalition » ont accordé une place privilégiée à la levée de l'état d'alerte dans leur demande de nouvelles mesures sur le désarmement nucléaire en juin 1998.
Après avoir discuté de ces questions avec Bruce Blair et d'autres intéressés à Washington et entendu des témoins appuyer fortement ce concept, le Comité est tout à fait en faveur de l'adoption de mesures rapides de levée de l'état d'alerte. L'appui des alliés serait utile puisque le Comité a entendu des témoins lui dire à Washington que même si, aux dires de certains, le secrétaire américain de la Défense, William Cohen, préconise la levée de l'état d'alerte, compte tenu de la réaction politique que cela provoquerait certainement, il tente d'étayer ses arguments avant d'adopter une position publique.
NORAD et la stabilité nucléaire
Le Canada peut faire beaucoup plus que joindre les rangs de tous ceux qui demandent la levée de l'état d'alerte en soutenant des mesures connexes au sein du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD), dont le Canada est partenaire, à l'égal des États-Unis, afin d'assurer la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord. Comme M. Blair l'a expliqué dans sa présentation au Comité en août 1998, tout au long de la guerre froide, les opérations d'alerte avancée contre les attaques de bombardiers et de missiles effectuées par le NORAD étaient essentielles à la dissuasion et par conséquent, à la stabilité. Pourtant, compte tenu des arguments solides présentés en faveur de la levée de l'état d'alerte des forces nucléaires stratégiques :
Les procédures du NORAD seraient revues en conséquence. Le désamorçage [levée de l'état d'alerte des forces nucléaires] réduirait le rôle du lancement sur alerte et, par conséquent, le rôle du NORAD dans le soutien de cette opération de plus en plus dangereuse serait atténué. Le NORAD pourrait assumer de plus grandes responsabilités dans le soutien de la sécurité opérationnelle des forces stratégiques, y compris des forces russes.
La création d'un lien direct entre le NORAD et son pendant russe, près de Moscou, s'inscrirait dans cet objectif. La transmission directe de messages d'avertissement du NORAD au réseau d'alerte russe pourrait partiellement compenser les lacunes de ce dernier. S'il existait un bon réseau de données fiables sur le lancement de missiles dans le monde, on réduirait les risques croissants associés aux fausses alertes et aux autres problèmes que peut entraîner le système russe. Le passage à l'an 2000, ou le bogue de l'an 2000, suscite des préoccupations particulières car il peut affecter le réseau de détection rapide de la Russie. Selon des sources officielles américaines, le bogue de l'an 2000 pourrait effacer toutes les données du réseau russe ou signaler une fausse attaque ennemie. L'échange d'informations sur les alertes par le truchement d'un lien direct en temps réel pourrait pallier ce problème. De fait, cette proposition est très probablement le principal point dont les États-Unis voudront discuter en matière de sécurité au cours du sommet qui doit avoir lieu à Moscou (en septembre 1998).
L'appui du Canada, tant sur le plan diplomatique que militaire, dans la création d'une« ligne directe » entre le NORAD et le principal centre d'alerte antimissile de la Russie serait bien accueilli. C'est une initiative prudente à prendre à propos d'une question des plus graves. Cet appui favoriserait la sécurité nucléaire sans pour autant miner les mesures de dissuasion81.
Cette proposition va tout à fait dans le sens des arguments du professeur Douglas Ross, qui a suggéré également au Comité :
Préconisez l'offre d'une aide financière et technique multilatérale (et le cas échéant, une aide canadienne unilatérale) à la Russie pour restaurer et améliorer ses capacités d'alerte avancée antimissiles, afin que les dirigeants russes ne soient pas amenés à recourir à des procédures de « lancement sur alerte » - au moyen d'un système d'avertissement défectueux et vulnérable aux erreurs - ou, pire encore, à dépendre d'un système de lancement de riposte largement automatisé et donc forcément instable82.
Le Comité convient que cette mesure serait très utile tant pour la sécurité à court terme que pour les progrès à long terme en matière de désarmement. Lors du Sommet de Moscou en septembre 1998, les États-Unis et la Russie ont convenu de partager, de façon « continue », tout renseignement en matière d'alerte avancée sur les lancements de missiles balistiques et de lanceurs spatiaux effectués par un pays quel qu'il soit; ont annoncé la création d'un centre conjoint d'alerte avancée, le premier du genre, sur le territoire russe, et ont convenu d'établir un régime multilatéral d'avis préalable de lancement de missiles balistiques et de lanceurs spatiaux, de sorte que tout État qui décide d'y participer pourrait donner préavis de tout lancement de missile. Des représentants américains et russes doivent maintenant régler les détails de ces accords. Bien que la Russie ne fasse pas, bien entendu, partie du NORAD, le Comité estime que cet organisme peut jouer un rôle utile en aidant à la mise en oeuvre de ces accords.
Puisque cette solution peut contribuer à la sécurité et à la stabilité nucléaires et qu'il importe d'agir rapidement pour atténuer les répercussions possibles du problème informatique de l'an 2000, le Comité recommande que le gouvernement du Canada étudie plus à fond avec les États-Unis et la Russie la possibilité d'établir une ligne directe avec le NORAD afin de compléter et de renforcer le système d'alerte avancée russe. En outre, le Canada devrait fortement appuyer l'idée d'offrir cette même possibilité aux autres États dotés d'une capacité nucléaire militaire.
Matières fissiles excédentaires et option MOX
Un autre aspect essentiel du problème nucléaire est l'excédent de matières fissiles - essentiellement de l'uranium hautement enrichi et du plutonium - qui sera disponible au cours des prochaines décennies à la suite de la réduction actuelle et à venir des armements. La question touche à la fois les États-Unis et la Russie, mais plus particulièrement la Russie, qui est moins apte à y faire face. Tariq Rauf a expliqué au Comité que dans le prolongement des accords de réduction des armements, la Russie va libérer environ 89 tonnes de plutonium et près de 500 tonnes d'uranium hautement enrichi de ses ogives démantelées, une opération dont la sûreté et la sécurité sont fort douteuses compte tenu de l'effondrement de l'infrastructure nucléaire soviétique. Il a poursuivi en ces termes :
Il existe un certain nombre de propositions en vue de résoudre la question. Les États-Unis achèteront tout le stock de 500 tonnes d'uranium provenant des ogives démantelées. Le problème qui reste à résoudre est celui du plutonium des armes excédentaires. Le Canada, le Japon et la France se sont tous montrés intéressés à brûler du plutonium ainsi libéré une fois qu'il aura été converti en combustible à oxyde mixte (MOX). Tandis que la proposition française prévoit la combustion de MOX en Russie avec l'aide technique de la France, certains doutes sont émis à ce sujet en raison de l'absence de contrôles appropriés en Russie. Par conséquent, il ne serait pas recommandé de construire un nouveau réacteur au plutonium en Russie.
De même, le Japon ne possède pas les réacteurs pour brûler ce plutonium, mais le Canada les a. Sans modifications techniques considérables, nos réacteurs CANDU pourraient consommer ce combustible à oxyde mixte, et le combustible utilisé pourrait ensuite être conservé en vertu de garanties internationales83.
Comme on l'a vu dans le chapitre précédent, l'accord de principe conclu, en 1996, au Sommet de Moscou sur la sécurité nucléaire, selon lequel le Canada proposait de brûler l'excédent de plutonium russe et américain comme combustible MOX, a été très controversé. Un certain nombre de témoins ont critiqué cette option et le Parallex préliminaire ou « brûlage à l'essai » du combustible MOX, qui a été retardé à maintes reprises. Comme Lorne Green, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, l'a souligné devant le Comité, « le problème est dû en partie au fait que, d'une certaine façon, nous ne faisons qu'agiter de l'air parce qu'il n'y a pas encore de projet MOX. On en parle depuis deux ou trois ans; les Américains et les Russes étudient la question, mais ils s'intéressent aussi à bien d'autres options84. » Il a poursuivi ainsi : « Que les choses soient bien claires : ni les États-Unis ni la Russie ne se sont proposés de brûler du combustible produit à partir des surplus de plutonium militaire dans les réacteurs canadiens. C'est une option, mais ce n'est qu'une option parmi d'autres qui doit encore faire l'objet d'un choix. Et si ces deux pays devaient formuler une telle demande dans l'avenir, il faudrait alors examiner la question de près85. »
Un certain nombre de témoins n'étaient pas satisfaits de cet argument. À propos du concept lui-même, le professeur Franklyn Griffiths, de l'Université de Toronto, a admis ce qui suit :
À première vue, on pourrait sans doute dire que ce n'est pas une mauvaise idée. Il y a en effet beaucoup de plutonium militaire dans le monde et il serait sans doute bon de pouvoir en faire quelque chose. À première vue, l'idée de s'en servir pour produire de l'électricité au Canada et d'éviter qu'il ne tombe entre les mains de parties qui pourraient s'en servir pour fabriquer à nouveau des armes semble excellente. Le projet me semblait donc comporter des avantages, mais pourtant j'avais le sentiment que cela cachait peut-être quelque chose.
Mais après avoir étudié la question avec soin, il en est arrivé à une conclusion très différente.
Cette initiative est une erreur. Elle ne produira pas les avantages que d'aucuns prétendent du point de vue de la non-prolifération nucléaire et du désarmement [. . .]
De fait, elle est à certains égards antiproductive car elle garantit que les choses vont empirer si elle est mise en oeuvre sous sa forme actuelle.
Il a soutenu que ce projet entraînera des coûts directs que les Canadiens devront assumer, tant à l'égard de la sécurité, de la santé et de l'administration, que du point de vue financier.
À mes yeux, les coûts sur le plan de la gouvernance sont très sérieux. Je veux parler ici de l'intégrité du processus canadien de réglementation et de protection de l'environnement, processus qui sera très sévèrement mis à contribution si le projet va de l'avant et que nous sommes obligés d'effectuer une étude environnementale approfondie sur ce qui sera en fait une proposition absolument unique de sécurité internationale pour laquelle il n'existe absolument aucune procédure d'évaluation. Rien n'existe actuellement pour faire ce travail. Il va falloir tout inventer. Certes, d'aucuns diront peut-être que c'est une bonne occasion de le faire, mais je ne suis pas sûr que nous soyons à la hauteur.
[. . .] Quoi qu'il en soit, j'ai pris fermement position contre ce projet et j'affirme qu'il faut l'abandonner sur-le-champ86.
Même Tariq Rauf, l'un des quelques experts non gouvernementaux qui soutient le projet MOX comme la meilleure des plus mauvaises options, admet ce qui suit :
Oui, j'affirme qu'il serait politiquement difficile de vendre le projet au public canadien, en particulier les itinéraires que les camions suivraient en transportant cette matière, mais j'estime que c'est encore une fois une question sur laquelle il faudrait un débat multipartite et, espérons-le, un consensus. Nous aidons à réduire les dangers de prolifération87.
Mais il ajoutait que compte tenu de la non-prolifération mondiale et d'autres avantages du concept MOX,
[. . .] la responsabilité ne devrait pas incomber au seul Canada. Votre Comité pourrait envisager d'adresser une recommandation au gouvernement afin qu'il approche ses alliés de l'OTAN et le Japon, pour mettre sur pied un programme multilatéral destiné à fournir l'expertise technique et le financement en vue de faciliter l'entreposage provisoire sécuritaire des matières fissiles provenant des armes excédentaires, à aider la Fédération de Russie à convertir le plutonium des armes excédentaires en combustible MOX et à prendre en charge la combustion ultérieure de cette matière dans des réacteurs canadiens CANDU, suivie d'un entreposage permanent avec des garanties de l'AIEA88.
Comme le Comité l'a appris à Washington, bien que le procédé MOX reste une option de rechange, il ne fait pas partie des principaux choix envisagés aux États-Unis à l'heure actuelle89. Traditionnellement, la Russie soutient l'option MOX, dans l'espoir de récupérer une partie de ses investissements au cours des années. Il reste à voir qu'elle sera sa décision, et aussi, celle des États-Unis. De toute façon, il semble probable que si l'on proposait finalement une option MOX au Canada, elle aurait moins d'envergure que celle prévue en 1996.
Le gouvernement canadien a donné des assurances que toute nouvelle proposition MOX serait assujettie à toutes les exigences en matière de sécurité, de santé et de protection environnementale. Pour ce faire, le Comité ajoute une mise en garde : si les avantages de toute proposition MOX doivent être largement partagés, il doit en être de même des coûts et des responsabilités. Outre l'étude approfondie recommandée au chapitre I, le gouvernement doit, par souci de transparence, veiller également à ce que le Parlement prenne part aux débats et aux décisions portant sur les meilleures façons de régler le problème mondial des matières fissiles excédentaires.
Le Comité recommande que le gouvernement rejette l'idée de brûler le combustible à oxyde mixte (MOX) au Canada, puisque cette option est tout à fait irréalisable, mais qu'il continue d'oeuvrer avec les autres gouvernements afin de régler le problème des matières fissiles excédentaires.
LE ROYAUME-UNI, LA FRANCE ET LA CHINE
J'insiste aussi sur le fait que ces réductions concernaient également les puissances nucléaires européennes, donc la France et le Royaume-Uni. Je crois que c'est intéressant de relever que ces pays qui avaient seulement quelques centaines d'ogives nucléaires ont également fait des choix de réduction importante [. . .]
En fait, aujourd'hui, dans ce schéma général de réduction, il n'y a que la Chine qui ne suive pas ce mouvement de réduction des arsenaux. Je me permets de le souligner ici parce que ce n'est pas dit. La Chine a un discours très en pointe en matière de désarmement, mais qui n'est pas suivi dans les faits.
Camille Grand90
Le Royaume-Uni, la France et la Chine occupent une position particulière parmi les États dotés de l'arme nucléaire. Ces membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies ont accepté les mêmes engagements de désarmement et de sécurité que les États-Unis et la Russie en vertu du Traité de non-prolifération nucléaire. Mais du fait que leurs arsenaux - qui comportent 450 ogives opérationnelles dans le cas de la France, 400 dans celui de la Chine et environ 260 pour ce qui est du Royaume-Uni - n'ont jamais approché le niveau de ceux des États-Unis et de la Russie, ils n'ont pas encore participé aux négociations sur le désarmement nucléaire comme celles du traité START. Étant donné que les arsenaux de ces États dotés de l'arme nucléaire de « deuxième niveau » ne sont pas comparables à ceux des États-Unis ou de la Russie, ils n'en accepteront probablement pas la réduction négociée tant que les États-Unis et la Russie n'auront pas procédé eux-mêmes à de nouvelles réductions. Pourtant, la question n'est pas simplement quantitative puisque ces États se joignent aux États-Unis et à la Russie pour refuser de discuter des questions de désarmement de fond à la Conférence sur le désarmement. En fait, certains ont affirmé qu'ils se situent dans le meilleur des mondes nucléaires : récoltant tous les avantages symboliques malheureusement encore associés au fait d'être un État doté de l'arme nucléaire, tout en permettant aux États-Unis et à la Russie - et maintenant à l'Inde, au Pakistan et à Israël - de subir les pressions internationales en faveur du désarmement. Bien qu'ils possèdent des arsenaux plus petits que ceux des États-Unis et de la Russie, ces États ont la responsabilité de montrer leur bonne volonté en matière de désarmement.
Les grandes puissances européennes traditionnelles, le Royaume-Uni et la France, ont acquis leurs armes nucléaires en tant que membres de l'OTAN pendant la guerre froide, en partie pour servir de « second centre », afin de compléter l'effort de dissuasion américain dans le groupe politique occidental, et en partie pour d'autres raisons. Depuis la fin de la guerre froide, ces deux États ont tous deux procédé à des réductions unilatérales considérables, tant dans la taille de leurs arsenaux que dans le nombre de leurs vecteurs : selon Camille Grand, les réductions françaises ont été de l'ordre de 30 p. 100 - d'environ 500 ogives à moins de 400. Tout en étant importantes et opportunes, ces réductions unilatérales sont moins satisfaisantes parce qu'elles sont réversibles.
Après avoir fait l'essai de sa première arme nucléaire en 1960, la France a choisi de ne pas adhérer au TNP en 1968, tout en promettant d'agir comme si elle l'avait fait. La population a toujours appuyé fortement la possession d'une importante force de dissuasion nucléaire française indépendante (et par conséquent plus coûteuse), et cela reste vrai aujourd'hui. La décision de la France, en 1995, de rompre le moratoire international sur les essais nucléaires et d'en effectuer une dernière série a suscité de fortes critiques internationales. Pourtant, comme promis, la France a signé, les années suivantes, le Traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires (CTBT) et est devenue, en 1998, avec le Royaume-Uni, l'un des deux premiers États dotés de l'arme nucléaire à ratifier le CTBT.
En collaboration avec les États-Unis et le Canada, le Royaume-Uni a participé à la première recherche qui a abouti à la bombe atomique et a fait l'essai de son premier engin nucléaire dans les années 1950. Comme Sir Michael Quinlan l'a fait remarquer en 1997, depuis le début des années 1960, la force de dissuasion nucléaire du Royaume-Uni se fonde essentiellement sur la simple volonté (« Mark I ») d'agir de façon indépendante au sein de l'OTAN, plutôt que sur des raisons plus générales. Contrairement à la France, il n'est pas allé jusqu'à créer son propre système d'achat nucléaire (« Mark II »)91. Bien qu'il ne soit pas allé aussi loin que certains critiques l'avaient espéré, en tant qu'élément de la nouvelle politique étrangère « éthique » du gouvernement travailliste, l'examen de défense stratégique présenté en juillet 1998 prévoyait un certain nombre de mesures opportunes dans le domaine de la politique nucléaire : réduction de la force de dissuasion nucléaire britannique - moins de 200 ogives au lieu d'un maximum de 300 ogives opérationnelles placées sur les sous-marins Vanguard; adoption de certaines mesures de levée de l'état d'alerte (mais rejet de mesures plus globales) et plus particulièrement, plus grande transparence à l'égard de l'arsenal, des matières fissiles et de la politique nucléaire britanniques.
Isolée du bloc de l'Ouest et, plus tard, de celui de l'Est pendant la guerre froide, la Chine vient tout juste de commencer à s'intégrer aux forums internationaux sur la non-prolifération et d'autres questions. Pendant toutes les années 1970, elle a préconisé en fait la prolifération des armes nucléaires pour limiter le pouvoir des États-Unis et de l'Union soviétique. Dans la mesure où elle continue à tenir secrets les détails de son programme nucléaire, la Chine est l'État doté de l'arme nucléaire dont le programme nucléaire est le moins connu. Comme Sir Michael Quinlan l'a déclaré au Comité, « il pourrait y avoir beaucoup plus de transparence concernant les arsenaux d'armes nucléaires - leur nombre, leurs types, leur rendement, les vecteurs, le déploiement [. . .] il semble particulièrement souhaitable de convaincre la Chine d'être moins secrète à cet égard92. » La Chine a toujours refusé cette transparence, mais Harald Müller a affirmé qu'elle avait fait de grands efforts récemment et qu'en mai 1998, les essais nucléaires en Asie du Sud pourraient l'avoir encouragée à aller encore plus loin :
Quant à la Chine, je suppose que son intérêt pour le contrôle des armements nucléaires et le désarmement s'est considérablement accru ces deux dernières semaines en raison de la situation dans laquelle elle se trouve maintenant.
Il est étonnant de voir les efforts que les Chinois ont pu mettre en oeuvre au cours des deux ou trois dernières années pour arriver à comprendre en quoi consiste le contrôle des armements et le désarmement, dont la formation de nouveaux experts et la création de nouveaux instituts [. . .] Je pense que c'est une des mesures qui peuvent être prises pour au moins essayer d'influencer l'opinion en Asie du Sud, notamment en Inde93.
La préparation au désarmement nucléaire
On admet depuis longtemps que, malgré leur engagement à l'égard du désarmement dans le contexte du TNP, ces trois États dotés de l'arme nucléaire accepteraient uniquement des réductions négociées de leurs arsenaux nucléaires à la suite de nouvelles réductions importantes aux États-Unis et en Russie. Camille Grand a déclaré notamment ce qui suit :
Je pense qu'ils participeront à un certain point, cela est certain. Il n'est pas clair à l'heure actuelle si cela sera entre un START II et un START III ou entre un START III et un START IV ou plus tard. Je pense que la bonne réponse serait qu'ils devraient s'engager dès maintenant en termes de transparence et de mesures pour accroître la confiance [. . .]
Quant aux mesures de désarmement réel, la chose à faire, lorsque les États-Unis et la Russie auront décidé de la prochaine étape, qui est presque planifiée, 1 500 armes - le processus a commencé à Helsinki - serait pour la France, la Grande-Bretagne et la Chine d'affirmer qu'elles vont se limiter à un certain niveau. Cela pourrait être 500; cela pourrait être 400, cela pourrait être le niveau qui existe à ce moment-là. Elles prendraient alors position publiquement et la fixerait à ce moment-là.
Alors, lorsque la Russie et les États-Unis seront en-deça du seuil de 1 000 armes nucléaires, nous devrions probablement accepter un plafond moins élevé. Ensuite, lorsque nous serons tous dans les centaines, nous devrions décider s'il devrait y avoir une différence entre la France et les États-Unis. Il devrait probablement y en avoir une car nous n'avons pas les mêmes responsabilités94.
Étant donné les responsabilités que ces pays assument en tant qu'États dotés de l'arme nucléaire en vertu du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et en tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, le Comité recommande que le gouvernement du Canada encourage la Grande-Bretagne, la France et la Chine à : faire preuve de plus de transparence à propos de leurs stocks nucléaires, de leurs matières fissiles et de leur politique; appuyer l'appel du Canada et d'autres États en vue d'une discussion de fond des questions de désarmement nucléaire à la Conférence sur le désarmement; étudier avec les États-Unis et la Russie les moyens de se préparer à une réduction des armes nucléaires le plus rapidement possible.
L'INDE, LE PAKISTAN ET ISRAËL
Permettez-moi tout d'abord de vous parler des conséquences des événements en Asie du Sud. Ils ont fondamentalement modifié les paramètres de la politique mondiale, notamment du désarmement nucléaire. Ces événements sont aussi importants que le démantèlement du mur de Berlin il y a neuf ans. Malheureusement, ils nous mènent dans la direction opposée, loin de la coopération, du contrôle des armements et du désarmement, vers la confrontation, la course aux armements et finalement la guerre nucléaire. La communauté internationale ne doit épargner aucun effort pour endiguer ce flot fatidique.
Harald Müller95
Les trois États dotés d'une capacité nucléaire militaire que sont l'Inde, le Pakistan et Israël ont des arsenaux nucléaires beaucoup plus limités que les cinq autres États. Les estimations varient considérablement en raison de la nature clandestine de ces programmes, mais selon la Arms Control Association, il pourrait s'agir de 70 à 125 armes pour Israël, de 60 à 80 pour l'Inde et de 10 à 15 pour le Pakistan96. Mais ces États sont situés dans des régions où il existe des conflits de longue date. Comme ils n'ont pas accepté de limites à leurs programmes nucléaires, ce qui rassurerait leurs voisins, ces programmes risquent de provoquer la prolifération dans les États voisins hostiles. Bien que ces arsenaux soient moins importants que ceux des autres cinq États dotés de l'arme nucléaire, les risques d'utilisation seraient hélas beaucoup plus grands.
Sécurité régionale et armes nucléaires
On a beaucoup écrit sur les essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan en mai 1998. Comme ils se sont produits au moment où le Comité mettait fin à son étude, peu de témoignages ont porté directement sur ces événements. Pourtant, loin d'invalider les témoignages précédents, les essais indiens et pakistanais ont fait ressortir la nécessité de réduire l'importance perçue des armes nucléaires, de renforcer la sécurité des programmes nucléaires actuels, grâce à des mesures de levée de l'état d'alerte et autres, et d'encourager tous les États à adhérer à un régime de non-prolifération nucléaire fondé sur le Traité de non-prolifération nucléaire.
L'Asie du Sud
Dans le cas de l'Asie du Sud, l'Inde a démontré sa capacité nucléaire dès 1974 en mettant fin aux assurances écrites faites au Canada et en faisant exploser ce qu'elle a appelé un engin nucléaire à des fins pacifiques. Comme on le verra dans le chapitre suivant, cet incident a eu des retombées importantes sur la politique du Canada en matière d'exportation du nucléaire. Bien qu'elle prétende depuis longtemps que le TNP est discriminatoire, l'Inde n'a pas tenté de justifier ses essais de mai 1998 en s'appuyant sur cet argument, mais en invoquant plutôt des raisons de sécurité. Le Comité n'accepte ni l'un ni l'autre de ces arguments.
Il semble que le Pakistan se soit lancé dans son programme nucléaire clandestin peu après sa défaite et le démembrement du Pakistan par l'Inde en 197197. Des hommes politiques pakistanais importants ont déclaré au Comité, en juin 1998, lors d'une réunion prévue avant les essais nucléaires pakistanais, que même si le Pakistan avait atteint le « seuil » nucléaire dès 1984-1985, il n'avait pas assemblé ni testé ces armes, avant d'être forcé de le faire par les essais indiens, 14 ans plus tard. Selon le sénateur Muhammad Akram Zaki, président du Comité permanent des affaires étrangères du Sénat pakistanais, « nous avons pensé que l'équilibre de la terreur était préférable à la terreur du déséquilibre98. » Que le Pakistan ait réagi aux essais indiens ne fait pas de doute. Mais le Comité croit que ce faisant, il a affaibli plutôt que renforcé sa sécurité et sa réputation internationale.
Ces essais nucléaires ont considérablement réduit la sécurité régionale en Asie du Sud. Mais il est important de reconnaître que la question principale reste la situation de conflit régional et non la présence des armes nucléaires. Ces armes accroissent le danger, mais l'Inde et le Pakistan n'en ont pas eu besoin pour s'engager dans trois guerres depuis 1947. La situation en Asie du Sud fait également ressortir que du point de vue géographique et technique, le concept de dissuasion qui est né pendant la guerre froide entre deux superpuissances situées à des milliers de kilomètres l'une de l'autre n'est pas applicable dans des situations très différentes comme celle de l'Asie du Sud ou celle du Moyen-Orient, où des États qui sont en conflit depuis longtemps partagent de longues frontières communes et possèdent des systèmes de commandement et de contrôle militaires beaucoup moins développés.
Les quelques témoins qui ont comparu devant le Comité à la suite des essais nucléaires ont exprimé des opinions diverses à propos des éventuelles conséquences des essais sur la sécurité internationale et le régime de non-prolifération. Bien que tous aient exprimé leurs préoccupations à ce sujet, Sir Michael Quinlan a ajouté « j'espère que nos gouvernements ne partiront pas du principe que tout est perdu d'avance et qu'il faut mettre l'accent sur l'armement, les vastes déploiements, la course aux armements avec la Chine et le Pakistan99. » Il vaut la peine de noter que l'Inde et le Pakistan ont été très près d'une confrontation nucléaire en 1990, mais ont réussi à résoudre la crise100. Une fois encore, chacun s'entend sur le fait que si ces essais regrettables peuvent avoir un effet positif, ce sera parce qu'ils obligent à remettre en question le sentiment de contentement de soi qui règne à l'échelon international à propos des questions nucléaires.
Dans l'immédiat, il faut s'assurer que l'Inde et le Pakistan ne s'arment pas ou ne déploient pas d'armes nucléaires et qu'ils s'engagent à plus long terme à réduire leurs programmes nucléaires. Parallèlement, la communauté internationale doit être prête à prendre toutes les mesures de médiation possibles et autres pour combattre l'instabilité qui règne dans la région. Reconnaissant la difficulté des problèmes en cause, le Comité soutient toute action canadienne ou internationale susceptible d'aider ces États à réduire les tensions, à entamer un dialogue régional sur la sécurité et à prendre des mesures permettant d'instaurer un climat de confiance.
Pour influencer l'Inde et le Pakistan, il faudra également établir des partenariats qui vont au-delà des groupements diplomatiques issus de la guerre froide. Le Canada a fait la preuve de sa capacité de forger ce genre de coalition pendant le processus d'Ottawa. Les essais nucléaires de l'Asie du Sud montrent bien que même si les groupements politiques et diplomatiques traditionnels, au sein desquels on a toujours tendance à aborder les questions de sécurité nucléaire, restent utiles, ils ne sont plus suffisants. Un accord sur les principes fondamentaux est plus important que les considérations géographiques ou les groupements politiques.
Le Moyen-Orient
La question du Moyen-Orient n'est pas non plus fondamentalement une question nucléaire, mais une question de conflit régional rendu plus dangereux par les armes nucléaires. Pourtant, l'importance des armes nucléaires ne peut être sous-estimée. Lors d'une réunion en mai 1998, Faisal Husseini, membre du Comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine, a déclaré au Comité que la possession d'armes nucléaires par Israël, et la menace qu'elles engendrent, complique et limite les efforts déployés pour régler la question palestinienne et arriver à une paix durable au Moyen-Orient.
Il y a déjà longtemps qu'Israël est considéré comme un État doté d'une capacité nucléaire militaire bien que ce pays n'ait pas ouvertement fait la preuve de cette capacité, préférant plutôt une politique « d'ambiguïté nucléaire ». Israël a toujours lié la question des armes nucléaires à des préoccupations de sécurité régionale plus larges. En 1995, cet État a déclaré pour la première fois qu'il négocierait l'établissement d'une zone libre d'armes nucléaires au Moyen-Orient une fois que l'on aurait conclu une paix globale : le ministre des Affaires étrangères d'Israël, Shimon Peres, a déclaré que son pays « entamerait des négociations sur une zone libre d'armes nucléaires au Moyen-Orient deux ans après la signature des accords de paix bilatéraux avec tous les États, y compris l'Iran. » Mais comme l'a noté le professeur William Walker, « le retrait d'Israël du processus de paix régional, par la suite, a renforcé sa dépendance psychologique à l'égard du pouvoir militaire et sa détermination à éviter de se voir imposer des restritions en matière d'armes nucléaires et à contrer toute tentative de menace de la part d'une autre puissance régionale dotée d'armes de destruction de masse. » Il ajoute que ce durcissement de la politique israélienne a également contribué à une évolution semblable aux États-Unis101.
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada continue d'appuyer tous les efforts internationaux mis en oeuvre pour régler les questions de sécurité régionale sous-jacentes en Asie du Sud et au Moyen-Orient. En collaborant avec des États d'optique commune, il devrait jouer un rôle plus affirmé en insistant sur les avantages, à l'égard de la sécurité régionale et internationale, de renforcer immédiatement la communication et la coopération entre les États de ces régions comme moyens d'établir la confiance. Dans les deux régions - mais surtout en Asie du Sud compte tenu des récents essais nucléaires - le Canada devrait également faire valoir les avantages de geler les programmes nucléaires; d'adhérer au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires; de participer aux négociations sur l'établissement d'un traité international sur l'arrêt de la production de matières fissiles; d'adhérer au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en tant qu'État non doté de l'arme nucléaire.
Chapitre 3 :
Prévenir la prolifération des armes nucléaires et des autres
« armes de destruction de masse »
À propos des valeurs, vous avez raison d'établir un lien entre les armes chimiques et les armes nucléaires et aussi les armes biologiques et toxiques. Nous parlons ici de certaines valeurs fondamentales comme la maturité d'esprit et la maîtrise de soi. Il est question d'une des valeurs qui se trouve énoncée dans la Charte des Nations Unies, c'est-à-dire la nécessité de défendre notre sécurité en utilisant le mieux possible nos ressources humaines et financières. Je pense que l'on peut envisager le travail de nos ambassadeurs du désarmement comme un effort pour accélérer ce processus de maturité autant pour la prévoyance que pour la maîtrise de soi.
Christopher Westdal,
ambassadeur au désarmement, témoignage devant le Comité,
juin 1995102
Survenant à la fin d'une décennie où l'on a porté une plus grande attention à la menace d'une prolifération accrue des armes nucléaires, biologiques ou chimiques (NBC) et des systèmes de lancement de missiles correspondants, les essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan, effectués en mai 1998, ont semblé pour certains symboliser l'échec des tentatives internationales visant à empêcher une telle prolifération. Quoi qu'il en soit, même si les États doivent prendre des mesures efficaces et concertées pour consolider et mettre en vigueur des mécanismes dont l'objet est de prévenir la propagation des armes chimiques et biologiques (ACB) et des systèmes de lancement de missiles correspondants, l'attention ne doit pas être déviée de la priorité primordiale qui consiste à renforcer le régime international mis en place pour lutter contre la prolifération des armes nucléaires. À ce jour, ce régime a connu beaucoup plus de succès que d'échecs et il est devenu beaucoup plus opérant durant les années 1990, notamment à la suite de la prorogation indéfinie du Traité de non-prolifération nucléaire et de l'adoption d'une Déclaration de principes et d'objectifs pour la non-prolifération nucléaire et le désarmement lors de la Conférence d'examen et de prorogation du TNP, en 1995.
Toutefois, l'Inde et le Pakistan, à l'instar d'Israël, n'ont jamais accepté le « marché » du TNP; la question essentielle qui se pose maintenant consiste à savoir si la communauté internationale peut saisir le nouveau défi que présentent les essais nucléaires effectués en mai 1998 en Asie du Sud comme une occasion de parachever et de consolider ce régime, notamment grâce au renouvellement à la fois du TNP lui-même et des principes et objectifs pour la non-prolifération et le désarmement nucléaires, qui fournissent un cadre déjà accepté pour ce faire. Le statu quo nucléaire ayant été modifié brutalement, un nouveau leadership politique sera nécessaire, tant pour limiter les retombées des essais de mai que pour susciter d'autres progrès vers un régime international viable de non-prolifération. Le Comité croit que la contribution du Canada peut être importante pour assurer ce leadership.
La menace de la prolifération des armes biologiques et chimiques et des systèmes de missiles correspondants est utilisée de plus en plus pour justifier les armes nucléaires; le présent chapitre commence donc par un aperçu de cette question et des réactions que cela provoque partout dans le monde. On examinera ensuite le régime international de non-prolifération nucléaire au moyen d'une analyse du Traité de non-prolifération nucléaire, en mettant l'accent sur le compromis que représente le TNP puisqu'il empêche les États de se doter d'armes nucléaires, tout en leur garantissant l'accès aux avantages pacifiques de la technologie nucléaire, sous réserve de garanties internationales.
« ARMES DE DESTRUCTION DE MASSE »
À mon avis, c'est une opinion très répandue [. . .] on peut lire dans la plupart des articles sur la prolifération des ACB que la menace empire, que le problème se présente sous une forme plus grave depuis la fin de la guerre froide et que la menace continue d'augmenter. Je ne suis pas d'accord. Je pense que ce qui a changé, c'est la perception de la menace, et non sa réalité.
Durant la guerre froide, les capacités en matière d'ACB des pays soviétiques et des pays membres du Pacte de Varsovie ont surtout attiré notre attention. Cependant, en réalité, des programmes d'ACB existaient en dehors de l'Europe. Nous n'y avons tout simplement pas beaucoup prêté attention parce que la menace du Pacte de Varsovie avait une plus grande incidence directe sur notre sécurité nationale. En fait, si l'on examine le club des proliférateurs d'ACB, la plupart de ces programmes remontent aux années 1970 et 1980, et certains d'entre eux remontent même jusqu'aux années 1960. Je ne peux d'ailleurs songer à un seul programme d'ACB qui ait vu le jour depuis la fin de la guerre froide, mais je peux en citer plusieurs qui ont pris fin.
Elisa Harris,
directrice de la non-prolifération
et du contrôle des exportations,
Conseil national de sécurité des États-Unis, mai 1998103
Les armes biologiques et chimiques et les systèmes de lancement de missiles correspondants posent des dangers réels que la communauté internationale doit chercher à éliminer. Ce type d'armement est examiné dans le présent rapport sur la non-prolifération et le désarmement nucléaires pour deux raisons. D'abord, un aperçu des activités internationales visant à empêcher la prolifération de ces armes montre comment des tentatives semblables pour réglementer les armes nucléaires sont compliquées par la nature de compromis du Traité de non-prolifération nucléaire, qui oblige les États à faciliter la coopération nucléaire internationale. Ensuite, comme Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères du Canada l'a fait observer devant le Comité, « c'est là une manifestation de la nouvelle realpolitik nucléaire. D'aucuns ont commencé à dire que l'existence d'autres armes de destruction massive - les armes chimiques et biologiques - justifient la constitution d'arsenaux nucléaires104. » En donnant un nouveau rôle aux armes nucléaires, cet argument pernicieux réduira la volonté des États dotés de l'arme nucléaire de remplir leurs obligations relatives au TNP et de poursuivre le désarmement nucléaire.
On considère de plus en plus que les armes nucléaires, biologiques et chimiques posent un seul et même problème, celui des « armes de destruction de masse » (ADM). Cette désignation concise est pratique, mais comme des témoins l'ont mentionné au Comité à Washington et à Ottawa, elle a tendance à légitimer les armes nucléaires parce qu'elle rend obscures les différences réelles entre ces armes. Il existe pourtant une hiérarchie claire : les armes nucléaires sont les plus difficiles à fabriquer, et leur capacité meurtrière et destructive démontrée est énorme; les armes biologiques sont plus simples à fabriquer que les armes nucléaires, et même si elles peuvent, dans certains cas, presque avoir la capacité meurtrière des armes nucléaires, cela n'est pas chose facile; les armes chimiques sont les plus faciles à fabriquer et elles ont été utilisées beaucoup plus souvent, mais heureusement, leur capacité meutrière n'est pas comparable. Comme Richard Betts l'a résumé succinctement, « les armes nucléaires ont une grande capacité meurtrière, mais il est difficile de les acquérir; il est facile d'acquérir des armes chimiques, mais celles-ci n'ont pas une si grande capacité meurtrière; les agents biologiques ont les deux qualités105. »
La première fois qu'on a utilisé des armes de destruction de masse au cours du présent siècle, c'est lorsque des soldats canadiens ont été attaqués avec des armes chimiques à Ypres en 1915106; de part et d'autre, on a ensuite beaucoup utilisé les produits chimiques durant la Première Guerre mondiale. Même si le Protocole de Genève de 1925 en interdisait l'utilisation, les Japonais ont employé une fois de plus des produits chimiques, de façon restreinte, lors de leur invasion de la Mandchourie dans les années 1930, et on a rapporté que l'Égypte les a utilisés contre le Yémen au milieu des années 1960, ainsi que l'Iraq durant les années 1980, d'abord durant sa guerre contre l'Iran et ensuite contre ses propres citoyens kurdes107. Les armes biologiques n'ont pas été utilisées durant les guerres modernes, même si les États-Unis et l'Union soviétique ont mis en place d'importants programmes et arsenaux d'armes biologiques offensives durant la guerre froide. Le programme américain a pris fin après la négociation de la Convention de 1972 sur les armes biologiques et à toxines (CABT); cependant, la situation du programme de l'ex-Union soviétique est moins claire.
Après des décennies d'efforts, la communauté internationale a conclu des traités qui interdisent expressément la possession et l'utilisation d'armes biologiques et chimiques; l'attention se porte maintenant sur l'amélioration de la transparence et sur la vérification du respect de ces normes. Les États-Unis ont aussi pris l'initiative sur le plan de la défense conventionnelle et d'autres mesures pour contrer l'emploi de ces armes. Comme l'a indiqué Frank Miller lors de sa réunion avec le Comité à Washington, les États-Unis ont consacré des milliards de dollars aux technologies conventionnelles pour réagir aux armes chimiques et biologiques depuis 1993, dans le contexte de leur Initiative anti-prolifération (Counter-Proliferation Initiative)108.
La situation est plus complexe en ce qui concerne les armes nucléaires, puisque le droit international, sous la forme du Traité de non-prolifération nucléaire, accepte leur possession par les cinq États dotés de l'arme nucléaire, en attendant qu'elles soient éliminées. Comme on l'a vu, malgré l'attention suscitée par la question et son débat par des sommités juridiques et autres intervenants au fil des ans, la Cour internationale de Justice a fait observer en 1996 que l'état actuel du droit international ne permettait pas de tirer de conclusion définitive sur la légalité de l'emploi de ces armes dans quelque cas que ce soit109. Cette distinction établie entre les armes biologiques et chimiques d'une part, et les armes nucléaires d'autre part, a des conséquences importantes sur les tentatives internationales lancées pour empêcher la prolifération. Comme Sven Jurschewsky, conseiller principal sur les affaires nucléaires au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, l'a expliqué au Comité dès 1995 :
Ce n'est pas à cause d'injonctions que les pays se désarment mais pour des raisons de sécurité. Il y a une différence fondamentale entre la Convention sur les armes chimiques et le TNP. La Convention sur les armes chimiques interdit les armes chimiques sans exception. Ce n'est pas le cas pour le TNP et cela tient compte d'une différence d'utilisation et du caractère de ces armes. Il faut en tenir compte. Cela dit, ce sont des abominations terribles et il faudrait certainement les éliminer. La question est de savoir comment on peut passer dans la situation actuelle à cet objectif110.
Dangers de l'après-guerre froide
Le professeur Jim Fergusson de l'Université du Manitoba a indiqué au Comité en février 1998 : « Je n'approfondirai pas la question de savoir pourquoi ou pourquoi pas et sous quelles conditions - il y a des arguments divers - des États décident de suivre une filière nucléaire ou une filière chimique et biologique. Bien sûr, s'il y avait une harmonie des intérêts entre tous les États, nous n'aurions pas ce problème, mais la réalité constate la présence d'un conflit111. » La fin de la guerre froide a eu des avantages et des désavantages à cet égard : tout en réduisant la menace d'une guerre nucléaire mondiale, elle a aussi éliminé bon nombre des éléments de dissuasion qui avaient découragé antérieurement les États de tenter d'acquérir des armes nucléaires, biologiques et chimiques et des systèmes de lancement de pointe112.
Outre ces considérations d'ordre politique et stratégique, la technologie moderne et la « mondialisation » ont eu tendance à simplifier la fabrication ou l'achat de la technologie nécessaire pour produire des armes biologiques ou chimiques et des systèmes de missiles correspondants - et, comme on peut le prétendre, même des armes nucléaires. Cela a soulevé de plus grandes craintes quant à leur prolifération aux mains des États dits « délinquants », surtout depuis les révélations, à la suite de la guerre du Golfe, à propos des programmes de grande envergure de l'Iraq visant à fabriquer de telles armes. Comme le professeur Douglas Ross l'a avancé dans un mémoire présenté au Comité avant les essais nucléaires de mai 1998 en Asie du Sud, « les armes de destruction de masse continuent de proliférer [. . .] si l'on n'adopte pas de mesures de désarmement et de contrôle des armes pour apporter un peu de stabilité au Moyen-Orient, en Asie du Sud et en Asie de l'Est, il est fort possible que certaines de ces armes soient utilisées un jour, entraînant des pertes de vie non pas par dizaines de milliers, mais bien par millions. Les politiciens ne doivent pas entretenir l'illusion qu'une telle catastrophe serait limitée au Sud de la planète113. »
Les leçons tirées de l'Iraq
Ce qui s'est passé en Iraq durant les années 1990 a été un point tournant pour la communauté internationale, mieux à même alors de comprendre la menace de prolifération et les méthodes à employer pour la prévenir. Comme il a été mentionné ci-dessus, l'Iraq avait utilisé des armes chimiques durant sa guerre contre l'Iran et aussi contre son propre peuple dans les années 1980. Alléguant que l'Iraq tentait aussi de se doter d'une capacité nucléaire militaire, Israël avait attaqué unilatéralement et détruit, en 1981, le réacteur de recherche Osirak de l'Iraq qui produisait du plutonium. C'est seulement à la fin de la guerre froide qu'on a connu la pleine ampleur des tentatives de l'Iraq en vue de se doter d'armes nucléaires, biologiques et chimiques et des systèmes de lancement de missiles correspondants, grâce aux travaux de la Commission spéciale de l'ONU (CSNU) mise sur pied pour vérifier le démantèlement des programmes irakiens d'armes et de missiles biologiques et chimiques; l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) était aussi chargée du démantèlement du programme nucléaire de l'Iraq.
Même si l'on croyait que l'Iraq était un membre « en règle » du Traité de non-prolifération nucléaire et même si ce pays avait déclaré posséder un petit programme d'énergie nucléaire (qui était donc assujetti à l'inspection de l'AIEA), il n'avait, en fait, pas respecté ses obligations relatives au TNP et avait effectué des travaux interdits sur les armes nucléaires ailleurs sur son territoire. À la suite de la défection, en 1995, du général irakien haut gradé, Hussein Kamal, il est devenu clair que, malgré plusieurs années d'efforts déployés par l'AIEA, qui était investie de pouvoirs d'enquête extraordinaires accordés par le Conseil de sécurité, l'Iraq avait encore réussi à dissimuler la pleine portée de ses activités nucléaires.
L'expérience en Iraq a sonné l'alarme pour la communauté internationale. Partout dans le monde, on a mieux saisi la menace que représente la prolifération des armes NBC et des systèmes de lancement de missiles correspondants, et cela a directement entraîné d'importantes améliorations des régimes visant à la contrer. Cependant, dans une perspective plus large, le débat - qui prend de plus en plus d'ampleur - sur le maintien de sanctions jusqu'à ce que la CSNU et l'AIEA aient terminé leurs travaux souligne la nécessité de s'entendre sur la meilleure manière de réagir à de telles situations à l'avenir ainsi que de susciter et de maintenir la volonté politique de le faire.
Terrorisme
Combinés aux craintes permanentes de fuites des compétences ou du matériel russes et autres en matière d'armes NBC, ces développements politiques et technologiques ont également fait craindre davantage que des terroristes aient accès à ce matériel; l'utilisation, en 1995, de gaz neurologique dans le métro de Tokyo par la secte Aum Shinrikyo a confirmé ces craintes, tout comme les révélations ultérieures que le même groupe avait tenté de se porter acquéreur d'une exploitation minière d'uranium en Australie en 1993 et que des rebelles tchétchènes avaient placé des matières non explosives, mais radioactives, dans un parc de Moscou en guise d'avertissement. Comme le montrent les attaques de missiles américains, en août 1998, dirigées sur de prétendus camps de formation terroristes en Afghanistan et une installation pour la production des armes chimiques au Soudan, l'acquisition de ce type de matériel par des terroristes pose un danger réel qu'il faut éliminer en multipliant les interventions des services de renseignement et en renforçant la coopération en matière d'application de la loi. Elisa Harris, du Conseil national de sécurité des États-Unis, a indiqué, en mai 1998, qu'il fallait toutefois mettre cette situation en contexte :
Je suis étonnée que durant les trois années qui se sont écoulées depuis l'attaque de la secte Aum Shinrikyo à Tokyo, il n'y a pas eu d'incident semblable où l'on aurait utilisé d'autres armes chimiques ou biologiques. Il y a trois ans, nous craignions tous que l'interdit ne tienne plus et que nous serions témoins d'une hausse très marquée des incidents terroristes dans nos pays, mais cela ne s'est pas produit, et un certain nombre de bonnes raisons peuvent probablement l'expliquer. Il n'est pas si facile que cela de produire ces choses. Il n'est pas facile non plus de les disséminer, tout en se protégeant soi-même, et il existe d'autres technologies beaucoup plus accessibles, des explosifs brisants, qui sont beaucoup plus prévisibles, que les terroristes peuvent utiliser et utilisent. Même si nous devons être conscients de la menace terroriste et nous y préparer dans nos pays, nous devons veiller à la mettre dans son contexte approprié114.
La nécessité d'une réaction internationale concertée
Malgré la réussite à ce jour des régimes de non-prolifération, ils ne sont pas à toute épreuve et, au mieux, il faut les considérer comme des moyens d'avertir la communauté internationale de toute tentative d'acquérir des armes NBC et des missiles correspondants. Les éléments techniques de ces régimes doivent être continuellement renforcés; cependant, les tâches les plus difficiles seront de créer l'unité politique au sein de la communauté internationale, de manière à ce qu'elle puisse réagir de manière adéquate à l'acquisition ou à l'utilisation d'armes biologiques et chimiques, et de repousser toute tentative d'utiliser la menace de ces armes pour justifier la possession d'armes nucléaires.
Selon certains, ce rôle donné aux armes nucléaires est une évolution évidente des politiques de dissuasion. Le commandant en chef du Commandement spatial américain, le général Howell Estes III, a admis toutefois, au cours de l'été 1998, que même si la dissuasion avait fonctionné dans le passé à l'encontre de l'Union soviétique et maintenant de la Russie, à l'avenir, les missiles nucléaires « seront dans les mains de gens qui ne pourront pas être dissuadés », parce que de tels missiles sont « réellement une arme de type terroriste115. » Ce genre de commentaire devrait probablement être pris dans le contexte du débat sur l'intérêt des systèmes de défense antimissiles qui se poursuit aux États-Unis; cependant, l'argument fondamental concernant les limites de la dissuasion demeure. Camille Grand a prétendu devant le Comité que le recours aux armes nucléaires pour réagir à une attaque chimique ou biologique serait en fait inutile et très improbable. Malgré cela, cette menace sapera la volonté des États-Unis et d'autres États dotés d'armes nucléaires de poursuivre d'autres activités de désarmement nucléaire. Le Canada et d'autres États non dotés de l'arme nucléaire doivent donc souligner que les dangers des armes biologiques ou chimiques ne peuvent pas être invoqués pour justifier le maintien d'un armement nucléaire. Comme on le verra au chapitre 5, un certain nombre de témoins ont ajouté que, pour être efficaces, les efforts internationaux pour empêcher la prolifération des armes biologiques ou chimiques, sans recours aux armes nucléaires, exigeront un engagement accru de la part de tous les États à l'égard de la diplomatie collective et, si besoin est, de l'action militaire.
Même s'il doit exister une capacité internationale de réagir de manière adéquate après coup à l'emploi ou à l'acquisition de telles armes, la prévention est clairement le choix privilégié. Premièrement, il faut renforcer les régimes de non-prolifération existants, qui sont axés sur le refus de la technologie et du matériel et la surveillance des installations qui seraient susceptibles de produire des armes. Mais ce qui compte davantage, c'est la capacité de ces régimes de susciter la confiance; outre le fait qu'ils renforcent la norme internationale contre leur acquisition ou leur utilisation, ils assurent les États que leurs voisins n'ont pas accès à ces armes, ce qui permet de réduire les tensions régionales.
Resserrement des contrôles sur les armes chimiques et biologiques (ACB) et les missiles correspondants
Même si le Protocole de Genève de 1925 a interdit l'utilisation aussi bien des armes biologiques que chimiques, il n'en a pas interdit la possession et ne renfermait pas de mécanisme de mise en application. L'attention a été attirée sur les armes chimiques dans les années 1980 après qu'elles aient été utilisées durant la guerre entre l'Iran et l'Iraq. En 1985, un groupe sans caractère officiel, le Groupe Australia, a reçu la mission de prévenir la prolifération de ces armes, alors que des négociations étaient entreprises pour parachever une convention plus complète sur les armes chimiques. Durant les années suivantes, le mandat du Groupe Australia a été élargi, d'abord pour inclure les armes biologiques et, après la révélation de l'ampleur des programmes d'ACB de l'Iraq et l'attaque du métro de Tokyo, pour intervenir auprès d'autres groupes en plus des États eux-mêmes. Ce Groupe, composé de 30 membres, applique maintenant des décisions collectives par l'intermédiaire de systèmes nationaux de contrôle des exportations, pour limiter le transfert d'articles qui figurent sur une liste de mise en garde : précurseurs chimiques, matériel utilisé dans la production d'armes chimiques et biologiques et agents et organismes employés pour mener une guerre biologique.
Après des années de négociation, la Convention sur les armes chimiques (CAC), qui interdit la mise au point, la fabrication et la possession de ces armes, est entrée en vigueur en 1997. En plus de faire plafonner, en vertu de la loi, la prolifération des armes chimiques dans plus de 100 pays et d'être la première entente internationale vérifiable de contrôle des armements et de désarmement interdisant une catégorie complète d'armes, cette convention a contribué à une réduction des programmes dans un certain nombre d'États, comme la Chine, l'Inde et la Corée du Sud, qui ont déclaré de façon inattendue posséder des installations de production ou des stocks d'armes chimiques. Avant tout, la Convention sur les armes chimiques a fixé une nouvelle norme relative aux procédures intrusives de vérification internationales administrées par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. Durant la première année d'application de cette convention, des progrès ont été réalisés pour atteindre ses objectifs, mais plusieurs États soupçonnés d'être dotés d'armes chimiques ne l'ont pas encore signée. En outre, puisqu'ils n'ont pas encore soumis les données qu'exigent ses dispositions sur la transparence, une majorité d'États qui sont parties à la CAC étaient en « non-conformité technique » au premier anniversaire de la Convention116.
La Convention de 1972 sur les armes biologiques et à toxines (CABT) a interdit la fabrication et le stockage de ces armes, même si elle a permis la recherche axée sur les moyens de défense. Dans cette convention, l'absence de dispositions concernant la vérification, qui ont été incluses dans des traités négociés plus récemment, constituait un grave lacune. Des efforts ont été déployés depuis 1994 pour négocier un instrument liant les parties en droit, afin de renforcer les procédures de transparence et de vérification découlant de la convention, en utilisant comme modèle la Convention sur les armes chimiques. Ces efforts ont jusqu'à maintenant permis de produire le « texte évolutif » d'un projet de Protocole de vérification, mais une grande partie de la nomenclature contestée doit encore être négociée, ce qui laisse planer beaucoup d'incertitudes sur le moment où l'on parviendra à un résultat et sur ce en quoi il consistera.
En 1987, à la suite de la « Guerre des cités » entre l'Iraq et l'Iran, le Canada et d'autres pays du G-7 ont établi le Régime de contrôle de la technologie relative aux missiles (RCTM) pour limiter le transfert de missiles capables de transporter des charges nucléaires. En 1993, la portée du RCTM a été élargie pour couvrir les systèmes de lancement automatisés capables de transporter des armes chimiques ou biologiques. Outre la croissance du nombre officiel de membres au sein du régime, qui est maintenant de 28 États, d'autres, comme Israël et l'Ukraine, ont annoncé qu'ils adhéreront aux Lignes directrices du RCTM.
Le Canada et d'autres États doivent demeurer conscients de la nouvelle dynamique de l'après-guerre froide, qui a modifié la menace de prolifération d'armes NBC, et s'assurer que la communauté internationale est unanime à reconnaître la nécessité de réagir avec force aux violations de sa sécurité dans ce domaine. Cependant, il faut d'abord prêter attention au renforcement des mécanismes internationaux existants pour empêcher la prolifération des armes NBC. Même si la dernière décennie a été marquée de réussites dans ce domaine, par suite des événements survenus en Iraq, la suffisance n'est pas de mise.
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada appuie les efforts internationaux visant à empêcher la prolifération des armes chimiques et biologiques et des systèmes de lancement de missiles correspondants, et à consacrer des fonds suffisants à la vérification. En plus de renforcer la Convention sur les armes biologiques et à toxines par la négociation d'un protocole de vérification et de continuer d'appuyer l'application de la Convention sur les armes chimiques, le gouvernement devrait aussi examiner les méthodes visant à accroître l'efficacité du Groupe Australia et du Régime de contrôle de la technologie relative aux missiles, ainsi que la coopération en matière de renseignements et d'application de la loi pour empêcher les terroristes de se doter de ces armes.
LE RÉGIME DE NON-PROLIFÉRATION NUCLÉAIRE
Même si les derniers essais nucléaires en Asie du Sud ont assené deux coups durs au régime de non-prolifération, il est essentiel de penser à long terme, en faisant preuve de patience et en appliquant les politiques de manière constante. En réalité, le régime de non-prolifération, qui semble fragile, est très solide et il le demeurera aussi longtemps que se maintiendra la tendance mondiale à réduire les stocks et à ne plus compter sur les armes nucléaires. Maintenir un régime fort a toujours dépendu de l'attention qu'on lui porte, de la nouvelle vigueur qu'on lui insuffle et des efforts d'innovation dont on peut faire preuve. Cette perspective à long terme donne raison d'espérer que des efforts diplomatiques orientés peuvent réduire au minimum et même inverser la prolifération. Toutefois, comme le montre le non-alignement de l'Inde et du Pakistan, les défis qui nous attendent exigeront d'accorder une plus grande priorité à la non-prolifération et de faire preuve de vision, de détermination et d'ingéniosité.
Carnegie Endowment for International Peace, juillet 1998117
Le régime international de non-prolifération nucléaire établi durant les trois dernières décennies se compose d'une série complexe de traités internationaux interreliés, d'engagements bilatéraux et d'inspections multilatérales, qui visaient tous à arrêter la propagation des armes nucléaires. Outre le Traité de non-prolifération nucléaire qui revêt une très grande importance, les principaux éléments de ce régime sont l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui vérifie essentiellement l'application du TNP, et les systèmes de contrôle des exportations des principaux États fournisseurs de matériel nucléaire118. Même s'il n'est pas parfait, ce régime a été très efficace jusqu'à maintenant pour limiter la prolifération et il a été renforcé dans les années 1990, notamment par suite des événements survenus en Iraq et des décisions de la Conférence, de 1995, d'examen et de prorogation du TNP.
Même si ces éléments techniques sont essentiels à la réussite du régime de non-prolifération, comme on l'a vu dans tout le rapport, les enjeux réels demeurent politiques. Réduire l'importance perçue des armes nucléaires est primordial pour persuader les États de ne pas s'en doter. Comme on l'a vu au chapitre 2, il ne sera pas facile de persuader l'un ou l'autre des cinq États dotés de l'arme nucléaire ni les trois autres États dotés d'une capacité nucléaire militaire - l'Inde, Israël et le Pakistan. Toutefois, au cours des années 1990, un certain nombre d'États ont déterminé que le fait de chercher à se doter d'armes nucléaires ou à les conserver irait à l'encontre de leur sécurité et non l'inverse.
Les défis sont demeurés, mais jusqu'aux essais nucléaires de mai 1998 en Asie du Sud, la force croissante du régime de non-prolifération nucléaire était évidente : avant d'adhérer au TNP, un certain nombre d'États ont fait plus que simplement s'engager à ne pas fabriquer d'armes nucléaires; ils ont choisi, en fait, de renoncer aux armes nucléaires sur leur territoire (le Bélarus, le Kazakhstan et l'Ukraine), de détruire les stocks nucléaires (l'Afrique du Sud) et de réduire les programmes nucléaires (le Brésil et l'Argentine). La négociation de deux autres zones libres d'armes nucléaires (ZLAN) durant les années 1990, en Asie du Sud-Est et en Afrique, signifie qu'au moment où tous les traités existants et nouveaux concernant les ZLAN seront entrés en vigueur, les armes nucléaires seront interdites dans tout l'hémisphère sud, à l'exception des océans ouverts, ainsi que dans certaines parties de l'hémisphère nord119.
Le TNP lui-même a été renforcé grâce à sa prorogation indéfinie par consensus à la Conférence, de 1995, d'examen et de prorogation du TNP. Les États participant à cette conférence ont aussi décidé de renforcer son processus d'examen, ont adopté une Déclaration de principes et d'objectifs pour la non-prolifération nucléaire et le désarmement et ont demandé que l'on négocie l'instauration d'une zone libre d'armes de destruction de masse au Moyen-Orient. Comme l'ambassadeur au désarmement, Christopher Westdal, qui a dirigé les initiatives canadiennes lors de cette conférence, a expliqué au Comité un mois plus tard :
Le principal, c'est que la permanence enchâsse les valeurs du Traité. Nous, c'est-à-dire la communauté mondiale, nous sommes engagés sans ambages à prôner la non-prolifération des armements nucléaires, le désarmement et l'utilisation pacifique contrôlée de l'énergie nucléaire. Ces principes ne seront pas remis en question de temps en temps; ils font maintenant partie des valeurs permanentes qui sont reconnues par la collectivité mondiale.
Des valeurs permanentes et non temporaires, irrémédiablement porteuses d'incertitude, se rattachent dorénavant au principe de la non-prolifération des armements nucléaires et du désarmement. Voilà en ce qui concerne la décision de reconduction.
Les principes et objectifs sont comme un modèle; ils constituent un engagement politique envers un programme d'action - et cette phrase a été contestée pendant pas mal de temps, ce qui ne s'était jamais vu - dont le but final est le désarmement nucléaire complet. Nous sommes résolus à le mettre en oeuvre progressivement120.
Le principal indice démontrant que ce régime était bel et bien meilleur est le fait que non seulement il n'est apparu, durant les années 1990, aucun nouvel État doté d'une capacité nucléaire militaire (on estimait déjà, en général, que l'Inde et le Pakistan, comme Israël, étaient dotés d'une capacité nucléaire militaire en 1990), mais il y a eu aussi une réduction du nombre d'États qui cherchaient activement à se doter d'armes nucléaires. Comme le Carnegie Endowment for International Peace l'a expliqué en juillet 1998, dans son guide qui fait autorité en la matière et qui est intitulé Tracking Nuclear Proliferation,
[. . .] aujourd'hui, il reste seulement sept pays sur la « liste de surveillance » de la prolifération nucléaire active : Israël, l'Inde et le Pakistan, que l'on considère tous trois comme étant capables de déployer ou de lancer des armes nucléaires; et l'Iran, l'Iraq, la Libye et la Corée du Nord, qui sont moins avancés dans leur quête d'armes nucléaires, mais qui demeurent cependant des États posant un important problème sur le plan de la prolifération.
[. . .] beaucoup moins de pays tentent actuellement de se doter d'armes nucléaires (ou de la capacité de les fabriquer) que ce n'était le cas durant les années 1980. On considérait déjà alors comme représentant une menace à l'égard de la prolifération les sept États qui suscitent aujourd'hui le plus de préoccupations121.
Les essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan représentent un important défi politique aux normes internationales qui appuient le régime de non-prolifération nucléaire, et il faut y répondre avec fermeté. Comme le professeur William Walker de l'University of St. Andrews, en Écosse, l'a écrit dans son mémoire d'août 1998 adressé au Comité,
À l'heure actuelle notre plus grand ennemi est le pessimisme. D'aucuns prétendent, plus particulièrement aux État-Unis, que les événements en Asie du Sud prouvent que le traité de non-prolifération a échoué, qu'une future prolifération nucléaire est inévitable, que l'adhésion au Traité sur l'interdiction des essais et l'élaboration de nouvelles mesures de contrôle des armements ne sont pas souhaitables et que l'on ne peut compter que sur une dissuasion nucléaire. Ces prétentions ne sont pas fondées. En fait, les secousses qu'a suscitées le comportement de l'Inde et du Pakistan ont révélé la force de l'engagement à des normes et à des institutions qui limitent le stockage et l'utilisation d'armes nucléaires. Il est toutefois malheureux que de telles prétentions aient un attrait politique et témoignent de puissants intérêts matériels. Y ajouter foi, c'est nuire sérieusement à ces normes et à ces institutions. Il faut réaffirmer l'importance qu'elles revêtent pour la sécurité internationale, plus particulièrement en réaffirmant les principes et les objectifs de la non-prolifération nucléaire sur lesquels se sont entendus tous les États parties au TPN lors de la Conférence d'examen de 1995122.
Le Traité de non-prolifération nucléaire
Le Traité de non-prolifération nucléaire demeure l'élément central du régime international visant à empêcher une plus grande propagation des armes nucléaires et à assurer leur élimination ultime. Les témoins entendus par le Comité ont formulé à l'unanimité des recommandations visant à préserver et à renforcer ce Traité, sans lequel il n'existerait aucune restriction juridique ou politique limitant l'action de toute nation qui aurait décidé de se doter d'armes nucléaires, ni aucune obligation pour les États dotés de l'arme nucléaire de les éliminer. L'ambassadeur Thomas Graham a indiqué au Comité à Washington que le TNP était, selon lui, probablement le plus important accord de sécurité international après la Charte des Nations Unies123. Tariq Rauf a élaboré sur ce point devant le Comité :
[. . .] le TNP est la pierre angulaire du régime international de non-prolifération. Sans le TNP, il n'y aurait pas de réductions des armes stratégiques et pas de réductions des armes nucléaires. Sans le TNP, nous n'aurions pas l'assurance que les nombreux pays - 38 pays environ - qui sont dotés de programmes nucléaires civils ne détournent pas ces technologies et ces matières pour les utiliser dans des armes nucléaires.
Le Traité de non-prolifération est le seul engagement juridique multilatéral qui a été pris par les cinq puissances nucléaires en vue de réduire et d'éliminer en bout de ligne leurs armes nucléaires.
Cet engagement a été renforcé en 1995 [. . .] lorsque le TNP a été prolongé indéfiniment. En outre, en vertu de la Résolution 984 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 11 avril 1995, les cinq États dotés de l'arme nucléaire ont donné des assurances de sécurité négatives exécutoires à tous les membres du TNP non dotés de l'arme nucléaire, à l'effet qu'ils n'utiliseraient pas ou ne menaceraient pas d'utiliser des armes nucléaires contre eux124.
Le TNP est une transaction complexe qui a été négociée au fil des ans afin de réaliser plusieurs objectifs : veiller à ce que le nombre d'États dotés de l'arme nucléaire soit plafonné à cinq (Articles I et II); veiller à ce que les États qui renonçaient à l'option nucléaire puissent encore coopérer pour mettre en valeur le potentiel pacifique de l'énergie nucléaire et avoir accès à l'utilisation pacifique de cette énergie sous la supervision de l'Agence internationale de l'énergie atomique (Articles III, IV et V); et veiller à ce que les États dotés de l'arme nucléaire négocient pour mettre fin à la course à l'armement et éliminer finalement les armes nucléaires (Article VI). Comme Lorne Green, directeur de la nouvelle Agence de non-prolifération nucléaire et du désarmement au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, l'a résumé pour le Comité en février 1998 :
[. . .] on en arrive à ce qu'on appelle en mathématiques un compact implicite, voire explicite, concernant les trois éléments du Traité de non-prolifération. D'abord, les pays qui n'ont actuellement pas d'armes nucléaires n'en acquerront jamais. Deuxièmement, les pays qui ont une capacité de production nucléaire, que ce soit en matière de production d'électricité, de médecine ou d'agriculture, feront bénéficier les autres pays, surtout les pays en développement, des fruits de l'application de l'énergie atomique à des fins pacifiques. Troisièmement, les puissances nucléaires ont tenu et sont parvenues à éliminer leur arsenal nucléaire. Voilà le compact à trois éléments dont je veux parler125.
Un important aspect du TNP, c'est qu'il est maintenant presque universel : même si quelque 60 États - un tiers du total mondial - n'étaient pas parties au Traité en 1990, ce nombre est maintenant passé à quatre : l'Inde, Israël, le Pakistan et Cuba126; avec 187 États signataires, le TNP est le traité existant sur le contrôle de l'armement auquel on adhère le plus largement. Outre le fait que cela démontre la vigueur de la norme internationale contre la non-prolifération nucléaire, cela signifie que dans un sens, la communauté internationale peut se concentrer sur la question plus pratique d'assurer la conformité au Traité.
Une obligation internationale
Le Canada a été l'un des plus vigoureux promoteurs du Traité de non-prolifération nucléaire et des mesures de désarmement que celui-ci exige des cinq États dotés de l'arme nucléaire. Cependant, le TNP constituait, nécessairement, un compromis; autre élément important, confirmé en 1995 et signalé à maintes reprises durant les audiences du Comité : le lien explicite qui existe dans le Traité entre l'accord, par la majorité des États, de ne pas se doter d'armes nucléaires et l'obligation de toutes les parties de faciliter, dans la plus grande mesure possible, le partage de la technologie nucléaire à des fins pacifiques, conformément à des garanties internationales strictes. Comme l'ambassadeur au désarmement, Christopher Westdal, l'a déclaré au Comité en 1995, à la suite de la décision par consensus de proroger indéfiniment le TNP et d'accroître la responsabilisation des États dotés de l'arme nucléaire, « ayant joué un rôle clé pour persuader les parties que la permanence assurerait une imputabilité plus solide, le Canada sera particulièrement responsable d'assurer que les promesses contenues dans le Traité sont bel et bien tenues127. »
Même si le Canada a le droit de fixer les conditions selon lesquelles il permettra la coopération nucléaire internationale, aussi longtemps qu'il possède chez lui une industrie nucléaire, il est obligé de faciliter cette coopération. Certains critiques ont prétendu, devant le Comité et ailleurs, que le rôle du Canada, à titre de plus important exportateur d'uranium et d'important exportateur de technologie nucléaire, sape ses objectifs en matière de non-prolifération. Comme Kristen Ostling de la Campagne contre l'expansion du nucléaire l'a écrit dans un mémoire,
Le Canada a adopté une politique de non-prolifération nucléaire; le problème, c'est que fondamentalement, elle n'a pas les résultats escomptés. Au cours des 50 dernières années, le Canada a dû continuellement faire des compromis, étant pris entre son rôle d'« intermédiaire impartial » dans le cadre d'initiatives axées sur le désarmement nucléaire et les mesures qu'il décidait de prendre afin de promouvoir des programmes nucléaires à fins civiles, aussi bien sur son territoire qu'à l'étranger. C'est ainsi que tous les efforts consentis par les autorités fédérales et provinciales pour commercialiser les réacteurs CANDU et l'uranium, en prétendant que c'est faire une utilisation « pacifique » de l'atome, contribuent en fait à miner la sécurité mondiale128.
Même si le Comité comprend la frustration de ceux qui estiment que les objectifs de non-prolifération internationaux sont compromis, l'engagement de partager la technologie nucléaire est un aspect fondamental du Traité. Par conséquent, la priorité doit être de s'assurer qu'une telle coopération nucléaire internationale ne contribue pas à la prolifération des armes nucléaires, de mieux faire comprendre le système à la population et de gagner sa confiance.
L'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire
Un accès garanti aux bénéfices de l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire a été finalement incorporé au Traité de non-prolifération nucléaire; cependant, la nécessité de trouver un moyen sûr de le faire avait été reconnue dès le discours de 1953 - « Des atomes pour la paix » - du président américain, Dwight Eisenhower, devant les Nations Unies, discours où il suggérait aussi une réduction de la production des matières fissiles.
En principe, il y a au moins cinq types d'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire : la propulsion; le génie civil et l'extraction minière; la recherche; l'utilisation d'isotopes à des fins médicales, agricoles et industrielles; et la production d'électricité129. Le recours à l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité a été considéré comme une possibilité intéressante pour les pays en développement et autres nations dès les années 1950, lequel recours est devenu, au fil des décennies, la plus importante application de l'énergie nucléaire dans le monde entier. Au départ, on supposait que le plutonium généré par l'exploitation efficace des réacteurs nucléaires ne pouvait pas être utilisé à des fins explosives; lorsque cela s'est révélé inexact, l'Agence internationale de l'énergie atomique a été créée pour surveiller l'exploitation des réacteurs de puissance, leurs installations connexes et les matières nucléaires qu'ils utilisaient. Comme l'a signalé Gordon Edwards du Regroupement canadien pour la surveillance du nucléaire devant le Comité, ce système a ses limites. Pour reprendre ses termes :
Le simple bon sens nous dit que vérifier les livres de compte n'empêche pas le vol. Cela nous apprend simplement, mais après coup, qu'un vol s'est produit. Il n'existe aucun système permettant de prévenir complètement tout risque de vol d'argent, de diamants, d'héroïne, d'or ou de n'importe quoi. Prétendre que les inspections ont empêché le détournement de plutonium est un leurre pur et simple. Le fait est - et le premier ministre Trudeau l'a dit sans ambages - que ces mesures de sauvegarde reposent en dernière analyse sur une chose et une seule : la bonne foi des gens qui donnent leur parole. Or, vous avez pu constater vous-mêmes que l'Iraq n'a pas tenu parole, tout comme la Corée du Nord, l'Inde ou, à l'avenir, d'autres pays130.
Le Programme pour promouvoir la non-prolifération nucléaire l'a reconnu lorsque ses responsables ont allégué, en 1998 : « L'AIEA n'a jamais aspiré à empêcher la mauvaise utilisation de ces installations ou matières dans ce contexte; son but était plutôt, et il l'est toujours, de décourager cette mauvaise utilisation en donnant à la communauté internationale un préavis de tous les détournements des utilisations déclarées131. »
L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA)
Créée en 1957, l'Agence internationale de l'énergie atomique est une organisation internationale dont les missions principales consistent à faciliter l'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques et à mettre en oeuvre un système de vérifications et d'inspections sur place (connu collectivement sous le terme de « garanties ») pour veiller à ce que les installations et les matières nucléaires ne soient pas détournées à des fins d'explosion nucléaire. Outre la surveillance de toutes les activités nucléaires pacifiques dans les États non dotés de l'arme nucléaire en vertu du TNP, l'AIEA surveille aussi des installations individuelles et des matières nucléaires connexes dans les États non signataires du TNP, comme l'Inde, le Pakistan et Israël, à leur demande, et s'assure que ces installations ne peuvent pas facilement être utilisées pour appuyer des programmes d'armement nucléaire.
Même si la plupart des membres du Comité acceptent que l'AIEA est l'organisme le plus compétent pour s'assurer que les activités nucléaires demeurent liées à des utilisations civiles, certains témoins ne partageaient pas cette opinion. Comme Irene Kock, du Nuclear Awareness Project l'a indiqué :
L'Agence internationale de l'énergie atomique, comme vous le savez, est un organisme de l'ONU dont le double mandat est de promouvoir l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire et de gérer notre régime de sauvegarde au plan international.
Nous sommes très préoccupés par ce rôle foncièrement schizophrène. Nous croyons en effet qu'il est fondamentalement erroné de demander à l'Agence d'agir dans deux voies contradictoires en même temps. Nous pensons que l'Agence devrait être réformée, et je vous implore de recommander au gouvernement canadien de faire des pressions en ce sens pour que l'AIEA devienne strictement un organisme de sauvegarde. Nous souhaitons que le gouvernement agisse pour renforcer les mécanismes de sauvegarde et pour mettre un terme absolu à la promotion par l'ONU de l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire132.
Jusqu'en 1991, l'AIEA a surveillé uniquement les installations « déclarées » par le pays concerné. Après ses découvertes en Iraq, l'AIEA a cependant annoncé qu'elle exercerait désormais un pouvoir qu'elle n'avait pas encore utilisé antérieurement, celui de mener « des inspections spéciales », en exigeant l'accès à des sites non déclarés lorsque des activités nucléaires seraient soupçonnées. La valeur de ces inspections-surprises a été révélée l'année suivante, lorsque l'AIEA a tenté d'en effectuer en République populaire démocratique de Corée (la Corée du Nord), qui avait signé le TNP en 1985, mais qui n'avait pas conclu d'accord en matière de garanties avec l'AIEA avant 1992. Après la déclaration initiale par la République de ses matières et installations nucléaires, l'AIEA a effectué une série d'inspections qui a révélé des écarts. En 1993, l'AIEA ayant demandé d'effectuer une inspection spéciale de deux sites non déclarés, la Corée du Nord annonça que, conformément à ce que prévoyait le Traité si les « intérêts suprêmes » d'un pays étaient mis en danger, elle se retirait du TNP. Malgré un accord-cadre conclu en 1994, qui a vu la Corée du Nord suspendre son retrait du TNP et geler ses programmes nucléaires en contrepartie de réacteurs plus sûrs et de carburants lourds fournis par les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon, la question n'est pas encore réglée complètement et, en fait, elle est de nouveau source de préoccupations croissantes.
Comme Tariq Rauf l'a signalé devant le Comité, même si le cas de l'Iraq était un échec du régime de non-prolifération (même si cela a mené à des améliorations), ce qui s'est passé avec la Corée du Nord devrait être considéré comme une réussite. Selon lui :
Nous n'avons connu que deux cas, et parmi ces deux cas, le plus grave était celui de l'Irak. Ce fut un échec de la collectivité internationale qui n'a pas réussi à détecter ce programme plus tôt, mais ce fut également une collusion au sein de la collectivité internationale. Les États-Unis ont appuyé activement l'Irak dans sa guerre contre l'Iran. Ils ont partagé des renseignements de reconnaissance par satellite avec l'Irak. Les Irakiens étaient très bien renseignés sur la façon d'échapper aux satellites américains[. . . ]
La République populaire démocratique de Corée n'a pas été un échec. C'est l'AIEA qui a détecté à temps le problème du plutonium133.
L'AIEA a établi ensuite une nouvelle série de garanties dans le contexte du « Programme 93+2 » (commencé en 1993 et terminé en 1995), qui seraient beaucoup plus efficientes et efficaces. Essentiellement, plutôt que se concentrer comme avant sur la détection du détournement de matières aux installations nucléaires déclarées seulement, conformément au nouveau programme, l'AIEA pourrait détecter une activité non déclarée dans tout le pays concerné. Selon John Hodgkinson, de la Commission de contrôle de l'énergie atomique :
Le protocole [. . .] va donner considérablement plus de pouvoir à l'agence. Il va lui conférer un meilleur accès aux informations liées au cycle nucléaire et aux comportements nucléaires des États, et il lui permettra aussi d'accéder à d'autres emplacements que les sites nucléaires eux-mêmes afin de pouvoir investiguer davantage la situation de ces sites et même de se rendre dans des zones où il n'y a pas de site nucléaire, en se fondant pour cela sur des renseignements provenant d'autres sources et sur des analyses des renseignements liés aux garanties.
J'ai personnellement l'impression que grâce à ce nouveau système, les garanties seront considérablement renforcées et qu'il sera plus facile de les faire respecter qu'avec l'ancien système qui était uniquement fondé sur la vérification, par l'agence, de documents déclarés; les inspecteurs et les activités d'inspection étant essentiellement limités à certaines parties des installations déclarées. Le nouveau protocole accordera davantage de latitude à l'agence dans des situations comme celle de l'Irak134.
On a maintenant établi un projet de Protocole supplémentaire modèle pour mettre en application les nouvelles garanties, mais la mise en application de ce régime renforcé exigera que tous les États parties au TNP négocient volontairement et individuellement avec l'AIEA un Protocole supplémentaire qui complétera et remplacera tous les accords existants. Le Canada a choisi délibérément d'être parmi les premiers principaux États dotés d'énergie nucléaire à entamer des discussions sur un nouveau protocole avec l'AIEA; en juin 1998, on a indiqué au Comité que le Canada espérait adopter un tel protocole supplémentaire à l'automne 1998135; le protocole a été signé en septembre 1998, et on s'attend à ce qu'il entre en vigueur au cours des six premiers mois de 1999.
Même avec ces améliorations, le régime de garanties ne peut pas être parfait; cependant, son effet de dissuasion sera renforcé puisque, une fois qu'il sera mis en oeuvre, les violateurs éventuels ne pourront pas être assurés que leur mauvaise utilisation des matières nucléaires ne sera pas détectée. Parce que l'adoption d'un nouveau protocole est volontaire et que les négociations demandent du temps, la mise en application complète n'aura toutefois pas lieu rapidement. Outre le fait de prêcher par l'exemple, le Canada et d'autres États devront exercer des pressions politiques, si possible, pour encourager la pleine participation et accélérer le processus.
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada, ayant renforcé le régime de garanties internationales en signant le nouveau Protocole modèle avec l'Agence internationale de l'énergie atomique, utilise tous les moyens à sa disposition pour convaincre d'autres États de faire de même. Avant de conclure tout accord futur de coopération nucléaire avec tout autre État, le gouvernement devrait, à tout le moins, exiger que celui-ci adopte le nouveau Protocole modèle.
Contrôles des exportations nucléaires
Les deux mécanismes multilatéraux complémentaires pour limiter le transfert de matières nucléaires sont le Comité des exportateurs du Traité de non-prolifération, qui est désigné habituellement sous le nom de Comité Zangger, et le Groupe des fournisseurs nucléaires ou London Club. Le Comité Zangger a été mis sur pied en 1971 comme moyen de coordonner les restrictions sur l'exportation de la technologie nucléaire entre les exportateurs nucléaires qui étaient signataires du TNP, afin d'assurer que ces exportations ne puissent avoir lieu que conformément aux garanties de l'AIEA. En 1974, ce Comité a adopté une série de lignes directrices et une « liste d'alerte » d'articles dont l'exportation serait autorisée seulement vers les États prêts à accepter les garanties de l'AIEA. Le Comité Zangger, qui se compose de 33 membres, continue d'exister, mais son influence a beaucoup diminué ces dernières années.
À la suite de l'explosion par l'Inde d'un dispositif nucléaire en 1974, les États-Unis ont demandé que soit formé un Groupe de fournisseurs nucléaires, qui est allé plus loin que le Comité Zangger en incluant la France, laquelle n'était alors pas signataire du TNP, et en limitant les transferts de technologie de retraitement du plutonium et d'enrichissement de l'uranium. Le Groupe de fournisseurs nucléaires a décidé, à la suite de la guerre du Golfe, de « s'harmoniser » avec la liste de base du Comité Zangger, de modifier ses lignes directrices sur le contrôle des exportations pour inclure 65 articles « à double usage », ainsi que des articles purement nucléaires, et d'empêcher le commerce nucléaire avec les États, comme l'Inde et le Pakistan, qui n'acceptent pas les garanties de l'AIEA sur la totalité de leur infrastructure nucléaire136.
Accords bilatéraux
Les pays exportateurs nucléaires comme le Canada ont aussi mis en place des systèmes nationaux au fil des décennies. Dans les semaines qui ont suivi les essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan en mai 1998, on s'est attardé dans la presse et ailleurs surtout sur le rôle que le Canada a joué pour fournir la technologie nucléaire à ces deux pays il y a des dizaines d'années. Même si les critiques acceptent que le Canada a agi de bonne foi durant les années 1950 et 1960 et que l'Inde n'a pas respecté son engagement écrit d'utiliser cette technologie seulement à des fins pacifiques en faisant détoner un dispositif nucléaire dit « pacifique » en 1974, la question qui se pose réellement consiste à savoir si le Canada a tiré une leçon de cette expérience pour renforcer suffisamment son régime de contrôle des exportations nucléaires.
Comme Ralph Lysyshyn, directeur général, Direction générale de la sécurité internationale au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, l'a expliqué au Comité en juin 1998, le système moderne de contrôle des exportations nucléaires du Canada a été façonné par son expérience avec l'Inde, dont les actions, parce qu'elle n'a pas respecté ses engagements et a utilisé la technologie canadienne à des fins explosives, ont mené à l'actuel système plus rigoureux du Canada pour réglementer les exportations nucléaires137.
À partir du milieu des années 1950, peu après que le président Eisenhower ait lancé le programme des « Atomes pour la paix », afin d'assurer l'accès à la technologie nucléaire pacifique en échange d'une promesse de ne pas l'utiliser pour l'armement, le Canada a accepté de fournir à l'Inde, un pays ami membre du Commonwealth et un leader du mouvement des non-alignés, un réacteur de recherche nucléaire CIRUS (Canada-Inde-États-Unis) dans le contexte du plan Colombo. En échange, l'Inde a donné par écrit « des assurances pacifiques » que ce réacteur ne serait pas utilisé à des fins d'armement. Deux réacteurs de puissance, les RAPS I et II, ont été fournis de la même manière en 1963 et 1966. Dès 1971, il était devenu clair que l'Inde ne serait pas partie au nouveau Traité de non-prolifération nucléaire et n'accepterait pas les nouvelles garanties « de pleine portée » (complètes) établies par l'AIEA. Même si elle avait convenu d'accepter des garanties spécifiques limitées aux installations où se trouvaient les deux réacteurs RAPS, elle refusa de le faire pour le premier réacteur CIRUS. En 1974, en dépit de ses engagements à l'égard du Canada et d'autres fournisseurs nucléaires, l'Inde a fait détoner un dispositif nucléaire en utilisant du plutonium retraité à partir du carburant épuisé provenant du réacteur CIRUS. Le Canada a suspendu immédiatement toute coopération nucléaire avec l'Inde et, après un examen qui a renforcé la politique canadienne sur les exportations nucléaires, il a mis fin en 1974 à toute coopération nucléaire bilatérale avec ce pays.
En 1965, le Canada a aussi accepté de fournir au Pakistan un réacteur de puissance KANUPP en échange d'assurances qu'il serait utilisé seulement à des fins pacifiques. En 1969, le Pakistan a accepté d'appliquer au site les garanties spécifiques aux installations de l'AIEA. Lorsqu'il a refusé d'accepter les exigences d'une politique canadienne renforcée après 1976, le Canada a toutefois mis fin à la coopération nucléaire avec ce pays. Selon l'AIEA, aucune matière provenant des trois réacteurs visés par des garanties spécifiques aux installations, soit en Inde (deux), soit au Pakistan (un), n'a été utilisée pour les essais nucléaires de mai 1998.
En vertu de la politique canadienne renforcée, le Canada exige, avant d'envisager de conclure un accord de coopération nucléaire avec un État non doté de l'arme nucléaire, que cet État : prenne un engagement liant les parties en droit à l'égard de la non-prolifération nucléaire en devenant partie au TNP ou à un accord équivalent liant les parties en droit, acceptant ainsi les garanties complètes de l'AIEA pour toutes ses activités nucléaires actuelles et futures; conclue avec le Canada un accord de coopération nucléaire bilatéral liant les parties en droit qui vise la non-prolifération et d'autres engagements, notamment le contrôle canadien sur le retransfert à un tiers de tout article canadien assujetti à l'Accord de coopération nucléaire et, advenant que l'AIEA ne puisse appliquer les garanties dans ce pays, l'exécution, par le Canada, des garanties bilatérales. Ces exigences s'appliquent aussi aux matières et au matériel nucléaires non canadiens utilisés conjointement avec les articles nucléaires canadiens138.
L'exportation d'un article nucléaire exige un permis d'exportation du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et un permis de la Commission de contrôle de l'énergie atomique; ces permis sont délivrés seulement après que le fonctionnaire responsable se soit assuré que toutes les exigences de la politique canadienne sont satisfaites. Enfin, même si le respect de ces exigences minimales est nécessaire pour que le Canada puisse conclure un accord de coopération nucléaire avec un pays donné, les ministres doivent encore déterminer si le pays en question sera un partenaire nucléaire acceptable. Le gouvernement a déjà refusé ce genre de coopération; un membre du Comité a rappelé que l'Iraq avait tenté de conclure un accord de coopération avec le Canada : « L'Irak répondait à toutes les conditions préalables, mais nous avons décidé de ne pas lui vendre le réacteur, et nous estimons maintenant que c'était une sage décision139. » Bien que la majorité juge que cela dépasse la portée du présent rapport, dans le contexte de l'examen des meilleurs moyens à adopter pour assurer la force des politiques du Canada dans ce domaine, certains membres du Comité auraient préféré aborder la question plus générale à savoir si l'on doit accroître le rôle du Parlement en matière d'approbation des accords internationaux ou comment on peut le faire.
Ces exigences et décisions préalables sont beaucoup plus strictes que la politique qui était en vigueur lorsque le Canada a fourni de la technologie nucléaire à l'Inde et au Pakistan, mais il est aussi nécessaire, après avoir accepté de coopérer, de maintenir un dialogue constant avec les partenaires. M. Lysyshyn a ajouté ceci :
Dans le cadre de notre relation nucléaire permanente, des fonctionnaires canadiens procèdent périodiquement à des consultations bilatérales avec les partenaires du Canada. Ces consultations permettent entre autres de faire concorder les registres détaillés des transferts de produits nucléaires visés par l'accord et de s'assurer que les partenaires restent pleinement conscients de la grande priorité que le Canada attache au fait que la coopération dans ce domaine serve exclusivement des fins non explosives et pacifiques140.
Le Comité ne pense pas que des réunions « périodiques » - qui, en pratique, se résument à des rencontres annuelles avec les partenaires les plus importants du Canada et à des rencontres encore moins fréquentes avec les autres - sont suffisantes, étant donné la nécessité d'assurer l'intégrité du système et de convaincre les Canadiens de sa rigueur.
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada rencontre annuellement les autres signataires de tous les Accords de coopération nucléaire afin d'en examiner la mise en oeuvre, et qu'il dépose au Parlement un rapport qui rende compte des résultats de ces rencontres.
La sécurité nucléaire
Manifestement, la sécurité nucléaire est un important aspect de l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire. Au cours des audiences du Comité, les actions du Canada en ce domaine ont été remises en question à deux chapitres : les programmes de l'ACDI ayant trait aux questions nucléaires et la décision du Canada d'aider l'Inde et le Pakistan en matière de sécurité nucléaire, même après avoir mis fin à la coopération nucléaire bilatérale avec ces deux pays.
Dans le cas de l'ACDI, Charles Bassett, vice-président de la Direction générale de l'Europe centrale et de l'Est, a expliqué ce qui suit :
Le Programme canadien d'assistance technique dans le secteur nucléaire répond à des priorités accordées à la non-prolifération nucléaire par la communauté internationale, particulièrement après l'éclatement de l'Union soviétique. Il traduit une des priorités du gouvernement canadien en matière de politique étrangère, c'est-à-dire de promouvoir les intérêts et la sécurité du Canada, y compris la sûreté nucléaire141.
Étant donné que ce programme est financé en vertu de la partie du mandat de l'ACDI qui porte sur la coopération technique, M. Basset a signalé que cela ne réduisait en rien les sommes que consacre l'Agence à l'aide au développement. Les priorités du programme sont les suivantes : améliorer la sécurité des centrales nucléaires de conception soviétique; aider l'Ukraine à faire face aux problèmes découlant de l'accident de Tchernobyl; la non-prolifération. La plupart des membres du Comité se sont déclarés en faveur de ces priorités et des projets connexes. Certains, pourtant, se sont demandé s'il était souhaitable que l'ACDI consacre des fonds à une activité, quelle qu'elle soit, qui a trait au nucléaire. Comme on l'a vu au chapitre 2, une des questions les plus controversées dans ce domaine est celle du MOX; certains témoins et députés ont notamment remis en question la décision de l'ACDI de financer une étude de faisabilité de la conversion du plutonium en combustible MOX, effectuée par Énergie atomique du Canada limitée, au coût de 1,6 million de dollars.
M. Lysyshyn a expliqué au Comité que c'est en réaction aux craintes grandissantes exprimées partout dans le monde à propos de la sécurité nucléaire, à la suite de l'accident de Tchernobyl, que le Canada a autorisé l'Inde et le Pakistan à participer au programme qui permet de diffuser des renseignements publics, non techniques, ayant trait à la sécurité, au Groupe des propriétaires de réacteurs CANDU. Comme l'y engageait l'AIEA, le Canada a aussi autorisé, en 1990, une aide limitée sous les auspices d'organisme internationaux, afin de régler de problèmes « sérieux et urgents » de sécurité présentés par les réacteurs fournis au Pakistan et à l'Inde. L'Inde a rejeté cette offre d'assistance, mais le Pakistan l'a acceptée; il s'agissait principalement de poser un diagnostic et de voir s'il existait des problèmes de sécurité sérieux et urgents142.
Appuyer le TNP et poursuivre le désarmement
Ces dernières années, les relations nucléaires internationales ont été embrouillées par la controverse soulevée par le désarmement nucléaire mondial. Ce qui s'est passé en Asie du Sud a rendu le désarmement plus difficile, mais plus souhaitable et inévitable en termes d'objectif politique. Il faut trouver un mécanisme pour que les États puissent traiter la question du désarmement dans un contexte intergouvernemental. Le TNP sera menacé si les États dotés d'armes nucléaires, notamment les États-Unis, continuent à s'opposer à une telle initiative. Toutefois, nous devons adopter vis-à-vis du désarmement une attitude pragmatique - il est facile de prêcher le désarmement, mais difficile de mettre la théorie en pratique. On ne peut que faire preuve de patience en la matière et marginaliser progressivement les armes nucléaires : nous n'y parviendrons qu'en adoptant un processus de sensibilisation par étapes et non un projet grandiose axé sur l'élimination dans des délais prescrits. De mon point de vue, la question que doivent résoudre ensemble les États est comment s'y prendre pour lancer ce processus évolutif, et non comment dresser un plan détaillé de désarmement.
Professeur William Walker,
mémoire, août 1998143
On a beaucoup écrit sur l'évolution du programme nucléaire dans la foulée des tests effectués par l'Inde et le Pakistan, et pourtant, rien n'a changé. Même s'il est désormais plus difficile à mettre en oeuvre, le programme de non-prolifération et de désarmement - fondé sur le Traité de non-prolifération nucléaire, vieux maintenant de 30 ans, et la Déclaration de principes et objectifs pour la non-prolifération nucléaire et le désarmement, publiée en 1995 - reste inchangé. L'objectif est de s'assurer qu'aucun autre État ne se dotera d'armes nucléaires et que ceux qui en possèdent déjà les éliminent. Certains préfèrent faire une distinction entre les mesures de « non-prolifération » et celles qui ont trait au « désarmement », mais la double fonction du TNP rend cette distinction artificielle; continuer à faire des progrès en matière de désarmement est crucial si l'on veut appuyer les efforts de non-prolifération.
À la suite des tests nucléaires de l'Inde et du Pakistan, la communauté internationale doit évidemment être prête à adopter des orientations de politique novatrices à divers niveaux pour contenir les tensions régionales en Asie du Sud, veiller à ce que les ressources nucléaires ne servent pas à fabriquer des armes ou qu'elles ne soient pas déployées, et susciter à nouveau l'engagement de tous les États à l'égard du processus de désarmement nucléaire mondial. C'est toutefois le Traité de non-prolifération nucléaire qui doit demeurer le fondement de ces politiques. Le Comité rejette l'idée de rouvrir le TNP afin de reconnaître officiellement l'Inde et le Pakistan à titre d'« États dotés de l'arme nucléaire »; cela dévaloriserait le Traité lui-même et, de toute façon, l'opinion des 187 États qui ont accepté le compromis qu'il représente doit prendre le pas sur celle des quatre États qui ne l'ont pas fait. Même si l'Inde et le Pakistan ne sont pas prêts à l'heure actuelle à renoncer à leurs programmes nucléaires et à signer le Traité à titre d'États non dotés d'armes nucléaires, le but recherché reste l'universalité du Traité. Le Comité note qu'en 1968, la France - qui n'a signé le Traité que plus de 20 ans plus tard - déclarait qu'elle « se comporterait à l'avenir exactement comme les États qui adhèrent au Traité »; dans l'état actuel des choses, il serait utile que l'Inde et le Pakistan en fassent autant et s'engagent à se comporter comme s'ils étaient parties au TNP144.
D'ici à la prochaine conférence qui sera réunie en l'an 2000 pour examiner le TNP, il est essentiel que les États membres continuent de suivre sans faillir le processus renforcé d'examen, avalisé en 1995. Même si le Canada, l'Afrique du Sud et d'autres États ont tenté de s'assurer que le Comité préparatoire accepte l'idée d'une discussion des questions de fond plutôt que des questions de procédure, les États dotés de l'arme nucléaire ont jusqu'ici refusé de tenir les engagements qu'ils avaient pris en 1995. Cela a contribué à polariser encore plus le débat et si rien n'est fait à ce sujet, cela pourrait pousser certains États non dotés de l'arme nucléaire à remettre en question leur appui au TNP. Comme l'a fait remarquer Harald Müller au Comité, la réussite de la Conférence de 1995 est d'autant plus grande que l'on a décidé de fixer des objectifs provisoires pour soutenir l'élan du programme de désarmement :
Mais il y a une chose qu'on pourrait faire, qui a été faite lors de la conférence de 1995 sur la prolongation du TNP - c'est-à-dire identifier une ou deux mesures prioritaires auxquelles les États dotés d'armes nucléaires seraient censés donner suite au cours des cinq prochaines années. Cela s'est fait en 1995; le CTBT a été conclu et de sérieux efforts ont été mis en oeuvre en vue de la signature de convention de limitation. Ils ont tous les cinq observé le moratoire sur la production de matière fissible. Il serait tout à fait logique que les participants à la conférence sur le TNP de l'an 2000 identifient eux aussi une ou deux mesures, au plus trois, que les États doté d'armes militaires pourraient entreprendre de mettre en oeuvre au cours des cinq années suivantes. C'est le seul genre de délai que je trouve raisonnable145.
Les témoins ont analysé les mérites de divers traités et mécanismes de désarmement, allant du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires à une convention sur l'armement nucléaire. Leurs observations ne faisaient pas ressortir les mêmes préoccupations, mais ils ont tous reconnu la nécessité de donner un nouvel élan au programme multilatéral de désarmement qui n'a guère avancé ces dernières années, que ce soit dans le contexte de la Conférence sur le désarmement ou lors des réunions du comité chargé de préparer l'examen du TNP en l'an 2000. En plus de surmonter la polarisation croissante du débat que l'on a pu constater ces dernières années, la communauté internationale doit également s'assurer que les tests nucléaires en Asie du Sud servent le programme de désarmement et non l'inverse. Comme l'a fait remarquer Harald Müller :
Je doute fort que la Chine ratifie le Traité d'interdiction complète des essais, du moins pas avant que les plans de l'Inde ne se soient précisés. Cela veut vraisemblablement dire que la Russie et les États-Unis ne le ratifieront pas eux non plus. J'ai peine à croire que le Sénat américain actuel approuvera sa ratification si les deux supposés rivaux nucléaires demeurent sur leurs positions.
Bien sûr, ils auraient tort de réagir ainsi. Un signal clair et sans équivoque de la part des États dotés d'armes nucléaires qu'ils maintiendront l'approche progressive du désarmement nucléaire qu'ils ont adoptée jusqu'à maintenant est vraiment nécessaire si on veut limiter les répercussions négatives des actions de l'Inde et du Pakistan146.
Il ajouta : « Des mesures en faveur du désarmement nucléaire s'imposent sur quatre fronts » : mettre un terme à la course aux armements nucléaires, poursuivre les réductions par la voie du processus START, rassurer les autres États par des mesures comme la levée de l'état d'alerte, et instaurer une plus grande transparence grâce à des outils comme le registre des armes nucléaires couvrant les armes et les matières fissiles, proposé par l'Allemagne en 1993147.
Le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (CTBT), qui interdira aussi les expériences technologiques sur les ogives, doit entrer en vigueur dans les meilleurs délais; le Canada devrait faire en sorte de le ratifier aussi rapidement que possible et encourager les États-Unis et d'autres États à le faire également. Le Traité stipule qu'une conférence réunissant les États qui l'ont déjà ratifié soit organisée, au cas où il ne serait pas entré en vigueur d'ici 1999. La communauté internationale devrait s'efforcer de convaincre l'Inde et le Pakistan d'accepter le CTBT sans conditions. S'ils refusent, les États rassemblés à la conférence en question devraient suivre l'avis donné, entre autres, par l'ambassadeur Thomas Graham et prendre toutes les mesures permises en vertu du droit international pour faire entrer le traité en vigueur, quoi qu'il en soit148.
Les témoins qui ont comparu devant le Comité ont aussi souligné l'importance du Traité sur l'arrêt de production de matière fissile (FMCT) qui resteindra le nombre d'ogives qui peuvent être fabriquées. Même si l'on est parvenu à un accord pour poursuivre la négociation d'un tel traité, le projet est resté en plan depuis des années. Camille Grand fait remarquer :
Je crois qu'un pays comme le Canada a un rôle à jouer dans un processus de type Ottawa, parce qu'il est vrai que les puissances nucléaires sont peut-être mal placées pour pousser un traité de ce type.
[. . . ] les États non nucléaires disposant d'une industrie nucléaire puissante, comme le Canada et l'Allemagne, ont un rôle à jouer pour sortir ce traité de l'espèce d'ornière dans laquelle il est bloqué à Genève, pour des questions de procédures qui sont extraordinairement regrettables [. . .] Je crois qu'une vraie poussée de la part d'États occidentaux non nucléaires avec une tradition de désarmement pourrait être bénéfique149.
Le Comité a donc été satisfait d'apprendre qu'en août 1998, une entente est intervenue pour poursuivre enfin la négociation du FMCT lors de la Conférence sur le désarmement, ce qui est à la fois une occasion singulière de traiter ces questions dans une nouvelle perspective et un signe positif, puisque cette décision démontre que même les positions les plus fermement ancrées peuvent changer. Le Comité est tout particulièrement satisfait de savoir que l'ambassadeur Mark Moher a été chargé de présider le Comité de négociation; comme ce fut le cas lorsque le Canada a présidé la Conférence diplomatique de Rome, où l'on est parvenu à une entente sur une disposition donnant au Tribunal pénal international un rôle fort et efficace, il faut maintenant que le leadership du Canada s'exerce pour que l'on négocie un traité de grande portée sur l'arrêt de la production de matières fissiles.
Le Comité recommande que le gouvernement canadien accentue ses efforts, en collaboration avec des États, d'optique commune, tels ses alliés de l'OTAN, pour faire avancer le programme mondial en matière de désarmement et de sécurité :
- Le Canada devrait réaffirmer son appui au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en tant que pierre angulaire du régime mondial de non-prolifération nucléaire et contrer toute tentative ayant pour objet une révision du Traité destinée à reconnaître l'Inde et le Pakistan à titre d'États dotés d'armes nucléaires en vertu de ses dispositions. Le Canada devrait également continuer à s'efforcer d'assurer que les États dotés d'armes nucléaires respectent leurs engagements relatifs à un examen en profondeur du TNP qui devrait mener à une mise à jour de la Déclaration de principes et objectifs pour la non-prolifération nucléaire et le désarmement, lors de la Conférence d'examen du Traité qui aura lieu en l'an 2000.
- Le Canada devrait ratifier le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires dans les meilleurs délais et inciter tous les autres États à le faire également. Au cas où l'Inde et le Pakistan refuseraient d'adhérer au Traité sans conditions, le Canada devrait encourager la communauté internationale à faire en sorte que le Traité entre en vigueur, quoi qu'il en soit.
- Le Canada devrait assumer un rôle de premier plan, lors de la Conférence sur le désarmement, dans la négociation d'un traité de grande portée sur l'arrêt de la production de matières fissiles, qui appuie les deux grands objectifs, la non-prolifération et le désarmement.
- Le Canada devrait appuyer la création d'un registre des armes nucléaires couvrant les armes et les matières fissiles, comme l'a proposé l'Allemagne en 1993.
- Le Canada devrait appuyer les efforts visant à conclure une convention sur le désarmement nucléaire.
Chapitre 4 :
L'OTAN et l'arme nucléaire
Tout d'abord, la politique nucléaire périmée donne à penser que l'OTAN est périmée. Ici, je parle des perceptions de la population. Celle-ci continue en effet de croire fermement que l'OTAN s'agrippe à sa politique nucléaire parce que sans elle, elle n'aurait plus de raison d'être. Rien n'est plus faux, à mon avis. Le rôle joué par l'OTAN aujourd'hui en matière de coopération et de renforcement de la sécurité, en collaboration avec les pays de l'ex-Pacte de Varsovie, notamment en Bosnie, illustre le rôle extrêmement important que l'OTAN peut jouer dans l'après-guerre froide sans politique nucléaire de première frappe.
[. . .] il ne faut jamais fermer les yeux sur l'absence d'appui dans la population pour une institution donnée, voire son cynisme, surtout lorsque la survie de l'institution exige des moyens considérables [. . .] l'OTAN doit montrer qu'elle est de son temps en matière de politique nucléaire.
Peggy Mason,
ancienne ambassadrice canadienne au désarmement et au contrôle des armements150
Étant donné que le Canada ne possède pas d'armes nucléaires en propre, son lien le plus évident avec le nucléaire découle de son adhésion à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), qui procède à l'heure actuelle à « un réexamen et une actualisation, le cas échéant » de son Concept stratégique de 1991, exercice qui devrait être terminé d'ici avril 1999. L'Alliance a donc été au coeur des travaux du Comité.
Depuis la fin de la guerre froide, l'OTAN a beaucoup évolué, tant sur le plan extérieur, grâce à l'amélioration de ses relations avec la Russie et d'autres anciens adversaires, que sur le plan interne. En ce qui concerne le nucléaire, elle déclarait, en 1990, que les armes nucléaires devaient être considérées « véritablement comme les armes de dernier recours » et, en 1993, elle décidait de réduire considérablement le nombre des bombes nucléaires à larguer américaines stockées en Europe pour son propre usage et de mettre en veilleuse le système d'alerte de l'avion à double capacité pouvant les transporter. Mais plus tard au cours de la décennie, les membres de l'OTAN se sont penchés sur d'autres questions importantes, comme l'élargissement de l'OTAN et les opérations de maintien de la paix en Bosnie, et ont mis de côté ce qui avait trait au rôle des armes nucléaires au sein de l'Alliance. En 1997, les État membres de l'OTAN ont répondu aux préoccupations russes à propos de l'élargissement de l'Alliance en réitérant qu'ils n'avaient « aucune intention, aucun projet et aucune raison de déployer des armes nucléaires sur le territoire de nouveaux membres » et n'avaient « aucunement besoin de modifier un quelconque aspect du dispositif ou de la politique nucléaire de l'OTAN - et n'en prévoient nullement le besoin pour l'avenir151. »
Toutefois, certains estiment que le fait que l'OTAN ne souhaite pas réexaminer les principes fondamentaux de la politique nucléaire de l'Alliance - et refuse, en particulier, d'exclure le droit de première utilisation des armes nucléaires, même en réponse à une attaque conventionnelle - montre bien que l'on n'a pas réussi, dans le monde, à adapter les mentalités à l'égard des armes nucléaires aux changements révolutionnaires survenus dans le domaine de la politique et de la sécurité internationales. Certains témoins, comme l'ancien ambassadeur au désarmement, Doug Roche, sont allés plus loin en déclarant qu'en appuyant cette position de l'OTAN, malgré les progrès réalisés en matière de non-prolifération et de désarmement depuis 1991, y compris l'avis consultatif de la Cour internationale de Justice, le Canada se retrouve aux prises avec un dilemme en ce qui concerne ses politiques étrangère et de défense152.
SÉCURITÉ RÉGIONALE ET MONDIALE
Les membres du Comité s'accordent pour confirmer l'engagement du Canada à l'égard d'une sécurité accrue dans ce que l'OTAN et la Russie ont conjointement appelé la « région euro-atlantique ». Certains membres du Comité ont exprimé des réserves sur le rôle à venir de l'OTAN, mais la majorité croit fermement qu'une Alliance unie et pertinente, dotée d'un Concept stratégique actualisé, émergera du Sommet de Washington d'avril 1999 et jouera un rôle essentiel pour renforcer la sécurité, en collaboration avec d'autres organes comme l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et les Nations Unies. L'opinion publique canadienne semble être à l'unisson : le sondage d'Angus Reid de mars 1998, qui révélait une grande préoccupation parmi les Canadiens à l'égard des questions nucléaires, montrait également qu'une majorité soutenait l'adhésion à l'Alliance153. Mais cela ne veut pas dire que les Canadiens acceptent automatiquement que la politique nucléaire de l'OTAN ne doit pas être réexaminée. En expliquant des opinions avancées en 1996 au cours de tables rondes organisées dans tout le pays par Project Ploughshares, Doug Roche déclarait : « Beaucoup de Canadiens s'interrogent sur l'avenir à long terme de l'OTAN, et pourtant elle existe et elle prend de l'expansion. Si elle doit grandir, il faudrait à tout le moins qu'elle se débarrasse de ses armes nucléaires. Il y a un fort courant d'opinion au Canada qui est en faveur de cette idée154. » Une série semblable de tables rondes s'est tenue en septembre 1998.
Après des mois consacrés à l'étude du problème mondial des armes nucléaires, le Comité a conclu que l'Alliance, reconnaissant que la poursuite du désarmement et l'instauration de la confiance dans la région euro-atlantique sont dans l'intérêt supérieur de tous, doit saisir l'occasion de jouer un rôle de premier plan et de faire avancer ce dossier, en particulier par le biais du nouveau Conseil conjoint permanent OTAN-Russie. Dans ce chapitre, on étudiera rapidement l'évolution de l'OTAN et de sa politique nucléaire depuis la fin de la guerre froide et on présentera les arguments qui ont été avancés pour justifier un nouvel examen des divers éléments de cette politique. Tous les membres de l'OTAN doivent collectivement décider de quelle façon et à quel moment il sera préférable d'adapter la politique et le dispositif nucléaires de l'Alliance, mais cette mesure doit être prise dans le contexte des nouvelles priorités internationales en matière de sécurité. L'OTAN demeure un mécanisme essentiel du renforcement de la sécurité régionale et mondiale, mais est un moyen de parvenir à cette fin et non une fin en soi.
En plus de renforcer la sécurité régionale, une initiative de l'OTAN de ce genre montrerait clairement au reste du monde à la fois l'importance de réduire la dépendance à l'égard des armes nucléaires et le fait qu'il existe une volonté en ce sens au sein de l'Alliance. Harald Müller, de l'Institut de recherche sur la paix de Francfort, a déclaré au Comité : « Je crois que l'OTAN ne tient pas compte de l'incidence que sa position peut avoir sur la façon de penser ailleurs et c'est selon moi une très grave erreur155. » L'OTAN bénéficie d'une supériorité militaire conventionnelle écrasante pour répondre à toute menace. Ses membres comprennent trois des cinq États dotés de l'arme nucléaire et un certain nombre de moyennes puissances respectées, comme le Canada, qui ont joué un rôle de premier plan pour faire avancer le débat sur la non-prolifération et le désarmement. Il s'agit d'une alliance qui met en oeuvre les politiques collectives de ses États membres et non d'une tribune de contrôle des armements. Si l'OTAN ne peut pas agir dans ces conditions, on ne peut pas s'attendre de façon réaliste à ce que quelqu'un d'autre le fasse.
LA POLITIQUE NUCLÉAIRE DE LA GUERRE FROIDE
Fondée en avril 1949, l'OTAN s'était vu confier trois rôles importants : être une organisation de défense collective dirigée contre une éventuelle « menace soviétique » en Europe de l'Ouest, un mécanisme visant à limiter la force militaire de l'Allemagne et un moyen d'engager les États-Unis à contribuer à la sécurité européenne. Comme Lord Ismay, le premier secrétaire général de l'Alliance, l'a bien dit, le but de l'OTAN était d'écarter les Soviétiques, de juguler les Allemands et de faire participer les Américains156. La défense collective, fondée sur l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord, qui énonçait qu'une attaque dirigée contre un allié serait considérée comme une attaque contre tous, est restée le principe dominant de l'OTAN pendant toute la guerre froide. Mais dès le milieu des années 1950, on acceptait l'idée que « l'OTAN devait devenir plus qu'une alliance militaire » car, sinon « elle disparaîtrait avec la crise immédiate qui l'avait créée157. » Bien que l'on n'ait jamais atteint le degré de coopération souhaité par Lester Pearson et d'autres partisans canadiens de l'article 2, on a par la suite donné plus de poids à la consultation politique au sein de l'OTAN. Au cours des décennies suivantes, le rôle des armes nucléaires allait être à l'avant-plan des préoccupations tant militaires que politiques.
Étant donné que l'OTAN est née dans le contexte de la guerre froide, les armes nucléaires de ses États membres ont joué un rôle déterminant pour contrecarrer la supériorité présumée des armes conventionnelles possédées, d'abord, par l'Union soviétique puis, après 1955, par les pays membres du Pacte de Varsovie. En 1967, l'OTAN a remplacé la doctrine des « représailles massives », prévoyant une réaction nucléaire pratiquement automatique à n'importe quelle attaque, par une stratégie de riposte progressive dont l'objectif était « l'utilisation en temps voulu d'une force minimale, conventionnelle ou nucléaire, suffisante pour empêcher l'agresseur d'atteindre son objectif158. »
Le stockage d'armes nucléaires américaines par les alliés en Europe était également considéré comme un symbole évident de la responsabilité partagée de l'emploi éventuel du nucléaire et comme le moyen d'assurer l'engagement permanent des États-Unis à l'égard de la sécurité européenne; pendant la guerre froide, on a souvent considéré les armes nucléaires comme le « ciment » de l'Alliance. Selon Sir Michael Quinlan, dans la mesure où la doctrine nucléaire de l'OTAN devait obtenir l'appui, ou tout au moins l'aval, de nombreux pays différents, le Groupe de planification nucléaire des ministres de la Défense (GPN) devait prendre soin de bien réfléchir aux questions soulevées par l'existence des armes nucléaires. Selon lui, les orientations de la politique nucléaire de l'OTAN ont donc été « les doctrines officielles les plus débattues et les plus explicitement énoncées sur le rôle des armes nucléaires dans la prévention et la gestion de la guerre [. . .] » et « [. . .] les règles de l'ordre public les plus importantes de la première moitié de ce siècle, nées d'une réflexion en profondeur sur l'incidence irréversible de la révolution nucléaire sur la notion de guerre159. »
Autre manifestation des excès de la guerre froide, les armes nucléaires américaines dont pouvait disposer l'OTAN en Europe se sont multipliées et leur nombre a atteint, au fil des années, un niveau bien au-delà du nécessaire, en particulier à la fin des années 1960, où l'on comptait plus de 7 000 ogives placées sur toutes sortes de véhicules de lancement que possédaient et exploitaient divers membres de l'Alliance, y compris le Canada. Comme Sir Michael Quinlan l'a admis, « il ne fait aucun doute que de nombreuses options relatives à l'application des doctrines de l'utilisation possible élaborées par le GPN ne nécessitaient pas 7 000 ogives160. »
L'ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE NUCLÉAIRE DANS L'APRÈS-GUERRE FROIDE
Comme Daniel Bon, directeur général de la Planification des politiques au ministère de la Défense nationale (MDN), l'a affirmé au Comité en février 1998, « après la guerre froide, le volet nucléaire de la stratégie de l'OTAN a été le premier à être réexaminé et à faire l'objet des changements les plus radicaux161. » Toutefois, même si les armes nucléaires avaient été le sujet de maints débats internes pendant la guerre froide, les États membres de l'OTAN devaient traiter tant de questions - le rôle à venir de l'Alliance après la désintégration de l'empire soviétique, la relation entre l'OTAN et la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), dont le nom devait bientôt changer, et d'autres organismes, les retombées de l'intégration européenne alors en marche, l'avenir du lien transatlantique, l'éventualité d'opérations au-delà du territoire des États membres et leurs modalités - que ces changements importants ont été réalisés de manière relativement rapide et facile, en particulier à la suite de l'effondrement du Pacte de Varsovie et d'une décision unilatérale des États-Unis de réduire radicalement leurs armes nucléaires tactiques en Europe.
Lors du Sommet de Londres, qui eut lieu en juillet 1990, l'OTAN a adopté la Déclaration de Londres sur une Alliance de l'Atlantique Nord rénovée, qui reconnaissait que même si l'OTAN demeurait une alliance à des fins de défense collective, elle devait s'adapter à une situation en évolution. Les armes nucléaires devaient jouer un rôle moins important dans la nouvelle stratégie de l'OTAN pour devenir « véritablement les armes de dernier recours ». Le Sommet de Londres a été également le point de départ d'un examen stratégique fondamental qui a culminé avec la publication, au Sommet de Rome de novembre 1991, pour la première fois dans l'histoire de la stratégie politique poursuivie par l'OTAN, du Concept stratégique de l'Alliance. Reconnaissant que les risques posés à l'égard de la sécurité des alliés « se présentaient sous de multiples formes, ce qui les rend difficiles à prévoir et à évaluer », la nouvelle stratégie s'inspirait d'une conception large de la sécurité fondée sur trois éléments de la politique de sécurité de l'Alliance se renforçant mutuellement : le dialogue, la coopération et le maintien d'une capacité de défense collective axée sur une mobilité accrue, la souplesse et l'accroissement.
Lorsque le président des États-Unis George Bush a décidé, de façon inattendue, de prendre des mesures unilatérales réciproques avec l'Union soviétique afin de réduire le nombre des armes nucléaires tactiques en Europe, le rôle des armes nucléaires a été encore affaibli. Selon le Concept stratégique, « l'objectif fondamental des forces nucléaires alliées est politique : préserver la paix et prévenir la guerre ou toute forme de coercition. Elles continueront de jouer un rôle essentiel en entretenant l'incertitude dans l'esprit des agresseurs sur la nature de la réaction des alliés à l'agression militaire. » Il aurait pu sembler suffisant de répéter le terme « armes de dernier recours » de la Déclaration de Londres de l'année précédente. Mais comme le faisait remarquer Rob de Wijk, qui a participé aux débats internes de l'OTAN en tant que chef de la Division des concepts au sein de l'état-major de la défense du ministère de la Défense des Pays-Bas, les choses n'étaient pas si simples : « Les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne craignaient que si l'on continuait d'utiliser cette expression, certains en arrivent à demander une déclaration de ` non-emploi en premier ' et un débat sur le retrait de toutes les armes nucléaires d'Europe162. » Finalement, le Concept stratégique énonçait qu'en raison des profonds changements survenus dans le contexte de la sécurité, les circonstances dans lesquelles l'emploi des armes nucléaires aurait pu être envisagé étaient « encore moins probables » qu'elles ne l'avaient jamais été. Selon de Wijk, « cette formulation montrait à quel point les armes nucléaires avaient perdu de leur importance. La question allait ensuite, au fil des années, être dépouillée de toute pertinence dans le débat politique163. »
La dissuasion a été le fondement de la politique nucléaire de l'OTAN, mais le maintien d'un « niveau minimum » de forces nucléaires en Europe était également la preuve que les alliés partageaient les risques et le fardeau inhérents à leur défense et qu'il existait un lien entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Selon le paragraphe 56 du Concept stratégique :
Pour que le dispositif nucléaire de l'Alliance demeure crédible et pour que soient démontrées la solidarité de l'Alliance et sa volonté commune de prévenir la guerre, il reste nécessaire que les alliés européens concernés par la planification de la défense collective participent largement aux rôles nucléaires, au stationnement en temps de paix de forces nucléaires sur leur territoire et aux dispositifs de contrôle, de commandement et de consultation. Les forces nucléaires basées en Europe et affectées à l'OTAN constituent un lien politique et militaire essentiel entre les Européens et les membres nord-américains de l'Alliance. Par conséquent, l'Alliance maintiendra des forces nucléaires appropriées en Europe. Ces forces doivent avoir les caractéristiques nécessaires, la souplesse et la capacité de survie appropriées pour qu'elles soient perçues comme un élément crédible et efficace de la stratégie des alliés visant à la prévention de la guerre. Elles seront maintenues au niveau minimum suffisant pour préserver la paix et la stabilité164.
Bien entendu, la question est de savoir où se situe ce « niveau minimum » et comment le Canada peut le mieux contribuer à créer en Europe des conditions dans lesquelles il pourrait être ramené à zéro.
UNE NOUVELLE OTAN
[. . .] l'OTAN et la Russie, se fondant sur un engagement politique durable souscrit au plus haut niveau politique, construiront ensemble une paix durable et ouverte à tous dans la région euro-atlantique reposant sur les principes de la démocratie et de la sécurité coopérative [. . .] Partant du principe que la sécurité de tous les États de la communauté euro-atlantique est indivisible, l'OTAN et la Russie travailleront ensemble pour contribuer à l'instauration en Europe d'une sécurité commune et globale, fondée sur l'adhésion à des valeurs, engagements et normes de comportement communs dans l'intérêt de tous les États.
Acte Fondateur OTAN-Russie,
mai 1997165
La menace d'une attaque stratégique délibérée ayant disparu et le rôle des armes nucléaires étant limité, l'OTAN a cessé de se concentrer uniquement sur la protection du territoire de ses membres pour adopter progressivement un rôle plus large d'organe de « sécurité collective » hors de cette zone. En juin 1992, par exemple, à la suite de la guerre du Golfe et du démantèlement de l'ancienne Yougoslavie, elle acceptait de soutenir les activités de maintien de la paix, au cas par cas, sous la responsabilité de l'OSCE et, en décembre de cette même année, d'appuyer des opérations semblables sous l'autorité du Conseil de sécurité de l'ONU. Après des débats internes longs et décourageants, l'OTAN a également décidé d'appuyer les opérations de paix en Bosnie, travaillant en étroite collaboration avec les troupes russes et autres. Rob de Wijk est allé jusqu'à dire dans la Revue de l'OTAN de l'été 1998 que « dans les années 90, l'OTAN a évolué au point où la gestion des crises et la prévention des conflits sont maintenant ses missions premières166. »
En plus de ces adaptations internes, l'OTAN a établi, en 1991, un cadre de dialogue politique avec ses anciens adversaires au moyen du Conseil de coopération nord-atlantique (et, en 1997, du Conseil de partenariat euro-atlantique), une initiative qui fut suivie, en 1994, par une coopération en matière de défense par le biais du programme Partenariat pour la paix.
L'élargissement proposé de l'Alliance a entraîné d'importantes controverses, tant au niveau interne que dans les relations avec la Russie. Mais en 1998, l'Acte Fondateur OTAN-Russie de mai 1997, la création d'un Conseil conjoint permanent OTAN-Russie et l'annonce par l'OTAN, au Sommet de Madrid, qu'elle réexaminerait son Concept stratégique semblaient avoir beaucoup contribué à atténuer les objections russes. Toutefois, à moins que la sécurité politique et militaire de la région euro-atlantique ne s'améliore encore, la plupart des observateurs s'attendent à ce que ces objections fassent de nouveau surface si d'anciennes républiques de l'Union soviétique devaient se joindre à l'OTAN dans le contexte d'un élargissement à venir.
Certains critiques ont avancé que ces mesures d'adaptation n'étaient qu'un moyen, pour une importante bureaucratie, de se donner un rôle à jouer, et que l'élargissement, en particulier, était inutile et de nature antagoniste - « l'erreur la plus fatale de la politique américaine de toute l'époque de l'après-guerre froide » selon les termes de l'ancien diplomate américainGeorge Kennan167. Toutefois, la plupart des membres du Comité, notamment ceux qui ont visité la Bosnie en novembre 1997 et ont observé le travail très important effectué par la Force de stabilisation de l'OTAN, sont convaincus que l'évolution de l'OTAN jusqu'à présent a renforcé plutôt qu'affaibli la sécurité régionale. Pour l'Alliance, l'actualisation du Concept stratégique est une occasion d'expliquer sa transformation réussie depuis la fin de la guerre froide et d'assurer la cohésion stratégique globale de sa mission à venir.
RÉEXAMEN DE LA POLITIQUE NUCLÉAIRE DE L'ALLIANCE
Au cours de ses audiences - en particulier celles qui se sont tenues à Washington avec les responsables des ministères de l'Intérieur et de la Défense des États-Unis -, le Comité a entendu des témoins lui dire que l'on s'entendait généralement dans les capitales des pays membres de l'OTAN sur le fait que les questions nucléaires ne devraient pas faire partie du réexamen du Concept stratégique de l'Alliance. On estime que les coûts de la relance éventuelle du débat sur le nucléaire des décennies précédentes l'emporteraient largement sur les avantages éventuels. CommeSir Michael Quinlan l'a déclaré au Comité :
Pour ce qui est de la réduction de l'arsenal nucléaire de l'OTAN, je n'ai pas consulté mes anciens collègues à ce sujet, mais je trouve logique de ne pas procéder à un nouvel examen de questions qui ont été réglées plutôt soigneusement, à moins d'avoir des raisons de supposer que des changements s'imposent. C'est à ceux qui souhaitent des changements que revient le fardeau de la preuve168.
Mais comme on le verra, certains témoins entendus par le Comité, ainsi que des experts qui se sont exprimés ailleurs, ont fait valoir avec force les avantages d'un nouvel examen des divers aspects de la politique et du dispositif nucléaires de l'OTAN. Il reste encore à voir si et comment les États membres de l'OTAN s'entendront finalement sur l'adoption de l'une ou l'autre de ces suggestions, mais ils devront, dans ce processus, tenir compte des événements qui se sont produits depuis la publication du Concept stratégique en 1991. En plus de l'émergence d'un consensus mondial sur la nécessité de réduire la dépendance à l'égard des armes nucléaires décrit tout au long du rapport, ces événements comprennent notamment l'effondrement de l'Union soviétique quelques semaines après la publication du Concept stratégique, l'adoption par l'OTAN de nouvelles orientations de politique et ses activités en Bosnie et ailleurs, l'élargissement prochain de l'Alliance et l'évolution en cours de l'Union européenne.
Le Comité ne croit pas que le Canada serait automatiquement marginalisé s'il préconisait de travailler au sein de l'Alliance afin d'actualiser continuellement la politique nucléaire de celle-ci, comme certains témoins le craignaient. Le professeur Jim Fergusson a notamment affirmé avec vigueur que, compte tenu de ses intérêts et de sa tradition multilatérale, le Canada ne devait pas délibérément rompre avec l'OTAN sur cette question. Pourtant, même lui a convenu qu'« il n'y a rien de délicat ou de mal à ce qu'un pays membre comme le Canada fasse connaître ses points de vue au conseil de l'OTAN169. » De fait, il a poursuivi en disant que « pour ce qui est des considérations précises en matière de politique, je crois que le Canada devrait se présenter devant les conseils de l'Europe et aborder la question de l'usage en premier, de la réserve à propos de l'usage en premier. Je crois qu'il y a, au sein de l'Alliance, plusieurs pays européens partageant les mêmes idées qui seraient également d'accord pour effectuer un examen sérieux de la question de l'usage en premier170. »
Compte tenu des améliorations survenues dans le domaine de la sécurité internationale depuis 1991, il est important que les États renforcent maintenant le régime international de non-prolifération et s'engagent à limiter la dépendance à l'égard des armes nucléaires. En n'abordant pas la question nucléaire dans le contexte de son réexamen du Concept stratégique, l'OTAN ferait la preuve de son manque fondamental de volonté et de leadership politiques et cela aurait tendance à affaiblir plutôt qu'à consolider la sécurité internationale.
LES RAISONS DU CHANGEMENT
Rien dans le contexte actuel et prévisible de la sécurité en Europe n'empêche que des mesures radicales ne soient prises en faveur de la dénucléarisation. L'OTAN est assurée de la supériorité de ses armes conventionnelles. Le fait que l'Alliance se réserve l'option de riposter la première par les armes nucléaires à une attaque conventionnelle - elle semble tenir à la doctrine de la première frappe même dans le nouveau cadre stratégique actuellement à l'étude - est un anachronisme incroyable. Cela va à l'encontre des propres objectifs de non-prolifération de l'OTAN. Comment expliquer à des pays qui se trouvent dans une situation beaucoup plus difficile sur le plan de la sécurité que les plus grandes puissances militaires que le monde ait jamais connues ne puissent pas renoncer à utiliser l'arme nucléaire, peu importe les circonstances, tandis qu'eux, par comparaison, sont censés s'en tenir à leur statut d'États non nucléaires?
Harald Müller171
Un certain nombre d'observateurs ont fait remarquer que même si l'OTAN continue d'évoluer et de contribuer davantage à la sécurité de la région euro-atlantique parallèlement à des organismes comme l'OSCE, elle tente également de s'assurer qu'elle possède la capacité voulue pour défendre ses États membres. Selon le professeur américain David Yost :
Les États-Unis et ses alliés n'auront guère d'autres choix que de poursuivre une politique à deux volets : répondre aux aspirations d'une sécurité collective dans la mesure où cela est faisable et prudent tout en maintenant un dispositif de défense collective en marge au cas où ces aspirations ne pourraient être satisfaites. La difficulté est de trouver un juste milieu permettant de maintenir les capacités de défense collective, compte tenu du risque de nouvelles menaces à la sécurité de l'Alliance, tout en cherchant à renforcer la coopération et la transparence dans les questions de sécurité et à contenir les risques inhérents à l'émergence ou à la poursuite des rivalités172.
La politique de dissuasion
La dissuasion, fondée sur le refus de limiter l'éventuel emploi en premier des armes nucléaires, et le déploiement d'armes nucléaires tactiques américaines en Europe ont été des aspects fondamentaux de la politique nucléaire de l'OTAN pendant la guerre froide. On estime généralement que ces éléments de la politique nucléaire de l'Alliance restent essentiels à la défense collective maintenant que l'OTAN a réduit à la fois le nombre et l'état de préparation de ces armes. Pourtant, certains témoins ont présenté au Comité des arguments très solides contre cette opinion.
Comme on l'a vu dans les chapitres précédents, malgré le débat qui se poursuit sur les coûts et les avantages de la dissuasion dans le monde de l'après-guerre froide, cette politique ne sera pas modifiée à court terme. La question est donc de savoir si la dissuasion exige soit le refus d'exclure toute utilisation en premier des armes nucléaires, soit un déploiement en Europe. L'OTAN prétend que toute restriction à son droit d'utilisation en premier affaiblirait le principe de dissuasion. Or, un certain nombre de témoins ont exprimé leur désaccord, citant la National Academy of Sciences des États-Unis, la Commission de Canberra et d'autres, selon lesquels la dissuasion peut être efficace même si les armes nucléaires sont reléguées à leur fonction « essentielle », c'est-à-dire dissuader les autres de recourir au nucléaire173. Comme Simon Rosenblum, du Mouvement canadien pour une fédération mondiale, l'a fait remarquer au Comité, Joseph Rotblat, qui a collaboré au projet Manhattan et a également été lauréat du prix Nobel de la paix en 1995 pour son oeuvre en tant que cofondateur et président des Conférences Pugwash sur la science et les problèmes internationaux, affirme que « à l'heure actuelle - et cela pourrait être fait pratiquement du jour au lendemain - ce qui est le plus important, c'est que les puissances nucléaires déclarent que la possession d'une arme nucléaire a pour seul objet la dissuasion174. »
Certains ont estimé que l'OTAN avait déjà adopté implicitement ce point de vue. Selon l'ancienne ambassadrice canadienne au désarmement et au contrôle des armements, Peggy Mason, « les chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN, en 1990 - à l'occasion du Sommet de Londres, le premier de l'après-guerre froide - ont déclaré que les politiques nucléaires de l'OTAN allaient être révisées pour que les forces nucléaires soient `véritablement des armes de dernier recours'. Or, la politique publiée en 1991 ne respectait pas cet engagement de haut niveau [. . .] [Elle] conserve toutes les options nucléaires de l'OTAN, y compris celle de l'emploi en premier de l'arme nucléaire175. »
Non-utilisation en premier
Suivant cet argument, un certain nombre de témoins ont également fait valoir que l'OTAN devrait entamer des négociations avec la Russie pour adopter des déclarations communes de non-utilisation en premier des armes nucléaires. Comme on l'a vu au chapitre 2, la dépendance accrue de la Russie à l'égard des armes nucléaires compliquerait la chose, mais il est difficile de prétendre que les avantages éventuels en matière de sécurité d'un tel accord entre quatre des cinq États dotés de l'arme nucléaire du monde ne valent pas la peine de tenter d'y parvenir. Les demandes de déclarations de non-utilisation en premier, un élément permanent du débat pendant la guerre froide, ont été réitérées ces dernières années, entre autres par la Commission de Canberra, la National Academy of Sciences des États-Unis et un groupe de Canadiens de renom, dont la requête préconisant l'adoption par l'OTAN d'une politique de non-utilisation en premier a été transmise au Comité par le Mouvement canadien pour une fédération mondiale176. Mais même parmi ceux qui favorisent un désarmement nucléaire marqué, l'unanimité ne s'est pas encore faite sur la question de la non-utilisation en premier. La déclaration sur l'abolition des armes nucléaires de la part de chefs d'États anciens et actuels, publiée en février 1998, affirme que les États devraient immédiatement prendre certaines mesures comme la levée de l'état d'alerte des armes nucléaires et l'interruption de la production de matières fissiles. Mais « l'engagement à l'égard de la non-utilisation en premier des armes nucléaires » ne figure qu'au nombre d'une série de mesures supplémentaires éventuelles qui « devraient être soigneusement envisagées afin de déterminer si elles sont actuellement appropriées ou réalistes177. »
L'OTAN pourrait cependant poursuivre sa politique de dissuasion tout en reconnaissant la nécessité de limiter progressivement la dépendance à l'égard des armes nucléaires en déclarant qu'elle n'utiliserait pas ces armes pour répondre à une attaque conventionnelle, un scénario des plus improbables de toute façon. Une proposition semblable a été présentée dans le contexte américain, dans une étude de 1995 de l'organisme RAND. Selon ses auteurs :
Les États-Unis sont sortis de la guerre froide comme la plus grande puissance militaire conventionnelle, ce qui laisse à penser qu'ils disposent des ressources nécessaires pour dissuader ou contrer les attaques conventionnelles en utilisant uniquement des armes conventionnelles. La promesse des États-Unis de ne pas utiliser d'armes nucléaires pour riposter à une attaque conventionnelle permettrait de réfuter largement l'argument des États non dotés de l'arme nucléaire selon lequel les États-Unis insistent pour que les autres abandonnent leurs armes nucléaires, alors qu'eux-mêmes restent libres de les utiliser lorsqu'ils le jugent bon178.
Si l'on peut avancer ce genre d'argument à propos des États-Unis à titre individuel, il est d'autant plus valable lorsqu'il vise les États-Unis conjointement avec ses alliés de l'OTAN. Harald Müller en convient et a déclaré devant le Comité que l'adoption par l'OTAN d'une déclaration de non-utilisation en premier des armes de destruction de masse serait un pas dans la bonne direction. Comme il l'a précisé, « dans les circonstances actuelles, une nouvelle façon de penser s'impose. Même une déclaration de la part de l'OTAN qu'elle ne sera pas la première à utiliser des armes de destruction massive serait un petit pas en avant179. »
Cette déclaration ne résoudrait pas la question litigieuse de savoir si ces armes pourraient être utilisées pour répondre à une attaque chimique ou biologique. Comme on l'a vu dans les chapitres précédents, cette question porte à controverse aux États-Unis et selon M. Müller, « nous devrions aussi reconnaître qu'une réponse nucléaire à une attaque biologique ou chimique est également implicite dans la doctrine actuelle de l'OTAN. Donc, d'une certaine façon, nos pays sont impliqués eux aussi180. » Si personne n'a déclaré au Comité que cette question est litigieuse au sein de l'OTAN, c'est peut-être attribuable au fait qu'elle n'a pas été soulevée publiquement dans ce contexte. L'OTAN n'a commencé à aborder la question de la prolifération des armes de destruction de masse que depuis la publication de son Concept stratégique en 1991. Lors du Sommet de janvier 1994, elle a officiellement reconnu la menace que pose la prolifération des armes nucléaires, biologiques et chimiques de destruction de masse et de leurs systèmes de lancement et a promis d'intensifier les efforts consentis à cet égard du point de vue politique et en matière de défense. Peggy Mason, l'ancienne ambassadrice au désarmement et au contrôle des armements, a déclaré qu'il s'agissait d'une autre importante raison que l'OTAN pourrait invoquer pour réexaminer sa politique nucléaire :
Il y a une autre raison pour laquelle un examen sérieux de la doctrine nucléaire de l'OTAN sert ses intérêts. En effet, l'absence de débat combiné à l'ambiguïté du Concept stratégique - le nom que l'on donne à la doctrine nucléaire de l'OTAN - en ce qui concerne le recours ou la menace de recours à l'arme nucléaire signifie qu'en cas de crise, c'est peut-être la politique de contre-prolifération des États-Unis qui dictera la politique nucléaire de l'OTAN.
Ce n'est un secret pour personne que les États-Unis épousent et élaborent des stratégies de lutte contre les armes biologiques au moyen de la dissuasion nucléaire. Voilà une question qui devrait être débattue énergiquement par les membres de l'OTAN, en particulier les États non nucléaires. C'est une nouvelle application de l'arme nucléaire à l'OTAN, largement en marge des traités internationaux que nous avons conclus, qui appellent à son interdiction, et non pas à lui trouver de nouvelles applications. Il me semble qu'il y aurait lieu de tenir un vrai débat sur cette question au sein de l'OTAN au lieu de voir la politique américaine devenir par défaut celle de l'OTAN181.
Les armes nucléaires tactiques en Europe
De nombreux témoins se sont également déclarés préoccupés par le stationnement continu d'armes nucléaires tactiques américaines en Europe, en vue de leur utilisation par les alliés. Comme Tariq Rauf l'a rappelé au Comité :
Les armes nucléaires non stratégiques, ou tactiques, ont largement été ignorées après le succès de la conclusion et de la mise en oeuvre du Traité de 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédiaire et des initiatives unilatérales de Bush et de Gorbatchev à l'automne 1991 sur les armes nucléaires non stratégiques.
[. . .] Traditionnellement, les armes non stratégiques ont été jugées les plus dangereuses et les plus déstabilisatrices, en raison de leur proximité des zones de conflit, du manque de dispositifs PAL sérieux, du danger de prédélégation ainsi que du risque d'utilisation précoce, préventive ou accidentelle182.
Les bombes nucléaires à larguer américaines encore stationnées en Europe présentent peu de problèmes à cet égard, mais, comme on l'a vu au chapitre 2, on ne peut pas en dire autant des milliers d'armes nucléaires tactiques russes qui y sont encore déployées et dont le regroupement unilatéral, en 1991, n'a fait l'objet d'aucune vérification. La Russie peut ne pas être prête à éliminer toutes ses armes nucléaires tactiques; cependant, Tariq Rauf a exprimé l'opinion qu'elle pourrait envisager un accord réciproque avec l'OTAN sur les limites du Traité ou le retrait de toutes ces armes de l'Atlantique à l'Oural (la zone d'application déjà acceptée dans le Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE)). Cet accord serait manifestement extrêmement asymétrique; les armes nucléaires tactiques russes dans cette région pourraient être beaucoup plus nombreuses que les armes américaines, dans une proportion de 100 à 1. Malgré cette énorme différence, la Russie pourrait voir des avantages du point de vue politique et de la sécurité à retirer ses armes du territoire d'une OTAN élargie, et l'Alliance devrait reconnaître que du point de vue de la sécurité, il serait bon de savoir où se trouvent les armes nucléaires tactiques russes et d'avoir une certitude accrue quant à leur maintien en sûreté. Camille Grand est allé plus loin en disant ce qui suit :
Cela n'a plus de sens aujourd'hui d'avoir des stocks d'armes tactiques. Il faudrait que ce retrait unilatéral qui a eu lieu en 1991 soit formalisé sous forme de traité de manière à ce que l'on n'ait pas la crainte d'un chantage russe de redéploiement d'armes tactiques en réponse à un nouvel élargissement de l'OTAN. Cela me paraît être une chose positive et qui, en plus, permet de ne pas entrer dans des débats qui n'ont pas de sens sur le déploiement d'armes tactiques en Pologne, qui n'a pas d'utilité stratégique et qui ne fait qu'inquiéter les Russes183.
Même si au sein de l'OTAN, on reconnaît généralement que les armes nucléaires tactiques en Europe ont peu d'utilité militaire, surtout maintenant que les pays aux frontières est de l'OTAN participent tous au programme Partenariat pour la paix. Tout en mettant en garde le Comité de ne pas sous-estimer l'importance des armes nucléaires américaines encore déployées en Europe, le sous-secrétaire américain de la Défense chargé de la politique sur la sécurité internationale, Frank Miller, disait lors des audiences tenues à Washington que « l'importance politique de ces armes l'emporte largement sur leur importance militaire184. » Le ministre des Affaires étrangères du Canada, Lloyd Axworthy, a été encore plus direct lorsqu'il a dit, dans le contexte des essais nucléaires de l'Inde de mai 1998, que « l'Inde semble n'avoir pas appris ce que les participants à la guerre froide savaient déjà au milieu des années 60 : les armes nucléaires n'ont aucune utilité tactique185. »
Le maintien de ces armes en Europe semblerait donc essentiellement motivé par la nécessité de démontrer la solidarité de l'Alliance et le maintien du lien transatlantique. Comme le professeur Paul Buteux de l'Université du Manitoba l'a expliqué en réponse à une question sur les déclarations de non-utilisation en premier :
Cette question ne me paraît pas terriblement importante pour l'OTAN en ce moment. Il n'y a pas de cible pour ces armes nucléaires de toute façon. Elles ne servent qu'à des fins symboliques. Elles ne servent qu'à combler les besoins politiques très différents des Français, des Britanniques, des Américains, des Allemands et de certains autres.
À mon avis, l'OTAN n'a pas de stratégie d'utilisation de ces armes nucléaires. Elle possède des armes nucléaires et a des raisons d'en avoir, mais elle n'a pas de stratégie186.
Alors que les armes nucléaires peuvent continuer de remplir ce rôle politique, comme elles l'ont fait pendant la guerre froide, beaucoup remettent en question le coût de ce symbolisme et se demandent s'il est encore nécessaire. En refusant de revenir sur le stationnement d'armes nucléaires américaines en Europe, l'OTAN perd l'occasion de montrer qu'elle est déterminée à réduire la dépendance à l'égard des armes nucléaires. Ces armes ne représentent qu'une petite fraction des arsenaux nucléaires mondiaux, mais elles sont symboliques dans la mesure où elles sont associées à la guerre froide et où elles sont les dernières armes nucléaires encore déployées en dehors du territoire de l'État auxquelles elles appartiennent187. En mai 1998, l'Institut international d'études stratégiques affirmait que le calcul de rentabilité financière et générale des armes nucléaires a fait l'objet d'une nouvelle réflexion depuis la fin de la guerre froide :
[. . .] avec la fin de la guerre froide, bien des gens ont modifié considérablement leur point de vue sur le calcul de rentabilité des armes nucléaires. Il est devenu de plus en plus évident que de nombreux officiers acceptaient les armes nucléaires seulement comme une nécessité répugnante de la guerre froide. La coalition abolitionniste s'élargit en grande partie du fait que l'on croit de plus en plus que les coûts, les dangers et les risques associés aux armes nucléaires l'emportent largement sur les avantages éventuels qu'elles pourraient avoir dans la période de l'après-guerre froide188.
Il revient manifestement aux États membres de l'Alliance de décider dans quelle mesure le déploiement symbolique continu d'armes nucléaires renforce leurs liens. Comme Tariq Rauf l'a déclaré au Comité :
Je recommanderais que le Canada, dans les sphères de l'OTAN, préconise une réévaluation honnête et fondamentale du rôle des armes nucléaires en Europe. Nous pouvons supprimer les armes nucléaires non stratégiques de l'Europe car il y aura toujours des sous-marins américains équipés de missiles nucléaires qui seront destinés à l'usage du commandement allié en Europe si la situation l'exigeait.
Les armes nucléaires tactiques n'ajoutent rien à la sécurité de l'Europe. Si des armes nucléaires tactiques sont nécessaires en Europe pour fournir la colle destinée à cimenter cette alliance, alors j'estime que cette dernière ne sert plus à rien et qu'il est temps de le reconnaître189.
Harald Müller en convenait, affirmant que « le déploiement d'armes nucléaires tactiques en Europe est inutile. Ceux qui croient que c'est la seule voie possible pour l'Alliance ont beaucoup moins confiance que moi dans les valeurs qui préservent nos démocraties et suscitent chez chacun d'entre nous un intérêt vif pour notre sécurité, notre survie et notre bien-être respectifs. Le temps est venu de rompre avec une théorie nucléaire démodée190. »
Sir Michael Quinlan avait un autre point de vue sur la nécessité du changement tout en convenant qu'il revenait aux États membres de juger de la nécessité de réexaminer ces questions :
La présence de ces systèmes en Europe ne soulève aucune question stratégique d'importance. Ils ont jusqu'à un certain point [. . .] une valeur politique qui n'est pas négligeable. Ils mettent en évidence l'unité de l'Alliance. Le fait que le territoire de l'OTAN forme un tout sur le plan de la sécurité et que les systèmes se trouvent à un endroit plutôt qu'en un autre ne reflète aucune différence fondamentale de but.
À un niveau purement technique, il resterait à savoir, advenant des pressions en faveur d'un changement pour d'autres motifs, s'il est tout à fait essentiel d'y maintenir ces systèmes plutôt que de les installer aux États-Unis. Mais s'ils servent d'autres objectifs et que personne ne s'oppose vraiment, je ne vois pas quel intérêt il y aurait à inscrire cette question plus haut sur la liste des priorités191.
Toutefois, le Comité a conclu que de nombreux Canadiens, entre autres, s'opposent au statu quo. Une discussion ouverte de ces questions et de la question connexe du partage de la responsabilité pourrait également permettre de clarifier les mythes et les malentendus. Comme Jo Husbands, directeur d'état-major du Committee on International Security and Arms Control de la National Academy of Sciences des États-Unis l'a indiqué au Comité à Washington, les responsables américains prétendent en règle générale que les alliés européens n'accepteront pas d'apporter des changements au statu quo nucléaire de l'OTAN, alors que les Européens disent la même chose des Américains192.
ACTUALISATION DU CONCEPT STRATÉGIQUE
Le Canada joue déjà un rôle très constructif dans le système international de non-prolifération, ainsi que dans les négociations multilatérales sur le désarmement. Il peut établir un rapprochement entre les positions extrêmement différentes du Nord et du Sud, et il est d'autant plus crédible du fait qu'il est un fidèle allié de l'OTAN. J'espère que le Canada continuera à avancer dans cette voie politique avec plus de détermination encore étant donné la détérioration de la situation internationale et j'espère même qu'il mettra les pays européens au défi de suivre son exemple.
Harald Müller 193
Le Comité préfère croire que, même si les alliés décidaient finalement de conserver l'essentiel de la politique nucléaire actuelle de l'OTAN, tout au moins dans le présent contexte, les indications actuelles vont à l'encontre du refus préalable de l'OTAN de modifier tout aspect de cette politique. Comme le secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana, l'a affirmé en mai 1998, « le débat des idées est fondamental à la liberté d'expression. Mais le débat est également fondamental pour réaliser des progrès. Ce n'est qu'en remettant toujours en cause ses propres hypothèses que l'on peut avancer194. » Le Comité estime que l'alliance atlantique de l'époque moderne est suffisamment solide pour survivre à une discussion ouverte de ces questions et en bénéficier. C'est pourquoi il estime que l'OTAN doit en tenir compte dans son actualisation du Concept stratégique.
Certains témoins ont avancé que dans la mesure où le Canada ne pourra probablement pas convaincre l'Alliance de réexaminer sa politique nucléaire, il devrait quitter l'OTAN. Selon David Morgan, de l'organisme Vétérans contre les armes nucléaires, « il est illusoire de vouloir changer la politique de l'OTAN de l'intérieur même. Cela a été vain dans le passé et il est peu probable que cela porte fruit à l'avenir. Sur la question fondamentale des armes nucléaires de l'OTAN, le Canada n'a aucune chance d'amener l'OTAN à modifier sa politique en exerçant des pressions de l'intérieur195. » Cependant, une majorité de membres du Comité est d'accord avec la plupart des témoins qui ont affirmé que le Canada devrait oeuvrer au sein de l'Alliance pour que celle-ci ne perde pas sa pertinence.
Idéalement, ce nouvel examen comporterait ce qui devrait être, selon Tariq Rauf, une « remise à neuf » de la politique nucléaire de l'OTAN. Les pays membres pourraient ne pas être tous d'accord, mais l'OTAN doit tout au moins reconnaître que sa politique nucléaire doit être continuellement réexaminée pour veiller à ce qu'elle contribue à la sécurité régionale et mondiale et non l'inverse. Elle doit également décider dans quelle mesure elle est prête à assumer un certain leadership afin de réduire la dépendance à l'égard des armes nucléaires, ce qui amenuiserait leur importance politique, préviendrait leur prolifération et contribuerait à leur élimination ultime. Il ne sera pas facile de réduire la dépendance de l'OTAN à l'égard des armes nucléaires sans miner la confiance à l'endroit de l'Alliance. Pourtant, compte tenu de l'importance des objectifs et de la force politique de l'OTAN, la difficulté n'est pas une excuse suffisante pour ne pas agir.
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada fasse valoir avec vigueur au sein de l'OTAN que le réexamen du Concept stratégique de l'Alliance et son actualisation, le cas échéant, devraient comprendre sa composante nucléaire.
Chapitre 5 :
Conclusion : Vers une prohibition des armes nucléaires
Alors que vous examinez la question cruciale de savoir dans quelle mesure le Canada, cette extraordinaire mosaïque de peuples et ce grand ami des États-Unis, devrait s'aligner sur le rôle permanent des armes nucléaires, je vous encourage à réfléchir sérieusement à l'opportunité et aux enjeux. Mon pays a grandement besoin de se donner de nouvelles règles de conduite relativement à cette question. Nous avons eu le malheur, en élaborant notre politique gouvernementale, de devenir cyniques et arrogants lorsqu'il s'est agi de prendre des décisions touchant des centaines de millions de gens. Nous avons banalisé la possibilité d'un échec de la dissuasion, ce qui nous justifiait facilement de ne pas avoir tenu compte des conséquences. Nous avons appris à vivre avec une arme qui engourdit notre conscience et nous déshumanise. Nous devons entendre les voix de la raison qui nous exhorteront à plus de rectitude et de leadership à l'échelle mondiale. À vous de jouer.
Général Lee Butler
Forces aériennes des États-Unis, ret.,
présentation, juillet 1998196
Les travaux du Comité
C'est à la demande du ministre des Affaires étrangères que le Comité a entrepris l'examen de la politique du Canada en matière de non-prolifération, de contrôle des armements et de désarmement. À la suite de plusieurs mois d'audiences, au cours desquelles des Canadiens et d'autres personnes concernées ont témoigné, le Comité en est arrivé à un certain nombre de conclusions qui doivent sous-tendre cette politique et a formulé des recommandations dont l'objet est de la rendre plus opérante dans le contexte du XXIe siècle.
Malgré les améliorations considérables du contexte de la sécurité internationale depuis la fin de la guerre froide, il est essentiel de poursuivre les efforts allant dans le sens d'une réduction et, finalement, de l'élimination de la menace que représentent les 36 000 armes nucléaires existant dans le monde, dont des milliers demeurent à un niveau d'alerte inutilement élevé. Comme le général à la retraite des forces aériennes des États-Unis, Lee Butler, l'a écrit au Comité : « Il s'agit selon moi de la plus importante question en matière de sécurité de l'après-guerre froide. Elle sera le fondement du règlement des conflits internationaux pour des décennies à venir. Qui plus est, elle régira le rythme et l'espoir de relever les normes d'un comportement civilisé entre les États et les peuples197. » Janet Somerville, secrétaire générale du Conseil canadien des Églises, a présenté un point de vue similaire au Comité, en février 1998. Elle a parlé, au nom des dirigeants religieux du Canada, du « désir ardent d'assister, de notre vivant, au démantèlement et à la destruction de la dernière arme nucléaire et au rejet, par la famille humaine, de l'option nucléaire comme quelque chose d'impensable que certains êtres humains ne doivent tout simplement jamais infliger au reste de l'humanité198. »
Malgré certaines similitudes avec les débats des décennies précédentes, le débat actuel sur le nucléaire n'est pas une simple reprise. À la crainte d'une attaque nucléaire délibérée s'est substituée la constatation qu'il faut assurer la sécurité opérationnelle et physique des arsenaux nucléaires. Dans cette nouvelle optique, on insiste davantage sur des concepts très intéressants comme la « levée de l'état d'alerte » des armes nucléaires et les mesures à prendre pour assurer la protection des armes et du matériel nucléaires. Si l'optique a changé, on cherche toujours à assurer une confiance et une sécurité internationales accrues au moyen des principes de réciprocité et de vérifiabilité ainsi qu'un financement adéquat à des fins de vérification.
Le régime international de non-prolifération nucléaire, qui repose sur le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), a connu un succès remarquable jusqu'à présent. Il y a trois décennies, on supposait généralement que 25 à 30 États posséderaient ces armes à la fin des années 1970. Aujourd'hui, il n'y en a que huit. Malgré cette réussite et pour que ce consensus international vieux de 30 ans ne se désagrège pas, il faut que tous les États et en particulier les cinq États dotés de l'arme nucléaire recensés dans le Traité - les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine - renouvellent leur engagement politique et agissent rapidement.
À la suite d'une désaffection, bien compréhensible, de la population immédiatement après la fin de la guerre froide, les Canadiens sont aujourd'hui profondément inquiets au sujet des armes nucléaires. Il exigent également que leur gouvernement agisse en fonction de ses antécédents remarquables dans ce domaine et de son expérience récemment acquise lors du processus d'Ottawa, qui a permis d'en arriver à un accord international sur l'interdiction des mines terrestres antipersonnel, afin de jouer un rôle accru dans les dossiers de la non-prolifération et du désarmement. Le Canada préconise déjà la réduction et l'élimination ultime de toutes les armes nucléaires, biologiques et chimiques de destruction de masse, mais sa politique dans ce domaine doit être renforcée à un certain nombre d'égards.
Enfin, même s'il ne s'agit pas d'une question de politique étrangère à proprement parler, la problématique nucléaire comporte un volet important lié aux intérêts nationaux du Canada et le gouvernement doit l'aborder avec plus de force. Il n'y a pas de solution facile, mais le Comité a été frappé par le fait que les témoins et ceux qui ont rédigé des mémoires ont tous demandé plus d'information et de débats dans ce domaine. Le Comité a formulé un certain nombre de recommandations pour améliorer la situation et encourage le gouvernement à prendre des mesures pour instaurer et appuyer un processus permanent d'éducation et de débat publics.
Au-delà de l'apathie nucléaire
À la fin de la guerre froide, d'importants progrès ont été accomplis au titre de la réduction des arsenaux nucléaires, dans le contexte du traité bilatéral START entre les États-Unis et la Russie et à la suite de l'engagement politique quasi universel, lors de la Conférence d'examen et de prorogation du TNP en 1995, de poursuivre la réduction et, finalement, l'élimination des armes nucléaires. Le danger d'une guerre nucléaire totale s'étant dissipé, l'attention du public et des gouvernements s'est portée ailleurs. C'est ainsi que ces dernières années, on a constaté un ralentissement des progrès et, pire encore, l'émergence de ce que le ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, a appelé devant le Comité une « nouvelle realpolitik nucléaire », qui menace à la fois les progrès à venir et les acquis. Il est tentant de se contenter de faire porter la responsabilité de cette situation aux cinq États dotés de l'arme nucléaire qui se sont engagés à éliminer leurs arsenaux en vertu du TNP et aux trois autres États dotés d'une capacité nucléaire militaire qui n'ont pas accepté les normes internationales dans ce domaine. Mais tous les États, y compris le Canada, partagent la responsabilité de ne pas avoir exercé de pressions continues suffisantes pour que cette question reste à l'avant-plan des préoccupations internationales. Le Comité accepte le fait que les cinq États dotés de l'arme nucléaire ont conclu les accords du TNP de bonne foi; compte tenu de l'importance de ces questions, leurs amis et alliés doivent également les encourager à donner suite à ces engagements avec vigueur et leur rappeler le coût de ne pas le faire. Pour que les essais nucléaires, regrettables et dangereux, auxquels ont procédé l'Inde et le Pakistan en mai 1998 aient un effet positif, il faut qu'ils aient fait comprendre que le statu quo nucléaire ne peut être tenu pour acquis et qu'ils incitent tous les États à réitirer leur engagement et à adopter d'autres mesures.
Comme on l'a vu au chapitre 1, la communauté internationale a déjà accepté l'objectif de réduction et d'élimination ultime des armes nucléaires; cet objectif ne pourra toutefois être atteint que si l'on s'attache à réduire délibérément l'importance politique et militaire accordée à ces armes. La tâche ne sera pas facile et impliquera certainement des choix politiques difficiles porteurs de tensions. La Conférence de 1995 d'examen et de prorogation du TNP a montré qu'il était possible, sous l'effet de pressions, de susciter le niveau d'engagement politique nécessaire pour avancer; la communauté internationale doit accepter le défi qui consiste à maintenir cet engagement et à le concrétiser sur les tribunes internationales et à l'échelle nationale.
Pour susciter ce niveau de volonté et d'engagement politiques, il faudra mobiliser l'opinion publique. Comme le directeur adjoint du bureau du sous-secrétaire général des Nations Unies pour le désarmement, Evgeniy Gorkovskiy, l'a rappelé au Comité à New York, le désarmement est une affaire très pragmatique; la clé de la réussite, dans le domaine nucléaire, repose sur la mobilisation de l'opinion publique, et la meilleure façon de procéder serait de prendre pour modèle le processus d'Ottawa et de faire porter l'attention sur le côté humanitaire de la question plutôt que sur les aspects militaires et techniques. En raison de la nature particulière des armes nucléaires, il n'est pas possible de reproduire, dans le domaine nucléaire, le processus d'Ottawa, qui a permis de contourner des mécanismes diplomatiques dépassés pour en arriver à un accord sur l'interdiction des mines antipersonnel. Pourtant, les leçons que l'on peut en tirer, comme la nécessité de se concentrer sur l'aspect humanitaire, de mobiliser la société civile et les organisations non gouvernementales et de dépasser les groupements politiques et militaires traditionnels, à la recherche d'États ayant une optique commune, peuvent certainement contribuer à faire disparaître le sentiment de frustration associé à l'heure actuelle au contrôle des armes nucléaires et au désarmement.
L'OTAN procède à l'heure actuelle à un nouvel examen et à une actualisation, au besoin, de son Concept stratégique de 1991, et cet exercice devrait être terminé d'ici avril 1999. Comme on l'a vu au chapitre 4, le Comité s'est beaucoup intéressé à la politique nucléaire de l'OTAN. Les députés n'ont pas tous le même point de vue sur l'avenir de l'OTAN, mais ils sont tous d'accord pour dire que pour des raisons symboliques et pratiques, le gouvernement du Canada doit tenter de convaincre ses alliés de l'OTAN que le Concept stratégique actualisé doit tenir compte des changements intervenus depuis 1991 sur la scène internationale et de l'évolution des priorités en matière de sécurité et reconnaître notamment la nécessité de réduire la dépendance à l'égard des armes nucléaires dans la mesure du possible.
Le TNP, la non-prolifération et le désarmement
Les témoins ont été unanimes à dire que pour prévenir une nouvelle prolifération des armes nucléaires et atteindre l'objectif international de leur réduction et élimination ultime, les obligations contenues dans le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), renforcé par la Déclaration de principes et objectifs de non-prolifération et de désarmement nucléaires de 1995, doivent être respectées. Comme on l'a vu au chapitre 3, il faut bien comprendre que le Traité est un compromis; il impose des obligations à tous les États signataires, mais tant que la vaste majorité de ces États honore ses engagements de ne pas se doter d'armes nucléaires, l'attention continuera de se porter sur les obligations des cinq États dotés de l'arme nucléaire désignés dans le Traité. Pour le moment, ces derniers refusent même de discuter des questions de désarmement les plus fondamentales à la Conférence sur le désarmement. Le Comité rejette l'argument avancé par ceux qui prétendent que, dans la mesure où l'engagement d'éliminer les armes nucléaires lie uniquement les États dotés de l'arme nucléaire, c'est à eux qu'il revient de déterminer comment y parvenir de la façon la plus sûre. Toutes les parties à un contrat ont la responsabilité de veiller au respect de ses conditions, faute de quoi le contrat pourrait être remis en question.
Au cours de son étude, le Comité a dû se pencher sur la question controversée de l'application pacifique de la technologie nucléaire et de l'obligation, en vertu du TNP, de partager les avantages de cette utilisation pacifique avec d'autres États. Bien que cela ne relève pas directement du mandat du Comité, tous ses membres jugent nécessaire de répondre aux préoccupations de la population au sujet de la sécurité, de la santé et de l'environnement associées à l'exploitation de réacteurs nucléaires au Canada, ainsi qu'au transport et à l'élimination des déchets nucléaires. La vente de la technologie nucléaire canadienne à l'étranger, ainsi que la proposition selon laquelle le Canada pourrait contribuer à la non-prolifération en brûlant l'excédent de plutonium russe et américain, sous la forme de combustible d'oxyde mixte ou MOX, dans ses réacteurs au Canada font toutefois intervenir une dimension de politique étrangère. Le Comité a formulé des recommandations sur ces questions dans les chapitres 1 et 2 du rapport.
Certains membres du Comité estiment que ces ventes ne sont pas appropriées, mais la plupart reconnaissent que tant que le Canada possède une industrie nucléaire, elles font partie de son engagement en vertu du TNP. Les membres du Comité sont unanimes pour dire que si ces ventes doivent se poursuivre, elles doivent faire l'objet des garanties les plus strictes. Le Canada a renforcé sa politique de coopération nucléaire à la suite de la décision de l'Inde, en 1974, de rompre ses engagements écrits et de faire exploser un engin nucléaire. La leçon de cet incident n'est pas uniquement que la politique canadienne aurait dû être plus rigoureuse, mais que la communauté internationale ne peut jamais se satisfaire du statu quo dans ce domaine. Le système international de garanties administré par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) vise à signaler toute tentative, par un État partie au TNP, de détourner du matériel nucléaire pour fabriquer un engin explosif, plutôt qu'à prévenir ce genre de détournement. Le Comité a conclu que pour renforcer le système et permettre aux Canadiens, entre autres, de s'y fier, il faut en priorité persuader tous les États parties au TNP d'accepter le plus rapidement possible le nouveau Protocole plus strict élaboré par l'AIEA.
En plus de souligner la nécessité de renforcer les mécanismes existants, afin de prévenir la prolifération des armes nucléaires et des armes chimiques et biologiques de destruction de masse et leurs vecteurs, le Comité est convenu de la nécessité d'aller au-delà des questions techniques si l'on veut établir et maintenir un consensus politique au sein de la communauté internationale de manière à agir collectivement et de manière déterminée pour résoudre ces questions. Un certain nombre de témoins ont fait remarquer que l'instauration d'un système international en vertu duquel les États acceptent de prendre des mesures diplomatiques concertées, et même des mesures militaires conventionnelles au besoin, est un moyen important de prévenir la prolifération des armes de destruction de masse, et que cela est essentiel pour créer les conditions permettant l'élimination ultime ou l'interdiction des armes nucléaires.
La prohibition des armes nucléaires
La communauté internationale a accepté de se donner pour objectif l'élimination des armes nucléaires; on ne peut partir du principe que le statu quo durera toujours, mais à certains égards, la question est de savoir comment passer du point actuel à ce prochain stade, sans danger. Le débat de l'après-guerre froide sur ces questions a produit un nombre de documents d'orientation importants y compris les suivants : La Déclaration de principes et objectifs pour la non-prolifération nucléaire et le désarmement, acceptée par tous les États parties au TNP en 1995; l'Avis consultatif de 1996 de la Cour internationale de Justice sur la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires; le rapport de 1996 de la Commission de Canberra sur l'élimination des armes nucléaires, commandé par l'Australie; et le rapport de 1997 du Committee on International Security and Arms Control de la National Academy of Sciences des États-Unis, The Future of U.S. Nuclear Weapons Policy. Aucun de ces documents ne peut à lui seul garantir que de nouveaux progrès seront réalisés, mais l'ensemble a plus de poids que la somme de ses parties.
Sir Michael Quinlan et d'autres témoins ont souligné une évidence : même si la communauté internationale a accepté de se donner pour objectif l'« élimination » des armes nucléaires, la connaissance dans le domaine nucléaire, une fois découverte, ne peut être réellement éliminée. Reconnaissant la nécessité d'assurer un équilibre entre l'idéalisme et le pragmatisme dans ce domaine, et afin de refuser aux partisans du statu quo nucléaire un moyen facile de rejeter ses recommandations, le Comité a choisi de suivre l'exemple de la National Academy of Sciences des États-Unis, qui préconise de se fixer un objectif équivalent mais plus pragmatique, la « prohibition » des armes nucléaires.
La prohibition des armes nucléaires, comme principal mécanisme permettant d'assurer la sécurité internationale, est un objectif qui ne sera pas réalisé rapidement ni facilement, mais ce qu'il requiert est évident : un engagement renouvelé de la part de tous les États à l'égard des principes et des obligations contenus dans le Traité de non-prolifération nucléaire; l'engagement, de la part des États-Unis et de la Russie, de poursuivre le processus bilatéral START et d'aller plus loin; l'engagement de la part du Royaume-Uni, de la France et de la Chine, de faire preuve de plus de transparence au sujet de leurs arsenaux et de leurs doctrines nucléaires et, de la part de ces cinq États, d'accepter un débat de fond sur les questions de désarmement à la Conférence sur le désarmement; l'engagement, de la part du Canada et d'autres États, d'insister sur l'importance de ces questions dans toutes les tribunes, même au risque de créer des tensions au sein de l'OTAN ou dans les relations bilatérales; la volonté de redoubler les efforts internationaux en vue de réduire les tensions régionales en Asie du Sud et au Moyen-Orient et de convaincre l'Inde, le Pakistan et Israël d'accepter le consensus mondial sur la non-prolifération nucléaire et, suivant l'exemple récent de l'Afrique du Sud, de réduire ou même de démanteler leurs programmes nucléaires.
Un rôle pour le Canada
Étant donné que le Canada n'est pas lui-même un État doté de l'arme nucléaire, certains pourraient douter de sa crédibilité pour ce qui est d'encourager et d'influencer de nouveaux progrès dans ce domaine. Le Comité s'insurge contre ce point de vue. Il estime plutôt que le Canada est dans une position privilégiée pour jouer un rôle de premier plan, à titre de premier État capable de mettre au point des armes nucléaires à avoir décidé de ne pas le faire, puis plus tard, à titre de premier État à se débarrasser des armes nucléaires et enfin, à titre de chef de file dans la prorogation du Traité de non-prolifération nucléaire en 1995 et de principal intervenant dans le processus d'Ottawa, un exercice qui a démontré la nécessité de savoir faire preuve d'esprit novateur en diplomatie, dans le domaine de la sécurité et le contrôle des armements. L'ambassadeur Mark Moher mettra maintenant à profit ce rôle de chef de file en tant que président des négociations qui auront lieu à la Conférence sur le désarmement et qui concerneront l'éventuel Traité sur l'arrêt de la production de matières fissiles. Malgré ces aspects techniques, la prohibition des armes nucléaires reste fondamentalement un objectif politique et moral. Le Comité est convaincu que le Canada a la vision, les aptitudes et la crédibilité nécessaires pour jouer un rôle de premier plan et finalement mettre fin à la menace nucléaire qui pèse sur l'humanité. À l'aube du prochain millénaire, l'objectif est de créer un monde plus sûr et meilleur. On ne saurait penser à un autre impératif plus pressant en matière de politique étrangère.
1 Notes pour une déclaration de l'honorable Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères du Canada, au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, « Les essais nucléaires de l'Inde et leurs conséquences pour le désarmement nucléaire et le régime de non-prolifération nucléaire », ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, 98/40, Ottawa, 26 mai 1998, p. 4.
2 Stansfield Turner, « The Specter of Nuclear Proliferation », dans Security Dialogue, septembre 1998, p. 300.
3 Tariq Rauf, « Le Canada, l'OTAN et le contrôle des armes nucléaires », exposé devant le Comité, 12 février 1998, p. 1.
4 Témoignages, réunion no 27, 12 février 1998, p. 5. (Les renvois aux témoignages enregistrés devant le Comité seront indiqués ci-après sous cette forme abrégée.)
5 « Quote . . .Unquote », Montreal Gazette, 31 mai 1998, p. A8.
6 Mark Moher, « La Cour internationale de Justice, l'OTAN et le Canada : L'avenir des armes nucléaires : Conséquence pour le Canada », discours devant le Forum du Groupe canadien Pugwash, Ottawa, 18 octobre 1997, p. 2 et 3.
7 Voir Stephen I. Schwartz, « Overview of Project Findings », 30 juin 1998, dans The Hidden Cost of Our Nuclear Arsenal, page Web de la Brookings Institution. Cet exposé se fonde sur l'ouvrage intitulé, Atomic Audit: The Costs and Consequences of U.S. Nuclear Weapons Since 1940, Brookings Institution Press, 1998.
8 Thomas Graham Jr., ambassadeur, « South Asia and the Future of Nuclear Non-Proliferation », Arms Control Today, mai 1998, p. 3.
9 En raison du secret qui entoure traditionnellement les programmes d'armes nucléaires, on ne peut que se fier à des estimations, comme celles contenues dans le rapport de mars 1998 du Natural Resources Defense Council (É.-U.), Taking Stock: Worldwide Nuclear Deployments 1998.
10 Committee on International Security and Arms Control, U.S. National Academy of Sciences, The Future of U.S. Nuclear Weapons Policy, National Academy Press, Washington, D.C., 1997, p. 43.
11 Témoignages, réunion no 24, 10 février 1998, p. 22.
12 Yves Le Bouthillier, professeur, « La politique du Canada sur l'emploi de l'arme nucléaire à la lumière de l'avis de la Cour internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l'emploi de l'arme nucléaire », février 1998, p. 1.
13 Report of the Canberra Commission on the Elimination of Nuclear Weapons, août 1996, « Executive Summary », p. 9-10.
14 Cité dans Fred Kaplan The Wizards of Armageddon, Simon and Schuster Inc., New York, 1983, p. 32.
15 Fred Iklé, « Avant-propos » dans Michael J. Mazarr ed., Nuclear Weapons In a Transformed World: The Challenge of Virtual Nuclear Arsenals, St. Martin's Press, New York,1997, p. IX-X.
16 Voir par exemple Wolfgang K. H. Panofsky, « Dismantling the Concept of `Weapons of Mass Destruction' », Arms Control Today, avril 1998, p. 3.
17 L'hon. Lloyd Axworthy, 26 mai 1998, p. 2.
18 John P. Holdren, « Nuclear Proliferation and United States Responsibilities », 29 mai 1998, repris dans une version légèrement modifiée dans le Chicago Tribune, le 2 juin 1998.
19 Royaume-Uni, ministère de la Défense, Strategic Defence Review, Supporting Essay Five: « Deterrence, Arms Control and Proliferation », juillet 1998, p. 1, site Web du ministère de la Défense.
20 Sir Michael Quinlan, Thinking About Nuclear Weapons, RUSI Whitehall Paper Series, Royal United Services Institute for Defence Studies, 1997, p. 12.
21 Lee Butler, général, « The Risks of Deterrence: From Superpowers to Rogue Leaders », Washington, D.C., The National Press Club, 2 février 1998, p. 4-6.
22 Témoignages, réunion no 67, 11 juin 1998, p. 17.
23 Andrew J. Goodpaster, général, Shaping the Nuclear Future: Toward a More Comprehensive Approach, Occasional Paper, The Atlantic Council of the United States, décembre 1997, p. 1.
24 Michael J. Mazarr, « The Notion of Virtual Nuclear Arsenals », 1997, p. 4.
25 Témoignages, réunion no 61, 4 juin 1998, p. 27.
26 Holdren, 1998.
27 Ministre de la Défense du Royaume-Uni, 1998, p. 8.
28 Présentation de Mark Moher, ambassadeur au désarmement auprès des Nations Unies et délégué permanent à la Conférence sur le désarmement, au Comité, le 3 février 1998, p. 2-3 et 7-8.
29 Témoignages, réunion no 23, 5 février 1998, p. 5.
30 « Towards a Nuclear-Weapon-Free World: The Need for a New Agenda », 9 juin 1998.
31 Témoignages, réunion no 34, 24 février 1998, p. 6.
32 L'hon. Lloyd Axworthy, 26 mai 1998, p. 3.
33 Richard K. Betts, « The New Threat of Mass Destruction », in Foreign Affairs, janvier/février 1998, p. 26.
34 Canadians' Views on a Global Ban on Nuclear Weapons, Angus Reid Group Inc., 26 mars 1998, tableau 2.
35 James Lee et Gerald Schmitz, Rapport des réunions du Comité tenues à Washington, D.C. et à New York, 29 mars-1er avril 1998, p. 5.
36 Ibid., p. 31.
37 Témoignages, réunion no 23, 5 février, 1998, p. 40.
38 Rapport de la Commission d'évaluation environnementale du concept de gestion et de stockage des déchets de combustible nucléaire, Concept de gestion et de stockage des déchets de combustible nucléaire, février 1998, p. 9.
39 Lynne Myers et Alan Nixon, « Les questions nucléaires au Canada », Points saillants des questions pour la 36e Législature, Direction de la recherche parlementaire, septembre 1997, p. 73.
40 Témoignages, réunion no 39, 17 mars 1998, p. 4.
41 Témoignages, réunion no 39, 17 mars 1998, p. 49.
42 Robert M. Hazen et James Trefil, Science Matters: Achieving Scientific Literacy, New York, Doubleday, 1991, p. 114.
43 Rapport de la Commission d'évaluation environnementale du concept de gestion et de stockage des déchets de combustible nucléaire, Concept de gestion et de stockage des déchets de combustible nucléaire, février 1998, p. 18.
44 Témoignages, réunion no 39, 17 mars 1998, p. 33-34.
45 Témoignages, réunion no 67, 11 juin 1998, p. 5.
46 William Walker, « International Nuclear Relations after the Indian and Pakistani Test Explosions », International Affairs, 74, 3, 1998, p. 520.
47 Ibid., p. 509.
48 Ibid., p. 514.
49 Ibid., p. 512-13.
50 Voir, par exemple, George Bunn et David Holloway, Arms Control without Treaties? Rethinking U.S.-Russian Strategic Negotiations in Light of the Duma-Senate Slowdown in Treaty Approval, Stanford University, Center for International Security and Arms Control, février 1998.
51 Lee et Schmitz, 1998, p. 8.
52 The Future of U.S. Nuclear Weapons Policy, 1977, p. 36.
53 Selon William M. Arkin, Robert S. Norris et Joshua Handler, les États-Unis et la Russie possèdent environ 34 570 ogives sur les 36 000 qui existent dans le monde. Cela ne comprend pas les arsenaux de l'Inde, du Pakistan ou d'Israël, mais même en estimant les forces de ces pays au maximum, cela ne changerait pas tellement le nombre total. Voir William M. Arkin,Robert S. Norris et Joshua Handler, Taking Stock: Worldwide Nuclear Deployments 1998, Natural Resources Defense Council, 1998.
54 Cité dans Jonathan Schell, The Gift of Time: The Case for Abolishing Nuclear Weapons Now, Metropolitan Books,New York, 1998, p. 28.
55 Voir Bruce G. Blair, Harold A. Feiveson et Frank N. von Hippel, « Taking Nuclear Weapons off Hair-Trigger Alert », Scientific American, novembre 1997, p. 74-81.
56 Cité dans Peter Vincent Pry, War Scare: Nuclear Countdown after the Soviet Fall, (1997 Galley), à paraître, p. 307.
57 Madeleine K. Albright, secrétaire d'État des États-Unis, Commencement Address to the United States Coast Guard Academy, New London, Connecticut, 20 mai 1998, p. 3.
58 Témoignages, réunion no 23, 5 février 1998, p. 28.
59 Lee et Schmitz, 1998, p. 14.
60 William M. Arkin et Hans Kristensen, « Dangerous Directions », Bulletin of the Atomic Scientists, mars/avril 1998.
61 William M. Arkin, Robert S. Norris et Joshua Handler, 1998, p. 14.
62 Voir Janne Nolan, « The Next Nuclear Posture Review? », dans Elusive Consensus: Nuclear Weapons and American Security after the Cold War, Brookings Institution Press, à paraître.
63 Lee et Schmitz, 1998, p. 2.
64 Ibid., p. 4.
65 William Walker, « International Nuclear Relations after the Indian and Pakistani Test Explosions », International Affairs, 74, 3, 1998, p. 526.
66 Bruce Blair, « Loose Cannon », The National Interest, été 1998, p. 88.
67 Graham T. Allison et coll., Avoiding Nuclear Anarchy: Containing the Threat of Loose Russian Nuclear Weapons and Fissile Material, Centre for Science and International Affairs, John F. Kennedy School of Government, Harvard University, Cambridge, MA, 1996.
68 Andrew et Leslie Cockburn, One Point Safe, Doubleday, New York, 1997, p. 250-251.
69 Arkin et coll., 1998, p. 2.
70 « Nuclear Weapons First in Russia's Defense Policy: Gambling on a Dangerous Reform Plan », Strategic Comments, International Institute for Strategic Studies, Volume 4, no 1, janvier 1998, p. 1.
71 Discours du président Eltsine aux diplomates russes, 12 mai 1998, International Affairs, Volume 44, no 3, 1998, p. 4.
72 Lee et Schmitz, 1998, p. 8.
73 Reuters, « Yeltsin Says Russia Nuclear Force Not Weaker », 3 juillet 1998.
74 Transcription d'une table ronde sur la prolifération : « A Report from Moscow », 19 mai 1998, p. 5. Accessible au site Web de Carnegie Endowment for International Peace, Non-Proliferation Program.
75 Audience devant le Select Committee on Intelligence du Sénat, cent cinquième Congrès américain, première session, sur les menaces actuelles et futures à la sécurité nationale des États-Unis, mercredi 5 février 1997, réponses écrites incluses dans la transcription des audiences, p. 99.
76 « Nuclear Weapons First in Russia's Defense Policy: Gambling on a Dangerous Reform Plan », 1998, p. 2.
77 Lee et Schmitz, 1998, p. 16.
78 Audience devant le Select Committee on Intelligence du Sénat, cent cinquième Congrès des États-Unis, première session, sur les menaces actuelles et futures à la sécurité nationale des États-Unis, mercredi 5 février 1997, réponses écrites incluses dans la transcription des audiences, p. 99.
79 The Future of U.S. Nuclear Weapons Policy, 1997, p. 41.
80 Sam Nunn et Bruce Blair, « From Nuclear Deterrence to Mutual Safety: As Russia's Arsenal Crumbles, It's Time to Act », The Washington Post, 22 juin 1997, p. C1.
81 Bruce Blair, « Canada's Role in NORAD and Contributions to Nuclear Stability », mémoire au Comité, août 1998.
82 Douglas A. Ross, professeur, Contenir la menace nucléaire : Les objectifs du Canada en matière de contrôle des armes nucléaires et de désarmement : risques, possibilités et contraintes, mémoire au Comité, avril 1998, addendum point 4.
83 Témoignages, réunion no 27, 12 février 1998, p. 8.
84 Témoignages, réunion no 32, 19 février 1998, p. 13.
85 Ibid., p. 4.
86 Témoignages, réunion no 33, 19 février 1998, p. 14. Voir aussi Franklyn Griffiths, MOX Experience: The Disposition of Excess Russian and U.S. Weapons Plutonium in Canada, juillet 1997.
87 Témoignages, réunion no 27, 12 février 1998, p. 11.
88 Ibid., p. 7.
89 Lee et Schmitz, 1998, p. 12.
90 Témoignages, réunion no 67, 11 juin 1998, p. 2.
91 Sir Michael Quinlan, 1997, p. 75-79.
92 Témoignages, réunion no 61, 4 juin 1998, p. 8.
93 Ibid., p. 22.
94 Témoignages, réunion no 67, 11 juin 1998, p. 19.
95 Témoignages, réunion no 61, 4 juin 1998, p. 2.
96 The State of Nuclear Proliferation, Fact Sheet, The Arms Control Association, mai 1998.
97 Rodney W. Jones et coll., Tracking Nuclear Proliferation: A Guide in Maps and Charts 1998, The Carnegie Endowment for International Peace, Washington, 1998, p. 131.
98 Témoignages, réunion no 64, 9 juin 1998, p. 6.
99 Témoignages, réunion no 61, 4 juin 1998, p. 14.
100 Voir Seymour Hersh, « On the Nuclear Edge », The New Yorker, 29 mars 1993.
101 Walker (1998), p. 510.
102 Témoignages, réunion no 59, première Session, trente-cinquième Législature, le 20 juin 1995, p. 18.
103 Transcription d'une discussion à table ronde sur la prolifération « Deterring Chemical and Biological Weapons », 7 mai 1998, p. 4, site Web de Carnegie Endowment for International Peace, Non-Proliferation Program.
104 Témoignages, réunion no 54, 26 mai 1998, p. 6-7.
105 Betts, 1998, p. 32.
106 « Proliferation: Weapons of Mass Destruction and NATO », Strategic Overview 1996, Direction de l'analyse stratégique, Planification des politiques, Rapport 9625, ministère de la Défense nationale, Ottawa, novembre 1996, p. 71.
107 Panofsky, 1998, p. 4.
108 Lee et Schmitz, 1998, p. 15.
109 Un ex-président de la Cour internationale de Justice a effectué des recherches de ce genre conjointement avec un ancien membre du Comité : voir Nagendra Singh et Edward McWhinney, Nuclear Weapons and Contemporary International Law, Martinus Nijhoff Publishers Dordrecht, 1989.
110 Témoignages, réunion no 59, première Session, trente-cinquième Législature, 20 juin 1995, p. 18.
111 Témoignages, réunion no 27, 12 février 1998, p. 11.
112 Ibid., p. 2.
113 Ross, 1998, p. 2.
114 Transcription d'une discussion à table ronde sur la prolifération : « Deterring Chemical and Biological Weapons », 7 mai 1998, p. 10, site Web de Carnegie Endowment for International Peace, Non-Proliferation Program.
115 Cité dans Harry Summers, « Protecting the Homeland », The Washington Times, 6 août 1998, p. 18.
116 Erik J. Leklem « At One Year, CWC Progress Tempered by Limited Transparency », Arms Control Today, avril 1998, p. 27-28.
117 Carnegie Endowment for International Peace, Book Release (lancement de livre) : Tracking Nuclear Proliferation, 1998, Non-Proliferation Project, site Web, juillet 1998.
118 Jones et al., 1998, p. 15.
119 The Future of U.S. Nuclear Weapons Policy, 1997, p. 50.
120 Témoignages, réunion no 59, première Session, trente-cinquième Législature, le 20 juin 1995, p. 3.
121 Les auteurs ajoutent que, même si elles ne figurent pas actuellement sur cette liste, l'Algérie et la Syrie devraient être surveillées dans l'avenir. Voir Jones et coll., 1998, p. 3.
122 Lettre du professeur William Walker adressée à Bill Graham, député, le 6 août 1998.
123 Lee et Schmitz, 1998, p. 6.
124 Témoignages, réunion no 27, 12 février 1998, p. 18-19.
125 Témoignages, réunion no 32, 19 février 1998, p. 17.
126 Cette formulation est prise de John Simpson, « Smoke and Mirrors », The World Today, juillet 1998, p. 180.
127 Témoignages, réunion no 59, première Session, trente-cinquième Législature, 20 juin 1995, p. 8.
128 Kristen Ostling, Politique nucléaire du Canada et risque de prolifération, mémoire présenté au Comité, Campagne contre l'expansion du nucléaire, 19 février 1998, p. 1.
129 Emily Bailey et coll., Briefing Book Volume I: The Evolution of the Nuclear Non-Proliferation Regime, Programme for Promoting Nuclear Non-Proliferation, 1998, p. 17.
130 Témoignages, réunion no 33, 19 février 1998, p. 3.
131 Bailey et coll. (1998), p. 17.
132 Témoignages, réunion no 33, 19 février 1998, p. 10.
133 Témoignages, réunion no 27, 12 février 1998, p. 10 et 14.
134 Témoignages, réunion no 32, 19 février 1998, p. 19.
135 Témoignages, réunion no 59, 2 juin 1998, p. 7.
136 Jones et coll. (1998), p. 307-309. L'Entente de Wassenaar de 1995 sur le contrôle des exportations d'armes conventionnelles et de marchandises et technologies à usage double vise aussi à compléter et à renforcer sans les reproduire les régimes de contrôle existants ayant trait aux armes de destruction de masse.
137 Ce qui suit est fondé sur l'explication de la politique canadienne donnée au Comité en juin 1998 par Ralph Lysyshyn, directeur général, Direction générale de la sécurité internationale, MAECI. Voir Témoignages, réunion no 59, 2 juin 1998, p. 3.
138 Le Canada a conclu 22 accords du genre avec 36 pays - un accord vise 15 pays qui font partie de la Communauté européenne de l'énergie atomique (EURATOM).
139 Témoignages, réunion no 59, 2 juin 1998, p. 21.
140 Ibid., p. 4.
141 Témoignages, réunion no 32, 19 février 1998, p. 10.
142 Témoignages, réunion no 59, 2 juin 1998, p. 6-7.
143 Williams Walker, lettre à Bill Graham, député, 6 août 1998, p. 2.
144 Cité dans William Walker, « International Nuclear Relations after the Indian and Pakistani Test Explosions », International Affairs, 74, 3, 1998, p. 522, note 49.
145 Témoignages, réunion no 61, 4 juin 1998, p. 11-12.
146 Témoignages, réunion no 61, 4 juin 1998, p. 3.
147 Ibid., p. 3.
148 Voir Thomas Graham Jr., ambassadeur, « South Asia and the Future of Nuclear Non-Proliferation », Arms Control Today, mai 1998.
149 Témoignages, réunion no 67, 11 juin 1998, p. 7.
150 Témoignages, réunion no 24, 10 février 1998, p. 8.
151 Acte Fondateur sur les Relations, la Coopération et la Sécurité Mutuelles entre l'OTAN et la Fédération de Russie, Paris, 27 mai 1997, p. 8, accessible au site Web de l'OTAN.
152 Témoignages, réunion no 23, 5 février 1998, p. 5.
153 Voir Groupe Angus Reid, Canadians' Views on a Global Ban on Nuclear Weapons, 26 mars 1998.
154 Témoignages, réunion no 23, 5 février 1998, p. 29.
155 Témoignages, réunion no 61, 4 juin 1998, p. 26.
156 Rob de Wijk, NATO on the Brink of the New Millennium: The Battle for Consensus, Brassey's Atlantic Commentaries, Londres, 1997, p. 2-6.
157 Ibid., p. 1.
158 Sir Michael Quinlan, 1997, p. 21.
159 Ibid., p. 20.
160 Ibid., p. 25.
161 Daniel L. Bon, exposé au Comité, 12 février 1998, p. 1.
162 de Wijk, 1997, p. 38-39.
163 Ibid., p. 39.
164 « Le Concept stratégique de l'Alliance » (en anglais seulement) dans l'appendice IX, Manuel de l'OTAN, Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, 1995, p. 247-248.
165 Acte Fondateur sur les Relations, la Coopération et la Sécurité Mutuelles entre l'OTAN et la Fédération de Russie, Paris, le 7 mai 1997, p. 1-2.
166 Rob de Wijk, « Vers une nouvelle stratégie politique pour l'OTAN », Revue de l'OTAN, vol. 46, no 2, été 1998, p. 14-18, ÉDITIONWEB, p. 3.
167 Cité dans Jack Mendelsohn, « Tranche Fever », Arms Control Today, vol. 28, no 3, avril 1998, p. 2.
168 Témoignages, réunion no 61, 4 juin 1998, p. 27.
169 Témoignages, réunion no 27, 12 février 1998, p. 26.
170 Ibid., p. 24.
171 Témoignages, réunion no 61, 4 juin 1998, p. 4.
172 David S. Yost, « The New NATO and Collective Security », Survival, vol. 40, no 2, été 1998, p. 150.
173 The Future of U.S. Nuclear Weapons Policy, 1997, p. 72.
174 Témoignages, réunion no 34, 24 février 1998, p. 3.
175 Témoignages, réunion no 24, 10 février 1998, p. 7.
176 Témoignages, réunion no 34, 24 février 1998.
177 « Nuclear Weapons Abolition Statement by Current and Former Heads of State », State of the World Forum, 2 février 1998.
178 David Gompert, Kenneth Watman et Dean Wilkening, « U.S. Nuclear Declaratory Policy: The Question of Nuclear First Use », RAND, 1995, résumé, p. 2, accessible au site Web de RAND.
179 Témoignages, réunion no 61, 4 juin 1998, p. 4.
180 Ibid., p. 11.
181 Témoignages, réunion no 24, 10 février 1998, p. 9.
182 Témoignages, réunion no 27, 12 février 1998, p. 6.
183 Témoignages, réunion no 67, 11 juin 1998, p. 8.
184 Lee et Schmitz, 1998, p. 15.
185 Témoignages, réunion no 54, 26 mai 1998, p. 5.
186 Témoignages, réunion no 24, 10 février 1998, p. 31.
187 Arkin, Norris et Handler, Taking Stock: Worldwide Nuclear Deployments 1998, Natural Resources Defense Council, Washington, D.C., mars 1998, p. 1.
188 « Nuclear Weapons : The Abolitionist Upsurge », dans Strategic Survey 1997-98, International Institute for Strategic Studies, London, 1998, p. 51.
189 Témoignages, réunion no 27, 12 février 1998, p. 28.
190 Témoignages, réunion no 61, 4 juin, 1998, p. 4.
191 Ibid., p. 25.
192 Lee et Schmitz, 1998, p. 3.
193 Témoignages, réunion no 61, 4 juin 1998, p. 5.
194 « NATO and European Security into the 21st Century », discours de Javier Solana, secrétaire général de l'OTAN, à la Oxford University Union Society, 13 mai 1998, p. 1.
195 Témoignages, réunion no 23, 5 février 1998, p. 43.
196 Lettre du général Lee Butler à Bill Graham, député, juillet 1998 (voir annexe A).
197 Ibid.
198 Témoignages, réunion no 35, 26 février 1998, p. 2.